Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 21 juillet 2009

mardi 21 juillet 2009

Quelques mots sur l'affaire Orelsan

Ça me déman­­geait depuis quel­­ques mois de par­­ler de cette affaire. Sa nou­­velle jeu­­nesse cha­­ren­­taise m’en four­­nit l’occa­­sion.

Ainsi, les Tar­­tuf­­fes sont lâchés de nou­­veau, et encore une fois, une liberté fon­­da­­men­­tale est fou­­lée du pied au nom des meilleu­­res cau­­ses. Et vous êtes priés d’applau­­dir.

Vous ne con­­nais­­sez pro­­ba­­ble­­ment pas Auré­­lien Coten­­tin. C’est un chan­­teur de rap, qui a pris le nom de scène d’Orel­­san. Il a sorti au début de l’année son pre­­mier album, Perdu d’avance.

Le rap est une forme d’expres­­sion artis­­ti­­que appa­­rue aux États-Unis au début des années 80, même si ses raci­­nes remon­­tent au blues. Il a évo­­lué avec le temps mais aujourd’hui pri­­vi­­lé­­gie un style décla­­ma­­toire plus que chanté, mais sur un rythme mar­­telé se mariant à une musi­­que où la part belle est faite aux per­­cus­­sions. La musi­­que est véri­­ta­­ble­­ment un sim­­ple sup­­port du texte qui est l’élé­­ment cen­­tral. L’impro­­vi­­sa­­tion est une tech­­ni­­que que se doit de maî­­tri­­ser tout rap­­peur qui se res­­pecte. C’est une musi­­que popu­­laire au sens pre­mier du terme car elle ne néces­­site pas de savoir par­­ti­­cu­­liè­­re­­ment bien chan­­ter ni jouer d’un ins­­tru­­ment (le rap uti­­lise abon­­dam­­ment des musi­­ques déjà exis­­tan­­tes dont cer­­tai­­nes phra­­ses sont extrai­­tes pour être sam­­plées c’est-à-dire tour­­ner en bou­­cle sur le fond ryth­­mi­­que pour don­­ner à la chan­­son un cachet uni­que.

Voici trois exem­­ples de chan­­sons repri­­ses dans des chan­­sons de rap, ladite chan­­son la sui­­vant immé­­dia­­te­­ment. Mon­­tez le son, c’est les vacan­­ces. Notez comme les per­cus­sions pren­nent le des­sus dans Walk This Way, par rap­port aux gui­ta­res de la ver­sion rock.

L’aspect musi­cal étant secon­daire, ce qui en veut pas dire qu’il est négligé, le rap se con­cen­tre donc sur les paro­les. Oui, le rap, ce sont des chan­sons à texte : cha­que chan­son raconte une his­toire.

S’agis­sant d’une forme popu­laire très à la mode dans ce qu’on appelle « les ban­lieues » pour ne pas se deman­der ce que c’est exac­te­ment, ces chan­sons racon­tent des his­toi­res de ces quar­tiers dif­fi­ci­les où il fait bon ne pas vivre, avec les mots des per­son­nes y ayant grandi. Et dans les ver­sions se vou­lant les plus dures, on y parle en mots crus dro­gue et vio­lence, on n’y aime pas la police, et on est obsédé par le sexe. Mais tout y est rap­port de force, comme dans la vie quo­ti­dienne de ces vil­les, y com­pris l’amour. Con­fes­ser ses sen­ti­ments, c’est con­fes­ser sa fai­blesse. Alors l’amour y est com­bat, et ven­geance quand il prend fin. Le rap est sexiste, sans nul doute. Mais il n’est, comme tout art, que le reflet de la vie. Et sur­tout, sur­tout, le rap repose sur de la pro­vo­ca­tion. Il faut être le pre­mier à dire les pires cho­ses pour se faire cette répu­ta­tion de mau­vais gar­çon qui seul assu­rera le res­pect et le suc­cès du groupe auprès des “vrais” fans. MC Solaar, s’il fait dan­ser aux Plan­ches, fait rica­ner à Gri­gny.

Reve­nons-en à Orel­san. Son album con­tient une chan­son qui va faire scan­dale, vous allez aisé­ment com­pren­dre pour­quoi. Elle est inti­tu­lée “Sale Pute”. Le thème est sim­ple : un gar­çon qui aimait une fille décou­vre acci­den­tel­le­ment qu’elle le trompe et l’amour se trans­forme en haine. Sha­kes­peare a traité ce thème dans Othello, sauf que la trom­pe­rie était ima­gi­naire, mais elle abou­tit à la mort. 

Rien de tel ici, le chan­teur débite une logor­rhée d’impré­ca­tions à l’encon­tre de la belle volage. Les paro­les sont crues, bru­ta­les et vio­len­tes. Vous pou­vez écou­ter ici, vous êtes pré­ve­nus.

Je recon­nais que ce n’est pas du Ron­sard. Cela dit, une rap­peuse se pré­ten­dant celle visée par la chan­son a mon­tré qu’elle pou­vait répon­dre sur le même regis­tre, ce qui cette fois fait applau­dir les Chien­nes de gar­des. Comme quoi ce n’est pas un pro­blème de mots, mais de camp.

Je ne sais com­ment un dis­que de rap a atterri sur les pla­ti­nes d’âmes aussi bon­nes que sen­si­bles, mais ce texte a déchaîné des pas­sions. Sur inter­net, chez nom­bre de blogs fémi­nis­tes, avec appel à péti­tion auprès du Prin­temps de Bour­ges, ou Orel­san devait se pro­duire, polé­mi­que reprise par des poli­ti­ques, Chris­tine Alba­nel, minis­tre de la cul­ture, dont on sait l’amour pour la liberté d’expres­sion, Marie-Geor­ges Buf­fet, pre­mier secré­taire du Parti Com­mu­niste qui lui aussi s’est illus­tré sur ce front, et Valé­rie Létard, secré­taire d’État à la soli­da­rité, qui a appelé les plate-for­mes de vidéo en ligne à la « res­pon­sa­bi­lité », façon de dire qu’elle ne pren­drait pas les sien­nes, en leur deman­dant d’ôter ce clip. Dieu merci, elle n’a pas été écou­tée.

Orel­san a tenté de désa­mor­cer la polé­mi­que, en publiant un com­mu­ni­qué apai­sant :

cette œuvre de fic­tion a été créée dans des con­di­tions très spé­ci­fi­ques rela­ti­ves à une rup­ture sen­ti­men­tale” : “En aucun cas ce texte n’est une let­tre de mena­ces, une pro­messe de vio­lence ou une apo­lo­gie du pas­sage à l’acte, pour­suit le com­mu­ni­qué. Cons­cient que cette chan­son puisse heur­ter, Orel­san a décidé il y a quel­ques mois de ne pas la faire figu­rer dans son album ni dans ses con­certs, ne sou­hai­tant l’impo­ser à per­sonne”.

Hélas, il en va en poli­ti­que comme dans les ban­lieues, un aveu de fai­blesse déclen­che la curée. On pou­vait faire ployer ce jeune homme mal élevé ? Nul besoin d’enga­ger une hasar­deuse action en jus­tice, tous les moyens sont bons pour par­ti­ci­per au triom­phe du poli­ti­que­ment cor­rect. Ultime épi­sode : Ségo­lène Royal qui fait pres­sion sur le fes­ti­val des Fran­co­fo­lies de la Rochelle, avec sem­ble-t-il un chan­tage aux sub­ven­tions sur la direc­tion, la pré­si­dente de la région mena­çant de remet­tre en cause les 400.000 euros de sub­ven­tions annuel­les que la région verse au fes­ti­val si le rap­peur s’y pro­dui­sait. Vous aurez noté qu’Orel­san avait d’ores et déjà retiré cette chan­son de son réper­toire : il était donc hors de ques­tion que le chan­teur chan­tât cette chan­son. Peu importe, tout comme il importe peu que ce chan­tage aux sub­ven­tion excède les pou­voirs de la pré­si­dente en ce que le pou­voir bud­gé­taire appar­tient au Con­seil Régio­nal. Quand on veut cen­su­rer, qu’importe le res­pect dû à la loi.

Et la polé­mi­que entre pro- et anti-Orel­san fait rage.

Alors que les cho­ses soient clai­res. Cette polé­mi­que, je me refuse à y par­ti­ci­per.

Parce qu’il n’y en a pas. Ce qui s’est passé porte un nom : la cen­sure. C’est inac­cep­ta­ble, et je ne vois pas quel argu­ment par­vien­drait à me con­vain­cre que la liberté d’expres­sion serait réservé à un art approuvé, un art offi­ciel. Dès lors, ce qu’il chante m’est indif­fé­rent.

Orel­san est un chan­teur. Qu’il chante ce qu’il sou­haite. Ça ne vous plaît pas ? À moi non plus. Per­sonne ne vous oblige à l’écou­ter. Rien ne vous auto­rise à le con­train­dre à se taire.

Inter­dire un chan­teur, ça s’est déjà vu. On trouve tou­jours d’excel­len­tes rai­sons pour le faire. Boris Vian s’est vu empê­cher de chan­ter sa chan­son le Déser­teur. Bras­sens a scan­da­lisé avec son gorille qui sodo­mise un juge. Aujourd’hui, tous les magis­trats chan­ton­nent cette chan­son en pouf­fant en ima­gi­nant leur pre­mier pré­si­dent ou leur pro­cu­reur géné­ral entre les pat­tes du pri­mate.

— Mais Orel­san n’est pas Vian ou Bras­sens, me dira-t-on.

Je ne le crois pas non plus, mais la ques­tion n’est pas là. La liberté d’expres­sion n’est pas sou­mise à une con­di­tion de mérite de l’œuvre. Mérite qui était nié à Bras­sens et à Vian en leur temps, d’ailleurs. La nou­veauté est que cette fois, c’est l’État décen­tra­lisé qui est inter­venu pour obte­nir cette cen­sure alors que Vian, c’était des anciens com­bat­tants agis­sants de leur pro­pre chef, avec une pas­si­vité com­plice des auto­ri­tés. En ce sens, ce qui se passe est pire encore.

— Mais ses paro­les sont dis­cri­mi­na­toi­res et appel­lent à la vio­lence con­tre les fem­mes, ajou­tera-t-on.

Ah ? Mais alors, por­tez plainte, c’est un délit. Allez en jus­tice, obte­nez sa con­dam­na­tion. Mais non, per­sonne ne le fera, car la vérité est que ces paro­les ne tom­bent pas sous le coup de la loi. Il ne dit pas que tou­tes les fem­mes sont des sales putes, mais que la copine ima­gi­naire du per­son­nage tout aussi ima­gi­naire qui chante en est une car elle le trompe. Et tout le monde se sou­vient des déboi­res de l’ancien minis­tre de l’inté­rieur qui a tenté de faire con­dam­ner Hamé, chan­teur du groupe La Rumeur qui avait accusé la police de se livrer à des vio­len­ces. Un fiasco : relaxe, con­fir­mée en appel, sous les applau­dis­se­ments de la cour de cas­sa­tion. Les poli­ti­ques ont com­pris qu’il ne fal­lait pas comt­per sur les juges pour se prê­ter à ces bas­ses-œuvres.

— Eh bien pour légal que ce soit, ça n’en est pas moins scan­da­leux.

Oui, c’est le but. Et d’ailleurs, en cher­chant un peu, vous trou­ve­rez pire (à tout point de vue). Le groupe TTC par exem­ple. Les chan­teu­ses de rap ne sont pas en reste, Yelle ayant connu un grand suc­cès en répon­dant à Cui­zi­nier, chan­teur du groupe TTC sus-nommé. Un grand moment de poé­sie.

Cui­zi­nier avec ton petit sexe entoure de poils roux
Je n’arrive pas a croire que tu puis­ses croire qu’on veuille de toi
Je n’y crois pas même dans le noir, même si tu gar­des ton pyjama
  Mêmesi tu gar­des ton pei­gnoir, en forme de tee-shirt rin­gard
Garde ta che­mise ça limi­tera les dégâts bataaaaaaaard


Je veux te voir
Dans un film por­no­gra­phi­que
En action avec ta bite
Forme pota­toes ou bien fri­tes
Pour tout savoir
Sur ton ana­to­mie
Sur ton cou­sin Teki
Et vos acces­soi­res feti­ches

Rin­gard, bataaaaaaard, bite, frite : les rimes sont pau­vres.

Le rap, c’est ça aussi. Pas seu­le­ment ça, mais ça en fait par­tie. Et je prie pour que ceux qu’Orel­san épou­vante ne décou­vrent jamais l’exis­tence du Death Metal.

Per­sonne n’est obligé d’écou­ter, nul n’a à inter­dire.

Car c’est quel­que chose qu’on ne répé­tera jamais assez. La liberté d’expres­sion est tou­jours la pre­mière atta­quée, parce que c’est la plus fra­gile. Il y a tou­jours une bonne cause qui jus­ti­fie que ÇA, non, déci­dé­ment, on ne peut pas le lais­ser dire. Le res­pect dû aux morts tués à l’ennemi, le res­pect dû à la jus­tice, le res­pect dû à la femme. Tout ça, ça l’emporte sur le res­pect dû à la liberté, cette sale pute. Et les attein­tes qu’elle a d’ores et déjà subies, au nom de cau­ses infi­ni­ment nobles (comme la lutte con­tre le néga­tio­nisme), me parais­sent déjà exces­si­ves.

Lais­sez tom­ber Orel­san, et un jour, c’est votre dis­cours qui déran­gera.

Les Révo­lu­tion­nai­res l’ont dit il y a pres­que 220 ans jour pour jour :

La libre com­mu­ni­ca­tion des pen­sées et des opi­nions est un des droits les plus pré­cieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc par­ler, écrire, impri­mer libre­ment, sauf à répon­dre de l’abus de cette liberté, dans les cas déter­mi­nés par la Loi.

Ils l’ont écrit à une épo­que où tout texte, pour paraî­tre et être repré­senté publi­que­ment, devait au préa­la­ble être approuvé par le Roi. C’est cette auto­ri­sa­tion qui s’appe­lait la Cen­sure. Et c’est exac­te­ment cela que ce com­por­te­ment vise à réta­blir. Alors peut-être que des fémi­nis­tes, des mili­tants des droits des fem­mes trou­ve­ront que leur cause, qui est bonne, est tel­le­ment bonne qu’elle jus­ti­fie ce réta­blis­se­ment.

Qu’ils sachent qu’ils me trou­ve­ront tou­jours sur leur che­min pour leur bar­rer la route. Aux côtés d’Orel­san.

À con­di­tion qu’il ne chante pas.

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