Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 5 mars 2012

Apostille à la procédure 2012/01

Comme promis, je reviens sur le récit en six épisodes qui vous a, je l’espère, tenu en haleine, et renouvelle mes remerciements à Gascogne et Fantômette pour leur participation et tout spécialement à Titetinotino pour avoir fourni l’essentiel du travail, que je me suis contenté de tenter de ne pas saccager.

L’objet de ce récit était de montrer, de manière si possible plaisante à lire, et avec un peu de suspens, comment se passe une véritable enquête au stade de la garde à vue, et comment les différents intervenants la perçoivent, avec chacun leurs préoccupations qui, pour être différentes, visent toutes à une meilleure justice.

Le fait qu’André était innocent et que cela a pu être démontré dans le temps de la garde à vue est ce qui donne tout l’intérêt à ce récit. Il ne vise à aucune démonstration, que ce soit rappeler que la garde à vue peut s’appliquer à des innocents (c’est une évidence, d’autant qu’il y avait avant la réforme dix fois plus de gardes à vue que de condamnations pénales chaque année, quelques innocents devaient bien se glisser dans les centaines de milliers de gardes à vue n’aboutissant pas à une condamnation), ou que c’est grâce à l’avocat qu’André s’en est tiré, parce que, dans les faits, ce n’est pas le cas.

C’est là le premier point que je souhaite développer. Dans la réalité, André n’a pas eu d’avocat lors des auditions et confrontations, tout simplement car nous étions avant la réforme et il n’y avait pas droit. Cela n’a pas empêché Tinotino et son équipe de découvrir son innocence car André s’est souvenu tout seul de son alibi en cours de garde à vue. Et je me suis mis dans l’état d’esprit dans lequel je suis quand j’interviens en garde à vue au titre de la commission d’office : la plus grande prudence à l’égard du client. Nous découvrons le client pour la première fois et lui aussi. Nous avons un entretien de 30 minutes, et 30 minutes, mon dieu que c’est court. À ce propos, préparez-vous, amis procureurs et policiers, après l’accès au dossier, notre revendication suivante sera de pouvoir nous entretenir à nouveau avec notre client chaque fois que nécessaire et en tout état de cause, avant chaque interrogatoire et audition. Et oui, nous l’obtiendrons aussi. À vous de voir si ce sera de vous, gentiment, ou de Strasbourg, aux forceps.

Cet entretien de 30 minutes est trop court, car, comme on le voit dans l’épisode 3, il faut faire connaissance avec le client, l’apprivoiser, le rassurer, lui inspirer confiance, le briefer sur ses droits, sur la procédure (car comprendre ce qui se passe est la première chose qui permet de redresser la tête), et désormais, organiser un tant soit peu la défense avec le peu de temps qu’il nous reste.

Ce d’autant qu’il y a la règle des trois instincts.

J’emprunte cette règle à Will Gardner, protagoniste de la très bonne série The Good Wife, habilement traduit en français par “The Good Wife”. Elle apparaît dans l’épisode S02E10, “Breaking Up”, en français “le dilemme du prisonnier”, diffusé sur M6 le 17 novembre dernier. Dans cet épisode, Will Gardner défend un client accusé avec sa petite amie du meurtre d’un pharmacien au cours d’un vol de toxiques. L’accusation manquant de preuves, elle propose un arrangement comme le droit anglo-saxon le permet : celui des deux qui dénonce l’autre prend 8 mois de prison pour vol simple, l’autre encourra 25 ans minimum pour meurtre durant la commission d’un délit. Sachant que si les deux se taisent, ils n’auront rien, car il n’y a pas de preuve. Les économistes reconnaissent là le schéma classique du dilemme du prisonnier, et pourront se ruer sur MegaUpload chez un vendeur de DVD trop chers pour savoir comment ça finit.

Lors de son entretien avec son client, Will Gardner lui dit ceci.

— “Votre premier instinct sera de nous mentir. Votre deuxième instinct sera de nous mentir, encore. Alors nous avons besoin de votre troisième instinct, car le temps presse.”

Et effectivement, leur client leur mentira deux fois, mettant gravement en péril sa défense, avant de dire la vérité.

Cette règle est assez exacte (sans donner au chiffre 3 une valeur thaumaturgique). Le premier instinct est de mentir, car il y a toujours cette pensée enfantine qu’on peut s’en sortir avec un gros mensonge. Et celle réconfortante que si l’avocat nous croit, c’est que ça tient la route. Et si le mensonge s’effondre, ce sera souvent un autre mensonge qui prend sa place. Tout particulièrement quand le client ne nous connait pas, ce qui est le cas pour les commissions d’office. L’avantage des clients payants, c’est qu’ils ne nous font pas venir pour nous mentir à 200 euros de l’heure (hors taxe).

Donc quand un client en garde à vue me dit “maître, je n’ai rien fait”, mon premier instinct à moi est de ne pas le croire sur parole. Généralement, s’il est en garde à vue, c’est qu’il y a une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction passible de prison. Tout simplement parce que c’est le critère légal de la garde à vue (art. 62-2 du CPP). Je précise néanmoins “généralement” car j’ai assisté à des gardes à vue où ces critères n’étaient manifestement pas constitués (trois fois depuis le 15 avril dernier). Je n’ai jamais manqué de le faire observer par écrit, et ces trois fois, les gardes à vue ont rapidement pris fin sans suites pour mon client. J’aime penser que je n’y fus pas totalement pour rien. Les policiers ont d’ailleurs un charmant oxymore pour parler de ces gardes à vues injustifiées hormis par le fait qu’elles permettent l’assistance d’un avocat : des gardes à vue “de confort”. Cela démontre l’urgence à permettre aux avocats d’assister aux auditions libres : plus besoin de gardes à vue de confort qui encombrent les cellules inconfortables et très accessoirement portent inutilement atteinte à la liberté de citoyens.

Il m’est arrivé de ne pas croire sur le coup un client qui s’est avéré innocent par la suite. Ce n’est pas grave, car c’est le contraire qui peut mettre la défense en péril. Cela oblige à une lecture critique de la version du client, à rechercher les contradictions, les invraisemblances, et à les signaler au client, diplomatiquement mais fermement. Et quand à la fin, notre conviction bascule, on sait que les éléments du dossier sont avec nous. Et pour ma part, je pense que face à une personne que tout accable, il est du devoir de l’avocat de ne pas l’accompagner dans ses mensonges mais d’essayer de le convaincre de reconnaître les faits, dans une stratégie de limitation des dégâts qui est tout à fait valable car conforme à l’intérêt du client.

Ce qui m’amène au deuxième point que je voulais aborder, et que je dédie tout particulièrement à Simone Duchmole : le rapport des avocats à la vérité. Nous entrons ici dans les terres glissantes des préjugés et des idées reçues.

Simone a tendance à mettre sa position d’Officier de Police Judiciaire (OPJ) sur un plan moralement supérieur à celui de l’avocat de la défense, car elle recherche la vérité, tandis que l’avocat cherche… à défendre son client. Sous-entendu : quand la vérité est contre nous, le mensonge devient notre allié naturel. Cette position est très représentative de l’opinion générale des policiers, car j’entends très souvent cet argument lors des discussions informelles que je peux avoir avec des OPJ lors de mes diverses interventions. Ce contact prolongé avec les avocats (et des avocats avec les policiers) est nouveau, et nous en sommes encore à la phase de faire connaissance ; ces conversations sont mutuellement enrichissantes et montrent s’il en était besoin que ce n’est pas la guerre dans les commissariats.

Mettons donc les choses au point. La recherche de la vérité, c’est bien. Le respect de la loi, c’est mieux. Les policiers sont préoccupés par le premier ? Alors il faut que quelqu’un se préoccupe du second. Ce quelqu’un, c’est au premier chef l’avocat. Je n’oublie pas le parquet, qui a également ce rôle car il est composé de magistrats, pas indépendants certes mais des magistrats quand même, mais le parquetier est loin. Il suit le dossier par téléphone selon les compte-rendus que lui fait l’OPJ, compte-rendus auxquels ni le gardé à vue ni l’avocat ne peuvent assister. Cela ne me paraît pas anormal, mes adversaires ont aussi droit à la confidentialité de leurs entretiens, encore qu’il serait bon que l’avocat puisse s’il l’estime nécessaire parler directement au procureur plutôt que par le biais d’observations écrites ou de l’OPJ, pour lui faire part directement d’un problème, ce serait un début d‘habeas corpus. Après tout, notre métier consiste à nous adresser à des magistrats.

Un exemple simple pour illustrer le fait qu’il y a plus important encore que la recherche de la vérité. Personne n’admettrait que l’on torturât des gardés à vue pour la manifestation de la vérité. Pourtant, cette méthode peut s’avérer efficace. Mais elle est illégale. Il y a donc bien des valeurs supérieures à la vérité. La question de la torture est réglée en France depuis la fin de la guerre d’Algérie, mais il reste encore bien des dispositions légales à faire respecter.

En outre, et surtout, la mission de l’avocat est de suivre la personne soupçonnée lors de la garde à vue, puis devant le tribunal quand elle est prévenue, après le cas échéant l’avoir suivie chez le juge d’instruction quad elle est mise en examen. Que la vérité se manifeste ou pas. Et il y a bien des dossiers où elle ne se manifestera jamais avec certitude. C’est frustrant, mais on apprend à faire avec. Bien des clients nieront les faits, farouchement, avec la dernière énergie, même si bien des éléments l’accablent. Le doute doit lui profiter, mais en France, la règle est celle de l’intime conviction du juge, notion bien plus floue que le “au-delà d’un doute raisonnable” (Beyond a reasonable doubt) anglo-saxon. Tous les avocats faisant du pénal se sont retrouvés un jour à plaider le doute dans un dossier, sans aucune certitude quant à la culpabilité ou l’innocence de leur client, précisément parce que cette incertitude devrait signer la relaxe, et ont entendu le tribunal reconnaître pourtant leur client coupable, sans autre explication que la formule copiée-collée “Attendu qu’il ressort des éléments du dossiers qu’il convient de déclarer le prévenu coupable des faits qui lui sont reprochés”. Je ne doute pas de la sincérité de la conviction du juge, je suis même prêt à admettre que la plupart du temps, elle est exacte ; mais je dois à la vérité, puisqu’on parle d’elle, de dire aussi que certaines de ces condamnations reposent sur une intuition éthérée et non sur les faits du dossier, et qu’il y a certaines formations de jugement où cette intime conviction se formera plus facilement que devant d’autres. Et oui, il m’est arrivé de plaider la relaxe au bénéfice du doute même quand mon intime conviction à moi était que mon client était bien l’auteur des faits dont il était accusé, tout simplement parce que mon intime conviction peut se tromper.

Tenez, un exemple pour illustrer cela. J’ai eu un jour à défendre une jeune femme qui avait très mal vécu une rupture d’une relation passionnelle, surtout que son Roméo était allé voir une autre Juliette. Elle s’était livrée à plusieurs harcèlements téléphoniques, l’avait copieusement insulté sur Facebook, et l’attendait parfois en bas de chez lui pour l’agonir d’injures, ce qui avait donné lieu à des dépôts de plainte. J’ai été commis d’office pour l’assister lors de la prolongation de sa garde à vue : elle n’avait pas souhaité d’avocat pour les premières 24 heures, mais sa nuit en cellule l’avait convaincue que quelque chose de grave se passait. Je lis sur le PV de notification des droits “menaces de mort réitérées”. C’est tout ce que je sais en entrant dans le local à entretien. Elle nie farouchement avoir fait quoi que ce soit. J’arrive à obtenir d’elle des informations : elle a été arrêtée à la terrasse d’un café où elle prenait tranquillement une consommation, café qui, par le plus grand des hasards selon elle, est en bas du travail de Roméo. Je lui ai demandé ce qu’elle y faisait, elle me répond qu’elle avait rendez-vous avec une amie pour aller faire du shopping sur les Champs-Elysées. Là, tous mes signaux d’alarme se déclenchent. Je lui fais remarquer que le quartier où elle a été arrêté est un quartier de bureaux, fort loin des Champs et de chez elle ; que cela fait 24h qu’elle est en garde à vue, ce qui a laissé le temps à la police d’entendre sa copine, de relever des vidéo-surveillances voire de demander des bornages à son opérateur de téléphonie, c’est à dire savoir avec précision où était son téléphone mobile, et donc elle, à l’heure des faits. Elle ne me croit visiblement pas, elle ne pense pas que la police pourrait se livrer à autant d’investigations, et maintient qu’elle dit la vérité. Premier instinct. Je lui conseille donc face à cette position très dangereuse dans l’ignorance des preuves réunies de ne plus faire de déclarations et de garder le silence tant qu’elle n’a pas accès au dossier par l’intermédiaire de son avocat.

L’audition a lieu dans la foulée, et l’OPJ commence par lui demander de raconter à nouveau sa version des faits. Là, mes voyants d’alerte passent du rouge à l’écarlate, avant de passer à l’Hortefeux quand l’OPJ insiste sur le trajet qu’elle a fait pour arriver à ce café. Et ça ne manque pas : une fois qu’elle eut bien redit ses mensonges, l’OPJ lui annonce qu’il a parlé à sa copine, qui a dit qu’elle était en cours hier et a confirmé qu’il n’avait jamais été convenu qu’elles iraient faire les courses ce jour là. Ma cliente hausse les épaules et dit que ce n’est pas vrai, sa copine n’a pu dire ça. Deuxième instinct. Je fais signe discrètement à ma cliente de se taire, pendant que le policier cherche dans le dossier et en sort les réquisitions à opérateur téléphonique, qui indiquent que le téléphone mobile de ma cliente a curieusement eu le même trajet à la même heure que Roméo quand il se rendait au travail, Roméo qui déclare que Juliette l’a suivi dans le métro et lui a dit diverses joyeusetés dont un “tu ne profiteras pas longtemps de cette pétasse, tu vas voir, j’ai un cousin qui va te crever”. Notez que c’est à ce moment seulement que je découvre enfin le cœur des charges pesant contre ma cliente. Face à tous ces éléments faisant voler en éclat son histoire, ma cliente décide, mais un peu tard, troisième instinct, de fermer sa jolie mais trop grande bouche et ne fera plus de déclarations jusqu’à la fin de la garde à vue, qui se terminera pas un défèrement pour placement sous contrôle judiciaire en attendant l’audience de jugement.

J’ai pu suivre ce dossier jusque devant le tribunal et quand enfin j’ai pu accéder au dossier, j’ai constaté que Roméo n’avait fait état que de cette seule phrase ci-dessus qui lui laissait entrevoir un sort funeste. Cette seule et unique phrase, le reste des propos de ma cliente portant plutôt, selon les cas, sur certains aspects de l’anatomie de Roméo, largement inférieurs aux normes admises par la Faculté de médecine, et à la profession de la mère de celui-ci, qui serait de nature à jeter l’ombre d’un doute sur la réalité de son lien de filiation légitime. Or la menace de mort, pour être punissable, doit être matérialisée par un écrit ou un objet, proférée sous condition, ou réitérée, c’est à dire proférée deux fois dans un intervalle de trois ans. Rien dans le dossier n’établissait cette réitération, et il n’était même pas allégué quecette menace eut été matérialisée ou proférée sous condition. Ce n’est qu’à l’audience que Roméo, désormais assisté d’un avocat, et ajouterais-je d’un procureur qui eut la délicate attention de lui demander “Mademoiselle Juliette vous a bien dit à deux reprises qu’elle allait vous faire tuer, n’est-ce pas ?”, se souvint avec précision qu’en fait, c’était bien deux fois qu’elle l’avait dit. Nonobstant ma brillante plaidoirie, qui arracha des larmes d’admiration à mon stagiaire, Juliette fut déclarée coupable et condamnée à de la prison avec sursis et à indemniser son Roméo, qui aurait plus de chances d’être payé s’il avait prêté à l’Etat grec, si vous voulez mon avis.

Dans cette affaire, à ce jour, je ne sais toujours pas, et ne saurai jamais si Juliette avait ou non par deux fois annoncé à Roméo qu’Atropos se disposait à trancher son fil, et qu’elle-même n’ y serait pas pour rien. Elle a tellement menti au début que ses dénégations sur cette répétition n’étaient plus crédibles (notez qu’elles l’eussent été d’avantage si elle avait gardé le silence au stade de la garde à vue…). J’ai plaidé la relaxe car les faits qu’on lui reprochait (des menaces de mort réitérées à l’exclusion de tout autre délit) n’était pas prouvés dans le dossier, seul les propos du plaignant mentionnant, tardivement puisqu’à l’audience, un deuxième message funeste, alors qu’il n’est pas sous serment et a intérêt à la condamnation de la prévenue. Dans ce dossier, la vérité ne s’est pas manifestée, et pourtant il a fallu juger. Pour la petite histoire, ma cliente n’a pas fait appel.

Dès lors que nous embarquons jusqu’au bout avec notre client, nous devons accepter l’idée que jusqu’au bout, la vérité ne se manifestera peut-être pas avec certitude, et que nous n’aurons à la place que son succédané, la vérité judiciaire, qui n’est pas la vérité tout court, qui elle n’a pas besoin d’être accompagnée d’une épithète. Il nous faudra néanmoins présenter une défense, qui devra forcément aller dans le sens de l’intérêt du client. Je comprends que quand il boucle son enquête sans que cette vérité ne se soit manifestée, le policier ressente un sentiment de frustration, voire d’échec. Pour l’avocat, ce bouclage d’enquête n’est pas une fin, ce n’est qu’une étape de la procédure, qui devra aller à son terme. La vérité se manifestera peut-être à l’audience (elle le fait volontiers, et parfois de manière inattendue), ou peut-être pas. On apprend à faire avec, ce qui forcément fait que nous ne sommes pas obsédés par elle. Entendons-nous bien : nous aimons les dossiers où la vérité s’est manifestée, où la preuve de la culpabilité a été apportée avec la clarté du soleil de midi, car c’est plus confortable pour nous ; et dans ces cas, nous nous démenons pour convaincre notre client de reconnaître les faits car cela est conforme à ses intérêts : il est plus facile de plaider une peine clémente quand quelqu’un assume sa responsabilité, reconnaît avoir mal agi, et exprime des regrets qui sonnent vrais, car cela laisse penser à un très faible risque de récidive, qu’en présence d’un prévenu qui nie l’évidence et traite tout le monde de menteur, à commencer par les policiers en charge de l’enquête (ce qu’on appelle la défense Titanic).

La recherche de la Vérité est le ministère des philosophes. Nous, pauvres avocats, acceptons notre humaine condition avec humilité. Nous nous replions sur la recherche de la légalité, qui est un terrain moins meuble pour bâtir une procédure. Et subissons avec résignation les quolibets de ceux à la vue un peu basse qui, pour ne pas risquer de céphalée en pensant un peu trop fort, se réfugient dans le doux cocon des idées reçues.

Et à ce propos, pour répondre aux interrogations de mes lecteurs, je n’ai toujours pas de nouvelles de la plainte de l’Institut pour la Justice.

mardi 7 septembre 2010

Vamara Kamagate relaxé

Je vous avais parlé il y a un peu plus d’un an de la terrible affaire Kamagaté. Elle a connu hier son épilogue, devant la 10e chambre du tribunal. Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire au Monde, était présente et m’a très gentiment autorisé à reproduire ici sa chronique, publiée dans le numéro d’aujourd’hui, hélas jamais sorti en kiosque pour cause de grève. M. Kamagate n’a vraiment pas de chance.

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Condamné en 2008 pour une agression imaginaire, Vamara Kamagate est définitivement innocenté

Le tribunal correctionnel deParis a relaxé lundi 6 septembre le SDF

Le délibéré a duré cinq petites minutes. « Le tribunal vous relaxe, M.Kamagate », annonce le président Marc Bourragué. Vamara Kamagate reste figé à la barre. «Vous pouvez partir», ajoute doucement le président. Il est vingt-deux heures, lundi 6 septembre, et la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris vient de reconnaître que l’homme qui lui fait face, les bras ballants, noyé  dans une veste de costume trop large pour lui, a été officiellement victime d’une erreur judiciaire. 

« C’est un dossier un peu particulier…», avait prévenu le président en se saisissant de la dernière affaire de la journée. Deux ans et demi plus tôt, le 8 mars 2008, à l’étage situé juste en dessous de cette salle d’audience, Vamara Kamagate a été jugé en comparution immédiate et reconnu coupable d’agression sexuelle, violences et injures publiques.

Condamné à dix-huit mois ferme ainsi qu’à une interdiction du territoire français de trois ans, il avait été immédiatement incarcéré.La jeune femme, A.G.,qui l’accusait, absente de l’audience mais représentée par un avocat, avait reçu, à titre de provision pour son préjudice, 3000 euros.

A.G. avait 20 ans, un ami policier, une mère psychiatre et un père cadre supérieur. Un soir de février 2008, elle leur avait confié avoir été agressée boulevard Richard-Lenoir, dans le 11e arrondissement de Paris, par un homme de «50-60 ans », de « type africain», d’une taille «d’environ 1,80m». Il l’avait, disait-elle, saisie violemment par le cou, lui avait pincé les seins, avait mis sa main dans sa culotte sous son jean et lui avait frotté le sexe avant de la repousser en l’insultant. A.G.avait répété cela à la policière compatissante qui avait recueilli sa plainte. Deux semaines plus tard, sur photos, puis derrière une glace sans tain, on lui présentait Vamara Kamagate, un SDF africain qui avait été interpellé dans le quartier à l’occasion d’un contrôle d’identité et qui, disaient les policiers, «pouvait correspondre» à son agresseur.Il ne mesure pas 1,80m mais 1,70m, il n’a pas « entre 50 et 60ans», puisqu’il est âgé de 46 ans et il se contente de répéter dans un français approximatif qu’il n’est pour rien dans cette affaire. Mais un vendeur de moto du quartier affirme que c’est bien le SDF qui traînait souvent dans le coin et insultait les passants quand il était saoul et A.G. «pense le reconnaître » sans être toutefois formelle.

Tout va très vite. On désigne à Vamara Kamagate un avocat commis d’office : comparution, condamnation, détention, pas d’appel, affaire réglée.

«Pourquoi n’avez-vous pas fait appel ?», lui demande le président Marc Bourragué. Vamara Kamagate penche son visage vers le président du tribunal en clignant des yeux et lui fait répéter la question pour être sûr de la comprendre. « Je savais pas qu’on pouvait », répond-il.

Du dossier d’instruction, le président extrait alors une longue lettre que la jeune femme a adressée au procureur de la République en mai 2008, deux mois après la condamnation de Vamara Kamagate et dans laquelle elle dit avoir tout inventé. Elle y expose ses confidences à son ami policier, puis à ses parents, l’écoute immédiate qu’elle reçoit, la compréhension dont on l’entoure. «Tout ce que j’aurais voulu que l’on fasse pour moi des années plus tôt», écrit-elle.

Elle explique encore avoir été victime d’une agression, lorsqu’elle était âgée de 13 ans, par un ami de la famille. A l’époque, ses parents ne lui avaient pas donné le sentiment de prendre la juste mesure de sa souffrance, dit-elle.

Elle raconte la plainte, la présentation des photos au commissariat - « je me  sentais obligée de désigner quelqu’un», – la procédure qui s’emballe – «personne n’entendait mes doutes » – puis la prise de conscience violente : « Je venais d’envoyer un pauvre type en prison. Je n’avais jamais pensé que la justice puisse condamner un homme sur mon seul témoignage.»

Alertée ensuite par la famille, Me Françoise Margo prend le dossier en charge. L’affaire remonte à la chancellerie, puisque seule la garde des sceaux – à l’époque Rachida Dati – peut lancer la révision d’une condamnation devenue définitive. Après six mois de détention, Vamara Kamagate est
remis en liberté, sans comprendre tout de suite ce qui lui arrive. Le 24juin 2009, la Cour de cassation annule son jugement et le renvoie devant le tribunal correctionnel.

Lundi 6septembre, Vamara Kamagate a écouté le procureur François Lecat expliquer qu’«il n’y avait,dans cette affaire,aucune raison d’entrer en voie de condamnation». «Ce qui est terrible, au fond, c’est que cette procédure n’a pas été irrégulière. Enquête de routine, jugement de routine.Nous sommes face à une authentique erreur judiciaire. Je demande évidemment la relaxe du prévenu», a-t-il déclaré.

Reconnu définitivement innocent, dans le palais désert à cette heure avancée de la soirée,Vamara Kamagate a juste demandé à son avocate,Me Victoire Boccara, de l’aider à retrouver la porte de sortie.

Pascale Robert-Diard

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Commentaires personnels : Je me suis déplacé à l’audience, et ai eu l’honneur de serrer la main de M. Kamagate. Je n’ai pu assister à l’audience, qui a eu lieu fort tard. Ainsi, après avoir été injustement condamné et avoir passé six mois en prison à Fresnes, la Justice, pour le réhabiliter, n’a as trouvé mieux que le faire poireauter sept heures avant de statuer en catimini, la nuit tombée, dans un Palais désert. Tout un symbole. Hommage à Pascale Robert-Diard qui est restée jusqu’au bout.

Cette affaire est extraordinaire en ce qu’elle est terriblement ordinaire. C’est vraiment un dossier classique de comparution immédiate comme il s’en juge tous les jours. On devrait faire analyser cette affaire par les auditeurs de justice à l’ENM, plutôt que leur faire passer de ridicules tests de personnalité. Le témoignage de la victime, un certificat des Urgences Médico-Judiciaires qui donne 10 jours d’ITT, Ite, Missa Est. Le fait qu’il nie ? Aucune importance. Ils nient tous. Le fait que la description ne colle pas vraiment ? Aucune importance. Elle avait peur, elle a dû se tromper. Le fait que le récit des faits était incohérent (il aurait fallu que M. Kamagate eût trois mains pour faire ce que la victime prétendait qu’il avait fait). Aucune importance. Le traumatisme lui aura embrouillé l’esprit.

Mesdames et Messieurs les magistrats qui me lisez, combien de dossiers comme ça avez-vous vu passer, où vous avez requis ou prononcer une peine ferme sans que votre conviction ait à un moment vacillé ? Ah, la culture du doute. On nous l’avait promise. On a vite vu ce qu’il en était. D’autant que cette affaire a été jugée la première fois par un président de qualité, qui a beaucoup fait par la suite pour permettre cette révision.

Mais balayons devant notre porte. Cette affaire est aussi un terrible manquement de la défense. Je ne parle pas de mon excellente consœur Victoire Boccara, qui a assisté M. Kamagate lors de l’audience de renvoi après révision. Je parle de l’avocat qui a défendu, appelons-ça comme ça, M. Kamagate en première instance. Lui non plus, qui avait la mission d’être le plus critique à l’égard du dossier, sans se laisser arrêter par l’objectivité, n’a pas vu les incohérences, les failles, ou n’a pas crié assez fort pour que le bruit parvienne aux oreilles des magistrats ; et surtout, surtout, informé de la lettre de la victime (Edit : j’ai un doute sur ce point, je vérifie), il n’a pas pris la peine d’interjeter appel, ce qui aurait permis une rapide libération de son client.Nous sommes en charge de la défense de nos clients jusqu’à ce qu’ils nous en relèvent ou qu’ils nous remplacent. Notre assistance ne cesse pas le dernier mot de notre plaidoirie prononcée, mais continue jusqu’au délibéré (ce qui nous impose d’être là), jusqu’au conseil sur l’opportunité de faire appel, sur la déclaration de cet appel au besoin. Il y a une terrible défaillance de l’un des nôtres, et la honte rejaillit sur toute la profession. C’est notre devoir d’assurer à tous une défense de qualité, et les défis qui nous attendent dans les mois à venir vont nous imposer une plus grande rigueur et une plus grande présence encore. Sans l’énergie déployée par le président du premier tribunal et l’avocate de la partie civile, Françoise Margo, soutenue sans réserve par le bâtonnier Charrière-Bournazel qand d’autres membres du Conseil de l’Ordre opinaient qu’il ne fallait rien faire, secret professionnel oblige, oubliant le Principe essentiel d’humanité qui clôt pourtant notre serment, sans Rachida Dati, qui a aussitôt saisi la Commission de révision - oui, je lui rends hommage, profitez-en, un homme aurait passé 18 mois en prison, et aurait été fiché 20 ans au FIJAIS, pour rien. Pour rien.

Las, les malheurs de M. Kamagate ne sont pas finis, puisqu’il a fait l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière en avril dernier.Même libre, il encombre. La légalité de cette reconduite est aussi douteuse que sa culpabilité, puisqu’il est en France depuis 20 ans, même s’il n’a de preuves que pour les 12 dernières années. Quel juge administratif accepterait de le renvoyer dans un pays qu’il a quitté quand Félix Houphouët-Boigny était encore au pouvoir ? Si le préfet de police Michel Gaudin voulait bien faire un geste pour ce monsieur à qui la République a fait beaucoup de mal injustement. Je crois que la honte collective qui nous étreint tous, car le jugement ayant condamné un innocent commençait par les mots “Au nom du peuple français”, nous serait plus supportable.

Régularisez M. Kamagate. Par pitié.

samedi 12 juin 2010

Le jugement condamnant Brice Hortefeux pour injure raciale

Voici le texte, commenté par votre serviteur, du jugement rendu par la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris le 4 juin 2010 condamnant Brice Hortefeux pour injure raciale, en la requalifiant d’injure raciale non publique (qui n’est pas un délit mais une simple contravention).

Il commence tout d’abord la synthèse des arguments des parties.

On apprend ainsi que l’action a été lancée par le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP), et que se sont jointes à son action (on appelle cela intervenir) les associations Soutien Ô Sans-papiers (SOS), l’association AVER “Centre de Recherche et d’Action sur toutes les Formes de Racisme” (AVER), et l’association Les Indigènes de la Républiques (LIR).

La loi permet en effet aux victimes directes d’une infraction de mettre elle-même en mouvement l’action publique concurremment au Parquet, ainsi que, pour toute une série de délit, à des associations dont c’est l’objet social et qui ont au moins cinq années d’ancienneté. S’agissant des délits de diffamation, d’injure et d’incitation à la haine raciale, c’est l’article 2-1 du Code de procédure pénale (CPP). La partie civile qui met en mouvement l’action publique doit préalablement verser une consignation, une somme fixée par le juge saisi pour garantir le paiement d’une éventuelle amende civile pour action abusive. Faute de quoi, son action est irrecevable. Art. 392-1 du CPP. Les parties civiles intervenantes, elles, n’ont pas à consigner.

Les demandes du MRAP

…Le tribunal a entendu :

Le conseil du MRAP qui, développant ses conclusions écrites, a sollicité la condamnation du prévenu à payer au MRAP une somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec versement provisoire, outre la publication intégrale du dispositif du jugement à intervenir dans trois quotidiens ou périodiques de son choix aux frais de Brice Hortefeux, et une somme de 3 588 euros sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale,

La position du parquet

Le ministère public en ses réquisitions, d’avis que l’un des deux propos visés à la prévention relevait de l’incrimination d’injure à raison de l’origine, mais que la responsabilité pénale de Brice Hortefeux ne saurait être engagée, faute que soient établis, compte tenu notamment de la valeur probante incertaine des documents vidéos dont se prévaut la partie civile et des circonstances dans lesquels l’échange entre personnalités de l’UMP et militants a été capté puis diffusé, l’élément de publicité qui caractérise le délit et, en tout état de cause, l’intention de leur auteur que les propos reprochés soient entendus au-delà du cercle restreint et amical de sympathisants liés entre eux par une communauté d’intérêts,

La position de la défense

la défense qui a souligné l’insuffisante valeur probante des documents audiovisuels versés aux débats au soutien de la prévention, l’absence de caractérisation du délit, compte tenu notamment de l’aspect décousu de l’échange tel qu’il peut être perçu et dans lequel Brice Hortefeux n’évoque à aucun moment un groupe de personnes déterminées par leur origine, l’absence de toute publicité, les propos ayant été tenus entre militants d’un même mouvement politique qu’une caméra dissimulée a subrepticement surpris, l’absence, en tout état de cause, de toute intention de publicité, eu égard au “comportement trouble et déontologiquement tendancieux” du cameraman, et qui s’est prévalue de nombreux témoignages ou déclarations récusant toute tendance ou tentation raciste de Brice Hortefeux et faisant état de nombreuses initiatives de sa part aux fins de lutter contre toute forme de racisme ou de discrimination, pour solliciter la relaxe.

La défense de M. Hortefeux estime que les preuves sont insuffisantes, ce qui ne mange pas de pain, tout l’objet de l’audience est précisément d’apprécier les preuves produites ; qu’en tout état de cause, les propos litigieux sont décousus et en somme ne voudraient rien dire, ce qui n’est pas un délit ; que les propos n’ont pas été tenus publiquement au sens de la loi de 1881 sur la presse (j’attire votre attention sur ce point, car la défense va l’emporter sur cet argument), et que M. Hortefeux ne serait pas raciste comme en témoignerait ses amis et actions. Ce dernier argument est inopérant juridiquement mais peut être important pour le prévenu. La loi ne sanctionne aucune idée ou opinion, aussi abjecte fût-elle. C’est l’expression de cette opinion qui est sanctionnée. Un raciste authentique peut échapper à la condamnation en pesant ses mots, tandis qu’un anti-raciste tout aussi authentique peut malgré tout être condamné, comme l’a découvert à ses dépens l’humoriste Patrick Sébastien, condamné en 1995 pour un sketch où il imitait Jean-Marie Le Pen chantant un pastiche de la chanson de Patrick Bruel “Casser la voix”, rebaptisée “casser du noir”.

En outre, elle soulève deux arguments de procédure que nous allons voir tout de suite.

Sur l’exception de nullité

La défense excipe de la nullité de la citation directe au motif qu’elle a été délivrée au ministère de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des Collectivités territoriales, place Beauvau à Paris et non, comme l’exigent les dispositions des articles 550 à 558 du code de procédure pénale, au domicile personnel du prévenu situé dans le Puy-de- Dôme.

La loi de 1881 sur la liberté de la presse pose des règles de procédure très strictes qui sont autant de protection à a liberté d’expression. L’une d’entre elle est que l’auteur des propos poursuivis soit cité, c’est à dire reçoive la convocation par huissier à son domicile personnel et non en un autre lieu, par exemple sur son lieu de travail. Or le MRAP a fait délivrer sa citation Place Beauvau, au ministère de l’intérieur. La défense ajoute que cela créerait une ambigüité sur le point de savoir si Brice Hortefeux était cité en tant que ministre ou en tant que personne privée, ce qui nuirait à sa défense. Réponse du tribunal, qui écarte l’argumentation :

C’est à juste titre cependant que la partie civile poursuivante, qui justifie au demeurant par une note en délibéré -qui n’a pas été factuellement contestée- que Brice Hortefeux dispose d’un logement de fonction au sein du ministère de l’Intérieur, où il réside habituellement, soutient que ce dernier pouvait régulièrement être cité à cette adresse, laquelle, compte tenu des fonctions qui sont les siennes, constitue une résidence revêtant les caractères de certitude et de stabilité qui lui confèrent, durant tout le temps d’exercice de ses fonctions ministérielles, la qualité de domicile, au sens de l’article 556 du code de procédure pénale.

Il sera au demeurant relevé que l’article 555 du même code fait obligation à l’huissier de “faire toutes diligences pour parvenir à la délivrance de son exploit à la personne même de son destinataire”, ce qui pouvait naturellement justifier, s’agissant d’un ministre en fonctions, que l’acte fût délivré à l’adresse du lieu d’exercice de la charge publique qui lui a été confiée -où il a été remis à son chef de cabinet-, le prévenu ayant d’ailleurs établi le pouvoir, appelé à être remis au tribunal, autorisant son conseil à le représenter aux audiences sur papier en-tête du ministère de l’Intérieur, place Beauvau à Paris, attestant ainsi la réalité de cette domiciliation.

Ça, c’est un beau #FAIL, comme on dit sur Twitter. Quand on prétend que son domicile n’est pas le ministère de l’intérieur (ce qui est possible, on sait qu’aujourd’hui, le domicile réel est distinct du logement de fonction, qui n’est pas forcément occupé par le titulaire de la fonction), on évite d’utiliser du papier à en-tête du ministère de l’intérieur pour sa correspondance privée.

Enfin, le grief allégué en défense tenant à l’ambiguïté, qu’aurait suscitée la délivrance de l’acte au ministère de l’Intérieur, sur la qualité en laquelle Brice Hortefeux était poursuivi devant le tribunal correctionnel est inopérant, cette juridiction étant dépourvue de compétence pour statuer sur des poursuites engagées contre des ministres à raison de faits commis en cette qualité dans l’exercice de leurs fonctions.

Aussi, le moyen de nullité sera-t-il rejeté.

Le tribunal rappelle que la Constitution a crée la Cour de Justice de la République pour juger les ministres pour les faits commis dans l’exercice de leurs fonctions. Donc le fait que M. Hortefeux soit cité devant un tribunal de droit commun lève toute ambigüité : c’était forcément en qualité de personne privée. L’auteur approuve.

Sur le moyen d’irrecevabilité opposée à la partie civile poursuivante :

La défense soulève un deuxième argument : l’article 48-1 al. 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse impose aux associations anti-racistes exerçant les droits de la partie civile dans le cadre d’une infraction visant un individu isolément de justifier avoir reçu l’accord de ce dernier. Or, Amine, le militant UMP un peu trop auvergnat, n’a pas donné son accord pour de telles poursuites.

Réponse du tribunal :

C’est vainement que la défense se prévaut des dispositions de l’article 48-1, deuxième alinéa, qui subordonnent la recevabilité des associations légalement habilitées à exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne, notamment, l’infraction d’injures publiques envers des personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, à la justification de l’accord des personnes concernées, alors qu’une telle condition n’est faite que lorsque ” l’infraction poursuivie a été commise envers des personnes considérées individuellement” et non lorsque l’injure alléguée est poursuivie, comme en l’espèce, pour avoir été commise à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur origine.

Les arguments procéduraux étant écartés, le tribunal est valablement saisi et doit statuer sur la prévention. Place aux arguments de fond, tels qu’annoncés.

Sur la valeur probante des enregistrement audiovisuels produits au soutien des poursuites et la matérialité des propos poursuivis

L’argumentation du tribunal est longue mais se passe de tout commentaire. C’est le tribunal qui graisse.

Deux extraits vidéos ont été versés aux débats de la scène litigieuse, d’une durée inégale, mais manifestement tous deux issus de la même source et provenant des mêmes prises de vues et de son.

Le MRAP a, par ailleurs, fait constater par huissier, le 15 avril 2010, la présence sur le site internet “le monde.fr” de la vidéo dont la chaîne télévisée Public Sénat a revendiqué la paternité en la diffusant dans son intégralité le 11 septembre 2009, laquelle, intitulée “18h00: Hortefeux, la vidéo de Public Sénat”, a été gravée par l’huissier sur CD Rom, versée aux débats et visionnée à l’audience.

On y voit la présentatrice du journal de la chaîne Public Sénat annoncer la diffusion de ce document en ces termes : “Public Sénat a été témoin de cette scène. Nos équipes l’ont enregistrée Nous vous proposons ce soir de voir la scène en intégralité” avant de préciser : ” D’après nos journalistes qui ont assisté à la scène, Brice Hortefeux vient d’arriver à Seignosse sur le site du Campus de l’UMP pour le cocktail qui lance la traditionnelle soirée du samedi soir Il est aux environs de 20h” et d’ajouter, en commentant les images où l’on voit Brice Hortefeux deviser avec Jean-François Copé : “Une discussion inaudible par notre caméra”.

L’authenticité de ce document, il est vrai de qualité d’image et de son médiocre, n’est pas sérieusement contestable, compte tenu de la nature et de la qualité de la source et des précisons livrées par la chaîne Public Sénat aux téléspectateurs sur les circonstances du tournage par ses propres journalistes.

Il sera relevé, en outre, que la chaîne Public Sénat n’a jamais contesté l’authenticité des copies de son reportage disponibles en ligne sur plusieurs sites internet, parmi lesquels “lemonde.fr” -depuis lequel la version produite à l’audience a été gravée par huissier, à la diligence du MRAP-, excluant ainsi l’hypothèse, évoquée en défense et plus allusivement par le ministère public, d’une manipulation du son ou des images qui rendrait incertaine la matérialité des propos tenus.

La scène filmée a lieu lors de la rencontre annuelle organisée par les “Jeunes du Mouvement Populaire”, dénommée “Le Campus de l’UMP”, le samedi 5 septembre 2009, à Seignosse dans les Landes.

Brice Hortefeux bavarde, sur le campus, avec Jean-François Copé, sans que la conversation entre les deux hommes ne soit audible. Quelques personnes s’approchent de ces derniers et un jeune homme se détache d’un groupe pour demander au ministre s’il accepterait de poser à son côté pour une photographie.

Brice Hortefeux répond plaisamment “Non, parce que passé vingt heures, je ne suis plus payé”, ce qui provoque cette réflexion amusée de >Jean-François Copé : “N’oubliez jamais un truc, il est Auvergnat”, qui est suivie par l’échange suivant :
Brice Hortefeux : Je suis Auvergnat.
Jean-François Copé : Il est Auvergnat, c’est un drame. C’est un drame.
Brice Hortefeux : Enfin, bon, je vais faire une exception!

Le jeune homme prend alors place entre les deux hauts responsables de l’UMP, tandis que son prénom, ” Amine” , fuse à plusieurs reprises au sein du groupe, plusieurs personnes, munies d’appareils photos, profitant manifestement de l’instant pour prendre elles-mêmes un cliché de la scène.

C’est alors qu’un des participants s’exclame “Ah, ça Amine, c’est l’intégration, ça, c’est l’intégration” tandis qu’on entend une voix d’homme féliciter le jeune homme “Oh, Amine, bravo !” et une voix de femme dire “Amine, franchement …

Le ministre, de dos à la camera, fait une remarque sur la taille du militant (“Il est beaucoup plus grand que nous en plus”), puis un homme précise “Lui, il parle arabe, hein”, déclenchant quelques rires qui font dire à Jean-François Copé, blagueur, “Ne vous laissez pas impressionner, ce sont des socialistes infiltrés”.

La caméra contourne le groupe qui paraît se disloquer, une fois les photographies prises, et dorme à voir très distinctement, en un plan plus rapproché, une main de femme qui caresse affectueusement la joue du jeune hommes tandis qu’une autre, qui se trouve immédiatement à côté du ministre, ce dernier à cet instant de trois quarts dos à la caméra, précise : “Il est catholique, il mange du cochon et il boit de la bière”, à quoi Amine B… (c’est le nom du militant en question) réplique : “Ben oui”, avant que Brice Hortefeux lance à la cantonade: “Ah mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype alors. C’est pas du tout ça”, déclenchant à nouveau des rires.

Passons pudiquement sur l’injure à la langue française, le ministre confondant prototype et archétype.

La même militante, qui se trouve face au ministre, celui-ci toujours de trois quarts dos à la caméra, lui dit en le regardant : “C’est notre… c’est notre petit arabe”, ce à quoi Brice Hortefeux réplique, en regardant son interlocutrice : “Il en faut toujours un. Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes”, avant de prendre congé du groupe par ces mots “Allez, bon, courage, hein”.

Seuls les propos ci-dessus reproduits en caractères gras sont poursuivis.

En dépit de la médiocre qualité de cet enregistrement, où Brice Hortefeux se trouve toujours de trois quarts dos, ignorant manifestement la caméra, l’enchaînement des propos échangés, comme la teneur de ceux qui sont proférés par les différents acteurs de la scène, ne sont susceptibles de contestation ni sur leur matérialité ni sur leur imputabilité.

Le tribunal porte ici une appréciation catégorique : tout argument visant à prétendre que ces propos n’ont pas été réellement tenus est sans fondement, car ils ne font aucun doute dans leur teneur et dans leur contexte. Demeure une question : sont-ils injurieux en raison de l’origine des personnes visées ? Voilà le cœur de la décision, et l’analyse est minutieuse.

Sur le caractère injurieux à raison de l’origine des propos poursuivis

Il sera rappelé que l’injure est définie, par l’article 29 , alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881, comme “toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait” et qu’elle est plus sévèrement punie lorsqu’elle est commise envers une personne ou un groupe de personnes “à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ou encore, dans un autre registre, à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap.

La vidéo diffusée par la chaîne Public Sénat établit à l’évidence qu’en s’exclamant “Ah mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype alors. C’est pas du tout ça”, Brice Hortefeux réplique à une militante qui venait de préciser que le jeune Amine, dont il avait été précédemment indiqué qu’il parlait arabe, était catholique, mangeait du cochon et buvait de la bière.

L’emploi du mot “prototype” appliqué à une personne - en l’espèce le jeune militant de l’UMP dont le groupe qui entoure Brice Hortefeux souligne l’origine arabe supposée-, déjà malheureux et incongru en lui-même [Ah, merci de relever d’office - NdEolas], laisse entendre que tous les Arabes de France seraient semblables, nécessairement musulmans et qu’ils se conformeraient tous aux prescriptions de l’Islam, seul le jeune Amine faisant exception.

Le propos peut surprendre par la généralisation à laquelle il procède et choquer, au regard du principe républicain de laïcité, par l’assignation qu’il opère entre un groupe de personnes défini par leur origine et telle religion ou telles pratiques religieuses déterminées, supposées constituer un élément d’identification du groupe en tant que tel et, nécessairement quoique implicitement, de différenciation de ce groupe du reste de la communauté nationale.

De nature à flatter le préjugé ou à favoriser les idées reçues, il est à tous égards contestable. Mais il ne saurait être regardé comme outrageant ou traduisant du mépris à l’égard des personnes d’origine arabe, auxquelles seule une pratique religieuse, de libre exercice, est imputée, le serait-elle abusivement ou inexactement.

S’agissant du second propos reproché, il n’est pas douteux, en dépit des premiers éléments d’explication qui ont pu être donnés tant par Brice Hortefeux que par le jeune militant de l’UMP, Amine B…, le premier ayant un temps soutenu qu’il évoquait les Auvergnats, le second que seuls les photographes de presse étaient visés, que la phrase “Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes” se rapporte aux personnes d’origine arabe.

L’enregistrement de Public Sénat est sans ambiguïté sur ce point : l’échange provoqué par l’initiative du jeune Amine qui souhaite poser pour une photo aux côtés du ministre suscite depuis quelques instants les exclamations du groupe qui hèle son prénom, précise qu’il parle arabe, qu’il n’est pas comme les autres, jusqu’à ce qu’une militante s’adressant à Brice Hortefeux lui glisse la phrase “C’est notre… c’est notre petit arabe”, laquelle suscite aussitôt la réplique du ministre, qui ne se rapporte à rien d’autre.

L’affirmation ainsi proférée, sous une forme lapidaire qui lui confère un caractère d’aphorisme, est incontestablement outrageante, sinon méprisante, pour les personnes concernées, qui -à la différence du propos précédent- ne se voient pas seulement exclusivement définies par leur origine, indépendamment de ce que postule le libre arbitre ou de ce qui fait une individualité, la singularité d’un parcours, les qualités ou les défauts d’un caractère, mais sont présentées comme facteur de “problèmes”, soit négativement, du seul fait de leur origine, laquelle révélerait une essence commune dans les limites de laquelle il conviendrait de les enfermer.

Ainsi exprimé, le propos ne se réfère à aucun fait précis, il souligne sinon une menace, du moins une difficulté ou une préoccupation d’ordre général, en ne l’imputant à rien d’autre qu’à l’origine réelle ou supposée des personnes, et à leur nombre.

Il est punissable aux termes de la loi, dès lors qu’il vise indistinctement un groupe de personnes non autrement identifiées que par un des éléments énoncés par l’article 33, alinéas 3 ou 4, de la loi du 29 juillet 1881 : origine, appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ou encore sexe, orientation sexuelle, handicap. Il le serait, sous cette forme (“Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes”), pour tout autre groupe de personnes défini par un quelconque des critères, énoncés par la loi, de détermination du groupe des personnes à protéger (les juifs, les noirs, les catholiques, les femmes, les homosexuels, les non-voyants, etc.). Il l’est, en l’espèce, pour toutes les personnes d’origine arabe,

Je ne pense pas que cette partie du jugement appelle de commentaire. Elle est aussi claire que solidement étayée.

Point suivant, où la défense va enfin remporter une victoire ; la question de la publicité. Le tribunal l’explique fort bien lui même. Laissons-lui la parole.

Sur le caractère public ou non public du propos en cause

Il n’est d’injures publiques, aux termes de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, que si les propos ont été “proférés dans des lieux ou réunions publics“et si la preuve est rapportée de l’intention de leur auteur qu’ils soient entendus au-delà d’un cercle de personnes unies entre elles par une communauté d’intérêts, laquelle est exclusive de toute publicité.

À défaut, la loi punit les injures non publiques de peines contraventionnelles. Enfin, les propos revêtant un caractère confidentiel ne sont pas punissables.

Voilà la règle rappelée, le tribunal va à présent l’appliquer aux faits.

Il sera relevé, en l’espèce, que le propos reproché a été tenu lors d’un échange informel de Brice Hortefeux et Jean-François Copé, au ton badin et décontracté, avec des militants, seuls invités au Campus de l’UMP, lequel était toutefois ouvert à des équipes de journalistes manifestement autorisées par les organisateurs à œuvrer à leur guise pour rendre compte de ces rencontres. La scène se déroule dès lors en un lieu “privatisé” mais ouvert à la presse.

Les images témoignent d’une atmosphère manifestement à la détente, et le groupe d’une quinzaine de personnes qui fait cercle autour du ministre, lorsque le jeune militant UMP sollicite d’être pris en photo à ses côtés, est manifestement un groupe de connaissances : plusieurs d’entre elles se munissent d’appareils photos pour immortaliser l’événement, nombreuses sont celles qui appellent Amine par son prénom, ou évoquent tel ou tel aspect de sa personnalité.

Aucun élément résultant de ces images - seules produites au soutien des poursuites- n’atteste la présence d’un tiers étranger à la communauté d’intérêts que constitue à cet instant ce regroupement de militants qui partagent les mêmes convictions et témoignent de leur sympathie pour le ministre, hors la caméra, que manifestement ce dernier ne voit pas, l’ensemble de la scène le montrant de dos ou de trois quarts dos à l’objectif.

Au demeurant, ce dernier s’exprime sur le ton de la conversation et, s’agissant en particulier du propos retenu comme injurieux, à une militante à laquelle il répond en se tournant vers elle. Ni le niveau de la voix, ni l’attitude de Brice Hortefeux ne révèlent alors l’intention d’être entendu par d’autres que ce cercle de proches, ce dont témoigne d’ailleurs le fait que les auteurs du reportage ont dû incruster la transcription littérale du propos en bas d’image pour qu’il soit parfaitement compréhensible.

En cet état, l’élément de publicité qui caractérise le délit d’injure publique à raison de l’origine ne saurait être regardé comme établi.

Pour autant, l’échange était exclusif de tout caractère confidentiel, et sa révélation dépourvue de toute immixtion fautive dans un domaine protégé, s’agissant du propos d’un responsable politique de premier plan, tenu lors d’un échange avec des militants, dans une enceinte où des journalistes peuvent être présents.

Il sera relevé à cet égard, compte tenu des commentaires dont ce point a fait l’objet à l’audience, qu’il ne saurait être reproché à un journaliste invité à suivre une rencontre de nature politique de faire son travail et de souhaiter informer le public de la teneur des propos échangés en une telle occasion par l’un des principaux responsables d’un parti avec des sympathisants, dès lors que, par leur nature ou par leur tonalité, leur relation contribue à la légitime information du public sur ce dirigeant, exempte de toute immixtion attentatoire à ses droits de personne privée.

La meilleure défense, c’est l’attaque, disent les mauvais stratèges. La défense de Brice Hortefeux a donc tenté de faire le procès des journalistes suivant le ministre et ayant rapporté les propos tenus. Cela dit, elle n’a pas tort : tout le problème vient du fait, non pas que les propos aient été tenus, mais que les journalistes les aient rapporté. Fichue presse libre.

Le prévenu ne saurait cependant, en un tel cas, être pénalement comptable de la publicité faite à un propos non destiné à être rendu public.

Là aussi, rien à redire. Il est certain que le ministre ne voulait pas que ces propos fussent rapportés au public

Par conséquent, le délit reproché d’injure publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine sera requalifié en contravention d’injure non publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine, incriminée par l’article R 624-5 du code pénal qui la punit de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe.

Le tribunal ayant qualité pour requalifier l’infraction poursuivie et disposant de la compétence territoriale pour le faire, compte tenu de ce qui a été dit de la “résidence”, au sens de l’article 522 du code de procédure pénale, de Brice Hortefeux à Paris, ce dernier sera retenu dans les liens de la prévention et condamné à la peine d’amende de 750 euros.

C’est à dire au maximum, ce qui n’est pas innocent, sans jeu de mot. D’ailleurs, le tribunal a gardé un clou pour enfoncer dans le cercueil, vous allez voir.

Place aux parties civiles.

Sur l’action civile

L’article 48-1 de la loi sur la liberté de la presse réserve les droits reconnus à la partie civile, s’agissant des infractions d’injures envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, aux seules associations qui se proposent par leurs statuts d’assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse” régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits.

Le MRAP [Fondé en 1949 - NdEolas] est dès lors recevable en sa constitution de partie civile.

C’est vainement que les parties civiles intervenantes font valoir que la condition d’ancienneté exigée des associations pouvant se constituer partie civile serait contraire à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme en ce qu’elle limiterait leur accès au juge, alors que ce dernier se trouve au contraire facilité par la reconnaissance à certaines associations, aux côtés du ministère public et des victimes directes de l’infraction, du droit de mettre en mouvement l’action publique et d’intervenir au procès alors même qu’elles ne justifieraient d’aucun préjudice personnel autre qu’une atteinte à l’intérêt collectif qu’elles représentent, la condition d’ancienneté contestée n’ayant d’autre objet, compte tenu de la nature de telles prérogatives, que de s’assurer de la réalité et du sérieux de leur objet social.

Il en résulte que les associations “Soutien ô sans papiers”, déclarée en préfecture le 17 octobre 2007, et “Les Indigènes de la République”, déclarée en préfecture le 20 décembre 2005, soit moins de cinq ans avant les faits poursuivis, sont irrecevables.

L’objet social du “Centre de Recherche et d’Action sur toutes les Formes de racisme”, déclaré en préfecture le 19 juin 2000 et satisfaisant donc à la condition d’ancienneté de 5 ans exigée par la loi, est insuffisamment précis et univoque (“observer, répertorier, documenter et analyser les manifestations de discrimination fondée sur l ‘appartenance ethnique, sociale ou autre ceci afin d ‘établir les fondements d’une recherche systématique sur les mécanismes en jeu et de tenter de dégager des contre-mécanismes de défense et de prévention à l’intention des personnes susceptibles d’être victimes de ces diverses formes de racisme”) pour satisfaire aux prescriptions de l’article 48-1 de la loi, lequel exige seulement que l’association ait, notamment, pour objet statutaire d’assister les victimes de discrimination, ce que ces statuts ne prévoient pas explicitement. Aussi sera-t-elle déclarée irrecevable.

Faites rédiger vos statuts par un avocat. Ça vaut les honoraires, je vous assure. Là, c’est moi qui graisse.

Voici le dernier clou dans le cercueil dont je vous parlais. Lisez bien ce paragraphe, et demandez vous dans combien de pays démocratiques un ministre en exercice qui se verrait condamné en ces termes pour des faits commis alors qu’il était déjà en fonction pourrait rester en fonction.

Compte tenu de la nature du propos en cause qui instille l’idée auprès de militants politiques que le seul fait d’être “arabe” constitue un problème tout au moins quand “il y en a beaucoup, contrevient directement à l’objet social d’une association telle que le MRAP, et eu égard à l’autorité susceptible de s’y attacher, au vu de la qualité de responsable politique de premier plan de son auteur, par ailleurs en charge d’éminentes fonctions ministérielles, Brice Hortefeux sera condamné à payer à la partie civile une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts.

L’effet délétère sur le lien social d’un tel propos, quand il est tenu par un responsable de si haut niveau, justifie qu’il soit fait droit à une mesure de publication judiciaire dans les termes retenus au dispositif.

Il sera fait droit, en outre, à la demande d’indemnité pour frais de procédure présentée par le MRAP.

La messe est dite.

Un petit mot car visiblement, des éléments de langage ont été distillés aux militants UMP pour rappeler sans cesse qu’il a été fait appel de cette décision et de rappeler l’existence de la présomption d’innocence du ministre.

La présomption d’innocence est avant tout une règle de preuve en matière pénale : ce n’était pas à Brice Hortefeux de démontrer son innocence, mais au MRAP de démontrer la culpabilité de celui-là. Point. L’appel de M. Hortefeux empêche ce jugement de devenir définitif, et cette même règle de preuve s’appliquera en appel, mais à ceci près que pour espérer triompher, il devra également combattre l’argumentation du tribunal qui sera au cœur des débats. Ce n’est pas gagné. Le meilleur terrain est celui de la publicité, mais politiquement, c’est une bien piètre défense : “Oui, je l’ai dit, mais vous n’étiez pas censé l’entendre”. Un peu comme “Oui, j’ai piqué dans la caisse, mais ça ne compte pas, vous n’étiez pas censé le découvrir”…

L’article 9-1 du Code civil protège la réputation des personnes en invoquant la présomption d’innocence, et interdit de présenter une personne faisant l’objet d’une enquête ou de poursuites comme étant coupable, mais seulement avant toute condamnation. Je ne sais pas par quel perversion du raisonnement (même si c’est un peu la définition du militantisme) certains en arrivent à affirmer doctement qu’il serait interdit de dire qu’un condamné serait coupable, la présomption d’innocence devenant ainsi une présomption d’erreur judiciaire, et interdirait de faire état des éléments, ici accablants, ayant mené à cette condamnation. Épargnez-vous le ridicule, l’anonymat sur internet n’a jamais empêché quiconque de passer pour un idiot.

Laissez-ça aux ministres.

mercredi 7 avril 2010

Ni fleurs ni couronnes

Plusieurs sources corroborent l’information, autant la rendre officielle ici.

La réforme annoncée de manière tonitruante par le président de la République, validée comme toujours a posteriori par une commission feignant une concertation pour conclure que l’idée du chef était bien la meilleure, bref, la suppression du juge d’instruction, est abandonnée.

Le revers électoral subi aux régionales a fait prendre conscience à l’actuelle majorité que son maintien en place en 2012 n’est pas acquis. Du coup, une réforme gigantesque comme celle-ci, qui nécessite un consensus bi-partisan pour prospérer, consensus qui est inexistant actuellement, et qui prend déjà l’eau sous les coups de boutoir de la Cour européenne des droits de l’homme, qui disqualifie le parquet comme autorité judiciaire, sans compter l’hostilité manifestée à mots couverts par le président du Conseil constitutionnel et même par le procureur général de la cour de cassation.

À la place, on votera un texte a minima sur la garde à vue, car la Chancellerie a parfaitement compris que le système actuel viole la Convention européenne des droits de l’homme, bien qu’elle affirme le contraire. Bon, à sa décharge, les juridictions françaises font dans l’autisme et valident à tour de bras ces procédures. La seule urgence, c’est la Question Prioritaire de Constitutionnalité pendante devant la cour de cassation sur ce point.

Rassurez-vous, ce sera vraiment a minima. je suis prêt à parier que le système qui en sortira ne sera toujours pas conforme à la Convention. On le justifiera en disant que c’est “à la française”.

À ce sujet, j’ai assisté la semaine dernière au procès intentée par mon Ordre bien-aimé au syndicat Synergie Officiers pour injures publiques à l’encontre de ma profession, traitée de “commerçants dont les compétences sont proportionnelles aux honoraires”. À cette occasion, l’Ordre avait fait venir un aréopage prestigieux d’avocats européens : l’Espagnol Alvaro Gil Robles, ancien commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Lord Peter Goldsmith, ancien attorney general de Tony Blair de 2001 à 2007, le bâtonnier de Naples, membre du Conseil Supérieur de la Magistrature italien, et le bâtonnier de Munich, tous venus expliquer comment ça se passait dans leurs pays respectifs. C’était passionnant, et pour tout dire, humiliant pour la France.

En Espagne, la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue est inscrit dans la Constitution de 1978. Seule bizarrerie : l’avocat ne peut avoir un entretien confidentiel qu’après le premier interrogatoire. En Angleterre, le principe est centenaire, et le budget de l’aide juridictionnelle est d’1,4 milliards d’euros, contre 250 millions en France. En Allemagne, la garde à vue ne peut excéder 48 heures, car toute personne arrêtée doit être présentée à un juge au plus tard le jour suivant. L’avocat peut assister son client tout le long, et il ne viendrait pas à l’esprit d’un policier de placer en garde à vue quelqu’un qui n’encourt pas une peine de prison ferme effective.

Sur le front de la Cour européenne des droits de l’homme, les décisions continuent à pleuvoir (plus de 40 à ce jour). La Pologne a rejoint le groupe des pays condamnés (CEDH, 2 mars 2010, Adamkievicz c. Pologne, n°54729/00), et j’ai relevé un arrêt Boz c. Turquie du 9 février 2010 (n°2039/04) où la Cour a décidé de parler lentement et en articulant pour des pays comme la France qui ne comprenaient toujours pas le message (je graisse) :

33. En ce qui concerne le grief tiré de l’absence d’avocat pendant la phase d’enquête préliminaire, la Cour renvoie aux principes posés par l’arrêt Salduz qui fait autorité en la matière (précité, §§ 50-55). 34. En l’espèce, nul ne conteste que le requérant a été privé de l’assistance d’un conseil lors de sa garde à vue – donc pendant ses interrogatoires – (paragraphe 5 ci-dessus) parce que la loi en vigueur à l’époque pertinente y faisait obstacle (Salduz, précité, §§ 27 et 28). 35. En soi, une telle restriction systématique sur la base des dispositions légales pertinentes, suffit à conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 de la Convention (Dayanan c. Turquie, no 7377/03, §§ 33-34, 13 octobre 2009).

C’est clair, ce me semble. Enfin, visiblement pas tant que ça, vu le nombre de juges qui valident toujours ces gardes à vue et condamnent en s’appuyant sur ces PVs. Que voulez-vous ? On fait comme ça depuis un siècle. C’est un produit du terroir, la garde à vue.

Enfin, le juge d’instruction est sauvé, pour le moment, et c’est pas plus mal vu ce qu’on proposait à la place. J’espère que cela permettra l’entrée en vigueur, enfin, de la collégialité de l’instruction, votée en 2007 et reportée sans cesse depuis. Je place beaucoup d’espoirs dans cette réforme, qui évitera les difficiles transitions lors des changements de juge, et qui surtout mettra fin à une anomalie : le juge d’instruction est la seule juridiction nommée en France. On plaide devant la 23e chambre, on fait appelle devant le Pôle 4 chambre 8 (à paris du moins), mais c’est Madame Lulu, juge d’instruction, qui instruit. Aucun condamné ou presque ne connaîtra le nom du président qui l’a condamné, mais tous se souviennent du nom du juge d’instruction. Cette personnalisation de la juridiction lui a été sans nul doute néfaste, avec l’apparition de juges-stars, et de juges épouvantails.

Bon, la garde à vue va un peu s’améliorer, on va moins y recourir, et on ne va pas se lancer dans une réforme aventureuse dont les conséquences n’avaient que très mal été évaluées. Appelons ça une hirondelle, faute de pouvoir l’appeler le printemps.

mardi 30 juin 2009

Une terrible leçon

Il s'appelle Vamara Kamagaté (kamagaté est son nom de famille). Il est ivoirien, SDF, sans papiers, mais en France depuis 20 ans, il traîne à Paris. Il a établi ses pénates du côté de Bastille. Oh, ce n'est pas un SDF discret et poli. Il se fait remarquer quand il est ivre en insultant les femmes qui passent.

Elle s'appelle Alexandra G. Elle est étudiante en médecine. Son petit ami est policier à Paris, et ne s'intéresse pas assez à elle à son goût.

Un soir de février 2008, elle lui raconte qu'elle a été agressée le 6 février précédent dans la rue, par un homme noir d'une soixantaine d'années pourtant un bob sur la tête. Après l’avoir injuriée, il l’aurait saisie par le cou, aurait passé sa main sous ses vêtements pour lui pincer les seins avant de passer sa main au niveau de ses hanches en lui rentrant les doigts dans les côtes des deux côtés, en la pinçant, puis de mettre sa main dans sa culotte sous son jean et de lui frotter le sexe avec la main, et enfin de la repousser en hurlant.

Le 25 février 2008, son compagnon la conduit sur son lieu de travail pour prendre sa plainte. Munie d'une réquisition à cet effet, elle se rend aux Urgences Médico-Judiciaires pour qu'un certificat médical établissant les violences soit établi. Là, mesdames et messieurs les magistrats, j'attire votre attention : un certificat médical lui est délivré, ne relevant pas de doléances physiques mais un état de stress post-traumatique majeur avec une ITT[1] de dix jours, tout en relevant une « rumination psychologique » et des « antécédents victimologiques ».

L'enquête est rondement menée. La police fait passer l'info qu'on recherche « un SDF africain d’âge mûr ». Muni de cette description détaillée, le bureau de coordination des opérations signale qu'il a ça en magasin, au centre de rétention de Vincennes. Vous l'avez deviné, c'est Vamara Kamagaté. 46 ans, c'est moins que 60, mais il est noir et a un chapeau : son compte est bon.

On présente la photo de Monsieur Kamagaté au milieu de huit autres à Alexandra G., qui l'identifie en précisant être « pas absolument formelle » mais précisant reconnaître sa casquette rasta, « très caractéristique ». Vamara Kamagaté est extrait du centre de rétention et placé en garde à vue 28 heures, pendant lesquelles il nie absolument les faits.

La procédure est transmise au parquet, le rapport de synthèse précisant que le « bonnet noir » du suspect aurait été identifié par la victime et que « quelques incohérences [dans les déclarations de Monsieur Kamagaté] étaient toutefois relevées, mettant en évidence sa vision particulière de la vérité ». Retenez bien cette dernière phrase.

Le parquet estime en avoir assez pour une comparution immédiate, et notre ivoirien est jugé le 8 mars 2008 par la 23e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, pour agression sexuelle, violences suivies d’une incapacité totale temporaire de plus de huit jours, injures publiques envers un particulier en raison de sa race, de sa religion ou de son origine, et infraction à la législation sur les étrangers. Si tel est le cas, et ma source est fiable, il y avait une superbe double nullité, la procédure de comparution immédiate n'étant pas applicable à un délit puni de six mois d'emprisonnement sauf flagrance (art. 395 du CPP), et on était là un mois après les faits, ce qui exclut la flagrance (art. 53 du CPP), et elle est en tout état de cause inapplicable aux délits de presse, ce qu'est l'injure raciale (art. 397-6 du CPP).

Malgré ses dénégations à l'audience, il est déclaré coupable pour le tout et condamné à 18 mois d'emprisonnement avec placement en détention, et trois ans d'interdiction du territoire, accessoirement en violation de l'article 131-30-1, 3° du code pénal faute de motivation spéciale. La victime ne se présente pas à l'audience mais est représentée par un avocat. Elle obtient 3000 euros de provision sur dommages-intérêts, l'affaire étant renvoyée sur intérêt civils pour qu'une expertise évalue son préjudice, susceptible d'être pris en charge par la Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infraction (faits d'agression sexuelle, art. 706-3 du CPP).

Monsieur Kagamaté ne fait pas appel. Justice est faite.

Sauf que.

Sauf que voilà, Alerxandra G. a tout inventé. Tout.

Le 14 mai 2008, rongée par le remord (elle croyait, naïve, que M. Kamagaté ne pouvait se faire condamner sur une accusation fantaisiste), elle écrit une lettre que son avocat transmet au tribunal exposant qu'elle avait bien été victime d'une telle agression, mais à l'âge de 13 ans, agression dont elle avait le sentiment qu’elle n’avait pas été suffisamment prise en compte par ses parents, puis à la fin de ses études secondaires, elle avait été victime d’un viol qu’elle avait gardé secret, et que, « fréquentant un policier, elle avait été touchée de sa réaction face à l’agression dont avait été victime une de ses amies » et du coup que, traversant une crise d’angoisse, elle lui avait déclaré qu’elle s’était fait agresser et lui avait en réalité décrit ses agressions antérieures.

Le parquet fait diligenter une enquête qui établit qu'en effet, tout le récit était inventé. Merveilleuse police qui à la demande, établit dans la même affaire, la culpabilité puis l'innocence. C'est la polyvalence des services. Voilà le problème : la vision particulière de la vérité de monsieur Kamagaté, c'est juste la vérité, en fait. On dissertait hier sur “ qu'est ce que la vérité ?” Voilà. C'est ça.

Problème : monsieur Kamagaté n'a pas fait appel. On se demande d'où vient son peu de confiance dans la justice. La condamnation est donc définitive.

C'est le garde des Sceaux de l'époque, Rachida Dati (il aura fallu qu'elle parte pour que je trouve enfin une raison de lui rendre hommage…) qui débloquera la situation en saisissant la Commission de révision de la cour de cassation, seule habilitée à revenir sur une condamnation définitive. Vamara Kamagaté pouvait le faire lui-même, mais pour des raisons que j'ignore, il n'a semble-t-il pas été informé par son avocat d'alors, qui n'est pour rien dans la procédure de révision. C'est l'avocat de la partie civile et le président du tribunal qui ont lancé la procédure grâce au Garde des Sceaux. C'est la même commission qui a statué dans l'affaire Seznec. (NB : paragraphe mis à jour.)

Et le 24 juin dernier, la cour de révision a cassé le jugement du 8 mars 2008 et renvoyé l'affaire pour être à nouveau jugée devant la 23e chambre. Pourquoi juger à nouveau ? Dame ! Il reste le séjour irrégulier. Car même si eu égard à sa situation, 20 ans de séjour en France, il a droit à une carte de séjour (art. L.313-14 du CESEDA), il n'a pas demandé cette carte, ce qui suffit à constituer le délit.

Cette affaire ne doit pas être l'occasion de pointer du doigt tel ou tel magistrat. C'est facile, c'est commode, et ça ne change rien. Vous voyez à quoi je fais allusion. Dans cette affaire, le président qui a prononcé la condamnation a aidé l'avocat de M. Kamagaté mise à jour :d'Alexandra G. à lancer la procédure de révision. C'est la moindre des choses ? Mais rien ne l'y obligeait.

Ce qu'il faut en tirer, c'est une grande leçon pour nous tous, du monde judiciaire.

Dans cette affaire, il y avait un certificat médical des UMJ qui arrêtait 10 jours d'ITT. Sur la base d'un récit imaginaire. La religion du certificat médical est pernicieuse dans le prétoire. Il faut prendre ce document avec des pincettes : ce n'est pas une preuve, c'est un document d'un médecin, pas d'un haruspice, qui dit : “ si ce récit est vrai, alors l'ITT est de… ”, et même quand il constate des blessures, il ne peut garantir que ces blessures aient été causées comme le déclare la victime. À trop vivre dans une société victimaire, où on n'a pas assez de larmes à verser sur leur épaule, on oublie que les victimes mentent, calculent, ont des intérêts, ou simplement soif d'attention. Bref, elles sont terriblement humaines.

Le témoignage de la seule victime ne peut, ne doit JAMAIS être considéré comme suffisant pour emporter condamnation. Un certificat des UMJ ne peut pas suppléer à l'absence de preuves objectives ou de témoignages fiables. Et quand on est avocat, qu'on a un SDF alcoolique qui traite les femmes de salope quand Bacchus lui ouvre les bras, qui n'est peut-être pas sympathique et sent la vinasse, et qui dit qu'il est innocent et parle de victime qui ment et de police complice, il faut se demander s'il n'y a pas un fond de vérité. Je n'aurais pas la prétention d'affirmer que, si monsieur Kagamaté était entré dans mon box de la section P12 parquet ce jour-là, j'aurais réalisé que j'avais affaire à un innocent.

Un innocent condamné, c'est une défaite pour tout le monde.

Et cette affaire sera maudite jusqu'au bout, puisque je lis dans Libération :

Pendant ce temps, Vamara Kamagate est en prison. Il y restera au total six mois, sans que personne ne l’informe de la procédure qui s’est enclenchée. «Un matin, les surveillants sont venus me chercher et ils m’ont dit : vous sortez.» Seul devant les portes de Fresnes, un papier qu’il ne sait pas lire à la main, il regagne son ancien quartier, où, enfin, un travailleur social lui explique ce que «révision» veut dire.

Laissons le mot de la fin à Monsieur Kamagaté :

« La justice, c’est humain, ça peut se tromper comme tout le monde ».

Monsieur Kamagaté, je suis profondément désolé de ce qui vous est arrivé. Puisse ce modeste billet aider à rétablir votre honneur.

Notes

[1] Incapacité totale de travail, l'unité de mesure des blessures en droit pénal.

jeudi 23 octobre 2008

« Et le tribunal décerne mandat de dépôt »

Par Castor Masqué, juge d'instruction


Ça y est, je me lance. Pour témoigner de ce nos indignations silencieuses, à nous, juges, qui sommes plus à l’aise dans l’ombre de nos cabinets que sous la lumière des projecteurs. Nous ne sommes ni bons orateurs, ni bons pamphlétaires, mais nous n’en avons pas moins une conscience aiguë de l’état lamentable de la Justice.

Bien que je sois juge d’instruction (dans un grand tribunal), je voudrais vous entretenir de la correctionnelle, et de la honte que la Justice - oui, je tiens à la majuscule - qui y est rendue m’inspire. Plus particulièrement, que l’incarcération immédiate m’inspire. Asseyez-vous sur les bancs d’une audience correctionnelle, de préférence en comparutions immédiates, vous vous prendrez en pleine figure toute la violence des évolutions récentes.

Il n’est pas ici question de sensiblerie. Ce qui se joue est tout autre, c’est une inversion des principes fondateurs du droit, au nom de la lutte contre la récidive : automaticité des peines en lieu et place de l’individualisation, systématisation de la détention, abandon de la motivation des décisions. Comment, en modifiant les outils avec lesquels on rend une décision pénale, on en conditionne le résultat dans le sens de la détention immédiate. Comment on lie les mains, mais aussi l’esprit, des juges.

Traçons tout d’abord le portrait statistique du « récidiviste » tant honni, cible favorite des foudres ministérielles : quoi, ce n’est pas le profil du maniaque sexuel, du conjoint violent, du chauffard alcoolique qui se dessine, mais celui du voleur ? En 2006, le taux de réitérants (concept un peu plus large que celui de la récidive j’en conviens, mais je n’ai pas trouvé de chiffres plus ajustés) était le plus élevé en matière de vol et de recel ! 27,4% (contre 14,2% pour la conduite en état alcoolique, qui vient tout de suite après ; 10,9% pour les violences volontaires, 5,3% pour les atteintes aux mœurs, et 1,8% pour les viols…). Et parmi les vols délictuels, plus de 31% sont des vols simples… (source : Annuaire statistique de la Justice édition 2008).

Or, l’existence d’antécédents judiciaires détermine nos collègues du parquet à retenir la voie de la comparution immédiate. Il n’existe hélas pas de suspense en la matière sur l’issue, en tout cas pas de suspense statistiquement perceptible : c’est quasiment toujours une détention immédiate. En 2006, sur 19676 mandats de dépôt prononcés par les tribunaux correctionnels, 19212 l’ont été en comparutions immédiates (contre 464 dans le cadre d’autres procédures). Les dossiers peuvent pourtant être dérisoires, et plus souvent qu’on ne le croit. Qui n’a pas agoni le parquet d’injures silencieuses parce qu’on le fait siéger en « compa » pour une tentative de vol, de vélo du voisin ou de jeu vidéo à Auchan ? Cela laisse d’autant plus songeur qu’un système juridique comme celui de l’Espagne a par exemple choisi de ne faire du vol qu’une simple contravention, insusceptible d’une peine de prison, s’il est commis sans circonstance aggravante (violences, dégradation, réunion…) et si la valeur du bien dérobé est inférieure à un certain montant. Il n’est pas inutile de rappeler qu’en comparaison, des violences volontaires ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à 8 jours (un médecin légiste vous allouera royalement 1 à 3 jours d’ITT pour un nez cassé) ne relèvent que du tribunal de police, et ne déboucheront jamais sur une incarcération… Moralité : mieux vaut coller un œuf que voler un bœuf ? Quel renversement de valeurs opère un système qui réprime plus sévèrement des atteintes aux biens que des atteintes aux personnes ?

Les peines plancher, ensuite. Comment rendre la violence des ces dispositions, qui réduisent quasiment les juges à l’impuissance ? Qui aboutissent à ne faire aucun cas de la gravité de l’infraction, tout en feignant hypocritement de préserver le principe d’individualisation de la peine ? La première application à laquelle j’ai dû prendre part concernait un homme, condamné par le passé pour trafic d’héroïne, et qui avait été interpellé en possession d’une dizaine de grammes de résine cannabis. Ancien héroïnomane, il expliquait avoir mis un terme à sa consommation de drogues dures mais pas à celle de cannabis, dont il ne pouvait se passer et qu’il estimait être un moindre mal. Il n’était pas possible de faire échec à la peine plancher (de quelles circonstances de l’infraction arguer, de quels éléments de personnalité ?), sauf à créer de toutes pièces les garanties de réinsertion dont il était manifestement dépourvu. Les collègues avec qui je siégeais (en comparution immédiate) n’ont pas souhaité prononcer une faible peine d’emprisonnement ferme, assortie d’une longue peine d’emprisonnement avec sursis : ce sont donc quatre années dans toute leur rigueur qui sont tombées. J’aurais voulu ne jamais retourner dans la salle pour annoncer la décision. J’ai une amie qui, dans des circonstances similaires, en a pleuré. Moralité : changez de fonctions, passez au civil ? Un dernier exemple, issu de la pile de jugements à signer en souffrance sur mon bureau : un individu saisit, au moment de payer dans un supermarché, une poignée de billets dans la caisse ouverte. Il a été condamné à trois reprises, pour des faits de vol aggravé commis en 2004 sous la minorité (peine d’emprisonnement assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve), puis en 2005 pour deux faits de vol simple (une amende et 6 mois ferme, non exécutés). La peine plancher, c’est en l’espèce un an d’emprisonnement. Alors, ça les vaut ?

En comparaison, les peines que nous prononçons à l’audience sans les assortir de mandat de dépôt restent pour beaucoup d’entre elles lettre morte : elles ne sont soit tout simplement pas ramenées à exécution (en clair, le condamné n’est jamais convoqué pour se rendre à la maison d’arrêt), soit tout est mis en œuvre pour éviter d’avoir à les exécuter. Ainsi, pour toute peine ferme inférieure à un an d’emprisonnement (article 723-15 du code pénal), un aménagement sera au préalable systématiquement envisagé (conversion de la prison en travail d’intérêt général, exécution de la peine sous forme de bracelet électronique ou de semi-liberté…). Il est actuellement question d’étendre ce dispositif aux peines allant jusqu’à deux ans… Moralité : pour une peine prononcée, un mandat de dépôt offert ?

Il sera d’autant plus facile de prononcer une incarcération immédiate, prenant effet au sortir de l’audience, que les lois successives n’ont pas cessé de faciliter le recours au mandat de dépôt. Jusqu’à une date récente, le juge statuant seul, en formation de juge unique, pour les délits de faible et moyenne gravité, ne pouvait assortir sa décision d’un mandat de dépôt que si la peine d’emprisonnement qu’il prononçait atteignait un an (et c’était rare !). Depuis la loi du 12 décembre 2005, ce seuil a été supprimé pour les récidivistes, l’incarcération à l’audience étant même obligatoire pour les récidivistes auteurs de délits violents ou de nature sexuelle condamnés à une peine d’emprisonnement, sauf décision motivée. Les cas de récidive sont bien sûr étendus et les possibilités de prononcer de l’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve limitées… Quel système juridique démocratique fait de la détention la règle et de la liberté l’exception ? Je voulais laisser l’instruction de côté, mais je ne peux m’empêcher de signaler cette disposition (article 137-4 du code de procédure pénale) qui oblige depuis 2004 le juge d’instruction, dans l’hypothèse d’un dossier criminel ou correctionnel grave, où le parquet a manifesté sa volonté de voire la personne incarcérée quand bien même le juge d’instruction ne l’estimerait pas nécessaire, à motiver son refus de saisir le juge des libertés et de la détention, c’est-à-dire sa décision de laisser libre un mis en examen ?

Constatons par ailleurs que les magistrats correctionnels organisent leur propre déresponsabilisation. Les réformes intervenues dans le domaine de l’application des peines contribuent à endormir nos consciences : nous avons d’autant moins de scrupules à prononcer une peine d’emprisonnement immédiate que nous savons qu’elle donnera désormais lieu, tôt ou tard, à un aménagement (semi-liberté, libération conditionnelle à mi-peine, bracelet électronique…). Les juges d’application des peines sont en effet dotés de moyens législatifs croissants pour vider des prisons surpeuplées, et les instructions de la Chancellerie en ce sens abreuvent nos collègues du parquet.

L’engorgement de notre système judiciaire octroie même une prime à l’incarcération : mes dossiers d’instruction, pour peu qu’ils comportent des détenus, sont prioritaires et passent à l’audience en moins de deux mois (c’est l'article 179 alinéa 4 du code de procédure pénale qui l’impose), tandis que ceux, non moins graves, dans lesquels les mis en examen sont libres ou libérés, attendent actuellement entre 12 et 18 mois après la fin de l’instruction pour être audiencés…

Vous avez saisi que la question de la motivation n’était en réalité pas anodine : motiver, c’est ce qui rend la peine légitime. C’est expliquer au justiciable les raisons, en droit et en fait, qui nous ont conduit à adopter telle décision plutôt que telle autre. En correctionnelle, les motivations des jugements sont des insultes à la logique, réussissant le tour de force d’être à la fois dogmatiques et contradictoires dans leurs énoncés. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas le temps de motiver, surtout pas lorsque nous statuons en juge unique. Je siège une fois par mois en juge unique, pour 20 à 25 dossiers, ce qui représente une vingtaine de décisions rédigées. Là-dessus, j’en motive après-coup 2 ou 3, celles dans lesquelles les justiciables ont fait appel. Alors, vous comprenez mieux la raison d’être des jugements stéréotypés, que je signe par paquets en mettant ma conscience de côté : « il résulte des éléments du dossier et des débats à l’audience que M. X a bien commis les faits qui lui sont reprochés, il convient en conséquence d’entrer en voie de condamnation à son égard ». S’agissant des dossiers dans lesquels je prononce une peine ferme, on ajoute « Le prévenu a fait l’objet de multiples condamnations, demeurant insensible aux avertissements précédemment délivrés. Eu égard à ses antécédents et à la gravité des faits, il convient de le condamner à une peine d’emprisonnement dont le quantum soit de nature à dissuader la récidive » (remplir les cases vides SVP) ? Vous me ferez perfidement observer, et vous aurez raison : à quoi bon motiver lorsque le condamné a interjeté appel, dans l’hypothèse où il est détenu, puisque l’appel ne suspend pas l’exécution de la peine et que compte tenu des délais dans lesquels la Cour va examiner son dossier, il y a de fortes chances qu’il ait déjà purgé sa peine lorsque l'audience se tiendra ?

J’ai calculé qu’en Espagne, dont j’ai pu observer le fonctionnement de la Justice, un juge correctionnel traite 3 à 6 dossiers par audience, à raison de deux ou trois audiences par semaine, ne rend jamais de délibéré sur le siège (c’est-à-dire tout de suite), et motive sur plusieurs pages chaque jugement en citant la jurisprudence. J’ai un rendement bien meilleur : en une seule audience mensuelle je rends 50% des décisions de mon collègue ibère, et ce bien que la correctionnelle occupe moins de 5% de mon temps tandis que lui s’y consacre à temps plein. Moralité : le juge français, c’est mini-Mir, mini-prix, mais qui fait le maximum ?

mardi 26 août 2008

La relaxe de Georges Frêche, ou de l'intérêt de citer ses sources

Cette règle est d'or, et ne vaut pas que pour les journalistes, le parquet de Montpellier vient d'en faire la dure expérience.

Rappelons les faits

L'inénarrable Georges Frêche, ex-[1]maire de Montpellier et gouverneur de Septimanie président du Conseil Régional de Languedoc Roussillon, avait, lors des émeutes de novembre 2005, insinué publiquement que des policiers pourraient être les auteurs des incendies de voiture, ajoutant que cette ruse aurait déjà été utilisée en mai 1968 afin de provoquer une réaction conservatrice, qui serait favorable au ministre de l'intérieur d'alors, qui aspirait à de plus hautes fonctions.

Ledit ministre n'apprécia pas et porta plainte pour diffamation envers une administration publique, plainte qui est la condition sine qua non pour que des poursuites puissent être engagées en matière de diffamation envers une administration : c'est l'article 48 de la loi du 29 juillet 1881.

Incisons

Une incise ici : en matière de diffamation et d'injure, s'agissant de délits commis par voie de presse et portant atteinte à l'honneur de la personne, les règles sont dérogatoires au droit commun : le parquet ne peut engager de lui-même les poursuites, il faut une plainte préalable de la victime ou, s'agissant d'une administration, du chef du corps ou du ministre duquel ce corps relève (la police nationale relève du ministre de l'intérieur). Le retrait de cette plainte met fin aux poursuites. Ce n'est pas le cas pour les autres délits de droit commun : par exemple, le retrait, assez fréquent, de la plainte de la victime de violences conjugales ne met pas fin aux poursuites.

Reprenons

Le parquet, eu égard à la qualité de la personne concernée, a choisi la voie de l'instruction. Il a saisi un juge d'instruction de monter le dossier, l'acte saisissant le juge s'appelant un réquisitoire introductif. Cet acte, très simple, est fondamental, car il délimite les faits dont est saisi le juge qui, hors de ces faits, n'a aucun pouvoir, sauf à ce que le parquet les lui élargisse par un réquisitoire supplétif. S'il agi hors de sa saisine, c'est la nullité, avec des conséquences désopilantes.

Or le réquisitoire introductif demandait au juge de bien vouloir instruire sur les propos suivants :

« je me demande si ce ne sont pas des flics qui mettent le feu aux bagnoles ».

Fatalitas. Le prévenu avait en réalité tenu précisément ce langage, rapportés par le quotidien Midi Libre :

« je ne suis pas sûr que, dans les villes parisiennes où ils ont incendié des voitures, que ce soient des musulmans qui le font ; ça serait des flics déguisés en musulmans..., que ça ne m'étonnerait pas ».

Le juge d'instruction ayant établi que ces derniers propos avaient été tenus et fleuraient bon la diffamation envers une administration, avait renvoyé le prévenu devant le tribunal correctionnel.

Devant le tribunal, le tribun prévenu avait argué que l'instruction avait porté sur des propos qu'il n'avait pas tenus et que nul acte de poursuite n'était intervenu sur les propos qu'il avait réellement tenu dans les trois mois ayant suivi, entraînant la prescription de l'action publique.

Argutie ? Non point, car la loi est formelle :

Si le ministère public requiert une information, il sera tenu, dans son réquisitoire, d'articuler et de qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels la poursuite est intentée, avec indication des textes dont l'application est demandée, à peine de nullité du réquisitoire de ladite poursuite.

Loi du 29 juillet 1881, article 50.

Le tribunal correctionnel de Montpellier relaxa donc le flamboyant édile. Le parquet, amateur de vieilles pierres, invita le premier magistrat à la cour d'appel sise quelques rues plus loin, voir s'ils pensaient de même.

L'esprit des lois contre la lettre des propos

Ce qui ne fut point le cas : le 11 septembre 2007, la cour d'appel de Montpellier estima qu'il n'était pas nécessaire que le réquisitoire reproduise littéralement le discours incriminé, dès lors qu'il permet au prévenu de connaître exactement les faits qui lui sont reprochés ; ajoutant que l'expression « Je me demande si ce ne sont pas des flics qui mettent le feu aux bagnoles » est, en substance, identique, à celle revendiquée par le prévenu ; ils en déduisirent que l'objet de la prévention était exactement déterminé par les mentions du réquisitoire, de telle sorte que l'intéressé pouvait utilement préparer sa défense, et en conséquence, déclara le bouillant Frêche coupable et le condamna à 1.500 euros d'amende.

Sautant dans le premier TGV, notre élu qui n'aime pas plus les policiers que les harkis qui manifestent à Palavas, se précipita Quai de l'Horloge pour crier famine chez la cour de cassation.

Qui lui fit bon accueil, en cassant le 17 juin 2008 l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier en rappelant fermement que

en matière de diffamation envers une administration publique, l'action publique est mise en mouvement, sur la plainte du ministre, par le réquisitoire introductif qui, lorsqu'il répond aux exigences de l'article 50 précité, fixe irrévocablement la nature et l'étendue de la poursuite ; que les juges ne peuvent statuer sur d'autres propos que ceux qui sont articulés par l'acte initial de la poursuite ;

(…)

en [se] prononçant sur des propos autres que ceux articulés dans l'acte initial de la poursuite, les juges ont méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus énoncé.

La cassation a lieu sans renvoi, puisque plus rien ne restait à juger : l'annulation de l'arrêt de la cour d'appel a les effets d'une relaxe.

Cet arrêt est conforme à la jurisprudence ancienne de la cour de cassation sur ce point. Pas de passe-droit pour Georges Frêche, mais au contraire, application de la loi sans jugement porté sur la validité de ses propos.

J'ignore la cause de la bourde du parquet ; probablement s'agissait-il d'une simple reprise des propos cités dans la plainte, auquel cas l'erreur est venue de la Place Beauvau, ce qui ne dispensait pas le parquet de s'assurer de la teneur réelle des propos, eu égard aux règles très rigoureuses en matière de presse.

Il demeure que je suis admiratif de la capacité de Georges Frêche à passer entre les gouttes. Ce n'est pas à un vieux singe qu'on apprend à faire des grimaces, mais quand en prime, il vous donne des leçons de ballet, on ne peut qu'être admiratif et se dire qu'il faut arrêter d'abuser des métaphores animalières.

Notes

[1] Mes excuses à mes premiers lecteurs, M. Frêche n'est plus maire depuis 2004 ; que le temps passe vite quand on s'amuse.

mardi 25 mars 2008

Que faire quand on reçoit un courrier d'avocat ?

Suite du billet précédent : si celui-là posait les bases théoriques, nous allons passer à la pratique : que doit faire un blogueur quand il reçoit une mise en demeure, d'un particulier ou de l'avocat d'icelui ?

Retenez bien la formule : c'est la règle des trois P et des deux T :

Pas de Panique, Prudence, et une Tasse de Thé.

Pas de panique : si une telle lettre ne doit pas être prise à la légère, elle n'est pas synonyme d'Harmaguédon. La première urgence est de ne rien faire : pas de mise hors ligne précipitée, pas de fermeture du site. La personne qui vous envoie une telle lettre expose une demande, fondée sur des griefs. Pour décider de ce que vous allez faire, il vous faut déterminer avec précision les éléments-clefs : qui vous en veut, pourquoi, que veut-il, et est-il déterminé ? Enfin, dernière question : a-t-il raison ? Les réponses aux trois premières questions doivent découler de la lecture de la lettre. Sinon, il vous faudra demander des précisions. La réponse à la quatrième se déduira du courrier lui-même. Enfin, la cinquième question trouvera sa réponse sur mon blog, ou chez un confrère.

► A la question : "qui ?", la lettre est censée vous apporter une réponse claire. Soit la lettre émane de la personne concernée par vos écrits, soit de son avocat qui précisera au nom de qui il prend contact avec vous. Sachez que si une personne tierce se manifeste auprès de vous, vous pouvez l'envoyer balader. Quelle que soit l'affection sincère qu'elle éprouve pour son maire, son président, ou son voisin, elle n'a pas qualité pour vous demander quoi que ce soit ni pour agir en justice. Vous pouvez gratifier votre correspondant d'un cinglant "En France, nul ne plaide par procureur !" Lui non plus ne saura pas ce que ça veut dire.

► A la question "pourquoi ?", la lettre vous donnera comme réponse le billet concerné ; un avocat aura pris la peine de citer les passages précis concernés. Sinon, n'hésitez pas à poser la question par retour de courrier. Ce n'est pas à vous de faire le travail à sa place, quand même. Un simple "Je vous saurai gré de bien vouloir me préciser quels passages précis du texte que vous visez dans votre lettre vous estimez devoir me reprocher" suffit. De même, si le courrier ne précise pas ce qu'il reproche exactement à ce texte, demandez des précisions, notamment sur la qualification juridique. Ne donnez pas de piste à votre interlocuteur. Demandez-lui simplement "Pourriez-vous me préciser sur quels fondements juridiques vous fondez votre réclamation ? Ce point ne figure pas dans votre courrier et cette absence ne me permet pas de décider de la suite à donner à votre lettre."

► La question "Que veut-il ?" trouvera sa réponse en fin du courrier, généralement annoncé par les mots "je vous mets en demeure de...". Le plus souvent, c'est la suppression d'un ou plusieurs billets voire de toutes les mentions d'une personne ou d'un produit qui seront demandés. Parfois, c'est carrément une facture qui sera jointe à l'envoi : il y en a qui ne doutent de rien (j'en ai vu plusieurs exemples, certains émanant d'un avocat...).

Déjà, à ce stade, vous verrez clairement les principales données du problème qui ressortent expressément du courrier. Maintenant, jouons aux Sherlock Holmes, et voyons ce que la lettre nous dit tacitement, en trahissant son auteur.

► Est-il déterminé ? La personne qui vous contacte tente-t-elle un bluff ou est-elle prête à aller au procès ? C'est un élément essentiel à tenir en compte pour votre réaction. La divination judiciaire n'est pas une science exacte mais des indices peuvent vous guider.

- Déjà, c'est une lettre, pas une assignation en justice. Cela indique d'emblée qu'il est désireux de trouver une solution amiable, à tout le moins : vous mettez hors ligne et ça s'arrête là.

- Lettre AR ou e-mail ? C'est un deuxième indice. Une personne qui n'a pas voulu mettre 4,35 euro dans une lettre a peu de chance de vouloir en mettre 100 dans un huissier (au sens figuré, bien sûr, chers maîtres, rassurez-vous). Attention : l'e-mail peut aussi vouloir dire que la personne ne vous a pas identifié si vous bloguez anonymement. Evitez donc de donner en réponse des éléments vous identifiant. Elle aussi a le droit de jouer aux Sherlock Holmes.

- Courtois et précis ou bruyant et brouillon ? Le ton de la lettre en apprend beaucoup. Un interlocuteur sûr de lui n'a aucune raison de vouloir rouler des mécaniques pour vous impressionner. Il sera clair, précis, et poli. Même dans ses avertissements sur les conséquences d'un refus. Il n'aura pas peur d'aller au procès : si c'est un avocat, il est persuadé de gagner, ce qui veut dire client content et honoraires à la charge de la partie adverse (c'est vous, ça). Il n'aura pas envie de vous faire peur. Alors qu'au contraire, un interlocuteur qui bluffe aura tendance à en faire des tonnes : en vous inondant de références oiseuses, en en rajoutant dans le cumul des qualifications ("écrits injurieux et diffamatoires" est un grand classique) et vous promettra mille tourments judiciaires tout en restant vague dans leur nature exacte. C'est comme au poker : une grosse relance avec une main faible pour obliger les petits jeux et les petits joueurs à se coucher. Et ne croyez pas que parce que c'est un avocat, il n'osera pas faire de menaces sur du vent. Certains confrères usent et abusent de l'autorité que leur confère leur titre pour écrire une lettre tonitruante pour satisfaire le client et espérer que l'adversaire se "couchera" plutôt que faire face au coût d'un procès. Demandez à "Bio" Bix: il a reçu un courrier d'avocat le menaçant de poursuites en diffamation... deux ans après la publication du texte litigieux.

Et à ce propos, une petite incise. Il existe des règles déontologiques très strictes encadrant la prise de contact avec la partie adverse pour les avocats. Certains confrères oublieux de leurs colonnes de déontologie[1] ne les respectent pas. Ces règles figurent à l'article 8 du Règlement Interieur National, applicable dans tous les barreaux. L'avocat doit notamment vous rappeler dans la lettre la possibilité que vous avez de consulter un avocat et vous proposer qu'il prenne contact avec lui. En outre, l'avocat doit s'interdire toute présentation déloyale des faits et toute menace (l'annonce de l'éventualité d'un procès n'étant pas une menace). Aidez-nous à assurer la formation continue obligatoire : si vous recevez une lettre agressive, manifestement infondée, faisant abstraction d'éléments empêchant toute poursuite, ou exigeant un paiement en échange de l'apaisement, portez plainte auprès du bâtonnier de ces avocats (lettre recommandée adressée au bâtonnier de l'Ordre où est inscrit l'avocat scripteur, avec copie du courrier et ce qui vous apparaît choquant : précisez que vous estimez que ce courrier est contraire à l'article 8 du RIN, ça l'impressionnera). Croyez-moi, ça calmera un avocat un peu trop excité ou pensant qu'il suffit de crier très fort pour vous faire capituler.

► A-t-il raison ? C'est la question la plus difficile, parce que la réponse ne se trouve pas dans la lettre. Vous trouverez, je l'espère du moins, des éléments de réponse dans mon billet Blogueurs et responsabilité (il y a un lien permanent dans la colonne de droite). Si la lettre vous indique des références de textes, allez les lire sur Légifrance.

C'est là que la Tasse de Thé vous sera utile (un Long Jing, infusé dans une eau à 85 °C pas plus : c'est plein de vitamine C, d'acides aminés et de catéchine).

Enfin, une fois que vous avez ces cinq réponses, il est l'heure de faire appel au dernier P : la prudence. Avant de faire quoi que ce soit, pensez aux conséquences, surtout une que vous devez garder à l'esprit : votre adversaire vous lit. Que vous lui répondiez, que vous parliez de votre mésaventure sur le site, tout ce que vous écrirez pourra être retenu contre vous, et le sera. Pensez donc avant tout au juge qui vous lira quand vous écrirez, et avancez comme le chat de Robert Merle, une patte en avant et l'autre déjà sur le recul.

Si vous vous sentez dépassé, faites appel à un avocat. Cela vous débarrassera du stress, et lui pourra engager des pourparlers tranquillement avec l'avocat adverse : les correspondances entre avocats sont couvertes par le secret professionnel et on peut tout se dire, ça reste entre nous. Alors que si vous, vous écrivez à l'avocat adverse, soyez sûr que votre lettre se retrouvera dans le dossier de la procédure.

Alors, si vous prenez contact avec la partie adverse, ne reconnaissez pas vos torts dans un geste d'apaisement : vous vous livrez pieds et poings liés. Ne niez pas non plus l'évidence. Gardez un ton réservé : "avant de me faire une opinion, j'ai besoin de ces précisions...".

Si, après cette méticuleuse analyse, vous avez la certitude d'être dans votre bon droit (prescription de trois mois, propos non diffamatoires ni injurieux car ne portant que sur les idées et les opinions publiques de la personne et non sur la personne elle même), par contre, faites une réponse ferme, expliquant les raisons de votre refus, textes et jurisprudences à l'appui, pour que l'adversaire comprenne qu'il a affaire à forte partie. Qu'ils y viennent, maintenant, avec leur assignation : vous êtes prêt. Si vous êtes visiblement en tort, soyez bon prince et accédez aux demandes légitimes (mais à celles-là seulement).

Ensuite, en parler ou pas ?

Le réflexe de beaucoup de blogueurs est de faire état de la lettre ou de l'assignation, en espérant faire du buzz. Le monde des blogueurs est solidaire et ça marche plutôt bien. Même si aucune réponse universelle n'est possible, j'aurais tendance à préconiser que oui. C'est une tactique efficace à long terme pour décourager ceux qui agitent des menaces voire citent en justice en espérant décourager la critique (oui, je pense à Yves Jégo) ou assignent en masse pour assurer la discrétion de leur vie privée. La technique est contre-productive par nature, outre les dégâts disproportionnés en termes d'image. Autant aider à le faire comprendre. Et taire l'info ne fera qu'encourager la pratique. Donc, a priori, sentez-vous libre d'en parler. Voyez si dans votre situation précise, il n'y a pas contre-indication.

La publication de la lettre ne pose pas de problème en soi, tant qu'aucun élément portant atteinte à la vie privée des personnes concernées ou de tiers n'est mentionnée (comme l'adresse personnelle, pensez à la caviarder) ou à un secret professionnel auquel serait tenu le destinataire. L'atteinte au secret des correspondances n'est un délit que si elle est commise de mauvaise foi, c'est à dire que la personne divulguant la lettre sait ne pas en être le destinataire. Attention toutefois aux commentaires que vous ferez (souvenez-vous : Tasse de Thé... heu, non, je veux dire Prudence), et aux commentaires qui seront laissés et qui peuvent dégénérer en injures. Une bienveillance à cet égard de votre part sera utilisé pour démontrer une intention de nuire de votre part.

Evitez absolument la provocation, l'agressivité gratuite, ou d'en faire des tonnes à votre tour (ce n'est pas parce que votre adversaire est au PS qu'il est un censeur stalinien, ou à l'UMP qu'il est un fasciste aux ordres du petit Voldemort). Répondez toujours à l'outrance par la modération : vous marquez des points pour un futur procès.

Voilà le B.A.BA de l'auto-défense juridique. Je ne donne dans ce billet qu'un aperçu furtif de la science du litige que maîtrise l'avocat. Accusez-moi de plaider pour ma chapelle, mais si c'est un métier, ce n'est pas par hasard. Mon dernier conseil sera donc très corporatiste : si vous avez un avocat en face, pensez sérieusement à en prendre un à votre tour.

Et puis une Tasse de Thé, c'est meilleur à deux.

Notes

[1] C'est ainsi qu'on appelle les heures de formation obligatoire à la déontologie lors des deux premières années d'exercice (outre les cours dispensés pendant les 18 mois de formation en Centre Régional de Formation à la Profession d'Avocat).

lundi 24 mars 2008

Blogueurs et Responsabilité Reloaded

Mon billet de mai 2005 sur la question méritait depuis longtemps une mise à jour, que la multiplication ces derniers temps d'interventions d'avocats à l'égard de blogueurs m'a enfin poussé à faire.

Voyons donc ensemble le petit guide du publier tranquille, ou comment bloguer l'âme en paix et accueillir les courriers d'avocats avec un éclat de rire.

Écrire et publier sur un blog, c'est engager sa responsabilité sur le contenu de ce qui y est écrit. Et déjà apparaît le premier problème : ce qui y est écrit n'est pas forcément ce qu'on a écrit en tant que taulier du blog. Certains sites y compris des blogs publient des liens via un fil RSS (cites de type "mashup"), c'est à dire reprennent automatiquement et sans intervention de leur part les titres de billets ou informations parues sur d'autres sites). Or on a vu à plusieurs reprises des sites attaqués car de tels liens portaient atteinte à la vie privée de personnalité susceptibles, et ces actions ont connu un certain succès (affaire Lespipoles.com, ou Presse-Citron, dont le délibéré n'est pas connu au jour où je rédige ce billet - voir plus bas).

Les commentaires font aussi partie intégrante du blog, sauf à les interdire purement et simplement (par exemple le blog de Pénéloppe Jolicoeur, ou le vénérable Standblog (vénérable bien que je ne comprenne rien à 90% des billets), mais dans ce cas, peut-on se demander, est-ce encore vraiment un blog, ou à les "modérer" selon le terme en vigueur, c'est à dire les valider avant publication (exemple : le blog de Philippe Bilger), ce qui est en fait une véritable censure au sens premier du terme : c'est à dire une autorisation a priori. Cela peut paraître une solution de tranquillité. Ce n'est pas si sûr que ça, vous allez voir.

La première question que nous examinerons est celle de la responsabilité ès qualité de blogueur, c'est à dire de la réglementation applicable à quiconque met son blog en ligne, quel que soit le sujet abordé par icelui, y compris si aucun sujet n'est abordé.

Une fois ce point examiné, nous verrons quelle est la responsabilité en qualité de rédacteur du blog, c'est à dire liée au contenu de ce qui est publié. Peut-on tout dire sur son blog, et si non, quels sont les risques ? (Bon, je ruine le suspens d'entrée : la réponse à la première question est non).

1. : Le statut juridique du blog.

La réponse est dans la LCEN, ou Loi pour la confiance dans l'économie numérique, de son petit nom n°2004-575 du 21 juin 2004, dans son prolixe article 6 (si vous trouviez le Traité établissant une Constitution pour l'Europe  trop longue et incompréhensible, lisez cet article 6 : vous verrez que le législateur français peut faire mille fois mieux).

En substance, la LCEN distingue trois types d'intervenants dans la communication en ligne : le fournisseur d'accès internet (FAI), qui est celui qui permet à une personne physique ou morale d'accéder à internet (Free, Orange, Neuf Telecom, Tele2.fr, Alice, Noos, Numéricable sont des FAI) ; l'hébergeur du service (celui qui possède le serveur où est stocké le site internet) et l'éditeur du site (qui publie, met en forme, gère le site). Alors que le FAI et l'hébergeur sont en principe irresponsables du contenu d'un site (il y a des exceptions, mais c'est hors sujet dans le cadre de ce billet), c'est l'éditeur qui assume cette responsabilité. D'où ma censure (j'assume le terme) de certains commentaires que j'estime diffamatoires, malgré les cris d'orfraie de leur auteur. Si le commentaire est diffamatoire, c'est moi qui encours les poursuites, et je n'ai pas vocation à servir de paratonnerre judiciaire à qui que ce soit.

Exemples : Dans le cas de ce blog, l'hébergeur est la société Typhon.com (sympa, efficaces, compétents et chers : on dirait tout moi). S'agissant du contenu des billets, je suis l'éditeur des billets que je signe, et hébergeur des billets de mes colocataires Dadouche, Gascogne et Fantômette. 

Au moment de la sortie de la LCEN et de mon premier billet sur la question, le fait de savoir si le statut d'hébergeur serait reconnu à l'éditeur d'un site quant au contenu qu'il ne génère pas lui-même se posait. La jurisprudence prend bien cette direction là, et je vais y revenir. Mais vous voyez déjà que modérer a priori les commentaires est à double tranchant :  ce faisant, vous en devenez l'éditeur et êtes directement responsable, et non pas en cas d'inaction comme un hébergeur. Mais n'anticipons pas.

Pour résumer les obligations de tout blogueur, il doit :

-déclarer son identité à son hébergeur ou à son fournisseur d'accès en cas d'hébergement direct par le fournisseur d'accès (c'était le cas quand ce blog s'appelait maitre.eolas.free.fr). Chez les hébergeurs payants, cette formalité est assurée en même temps que la souscription, le paiement par carte bancaire impliquant une vérification du nom associé. Un hébergement gratuit sous un faux nom est désormais un délit. Sanction : 1 an d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende, article 6, III, 1° et VI, 2°. 

-Faire figurer sur le site le nom du responsable, ou en cas de site non professionnel et anonyme (comme celui-ci), la mention de l'hébergeur qui a les coordonnées du responsable, à qui il est possible d'adresser la notification prévue par l'article 6, I, 5° de la LCEN (voir plus bas). C'est la rubrique "mentions légales" ; je vous conseille tout particulièrement celle de ma consoeur Veuve Tarquine, qui est désopilant (bon, pour un juriste). Sanction : 1 an d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende, article 6, III, 1° et VI, 2°.

-Publier gratuitement et sous trois jours à compter de la réception un droit de réponse de toute personne nommée ou désignée dans un billet ou un commentaire, sous la même forme de caractère et de taille, sans que cette réponse ne puisse dépasser la longueur de l'écrit initial (sauf accord de l'éditeur, bien sûr). Dans le cas d'une mise en cause par un commentaire, la personne en question pourra y répondre directement par un commentaire la plupart du temps, bien sûr. Dans le cas d'une mise en cause dans un billet, l'éditeur doit publier le droit de réponse sous forme d'un billet. Sanction : 3.750 euros d'amende, article 6, IV de la LCEN.

2. la responsabilité pénale du blogueur en raison du contenu de son site.

Là, deux problèmes distincts peuvent se poser : la responsabilité civile du blogueur et sa responsabilité disciplinaire. Dans le premier cas, on entre dans le droit pénal de la presse et de l'édition, qui s'applique à internet comme à tout écrit mis à disposition du public, et le droit à l'image et à l'intimité de la vie privée. Dans le deuxième, se pose surtout la problématique du blogueur vis à vis de son employeur, de son école ou de son administration.

  • La responsabilité pénale du blogueur : les délits de presse.

Conseil préliminaire : si vous êtes cité en justice pour des délits de presse, courrez chez un avocat compétent en la matière, et vite.

La loi française a posé par la loi du 29 juillet 1881 le principe que les délits commis par la publication d'un message font l'objet d'un régime procédural dérogatoire, très favorable à la liberté d'expression. Ce régime se résume aux points suivants : 

- les faits se prescrivent par trois mois à compter de la publication, c'est à dire que si les poursuites ne sont pas intentées dans ce délai de trois mois, elles ne peuvent plus l'être. De même, il faut qu'un acte de poursuite non équivoque ait lieu au moins tous les trois mois, sinon, la prescription est acquise.
- les poursuites des délits portant atteinte à l'honneur d'une personne ne peuvent avoir lieu que sur plainte de la personne concernée, et le retrait de la palinte met fin aux poursuites, ce qui n'est pas le cas d'une plainte ordinaire, pour un faux SMS par exemple.
- les actes de poursuites doivent respecter des règles de forme très strictes sanctionnées par leur nullité (or un acte nul n'interrompt pas la prescription, vous voyez la conséquence inéluctable...).
- des moyens de défense spécifiques existent dans certains cas (excuse de vérité des faits, excuse de bonne foi, excuse de provocation)...

Certains écrits sont donc pénalement incriminés en eux même : la liberté d'expression est une liberté fondamentale, certes, mais il n'existe aucune liberté générale et absolue. Rappelons la rédaction de l'article 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen :

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

En l'espèce, la loi qui s'applique est notre loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, avec les adaptations apportées par la LCEN aux spécificités du support informatique. Qu'est-ce qui est interdit, au juste ?

Sont interdits de manière générale l’apologie des crimes contre l’humanité commis par les puissances de l'Axe (n'allez pas approuver la prostitution forcée des femmes coréennes par l'armée impériale japonaise, mais vous pouvez vous réjouir de la famine provoquée par Staline en Ukraine et ses 3 à 7 millions de mort), l’incitation à la haine raciale ainsi que la pornographie enfantine. Tout blogueur a comme n'importe quel éditeur une obligation de surveillance de son site et doit rapporter promptement aux autorités compétentes de telles activités sur son site qui lui seraient signalées. Sanction : un an de prison, 75.000 euros d'amende (article I, 7°, dernier alinéa de la LCEN, article 24 de la loi du 29 juillet 1881). Pensez donc absolument à fermer tous les commentaires et trackbacks quand vous fermez un blog mais laissez les archives en ligne.

Au delà de cette obligation de surveillance, les écrits du blogueur lui même ou des commentaires peuvent lui attirer des ennuis.

  • Les provocations aux infractions.

Outre les faits déjà cités, sont prohibés la provocation à commettre des crimes ou des délits. Si appeler au meurtre ne viendrait pas à l'esprit de mes lecteurs, j'en suis persuadé, pensons aux appels à la détérioration des anti-pubs (affaire "OUVATON").

Sanction : si la provocation est suivie d'effet, vous êtes complice du crime ou délit et passible des mêmes peines. Si la provocation n'est pas suivie d'effet, vous encourez 5 ans de prison et 45.000 euros d'amende si l'infraction à laquelle vous avez provoqué figure dans la liste de l'alinéa 1 de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 (meurtres, viols et agressions sexuelles, vols, extorsions, destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation prévus par le titre Ier du livre IV du code pénal).

Bon, jusque là, rien de préoccupant, je pense qu'on peut trouver des idées de billet où il ne s'agira pas de nier la Shoah ou appeler au meurtre.

  • Injure, diffamation

Les faits les plus souvent invoqués sont l'injure et la diffamation, définis par l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881. C'est le cas de l'affaire Monputeaux, que j'ai traitée en son temps.

Là, ça se complique. Je vais donc, pour illustrer mes propos, prendre un cobaye en la personne de Laurent Gloaguen dont la bonhomie bretonne ne doit pas faire oublier un tempérament potentiellement tempétueux.

La diffamation, donc, est définie ainsi : toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé. e.g. : "Laurent Gloaguen est un escroc".

L'injure est toute expression outrageante ne contenant l'imputation d'aucun fait. e.g. : "Laurent Gloaguen est un connard".

Tout d'abord, il faut que la personne soit identifiée ou au moins identifiable. Inutile qu'il soit identifiable par des milliers de personnes. Un groupe restreint suffit, du moment qu'il peut subir un préjudice du fait d'être reconnu par ce groupe comme le milieu professionnel dans lequel il évolue (par exemple : un chercheur dénoncé auprès de la direction du CNRS comme étant un terroriste international, mais là j'exagère avec mes exemples : personne ne serait assez stupide et méchant pour oser faire une chose pareille).

Si le blogueur dit "Laurent Gloaguen est un escroc", il n'y a pas de problème, il est clairement identifié. S'il dit "le soi-disant capitaine qui nous inflige ses embruns sur internet est un escroc", il n'est pas nommé, mais reste aisément identifiable. Le blogueur ne peut pas prétendre devant le tribunal qu'en fait, il parlait de quelqu'un d'autre, sauf à expliquer de qui.

Un problème peut apparaître face à des expressions plus ambiguës, du genre "le blogeur influent qui n'aime pas les chatons", ou l'emploi des seules initiales ("Ce crétin de LG...") . Dans ce cas, c'est au plaignant d'apporter la preuve que c'est bien lui qui était visé, les tribunaux allant parfois jusqu'à exiger, pour les cas vraiment ambigus, la preuve que le plaignant a été identifié comme la personne visée par des lecteurs.

Une fois que la personne visée est identifiée, le propos diffamatoire doit lui imputer un fait qui porte atteinte à son honneur ou à sa considération. Le critère jurisprudentiel est simple : le fait diffamatoire doit pouvoir faire l'objet d'une discussion contradictoire et être prouvé. Sinon, c'est une injure.

Dans mon exemple, dire que "Laurent Gloaguen est un escroc" est une diffamation, puisqu'on lui impute un délit, susceptible de preuve, et le fait d'être traité de délinquant porte atteinte à l'honneur ou à la considération.

En cas de poursuite judiciaires, les moyens de défense sont les suivants :

- A tout seigneur tout honneur : la prescription. Aucune poursuite ne peut être intentée pour injure ou diffamation trois mois après la publication. Seule peut interrompre cette prescription un acte de poursuite judiciaire : assignation au civil, citation au pénal, tenue d'une audience où comparaît le plaignant. Concrètement, à Paris, la 17e chambre, spécialisée dans ces domaines, convoque des audiences-relais à moins de trois mois, uniquement pour que la partie civile comparaisse et indique qu'elle maintient les poursuites, jusqu'à la date retenue pour l'audience définitive. Une lettre de mise en demeure, émanât-elle d'un avocat, n'interrompt pas la prescription. La preuve de la date de publication est libre, la jurisprudence recevant comme présomption simple la mention de la date à côté du billet. L'idéal est de recourir au constat d'huissier, car c'est au plaignant de rapporter la preuve, en cas de litige, que la prescription n'est pas acquise. C'est TRES casse gueule : si vous voulez poursuivre quelqu'un pour diffamation, prenez un avocat, vous n'y arriverez pas tout seul.

- Démontrer que le plaignant n'était pas visé par les propos, car seule la personne visée peut déclencher les poursuites ;

- Démontrer que les propos ne sont pas diffamatoires, ou injurieux, voire, et là c'est vicieux, que les propos diffamatoires sont en fait injurieux, ou vice versa, car aucune requalification n'est possible, et on ne peut poursuivre sous les deux qualifications cumulativement.

En effet, imaginons qu'un blogueur traite dans un de ses billets Laurent Gloaguen d'escroc, le 1er janvier (prescription au 1er avril). Laurent Gloaguen fait citer en diffamation ce blogueur le 1er février (interruption de la prescription, elle est reportée au 1er mai, en fait au 2 puisque le 1er est férié). Le tribunal convoque les parties le 1er mars (cette audience interrompt la prescription, le délai de trois mois repart à zéro, et elle est donc reportée au 1er juin), et fixe l'audience de jugement au 1er mai (soit bien avant la prescription, tout va bien). Le 1er mai, le blogueur soulève qu'il ne s'agissait pas d'une accusation d'escroquerie, mais juste d'une moquerie sur le fait qu'en fait, Laurent Gloaguen adorerait les chatons : c'était donc en fait une injure. Or l'injure n'a pas été poursuivie dans le délai de trois mois qui expirait le 1er avril et est donc prescrite Si le tribunal estime que c'était effectivement une injure, le blogueur est relaxé.

Vous comprenez pourquoi il vous faut absolument un avocat ?

- La bonne foi et l'exception de vérité. Ces exceptions (c'est ainsi qu'en droit on appelle un moyen de défense visant au débouté du demandeur) ne s'appliquent qu'aux poursuites pour diffamation. L'exception de vérité est soumise à de strictes conditions de formes (délai de dix jours pour signifier les preuves par huissier à compter de la citation ou de l'assignation) et de domaines (il existe des faits dont la loi interdit de tenter de rapporter la preuve : lorsque l'imputation concerne la vie privée de la personne ; lorsque l'imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années ou lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision). L'exception de bonne foi est plus large dans son domaine, mais la preuve de la bonne foi pèse sur le prévenu. Le prévenu doit, pour en bénéficier, établir, selon la formule jurisprudentielle classique, qu’il poursuivait, en diffusant les propos incriminés, un but légitime exclusif de toute animosité personnelle, qu’il a conservé dans l’expression une suffisante prudence et qu’il avait en sa possession des éléments lui permettant de s’exprimer comme il l’a fait. L'exception de bonne foi permet aux juges d'atténuer la sévérité des règles de la preuve de la vérité des faits si le diffamateur a agi légitimement et avec prudence (par exemple, il a dénoncé un candidat à des élections au sujet de faits graves commis plus de dix ans auparavant mais qui le rendent peu qualifié pour être élu : Cass. crim., 15 févr. 1962).

- L'excuse de provocation.Cette excuse ne s'applique qu'à l'injure contre un particulier. Si celui qui a injurié l'a fait à la suite de provocations (généralement, une injure préalable), le délit n'est pas constitué, celui qui agonit son prochain étant malvenu à être susceptible.

La diffamation et l'injure sont punies d'amendes pouvant aller jusqu'à 12 000 euros. Elles peuvent porter sur une personne, ou sur un corps (ex : la police). Quand elles portent sur  les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l'air, les corps constitués et les administrations publiques, ou à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs parlementaires, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique, un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition, l'amende est portée à 45 000 euros.

Constituent des cas à part, plus sévèrement réprimés, les injures et diffamation à caractère racial, ce mot étant utilisé brevitatis causa à la place de l'expression exacte "à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée,ou à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap."
  • Le blogeur et la discipline professionnelle

Voyons  à présent l'hypothèse où aucun délit n'a été commis, mais où une personne exerçant une autorité (supérieur hiérarchique, employeur, professeur) s'émeut de ce que publie le blogueur et s'avise de le sanctionner. Ce qu'un blogueur écrit, que ce soit de chez lui, en dehors des heures qu'il doit consacrer à son activité professionnelle ou scolaire, ou depuis son lieu de travail, peut-il entraîner une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, la révocation ou le renvoi de l'établissement ? 

Beaucoup de blogueurs, croyant à leur impunité, s'y sont frottés à la légère, et s'y sont brûlés les ailes. Les premiers exemples sont venus d'outre atlantique avec par exemple Queenofsky, hôtesse de l'air chez Delta Airlines licenciée pour avoir posté des photos d'elle en uniforme de la compagnie, mais des Français aussi ont eu des mauvaises surprises. Dans le milieu du travail, c'est bien sûr l'affaire Petite Anglaise, dont j'ai déjà parlé. Dans le milieu de la fonction publique, c'est l'affaire Garfieldd. Dans les deux cas, les choses se sont bien terminées pour les blogueurs, très bien même pour Petite Anglaise qui a commencé une carrière d'écrivain. S'agissant des élèves, je me souviens d'avoir entendu parler d'élèves renvoyés de leur établissement pour des propos tenus sur leur blog, mais dont le renvoi a été annulé par le tribunal administratif. je n'ai pas réussi à en retrouver la trace. Si quelqu'un avait des infos, je lui en saurai gré et compléterai ce billet.

Face à la nouveauté du phénomène, autant des blogueurs dépassent les bornes sans forcément en avoir conscience, autant des employeurs prennent des sanctions parfois discutables.

Alors qu'en est-il ? Le principe est que la sphère privée est séparée de la sphère professionnelle (qui inclut la sphère scolaire). Aucun salarié ou élève ne peut en principe être puni pour un comportement qu'il a dans sa vie privée ou en dehors de ses heures de travail ou d'étude.

Certaines professions font exception à cette règle, à commencer par la mienne, et de manière générale tous les fonctionnaires. Mais les membres de ces professions sont généralement bien informés de leurs obligations déontologiques. Ces obligations varient d'ailleurs tellement d'une profession à l'autre que je n'en ferai point le recensement. Le point commun aux fonctionnaires le fameux devoir de réserve (dont le pourtour est assez flou ; disons de manière générale de ne pas donner son opinion personnelle sur le travail qu'il lui est demandé d'effectuer), l'obligation de loyauté, de neutralité, et l'obligation au respect du secret professionnel.

Mais la séparation sphères privée et publique n'est pas parfaitement étanche. Ainsi en est il lorsque le blogueur parle de son travail sur son blog. Là commence le danger. 

S'agissant des fonctionnaires, l'attitude varie totalement d'un ministère à l'autre, à un point tel que cela pose de sérieuses questions en matière d'égalité des droits. Et cela ne s'explique pas par la spécificité des missions : alors que le ministère de l'intérieur fiche une paix royale aux policiers blogueurs, le ministère de l'éducation nationale semble très hostile à l'idée que des enseignants puissent raconter leur métier. En l'espèce, il ne fait aucun doute à mes yeux que c'est le ministère de l'intérieur qui a raison, tant le travail bénévole de ces blogueurs est bénéfique en termes d'image (voyez dans ma blogroll à droite pour quelques exemples de qualité).

S'agissant des salariés, la situation est plus claire.

Juriscom.net rappelle que le principe posé dans un arrêt du 16 décembre 1998 est que le comportement du salarié dans sa vie privé ne justifie pas de sanction disciplinaire, sauf si ce comportement cause un trouble caractérisé dans l'entreprise. Le mot caractérisé est important : ce trouble n'est pas laissé à l'appréciation de l'employeur, qui doit justifier sa décision de sanction fondée sur ce trouble et le cas échéant en apporter la preuve devant le juge si la sanction est contestée. 

Rappelons également que le salarié, qui est lié contractuellement à son employeur, a à l'égard de celui-ci une obligation de loyauté, qui rendrait fautif tout dénigrement et critique virulente publics même en dehors des heures de travail. 

L'affaire Petite Anglaise a conduit le Conseil de prud'hommes de Paris à rendre une décision posant clairement le cadre de la compatibilité du blogage et du travail. Cela reste un jugement, car il n'a pas été frappé d'appel, mais je pense que les principes qu'il pose auraient été confirmés en appel et quela cour de cassation n'y aurait rien trouvé à redire. Pour mémoire, cette décision considère qu'un salarié peut parler de son travail sur son blog, même en termes critiques, à la condition que son employeur ne soit pas identifiable. A contrario, on peut en déduire que s'il l'était, le Conseil pourrait considérer qu'il y a une cause réelle et sérieuse, si les propos nuisent à l'entreprise, notamment en étant diffamatoires ou injurieux.

Il peut de même bloguer depuis son poste de travail avec le matériel de l'entreprise s'il ne nuit pas à l'employeur en ce faisant : c'est à dire sans le faire passer avant son travail, et dans le respect du règlement intérieur. Donc : sur ses temps de pause, ou dans les phases d'inactivité.

Pour en savoir plus, mon confrère Stéphane Boudin a abordé ce sujet en profondeur

Enfin, rappelons un point essentiel : un licenciement, même qualifié d'abusif par le Conseil des prud'hommes, reste définitif. Donc si votre employeur vous vire à cause de votre blog bien que vous n'ayez jamais franchi les limites de la légalité, vous recevrez une indemnité, mais vous resterez chômeur. Soyez donc très prudents et tournez sept fois votre souris dans votre main avant de poster. Les fonctionnaires sont mieux lotis car une révocation annulée implique la réintégration immédiate du fonctionnaire. Enfin, immédiate... le temps que le tribunal administratif statue, ce qui est de plus en plus long (comptez facilement deux ans pour un jugement).

  • Blog et vie privée

Dernier terrain sensible : la question de la vie privée. L'article 9 du code civil pose le principe du droit de chacun au respect de sa vie privée et donne au juge des référés le pouvoir de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à une telle violation. Il en va de même de son droit à l'image, c'est à dire la diffusion d'un portrait de lui pris sans son consentement. Il faut bien comprendre ce qu'on entend par vie privée : la jurisprudence parle même de l'intimité de la vie privée. Il s'agit donc d'aspects que la personne n'a jamais voulu voir divulgués portant sur la sphère privée : les sphère professionnelles et publiques (pour ceux qui font profession d'être connus, comme les acteurs et les hommes politiques) sont donc exclues. 

Cela recouvre la vie de famille (relations sentimentales, enfants), la vie sexuelle (moeurs, orientation sexuelle), etc... Ne parlez pas de la vie privée d'une personne dénommée ou aisément identifiable (mêmes règles que pour la diffamation) sans son autorisation, fût-ce un membre de l'étrange tribu des "pipoles" dont la vie privée est censée passionner jusqu'au dernier occupant des salles d'attente et salons de  coiffure de l'hexagone. Ne diffusez pas non plus son image, ni le son de sa voix sans son autorisation. Le fait qu'une personne se rende dans un lieu public peut faire présumer son acceptation d'être prise en photo (sauf s'il esquive votre flash, auquel cas il ne vous reste qu'à ne pas insister) mais certainement pas que cette photo soit diffusée sur internet. Cette simple diffusion est en soi un préjudice réparable, sans  qu'il soit besoin de démontrer un préjudice, et les sommes allouées sont assez élevées si lapersonne a une certaine notoriété.  Je précise que capter l'image d'une personne dans un lieu privé ou la voix de quelqu'un parlant à titre privé ou confidentiel sans son consentement est un délit pénal.

Un mot d'explication pour comprendre. Une évolution récente de la société a créé une nouvelle sorte d'aristocratie, les gens ayant une certaine notoriété. Les ragots les concernant sont affublés de mots anglais pour devenir du dernier chic, et les news people se vendent fort bien. Mais c'est un biotope économique délicat, et qui réagit violemment aux incursions de parasites espérant entrer dans ce monde sans mettre la main à la poche. Car être people, c'est un métier. En Espagne, par exemple, c'est une vraie profession. De nombreux magazines relatent leurs aventures, avec la complaisance d'iceux, et même la télévision publique consacre des émissions sur le sujet (ce qui explique aussi sans doute que la radio-télévision publique espagnole fasse des bénéfices). En France, on est plus hypocrite. Des journaux faisant fonds de commerce de publier des images et des articles sans leur consentement sont condamnés à payer des dommages-intérêts qui constituent une rémunération non imposable. Bref, les peoples vivent de leur état. Donc tenter de profiter de l'intérêt (comprendre de l'audience) que cela génère sans être prêt à payer l'octroi amènera à des mauvaises surprises.

Et la jurisprudence est plutôt favorables auxdits peoples, comme le montre l'affaire Lespipoles.com. Ce site est principalement un amas de publicités et une agrégation de liens vers des sites de journaux se consacrant à ce noble sujet. Or un jour, un de ces liens reprenait une nouvelle publiée par un journal réputé en matière de cancans qui annonçait que tel réalisateur français récemment honoré outre-atlantique roucoulerait avec une actrice devenue célèbre en croisant les jambes à l'écran. Ledit réalisateur a poursuivi en référé le site (en fait le titulaire du nom de domaine) pour atteinte à sa vie privée. L'intéressé s'est défendu en faisant valoir qu'il n'avait pas lui même mis en ligne l'information, puisqu'elle n'était apparue qu'en tant que figurant dans le fil RSS du journal. Bref, vous aurez compris, qu'il n'était qu'hébergeur et non éditeur de l'information litigieuse. Le juge des référés de Nanterre a rejeté cet argument en estimant que la partie défenderesse avait bien, en s’abonnant audit flux et en l’agençant selon une disposition précise et préétablie, la qualité d’éditeur et devait en assumer les responsabilités, et ce à raison des informations qui figurent sur son propre site. 

Cette décision a un autre enseignement : c'est l'importance des mentions légales. Dans cette affaire, c'est la personne physique ayant enregistré le nom de domaine qui  a été poursuivie et condamnée car le site ne mentionnait pas le nom de la société commerciale qui l'exploitait et qui était la véritable responsable. En revanche, quand ces mentions existent, les poursuites contre le titulaire du nom de domaine sont irrecevables : c'est l'affaire Wikio, par le même juge des référés (le même magistrat s'entend), et accessoirement le même demandeur.

C'est sur cette jurisprudence que se fonde l'affaire Olivier Martinez, du nom de l'acteur qui a décidé de poursuivre toute une série de sites ayant relayé une information sur une relation sentimentale réelle ou supposée. Je ne jurerai pas que le rapprochement chronologique des deux affaires soit purement fortuit.

Pour le moment, il est trop tôt pour dire si ces décisions auront une grande portée ou seront contredites par l'évolution de la jurisprudence.

  • Blog et contrefaçon.
Dernier point pour conclure ce billet : celui de la contrefaçon. La contrefaçon est à la propriété intellectuelle et artistique ce que le vol est à la propriété corporelle : une atteinte illégitime. Et elle est d'une facilité déconcertante sur internet. Un simple copier coller, voire un hotlink sur le cache de Google pour économiser la bande passante. La contrefaçon peut concerner deux hypothèses : la contrefaon d'une oeuvre (on parle de propriété littéraire et artistique, même si un logiciel est assimilé à une oeuvre) ou la contrefaçon d'une marque ou d'un logo (on parle de propriété industrielle) consiste en la reproduction ou la représentation d'une oeuvre de l'esprit ou d'une marque sans l'autorisation de celui qui est titulaire des droits d'auteur, que ce soit l'auteur lui-même ou un ayant droit (ses héritiers, une société de gestion collective des droits du type de la SACEM...). La reproduction est une copie de l'oeuvre, une représentation est une exposition au public. L'informatique fait que la plupart du temps, la contrefaçon sera une reproduction.

Le régime diffère selon  qu'il s'agit d'une oeuvre ou d'une marque.

- Pour une oeuvre, la protection ne nécessite aucune démarche préalable de dépôt légal de l'oeuvre. L'acte de création entraîne la protection. Et la simple reproduction constitue la contrefaçon. Par exemple, copier ce billet et le publier intégralement sur votre blog serait une contrefaçon, même via le flux RSS. De même, utiliser une image d'une graphiste comme Cali Rézo ou Pénéloppe Jolicoeur sans son autorisation est une contrefaçon. Et la contrefaçon est un délit, passible de 3 années de prison et jusqu'à 300 000 euros d'amende. Outre les dommages-intérêts à l'auteur. Et la prescription de trois mois ne s'applique pas ici : elle est de trois ans. Il ne s'agit pas d'un délit de presse, qui ne concerne que les oeuvres que vous publiez, pas celles que vous pompez.

Cependant, il existe des exceptions : la loi (article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle) permet d'utiliser une oeuvre divulguée, et ce sans l'autorisation de l'auteur, soit pour votre usage strictement privé (i.e. sauvegarde sur votre disque dur) mais sans la diffuser à votre tour, ou en cas de publication, en respectant l'obligation de nommer son auteur et les références de l'oeuvre, dans les hypothèses suivantes : les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées (en clair, si quelqu'un veut critiquer un de mes billets, il peut sans me demander mon avis citer les passages clefs qui lui semblent démontrer l'inanité de mon propos) ;  les revues de presse ; la diffusion, même intégrale, à titre d'information d'actualité, des discours destinés au public prononcés dans les assemblées politiques, administratives, judiciaires ou académiques, ainsi que dans les réunions publiques d'ordre politique et les cérémonies officielles ;  la parodie et le pastiche en respectant les lois du genre, et la reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d'une oeuvre d'art graphique, plastique ou architecturale, dans un but exclusif d'information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d'indiquer clairement le nom de l'auteur.

Par contre, piquer un dessin ou une photo trouvée sur Google qui vous plaît parce qu'elle illustre bien votre article qui n'a rien à voir avec l'oeuvre risque fort de vous attirer des ennuis, surtout si l'oeuvre est celle d'un professionnel. Il existe de nombreux répertoires d'images et photos libres de droits ou mises à votre disposition gratuitement sous réserve que vous respectiez certaines conditions dans l'usage : ce sont les oeuvres en partage, ou Creative Commons en bon français.

- Pour une marque, la logique est différente, car c'est l'intérêt économique du titulaire de la marque qui est défendu. La loi le protège d'agissements parasites de concurrents qui voudraient utiliser un élément distinctif pour vendre leur produit. En effet, faire de telle marque, telle couleur, tel logo un signe distinctif dans l'esprit du public est un travail de longue haleine, et très coûteux. Il est légitime que celui qui aura déployé tous ces moyens puisse s'assurer le monopole des bénéfices à en tirer. La marque Nike par exemple, dans les magasins qu'elle ouvre, se contente de mettre sa célèbre virgule comme seule enseigne. Songez aussi tout ce que représente pour les informaticiens la petite pomme grise et croquée. La protection de la marque suppose toutefois au préalable le dépôt de cette marque auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle, dépôt qui précisera les types de produits sur lesquels il porte (on parle de classes de produits, en voici la liste). D'où l'expression de "marque déposée". Dans les pays Anglo-Saxons, l'usage est d'apposer après une telle marque un ® qui signfie registered, "enregistré".

La loi interdit, sauf autorisation de l'auteur : la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, même avec l'adjonction de mots tels que : "formule, façon, système, imitation, genre, méthode" (Exemple : "le blog façon Techcrunch", Techcrunch étant une marque déposée au niveau européen), ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement ; la suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée. De même, la loi interdit, mais uniquement s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public : la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ; ainsi que l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement. (Code de la propriété intellectuelle, articles L.713-2 et L.713-4).

Mes lecteurs se souviendront qu'une marque peut être une simple couleur, avec l'affaire Milka, qui ne concerne pas un blogueur mais un nom de domaine, donc n'est pas totalement étranger à nos interrogations. En ce qui concerne votre humble serviteur, Eolas est une marque déposée... mais pas par moi. Je suppose qu'elle appartient à la société Business & Decision Interactive Eolas, qui m'a toujours fichu une paix royale quant à l'usage de mon pseudonyme puisqu'il n'y a aucun risque de confusion quand bien même je sévis moi aussi sur l'internet. Nous vivons donc en bons voisins. Enfin, je suppose : je n'ai jamais eu de contact avec eux, je déduis de leur silence une intelligente bienveillance.

Voici dressé un  panorama que je n'aurai pas l'audace de prétendre exhaustif des limites fixées par la loi que doit respecter un blogueur. Vous voyez que les espaces de liberté sont encore vastes.

Cependant, il peut arriver que des fâcheux estiment que ceux-ci sont encore trop vastes, et que parler d'eux en des termes qui ne soient pas dythirambiques relève du crime de Lèse Majesté. Et parfois, le blogueur reçoit un e-mail ou mieux, une lettre recommandée particulièrement comminatoire rédigée par un de mes confrères. Et je dois le reconnaître, bien que cela me coûte, pas toujours à très bon escient, voire parfois à un escient franchement mauvais. Et j'ai trop de respect pour ma profession pour me rendre complice par inaction de cette pratique hélas de plus en plus répandue et qui prend des libertés avec la loi et avec la déontologie. Un guide de survie s'impose.

Ce sera l'objet du deuxième billet qui fera suite à celui-ci : que faire en cas de mise en demeure ?

vendredi 14 septembre 2007

La relaxe de Georges Frêche

Le pétulant président de la région Septimanie Languedoc Roussillon a été relaxé hier par la cour d'appel de Montpellier, dans le cadre des poursuites dont il faisait l'objet pour injure à caractère racial, pour avoir traité les dirigeants d'une association de Harkis de « sous-hommes ». Il avait pourtant été condamné en première instance à une très lourde amende de 15.000 euros.

courd'appel de Montpellier, photo de l'auteur

Pour mémoire, les propos incriminés étaient exactement les suivants :

Vous [les deux représentants de l'association de Harkis] êtes allés avec les gaullistes (...) Ils ont massacré les vôtres en Algérie (...). Ils les ont égorgés comme des porcs. Vous faites partie de ces harkis qui ont vocation à être cocus jusqu'à la fin des temps (...). Vous êtes des sous-hommes, vous êtes sans honneur.

Les raisons de la relaxe, si Libération rapporte correctement les faits (et rien ne me permet de douter du contraire) prêtent à sourire, sauf les parties civiles, qui l'ont pris comme une gifle. Vous savez que le droit et la morale sont des choses distinctes. En voici une parfaite illustration, ainsi qu'une éblouissante démonstration des âneries que peut faire le législateur à voter tout et n'importe quoi plutôt que de faire des lois, des vraies.

Le texte qui incrimine les injures raciales est l'article 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cette loi est le texte essentiel et central en matière de délits de presse, c'est à dire des délits constitués par des propos tenus publiquement.

Cet article punit de peines pouvant aller jusqu'à 6 mois de prison et 22.500 euros d'amende

l'injure commise, dans les conditions prévues à l'alinéa précédent[c'est à dire sans être précédée de provocations], envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

Traiter quelqu'un de sous-homme, sans honneur, et ayant vocation à être cocu jusqu'à la fin des temps est injurieux, ça ne prête guère à discussion.

La question de droit qui se pose est : le terme Harki désigne-t-il une origine, une ethnie, une nation, une race ou une religion ? Si la réponse est négative, ce n'est pas une injure raciale mais une injure tout court, prévue par l'article 33 alinéa 1, punie seulement de 12.000 euros d'amende.

La distinction est ici tout sauf anodine. Les règles de procédures en matière de presse sont draconiennes, et elles imposent à la partie poursuivante, parquet ou particulier, de qualifier correctement les faits. Dire qu'une diffamation est une injure, ou qu'une injure est une injure raciale, et le tribunal ne pourra que relaxer : la requalification des faits lui est interdite, contrairement au droit pénal commun.

Les destinataires de ces propos fleuris voulant que soit reconnue l'injure à leur communauté plus qu'à leur personne ont opté pour la qualification d'injure raciale. Fatalitas.

Car un Harki ne désigne pas une ethnie, une nation, une race ou une religion. Le mot harki désigne le soldat qui appartient à une harka, une troupe indigène. Par extension, on désigne ainsi les Français d'origine algérienne qui ont servi dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie, et leurs descendants. Ils ne sont pas une nation, ils sont aussi Français que Georges Frêche, et si cela se jugeait au mérite, peut être le seraient-ils plus encore. Ils ne sont pas une religion : ils sont quasiment tous musulmans ordinaires. Ils ne sont pas une ethnie, ils sont arabes ou kabyles, comme les algériens d'aujourd'hui ; seul un choix politique les distingue.

L'erreur peut paraître grossière. Elle est pourtant bien pardonnable, car ils ne se sont pas trompés : ils ont été trompés. Et par nul autre que le législateur.

La présidence antérieure à l'actuelle a été marquée, quelle que soit la tendance politique au pouvoir, à la multiplication de lois mémorielles, proclamant de manière grandiloquente la reconnaissance de tel fait, la condamnation morale de tel autre, mais ces lois sont juridiquement approximatives, pour être gentil. Citons ainsi la loi n°2001-70 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 (vous pouvez la lire, ça ne prend pas trop de temps), la loi Taubira du 21 mai 2001, et la droite ne voulant pas être en reste à son retour aux affaires, la loi du 23 février 2005 et son célèbre article 4 parlant du rôle positif de la colonisation, texte abrogé à la va-vite par un décret, le gouvernement ayant demandé au Conseil constitutionnel de constater que ce texte relevait en fait du domaine du décret, pour pouvoir l'envoyer à la poubelle tel un vulgaire CPE.

Et c'est à nouveau cette extraordinaire loi du 23 février 2005 qui est à l'origine du pataquès d'aujourd'hui.

Car que dit cette loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ?

Rien, et c'est là le problème.

Détaillons.

L'article premier est ainsi rédigé (je graisse). Sortez vos mouchoirs.

La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française.

Elle reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements liés au processus d'indépendance de ces anciens départements et territoires et leur rend, ainsi qu'à leurs familles, solennellement hommage.

Les harkis sont bien concernés par la loi, ils sont désignés par le passage en gras.

L'article 2 est de la même veine : il les "associe" à l'hommage national prévu chaque 5 décembre aux anciens combattants des guerres de décolonisation.

L'article 3 crée une fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie.

L'article 4, modifié, est ainsi rédigé :

Les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite.

La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l'étranger est encouragée.

Réjouissons-nous : la colonisation n'aura pas la place qu'elle ne mérite pas, et la coopération culturelle n'est pas découragée.

Et voilà maintenant l'article 5, qui a scellé le sort des harkis et exonéré Georges Frêche.

Sont interdites :

- toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d'ancien membre des formations supplétives ou assimilés ;

- toute apologie des crimes commis contre les harkis et les membres des formations supplétives après les accords d'Evian.

L'Etat assure le respect de ce principe dans le cadre des lois en vigueur.

Voilà la base légale sur laquelle se sont appuyés les plaignants dans leurs poursuites contre Georges Frêche.

Oui, mais... Relisez bien le texte.

Vous avez remarqué ? L'injure est interdite. Mais sous peine de quelles sanctions ? Aucune. Cette loi ne crée nul délit. Elle proclame une interdiction.

On objectera que cette formulation renvoie à l'article 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881, tant elle lui ressemble. C'est le raisonnement qu'a fait le tribunal correctionnel de Montpellier, semble-t-il. Or, juridiquement, ça ne tient pas.

La loi pénale est d'interprétation stricte : c'est l'article 111-4 du code pénal, et un principe fondamental du droit. Seuls sont réprimés par l'article 33 les faits figurant à l'article 33. Ou alors, il fallait que le législateur précisât : « sont punies des peines prévues par l'article 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d'ancien membre des formations supplétives ou assimilés ».

Interdire quelque chose, en droit, ne veut pas dire grand'chose. Une règle doit prévoir sa sanction, sous peine d'être lettre morte. Le droit civil, comme l'est le droit des contrats, en fera aisément son affaire : tout contrat qui viole une interdiction légale est frappé de nullité : nul ne peut en exiger l'exécution, et ses effets doivent être anéantis. Car le code civil prévoit comme sanction générale d'une obligation illicite la nullité : c'est l'article 1131.

Mais le droit pénal ne supporte pas le bricolage. Tout ce qui n'est pas assorti de sanctions pénales ne peut fonder une condamnation. Une interdiction sans sanction n'est qu'une interdiction morale, et pas du droit.

Bref : la loi du 23 février 2005 n'a aucun effet juridique, sauf la création d'une fondation. C'est un pur texte démagogique, offert comme gage par la droite à un électorat fidèle, une déclaration grandiloquente qui caresse dans le sens du poil, et, comme l'ont découvert ces plaignants, n'est que du vent dès qu'on la présente à un juge.

Georges Frêche n'a donc pas de quoi pavaner avec cette relaxe (je ne doute pas un instant que ça ne l'empêchera pas de le faire). La cour ne lui donne nullement raison, sauf sur un point. Sur ce coup là, les harkis se sont fait cocufier par la République une fois de plus.

jeudi 22 mars 2007

Le jugement de l'affaire Charlie Hebdo

Tout beau, tout chaud, voici le texte quasi intégral du jugement rendu ce jour par la 17e chambre.

LE RAPPEL DES FAITS

Le 30 septembre 2005, le quotidien danois JYLLANDS-POSTEN a publié un article intitulé “Les visages de Mahomet “, accompagné de douze dessins.

Flemming ROSE, responsable des pages culturelles de ce journal, a expliqué avoir souhaité opposer une réaction éditoriale à ce qui lui était apparu relever d’une autocensure concernant l’islam à la suite de l’assassinat du cinéaste Théo VAN GOGH ; il a plus spécialement évoqué la difficulté pour l’écrivain danois Käre BLUITGEN de trouver un dessinateur acceptant d’illustrer un livre pour enfants consacré à la vie du prophète MAHOMET - un seul ayant consenti à le faire mais en conservant l’anonymat ; ce qui l’a conduit à s’adresser aux membres du syndicat danois des dessinateurs de presse en les invitant à dessiner MAHOMET tel qu’ils se le représentaient.

À la suite de cette diffusion initiale, plusieurs manifestations et autres publications ont eu lieu dans le monde. Ainsi, une première manifestation de protestation a rassemblé 3 000 personnes au Danemark le 14octobre 2005 ; un journal égyptien a ensuite publié certains de ces dessins sans réaction des autorités de ce pays. A la fin de l’année 2005 et au début de l’année 2006, des organisations islamiques ont dénoncé la diffusion des caricatures du prophète MAHOMET et de nombreuses manifestations violentes se sont déroulées, notamment au Pakistan, en Iran, en Indonésie, en Libye ou au Nigéria, au cours desquelles des manifestants ont brûlé le drapeau danois ou s’en sont pris aux représentations diplomatiques, certains d’entre eux ayant trouvé la mort à l’occasion de ces rassemblements de rues.

Il convient de relever, à cet égard, que plusieurs personnes ont mis en doute la spontanéité de certaines de ces manifestations, en faisant notamment valoir que des “imams autoproclamés” avaient délibérément ajouté aux douze dessins d’origine des représentations outrageantes du prophète, versées aux débats par la défense, qui le montraient avec une tête de cochon ou comme un pédophile.

Le 1er février 2006, le quotidien FRANCE SOIR a publié à son tour les caricatures danoises, ce qui a entraîné le licenciement de son directeur de la publication, Jacques LEFRANC.

Par assignations en référé à heure indiquée en date du 7 février 2006, cinq associations, dont les deux parties civiles à présent poursuivantes, ont notamment demandé au président du tribunal de grande instance de Paris de faire interdiction à la société éditrice de CHARLIE HEBDO de mettre en vente l’hebdomadaire dont la parution était prévue pour le lendemain. Par ordonnance du 7 février 2006, ces assignations ont été déclarées nulles pour violation des prescriptions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 invoqué tant en défense que par le ministère public.

C’est dans ces circonstances que le mercredi 8 février 2006, le journal CHARLIE HEBDO a publié un “NUMERO SPECIAL” (n° 712) presqu’intégralement consacré aux “caricatures de MAHOMET A la une de ce numéro, sous le titre: “MAHOMET DEBORDE PAR LES INTEGRISTES”, figure un dessin de CABU montrant un homme barbu se tenant la tête dans les mains en disant: “C'est dur d’être aimé par des cons... ".

En pages 2 et 3 de cette publication, les douze caricatures parues au Danemark, de styles et de portées extrêmement différents, sont reproduites en petit format en haut et en bas d’un encadré, avec pour titre : "CACHEZ CES DESSINS QUE JE NE SAURAIS VOIR", sous lequel figurent, d’une part, un texte émanant de L’ASSOCIATION DU MANIFESTE DES LIBERTES (AML) intitulé “Pour la liberté d’expression ! ” et, d’autre part, un dessin de WOLINSKI qui présente un homme barbu hilare ayant en mains un document titré “CARICATURES”, avec cette légende : “Mahomet nous déclare c'est bien la premièrefois que les Danois me font rire !” . A droite, sur deux colonnes, “L'EDITO par Philippe Val intitulé : "Petit glossaire d’une semaine caricaturale", rassemble les réflexions du directeur de la publication de l’hebdomadaire sous diverses rubriques : Prophète Mahomet, Le droit à la représentation, Rappel historique, Troisième Guerre mondiale, La bombe dans le turban, Liberté d’expression, Amalgame, Tabou, Racisme, Victimes, Immobilité.

Les pages suivantes présentent, sur le même thème central, de nombreux autres dessins (notamment de TIGNOUS, CHARB, RISS, HONORE, LUZ, WOLINSKI, SINE) et articles (intitulés par exemple "2005, bon cru pour le blasphème", "Des points communs entre une pipe et un prophète", "Chasse Dieu à coups de pied, il revient enturbanné ", "Spinoza, reviens ! ").

Ainsi, en page 4 du journal, un article de Caroline FOUREST, sous le titre « TOUT CE FOIN POUR DOUZE DESSINS ! », est annoncé de la manière suivante : « Les journaux qui ont 'osé' publier les caricatures de Mahomet se voient menacés de représailles, tout comme les Etats ou leurs ressortissants considérés comme complices du blasphème. Face à cette déferlante de violence, Charlie tente d’analyser la polémique et ses conséquences. Histoire de montrer que la liberté d’expression doit être plus forte que l’intimidation ».

La journaliste y explique pourquoi, selon elle, Charlie, « comme d'autresjournaux français et européens, a décidé de publier ces dessins. Par solidarité. Pour montrer que l'Europe n'est pas un espace où le respect des religions prime sur la liberté d’expression. Parce que la provocation et l’irrévérence sont des armes pour faire reculer l'intimidation de l'esprit critique dont se nourrit l'obscurantisme ».

En France, plusieurs autres organes de la presse écrite ou audiovisuelle ont diffusé les dessins danois, dont le magazine L’EXPRESS.

Au Danemark, le procureur de VIBORG a pris la décision, confirmée par le procureur général, de ne pas engager de poursuites pénales à l’encontre du quotidien JYLLANDS-POSTEN. Sept associations locales ont alors saisi le tribunal d’AARHUS qui, le 26 octobre 2006, a rejeté les demandes formées à l’encontre de Carsten JUSTE, rédacteur en chef, et Flemining ROSE, responsable des pages culturelles du journal, en relevant notamment que si on ne pouvait « évidemment pas exclure » que trois des dessins - dont un est poursuivi dans le cadre de la présente procédure « aient été perçus comme calomnieux par certains musulmans », il n’était pas établi que « l'intention ayant conduit à leur publication ait été d’offenser les lecteurs ou d’exprimer des opinions de nature à discréditer (...) les musulmans aux yeux de leurs concitoyens ».

SUR CE, LE TRIBUNAL:

SUR LA PROCÉDURE: (...)

Mes lecteurs me pardonneront de sauter ce passage, qui répond à des moyens peu pertinents sur le déroulement de la procédure, qui seront tous écartés par le tribunal.

SUR L’ACTION PUBLIQUE:

Les parties civiles soutiennent principalement que malgré les nombreuses caricatures qui, selon elles, heurtent délibérément les musulmans dans leur foi, elles limitent les poursuites à trois d’entre elles, à savoir à celle de CABU publiée en couverture de l’hebdomadaire CHARLIE HEBDO et à deux des dessins danois reproduits en page 3. Ces trois dessins caractériseraient le délit d’injures publiques à l’égard d’un groupe de personnes, en l’occurrence les musulmans, à raison de leur religion, dès lors que la publication litigieuse s’inscrirait dans un plan mûrement réfléchi de provocation visant à heurter la communauté musulmane dans ses croyances les plus profondes, pour des raisons tenant à la fois à une islamophobie caractérisée et à des considérations purement commerciales.

Le prévenu fait, pour sa part, essentiellement valoir que l’illustration de couverture, propre à la tradition satirique du journal, ne vise que les intégristes musulmans, tandis que les deux autres caricatures, initialement publiées au Danemark, se sont trouvées au centre de l’actualité mondiale durant plusieurs semaines et ne visent qu’à dénoncer les mouvements terroristes commettant des attentats au nom du prophète MAHOMET et de l’islam, et non la communauté musulmane dans son ensemble. Philippe VAL soutient en outre qu’un nombre considérable de musulmans a défendu avec force la publication de ces caricatures, protestant contre l’instrumentalisation politique de ceux qui prétendaient parler en leur nom et réduire au silence tous ceux qui étaient davantage attachés à la liberté d’expression et à la laïcité qu’à un dogmatisme étroit.

- En droit:

Le tribunal va indiquer les règles de droit qui s'appliquent en l'espèce, et comment il les interprète.

Attendu que les présentes poursuites pénales sont fondées sur l’article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 qui définit l’injure comme “toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’ aucun fait”, et sur l’article 33, alinéa 3, de la même loi qui punit « de six mois d’emprisonnement et de 22 500 € d’amende l’injure commise (...) envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » ;

Qu’il convient de rappeler que les dessins sont visés par l’article 23 de la loi sur la liberté de la presse, au même titre que tous les supports de l’écrit, de la parole ou de l’image, et que l’intention de nuire est présumée en matière d’injures ;

Attendu que les règles servant de fondement aux présentes poursuites doivent être appliquées à la lumière du principe à valeur constitutionnelle et conventionnelle de la liberté, d’expression ;

Attendu que celle-ci vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes dans une société déterminée, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent, ainsi que l’exigent les principes de pluralisme et de tolérance qui s’imposent particulièrement à une époque caractérisée par la coexistence de nombreuses croyances et confessions au sein de la nation ;

Attendu que l’exercice de cette liberté fondamentale comporte, aux termes mêmes de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, des devoirs et des responsabilités et peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique et qui doivent être proportionnées au but légitime poursuivi; que le droit à une jouissance paisible de la liberté de religion fait également l’objet d’une consécration par les textes supranationaux ;

Attendu qu’en France, société laïque et pluraliste, le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions quelles qu’elles soient et avec celle de représenter des sujets ou objets de vénération religieuse ; que le blasphème qui outrage la divinité ou la religion, n’y est pas réprimé à la différence de l’injure, dès lors qu’elle constitue une attaque personnelle et directe dirigée contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse ;

Attendu qu’il résulte de ces considérations que des restrictions peuvent être apportées à la liberté d’expression si celle-ci se manifeste de façon gratuitement offensante pour autrui, sans contribuer à une quelconque forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain ;

J'aime beaucoup l'expression "favoriser le progrès dans les affaires du genre humain".

Les règles du jeu sont ainsi posées. Maintenant, le tribunal va les appliquer au cas qui lui est soumis.

- En fait:

Attendu qu'eu égard au droit applicable, il y a lieu d’examiner, pour chacun des trois dessins poursuivis, s’il revêt un caractère injurieux au sens de la loi sur la presse et quelles personnes il vise, puis de déterminer si le prononcé d’une sanction constituerait une restriction excessive à la liberté d’expression ou au contraire serait proportionné à un besoin social impérieux ; qu’il importe, pour ce faire, d’analyser tant les dessins eux-mêmes que le contexte dans lequel ils ont été publiés par le journal ;

Attendu que CHARLIE HEBDO est un journal satirique, contenant de nombreuses caricatures, que nul n’est obligé d’acheter ou de lire, à la différence d’autres supports tels que des affiches exposées sur la voie publique;

Attendu que toute caricature s’analyse en un portrait qui s’affranchit du bon goût pour remplir une fonction parodique, que ce soit sur le mode burlesque ou grotesque ; que l’exagération fonctionne alors à la manière du mot d’esprit qui permet de contourner la censure, d’utiliser l’ironie comme instrument de critique sociale et politique, en faisant appel au jugement et au débat ;

Attendu que le genre littéraire de la caricature, bien que délibérément provocant, participe à ce titre de là liberté d’expression et de communication des pensées et des opinions ; que, du fait de l’excès même de son contenu volontairement irrévérencieux, il doit être tenu compte de l’exagération et de la subjectivité inhérentes à ce mode d’expression pour analyser le sens et la portée des dessins litigieux, le droit à la critique et à l’humour n’étant cependant pas dépourvu de limites ;

Le tribunal examine ensuite chacune des trois caricatures.

Attendu que la première caricature publiée en couverture du journal est un dessin de CABU montrant un homme barbu, qui représente à l’évidence le prophète MAHOMET, se tenant la tête dans les mains, en disant “C’est dur d’être aimé par des cons...” ;

Attendu cependant que ce dernier terme, s’il constitue bien une expression outrageante, ne vise que, les “intégristes” expressément désignés dans le titre :

“MAHOMET DEBORDE PAR LES INTEGRISTES” ;

Attendu que c’est à tort que les parties civiles poursuivantes prétendent que ce dernier mot ferait seulement référence à un degré plus ou moins élevé de respect des dogmes, renvoyant à l’obscurantisme supposé des nombreux musulmans blessés par la publication renouvelée des caricatures danoises ; qu’en effet, les intégristes ne peuvent se confondre avec l’ensemble des musulmans, la Une de l’hebdomadaire ne se comprenant que si ce terme désigne les plus fondamentalistes d'entre eux qui, par leur extrémisme, amènent le prophète au désespoir en constatant le dévoiement de son message ;

Attendu que ce dessin ne saurait, dans ces conditions, être considéré comme répréhensible au regard de la prévention ;

Prévenu : 1 ; Parties civiles : 0.

Attendu que les deux autres caricatures poursuivies font partie de celles initialement, publiées par le journal danois JYLLANDS-POSTEN et reproduites en pages 2 et 3 de CHARLIE HEBDO ;

Que l’une est censée représenter le prophète MAHOMET accueillant des terroristes sur un nuage et s’exprimant dans les termes suivants : « Stop stop we ran out of virgins! », ce qui, d’après les parties civiles, peut être traduit par: « Arrêtez, arrêtez, nous n'avons plus de vierges » et se réfère au Coran selon lequel celui qui accomplit certains actes de foi sera promis, au paradis, à la compagnie de jeunes femmes vierges ;

Attendu que ce dessin évoque clairement les attentats-suicides perpétrés par certains musulmans et montre le prophète leur demandant d’y mettre fin ; que, néanmoins, il n’assimile pas islam et commission d’actes de terrorisme et ne vise donc pas davantage que le précédent l’ensemble des musulmans en raison de leur religion ;

Prévenu : 2 ; Parties civiles : 0.

Attendu que le dernier dessin incriminé montre le visage d’un homme barbu, à l’air sévère, coiffé d'un turban en forme de de bombe à la mèche allumée, sur lequel est inscrite en arabe la profession de foi de l’islam : « Allah est grand, Mahomet est son prophète » ; qu’il apparaît d’une facture très différente et beaucoup plus sombre que les onze autres caricatures danoises, elles-mêmes pourtant très diversifiées tant dans leur style qu’en ce qui concerne le sujet précisément traité ; qu’il ne porte nullement à rire ou à sourire mais inspire plutôt l’inquiétude et la peur ;

Attendu que, dans l’éditorial jouxtant ce dessin, Philippe VAL a notamment écrit :

« Quant au dessin représentant Mahomet avec une bombe dans le turban, il est suffisamment faible pour être interprété n'importe comment par n'importe qui, et le crime est dans l’oeil de celui qui regarde le dessin. Ce qu'il représente, ce n'est pas l’islam, mais la vision de l’islam et du prophète que s'en font les groupes terroristes musulmans » ;

Que le prévenu a maintenu à l’audience que ce dessin n’était, à ses yeux, que la dénonciation de la récupération de l’islam par des terroristes et qu’il ne se moquait que des extrémistes ;

Attendu que cette interprétation réductrice ne saurait être retenue en l’espèce ;

Attendu qu’en effet, dans son article publié en page 4 du même numéro de CHARLIE HEBDO, Caroline FOUREST admet volontiers que, parmi les dessinateurs danois, « ""un seul fait le lien entre le terrorisme et Mahomet, dont se revendiquent bel et bien des poseurs de bombes..."" » et que « ""ce dessin-là soulève particulièrement l’émoi"" »;

Attendu que l’un des témoins de la défense entendus par le tribunal, Abdelwabab MEDDEB, écrivain et universitaire, a insisté sur le caractère problématique de cette caricature en lien avec une longue tradition islamophobe montrant le prophète "belliqueux et concupiscent" ; qu’il a en outre déclaré que ce dessin pouvait être outrageant et constituer une manifestation d’islamophobie, dès lors que son interprétation est univoque en ce qu’il réduit un personnage multidimensionnel à un seul aspect ;

Qu’un autre témoin, Antoine SFEIR, politologue et rédacteur en chef des Cahiers de l’Orient, s’est dit ému à la vision de ce dessin, comprenant que l’on puisse en être choqué ;

Voilà l'explication tant attendue par des commentateurs sur pourquoi ce dessin est quant à lui susceptible de constituer une injure.

Attendu que la représentation d’une bombe formant le turban même du prophète symbolise manifestement la violence terroriste dans nos sociétés contemporaines; que l’inscription de la profession de foi musulmane sur la bombe, dont la mèche est allumée et prête à exploser, laisse clairement entendre que cette violence terroriste serait inhérente à la religion musulmane ;

But des parties civiles.

Ha, mais le juge de touche a levé son drapeau ?

Attendu que si, que par sa portée, ce dessin apparaît, en soi et pris isolément, de nature à outrager l’ensemble des adeptes de cette foi et à les atteindre dans leur considération en raison de leur obédience, en ce qu’il les assimile - sans distinction ni nuance - à des fidèles d’un enseignement de la teneur, il ne saurait être apprécié, au regard de la loi pénale, indépendamment du contexte de sa publication ;

Qu’il convient, en effet, de le considérer dans ce cadre factuel, en tenant compte des manifestations violentes et de la polémique suscitées à l’époque, mais aussi de sa place dans le journal ;

Ha, on demande l'arbitrage vidéo.

Attendu que, relativement à la publication des caricatures de Mahomet, CHARLIE HEBDO ne s’est pas prévalu d’un objectif d’information du public sur un sujet d’actualité, mais a clairement revendiqué un acte de résistance à l’intimidation et de solidarité envers les journalistes menacés ou sanctionnés, en prônant « la provocation et l'irrévérence » et en se proposant ainsi de tester les limites de la liberte d’expression, que cette situation rend CHARLIE HEBDO peu suspect d' avoir, comme le prétendent les parties civiles, été déterminé à publier ces caricatures dans une perspective mercantile au motif qu’il s’agissait d’un numéro spécial ayant fait l’objet d’un tirage plus important et d’une durée de publication plus longue qu’à l’ordinaire ;

Attendu que la représentation du prophète avec un turban en forme de bombe à la mèche allumée a été reproduite en très petit format parmi les onze autres caricatures danoises, au sein d’une double page où figuraient également, outre l’éditorial de Philippe VAL, un texte en faveur de la liberté d’expression adressé à CHARLIE HEBDO par l’ASSOCIATION DU MANIFESTE DES LIBERTES (AML) rassemblant « des hommes et des femmes de culture musulmane qui portent des valeurs de laïcité et de partage », ainsi qu’un dessin de WOLINSKI montrant MAHOMET hilare à la vue des caricatures danoises ;

Attendu, surtout, que le dessin en cause, qui n’est que la reproduction d’une caricature publiée par un journal danois, est inclus dans un numéro spécial dont la couverture éditorialise l’ensemble du contenu et sert de présentation générale a la position de CHARLIE HEBDO, qu’en une telle occurrence il ne peut qu’être regardé comme participant à la réflexion dans le cadre d’un débat d'idées sur les dérives de certains tenants d’un islam intégriste ayant donne lieu a des débordements violents ;

Attendu qu’ainsi, en dépit du caractère choquant, voire blessant, de cette caricature pour la sensibilité des musulmans, le contexte et les circonstances de sa publication dans le journal CHARLIE HEBDO apparaissent exclusifs de toute volonté délibérée d’offenser directement et gratuitement l’ensemble des musulmans, que les limites admissibles de la liberté d’expression n’ont donc pas été dépassées, le dessin litigieux participant du débat public d'intérêt général né au sujet des dérives des musulmans qui commettent des agissements criminels en se revendiquant de cette religion et en prétendant qu’elle pourrait régir la sphère politique ;

Que le dernier dessin critiqué ne constitue dès lors pas une injure justifiant, dans une société démocratique une limitation du libre exercice du droit d'expression ;

Et le but est finalement refusé pour hors jeu.

La conclusion est donc la relaxe, et le débouté des parties civiles de l'ensemble de leurs demandes.

Parties civiles dont voici la liste exacte, hormis le nom des particuliers :

Association DÉFENSE DES CITOYENS ;
SOCIÉTÉ DES HABOUS ET DES LIEUX SAINTS DE L’ISLAM (la Mosquée de Paris) ;
UNION DES ORGANISATIONS ISLAMIQUES DE FRANCE (UOIF) ;
LA LIGUE ISLAMIQUE MONDIALE ;
ASSOCIATION PROMOTION SÉCURITÉ NATIONALE (APSN) ;
Association Politique HALTE A LA CENSURE, LA CORRUPTION, LE DESPOTISME, L’ARBITRAIRE.

Vous noterez parfois un curieux décalage entre l'intitulé de l'organisation et le sens de la démarche.

L'audience est levée.

mardi 8 novembre 2005

La banlieue dans le prétoire

Audience de comparution immédiate d'un tribunal correctionnel de la périphérie parisienne. L'audience du jour est très chargée, et l'audience de comparution immédiate a été doublée : deux chambres siègent simultanément. Au menu du jour : destructions volontaires de bien privé par incendie (ça alors...)

L'ambiance est électrique : famille et amis des divers prévenus sont là pour les soutenir, la présence policière est renforcée.

Cinq prévenus arrivent menottés, rapidement interpellés par des amis dans la salle "Ho, Manu !" ; "Courage mon frère !"...

Le tribunal menace de faire évacuer la salle, ce qui ramène péniblement l'ordre. L'huissier est collé au bureau du procureur, très mal à l'aise. Le tribunal constate l'identité des prévenus, rappelle la prévention retenue (qui leur fait encourir 10 années d'emprisonnement) et demandent s'ils acceptent d'être jugés tout de suite.

Leurs avocats leur ont dit d'accepter, puisqu'en cas de refus, le tribunal statuerait sur leur éventuelle détention d'ici le procès sur le fond, et que vu les circonstances actuelles (le code de procédure pénale dit "trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public"), la détention serait certaine : il n'y a rien à perdre à plaider tout de suite.

Les cinq prévenus, dont quatre travaillent, le cinquième, à peine majeur, étant encore scolarisé, étaient réunis vendredi soir dans un terrain vague de la commune où ils ont l'habitude de se réunir pour boire de la bière, écouter du rap à fond sur un autoradio et faire des démarrage en trombe sur leur scooter. Un voisin, lassé du bruit, a appelé la police, à l'arrivée de celle-ci, les jeunes étaient partis, mais une fourgonnette brûlait non loin. Grâce au signalement des véhicules, les prévenus ont été rapidement appréhendés par la BAC qui n'a pas hésité à faire chuter le prévenu en scooter pour l'arrêter.

L'enquête a été bâclée, c'est le moins qu'on puisse dire, et les avocats de la défense ne se privent pas de relever les faiblesses de l'enquête : personne n'a vu qui a bouté le feu à la fourgonnette, ni qui a éteint l'incendie, le véhicule n'étant qu'à moitié calciné : les constatations sur place tiennent sur une demi page. Ça sent les services de police débordés.

Les versions des cinq prévenus, recueillies isolément, concordent parfaitement sur leur emploi du temps de la soirée, où ils sont allés après leur réunion sur le terrain vague, qui ils ont vu, etc. L'un d'entre eux, celui au scooter, a un casier judiciaire, quatre mois avec sursis pour violences volontaires. Il essaye maladroitement d'en tirer un argument : « Avec ces quatre mois au dessus de la tête, la dernière chose que j'ai envie, c'est de chercher les ennuis ! ». Il explique qu'il a tenté d'échapper à la police parce que son phare avant ne marchait pas (les PV relèvent en effet qu'il roulait sans lumière avant). Pour le procureur, l'argument n'est pas pertinent : « Ce tribunal voit assez de délinquants réitérants pour savoir qu'un sursis n'est pas suffisant pour arrêter un délinquant ; quand en plus il y a l'émulation du groupe et une volonté de compétition par médias interposés... Quant au phare avant, pour ça, on risque une peine d'amende ; en ne s'arrêtant pas, c'est un refus d'obtempérer, et on risque la prison ! Si vraiment c'est que vous redoutez par dessus tout, faites en sorte de ne pas avoir un comportement qui vous y expose ! ».

Il demande huit mois ferme pour tout le monde, avec mandat de dépôt, et révocation du sursis pour le jeune homme au scooter. Les avocats demandent en cœur la relaxe, la preuve de la culpabilité des prévenus dans l'incendie n'étant absolument pas rapportée.

Le tribunal se retire pour délibérer. Dans la salle des pas perdus, l'ambiance est lourde, des policiers en tenue anti-émeute sont arrivés en renfort.

Après trois quart d'heure, le tribunal revient.

Les prévenus sont tous déclarés coupables, et se prennent trois mois ferme, quatre pour le jeune homme au scooter, mais sans révocation du sursis, mandat de dépôt pour tout le monde.

Et là, c'est l'explosion.

« Enculés ! C'est ça la justice ? Fils de pute ! Va niquer ta mère ! » fusent de la salle. Deux des prévenus fondent en larme. Les familles et amis se lèvent et avancent ver le tribunal, qui doit battre en retraite précipitamment. Les avocats s'interposent et tentent de ramener le calme (et vu l'âge de certaines, et le gabarit d'autres, il faut leur rendre hommage. La police fait évacuer le tribunal, les injures volent, on est à deux doigt de l'explosion de violence, mais le sang froid des policiers permet d'éviter l'étincelle. Les avocats discutent longuement avec les familles des prévenus sur les marches du palais.

En fait, l'explosion de colère vient du fait que des amis des prévenus ont vu le procureur discuter avec les juges, avant qu'ils ne viennent rendre leur délibéré. C'est fréquent, rappelons que juges et procureurs sont collègues, ils font partie du même corps de fonctionnaires et que leurs bureaux sont dans les même locaux. Je suis prêt à parier que le procureur n'a pas abordé avec les juges les faits examinés parle tribunal, il est de plus presque certain que le tribunal avait déjà délibéré, avait signalé au procureur par téléphone que les décisions allaient être rendues (la présence du procureur est indispensable au prononcé des jugements), et qu'ils échangeaient quelques amabilités et des commentaires anodins sur l'audience. C'est ce qui arrive tous les jours. Cela nous déplaît fortement : nous sommes partie au procès au même titre que le procureur, et nous verrions envoyer sur les roses si nousallions deviser avec le tribunal dans les couloirs. L'égalité des armes suppose une égalité de traitement (Pour ma part, je préconisue que les procureurs se voient envoyer sur les roses, le temps des magistrats est précieux). Mais ce n'est pas une pression exercée par le parquet sur le tribunal.

Il demeure que la femme de César ne doit pas être soupçonnée. Donner une apparence de connivence et de volonté d'influencer, un jour pareil, avec une ambiance aussi électrique, c'est une terrible maladresse.

Les esprits mettent du temps à se calmer, mais finalement, la foule se disperse. Jamais ce tribunal n'a autant ressemblé à une forteresse assiégée.

En m'éloignant du palais, j'aperçois une de mes jeunes consœurs dans sa voiture, stationnée.

Elle a la tête appuyée contre le volant. Elle est secouée de violents sanglots.

Elle défendait le jeune homme au scooter.

jeudi 27 octobre 2005

Affaire Dieudonné - Fogiel : le jugement

Merci à Cédric de m'avoir signalé la publication in extenso du jugement du tribunal correctionnel de Montpellier dans l'affaire opposant l'humoriste Dieudonné à, entre autres, l'animateur Marc-Olivier Fogiel sur le site Juritel.

Voici les motifs par lesquels le tribunal a décidé que les propos constituaient bien une injure raciale (je grasse) :

Le 1er décembre 2003, Monsieur M. a été invité à l’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde », animée par Monsieur Marc-Olivier F. et produite par la Société PAF PRODUCTION, dont ce dernier est le représentant légal, diffusée en direct sur la chaîne de télévision France 3.

Le principe de cette émission consiste en une série d’interviews de personnalités ayant trait à l’actualité, qui sont accompagnés de réactions des téléspectateurs exprimées par voies de messages SMS, diffusés en bandeau sur l’écran.

Au cours de cette émission intitulée « Spéciale Comiques », Monsieur Dieudonné M. a effectué un sketch dans lequel il a caricaturé un juif fondamentaliste extrémiste.

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mardi 11 octobre 2005

Dieudonné et al. vs Fogiel et al

L'affaire Dieudonné a rebondi récemment et son caractère ultra-médiatisé a estompé son aspect purement juridique.

C'est à celui-ci et à celui-ci seulement que je l'intéresserai, puisque les mésaventures judiciaires de nos deux comiques sont tout à fait transposables aux blogs.

J'avertis d'ores et déjà les ogres trolls que Google pourrait amener ici que tout message visant à invectiver l'un des deux protagonistes sera implacablement effacé. Ici on parle droit, c'est pas le café du commerce.

Les faits sont simples. L'émission "On ne peut pas plaire à tout le monde", qui n'a jamais mieux porté son nom qu'à cette occasion, du 1er décembre 2003, l'humoriste Dieudonné a fait un sketch dans lequel il était vétu d'un treillis, portait une cagoule, symbole des terroristes, un fedora, le chapeau porté par les juifs religieux, d'où sortaient des peyos, ce qui combiné avec le fedora montrait clairement qu'il incarnait un juif ultra-orthodoxe. Lors de ce sketch, ce personnage invitait les jeunes des cités à rejoindre "L'axe du bien, l'axe américano-sioniste, BUSH-SHARON" et terminait son discours par le salut fasciste ponctué du calembour suivant "Isra-heil".

Le MRAP a porté plainte peu après, et le parquet a ouvert une enquête préliminaire pour diffamation raciale.

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vendredi 30 septembre 2005

« C'est de la procédure, ne cherchez pas à comprendre »

Où votre serviteur devient un athlète grâce aux régles d'application dans le temps des lois de procédure.

Audience d'une juridiction de proximité de banlieue. J'attends pour assister un prévenu. Le tribunal de police siège également le même jour dans la même salle, puisqu'il n'y en a qu'une. Il siège en premier, présidé par un juge d'instance, magistrat professionnel.

Les juges de proximité, institués par la loi n°2002-1138 du 9 septembre 2002, se sont vus attribuer compétence pour juger certaines contraventions des 4 premières classes (amendes faisant encourir un maximum de 38 euros, 150 euros, 450 euros, et 750 euros, respectivement). Le juge de police, qui autrefois jugeait toutes les contraventions, reste compétent pour toutes les contraventions de la 5e classe, passibles d'amendes jusqu'à 1500 euros, 3000 euros en cas de récidive.

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jeudi 14 juillet 2005

Blogueur et responsabilité, cas pratique

Merci à Roa Datif qui me signale une décision de la 17e chambre (formation civile) du tribunal de grande instance de Paris, publiée sur Légalis.net, statuant sur une affaire de diffamation, injure et dénigrement sur internet, pas par un blog mais sur un newsgroup, ce qui importe peu, la loi étant exactement la même dans les deux cas.

Voici cette décision commentée par mes soins, qui servira d'exemple pratique après mon exposé Blogueurs et Responsabilité, billet de référence d'ores et déjà enseigné à Harvard et Yale.

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samedi 2 avril 2005

Entendu à l'Assemblée nationale

EDIT : le message ci-dessous est mon mini poisson d'avril, un tétard d'avril plutôt.

Les propos que je cite, et je m'en excuse auprès de Monsieur le député Marsaudon, sont totalement sortis de leur contexte. Monsieur Marsaudon ne fustigeait que les dérives de certains blogs, notamment des skyblogs, qui recèlent de véritables appels à la haine et à la violence. On y voit des photos de voyous posant avec des armes à feu, des fourgons de police en train de brûler, des jeunes filles s'exhibant dans le plus simple appareil. Les commentaires joints par les auteurs ou ajoutés par les visiteurs internautes sont du même acabit : menaces et injures à l'égard des policiers ou des bandes rivales, propos orduriers, racistes, antisémites, sexistes, etc. Ces messages se propagent à très grande vitesse. Une radio en revendique plus de 60 000 par jour, plus de 50 millions au total. Les appels à la haine et à la violence sont immédiatement diffusés et relayés par ce biais au sein des cités où les plus jeunes deviennent les victimes consentantes de cet engrenage. Quelle fierté pour eux d'apparaître en photo en train de taguer un mur ou de brandir une arme ! Suivait immédiatement la phrase que je citais.

La réponse du ministre est une petite synthèse du droit de la responsabilité via les blogs, qui est un thème que j'aborderai prochainement. Elle est à lire.

C'était pour moi une façon de rappeler qu'il faut toujours vérifier les faits, plutôt que de démarrer au quart de tour. Bravo aux quelques commentateurs qui sont semble-t-il tous allés voir de quoi il retournait.

Enfin, la conclusion sur la constitution européenne est un pied de nez à ceux qui récupèrent des directives au nom imprononçables ou le débat sur la brevetabilité des logiciels (j'y reviendrai aussi) pour promouvoir leur position contre la constitution. Ma position favorable n'a pas changé et ne va que se renforçant.

Je profite du fait que minuit est passé pour souhaiter un bon anniversaire à Versac qui fête aujourd'hui son 6e lustre, et dont le poisson d'avril, auquel je n'ai pas cru une seconde, m'a vraiment fait peur.

Parfois, les pages questions au gouvernement du Journal officiel contiennent des morceaux de littérature édifiants.

Témoins ces quelques lignes tirées d'une question (n°52236) posée le 30 novembre 2004 par Monsieur Jean Marsaudon, député UMP de l'Essonne, au ministre de l'intérieur, qui porte sur les blogs :

"La multiplication de ces blogs totalement incontrôlés est une insulte permanente aux valeurs républicaines et une menace sérieuse pour la sécurité publique. Il lui demande donc de bien vouloir faire connaître les dispositions qu'il entend prendre pour réguler et maîtriser au plus vite ce phénomène inquiétant."

Moi, quand je lis ça, ça me donne envie de voter non à la Constitution européenne...

lundi 14 février 2005

Politiquement correctionnel

Audience devant la chambre des appels correctionnels.

Le prévenu a fait appel de sa condamnation par le tribunal correctionnel. Il est accusé (et vous verrez que j'emploie ce terme qui a un sens technique précis à dessein) d'avoir fait irruption dans une agence bancaire, et de s'être fait remettre des fonds sous la menace d'un pistolet.

Le butin est plutôt modeste (de l'ordre de 6000 euros) mais une circonstance des faits est particulièrement révulsante : une des clientes présentes était une femme enceinte de sept mois et le braqueur, pour faire pression sur le personnel, a posé le canon de son arme sur le ventre de celle ci, menaçant de tirer sur le foetus.

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jeudi 6 janvier 2005

Tentative de manipulation ?

C'est le moment de mon quart d'heure de paranoia, mais j'ai appris à ne pas croire aux coïncidences extraordinaires.

Sous le billet précédent, compte rendu d'audience, trois commentaires ont retenu mon attention. Anodins en apparence, ils ont immédiatement éveillé ma méfiance.

Voici les commentaires en question.

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dimanche 25 avril 2004

Droit et homosexualité - 2e partie

Sur le fond de cet appel, la méthode me choque et me paraît indigne.

En exorde, l’appel invoque le nom de Sébastien Nouchet. Après un rapide appel à une législation sanctionnant les injures, les appels à la haine et à la discrimination (législation qui existe depuis plus de dix ans, ce que les signataires semblent ignorer), l’appel aboutit à une revendication, au nom de « l’égalité des droits », du mariage homosexuel, de l’adoption et de l’accès à la procréation médicalement assistée.

Même avec la meilleure volonté, je ne vois pas en quoi, si Sébastien Nouchet avait été marié avec son compagnon et avait adopté un enfant, cela l’aurait mis à l’abri de cette agression.

Invoquer un tel drame qui ne peut qu’éveiller compassion et sympathie, pour deux paragraphes plus bas avancer ses pions et afficher des revendications n’ayant aucun rapport si ce n’est l’orientation sexuelle de la victime, cela me semble tout simplement abject.

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