Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 22 septembre 2008

lundi 22 septembre 2008

Discutons de cour d'assises : crimes et châtiments

Simple billet pour ouvrir un fil de discussion sur le documentaire de ce soir sur France 3.

À vos questions et commentaires.

Cachez moi cette virginité que je ne saurais voir !

C'est auprès de Molière, à moins que ce ne soit de Giraudoux, que le parquet général de Douai, chargé par le Garde des Sceaux (que ses ennemis placent leur économies en subprimes) de faire appel du jugement du tribunal de grande instance de Lille ayant prononcé l'annulation d'un mariage pour erreur sur une qualité essentielle, l'époux ayant cru à tort que son épouse était vierge, que le parquet général disais-je est allé cherché ses arguments.

C'est aujourd'hui que la cour d'appel la plus septentrionale a examiné ce bien curieux appel, ou le demandeur et le défendeur n'avaient rien demandé. Je ne sais pas si la recevabilité de l'appel du parquet a fait débat. La question devra être examinée d'office par la cour, et la question du délai me paraît poser une première difficulté, je m'en étais expliqué à l'époque.

Il demeure, l'émotion un peu hâtive étant retombée, voyons, concrètement le résultat de cette intervention de l'État dans une affaire strictement privée et qui était réglée. Tâchons d'en rire, de peur d'avoir à en pleurer.

Bref rappel : au point de départ, nous avions monsieur, qui ne veut plus être marié avec madame et madame, qui ne veut plus être mariée avec monsieur. Monsieur choisit la voie de l'annulation, madame dit « Hé bien puisqu'annulation il veut, qu'annulation il y ait et qu'on me fiche la paix ». Le juge dit donc qu'il y avait lieu à annulation. Et le parquet de dire… rien du tout, ayant d'autres chats à fouetter.

Trop de concorde dans le prétoire, ça ne se pouvait pas. Féministes et laïcistes s'émeuvent, leur brâme attire l'attention de la presse, qui décide d'en faire une affaire d'État à grand coups de doctes débats d'où les juristes sont systématiquement écartés, les intérêts en cause les dépassant supposément, puisqu'ils ne trouvent rien à redire à ce jugement.

Rachida Dati, bénies soient ses factures de réception à la Chancellerie, après avoir dit que ce jugement était fort bon et la nullité de mariage fort bonne en soi, a décidé qu'il fallait donc faire appel de ce jugement.

Et le parquet général d'aller souffler sur les braises en train de s'éteindre.

Premier acte : demander la suspension de l'exécution provisoire. Chose faite. L'hymen est donc reconstitué (juridiquement, s'entend), jusqu'à ce que la cour statue.

Deuxième acte : revient le temps de l'apaisement. « Vous voulez ne jamais avoir été mariés, mes enfants ? À la bonne heure ! » s'exclame le procureur général. « Mais demandez-le autrement, sans parler de la virginité de la femme célibataire, vous savez que cela est un sujet délicat chez notre Très Bien Aimée Garde des sceaux, qu'un million de papillons volettent autour de ses motards d'escorte », leur sussure-t-il. « Cachez-moi cette virginité que je ne saurais voir. Tenez. Sa Sainteté (je parle du pape, là, pas du Garde des Sceaux) vient de nous rendre visite. Invoquons le droit canon, et soulevez l'absence de vie commune après le mariage. Oui, je sais, ça n'a jamais été une cause de nullité du mariage, pas même en droit canon : c'est un procès en grâce de la dispense d'un mariage conclu et non consommé, canon 1697, mais que vous importe : vous êtes musulmans ; et puis c'est promis, nous fermerons les yeux et ne ferons pas de pourvoi en cassation. De nos jours, en République, si les apparences sont sauves qui se soucie du droit ? »

Dans son coin, Tartuffe rougit de honte.

Mais peine perdue. Les trois parties, époux, épouse et parquet ne peuvent s'entendre. La guerre des trois aura bien lieu; et à l'acte trois, comme il se doit.

Acte trois donc : disputons et disputons-nous devant la cour. Puisqu'on reconvoque les époux, ils ont bien l'intention de donner du travail aux conseillers de la cour.

— « Je n'entends rien à vos chattemites arguties », s'exclame le mari, qui pour être ingénieur n'en a pas moins du vocabulaire. « Elle m'a menti, la sotte[1], et je la veux sur la sellette ! Je maintiens mes demandes à l'identique. »

— « Fi !» s'exclame l'épouse « Je ne toucherai pas à son petit banc[2] de peur qu'il ne boude[3]. Réflexion faite, je suis bafouée. Or il est interdit de bafouer son épouse. Le respect est une des obligations du mariage depuis la loi n°2006-399 du 4 avril 2006, et nous nous mariâmes en juillet 2007, après l'entrée en vigueur de cette loi. Je demande la nullité du mariage pour son bafouage et manque de respect, et évalue le prix de mon honneur à 50.000 euros un euro, par chèque de préférence. »

Je vois le sourcil des partisans de la dignité de la femme se lever : le respect, qui a fait défaut de toutes parts dans cette affaire, serait-il la solution ?

Nenni, car le respect est un devoir respectif d'un époux envers l'autre, et non une condition de formation du mariage : son défaut fonde un divorce, mais pas une action en nullité, qui ne peut porter que sur le consentement au mariage avec cette personne, tout le débat était là. Mais quand on voit que le parquet en est à proposer le défaut de communauté de vie, on comprend que dans ce débat, le droit a rejoint la Raison dans la tombe.

Faisons le bilan, si vous le voulez bien.

Nous avions deux époux qui ne voulaient plus l'être et étaient tombés d'accord pour une solution rapide, à défaut d'être élégante. Si fait, a dit la justice.

Mais la société en a décidé autrement. Elle est intervenue, sous la pression d'une partie de l'opinion publique, qui était soit aveuglée par son idéologie, soit tenue dans l'ignorance de ce que disait réellement ce jugement, dans cette séparation, ravivant les plaies, jetant de l'huile sur le feu, aggravant les traumatismes, instaurant la discorde là où il y avait une concorde. Elle a obligé les époux à des dépenses supplémentaires que ni l'un ni l'autre n'ont l'intention de supporter, mais sont décidés à faire peser sur l'autre, rajoutant encore des griefs sur le champ de bataille. Car pour la République, il vaut mieux une bonne guerre qu'une mauvaise paix.

Le parquet général a finalement dû proposer une solution ni rapide ni élégante, mais qui va permettre à ceux s'étant invités à la noce de faire progresser leur agenda, et de piétiner la vie de cette jeune femme en prétendant voler à son secours.

Suis-je le seul à ressentir un immense sentiment de gâchis ?

Délibéré le 17 novembre.

Notes

[1] il a aussi de l'humour.

[2] La sellette est un petit banc inconfortable où s'asseyaient les accusés lors des interrogatoires sous l'ancien régime.

[3] Son épouse aussi a de l'humour.

Citation du jour

Nicolas Sarkozy, président de la République, s'adressant au pape Benoît XVI :

Et c’est en pensant à la dignité des personnes que nous affrontons la si délicate question de l’immigration, sujet immense qui demande générosité, respect de la dignité et en même temps prise de responsabilité.

Clap. Clap. Clap.

Via Autheuil.

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