Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 19 septembre 2008

vendredi 19 septembre 2008

La défense décodée

Extraordinaire article, et je pèse mes mots, de Pascale Robert-Diard dans le Monde 2 de cette semaine. Un vrai travail de journaliste, de chroniqueur judiciaire, de témoin, et je crois une première.

Pascale Robert-Diard a suivi un confrère, et quel confrère, Grégoire Lafarge, durant tout un procès d'assises, et même avant, lors des rendez-vous préparatoires entre l'avocat et le client. Vous y verrez comment un avocat pénaliste « prépare » un client, et vous verrez que ce n'est pas lui apprendre par cœur un gros mensonge, mais lui permettre de se défendre au mieux et tenter de lui donner le courage de dire la vérité.

Puis vous suivrez l'audience, assis sur le banc de la défense, à côté de l'avocat, là où on voit tous les regards, à portée d'oreille des conseils chuchotés en plein interrogatoire. Vous verrez quelle partie d'échec à quatre joueurs se joue entre la défense d'un côté, le parquet te la partie civile de l'autre, et le président au milieu, supposément au-dessus, qui fait semblant de n'avoir pas d'opinion alors qu'on la voit comme le soleil à midi.

Du vécu, il y a tant de moments que je reconnais pour les avoir vécu moi-même. Elle décrit formidablement bien la relation si particulière, si forte et pourtant éphémère, qui unit un avocat et son client devant la cour d'assises.

Je retiendrai, parmi d'autres, cette phrase, qui correspond à la fin de la plaidoirie de l'avocat de la défense.

Quand Me Lafarge rejoint son banc, le regard des jurés reste aimanté à sa robe. Il est vidé.

Jamais je n'ai ressenti un épuisement aussi complet, absolu, qu'à la fin d'une audience d'assises. Pas tant physique (on arrive encore à tenir debout, à sourire, à serrer des mains, à dire des amabilités au président, à l'avocat général et au confrère, et on sort en marchant sur ses deux pieds. Mais moralement, psychiquement. Un procès d'assises, c'est des mois d'attente, des heures de préparation, une concentration continue, une heure de plaidoirie pour tout donner, et quand la plaidoirie est terminée, la machine est lancée, il n'y a plus qu'à attendre, et toutes les digues qui canalisaient votre énergie cèdent enfin. Après un procès d'assises, on ne dort pas, on tombe dans le coma. Un sommeil lourd et sans rêve. Aucun des autres intervenants du procès n'est autant engagé que l'avocat de la défense, car l'accusé, on le porte à bout de bras. La beauté du métier, mais aussi son côté destructeur si on n'y prend pas garde.

Bref, un formidable point de vue de l'intérieur de la profession d'avocat, servi avec le style parfaitement adéquat. Bref, la presse comme je l'aime. C'est long, mais ça se lit tout seul. Méfiez-vous, d'ailleurs : il est impossible de s'arrêter quand on a commencé.

Puisqu'on s'est déjà rencontré, permettez-moi un brin de familiarité : bravo Pascale. Vous devriez ouvrir un blog.

Allez, je vous laisse aller vous régaler.

C'est ici.

Parquet flottant

Par Gascogne


Par un arrêt non encore publié en date du 18 septembre 2008, la chambre criminelle de la Cour de Cassation vient de porter un nouveau coup aux dispositions nationales régissant la vie de nos parquets.

Au départ de cette bien sombre histoire est une disposition législative que le monde entier nous envie mais dont il faut bien reconnaître qu'elle est assez spécifique. Trop, même. Il s'agit de l'article 505 du Code de Procédure Pénale. Selon ce texte, le procureur général près la cour d'appel (le sous-chef des parquetiers) dispose d'un délai d'appel de deux mois en matière correctionnelle. Jusque là, rien de bien transcendant. La spécificité de ce texte réside dans le fait que le condamné moyen, tout comme d'ailleurs le procureur de la République près le tribunal de grande instance (le sous-sous-chef), ne disposent quant à eux que d'un délai de 10 jours pour faire appel de ces décisions (art. 498 du même Code).

Ces dispositions signifient donc en pratique que si le procureur de Tataouine les Oies, pris la tête sous les piles, a laissé passer le délai d'appel d'un dossier (dix jours, c'est court), il pouvait toujours aller faire repentance tête basse (le poids des piles) auprès de son chef adoré pour lui demander de faire appel. Après sévère remontrance et humiliation publique, l'erreur était ainsi corrigée.

Le problème est que la personne poursuivie ne pouvait se retourner vers personne. Si elle laissait passer son délai d'appel, il était trop tard. La décision était exécutoire. Elle pouvait certes écrire un petit courrier au procureur général, mais on imagine assez bien l'empressement de celui-ci pour faire appel d'une décision qu'il trouvait bonne, puisque condamnant lourdement l'insolent innocent.

Cette différence des appels n'est pas neutre : en effet, lorsque seul le condamné fait appel, ce que l'on nomme un appel principal, la cour ne pourra pas aller au delà de ce que le tribunal a prononcé. Par contre, si le procureur fait appel, la cour retrouve la possibilité de se prononcer dans le cadre du maximum fixé par la loi. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les procureurs font systématiquement ce que l'on nomme un appel incident lorsque le condamné ose contester la première décision.

La Cour Européenne des Droits de l'Homme (cette instance castratrice des parquets, comme déjà signalé) a condamné la France sur cette base en estimant que l'article 6 de la convention, qui traite notamment de l'égalité des armes entre les parties, était violé (malgré de savantes recherches, je n'ai pas retrouvé l'arrêt en question : si quelqu'un peut mettre un lien en commentaire, je lui en serai éternellement reconnaissant et débiteur). La Cour de Cassation vient de lui emboîter le pas en estimant qu'il convenait désormais que les cours d'appel considèrent les appels du procureur général intervenant plus de dix jours après la décision contestée comme irrecevables. C'est une application pure et simple de la suprématie de la norme européenne sur la loi française, puisque l'article 505 du CPP n'est en rien abrogé.

Il semblerait que les délices de la distinction entre décision exécutoire (après dix jours) et décision définitive (après deux mois) soient en passe de ne plus être enseignés à l'ENM...

Encore un sujet pour le 13 heures de TF1 sur la disparition de nos spécificités nationales...

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