Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 1 juillet 2009

mercredi 1 juillet 2009

Les pompiers de New Haven sont-ils plus sages qu'une vieille dame hispanique ?

Je sais que ce titre est mystérieux de prime abord. Mais laissez-moi vous l'expliquer en inaugurant une nouvelle rubrique (qui se caractérisera pas des titres aussi incompréhensibles de prime abord que celui-là). Le droit comparé est en fac de droit une matière noble et prestigieuse. Comprendre : personne ne prend cette matière.

Et c'est dommage car étudier des systèmes de droit différents du nôtre est passionnant. Tout particulièrement le pays du droit que sont les États-Unis(sauf pour la Chine, pour qui c'est la France[1]).

L'actualité juridique de ce pays n'ayant rien à envier à la nôtre, je parlerai régulièrement dans ma rubrique Iou Héssé de ce qui se passe là-bas et dont on ne parle pas assez ici. Mes lecteurs antiaméricains pourront arrêter là leur lecture et se remettre au boulot, et ainsi grâce à moi augmenter leur productivité et obtenir une promotion après avoir fait péter leurs objectifs.

Et commençons tout de suite en parlant de Sonia Sotomayor.

Sonia Sotomayor, 55 ans tout juste, est née à New York, dans le Bronx, d'une famille portoricaine. Après des études à Princeton et Harvard, elle est aujourd'hui juge à la 2e cour d'appel fédérale (qui couvre le Connecticut, l'État de New York, et le Vermont). Elle a été nommée par le président Obama pour siéger à la Cour Suprême des États-Unis en remplacement du Justice[2] David Souter, qui a pris sa retraite hier, après avoir laissé une dernière mine pour son successeur. Sonia Sotomayor et son sourire carnassier - image Wikipedia

Aux États-Unis, la nomination des juges est une affaire politique, et celle des juges à la cour suprême une affaire suprêmement politique. Ho, ne vous gaussez pas. Je vous montrerai bientôt qu'il en est désormais de même en France, à ceci près qu'aux États-Unis, on respecte la loi pour ces nominations.

Le président désigne librement son candidat, qui doit être approuvé par le Sénat (article 2 de la Constitution). La nomination est à vie, soit jusqu'à ce que le Justice prenne sa retraite (Option Souter) ou décède agrippé à son siège (Option Rehnquist). Le nombre de juges à la cour suprême est fixé à neuf depuis 1869. Ha, et pour faire pleurer les petits pois, le salaire des Justice est de 12 370 euros mensuels, 13 000 euros mensuels pour le Chief Justice. Je pense qu'on est aux environs du double de notre Chief Petit Pois.

Ordoncques, le président Obama a désigné comme candidate à la succession de Souter Sonia Sotomayor, une femme hispanique, à la carrière brillante et à la réputation sans tache. L'opposition républicaine s'est donc empressée de tâcher de la tacher. Cela peut paraître terriblement mesquin ; mais en fait, oui, ça l'est. Et les démocrates ont montré qu'ils n'avaient rien à envier aux républicains à ce petit jeu, même si rares sont les nominations qui n'aboutissent pas. La dernière en date est le fiasco Harriet Meiers en 2005, qui avait contre elle de ne pas avoir d'expérience de juge, de ne rien connaître au droit constitutionnel, et pas grand chose au reste du droit, et pour elle d'être la grande qualité d'être la copine du président. Qui a dit “ Rachida ” ?

Aussitôt la candidature de Sotomayor annoncée, les Républicains se sont jetés sur sa carrière et l'ont passé au peigne fin pour trouver la preuve de ce qu'elle n'était pas à la hauteur du poste. La pêche fut maigre : d'une part, une déclaration lors d'un discours à Berkeley en 2001, où elle semblait considérer qu'une femme hispanique ferait un meilleur juge qu'un homme blanc[3]. Ce propos fut même qualifié de raciste. D'autre part : sa position dans une affaire Ricci v. DeStefano.

Et c'est ici qu'arrivent nos pompiers du Connecticut.

La ville de New Haven, berceau de la faculté de Yale (il faudra un jour que je vous raconte la vie d'un étudiant en droit à Yale : j'ai fait pleurer les petits pois, je vais aussi faire pleurer les étudiants français), a un service de pompiers. Jusque là, tout va bien. Il faut savoir que la loi fédérale américaine engage la responsabilité de toute autorité publique qui fait de la discrimination, volontairement ou non (Civil Rights Act de 1964). Un mode de sélection qui a pour effet même non voulu de discriminer selon la race ou le sexe engage la responsabilité de l'autorité. Et là-bas, c'est pas l'euro symbolique, c'est plutôt le million de dollar symbolique.

En novembre et décembre 2003, la ville de New Haven a organisé un concours pour accéder aux grades de lieutenant (chef d'une caserne) et capitaine (chapeautant plusieurs casernes et siégeant dans les conseils décisionnaires). Les concours se passent en un écrit (60%de la note) et un oral (40% de la note). Sont reçus sur la liste de promotion les candidats qui atteignent 14/20 (70 sur 100 aux États-Unis). Sachant que la loi laisse libre choix dans la liste, à ceci près qu'il faut toujours prendre un des trois premiers par ordre de classement (Rule Of Three). C'est à dire que si Alceste, Bonaventure, Calliste , Désiré et Enguerran sont respectivement 1er, 2e, 3e , 4e et 5e au concours, l'autorité peut promouvoir qui elle veut entre Alceste, Bonaventure et Calliste. Ce n'est qu'une fois un de ceux-ci promus qu'elle pourra envisager de promouvoir Désiré, qui figurera parmi les trois premiers de la liste. Enguerrand ne pourra espérer de promotion qu'une fois un de ceux-là promu à son tour. Et on peut être premier de la liste et ne jamais être promu.

118 candidats se présentent pour 8 places de Lieutenant et 7 de capitaine. Pour avoir un espoir de promotion, il faut donc être respectivement dans les 10 et 9 premiers. Les résultats tombent, et il s'avère qu'aucun noir n'est admissible à la promotion, même avec le tempérament de The Rule Of Three. Les juristes de la mairie alertent le maire démocrate John DeStefano Jr qu'il existe un risque de procès des candidats noirs évincés pour discrimination. Le maire décide que le fait qu'aucun noir n'ait été reçu révèle que le processus de sélection était discriminatoire, et annule le concours.

Mais au pays des procès, on n'échappe à son destin, et ce sont des pompiers blancs qui vont faire un procès pour discrimination, faisant valoir qu'ils ont réussi le concours et qu'on leur refuse leur promotion parce qu'ils sont blancs. Le principal plaignant est Franck Ricci, pompier depuis 11 ans, frappé de dyslexie, qui a payé 1000 dollars un lecteur pour lui enregistrer les cours sur cassette faute de pouvoir les retenir par la lecture, qui a abandonné son deuxième travail pour se consacrer au concours et a travaillé comme un fou pour finir 6e sur 77. D'où le nom de l'affaire : Ricci v. DeStefano.

Le 28 septembre 2006, le juge fédéral Janet Bond Arterton donne raison au maire de New Haven pour la raison suivante : il n'y a pas eu discrimination, car personne n'a été promu.

Le 15 février 2008, la 2e cour d'appel fédérale rejette l'appel de Ricci par une décision non motivée rendue par une section (panel) de trois juges, dont Sotomayor. Un des juges de la cour trouvant que c'est un peu court va demander que l'affaire soit examinée par tous les 13 juges assemblés (en anglais on dit en banc, oui, c'est du français). Face à cette demande, la section va retirer sa décision non motivée et va rendre à la place un arrêt motivé et commun (en anglais per curiam, oui, c'est du latin) par opposition à un arrêt signé par le rédacteur (en France, tous les arrêts sont rendus per curiam, et en plus, il n'y a pas d'opinions dissidentes). La motivation faisait huit phrases, ce qui pour la cour de cassation est beaucoup (ses arrêts font une phrase) mais aux États-Unis est peu. Pour la sous-section, le jugement est sensé, équilibré, et il n'y a pas de bonne solution, désolé m'sieur Ricci. La motion visant à une révision en banc est rejeté 7 voix à 6, ce qui révèle que le sujet faisait débat. Deux juges minoritaires vont demander à la cour suprême de se saisir de l'affaire, ce qu'elle va faire.

Et ce lundi 29 juin, dernier jour de travail du Justice Souter (mais je dois à la justice de signaler que Souter a rendu une opinion dissidente), la cour a rendu son arrêt Ricci v. DeStefano. Par 5 voix contre 4, elle casse l'arrêt de la 2e cour d'appel et dit qu'il y a eu discrimination à l'encontre des candidats blancs, faute pour la ville de New Haven de pouvoir démontrer avec une base solide de preuve (strong basis of evidence) que si elle n'avait pas fait l'acte reproché (annuler le concours), elle aurait engagé sa responsabilité selon le Civil Rights Act de 1964.

Voici une première occasion de réflexion sur les mérite et dérives de la discrimination positive. Faut-il annuler un concours sous le prétexte qu'aucun candidat issu des minorités ne l'a réussi, sans qu'on soit sûr que c'est la façon dont le concours a été organisé qui a provoqué ce résultat disparate ? Pour le moment, la tradition française s'y oppose absolument, ne serait-ce que parce que la loi interdit de répertorier la race ou l'origine ethnique des candidats (ce qui fera dire aux partisans de la discrimination positive que c'est un moyen de cacher la discrimination) et que le classement final est déterminant pour les admissions (on ne peut pas sauter un candidat pour prendre le suivant).

Et pour en revenir à Sotomayor, elle a désormais un caillou dans la chaussure : la cour suprême a, deux semaines avant son audition par le Sénat (qui commence le 13 juillet) déclaré qu'une décision qu'elle a rendue (c'est une décision per curiam, qui l'engage donc au même titre que ses deux collègues) violait la loi. Si en France, quand on est préfet, on a une médaille et une promotion pour cela, aux États-Unis, ça fait tache.

En soi, ça ne justifie pas un rejet par le Sénat. Mais sa position est moins solide. Les républicains vont l'attaquer à fond sur le problème racial, rappelant ses propos de 2001 et l'accusant d'être une raciste anti-blanc (reverted racist). Elle ne pourra pas se permettre le moindre faux pas. Sotomayor a du talent et du répondant et elle ne joue jamais la défensive mais toujours l'offensive. Les débats promettent d'être passionnants.

Prochain épisode : faut-il se chauffer au gaz pour être juge en Virginie occidentale ? (Rien que pour le titres qu'il me permet, j'adore le droit américain)

Notes

[1] En Chinois, France, 法國, se dit Fǎ guó, le pays du droit et États-Unis, 美國, se dit Měi guó, le beau pays. Rien à voir avec la déclaration des droits de l'homme et le Grand Canyon, le Chinois traduit en prenant un mot à la sonorité proche, de préférence flatteur. France = Fa, avec un a trainant qui descend vers les graves avant de remonter vers les aigus (cliquez pour le son). America = Mei (cliquez pour le son). Guó veut dire pays et clôt la plupart des noms de pays.

[2] Le titre de Justice désigne aux États-Unis un juge à une cour suprême, que ce soit d'un État ou la fédérale. Le président d'une cour suprême s'appelle le Chief Justice, et c'est autrement plus la classe que Premier Président de la Cour de cassation.

[3] « Je m'attends à ce qu'une femme latina ayant de la sagesse avec la richesse de ses expériences aboutirait plus souvent qu'à son tour à une meilleure décision qu'un homme blanc qui n'aurait pas vécu cette vie. (I would hope that a wise Latina woman with the richness of her experiences would more often than not reach a better conclusion than a white male who hasn't lived that life).

Si Éric Besson n'existait pas, il ne faudrait pas l'inventer

Ça sent la peine plancher pour Éric.

Souvenez-vous. Sur France Inter, le 24 juin, Éric Besson est interpellé par Frédéric Pommier lors de sa revue de presse au sujet d'une affaire jugée à Rodez concernant un ressortissant guinéen, en situation régulière, poursuivi pour aide au séjour (le fameux délit de solidarité) pour avoir hébergé un compatriote sans papier ce qui ressemblait furieusement au délit dont Éric Besson assure avec l'aplomb d'un Mohammed Said al-Sahhaf qu'il n'existe pas.

Rappelons-nous la réponse catégorique du ministre :

Décidément, Éric Besson n'a pas de chance avec les journalistes.

C'est de Cédric Mathiot, journaliste à Libération (que je félicite pour son article : de la belle ouvrage), que va venir le coup de grâce. Il va mener son enquête et son article pulvérise les affirmations d'Éric Besson.

Voici ce qu'il a découvert.

Monsieur F. est bel est bien poursuivi devant le tribunal de Rodez pour aide au séjour irrégulier, consistant à avoir hébergé chez lui un de ses compatriotes sans papiers. Les faits ne sont pas “ beaucoup plus larges ” comme l'affirmait Besson : c'est le seul délit figurant à la prévention, et c'est donc bien pour celui-là que cinq mois de prison avec sursis ont été requis contre lui. Il n'est pas poursuivi pour quoi que ce soit d'autre. En France, on peut donc bien finir entre quatre murs pour avoir offert un toit.

Éric Besson invoque une autre affaire principale dont l'affaire d'immigration illégale n'était qu'incidente. Là encore, c'est inexact.

Monsieur F. exercerait la noble profession de devin (bien qu'il le nie farouchement, et la suite des événements semble indiquer qu'il n'a guère de compétences dans ce domaine). Depuis la dissolution du Commissariat au Plan, cette profession ne peut plus être exercée qu'à titre libéral. Santé, travail, argent, retour de la femme aimée : il aurait pu travailler pour l'Élysée, il maraboute en Aveyron. Mais monsieur F. ne déclarerait pas son activité (C'est ce qu'on appelle une activité occulte) et fait l'objet d'une enquête préliminaire diligentée par le parquet du tribunal voisin, Millau, pour travail dissimulé. À l'occasion d'une perquisition chez lui dans le cadre de l'enquête pour travail dissimulé, les policiers ont constaté la présence d'un Guinéen sans papiers. Ils en ont dressé procès verbal et ont transmis au parquet du domicile de monsieur F., conformément à l'article 19 du code de procédure pénale. C'est ce qu'on appelle une procédure incidente par rapport à la procédure principale. Les termes ne concernent pas l'importance des faits mais l'ordre chronologique. Sur une procédure principale de conduite sans permis, on peut ouvrir une procédure incidente pour meurtre. La procédure incidente peut être jointe à la principale si les faits sont liés, ou vivre sa vie propre. C'est précisément ce qui va se passer : le parquet de Rodez va citer monsieur F. pour aide au séjour irrégulier. Quant à l'affaire de travail dissimulé, le dossier est toujours sur le bureau du procureur de Millau qui n'a pas encore pris de décision. Monsieur F. n'est pas pour le moment poursuivi pour ce délit.

Bref, le seul délit que l'on reproche à monsieur F. pour le moment est le délit de séjour irrégulier, le fameux délit de solidarité qui n'existe pas. Ré-écoutons Éric Besson.

« Ce que je dis, c'est qu'il n'y a pas de particulier condamné en France pour avoir hébergé un étranger en situation irrégulière».

Le tribunal de Rodez, visiblement pas au courant, rendra son délibéré le 22 juillet.

Besson en Pinocchio, Eolas en Jiminy Cricket sur son nez le réprimandant en vain. S'il continue à récidiver, se dit Eolas, ce pantin finira en plancher pour sa peine.

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