Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 7 janvier 2011

vendredi 7 janvier 2011

Des jurés populaires, des réformes populistes ?

Par Gascogne


On le sait, le prochain caprice la prochaine réforme présidentielle en matière de justice portera sur la présence de jurés populaires dans les juridictions correctionnelles, un projet de loi devant être présenté avant la fin de l’année.

La suppression du juge d’instruction n’ayant pu aboutir, du fait notamment de l’opposition d’un certain nombre de députés, et de l’irruption dans le débat national de multiples dossiers où les juges d’instruction n’étaient plus présentés comme des schizophrènes irresponsables, mais bien comme des garants d’une enquête plus indépendante que celle menée par un magistrat du Parquet non membre de l’autorité judiciaire[1], il s’agit de démontrer une fois de plus que la réforme de la Justice est une impérieuse nécessité.

Alors voilà ressorti le nouveau serpent de mer du rapprochement-du-peuple-avec-sa-justice.

Cette antienne avait déjà été mise en avant par Jacques Chirac en 2002 suite à une promesse de campagne électorale. Les sages du Palais du Luxembourg avaient pu indiquer lors de la discussion du texte qu’il suffisait d’un peu de bon sens pour être magistrat. En outre, la multiplication des “citoyens-juges” permettait de rapprocher humainement mais aussi localement le justiciable de “sa” justice. Il semblerait cependant que la sagesse de la Haute Assemblée ait été mise à l’épreuve de la pratique, car le nombre de recrutement des juges de proximité n’a jamais atteint le quota fixé (environ 600 juges de proximité en 2008, contre 7 000 prévus initialement), et les dysfonctionnements ont en outre été suffisamment nombreux pour que le gouvernement actuel envisage sérieusement leur suppression. En outre, la proximité géographique a été mise à mal par la réforme de la carte judiciaire, dont on sait que les tribunaux d’instance ont payé le plus lourd tribut.

Le flux et le reflux des réformes gouvernementales, dans la plus grande incohérence, s’est aussi remarqué avec le projet de juin 2010 de supprimer les jurés des Cour d’Assises, au moins en première instance. Quelques mois plus tard, il semble cependant urgent d’introduire les jurés non professionnels devant les juridictions correctionnelles. En première instance…

S’il n’y a pas dans la magistrature d’opposition de principe à la participation des citoyens aux décisions de justice, il n’en reste pas moins que des difficultés matérielles vont se faire jour, si la réforme passe sans préparation ni étude d’impact. Les Cours d’Assises, qui siègent théoriquement une fois par trimestre, ont le plus grand mal à constituer les listes de jurés. Beaucoup de concitoyens, que la lourdeur de la tâche effraie, préfèrent se faire porter pâle. D’autres mettent en avant qu’il ne peuvent pas se permettre de quitter leur travail pour trois semaines ou plus, particulièrement lorsqu’ils travaillent à leur compte.

Le nouveau système devra prévoir la possibilité de faire participer les citoyens non pas quelques semaines par an, mais toutes les semaines, voire tous les jours dans les plus grosses juridictions, où les audiences correctionnelles sont quotidiennes. Certes, le gouvernement semble envisager de limiter leur intervention au infractions punies de 10 ans d’emprisonnement. Mais où est la logique, dans tout cela ? Si les citoyens doivent concourir à la justice correctionnelle, pourquoi limiter cette intervention aux infractions les plus graves ? Comme les crimes ?

L’argumentaire selon lequel la justice ne serait pas une affaire de spécialistes est, quant à lui, tout aussi faux qu’humiliant. Les magistrats font au minimum quatre années d’études pour se présenter au concours de l’ENM. Ils suivent ensuite une formation de 31 mois, tant théorique que pratique, sanctionnée par un concours de sortie. Tout cela pour exercer un métier qui ne nécessite aucune compétence particulière ? Dans ce cas, permettons aux citoyens d’exercer au moins partiellement les fonctions de chirurgien, d’avocat ou de garagiste. L’appropriation par les citoyens de ces métiers parfois décriés permettra d’éviter à l’avenir des critiques récurrentes. Qu’il me soit cependant permis de choisir le professionnel auquel je m’adresse, ce qui n’est malheureusement pas possible pour les magistrats.

Je me permets à ce titre de faire également humblement remarquer au Chef suprême des Parquetiers que tenter de démontrer par les exemples des tribunaux de commerces et des conseils de prud’hommes que la justice n’est pas affaire de spécialistes est à mon sens assez hasardeux. Les magistrats qui siègent dans ces juridictions ne sont certes pas nommés pour leurs compétences juridiques en droit commercial et en droit social, mais élus parce qu’ils ont des connaissances professionnelles particulières dans les matières qui les concernent. Faudra-t-il dès lors nommer uniquement des criminels ou des victimes pour siéger en Cour d’Assises ?

Enfin, lorsque le Garde des Sceaux, dans la droite ligne du président de la République, voit d’un bon œil la présence de citoyens (on va finir par croire que les magistrats n’en sont pas) pour les décisions de libération conditionnelle, puisqu’”Il est tout à fait normal qu’il y ait aussi des assesseurs qui soient prévus pour certains aménagements (..) particulièrement lourds”, on se demande où nos politiques vont chercher tout cela. Peut-être dans les lois déjà existantes ?

Je n’ose y croire. Ce serait la porte ouverte sous des prétextes populistes et/ou électoralistes (rayez la mention inutile) à des amendements visant à faire appliquer des dispositions que l’on trouve déjà dans notre législation, comme les articles 221-11 et 222-48 du Code Pénal, par exemple.

Je reste donc optimiste, et souhaite à tous nos hommes politiques une excellente année 2011, même pré-électorale[2].

Notes

[1] il semble en effet qu’il puisse y avoir dans ces deux dossiers quelques légers risques d’interférence entre un procureur en liaison directe avec le gouvernement, et un dossier où un ministre est directement mis en cause, et un autre dossier où une secrétaire d’État à la Santé, qui a travaillé pendant dix ans pour trois laboratoires pharmaceutiques différents, risque d’être fort intéressée par le dossier en cours.

[2] Tous mes voeux égalements aux lecteurs de ce blog, cela va sans dire, mais va mieux en le disant

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