Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 3 février 2009

mardi 3 février 2009

Quelques observations sur la comparution de Fabrice Burgaud devant le CSM

Depuis hier et pour toute la semaine, le procureur Burgaud comparaît devant le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) dans le cadre de poursuites disciplinaires liées à son instruction de l'affaire dite d'Outreau.

Sans préjuger de la décision du Conseil, et sans vouloir offrir un terrain aux habituels excités d'Outreau, ceux qui demandent la tête de Fabrice Burgaud avec la même véhémence qu'ils demandaient la tête de ces pédophiles en 2002, voici quelques observations pour que vous compreniez bien de quoi il s'agit, quels sont les enjeux et pourquoi le résultat le plus probable est que Fabrice Burgaud s'en sorte indemne.

De quoi s'agit-il ?

D'une audience disciplinaire. Le CSM est, entre autres, le conseil de discipline des magistrats. Selon que le magistrat est un juge (ou magistrat du Siège) ou procureur (ou magistrat du Parquet), la formation est différente et surtout son rôle est différent.

Les procureurs étant hiérarchiquement soumis au garde des Sceaux, le CSM n'émet qu'un avis. Le Garde des Sceaux décide de la sanction, sous le contrôle du Conseil d'État qui s'assure qu'il n'excède pas ses pouvoirs. Sachant que le Conseil d'État a facilement tendance à considérer que le Garde des Sceaux excède ses pouvoirs quand il va à l'encontre d'un avis du CSM.

Les juges étant par nature indépendants, le CSM devient juridiction et prononce lui-même la sanction, qui peut aller jusqu'à la révocation : le magistrat révoqué est viré, il ne peut plus être fonctionnaire, et peut même se voir retirer ses droits à une pension de retraite.

C'est dans ce deuxième cas que nous nous situons. La formation du siège se compose d'un magistrat du siège de la Cour de cassation élu par les magistrats de la Cour de cassation, d'un premier président de cour d'appel, d'un président de tribunal élus par les présidents et premiers présidents, ainsi que de deux magistrats du siège et un magistrat du parquet, élus par l'ensemble des autres magistrats dans le cadre d'un scrutin à deux degrés. S'y ajoutent quatre personnalités extérieures au monde judiciaire, désignés par le président de la République, le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale (qui ne peuvent être des parlementaires, séparation des pouvoirs oblige) et un Conseiller d'État élu par l'assemblée générale du Conseil.

Qui a décidé des poursuites ?

L'ancien Garde des Sceaux, Pascal Clément, le 18 juillet 2006, malgré un rapport de l'Inspection Générale des Services Judiciaires excluant que les manquements relevés à l'encontre du juge constituassent des fautes disciplinaires. Ajoutons à cela qu'à l'époque, le Garde des Sceaux s'était ingénument demandé si du fait que Fabrice Burgaud était désormais au parquet, il n'avait pas le pouvoir de le sanctionner lui-même, et vous constaterez que Fabrice Burgaud n'a pas le monopole de l'obstination dans la conviction de la culpabilité.

Le procureur de la République de Boulogne en poste à l'époque, Gérald Lesigne, a également fait l'objet de poursuites, qui se sont terminées en eau de boudin.

Que reproche-t-on à Fabrice Burgaud ?

Cinq griefs ont été retenus par le ministère de la justice[1] (je rappelle que les termes de Chancellerie et de ministère de la justice sont à peu près synonymes).

Le premier grief porte sur « le crédit accordé aux déclarations des enfants, recueillies et analysées sans garanties suffisantes », notamment par un manque d'attention « aux conditions matérielles dans lesquelles se déroulaient les auditions des enfants auditions qui « seraient toutes intervenues tardivement » et « furent pour la plupart très peu critiques ».

Le deuxième grief porte sur « le caractère insuffisant des vérifications effectuées à la suite des déclarations recueillies et l'absence de confrontations organisées entre les adultes et les mineurs ». Le refus de mener ces confrontations a toujours été validé par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, sur la base de l'avis des experts psychologues, dans le souci de ne pas traumatiser les enfants. Or, selon la Chancellerie, « cette position a présenté l'inconvénient de porter ces contradictions devant la cour d'assises dans des conditions qui se sont révélées bien plus traumatisantes pour les enfants ». Qu'on reproche à Fabrice Burgaud comment s'est déroulée l'instruction, je le comprends. Qu'on lui reproche comment s'est déroulé le procès d'assises, un peu moins.

Le troisième grief met en exergue « les insuffisances relevées dans la maîtrise de l'information et la prise en compte des éléments à décharge ». La Chancellerie souligne « le manque de méthode, de prudence et de logique du magistrat dans le traitement des dénonciations et dans la conduite des investigations, interrogatoires et confrontations ». Des affirmations de mis en examen sur l'existence d'un réseau pédophile s'étendant en Belgique, avancées par la justice pour maintenir en détention les suspects, n'auraient ainsi été vérifiées qu'après plusieurs mois. Lorsque des doutes sérieux ont été exprimés par la police sur ces supposés liens avec la Belgique, le juge n'en aurait pas tenu compte. À titre personnel, je ne considérerai jamais comme une faute le fait pour un juge d'instruction de ne pas tenir compte des doutes et intuitions de la police.

D'autres accusations, formulées par Myriam Badaoui, personnage central du dossier d'Outreau, n'auraient pas non plus été « vérifiées ». L'examen des procès-verbaux ferait apparaître la non-prise en compte par le juge d'éléments contredisant son analyse et montrerait sa volonté « de suggérer ou d'orienter les réponses dans le sens de l'accusation ». C'est là sans doute le sujet de conflit le plus fréquent entre avocats et magistrats instructeurs la formulation des questions. Et aussi entre avocats et présidents de cours d'assises. Dans les deux cas, il existe des moyens légaux pour l'avocat de réagir (conclusions en donner acte pendant l'instruction, conclusions d'incident en cour d'assises). Ils ne sont pas satisfaisants, j'en suis convaincu ; mais ils n'ont pas été utilisés à ma connaissance dans le dossier.

Le quatrième grief pointe « l'adoption de méthodes d'investigation peu propices à l'émergence d'éléments à décharge ». Il vise, notamment, le recours « abusif » aux confrontations collectives.

Le dernier grief insiste sur « la mise en œuvre de pratiques de nature à affecter les droits de la défense ». Certains accusés ont été interrogés une seule fois en treize ou dix-sept mois et les expertises psychologiques n'ont pu être exploitées par les parties, à cause « du manque de rigueur du juge ». J'invite la chancellerie à regarder le nombre de fois que des détenus provisoires sont effectivement interrogés par le juge d'instruction. On est ici dans la norme. Le CSM ne va pas chômer, dans ce cas.

Pourquoi dis-je qu'il est probable que Fabrice Burgaud s'en sorte indemne ?

Pour deux raisons, une de fait, et une de droit.

Une de fait : les griefs dont je viens de faire la liste peuvent caractériser des manquements, des insuffisances du juge d'instruction. Sont-ce pour autant des fautes disciplinaires ? Ça me paraît tout sauf évident. Surtout si on se replace dans le contexte de l'époque et de l'endroit. Sans vouloir faire mon supporter du PSG, le Nord Pas de Calais est réputé pour avoir énormément d'affaires de mœurs intrafamiliales. Déjà en 1980, Yves Boisset en avait le thème de son film La Femme Flic, avec Miou-Miou. Où déjà on retrouve le mythe du réseau dirigé par des notables, apparu dans l'affaire Dutroux et dans l'affaire d'Outreau. Qu'en 2001, un juge d'instruction du Pas de Calais soit saisi d'une affaire de viol sur mineurs n'a rien en soi qui puisse faire naître des soupçons. Le juge a accordé trop de foi aux déclarations des enfants ? Mais c'est oublier que parmi ces déclarations, certaines ont été avérées. L'affaire d'Outreau n'est pas bâtie sur rien : il y a eu quatre condamnés dans cette affaire, à 20, 15, 6 et 4 ans de prison, condamnés qui n'ont pas fait appel. Il y a eu des enfants réellement victimes de sévices sexuels. Qu'on reproche à faute au juge d'instruction des actes validés par la cour d'appel de Douai, sauf à établir qu'il a falsifié son dossier pour induire les magistrats en erreur, me paraît là encore téméraire. Le recours aux confrontations collectives fut sans doute une erreur, mais ces confrontations sont légales, et appliquer la loi ne peut être une faute disciplinaire.

Une de droit, et colossale.

En 2002 a été votée une loi d'amnistie qui couvre les fautes disciplinaires antérieures au 17 mai 2002 (article 11). Or le juge Burgaud a été déchargé de son dossier le 28 juin 2002, muté au parquet de Paris. Bref, on ne peut lui reprocher de faute disciplinaire que dans cet intervalle de 20 42 jours, week-ends compris.

D'où la ruse de sioux de la Chancellerie, qui, dans une note du 20 janvier 2009 (pdf), essaie de contourner la loi d'amnistie en disant que non seulement ces manquements et insuffisances sont en fait des fautes, mais qu'en plus ces fautes sont contraires à l'honneur, ce qui exclut du bénéfice de l'amnistie en vertu de l'article 11 de la loi d'amnistie. L'argument repose sur une jurisprudence du CSM (Décision S96 du 12 mars 1997) disant que des faits ayant donné du magistrat et de l'institution judiciaire une image dégradée et qui ne pouvaient qu'affaiblir la confiance des justiciables dans l'impartialité qu'ils sont en droit d'exiger de leurs juges constituaient des faits contraires à l'honneur et dès lors étaient exclus du bénéfice de l'amnistie. En oubliant de préciser que dans cette jurisprudence, le juge sanctionné avait reçu un cadeau de l'ordre de 10.000 euros et s'était vu mettre à disposition une voiture pendant deux ans de la part d'un garagiste dont il a jugé des affaires et qu'il a nommé comme expert à sept reprises, qu'il avait confié seize enquêtes sociales à sa propre épouse dont il a fixé lui même les honoraires à cette occasion, et qu'il a statué sur une demande résiliation du bail d'une parcelle de vigne dont il était saisi et qui a été acheté en cours d'instance par un de ses amis, qu'il avait accompagné chez le notaire le jour de la vente. Lisez donc la décision.

Le traquenard

C'est donc une affaire fort mal engagée pour la Chancellerie.

Quoi que.

Car si, comme c'est probable, Fabrice Burgaud n'est pas sanctionné, ou frappé que d'une sanction symbolique, qui va pouvoir se tourner, les yeux embués de larmes, vers l'opinion publique, en disant : « Vois, mon bon peuple, j'ai fait ce que j'ai pu, mais le corporatisme des magistrats, leur refus d'admettre qu'ils peuvent se tromper est plus fort que tout : la justice s'exonère elle-même. Non, M'ame Chazal, cela n'est pas acceptable. Il faut donc réformer la responsabilité des magistrats, et l'aligner sur celle du PDG de France Télévision ».

Je ne suis pas sûr que la Chancellerie sorte perdante de cette affaire.

Par contre, je suis certain que la magistrature n'en sortira pas gagnante.

Notes

[1] Source : Le Monde, 26 août 2006, sous la signature de Jacques Follorou.

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