Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

samedi 1 janvier 2011

samedi 1 janvier 2011

Meilleurs vœux

Comme c’est l’usage sur ce blog et en dehors, je vous présente à vous mes chers lecteurs, et surtout à vous mes très chères lectrices, mes meilleurs vœux pour cette année 2011.

Comme chaque année, à l’heure où les bouchons de champagne sautent un peu partout, j’ai une pensée pour tous ceux qui sont au travail ce soir dans le monde de la justice : procureurs de permanence qui vont gérer les fins de nuit difficiles, policiers et pompiers surtout, qui sont en première ligne, et naturellement mes confrères de permanence qui ont eu l’abnégation de consacrer leur nuit à la défense. Cela inclut aussi les magistrats et avocats qui dès demain et dimanche s’occuperont des inévitables comparutions immédiates pour gérer ceux qui ont eu le vin mauvais.

2011 s’annonce excitante. Sur le plan juridique, une grande réforme de la procédure pénale s’annonce, dans un sens radicalement contraire aux orientations sécuritaires prises depuis 8 ans. La garde à vue va être réformée, sous les yeux vigilants de la Cour de cassation, de la Cour européenne des droits de l’homme et du Conseil constitutionnel (même si je fais plus confiance à la deuxième qu’aux deux autres). Nous ne sommes pas dispensés de vigilance car il est certain que le législateur facétieux va tout faire pour vider cette réforme de sa substance, ou à tout le moins de s’assurer qu’elle n’ira pas un millimètre plus loin que le strict minimum nécessaire, et encore s’il pouvait revenir quelques centimètres en arrière ce serait encore mieux. Dans un an, mon travail d’avocat de la défense aura radicalement changé par le fait que je ne pourrai plus être tenu à l’écart. Selon le mot de mon vice-bâtonnier bien-aimé Jean-Yves Le Borgne, nous abandonnons enfin un reste de barbarie resté trop longtemps accroché au vêtement républicain. Ce sont vos droits qui progressent, réjouissez-vous sans arrière-pensée.

Un combat chasse l’autre, et le suivant est tout tracé pour moi : celui de l‘habeas corpus. Pouvoir de manière effective saisir une autorité judiciaire indépendante autre que le parquet (qui ne l’est pas, et quand bien même le deviendrait-il, il demeure mon adversaire et ne peut être juge et partie) de toute privation de liberté un tant soit peu durable. Je parle bien de la garde à vue, toujours elle, qui ne deviendra pas conforme à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en nous laissant simplement y assister. Nous devons pouvoir y faire notre travail, c’est-à-dire défendre. Et la première défense, c’est de pouvoir réclamer la liberté. On y viendra. Nous avons déjà les décisions condamnant la France. Il ne lui reste qu’à les comprendre.

Enfin, l’année 2011 sera éminemment politique. Beaucoup d’yeux passeront 2011 à regarder vers 2012. Et une grande partie de la campagne qui s’annonce se passera cette année. Alors qu’il me soit permis d’exprimer un dernier vœu non pas juridique mais politique, les deux matières étant largement consanguines (Je précise que cette formule “qu’il me soit permis” est une figure de style : contrairement à ce que semblent penser certains lecteurs, je me passe de la permission de quiconque pour aborder tel sujet qu’il me plaît d’aborder).

Je voudrais donc émettre ici le vœu que cesse enfin cette pernicieuse ambiance de guerre civile larvée qui empoisonne ce qui est la seule activité républicaine qui mérite le qualificatif de noble : la politique.

Que cesse cette manie, qui n’a rien de nationale, de prendre celui qui n’a pas les mêmes opinions que nous soit comme un imbécile, soit comme un méchant. Que cesse le recours à un vocabulaire d’un autre temps pour manifester son désaccord politique. Non, s’opposer n’est pas résister. La différence est facile à faire. Un opposant se prend un “casste-toi pôv con” à la figure. Un résistant se prend du plomb dans la poitrine.

Non, le fait qu’une personne ait été élue sur des idées que nous ne partageons pas ne le prive pas de légitimité. Pas plus qu’il ne prive de légitimité, préciserai-je à l’attention de l’autre côté de l’échiquier politique, le fait de le critiquer même quand il accomplit les promesses sur lesquelles il a été élu.

Dans un an et demi, un des deux principaux camps politiques français va être amèrement déçu. Soit la gauche, qui sera accablée de n’avoir pas réussi à remporter une victoire malgré 10 ans de pouvoir de la droite et devra digérer sa troisième défaite d’affilée. Soit la droite, qui ne pardonnera pas au chef qu’elle s’est pourtant choisie de n’avoir pas su la mener à nouveau à la victoire. Dans les deux cas, des déchirements sont à prévoir, et de l’amertume. C’est inévitable. Et il est en effet tentant de transformer cette amertume en révolte contre l’injustice que constituerait sa défaite. Pitié, qu’il nous en soit fait grâce cette fois.

Je ne me fais guère d’illusions. Il en va ainsi à chaque élection. Je me souviens de la colère touchant parfois à la haine que suscitait le président Chirac en 2002, avec sa victoire volée. Et ces militants de gauche qui se proposaient d’aller voter avec une pince à linge sur le nez ou des gants en caoutchouc. Je me souviens qu’en 1995, les balladuriens ne pardonnaient pas aux chiraquiens d’avoir gagné, et que les chiraquiens ne pardonnaient pas aux balladuriens la trahison de leur chef, tandis qu’à gauche, Emmanuelli ne pardonnait pas à Jospin de lui avoir arraché le PS. Je me souviens de 1988 quand la droite, revenue depuis deux ans seulement au pouvoir, réalisait qu’elle en avait repris pour 7 ans de Mitterrand. Et je me souviens de la première victoire de Mitterrand en 1981, avec l’accablement de la droite à l’annonce de l’arrivée de ministres communistes au gouvernement, à l’époque où Medvedev s’appelait Brejnev et où le PCF justifiait l’intervention de l’URSS en Afghanistan. Dois-je parler de l’amertume des socialistes en 1974, et des gaullistes de Chaban-Delmas ?

Mais je suis d’un naturel enclin à l’espoir. Qu’en 2011, les divers militants des partis politiques cessent d’emprunter leurs méthodes de dialogue aux supporters de foot, et qu’ils essaient de rendre ses lettres de noblesse à la politique. Je sais, vous allez me traiter de fou. Mais au début, sur la garde à vue, on me traitait aussi de fou.

Bon, à l’heure où ce message s’affichera, la plupart d’entre vous seront ivres, je ne vais pas abuser de vos capacités momentanément en carence.

Bonne année à tous, avocats, magistrats, policiers, mékéskidis et même huissiers de justice, en mon nom et en celui de mes colocataires qui m’ont promis qu’ils allaient bientôt tous se remettre à écrire des billets. Si, si. Je m’en souviens très bien : je venais de finir mon troisième magnum de champagne.

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.

Calendrier

« janvier 2011 »
lun.mar.mer.jeu.ven.sam.dim.
12
3456789
10111213141516
17181920212223
24252627282930
31

Contact