Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 7 juillet 2009

mardi 7 juillet 2009

De l'art délicat de donner des leçons à qui n'a pas appris les siennes

Un fait divers a fait quelque peu ricaner sur le web, une forme d'arroseur arrosé, internet tenant parfois d'une cour de récréation où on aime à rire aux dépens d'autrui (c'est toujours mieux comme métaphore que la plomberie).

Même si vous pourrez facilement retrouver le nom des protagonistes, puisqu'il est sans intérêt pour ma démonstration et que je ne souhaite pas exposer plus avant le dindon de la farce, je vais utiliser des pseudonymes.

Géronte est un étudiant en informatique. Ce jour là, il doit passer un contrôle de connaissance (il ne s'agit pas d'un examen visant à la délivrance d'un diplôme, la chose a son importance) portant sur sa maîtrise d'un logiciel très (trop ?) utilisé sur internet. Le sujet tombe, et là, c'est le blanc. Chaque exercice noté implique l'utilisation d'une technique dont il n'arrive pas à se souvenir.

Mais il découvre qu'il peut se connecter à internet depuis sa salle d'examen (l'examen a forcément lieu sur un ordinateur), quand bien même l'école avait dit avoir pris ses précaution pour que ce soit impossible.

Il lance donc un appel au secours demandant de l'aide et promettant une récompense.

Scapin, spécialiste de ce programme du fait de sa profession de graphiste indépendant, lui répond et lui propose son assistance. Géronte lui expose sa difficulté et lui propose de faire les exercices à sa place, contre une rémunération de 100 euros.

Scapin tombe alors le masque et exposant qu'il n'a ni besoin d'argent, ni peur du paradoxe, lui demande 300 euros faute de quoi il téléphonera à son école pour révéler la triche en cours, capture d'écran de leurs échanges à l'appui. Géronte croit à une plaisanterie de quelqu'un ayant changé d'avis, et conclut l'échange par le sommet de la péroraison cicéronienne en rhétorique contemporaine : un ;-) .

Mais Scapin était sérieux. Il a appelé l'école, qui se dispose à prendre des sanctions contre cet élève.

Internet est un théâtre, et le poulailler s'esclaffe de la Farce de Scapin sur ce pauvre Maître Géronte.

Un seul ne rit pas à l'orchestre : votre serviteur. Il ne peut s'empêcher d'être amer dans cette saynète, où Scapin mérite peut-être plus les coups de bâton que Géronte.

Géronte a voulu tricher, c'est certain. La fraude à un examen est un délit depuis la loi, toujours en vigueur, du 23 décembre 1901, puni de 3 ans de prison et 9000 euros d'amende ; mais seulement si l'examen est un concours d'accès à la fonction publique ou vise la délivrance d'un diplôme délivré par l'État, outre des sanctions disciplinaires d'interdiction provisoire de se présenter aux examens et concours (je n'ai pas retrouvé la référence des textes, si quelqu'un peut m'éclairer, je mettrai à jour). En dehors de ces cas, la fraude expose l'élève a des sanctions disciplinaires prononcées par son établissement pouvant aller jusqu'au renvoi.

Ici, il s'agissait d'un contrôle de connaissance, interne à l'établissement. Le délit n'était donc pas constitué, mais la faute disciplinaire, oui.

Foulant au pied tous mes principes, je mets un instant ma robe pour plaider gratuitement (Argh ! Je brûle ! Je brûle !) que ce que Géronte a fait est EXACTEMENT ce qu'un professionnel aurait fait à sa place : chercher de l'aide sur internet. Internet est un paradis pour informaticien (il y a même des femmes nues, d'ailleurs, c'est dire si la ressemblance est poussée), et quiconque a un souci peut trouver promptement du secours dans les forums spécialisés. La solidarité existe, et le mot de communauté prend ici tout son sens. J'en sais quelque chose y ayant eu assez recours pour rustiner mon blog (au fait, Rémi, ça avance, cet upgrade ?). Professionnellement, ce n'est pas tricher : c'est aller chercher l'information, disponible gratuitement, à charge de revanche. De fait, si Géronte n'avait pas voulu frimer en précisant qu'il était en examen, mais avait simplement demandé de l'aide, il l'aurait très probablement trouvée, sans qu'on lui pose de questions. Cela n'annule pas la triche mais en atténue la gravité. D'autant que face à cet échec, il a finalement rendu copie blanche, ou son équivalent en informatique (disque dur formaté ?). Géronte mérite une sanction, mais plutôt de l'ordre de l'avertissement.

Tournons nos yeux vers Scapin.

Qu'a-t-il fait ? Dénoncer un tricheur n'est pas répréhensible en soi. La dénonciation fut un sport national avant d'avoir mauvaise presse mais reste légale (bon, de là à la qualifier d'acte républicain, il faut pas exagérer, sauf à être un spécialiste de la chose).

Mais auparavant, il y a eu cette parole malheureuse : “ ce qui serait encore mieux, ce serait 300 euros pour que je ne téléphone pas tout de suite à l'école en leur balançant les photos et le résumé du chat qu'on vient d'avoir.

Et là, le juriste ne peut s'empêcher de s'exclamer : « 312-10 ! »

Code pénal, article 312-10 : Le chantage est le fait d'obtenir, en menaçant de révéler ou d'imputer des faits de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération, soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque.

Le chantage est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende.

Le fait de tricher à un contrôle est bien de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération du tricheur. Peu importe que le fait soit illicite et avéré : le chantage n'a pas à porter sur des faits licites ou mensongers : on peut parler de jurisprudence ancienne puisqu'il en a déjà été jugé par la chambre criminelle de la cour de cassation le 4 juillet 1874.

Et, découvrant que Scapin a bel et bien prévenu l'école, le juriste s'écrie derechef : « 312-11 ! »

Code pénal, article 312-11 : Lorsque l'auteur du chantage a mis sa menace à exécution, la peine est portée à sept ans d'emprisonnement et à 100.000 euros d'amende.

Le poulailler ne rit plus, et interpellant l'orchestre, lui objecte : mais la loi sanctionne le fait d'obtenir les fonds, et là, Géronte n'a pas voulu payer, Scapin n'a rien obtenu !

Ce à quoi le juriste, décidément imperméable à l'humour, rétorque : « 312-12. »

Code pénal, article 312-12 : La tentative des délits prévus par la présente section est punie des mêmes peines.

La tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d'exécution, elle n'a été suspendue ou n'a manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur (article 121-5 du Code pénal). Ici, la circonstance indépendante de la volonté du maître chanteur est que la victime du chantage n'a pas payé, qu'elle ait préféré subir les conséquences de sa fraude ou n'ait pas pris la menace au sérieux.

Tourner en ridicule les tricheurs, pourquoi pas ? Encore qu'avec l'internet, donner le nom de la personne est le condamner à une infamie perpétuelle, ce qui est disproportionné, surtout pour une simple interrogation écrite.

Mais commettre un délit à cette occasion me semble être une curieuse façon de se poser en donneur de leçon.


(PS : Merci de ne pas citer les noms des protagonistes de cette affaire, le message serait immédiatement supprimé dans son intégralité, je ne vais pas m'amuser à faire de la correction).

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