Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 31 juillet 2009

vendredi 31 juillet 2009

Allo, Tonton, pourquoi tu tousses ?

Par Gas­co­gne


La sor­tie d’un rap­port uni­ver­si­taire sur les inter­cep­tions de télé­com­mu­ni­ca­tion a été l’occa­sion pour dif­fé­rents jour­naux, dont le Nou­vel Obser­va­teur et le Figaro, de titrer sur une “explo­sion” de ces inter­cep­tions, en con­fon­dant allè­gre­ment les écou­tes admi­nis­tra­ti­ves et les écou­tes judi­ciai­res, qui n’ont pour­tant pas grand chose en com­mun d’un point de vue pro­cé­du­ral.

L’occa­sion de faire un point sur ces inter­cep­tions.

Je ne trai­te­rai pas des écou­tes admi­nis­tra­ti­ves, qui, jusqu’à une épo­que très récente, pou­vaient être qua­li­fiées de sau­vage, mais pour les­quel­les un début d’enca­dre­ment s’est fait jour, suite notam­ment à l’affaire dite des “écou­tes de l’Ely­sée”. Une loi du 9 juillet 2004 est venue régle­men­ter cette pra­ti­que, et la sou­met­tre au con­trôle d’une com­mis­sion pré­si­dée par un magis­trat.

Con­cer­nant les écou­tes judi­ciai­res, elles sont régle­men­tées par les arti­cles 100 à 100-7 du code de pro­cé­dure pénale. Jusqu’à la loi 91-646 du 10 juillet 1991, la pra­ti­que des écou­tes n’était pas enca­drée. Les juges d’ins­truc­tion s’appuyaient pour les ordon­ner sur l’arti­cle 81 du code de pro­cé­dure pénale leur per­met­tant de pro­cé­der à tous actes uti­les à la mani­fes­ta­tion de la vérité.

Afin de s’assu­rer de la pro­por­tion­na­lité de cette mesure atten­ta­toire au droit à la vie pri­vée, seu­les les enquê­tes por­tant sur des infrac­tions punies d’une peine supé­rieure ou égale à deux ans d’empri­son­ne­ment peu­vent faire l’objet d’écou­tes télé­pho­ni­ques ou de toute autre type d’inter­cep­tion (tex­tos, cour­riels, cor­res­pon­dan­ces écri­tes). A noter que cela repré­sente l’énorme majo­rité des délits et la tota­lité des cri­mes.

En outre, seul un magis­trat du siège peut ordon­ner cette mesure. Il s’agit majo­ri­tai­re­ment des juges d’ins­truc­tion, mais depuis la loi dite Per­ben II du 9 mars 2004, les JLD peu­vent éga­le­ment ordon­ner cette mesure dans le cadre d’enquê­tes diri­gées par le pro­cu­reur de la Répu­bli­que, et à sa requête, en matière de cri­mi­na­lité orga­ni­sée ou de ter­ro­risme (Art. 706-95 du CPP). Alors que cette mesure est ordon­née pour qua­tre mois renou­ve­la­bles par le juge d’ins­truc­tion, sa durée est limi­tée à quinze jours (renou­ve­la­bles) lorsqu’il s’agit d’une écoute sur la base de l’arti­cle 706-95. Le texte a prévu que le pro­cu­reur devait tenir au cou­rant de la pour­suite des inves­ti­ga­tions le JLD qui les a ordon­nées, mais je ne pense pas qu’en pra­ti­que, cela arrive très sou­vent (que les JLD qui me lisent me détrom­pent…). A l’inverse, les résul­tats des inter­cep­tions sont envoyés au juge d’ins­truc­tion, qui doit les incor­po­rer immé­dia­te­ment à son dos­sier, sauf à ce qu’il existe un ris­que pour la suite des inves­ti­ga­tions.

Maté­riel­le­ment, le juge d’ins­truc­tion déli­vre une com­mis­sion roga­toire, c’est à dire une délé­ga­tion de pou­voir, à un offi­cier de police judi­ciaire, aux fins de pro­cé­der à l’inter­cep­tion, entre deux dates, d’une ligne iden­ti­fiée par un numéro de télé­phone, pou­vant appar­te­nir à M. ou Mme X. “Pou­vant appar­te­nir”, car rien n’est moins sûr en matière de déten­tion de ligne télé­pho­ni­que, les délin­quants sachant par­ti­cu­liè­re­ment bien ouvrir une ligne au nom d’un tiers.

Les OPJ réqui­si­tion­nent alors l’opé­ra­teur télé­pho­ni­que, et louent en outre à une entre­prise pri­vée un appa­reil d’enre­gis­tre­ment des con­ver­sa­tions et de gra­vure sur CD de ces enre­gis­tre­ments. L’opé­ra­teur pro­cède à une déri­va­tion télé­pho­ni­que de la ligne jusqu’au com­mis­sa­riat ou à la gen­dar­me­rie requé­rante.

L’appa­reil enre­gis­treur se déclen­che auto­ma­ti­que­ment à cha­que com­mu­ni­ca­tion. Vient ensuite un très long et fas­ti­dieux tra­vail d’écoute des con­ver­sa­tions, et de retrans­crip­tion, uni­que­ment si l’OPJ estime que la con­ver­sa­tion est en rap­port avec son dos­sier, ce qui lui laisse une marge d’appré­cia­tion très large, puis­que le juge ne vien­dra pas écou­ter la tota­lité des enre­gis­tre­ments (sauf con­tes­ta­tion ulté­rieure par le mis en exa­men, puis­que les CD d’écoute sont pla­cés sous scellé). Ce tra­vail est péni­ble, car vous n’ima­gi­nez même pas la pla­ti­tude de la majo­rité des con­ver­sa­tions télé­pho­ni­ques que nous tenons tous : thè­mes prin­ci­paux, le beau temps et la diar­rhée du petit der­nier.

La retrans­crip­tion est tout aussi fas­ti­dieuse, car con­trai­re­ment aux pro­cès-ver­baux d’audi­tion, qui sont une syn­thèse la plus fidèle pos­si­ble de ce qui a été dit, le pv de retrans­crip­tion d’écoute se fait au mot à mot. Et s’agis­sant de lan­gage parlé, cela donne à peut près ça :

X (pou­vant être M. Chi­chon) : Ouais, c’est moi.

Y (pou­vant être Mme Chi­chon) : Ah ?

X : Ouais, pour ce soir…

Y : Nan, pas de blème, quand tu veux…

X : parce que bon…

Y : Ch’suis là vers huit heu­res.

X : Ah, ouais, parce que, j’vou­lais dire, quoi…

Y : Je sais, je sais, c’est pas évi­dent pour toi, mais bon…

X : Nan, c’est pas ça, c’est juste que…

Y : T’auras pas le cho­co­lat ?

X : Si, si, les deux tablet­tes, mais bon, il faut les pan­ta­lons très vite.

Y : Ah, il s’est agacé, ton ven­deur ?

X : Voilà…Bon, bé, à toute.

Y : A toute.

La han­tise de tout juge d’ins­truc­tion : la lec­ture d’un tome entier d’écou­tes…En outre, en inter­ro­ga­toire, l’exploi­ta­tion n’est pas tou­jours évi­dente (“J’vous assure, Mon­sieur le juge, je par­lais vrai­ment de pan­ta­lons et de cho­co­lat…”). Les écou­tes télé­pho­ni­ques res­tent cepen­dant très inté­res­san­tes pour réu­nir des pré­somp­tions con­tre quelqu’un.

Con­cer­nant le coût des inter­cep­tions, les cho­ses ont évo­lué depuis quel­ques années suite à un bras de fer qui a eu lieu entre cer­tai­nes Cham­bres de l’ins­truc­tion et les trois opé­ra­teurs fran­çais. Ceux-ci ont en effet pro­fité du peu d’entrain de nom­bre de magis­trats à con­trô­ler les dépen­ses qu’ils ordon­naient pour tari­fer à coût pro­hi­bi­tif les déri­va­tions qu’ils met­taient en place. Il ne s’agit pour­tant (mais tout tech­ni­cien est bien­venu à me con­tre­dire) que d’une sim­ple mani­pu­la­tion infor­ma­ti­que. Le juge d’ins­truc­tion rend en fin d’inter­cep­tion ce que l’on appelle une ordon­nance de taxe, par laquelle il indi­que le mon­tant à payer à l’opé­ra­teur. Il est libre de l’appré­cier (sauf en ce qui con­cerne cer­tai­nes taxa­tions visées notam­ment à l’arti­cle R 117 du code de pro­cé­dure pénale). Cer­tains juges d’ins­truc­tion sont donc entrés en résis­tance en limi­tant les som­mes deman­dées, con­fir­més ensuite par les Cham­bres de l’ins­truc­tion, leur ordon­nance étant sus­cep­ti­ble d’appel, et les opé­ra­teurs ne s’en étant pas pri­vés. La Chan­cel­le­rie a été obli­gée d’entrer dans la danse, et de négo­cier les tarifs avec les opé­ra­teurs.

Voilà glo­ba­le­ment le cir­cuit d’une écoute télé­pho­ni­que. Ces inter­cep­tions res­tent un outils d’enquête extrê­me­ment pré­cieux. Mais elles ne sont qu’un outil parmi tant d’autres, et une décla­ra­tion de cul­pa­bi­lité ne pour­rait que dif­fi­ci­le­ment inter­ve­nir sur cette seule base, sans que d’autres élé­ments du dos­sier ne vien­nent l’asseoir.

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