Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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juin 2007

mercredi 27 juin 2007

Passage à vide

Chose promise, chose due. Le délibéré de mon code bleu est tombé aujourd'hui, et ce n'est pas bon pour mon client.

Pas le temps de me lamenter sur mon sort, il faut réconforter son épouse en larmes, lui donner la force d'expliquer à ses enfants, l'aider à faire face aux conséquences désastreuses de cette décision pour cette famille (ils vont devoir quitter leur logement), calculer la date de sortie de prison, préparer la demande de liberté conditionnelle, gérer le licenciement à venir, l'indemnisation (considérable) de la victime.

Ce soir, je vais pouvoir enfin m'en prendre à moi même, qui n'ai pas été fichu de faire comprendre aux juges le désastre qu'une telle décision entraînerait (et pourtant, ils m'ont écouté, ou ont très bien fait semblant), qui, après avoir réussi pendant deux ans à empêcher ce dossier de basculer dans le malheur, ai été impuissant lors qu'il a chu dans l'abîme. Et jusqu'à ce que ce client sorte de prison, j'aurai ce poids sur l'estomac, ce voile sur le ciel qui assombrit le jour, raccourcit les nuits et gâche un peu les moments de joie. Il n'y a que le rire de ma fille qui échappe à cette emprise, heureusement.

Ha, zut. Je n'ai jamais été bon perdant.

Vous, les étudiants en droit qui rêvez au barreau et d'y faire du pénal : il y a des moments comme ça ; sachez-le, préparez-vous, ou faites autre chose si vous n'avez pas les épaules solides.

Je risque d'avoir un passage à vide ces prochains jours, pardonnez mon silence. « Quand Eolas blessé, Eolas se cacher dans caverne pour lécher plaies », dit un proverbe sioux.


NB : Après relecture, une précision : mon client était coupable, ça n'était même pas discuté. Les juges ont statué conformément à la loi, je leur donne quitus, ils sont irréprochables. Mais il y a malgré tout des peines que je n'arrive pas à comprendre. D'où : caverne.

mardi 26 juin 2007

Essayons de comprendre

J'ai été surpris de voir au zapping d'une célèbre chaîne cryptée un de mes confrères marseillais, ayant pourtant un certain passif au pénal, exposer face aux caméras de télévision son impuissance à expliquer à ses clients la décision du juge des libertés et de la détention de Marseille de placer sous contrôle judiciaire le policier qui conduisait le véhicule qui a tué un garçon de 14 ans qui traversait sur un passage piéton. Il est vrai qu'il n'était pas présent lors du débat contradictoire qui se tient à huis clos, hors la présence de l'avocat des parties civiles.

Ayant un peu moins d'années de métier que lui, et étant d'une confraternité qui a fait ma réputation jusqu'au tribunal d'instance de Gonesse, je me propose de le lui expliquer, et en même temps à vous, chers lecteurs, avant que des mauvais esprits ne vous soufflent que seule la profession du mis en examen explique une telle décision. Elle a joué, sans nul doute, mais elle seule n'explique pas tout.

A titre préalable, je vous propose une piqûre de rappel : j'avais proposé fut un temps un petit jeu de rôle vous permettant de vous glisser dans la peau d'un juge des libertés et de la détention (JLD), et la solution réelle donnée à ces cas se trouve ici. Ces billets vous apprendront tout ce que vous avez à savoir sur une audience de JLD.

Maintenant, essayons de nous mettre à la place de ce juge.

L'affaire est grave : un adolescent de 14 ans est mort. Le procureur de la république a ouvert une information judiciaire, confiée au cabinet de votre collègue le juge Machin, qui vient de mettre le policier en examen. C'est d'ailleurs le juge Machin qui vous demande d'envisager le placement en détention du policier, car il estime, comme le procureur qui a pris des réquisitions en ce sens, que le contrôle judiciaire est insuffisant. D'ailleurs, le parquet est présent dans votre bureau pour vous le rappeler et vous demander le placement sous mandat de dépôt.

Le JLD a lu le dossier ; pas nous. Nous en savons ce que la presse a pu révéler : le véhicule roulait fort vite, largement au dessus de la vitesse autorisée en ville. Il se rendait sur un lieu d'intervention, mais l'enquête de police a révélé que cette intervention ne revêtait aucune forme d'urgence qui pouvait justifier que le véhicule s'affranchisse des règles normales de conduite. La victime traversait sur un passage piéton. Le feu gardant le passage était-il rouge ou vert ? Les témoignages divergent sur ce point. Le conducteur a-t-il fait usage de sa sirène pour signaler son arrivée ? Là aussi, les témoignages divergent.

Le JLD a devant lui le mis en examen, il peut l'interroger, il l'entend parler des faits ; pas nous. Nous ne pouvons donc nous reposer là dessus. Tout ce que nous savons est qu'il a 22 ans, est policier stagiaire, c'est à dire en fin de phase de formation. On peut aisément en déduire qu'il n'a aucun casier ni même de signalement négatif au STIC.

Rappelons ici la règle :

La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que si elle constitue l'unique moyen :
1º De conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes et leur famille, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices ;
2º De protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement ;
3º De mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé.

« L'unique moyen » : s'il y a un autre moyen, il ne faut pas décerner mandat de dépôt.

Alors, voyons. Peut-on craindre que ce jeune homme aille maquiller les preuves ? Non, les constatations ont déjà été faites sur place, cette affaire étant considérée comme prioritaire. Qu'il fasse pression sur les témoins ? Un policier stagiaire de 22 ans ? Alors que les témoins ont déjà été entendus pendant la garde à vue ? Ca peut paraître douteux, non ?

Pression sur la victime, sans commentaire, hélas. Concertation frauduleuse avec ses complices ? Il était seul au volant, il est seul responsable.

Protéger la personne mise en examen ? Quelle que soit la douleur de la famille de la victime, ce serait lui faire injure que de soupçonner qu'elle pourrait exercer des représailles. Tout indique que c'est une famille sans histoire et honnête.

Garantir son maintien à disposition de la justice ? Peut-on sérieusement redouter que ce jeune homme prenne la fuite à l'étranger pour échapper aux conséquences de son acte ? Mettre fin à l'infraction ? Trop tard, hélas. Prévenir son renouvellement ? Là encore, qui peut croire qu'il va recommencer à conduire imprudemment en ville après ce qui s'est passé ?

Reste le dernier argument, et je parie que c'est autour de celui-ci que le débat a été le plus animé : mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé. Là, on est en plein dedans. Il y a un trouble à l'ordre public, car il y a eu mort d'homme, à cause de l'imprudence d'un policier, dépositaire de l'autorité publique ; ce fait divers a attiré l'attention des médias nationaux, et l'émotion publique est forte. Il est même possible que la décision de requérir un mandat de dépôt vienne du chef du parquet en personne, j'ai nommé Madame Rachida Dati, Garde des Sceaux. La détention provisoire est-elle le seul moyen de mettre fin à ce trouble ? Oui ! a dû s'exclamer le procureur, pensant aux caméras et micros qui l'attendent et à la famille de la victime. Non ! a dû clamer l'avocat de la défense : outre les obligations pouvant assortir le contrôle judiciaire, il y a en plus les mesures administratives qui ont été prises : le policier est mis à pied, et se verra probablement interdire l'accès aux fonctions de policier. Il ne ressortira pas comme si de rien n'était reprendre le volant d'une voiture de police. Le trouble public aura donc pris fin, conclura l'avocat de la défense.

Vous voyez, il n'y a pas de solution évidente. Le mandat de dépôt ou le contrôle judiciaire étaient deux solutions envisageables. Que la liberté l'emporte dans ce cas est tout à fait normal.

Mais surtout, il y a un ultime argument, qui a dû je pense être soulevé par l'avocat de la défense et qui était de nature à faire basculer définitivement l'esprit du juge en faveur de la liberté.

C'est qu'une loi du 5 mars 2007, tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale, entre en vigueur le 1er juillet, c'est à dire dimanche prochain, qui modifie ce fameux 3° de l'article 144 du code de procédure pénale. Dimanche à zéro heure, ce texte deviendra le suivant :

La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de (...) Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé. Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l'affaire. Toutefois, le présent alinéa n'est pas applicable en matière correctionnelle.

A partir de dimanche, la loi ne permet plus de placer quelqu'un en détention provisoire à cause du trouble à l'ordre public, cet argument n'étant valable qu'en matière criminelle. Bref, si le JLD avait placé sous mandat de dépôt en raison du trouble à l'ordre public, qui est le seul motif qui pourrait être valablement retenu, la chambre de l'instruction saisie par la voie de l'appel n'aurait pas eu d'autre choix que de remettre ce policier en liberté, à cause de la disparition du fondement légal de l'emprisonnement.

Qu'un juge rechigne à prendre une décision privant un homme de sa liberté, décision qui six jours plus tard sera devenue illégale, est-ce vraiment incompréhensible ? Fallait-il emprisonner quand même ce jeune homme, en se disant "tant pis, légalement, c'est border line mais ça soulagera peut être la famille de la victime ?"

Il est loisible à chaque citoyen de commenter voire critiquer une décision de justice. Personne n'est obligé d'approuver le JLD de Marseille. Mais reconnaissons lui quand même à l'unanimité qu'il a très probablement bel et bien statué en droit, et n'a pas été aveuglé par la profession de l'auteur des faits.

lundi 25 juin 2007

La réforme de la carte judiciaire

Mes confrères de province, ceux de Metz en tête, manifestent leur mécontentement à l'annonce d'un projet de réforme de la carte judiciaire, dont les détails n'ont pas encore été révélés par le gouvernement. Cette affaire risquant d'entraîner pas mal de remue-ménage ces prochains mois, je vous propose de faire un petit point de la question.

Cette réforme n'est pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu : elle figurait au programme de Nicolas Sarkozy, que j'avais détaillé en son temps.

1. La carte judiciaire, qu'est ce que c'est ?

En un mot : c'est ça.

En plusieurs mots, il s'agit de l'organisation géographique de la justice : en gros, comment chaque parcelle du territoire est rattaché à un et un seul tribunal (en fait, il y a plusieurs types de tribunaux selon les affaires, mais chaque parcelle de territoire est rattaché à un et un seul tribunal de chaque type : il n'y a aucun chevauchement).

la carte judiciaire est différente de la carte administrative, qui divise la France en régions, département, arrondissements, cantons et communes. La France a ainsi 26 régions et 100 départements, tandis qu'elle a 35 cours d'appel et 191 tribunaux de grande instance. La différence n'est pas totale, car elle repose sur les communes (aucune commune n'est divisée entre deux tribunaux de grande instance) et fait en sorte de suivre les limites des départements. Notons au passage qu'il existe une deuxième carte judiciaire, celle des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, mais elle n'est pas concernée par la réforme, et je ne devrais même pas utiliser le terme de "judiciaire" s'agissant des tribunaux de l'ordre administratif, car il s'agit de deux ordres totalement séparés, avec leurs propres juges, leurs propres procédures, et leur propre cour suprême (cour de cassation pour le judiciaire, Conseil d'Etat pour l'administratif). Ca fait partie des exceptions françaises. Je vous en reparlerai, c'est promis.

L'unité de base de la carte judiciaire est le tribunal de grande instance. C'est la juridiction de droit commun, c'est à dire qu'elle connaît de tous les procès, sauf ceux que la loi attribue à d'autres tribunaux spécialisés, qu'on appelle juridictions d'exception (ce qui n'a aucun sens péjoratif)[1]. Le tribunal correctionnel, qui juge les délits, est une des chambres du tribunal de grande instance. C'est auprès du tribunal de grande instance qu'est organisé le ministère public, sous les ordres d'un procureur de la République.

Mais un tribunal de grande instance n'en vaut pas un autre. Il y en a des petits et des grands. Certains tribunaux de grande instance n'ont qu'une, deux ou trois chambres (on les appelle des hors-classes), tandis que celui de Créteil en a 13, Bobigny en a 17, et Paris en a 31.

Certains départements ont un seul tribunal de grande instance (Les Yvelines, TGI de Versailles), d'autres, de taille similaire en ayant trois (la Seine et Marne, TGI de Melun, Meaux et Fontainebleau), le département le mieux fourni étant le Nord, avec sept tribunaux de grande instance (Lille, Dunkerque, Hazebrouck, Douai, Cambrai, Valenciennes et Avesnes sur Helpe).

2. Pourquoi la modifier ?

L'idée de départ est d'aligner les deux cartes, administratives et judiciaire. Un département = un tribunal de grande instance, une région = une cour d'appel. L'argument est triple : la simplicité, le vieillissement de la carte judiciaire, et l'efficacité par la concentration de moyens.

Les deux premiers laissent franchement dubitatifs.

Un seul tribunal de grande instance par département, c'est plus simple sur la carte, mais pour les justiciables et les auxiliaires de justice, je doute que ce soit plus simple de s'y rendre. Après tout, l'Etat lui-même a jugé utile d'ajouter une ou deux sous préfectures par département : c'est que l'unicité de la préfecture posait des problèmes.

Mais le vieillissement de la carte, là, l'argument est inopérant. La carte judiciaire date de 1958. Comme la Ve république, ferais-je remarquer, et comme la Vieille Dame, elle a été modifiée à de nombreuses reprises, notamment avec la créations des tribunaux de grande instance de Nanterre, Bobigny, Créteil au début des années 70, et de la cour d'appel de Versailles en 1975. Dire que cette carte date de 1958 est donc faux.

Mais surtout en quoi, au nom de l'obsolescence, faudrait-il aligner une carte dessinée en 1958 sur une carte dessinée... en 1790 ?

Reste l'argument de l'efficacité. Il s'agit pour le gouvernement de regrouper les tribunaux de grande instance pour en regrouper les moyens et diminuer, voire supprimer les tribunaux de grande instance hors classe (trois chambres ou moins) au profit de tribunaux plus gros. Idem avec des cours d'appel (on parle de celles de Grenoble, Nîmes, Agen et Pau, qui seraient supprimées pour être regroupées avec Lyon, Aix en Provence Montpellier, et Bordeaux pour les deux dernières) (Mise à jour : Bourges serait aussi menacée, et serait regroupée avec Orléans). Cela s'inscrit notamment dans la logique de la réforme votée en mars dernier qui prévoit en 2010 la collégialité de l'instruction, ce qui suppose un minimum de trois juges d'instruction par tribunal, or le principe est qu'un tribunal de grande instance a autant de juges d'instructions que de chambres. Les Tribunaux de grande instance à une ou deux chambres ne pourront pas instaurer un collège de l'instruction, et pour ceux à trois chambres, il suffira qu'un poste soit vacant pour risquer de paralyser l'instruction.

Vis à vis de l'administration, c'est aussi nettement plus simple : un préfet, qui représente l'Etat au niveau du département, aura comme interlocuteur un seul procureur de la République. Mais ne pourrait-on pas obtenir le même résultat par une simple réorganisation du parquet, avec un procureur à compétence départementale, les parquets des tribunaux étant dirigés par des procureurs adjoints ou toute autre dénomination que l'on pourrait leur donner ? Mais j'anticipe un peu : voyons à présent les objections soulevées à l'encontre du principe de cette révision.

3. Les objections à la révision de la carte.

Elles sont de plusieurs natures, et de valeurs inégales. Aucune n'est à mes yeux suffisantes pour condamner cette réforme : l'Etat a le droit de s'organiser comme il le veut et de modifier son organisation, à charge pour lui que cette modification améliore les choses.

Il y aura des résistances locales, notamment de la part des élus. Paxatagore l'exprime très bien :

dans les villes de taille moyenne, un tribunal est une administration à forte visibilité. Les édiles locaux tiennent à avoir leur tribunal, signe de l'implication de l'Etat sur leur territoire. Un tribunal en soi apporte pas mal de notabilités, puisqu'à chaque tribunal correspond un barreau et donc des avocats. Le tribunal, comme d'autres administrations, ce sont des emplois. En soi, un tribunal n'apporte que peu d'emplois, mais la disparition d'un tribunal va servir à d'autres administrations de prétexte pour se concentrer d'avantage et aller dans de plus grandes villes.

Pour les barreaux locaux aussi, c'est une mauvaise nouvelle. Un barreau est rattaché à un tribunal de grande instance. La suppression du TGI imposera la fusion avec un autre barreau, et pour beaucoup un déménagement, puisque le cabinet qui était à deux pas du palais va se retrouver à plusieurs dizaines de kilomètres de celui-ci. Et pour un avocat, il vaut mieux être proche du palais que du domicile de ses clients, que l'on voit fort peu à son cabinet. La suppression d'une cour d'appel avec maintien d'un TGI n'est guère mieux, puisque cela suppose une forte diminution de l'activité judiciaire. Mais je reconnais que cet argument n'a guère de valeur comme objection, car cette réforme n'est pas faite pour le confort des avocats : nous sommes des professions libérales et nous devons nous adapter au fait du prince. Il sera aisé pour le gouvernement de le balayer en invoquant les résistances corporatistes. Le président de la république le fera très bien en invoquant sa qualité d'ancien avocat.

Se pose aussi le problème du point de vue du quotidien, et de la proximité géographique de la juridiction. Même si un citoyen se rend rarement au tribunal (il peut même désigner un avocat pour le faire à sa place), il vaut mieux qu'il puisse le faire aisément. Surtout que les bureaux d'aide juridictionnelle se trouvent au sein du tribunal de grande instance : ce sont donc les populations les plus défavorisées qui se rendent le plus souvent au tribunal. Les avocats, eux, sont de toutes façon contraints à la mobilité. On ne plaide pas que devant le tribunal de grande instance : on va aussi dans les tribunaux d'instance, aux conseils de prud'hommes et au tribunal de commerce qui sont souvent dans d'autres locaux que le tribunal de grande instance, aux maisons d'arrêt, qui sont de moins en moins en centre ville (heureuses les quelques villes qui ont une maison d'arrêt à quelques rues du Palais, comme Niort, par exemple).

Mais il serait souhaitable que les tribunaux restent en centre ville, à défaut, il sera indispensable que des transports en communs soient prévus pour bien desservir le tribunal, et on en est loin actuellement, même en région parisienne : le tribunal de grande instance de Créteil en est un exemple, situé à 500m d'une station de métro, sans aucune ligne de bus qui le desserve.

Il restera enfin les objections les plus fortes, mais qui ne seront pas contre le principe de la révision, seulement contre un aspect précis de cette révision : l'opportunité de la disparition de telle ou telle juridiction. Ici, la parole est à mes confrères et aux magistrats et greffiers concernés. Ne l'étant pas moi même, la région parisienne fonctionnant déjà depuis trente ans sur le principe un département = un tribunal de grande instance (sauf la Seine et Marne), je ne prétendrai pas avoir d'avis tranché sur la question.

4. Et ça va coûter combien ?

Alors, là, cher. Très cher. Parce que regrouper les tribunaux, c'est bien, mais encore faut-il de la place pour accueillir les greffiers, les juges, les archives, et créer les nouvelles salles d'audience nécessaires. La revente des palais désertés ne suffira pas à financer l'aspect immobilier. En plus, je me demande si une loi constitutionnelle ne va pas devoir être votée en raison de l'inamovibilité des juges du siège, ce qui va supposer la collaboration de l'opposition socialiste. Mais ne pas avoir les moyens de ses ambitions serait ici catastrophique pour le fonctionnement de la justice. Sauf à faire, comme le relève Paxatagore à la fin de son billet, une réformette, supprimer deux ou trois juridictions par ici pour les regrouper là, et présenter ça comme la plus grande réforme qu'aura connu la justice depuis cinquante ans.

Notes

[1] Citons la juridiction de proximité pour les petits litiges (moins de 4000 €), le tribunal d'instance pour les litiges moyens (entre 4000 et 10000€), les baux d'habitation, les expulsions, les tutelles, les contrats de crédit à la consommation, les saisies sur salaire, entre autres, les conseils de prud'hommes pour les litiges individuels liés à un contrat de travail ou d'apprentissage (surtout la contestation des licenciements), le tribunal des affaires de sécurité sociale pour les litiges avec les différentes caisses de sécurité sociale, et le tribunal paritaire des baux ruraux pour citer les plus importantes.

vendredi 22 juin 2007

Une formule à deux balles, un article dans la presse.

Nous sommes sauvés.

Pour Rachida Dati, Nicolas Sarkozy « a été élu sur un mandat clair » en matière judiciaire. Elle compte donc mener à bien le chantier de la fermeté, notamment envers les délinquants mineurs. Pour cela, elle annonce que, « pour la première fois depuis des années », elle adressera directement au parquet une « circulaire d’action publique », qui guidera l’action des procureurs selon le principe « une infraction, une réponse ».

Wouahou. Une infraction, une réponse. Jamais les parquetiers n'y auraient pensé tous seuls. Ils vont adorer. (Ha, et c'est pas le Figaro : Libé donne aussi dans la facilité).

jeudi 21 juin 2007

La Cour de Cassation met le holà à l'adoption au sein des couples homosexuels

Ce billet traînait dans mes cartons depuis longtemps : il aurait dû être publié en février dernier. Et puis vous savez ce que c'est, un coupable à faire sortir de prison, un innocent insolvable que je dois renoncer à défendre, et on oublie.

En voici le texte, mis à jour.


Les médias se sont faits l'écho d'une décision de la cour d'appel d'Amiens du 14 février 2007 ayant autorisé une femme à adopter les enfants de sa compagne, opération qui avait pour objet, après une partie de billard à trois bandes, d'aboutir à ce que chacune des deux femmes exercent l'autorité parentale sur les enfants. Pour ceux qui aiment les débats contradictoires, voici un point de vue, et un autre.

D'autres cours d'appel saisies d'affaires similaires avaient refusé cette adoption comme contraire à l'intérêt de l'enfant (citons par exemple celle de Paris), d'autres l'avaient déjà accepté (la cour d'appel de Bourges). Comme à chaque fois que différentes cours d'appel ont un avis différent sur une question de droit, il appartient à la cour de cassation de statuer et de trancher le différend.

C'est ce qu'a fait le 20 février dernier la première chambre civile de la cour de cassation, en refusant la légalité de cette pratique.

Le mécanisme était à chaque fois le suivant : l'hypothèse de départ est qu'une personne homosexuelle a des enfants. Il s'agit la plupart du temps, bien évidemment, d'une femme, qui généralement est allée à l'étranger se faire pratiquer une insémination artificielle là où cette pratique médicale est légale y compris pour des personnes célibataires, comme en Belgique.

L'hypothèse serait plus compliquée pour les hommes, ce qui supposerait que la filiation ne soit pas établie à l'égard de la mère et que celle-ci renonce définitivement à toute action.

Une fois ses enfants nés, la mère consent une adoption simple au profit de sa compagne. Cette adoption simple, qui se fait devant notaire, a pour effet de transférer à la compagne l'autorité parentale. La mère biologique n'a plus cette autorité sur ses enfants.

Dans un deuxième temps, la compagne adoptante demande au juge des affaires familiales de consentir une délégation de son autorité parentale au profit de sa compagne. Ainsi, la mère récupère ce qu'elle vient de céder, la délégation d'autorité parentale ne faisant pas disparaître celle du délégant, et nous nous retrouvions dans une situation où les deux partenaires exerçaient une autorité parentale constatée par une décision de justice.

Première remarque ici : l'affirmation selon laquelle l'adoption est interdite aux homosexuels en France apparaît comme étant un raccourci. Aucun texte n'interdit expressément l'adoption aux homosexuels, la difficulté dont il est fait état concerne en réalité l'adoption plénière[1] de pupilles de l'Etat, et donc confiés à un organisme d'Etat (l'Aide Sociale à l'Enfance, ASE, qui relève du conseil général) ou un organisme de droit privé agréé, enfants dont l'adoption est préalablement soumise à un agrément délivré par l'ASE (article L.225-1 du Code de l'action sociale et des familles). L'administration a pour pratique constante de refuser l'agrément aux couples homosexuels, le conseil d'état ayant validé cette pratique. Dans l'hypothèse où les parents sont encore en vie, ils peuvent tout à fait consentir à une adoption par un homosexuel, l'article 348 du code civil ne posant aucune restriction sur ce point. Simplement, l'adoption, plénière ou simple, ne peut être demandée que par une personne ou un couple marié (art. 343 du Code civil), ce qui exclut de fait qu'un couple d'homosexuels puisse adopter tous les deux le même enfant (jurisprudence des mariés de Bègles, déjà traité en ces pages). Mais en conséquence, pour qu'un homosexuel puisse adopter, il faut que le ou les parents y consentent.

Dans notre affaire, c'est précisément ce qui s'était passé. La cour de cassation relève pudiquement que la mère a donné naissance le 12 septembre 2001 à deux enfants qu'elle a reconnus et « qui n'ont pas de filiation établie à l'égard de leur père ». Il s'agit donc très probablement d'une insémination artificielle, ce que la naissance de jumeaux tend à rendre encore plus plausible.

Quelques mois plus tard, elle a consenti par acte notarié à l'adoption simple de ses deux enfants par sa compagne, et a demand au tribunal de grande instance de prononcer l'adoption, ce qu'il a refusé.

La mère et sa compagne ont fait appel, et la cour d'appel de Paris a confirmé cette annulation le 6 mai 2004. Les deux compagnes se sont pourvues en cassation, elles contestaient l'appréciation des conseillers de la cour d'appel qui considéraient que cette adoption ne servait pas l'intérêt des enfants, alors que selon elles il était conforme à l'intérêt des enfants d'établir par la voie de l'adoption simple un double lien de filiation avec deux personnes vivant au foyer familial et unies par un pacte civil de solidarité, et que la délégation de l'autorité parentale qui s'en suivrait n'était pas antinomique avec l'adoption simple, le code civil exigeant simplement pour une délégation d'autorité parentale que « les circonstances le justifient ». Or le double lien de filiation né de l'adoption simple était une circonstance de nature à justifier une délégation de l'autorité parentale.

La cour de cassation n'est pas séduite par l'argumentation déployée par les demanderesses. Elle approuve au contraire la cour d'appel par un attendu lapidaire : pour la cour de cassation, la cour d'appel a retenu a juste titre que la mère des enfants perdrait son autorité parentale sur eux en cas d'adoption, et que il n'était ni établi ni même allégué par les demanderesses qu'en l'espèce les circonstances exigeaient une telle délégation d'autorité parentale. La cour de cassation approuve donc la cour d'appel d'avoir relevé que l'adoption d'un enfant mineur ayant pour but de transférer l'autorité parentale de la mère à l'adoptant, il était antinomique et contradictoire avec cette démarche d'indiquer son intention de demander à ce que l'adoptant restitue cette autorité parentale par voie de délégation.

La cour de cassation sanctionne ici un défaut de logique dans l'argumentation des demanderesses : s'il est dans l'intérêt de l'enfant que leur mère biologique exerce sur eux l'autorité parentale, autant qu'elle la garde, plutôt que la transférer à sa compagne. Cette autorité parentale par ricochet n'est pas établie dans l'intérêt de l'enfant, mais dans l'intérêt des deux compagnes, qui souhaitent établir un double lien de filiation sur ces enfants.

Notons au passage que cet arrêt a lui aussi un jumeau, rendu le même jour, et cassant cette fois un arrêt de la cour d'appel de Bourges, qui avait admis la validité de la délégation post-adoption comme conforme à l'intérêt de l'enfant au motif que

[les demanderesses] ont conclu un pacte civil de solidarité en 2001, et qu’elles apportent toutes deux à l’enfant des conditions matérielles et morales adaptées et la chaleur affective souhaitable ;

alors que, selon la cour,

Cette adoption réalisait un transfert des droits d’autorité parentale sur l’enfant en privant la mère biologique, qui entendait continuer à élever l’enfant, de ses propres droits,

ce qui ne peut être considéré comme conforme à l'intérêt de l'enfant.

Ce que la cour de cassation sanctionne ici est un détournement de l'institution de l'adoption dans le but d'établir un lien de filiation entre les deux partenaires d'un couple homosexuel et les enfants de l'un d'entre eux. Un tel lien de filiation n'a rien de juridiquement aberrant en soi, mais l'état du droit civil français exige qu'une loi intervienne sur le sujet. La cour de cassation, comme d'habitude en matière d'homosexualité, met le législateur face à ses responsabilités. Les institutions du droit civil existant n'ont pas vocation à être tordues à toute force pour satisfaire des revendications sur lesquelles le législateur n'a pas jugé utile de se pencher ; si cela ne convient pas aux citoyens, ils auront dans quatre mois [Mise à jour] : cinq ans l'occasion de désigner des représentants plus intéressés par la question.

Pour conclure, l'arrêt rendu la Saint-Valentin dernière par la cour d'appel d'Amiens me semble donc promis à un funeste destin si le parquet général de la cour d'appel d'Amiens s'est pourvu en cassation, ce que j'ignore, mais c'est probable, puisque l'affaire venait sur appel du procureur de la République.

Notes

[1] Le code civil distingue l'adoption plénière, qui fait de l'adopté le parfait équivalent de l'enfant de l'adoptant et rompt à jamais les liens de filiation antérieurs, et l'adoption simple, qui ne brise pas le lien de famille, et transfère l'autorité parentale. L'administration ne fait que des adoptions plénières, car elle ne propose à l'adoption que des enfants totalement abandonnés, qu'on appelle du joli nom de pupilles de l'Etat.

mercredi 20 juin 2007

Loi sur les peines planchers : un réquisitoire

Sur le blog Dalloz, Pascal Rémilleux publie un billet très critique sur la future loi sur les peines plancher, sur le principe même plus que sur les modalités de la loi. Par principe, je ne peux passer sous silence un billet qui cite Beccaria, mais je ne résiste pas à l'envie de citer ce passage sur l'usage des statistiques faits dans l'exposé des motifs :

Ainsi, on nous indique que « Le nombre de condamnations en récidive a augmenté de 68,5% en 5 ans, passant de 20 000 en 2000 à plus de 33 700 en 2005. En 2005, 4500 personnes ont été condamnées en récidive pour crimes ou délits violents, soit une augmentation de 145 % par rapport à l’année 2000. La délinquance des mineurs suit également cette tendance. Une étude récente montre que 30,1 % des mineurs condamnés en 1999 ont récidivé dans les cinq années suivantes. »

Avant de tirer des conséquences sociologiques puis juridiques d’une statistique, encore faut-il, la présenter dans son intégralité avec des éléments de définition, de contexte et de comparaison : ici, a minima, on aurait dû ajouter aux chiffres donnés par le garde des Sceaux pour justifier son projet de loi, qu’en 2005, les juridictions ont prononcé 3 232 condamnations pour crimes et 521 118 pour délits, alors même qu’en 2000 il y avait eu 441 312 condamnations prononcées pour délit et 3 610 pour crime. Certes, la hausse (+13 700) de condamnations prononcées en état de récidive est bien réelle, mais doit être ramenée à la hausse générale des condamnations (+79 428)… La conclusion (provisoire) est tout autre que celle de l’exposé des motifs : la hausse en valeur absolue des condamnés en état de récidive s’inscrit dans une augmentation globale des condamnations. Cette dernières ayant elle-même de nombreuses interprétations possibles : est-ce uniquement l’indice d’une hausse des faits, donc du nombre de victimes, ou aussi (mais dans quelle proportion ?) l’indice d’une meilleure productivité de la justice pénale qui peut désormais absorber davantage d’affaires dans des délais plus courts ?

Là, je crois qu'il met le doigt sur le problème : sous prétexte que la récidive augmenterait, chiffres à l'appui, on aggrave la loi réprimant la récidive et on encourage les poursuites systématiques des faits commis en état de récidive. Ce qui mécaniquement augmente le nombre de condamnations en état de récidive. Cette hausse statistique est interprétée comme une hausse de la récidive réelle, ce qui conduit à durcir encore la loi. etc. etc. etc.

L'étape suivante est facile à prédire : ce sera obliger le juge à relever d'office un état de récidive légale qui apparaîtrait à l'audience, avec en parallèle une modernisation du casier judiciaire qui permettrait un enregistrement quasi instantané des condamnations devenues définitives.

Or si une telle loi était votée, le nombre de condamnations en récidive exploserait, et ce quand bien même dans la réalité, les faits commis en récidive régresseraient.

Enfin, l'auteur rappelle ce qui pour les criminologues est une évidence depuis deux siècles : la sévérité d'une peine n'a jamais eu d'effet dissuasif en soi, et le moyen le plus efficace de lutte contre la récidive est l'accompagnement lors du retour à la liberté, par des mesures du type libération conditionnelle. Or le même gouvernement s'apprête à signer le décret de grâce collective du 14 juillet, qui va faire sortir à court terme 8000 détenus sans le moindre accompagnement. C'est pourtant ce genre de libérations massives "sèches" qui offre un boulevard à la récidive.

L'amateurisme en matière pénale est une vieille tradition, et de ce côté là, manifestement, aucune rupture n'est à attendre.

mardi 19 juin 2007

Il ne manque plus à François Hollande que d'être content

''Bis repetita placent" au PS (je graisse) :

PARIS (AFP) - Le Premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, a déclaré mardi que Jean-Marie Bockel, qui entre au gouvernement de François Fillon, "s'est mis de fait hors du PS".

"Il s'est mis de fait hors du PS, il n'y a pas de procédure d'exclusion, c'est comme pour Bernard Kouchner", devenu ministre des Affaires étrangères, à déclaré M. Hollande, interrogé sur une éventuelle exclusion du PS.

"Il était à la droite du Parti Socialiste, et il est à la droite tout court. C'est sa liberté personnelle. Il était apôtre du blairisme (...) Il a saisi l'opportunité qui s'offrait à la lui", a ajouté M. Hollande.

"Il m'a appelé au téléphone pour me dire sa décision, comme l'avait fait Kouchner", a ajouté le dirigeant du PS.

Sans commentaire.

PS : Pour ceux qui n'ont pas saisi le titre.

lundi 18 juin 2007

Crétinisme législatif

Via le blog de Vincent Tchen (qui baptise cela « désinvolture réglementaire » ; je n'arrive pas à copier le langage précieux des universitaires) :

Un exemple récent de cache-cache textuel stupide, ridicule et sans aucun intérêt à part compliquer inutilement le droit français.

Les règles de délivrance de la carte d'identité de commerçant étranger, celle qui fait que nous trouvons de la bière et des raviolis très chers près de notre domicile jusqu'à une heure tardive en semaine et le dimanche toute la journée, ont été fixées par un décret n° 98-58 du 28 janvier 1998.

Un décret n° 2007-431 du 25 mars 2007 a transféré ces dispositions, sans les changer (la codification à droit constant dont je vous ai déjà parlé), dans le Code de commerce, aux articles R.122-1 à R.122-17, et avait en conséquence abrogé le décret du 28 janvier 1998 qui faisait doublon (c'est l'article 3, 60° du décret du 25 mars 2007). Bon, pourquoi pas. Il y avait un décret qui traînait, le voilà bien rangé dans un Code.

Un mois et demi plus tard, un nouveau décret n° 2007-750 du 9 mai 2007 relatif au registre du commerce et des sociétés a abrogé dans son article les articles R.122-1 à R.122-17 du code du commerce. Comme ça, sans explications.

Les "explications" (si on peut appeler ça comme ça) viendront quelques jours plus tard, quand un décret n° 2007-912 du 15 mai 2007 reprendra les dispositions abrogées pour les intégrer cette fois au Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). Pourquoi ? Parce que.

Vous croyez que c'est tout ? Nenni. Ce sont les dispositions réglementaires applicables à la carte d'identité de commerçant étranger, c'est à dire les décrets d'application de la loi sur la carte d'identité des commerçant étrangers. Les dispositions de cette loi, elles, n'ont pas bougé : elles sont toujours... dans le code de commerce.

Cela n'a pas échappé au législateur. Et que croyez-vous qu'il a trouvé comme solution ? Un grand classique de la « clarification du droit » : les copier-coller d'un code à l'autre. Avouez que vous n'y auriez jamais pensé. Le législateur, si. C'est à ça qu'on le reconnaît.

Vous comprenez pourquoi les juristes, à commencer par les juges et les avocats, pestent sans cesse contre la bougeotte législative. Il y a des fois où ça vire à la pathologie.

Pour résumer, le législateur se comporte comme une femme de ménage qui ramasserait votre manteau parce qu'elle trouve qu'il traîne dans l'entrée et le changerait de place à plusieurs reprises sans vous le dire, et vous affirmerait benoîtement que comme ça, c'est plus simple et mieux rangé. Sauf que le législateur, vous ne pouvez pas le virer à coups de pieds aux fesses.

Bon, c'était les derniers soubresauts du gouvernement Villepin et de la présidence Chirac. Si le nouveau gouvernement nous débarrasse enfin de ce genre d'usine à gaz, rien que pour ça, il aura ma reconnaissance éternelle (mon vote, on verra) et je ne dirai pas de mal de lui jusqu'au débat sur les peines planchers. La balle est dans son camp.

vendredi 15 juin 2007

Pourquoi je ne voterai pas dimanche

C'est vendredi, c'est politique.

Et dimanche, c'est le deuxième tour des élections générales. Il faut bien en parler, puisqu'après, on est tranquille jusqu'en mars 2008 pour les municipales.

Le résultat de ces élections n'appelle aucun commentaire de ma part, c'est le choix des électeurs, et il n'a rien d'inattendu.

Je voudrais juste apporter une réplique à un argument dont on nous rebat les oreilles et qui est doctement répété par les candidats des partis écartés de l'hémicycle sans que personne ne juge utile de le remettre en question : celui de l'injustice de ce système électoral, par opposition à la proportionnelle, parée de toutes les vertus. Ca me rappelle furieusement le débat quinquennal sur les 500 signatures, système antidémocratique, qui n'a pas empêché 12 candidats de se présenter (le deuxième plus grand nombre de candidats de l'histoire de la Ve après les 16 de 2002).

La critique est la suivante : ce système est injuste car il aboutit à ce que des partis ayant fait 18% à la présidentielle se retrouvent fort dépourvus en siège, tandis qu'un parti faisant 45% aura 75% des sièges (François Bayrou cette semaine sur RTL). Il est anti-démocratique, car des millions de Français ne sont pas représentés (Marine Le Pen sur Canal +), et il nuit au pluralisme, l'opposition étant réduite à la portion congrue (François Hollande un peu partout).

Démonstration par l'exemple : ce système démotive les électeurs, témoin cette abstention record après une si haute participation aux présidentielles.

Fermez le ban, la cause est entendue.

Pas tout à fait, la parole est à la défense.

Cette argumentation est largement biaisée pour lui donner l'apparence de la logique.

Tout d'abord, il y a une erreur de raisonnement à prendre les résultats d'une élection pour critiquer les résultats d'une autre, fussent-elles rapprochées dans le temps. N'en déplaise à François Bayrou, le MoDem n'a pas fait 18% ni réuni 6 millions de voix à ces élections, mais 7,73% et un peu plus de deux millions de voix.

Ensuite, s'agissant d'un scrutin uninominal dans des circonscriptions locales, le cumul national des votes n'a guère de sens. Des 577 députés que nous allons élire, tous auront réuni sur leur tête la majorité des suffrages, et pour la plupart d'entre eux, la majorité absolue. Forts de leurs 3%, les Verts voudraient une quinzaine de sièges, sans expliquer à quels électeurs n'ayant pas voté pour eux mais majoritairement pour un autre il faudrait imposer un député vert au nom de la démocratie.

Tous les Français sont ainsi représentés, même ceux qui n'ont pas voté d'ailleurs. Ils ont un député, qu'ils connaissent facilement. Ha, ils ne sont pas d'accord avec ses idées ? Qu'ils s'adressent à un autre, car les députés représentent la nation entière et non leur circonscription ou leur parti.

Cela me rappelle l'argument avancé lors des présidentielles, par des gens qui ne sont généralement pas des modèles de démocrates eux-même, qui relèvent que le président de la République n'est jamais élu par une majorité d'électeurs, si on décompte l'abstention, et donc que la démocratie française n'est en fait que le règne d'une minorité. Alors qu'en réalité, la démocratie repose sur les citoyens qui parlent, pas ceux qui se taisent, ceux qui décident plutôt que ceux qui ont trop peur de se tromper ou s'en fichent.

Autre critique, ce scrutin favoriserait l'acquisition d'une majorité absolue au parti arrivé en tête, et pousserait à la bipolarisation. Critique étrange, puisque ce sont ces considérations qui précisément ont présidé au choix de ce mode de scrutin, en tout cas sur une majorité donnée au gouvernement, pas la bipolarisation, qui elle est un phénomène naturel dans les démocraties modernes.

La constitution de la Ve a été adoptée en pleine guerre d'Algérie, sur le constat définitif qu'un régime parlementaire était condamné à l'impuissance en cas de crise. La France a en effet connu le scrutin proportionnel pour l'élection des députés durant toute la IVe république (1946 à 1958), ce qui a largement contribué à l'instabilité gouvernementale chronique durant cette période, et a fait que généralement, dès qu'une crise majeure survenait dans le monde, le gouvernement était démissionnaire et ne pouvait plus qu'expédier les affaires courantes. Instabilité héritée de la IIIe république, mais aggravée, puisque la IIIe, elle, connaissait le scrutin uninominal à deux tours. Pour mémoire, la France s'est payée le luxe d'une crise ministérielle en pleine débâcle face aux Allemands, et il n'y avait plus de gouvernement depuis un mois lors de l'insurrection d'Alger le 13 mai 1958.

Ce scrutin vise donc à désigner le parti ayant la préférence d'une majorité de Français, et à lui donner le pouvoir d'appliquer ses idées et son programme. Car une répartition proportionnelle des sièges risque d'aboutir souvent à une majorité relative, c'est à dire à ce que les partis minoritaires, se mettant d'accord sur le dos de la majorité, la réduisent à l'impuissance. L'effet déformant de ce scrutin est donc connu, et il n'est pas accidentel : il est recherché.

Quant à la bipolarisation, c'est un phénomène commun à toutes les démocraties. Il est ancien aux Etats-Unis, encore plus ancien en Angleterre, et tous les pays démocratiques le connaissent peu ou prou, même l'Espagne, cette mosaïque ou chaque province a son drapeau, sa langue et son parti nationaliste, connaît une bipolarisation progressive autour d'un grand parti de centre droit et de centre gauche. La multiplicité des partis n'est pas un signe de meilleure démocratie, car elle aboutit à des coalitions contre nature, ou à l'approche des élections chaque parti tente de tirer son épingle du jeu. L'exemple d'Israël est assez pertinent en la matière.

Une autre critique, toujours soulevée par le parti sur le point de perdre, est celle du pluralisme, et de la nécessité de faire entendre la voix de l'opposition dans le débat démocratique qui a lieu à l'assemblée, notamment en faisant barrage à des textes inacceptables. Là, on touche à la fumisterie.

Tout d'abord, et Dieu merci, le débat démocratique n'est pas cantonné à l'assemblée. Il a lieu sur l'espace public, en premier lieu dans la presse, dont c'est le rôle fondamental, lors des réunions publiques, au sein des sections locales des partis politiques, dont c'est aussi le rôle, et aujourd'hui de plus en plus sur internet.

Ensuite, je voudrais qu'on m'explique en quoi 142 députés socialistes (le nombre de sortants) auront mieux défendu la démocratie et le pluralisme que la centaine que promettent les résultats du premier tour. Que l'on me dise quand l'actuelle opposition a fait barrage à un texte inacceptable ces cinq dernières années. Souvenez vous de la discussion sur la loi sur l'énergie qui prévoyait la fusion EDF GDF, en septembre 2006. L'opposition avait alors déposé un nombre d'amendements jamais vu (43000 pour le PS, 93000 pour le PCF), qui étaient censés nécessiter des années de débat, pour empêcher ce qui était présenté comme le premier pas vers une privatisation totale. C'était en septembre 2006. La loi a été adoptée et promulguée le 7 décembre 2006, sans recours au 49-3. Autre exemple : l'adoption surprise par le parlement lors de la discussion du projet de loi DADVSI d'un amendement instituant la licence globale. Que croyez-vous qu'il arriva ? Le gouvernement fit adopter son texte après s'être débarrassé de cet amendement contrariant.

Je ne voudrais pas donner l'impression de ne critiquer que l'impuissance de l'opposition socialiste ; alors rappelons que lors de la discussion de la loi instituant le PaCS, l'opposition avait réussi à obtenir le rejet de cette proposition de loi le 9 octobre 1998 (malgré les efforts du président de séance pour dénier la réalité), du fait d'un absentéisme prononcé de la majorité. Victoire de courte durée, puisque le gouvernement humilié a remis ce texte sur le tapis dès le 13 octobre et en a fait un cheval de bataille. Le texte a finalement été adopté et promulgué le 15 novembre 1999, sans que l'opposition n'y ait pu mais.

Quant à l'Assemblée qui protège nos libertés, je rappellerai que c'est l'assemblée du Front Populaire, élue en 1936, qui a voté les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain.

Voilà pour le débat démocratique à l'assemblée.

Non, ce qui motive tant les partis à solliciter un député de plus, c'est beaucoup plus prosaïque : ça fait un permanent de moins à salarier pour le parti.

Est-ce à dire que l'assemblée ne sert à rien, que ce n'est qu'une chambre d'enregistrement digne du Conseil des Cinq Cent ? Non, n'allons pas jusque là. Elle garde un rôle qui peut être déterminant. Rappelons que 60 parlementaires de la même chambre peuvent saisir le Conseil Constitutionnel en vue de l'annulation d'une loi contraire à la constitution. C'est un rôle extrêmement important, mais pour cela, il suffit d'avoir 61 députés (car il y a toujours un rebelle qui refuse de signer le recours), ou 60 sénateurs, et le PS en a plus de 90 (nombre appelé à croître avec sa conquête des conseils régionaux en 2004). Les députés de l'opposition ont une position privilégiée pour surveiller le travail législatif, et sans forcément pouvoir l'infléchir, au moins attirer l'attention du public sur telle ou telle loi. Les députés de l'opposition peuvent, et devraient être des gardiens vigilants du pouvoir législatif. La réalité est hélas toute autre, mais qu'ils ne viennent dans ce cas pas solliciter un mandat qu'ils n'ont pas vraiment l'intention d'exercer.

Mais qu'on arrête d'essayer de nous faire croire que le travail législatif serait de meilleure qualité si au lieu de ne repousser que des amendements socialistes, on repoussait aussi des amendements des Verts et du FN. C'est une insulte à l'intelligence des citoyens.

Vivre en démocratie, c'est accepter que ses idées ne soient pas au pouvoir sans pour autant se croire en dictature. Ca demande un peu de maturité. Et surtout, une vigilance même en l'absence d'enjeux électoraux.

Donc dimanche, allez voter, même si les jeux semblent faits. Pensez à Cyrano : c'est encore plus beau lorsque c'est inutile.

Oui, me direz vous, mais et moi, alors ? Pourquoi proclamè-je dans le titre que je ne vais pas voter dimanche, et que je vais expliquer pourquoi.

Moi, c'est différent.

Mon député a été élu au premier tour. Je penserai à vous en taquinant le goujon dans le parc de mon château.

jeudi 14 juin 2007

La prison vue de l'intérieur

Vous vous souvenez de Romain ?

Romain, c'était le prévenu de cette affaire si bien racontée par un journaliste de Libération.

Romain a été condamné en comparution immédiate à quatre mois de prison ferme pour violences aggravées sur les forces de l'ordre (un pavé lancé sur des gendarmes mobiles le soir du deuxième tour de l'élection présidentielle).

Etant journaliste de formation, il tient un blog depuis sa cellule (hébergé sur Libération.fr, le site parfait pour un blog de prisonnier), à Fleury Mérogis (le grand bâtiment central).

Enfin, il ne le tient pas vraiment : il s'agit d'extraits de ses courriers à ses proches et de textes spécialement rédigés en vue de leur publication sur ce blog. Ses textes sont probablement lus par le personnel pénitentiaire (pas sûr : il est désormais condamné définitif et bientôt sortant, et donc plus systématiquement soumis à la censure), mais rien ne laisse supposer qu'il s'auto-censure ; il a un bon style, et un ton personnel. Son juge d'application des peines devrait adorer.

Le titre du blog est trompeur : quatre mois fermes, avec les réductions de peine, ça fait trois fois sept jours de réduction de peine (les 21 jours dont il parle) soit trois mois et neuf jours effectifs, avec une libération conditionnelle possible au bout d'un mois et vingt jours, c'est à dire très bientôt, d'ici une ou deux semaines environ. Je ne doute pas qu'il l'obtienne. Mise à jour 18/06/2007 : Ca se confirme, il a reçu sa convocation pour l'audience de libération conditionnelle.

Ce blog sera donc de courte vie, et c'est tant mieux pour lui. En tout cas, voilà une visite de l'univers carcéral vu de l'intérieur.

Lien : Quatre mois fermes, le blog de Romain.

(Il ne peut lire les commentaires, naturellement. Certains lui sont transmis par ses proches, et il les lira à sa sortie de prison).

Le suicide d'un condamné en pleine cour d'assises

Le problème de la sécurisation des palais de justice vient de connaître un regain d'actualité dramatique avec le suicide, cette nuit, d'un accusé au moment du verdict, en pleine cour d'assises à Laon (prononcez "Lan").

Je ne connais pas du tout cette affaire, ni aucun des intervenants. Il est hors de question pour moi de tirer des leçons de ce fait divers, c'est bien trop tôt et une enquête administrative a été ordonnée par le ministère de la justice, et une autre, judiciaire va avoir lieu.

Je vous vois froncer des sourcils (pour ceux qui ont une webcam). Une enquête administrative est diligentée sur ordre de la Chancellerie (autre nom du ministère de la justice) par l'Inspection Générale des Services Judiciaire (IGSJ). Elle vise à informer le ministre et le Gouvernement, et peut aboutir à des instructions générales, une réforme des textes, ou des mesures disciplinaires. Une enquête judiciaire est diligentée sur ordre du parquet, par la police judiciaire. Elle vise à rechercher si une infraction a été commise, ici une complicité pour l'introduction de l'arme, par exemple, et le cas échéant à exercer des poursuites.

Ma première pensée a été qu'un drame encore plus terrible a été évité. L'accusé avait six balles dans son arme, et comparaissait libre ; il devait donc se situer à la barre, à quelques mètres de la cour et du jury quand cela s'est passé. Il aurait pu faire un carnage.

Ma deuxième est pour les jurés. J'ai déjà expliqué comment on devient juré : ce sont des citoyens tirés au sort qui remplissent un devoir civique. Devoir juger une affaire de viols sur mineurs dans un cadre intra-familial est déjà assez pénible. Assister en plus à une telle scène aussitôt après a de quoi les traumatiser à vie. Ils ont toute ma sympathie.

Ma troisième est pour la famille de cet accusé, qui était aussi la partie civile. Les victimes de viol, surtout dans un cadre familial, ont une tendance irrationnelle à culpabiliser, culpabilité qui peut être aggravée par le prononcé d'une peine lourde. Alors si en plus elles se mettent sur le dos ce geste... Espérons qu'elles auront toute l'assistance dont elles vont avoir besoin.

Enfin, se pose la question de la présence de cette arme dans le prétoire, malgré un portique. L'enquête l'apprendra. Je ne vais pas jouer les haruspices.

Simplement, pour vous éclairer, d'après les éléments donnés par la presse (Le Monde, Libération, le Figaro).

L'accusé comparaissait libre, après avoir effectué 18 mois de détention provisoire. La détention provisoire, dans une affaire criminelle, est demandée par le juge d'instruction au juge des libertés et de la détention au moment de la mise en examen. Pour une affaire criminelle, le mandat de dépôt est d'un an puis de six mois, renouvelables jusqu'à atteindre deux années si le crime fait encourir jusqu'à 20 années de réclusion criminelle, et trois ans s'il fait encourir trente années de réclusion ou la perpétuité (voir ce billet pour l'échelle des peines en matière criminelle). Ici, les faits étaient punis de 20 années de réclusion criminelle. Il n'a donc pas été remis en liberté à l'expiration du délai maximal de détention provisoire. Soit que le juge d'instruction n'ait pas jugé utile de renouveler la mesure, soit que le juge des libertés et de la détention l'ait refusée, soit que la procédure de renouvellement n'ait pas été respectée, entraînant une remise en liberté d'office. Je ne sais pas ce qu'il en a été ici.

La comparution d'un accusé libre n'a plus rien d'exceptionnel depuis la réforme du 15 juin 2000, qui a supprimé l'obligation pour l'accusé de se constituer prisonnier avant les débats (la "prise de corps"), jugée contraire à la convention européenne des droits de l'homme. L'accusé rentrait chez lui chaque soir et revenait le lendemain à l'audience. Toutefois, la loi prévoit qu'à la clôture des débats, « Le président fait retirer l'accusé de la salle d'audience. Si l'accusé est libre, il lui enjoint de ne pas quitter le palais de justice pendant la durée du délibéré, en indiquant, le cas échéant, le ou les locaux dans lesquels il doit demeurer, et invite le chef du service d'ordre à veiller au respect de cette injonction. » C'est l'article 354 du Code de procédure pénale. En cas de condamnation à de la prison ferme, la cour décerne aussitôt mandat de dépôt (art. 366), et le service d'ordre se saisit immédiatement de la personne du condamné, le menotte, et le conduit sous escorte à la maison d'arrêt.

C'est à ce moment là que les faits se sont produits, avant même semble-t-il que le président ait eu le temps de prononcer le mandat de dépôt. Les policiers et gendarmes savent ce qu'il en est, mais attendent que le président prononce le mandat pour procéder à l'interpellation. En tout cas, l'accusé savait probablement ce qu'il faisait : c'était le moment ou jamais, puisque quelques secondes plus tard, il n'aurait plus eu accès à sa sacoche (qui aurait été emportée et fouillée, et l'arme aurait été découverte).

Je ne m'épuiserai pas en vaines considérations sur la raison de son geste. Il peut aussi bien révéler une innocence bafouée qu'une culpabilité impossible à assumer, à soixante ans, pour quelqu'un qui a goûté la prison durant un an et demi et sait comment y sont traités les violeurs de mineurs. J'espère, sans trop y croire, que les contempteurs habituels de la justice, pour qui elle ne peut que se tromper, mal juger et détruire des vies innocentes, parce qu'ils ont perdu leur affaire de mur mitoyen il y a dix ans, auront la délicatesse de ne pas tenter d'exploiter ce drame.

Enfin, sur le portique, une anecdote me revient à l'esprit. Dans un tribunal proche de Paris, une consoeur accompagnait un jeune client prévenu devant le tribunal correctionnel. Il passe par le portique des visiteurs et la rejoint, et ils se dirigent de conserve vers la salle d'audience. Au bout de quelques mètres, son client lui dit : "Vous savez, m'dame : leur portique, il est nul." Et il sort de son blouson un couteau qui aurait eu sa place chez un équarrisseur. Après avoir copieusement engueulé son client et l'avoir obligé à ressortir du palais se débarrasser de son arme (pour les connaisseurs, un bac à fleurs à côté du tribunal sert de râtelier : vous savez désormais où ça se passait), elle est allée glisser à l'oreille des gardes de l'entrée qu'ils devraient augmenter la sensibilité du portique.

mercredi 13 juin 2007

Code bleu

Je vous avais déjà parlé de mes codes (pas ceux-ci, ceux-là) qui agrémentent ma vie déjà trépidante.

J'en avais oublié un, le code bleu.

Le code bleu, c'est un dossier que vous avez eu le temps de préparer. Pas d'imprévu, l'avis d'audience vous est parvenu avec trois semaines d'avance, tout le monde sera là, les conclusions[1] sont prêtes, les pièces sont réunies et communiquées.

Mais c'est un dossier qui vous noue les tripes, vous empêche de dormir, auquel vous pensez sans arrêt, qui vous colle des palpitations.

Parce que votre client risque gros, et que gros, c'est bien plus que ce qu'il mérite. Vous le savez, mais les juges, eux, l'ignorent. Et c'est à vous de les en convaincre, en une poignée de minutes.

Si vous échouez, votre client va prendre lourd. Il ne vous en voudra pas, à chaque fois que vous allez le voir, généralement au parloir, quand vous êtes en tête à tête avec lui, il est lucide, il réalise qu'il est en tort, mille fois en tort, l'accepte, le regrette, a des mots touchants pour la victime. Mais cet imbécile est incapable de parler comme ça devant ses juges. Devant eux, il se tait, ou est maladroit, ce qui est pire.

Même sa famille ne vous en voudra pas. Elle, elle est déjà en train de sombrer à cause de ce qui lui tombe dessus. Comme tout bon naufrage, les femmes et les enfants d'abord. Surtout les enfants.

Non, c'est vous qui ne vous le pardonneriez pas. Vous avez les cartes en main, à vous de bien les jouer. Sachant que vous aurez des confrères à l'audience qui ont bien envie de vous faire couper.

Votre client vous fait confiance. Aveuglément. Eperdument. Il a mis sa liberté entre vos mains, et ce qui est encore plus précieux à ses yeux, le sort de sa famille, les innocents qui vont payer aussi.

Vous vous êtes fixé un objectif, que vous vous gardez prudemment de révéler. La liberté, moins de tant de mois, voire moins de tant d'années. C'est un objectif résolument optimiste, mais vous savez que vous pouvez l'obtenir. Parfois, on le voit dans l'oeil du juge, quand on plaide. Un regard soutenu, intéressé, les sourcils froncés, avec à la fin un sourire à peine perceptible, qui dit "D'accord, on va faire ça...". La plupart du temps, on parle à un sphinx, et les insomnies perdurent jusqu'au délibéré Quelques secondes, quelques heures ou quelques semaines, même punition : ça dure des siècles.

Si cet objectif n'est pas atteint, vous serez impitoyable avec vous même. C'est même parfois votre client qui vous consolera... Oui, ça m'est arrivé.

En attendant, c'est la trouille, qui vous tombe dessus dès que vous ouvrez le dossier, dès que vous l'apercevez seulement.

Demain après midi, j'ai un code bleu. La nuit sera courte.

Mise à jour : Mis en délibéré. Je ne veux pas vous dire la date, j'ai eu la preuve récemment que je suis de plus en plus lu par des magistrats et ce serait un indice très précis : je ne voudrais pas risquer d'influencer le délibéré si un de ceux concernés me lisaient. Merci à tous de vos mots d'encouragement, ça fait plaisir.

Y'a plus qu'à attendre. Ca s'est plutôt bien passé. Les magistrats ont pris des notes tout au long de ma plaidoirie, et aucun ne s'est endormi. J'ai même eu un hochement de tête de celui que j'ai estimé être le plus hostile à mon client. Mais bon, ça pouvait vouloir dire "Voyons... Plus de cinq ans ferme ou moins ? Mouais : plus..."

Je vais enfin pouvoir dormir. Il y aura des cauchemars, mais au moins, je dormirai.

Ha, et ce qui est sympa, quand on a un blog, c'est qu'on n'a pas besoin d'aller chanter le blues dans le bureau de ses confrères, ils viennent tous seuls vous souhaiter bonne chance. Une pensée pour une d'entre elle qui plaide un code bleu demain matin.

Notes

[1] Je rappelle que le terme "conclusions", toujours au pluriel, désigne les écritures déposées par un avocat dans le cadre d'une procédure qui reprennent ses demandes en les argumentant en fait et en droit ; le tribunal est tenu d'y répondre dans son jugement.

lundi 11 juin 2007

Manifestation des magistrats aujourd'hui à 14 heures

A l'appel de l'Union Syndicale des Magistrats, organisation majoritaire dans la profession, les magistrats[1] sont appelés à se réunir devant les palais de justice aujourd'hui à 14 heures en signe de solidarité avec leur collègue Jacques Noris, vice président du tribunal de grande instance de Metz, agressé dans son cabinet la semaine dernière, et pour demander plus de moyens pour assurer, entre autres, la sécurité des palais de justice.

Pour ma part, j'y serai. Je pense qu'il serait bon que bien des robes noires sans simarre[2] y soient présentes, histoire que de défenseur des justiciables, nous ne devenions pas un jour garde du corps des magistrats.

Notes

[1] Je rappelle que le terme de magistrat regroupe les juges et les procureurs, qui forment un corps unique, même si leurs fonctions sont bien entendu séparées.

[2] Les robes des magistrats se distinguent de celles des avocats par deux simarres, deux revers de soie (ou de satin) noire qui descendent des épaules au pied de la robe, sur le devant. Les robes des magistrats brillent, tandis que celle des avocats sont mates... et moins chaudes en été.

vendredi 8 juin 2007

Dimanche, on vote

Vu l'apathie qui semble régner à deux jours des législatives, ce rappel me semble nécessaire.

Quelle campagne discrète, après la tonitruante présidentielle...

Il faudra s'y faire, quinquennat oblige. Hormis 2002, où la gauche pouvait avoir l'espoir de gagner aux générales ce qu'elle avait maladroitement perdu à la présidentielle, ce qui avait donné un peu - si peu- d'énergie à un PS sonné, désormais, les élections générales se joueront un mois plus tôt, lorsqu'on élira la tête de l'exécutif.

Et on comprend la morne campagne : le PS est plus que sonné, il est K.O. de cette défaite, qu'il ne peut imputer à personne cette fois ci, et qui n'est pas revêtue de la consolation de 2002 : "Si nous étions arrivé au second tour, on aurait gagné".

L'extrême gauche elle aussi a été balayée, et une addition sur le bout des doigts montre que sa division n'est pas la seule explication. Elle a perdu sa crédibilité, j'ose croire que ce fut un triste mois de mai 2005, et a cru pendant deux ans que ses mensonges marchaient encore.

L'extrême droite ne fait plus peur, et le FN risque de faire un score historiquement faible. Il n'aura de toutes façons aucun député, son président n'ayant, comme d'habitude, même pas pris la peine de se présenter.

Le MoDem de François Bayrou risque de briller par son absence dans l'hémicycle, absence mise en valeur par l'irruption du centre de complaisance d'Hervé Morin.

Bref, de quoi donner envie d'aller à la pêche, et se demander à quoi bon aller glisser un bulletin dans l'urne, surtout pour ceux qui habitent non pas une circonscription mais une forteresse imprenable dont le châtelain a un bail emphytéotique au Palais Bourbon.

Néanmoins, votre bulletin a une certaine importance.

Sachez que les lois sur le financement des partis font que si le candidat à qui vous donnerez votre suffrage appartient à un parti qui a présenté un candidat dans au moins 50 circonscriptions, et que 50 d'entre eux font plus que 1% au premier tour, leur parti recevra au titre du financement de la participation à la vie publique environ 1,66 euros par an par vote obtenu. Donc même si votre candidat est voué à l'échec, c'est un petit coup de pouce que vous lui donnez. Vous comprenez aussi ces étranges candidatures du Parti Humaniste, qui est plus une secte qu'un parti, ou de partis pour les droits des animaux : il ne s'agit pas pour eux d'avoir des élus, mais de toucher leur part du gâteau, avant de se faire oublier jusqu'à la prochaine échéance générale.

Et pour que vous compreniez un peu pourquoi vous irez voter ou non dimanche prochain, et s'il y aura un, deux ou trois bulletins dans 10 jours, voici un résumé des règles électorales.

Il s'agit d'un scrutin uninominal majoritaire à deux tours.

Uninominal : vous voterez pour un candidat (et son suppléant) et non une liste (comme pour les scrutins à la proportionnelle).

A deux tours : le candidat, pour être élu, doit totaliser la moitié des voix exprimées plus une et représentant le quart des électeurs inscrits. Si ce n'est pas le cas, on parle de ballottage, et il est procédé à un second tour, une semaine plus tard (et non quinze jours comme pour la présidentielle).

Majoritaire : c'est le candidat qui a obtenu le plus de voix au second tour qui est élu.

Vous me direz : il a forcément la moitié des voix plus une !

Nenni. Car il y a des triangulaires et des quadrangulaires.

En effet, pour se maintenir au second tour, il faut avoir obtenu au moins 12,5% des voix des électeurs inscrits. Notez bien : des électeurs inscrits, pas des suffrages exprimés.

Il est parfaitement possible que trois candidats, voire quatre, parviennent à ce niveau. Théoriquement, cela peut aller jusqu'à 8, mais en pratique c'est impossible : des électeurs décédant entre le 31 décembre, date de clôture des listes, et le jour du scrutin, il est impossible d'avoir 100% de votants, sauf en Corse et dans le 5e arrondissement de Paris, où les morts font preuve d'un civisme réputé. En pratique, un second tour à cinq candidats ou plus est quasiment impossible. Il faudrait à la fois une très forte participation et une répartition incroyablement équilibrée des suffrages.

Il peut aussi arriver que si seuls deux candidat peuvent se maintenir, et que son adversaire se désiste en vertu d'un accord. Dans la plus grande tradition des démocraties populaires, il y a donc des élections à candidat unique. Ca m'est arrivé une fois. Le dépouillement le plus ennuyeux de ma vie.

Une faible participation réduit les possibilités de triangulaires, voire quadrangulaires. C'est pourtant dans ces configuration que les petits candidats peuvent espérer l'emporter, car une simple majorité relative suffit et un électorat motivé peut faire la différence.

Aucun candidat n'est tenu de se maintenir s'il a 12,5% des voix. C'est un classique de la politique que d'avoir des accords de désistement, deux candidats convenant que s'ils étaient tous deux qualifiés pour le second tour face à un adversaire considéré comme de l'autre camp, celui arrivé derrière l'autre ne maintenant pas sa candidature et appelant ses électeurs à élire le premier. C'est fréquemment ainsi que se réglaient la répartition des sièges entre l'UDF et l'UMP à droite, et le PS et le PCF à gauche.

Enfin, pour terminer ce petit cours d'éducation civique, un point dont personne ne parle et qui pourtant devrait outrer tout citoyen respectueux de la Constitution. Je ne plaisante pas.

L'article L.125 du code électoral précise que :

Il est procédé à la révision des limites des circonscriptions, en fonction de l'évolution démographique, après le deuxième recensement général de la population suivant la dernière délimitation.

Or le découpage actuel résulte de la loi n°86-1197 du 24 novembre 1986. Ce sont les mêmes circonscriptions que lors de la réélection de François Mitterrand. Beaucoup d'électeurs qui vont voter n'étaient pas nés lorsque cette carte a été dressée.

Fins juristes que vous êtes désormais, vous me direz : mais la Constitution impose le renouvellement des députés ; cette impératif constitutionnel étant supérieur à la loi, le scrutin doit avoir lieu nonobstant la violation de l'article L.125, simple loi qui n'a pas le pouvoir d'invalider l'élection de la représentation nationale.

Comme vous avez raison.

Mais les choses se compliquent.

En effet, le Conseil constitutionnel a, le 7 juillet 2005, formulé les observations suivantes (je souligne) :

Le remodelage des circonscriptions législatives

Le Conseil constitutionnel a observé, à propos des élections législatives de 2002, que la recherche de l'égalité rendait ce remodelage nécessaire.

En effet, le découpage actuel résulte de la loi n° 86-1197 du 24 novembre 1986 relative à la délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés. Il repose sur les données du recensement général de 1982. Depuis lors, deux recensements généraux, intervenus en 1990 et 1999, ont mis en lumière des disparités de représentation peu compatibles avec les dispositions combinées de l'article 6 de la Déclaration de 1789 et des articles 3 et 24 de la Constitution.

Ces disparités ne peuvent que s'accroître avec le temps.

Il incombe donc au législateur de modifier ce découpage. Si cela n'est pas fait avant les prochaines élections législatives, ce qui serait regrettable, cela devra être entrepris au lendemain de celles-ci.

Le mot "regrettable" doit se lire comme signifiant "contraire à la Constitution".

Malheureusement, la personne à l'époque en charge de veiller au respect de la Constitution ayant fait un accident vasculaire cérébral peu de temps après, ce problème est passé à la trappe.

Rien n'ayant été fait, un citoyen, Monsieur Pascal JAN, accessoirement professeur de droit public, s'en est ému auprès du Conseil constitutionnel.

Le conseil lui a répondu que

s'il incombait au législateur, en vertu des dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et des articles 3 et 24 de la Constitution, de modifier le tableau des circonscriptions législatives auquel renvoie l'article L. 125 du code électoral, afin de tenir compte des évolutions démographiques intervenues depuis leur dernière délimitation, ...

bref, que oui, les prochaines élections ne respecteront pas la Constitution, mais...

...la non conformité de dispositions législatives à la Constitution ne peut être contestée devant le Conseil constitutionnel que dans les cas et suivant les modalités définis par l'article 61 de la Constitution.

Traduction : oui, ces élections sont contraires à la Constitution, mais cette même Constitution ne nous donne aucun moyen d'y faire quoi que ce soit. La représentation nationale qui va être élue ne respectera pas la Constitution, pas plus que les suivantes, tant que tel ne sera pas le bon plaisir du pouvoir exécutif, qui seul peut mener à bien cette opération de redécoupage.

Voilà qui illustre un de mes dadas, que vous lirez souvent sur ce blogue : l'absence de recours réel pour faire imposer le respect de la Constitution est en France une honte, et un véritable danger pour les libertés. Si une loi contraire à la constitution était votée et n'était pas soumise au contrôle du Conseil constitutionnel par le président de la République, le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale ou par 60 députés ou 60 sénateurs, la loi entrerait en vigueur et nul n'y pourrait plus rien.

Qu'il me soit permis de rappeler ici que l'ancien Garde des Sceaux avait osé suggéré le 27 septembre 2005 que le parlement se comportât sciemment ainsi pour lui permettre de faire passer une loi pénale rétroactive, sans qu'il ait immédiatement été démis de ses fonctions et incarcéré pour haute trahison (de fait, il est même resté à son poste pendant un an et demi, jusqu'à la démission du gouvernement).

Les Etats-Unis connaissent le possibilité pour tout citoyen d'exiger du pouvoir judiciaire qu'il impose le respect de la constitution aux autres pouvoirs depuis 1803 (c'était le Consulat en France, Napoléon n'était encore que Bonaparte). L'Allemagne l'a instauré en 1948 (devinez pourquoi...). L'Espagne, en 1978 (devinez pourquoi...). La France n'a même pas de pouvoir judiciaire : juste une "autorité"... Combien de temps cette situation durera-t-elle ? Voilà une belle réforme des institutions, qui ferait entrer la France dans le XXe siècle en matière de protection des libertés publiques (oui, je dis bien XXe siècle, notre retard est de plus d'un siècle en la matière).

Désolé pour ce billet un peu fourre-tout, écrit au fil de l'inspiration.

Mais dimanche, allez voter. Vous voyez bien que la démission des citoyens est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre.

jeudi 7 juin 2007

Soyez le juge... des peines plancher, le délibéré

Le tribunal, après en avoir délibéré, a déclaré le prévenu coupable, et en répression, l'a condamné à 30 jours amende à 10 euros.

C'est à dire qu'après un délai de trente jours, il devra payer la somme de 300 euros d'amende, soit un peu plus que la valeur des biens volés, sous peine d'effectuer trente jours de prison. La loi prévoit que s'il s'acquitte spontanément de l'amende avant un délai d'un mois, il bénéficie d'un abattement de 20%, c'est à dire que s'il la paye de lui même avant l'écoulement des trente jours, il sera tenu quitte en ne versant que 240 euros. Je ne doute pas qu'il l'ait fait dès qu'il a reçu du greffe le document lui permettant de s'acquitter de cette somme auprès du trésor public.

Voici, grâce à Mig, un résumé statistique des peines prononcées :

Jugements exprimés: 59

Relaxes/Rappels à la loi: 5 (8%)

Amendes: 29 (49%) + de 250 Euros mais - de 500: 7 (12%) + de 500 Euros: 8 (14%)

Prison avec SME : 6 (10%)

Prison ferme: 19 (32%) 6 mois fermes: 8 (14%) Un an ferme ou plus: 2 (3%)

C'est assez curieux, je ne crois pas qu'un autre "soyez le juge" ait donné lieu à un tel écart dans les propositions de peine. Si beaucoup d'entre vous ont effectivement opté pour les jours amende, suggérés par la défense, certains ont été incroyablement répressifs, deux propositions allant jusqu'à 15 mois de prison pour la première, deux ans pour la seconde, avec mandat de dépôt. Qu'il me soit permis de faire remarquer à ces lecteurs que si, pour quatre flacons de parfum, ils tapent déjà à 40 ou 80% de la peine maximale (20% et 40% en relevant la récidive), ils vont avoir un problème le jour où c'est un camion de flacons qui sera volé... "Qui vole un oeuf vole un boeuf" est un bocard qui ne veut pas dire qu'il faut réprimer le voleur d'oeuf comme le voleur de boeuf, mais que le vol est constitué même si la chose a une valeur dérisoire voire aucune valeur.

D'autres ont été très bas dans l'échelle de la répression, avec 10 jours amende à 10 euros, soit 100 euros d'amende, 80 s'il paye sous un mois. C'est dire l'amplitude. Vous imaginez donc la terrible solitude du juge unique.

Je vous rassure : un tel écart ne se retrouve pas dans les décisions à juge unique. Il y a des disparités, bien sûr, mais pas à ce point.

L'intérêt de ce cas est qu'il rentre dans le cadre de la loi sur les peines plancher. Si cette loi était en vigueur et que l'état de récidive ait été visé par le parquet ou relevé d'office par le tribunal, Monsieur Padoué aurait dû être condamné au minimum à un an de prison. Or je constate que la quasi totalité des lecteurs s'étant prêté sérieusement à l'exercice ont prononcé des peines très loin de ce quantum. Vous avez ici une illustration du principal argument des adversaires de ce projet : la récidive est rare, et parmi ces cas, les délinquants d'habitude, engoncés dans leur style de vie et refusant d'en changer sont encore plus rares ; et pourtant, c'est en se référant à ce modèle que l'on va légiférer pour tous.

Il est évident qu'un an de prison pour Monsieur Padoué aurait été démesuré, et aurait contraint le tribunal à l'assortir d'un SME pour en limiter les effets désastreux sur la famille Padoué, ce qui aurait encombré inutilement les services du juge de l'application des peines et posait un casse tête pour le choix des épreuves, comme nombre d'entre vous l'ont relevé.

Plusieurs lecteurs ont estimé que l'histoire de Momo était sûrement un mensonge, et en ont déduit que ce mensonge dissimulait le fait que Padoué pratiquait régulièrement ce genre de prélèvement à la source, ajustant leur répression en conséquence. Un magistrat n'aurait pas fait ce raisonnement. Je ne crois pas un instant que le président ait cru à l'histoire du mauvais Samaritain (il n'y avait qu'à voir sa tête). Mais le juge doit regarder les éléments qui sont prouvés par le ministère public. Son intime conviction ne se substitue pas à cette nécessité de la preuve qui est fondamentale dans un procès pénal. Le juge a donc écarté l'hypothèse de la préméditation, comme celle de la pratique habituelle, car elles n'étaient pas prouvées par le parquet, même s'il n'en pensait pas moins.

Cela illustre parfaitement le drame que vit l'avocat face à un probable mensonge inutile de son client. Inutile, car reconnaître la vérité n'aggraverait pas la répression (la préméditation n'est pas une circonstance aggravante du vol), et au contraire serait plus perçu comme un vrai signe d'amendement. Mais on a beau le leur expliquer, l'aphorisme d'Avinain résonne encore dans la tête des prévenus.

Et puis, malgré tout, il faut envisager l'hypothèse que le prévenu pouvait dire la vérité, auquel cas prononcer une sanction sévère devenait une erreur judiciaire, et une injustice.

Enfin, mais là c'est l'avocat qui parle, je suis profondément convaincu que la justice ne s'abaisse jamais, bien au contraire, quand elle est clémente. Une décision tellement sévère qu'elle est perçue comme injuste sera d'un point de vue pédagogique désastreuse.

L'audience est levée.

mercredi 6 juin 2007

Soyons clairs

Je souhaiterais faire une mise au point sur une question soulevée en commentaires à plusieurs reprises.

Certains commentateurs, s'ils ne contestent nullement la gravité de l'agression d'hier, se demandent en quoi cette agression serait plus grave qu'une agression identique visant un enseignant, ou une caissière de supermarché. Au nom de l'égalité républicaine, tous les coups de couteaux ne se valent-ils pas, et pourquoi, sous prétexte qu'une personne aurait fait des études de droit, réussi un concours, et porterait une robe, deviendrait-elle ainsi plus digne de protection que ses concitoyens ?

Je souhaite faire un sort à cet argument, qui repose sur un point de vue faussé.

Oui, bien sûr, une agression au couteau est un acte grave et intolérable, qui appelle une sanction ferme, peu importe qui en est la victime. L'auteur de cette agression encourt la réclusion criminelle à perpétuité, mais pas parce que la victime est magistrat : c'est le tarif pour toute tentative d'assassinat, si l'instruction devait confirmer l'intention homicide et la préméditation (même si à titre personnel, l'existence de la première me paraît douteuse).

La loi aggrave la répression des agressions sur les magistrats, mais ils sont au milieu d'une liste de personnes que la loi estime dignes d'être particulièrement protégées, qui regroupe les policiers, les avocats, mais aussi les enseignants, les conducteurs de bus, les concierges et les arbitres de foot.

Non, ce qui rend cette agression particulièrement intolérable n'est pas un respect suranné pour la robe ou une solidarité déplacée des gens de justice, qui vivent du jugement des agressions mais ne supporteraient pas de connaître ce que vivent leurs clients.

Nous vivons dans une société qui connaît la paix civile. Demandez à un Yougoslave, à un Algérien, à un Ivoirien, à un Colombien ce que c'est qu'un pays qui ne connaît pas cela, où les institutions publiques sont à ce point en faillite qu'elles laissent les citoyens livrés à eux même.

Cet état de paix n'est pas naturel. Il doit sans cesse être maintenu. Et une société démocratique qui vit en paix suppose un pouvoir et des contre-pouvoirs légitimes, c'est à dire à l'abri des pressions.

On n'imagine pas que le législateur vote des lois sous la menace, ou que le président de la République exerce ses fonctions dans la peur.

Et bien le juge, c'est le détenteur d'une parcelle du troisième pouvoir, le pouvoir judiciaire. Et ce pouvoir joue un rôle essentiel dans ce maintien de la paix civile, car c'est celui avec lequel le citoyen est le plus directement en contact. Quel que soit le conflit qui vous opposera à votre prochain, ce n'est pas le plus fort de vous deux, ou celui qui pourra se payer des gros bras, ou tirera le mieux avec son arme, qui imposera sa volonté à l'autre. C'est le juge qui tranchera, en appliquant la loi qu'a votée le parlement, et dont l'exécutif assure l'effectivité (notamment en donnant à la justice les moyens de juger).

Lors de la récente élection présidentielle, beaucoup de personnes ont manifesté leur inquiétude vis à vis des pressions que le nouveau président pourrait être tenté d'exercer sur l'autorité judiciaire, en rappelant les propos très durs qu'il a employés à l'égard de magistrats déterminés ("faire payer" tels juges qui avaient remis en liberté une personne qui a récidivé, traiter tel autre, soupçonné d'être trop doux, de "démissionnaire"). Que cette inquiétude soit fondée ou non, elle est saine, car une telle pression serait inacceptable. Et il existe des moyens détournés d'exercer ces pressions : ça peut être une prime réduite au minimum légal, une inscription au tableau d'avancement retardée, une admonestation "amicale" dans le bureau du président à la suite d'une remarque du procureur, etc. Ces pressions, subtiles, et inefficaces sur un esprit fort, sont intolérables dans leur principe même.

Mais ce ne sont que des pressions économiques, menaçant l'évolution de la carrière du magistrat.

Alors que dire de la pression exercée sur la personne du magistrat ? Si au nom de l'indépendance et de l'impartialité, on se scandalise qu'on puisse menacer de ne pas promouvoir un magistrat, comment pourrait-on tolérer qu'un juge craigne pour sa vie au moment de délibérer ? L'affaire d'hier visait à confier un enfant de trois ans à ses grands-parents, sa mère étant impliquée dans des problèmes de stupéfiants, soit qu'elle consomme, soit qu'elle trafique, soit les deux. Il est établi par le témoignage des avocats présents que l'agresseur a exigé du juge qu'il change sa décision avant de le frapper quand il lui a expliqué que sa décision étant prise, elle était irrévocable, mais pouvait être attaquée par la voie de l'appel. Elle visait donc à obtenir de la justice une décision autre que celle qui avait été prise. Serait-il tolérable qu'un juge des enfants décide désormais de laisser des enfants de trois ans dans des familles où ils sont en danger, en pensant "plutôt lui que moi" ? Non, n'est-ce pas ? Cette simple idée est insupportable.

Voilà pourquoi cette agression est d'une gravité exceptionnelle qui la place au-dessus d'une simple agression au couteau. Pas à cause de la personne victime : à cause de la fonction fondamentale qu'exerce celle-ci, sans laquelle il n'y a plus de société, il n'y a plus de République, il n'y a que le chaos et la loi du plus violent.

Et ce qui mue la tristesse en colère, c'est que des agressions contre des magistrats et des greffiers ont déjà eu lieu, ont donné lieu à des signaux d'alarme par la profession, à des promesses du gouvernement, des gesticulations, des plans pompeusement baptisés, qui n'ont pas été tenus. Parce que d'un point de vue comptable, un magistrat agressé coûte moins cher que la sécurisation d'un palais de justice (50.000 euros par an au bas mot).

Le palais de Metz a ainsi eu UN portique magnétique, révélait son procureur, pour cinq entrées, et pas de personnel pour le mettre en oeuvre. Alors que cette simple mesure de sécurité, ridicule comparée à ce qu'on me demande de traverser pour avoir le privilège de m'asseoir dans le siège trop petit d'un avion, empêcheraient la plupart de ces agressions, du moins celles par armes, les plus dangereuses. Voyez ce que disent les magistrats en commentaire : cela traduit la préoccupation de tout ce corps. Quand est-ce qu'un magistrat sera tué dans l'exercice de ses fonctions, en pleine audience ?

Parce que si cela arrive un jour, ce sera trop tard. Le mal sera fait, la peur se sera insinuée. Voyez déjà ce que raconte Juge du Siège, qui nous dit qu'il a dû récemment oter la plaquette portant son nom de la porte de son bureau pour échapper à un justiciable menaçant écumant le palais à sa recherche.

Il y a une vraie urgence ici. J'espère que la Garde des Sceaux l'a effectivement compris.

mardi 5 juin 2007

Ouf

Reuters | 17h28 :

Le magistrat, Jacques Noris, a été opéré à l'hôpital Bon secours de Metz et se trouvait dans un état stationnaire mais ses jours ne seraient pas en danger, dit-on de source syndicale dans la magistrature.

Quelques propos sur l'agression du président du tribunal pour Enfants de Metz

L'agression perpétrée ce matin pose des questions, qui sont nombreuses en commentaires ou par courrier électronique.

Il ne s'agit pas de donner des informations sur cette agression en particulier. Je ne dispose d'aucune source privilégiée, les journalistes feront ici leur travail.

Deux questions sont récurrentes : qu'en est-il de la sécurité dans les palais de justice, et qu'est ce qu'une audience d'assistance éducative, puisque c'est au cours d'une telle audience que l'agression a eu lieu.

  • La sécurité des palais de justice.

La situation est très différente selon les palais de justice. Paris est sans doute la forteresse la mieux protégée. Le palais est une zone sous commandement militaire, confiée à des escadrons de la gendarmerie mobile. Ce sont des unités conçues pour être autonomes et pouvoir se déplacer en tout point du territoire où leur présence est requise et y rester le temps nécessaire, quand bien même elles sont rattachées à une caserne spécifique. Les gendarmes sont des militaires, qui restent dans les salles d'audience jusqu'à la fin, quelle que soit l'heure à laquelle elle se termine. Ils ont une forme physique irréprochable, et toute personne devenant menaçante ou violente à l'audience peut être neutralisée en un rien de temps. Je l'ai vu faire, c'est impressionnant. Enfin, en cas d'incident signalé, une équipe de maintien de l'ordre sera envoyée sur place en un rien de temps.

L'entrée du public est gardée, et toute personne entrant doit passer sous un portique magnétique, et ses affaires doivent passer par une machine à rayons X, comme dans un aéroport. Les mesures de sécurité sont renforcées lors des procès sensibles, que ce soit des terroristes, du grand banditisme, ou toute affaire médiatique.

L'entrée des autres palais est, au mieux, surveillée par un policier, muni d'un portique magnétique et d'un détecteur portable. A Bobigny, ce sont des vigiles privés qui sont chargés de ce filtrage. Nanterre vient d'augmenter ses mesures de sécurité, et désormais, pour accéder au Palais comme à la préfecture, il faut là aussi passer par portiques et détecteurs. Là aussi, ce sont des agents privés qui sont en charge de cette mission. En cas de procès sensibles, un filtrage a lieu aussi devant la salle d'audience.

Dans beaucoup de palais de province, la porte est ouverte, et on peut entrer librement et accéder à la salle d'audience sans le moindre contrôle. Je l'ai constaté au palais de justice d'Amiens, de Châteauroux, des Sables d'Olonne, pour citer des palais de j'ai visités récemment. Et je ne parle même pas des conseils de prud'hommes et tribunaux d'instance, ou aucune surveillance n'est exercée, et généralement aucun policier présent, sauf audience du tribunal de police. Pire encore, dans beaucoup de palais de province, la présence policière cesse en fin de journée, alors même que des audiences sont encore en cours. Ce sont les magistrats eux même qui ouvrent le portail aux escortes repartant vers les maisons d'arrêt, et ferment la porte du Palais en partant.

Les seuls endroits un peu sécurisés sont les bureaux des juges d'instruction et le dépôt, c'est à dire les cellules ou sont laissées les personnes privées de liberté devant comparaître devant un juge ; encore que j'ai vu récemment dans un palais de justice en travaux un détenu simplement encadré de policiers sur le parking du palais, et des bureaux d'instruction situés dans un sous sol où on arrivait par un simple escalier sans surveillance.

J'ignore ce qu'il en est à Metz, et si l'agresseur a dû employer une ruse pour faire entrer son arme ou a pu entrer sans être inquiété.

  • Qu'est ce qu'une audience d'assistance éducative ?

Le juge des enfants a un rôle très étendu. Il n'a pas que la casquette de censeur, en jugeant les mineurs délinquants. Il a aussi la charge de la protection de l'enfance en danger. Notez que ces deux mondes ne sont pas hermétiquement séparés, loin de là.

C'est le juge des enfants qui peut décider du placement d'un enfant hors du foyer de ses parents, s'il s'avère qu'il y est en danger, physique ou moral. Cela va de l'enfant maltraité (vous n'avez pas idée de ce que l'on peut voir dans un cabinet de juge des enfants, il faut avoir le coeur bien accroché) à l'enfant simplement délaissé, du parent violent au malade mental, pas dangereux, mais incapable de s'occuper de lui-même et a fortiori d'un enfant. Le juge, saisi par l'un des parents, le procureur de la République, ou se saisissant d'office à la suite d'un signalement effectué par le milieu scolaire, des assistantes sociales, des médecins, pour ne citer que les cas les plus courants, décide de mesures d'assistances éducatives, qui peuvent aller jusqu'à confier l'enfant à des tiers : soit à d'autres membres de sa famille, ou à des associations d'aide à l'enfance, travaillant avec l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE), service du conseil général du département. Ce placement est d'une durée maximale de deux ans, mais peut être renouvelé par le juge, jusqu'aux dix huit ans de l'enfant.

C'est précisément au cours d'une audience de renouvellement d'une mesure de placement chez des tiers (les grands-parents de l'enfant concerné) que l'agression a eu lieu.

Cette audience a lieu en cabinet, c'est à dire dans le bureau du juge. Il s'agit d'affaires concernant la vie privée de mineurs, elles ne sont pas publiques. Chaque partie, y compris l'enfant s'il le désire, peut être assistée d'un avocat, mais ce n'est pas obligatoire. A chaque audience doivent être convoqués : le ou les parents de l'enfant exerçant l'autorité parentale, l'enfant s'il est en âge d'exprimer son avis (Convention internationale des droits de l'enfant oblige), l'ASE, et celui à qui l'enfant est confié. Le cas échéant s'ajoutent les avocats des parties et les tuteurs d'une des parties. Un débat a lieu où chacun fait le point sur le déroulement de la mesure, donne son avis sur sa prolongation, sa modification ou sa fin. Le juge rend ensuite sa décision, généralement immédiatement.

Ajoutons que théoriquement, la présence d'un greffier est obligatoire, mais cela fait longtemps que les juges des enfants n'ont plus de greffier dans leur bureau, faute de personnel.

L'agression a donc eu lieu dans un bureau, où la seule chose qui protégeait le magistrat était sa table de travail. Et un avocat, qui a tenté de s'interposer, à en croire les dernières dépêches Reuters. Il n'y avait pas de policier dans le bureau, il n'y en a jamais dans les cabinets de juge des enfants. Même pour les audiences pénales.

Le budget de la Justice en France représente 2,34% du budget de l'Etat, ce qui inclut les prisons, ce qui nous place en 25e place de l'Union européenne, devant la Slovénie et la Roumanie.

Communiqué de l'Union Syndicale des Magistrats à la suite de l'agression de Metz

Paris, le 5 juin 2007

L'USM apprend avec consternation et révolte l’agression dont vient d’être victime un de nos collègues juge des enfants à METZ, poignardé dans son bureau par un justiciable.

Cet acte d’une violence extrême fait suite à l’agression subie le 31 mai 2007 par une juge des enfants du Tribunal de Montargis, molestée et insultée dans son bureau.

Ces agressions répétées sont malheureusement révélatrices de la situation de la Justice en France.

Sans cesse contestés dans leur action quotidienne, confrontés à une situation matérielle, notamment en matière de sécurité, indigne d’un grand pays, les magistrats se trouvent dans l’incapacité d’exercer leurs missions.

L’USM exige aujourd’hui comme hier après l’intolérable agression subie par une greffière du TGI de Rouen, brûlée vive dans son bureau en septembre 2005, un plan d’urgence de sécurisation des juridictions.

A défaut, l’USM appellera les magistrats à exercer leur droit de retrait, partout ou les conditions de sécurité ne seront pas remplies.

Stupeur

Les mots me manquent pour exprimer mon émotion au sujet de l'agression, au couteau et en pleine audience de cabinet, du président du tribunal pour enfants de Metz, Jacques Noris, survenue ce matin-même.

Ce magistrat est dans un état très grave, et risque de ne pas survivre à ses blessures.

L'auteur des coups serait la mère d'un mineur dont le juge venait de décider du maintien du placement... chez ses grands-parents. Pas une multirécidiviste, pas une mineure. Ce n'était même pas une affaire pénale, juste une affaire d'assistance éducative, manifestement.

Où en est notre justice si même les Palais, même les cabinets des juges, ne sont plus des endroits surs ?

J'imagine l'émotion des magistrats dans leur ensemble, des juges des enfants qui chaque jour tiennent des audiences dans les mêmes conditions (je reviendrai sur ce type d'audience pour vous expliquer de quoi il s'agit et comment ça se passe), et tout spécialement des magistrats du tribunal de grande instance de Metz, qui connaissent le président Noris - je veux employer le présent de l'indicatif pour conjurer le sort.

Je la partage et suis de tout coeur à leurs côtés.

J'ai une pensée toute particulière pour Dadouche, que mes lecteurs habituels connaissent bien, et dont les commentaires, avec ceux de Gascogne, constituent l'essentiel de l'intérêt de ce blog, car elle exerce ces mêmes fonctions.

Des leçons sont à tirer de ce drame. Je laisse ceux qui sont mieux placés que moi pour cela.

Pour ma part, je m'efface, je me tais, et je prie.

Sur ce sujet :

Le Monde. Libération Le Figaro

lundi 4 juin 2007

Soyez le juge... des peines plancher.

Après la théorie, la pratique.

Voici un cas que j'ai vu juger récemment, et où le prévenu était en état de récidive. Autrement dit, un cas où la loi sur les peines plancher était susceptible de s'appliquer.

Je l'ai trouvé parfaitement représentatif de nombreuses affaires où le juge est confronté à une récidive, les magistrats qui me lisent confirmeront ou infirmeront.

Enfilez votre robe virtuelle, vous jugez à juge unique. Le procureur vous attend devant la porte d'entrée des magistrats, l'huissier vous a fait savoir que les dossiers sont en état, votre greffier a consciencieusement étalé ses stylos de toutes les couleurs sur son bureau. Vous saluez le procureur, prenez une profonde inspiration, appuyez sur la sonnette, et ouvrez la porte.

« Le tribunal ! » tonne l'huissier. Le public et les avocats sont debout, les gendarmes saluent. Vous vous asseyez en invitant les personnes présentes à en faire de même, et après avoir rapidement statué sur les demandes de renvoi[1] et vous appelez la première affaire.

C'est une banale affaire de vol à l'étalage. Dans un magasin Amphora, les vigiles ont interpellé le prévenu, monsieur Padoué, qui avait glissé quatre flacons de parfum de prix, pour une valeur de 250 euros, dans un sac en plastique doublé de papier aluminium, pour neutraliser le dispositif anti-vol. La police a été aussitôt appelée, et l'a placé en garde à vue.

Le prévenu a reconnu les faits, et les flacons ont été restitués, intacts, au magasin, qui ne se constitue pas partie civile mais a néanmoins porté plainte.

Le procureur avait alors décidé de convoquer Monsieur Padoué devant le tribunal, en le laissant libre dans l'intervalle (on parle de COPJ : Convocation par Officier de Police Judiciaire). Les faits remontent donc à six mois.

Le récit du prévenu fait en garde à vue est le suivant : il avait rendez vous avec des amis dans un café du centre commercial où se trouve le magasin Amphora. Après avoir plaisamment devisé avec eux, il est resté seul à la terrasse, méditant sur les changements du monde et la vanité de notre existence terrestre. C'est alors que survint son ami Momo, un Roumain, dont il ne connaît ni le nom exact ni les coordonnées, qui avait sur lui ce sac en plastique doublé d'aluminium, et qui lui tint à peu près ce langage : « Hé, bonjour, mon ami Padoué. Tiens, prends ce sac, et file au magasin Amphora, qui va bientôt fermer. Les vigiles sont fatigués, et ce sac neutralisera le signal d'alarme. Fais tes emplettes sur le dos du grand capital et offre à tes proches des fragrances bourgeoises en rétablissant un peu de justice sociale. » Le pauvre Padoué, pauvre au sens propre, ne put résister à la tentation, et la suite est trop bien connue.

Evidemment, le ton badin du récit est de votre serviteur, le prévenu ayant un style plus adapté aux circonstances, c'est à dire sans fioriture et profondément ennuyeux ; j'essaye de relever le niveau.

Il maintient ce récit à la barre. Vous tiquez : quelle étrange générosité que celle de ce Momo, qui fait des cadeaux sur le dos des autres et faisant ainsi encourir la prison au récipiendaire. C'est que, explique Padoué, Momo fut un compagnon de galère et il naît sur ces routes tortueuses des amitiés indéfectibles.

En effet, vous sortez le bulletin numéro 1 du casier judiciaire qui vous révèle que Monsieur Padoué a déjà été condamné deux fois pour vol simple, il y a quatre et trois ans de cela, la deuxième fois étant en comparution immédiate, avec à la clef quatre mois de prison ferme, peine aussitôt mise à exécution (la première condamnation étant une peine de deux mois avec sursis, il a donc purgé une peine de 4+2=6 mois).

Interrogé sur ces faits, il vous déclare que ces vols portaient sur des vêtements. Vous n'avez aucun moyen de vérifier, mais les peines prononcées collent avec cette version.

Aujourd'hui, Monsieur Padoué prétend être rangé, il est marié depuis deux ans, a deux enfants (deux garçons), le troisième en route, travaille en intérim pour 1200 euros par mois, son épouse ne travaillant pas. Son avocat glisse sur votre bureau les dernières feuilles de paye, l'avis d'imposition du prévenu, ses quittances de loyer, et la copie du livret de famille qui confirment ces propos. Un bref coup d'oeil au procureur vous confirme qu'il a bien eu connaissance de ces documents. Un rapide calcul vous montre qu'il ne reste pas grand chose à cette famille pour vivre, une fois son loyer et ses charges payées : 550 euros par mois environ, pour acheter à manger, des vêtements pour les enfants et des couches. Il conclut en disant que face à cette proposition de Momo, il a craqué, désirant pouvoir faire des cadeaux à ses proches, notamment à son père, les deux autres flacons étant pour lui.

Le procureur souhaite prendre la parole. Vous la lui donnez volontiers.

Cette histoire ne le convainc pas. Il relève que le sac en plastique soi-disant remis par Momo portait la marque d'un magasin de bijouterie bon marché ; or dans la fouille du prévenu lors de sa garde à vue, on a trouvé dans le portefeuille de celui-ci une carte de fidélité à cette enseigne. Coïncidence troublante. De même que les vols de parfums de prix, surtout deux fois deux flacons identiques, ressemblent plus à un vol pour revendre que pour offrir. Le prévenu n'aurait-il pas confectionné ce sac lui même ? Le prévenu confirme qu'il a bien une telle carte, qui lui a été faite d'office quand il a acheté l'alliance de son épouse. Mais le fait que Momo ait utilisé un sac de cette enseigne serait en effet une pure coïncidence. Quant à la destination de ces flacons, il maintient que c'était pour offrir.

Pas d'autres questions du procureur, pas de questions pour l'avocat.

Le procureur maintient son analyse dans ses réquisitions : Monsieur Padoué a confectionné lui même ce sac, et invente ce Momo pour se déresponsabiliser aux yeux du tribunal. Cependant, le procureur relève qu'il y a eu une longue période de temps depuis ces deux condamnations, que le prévenu travaille, a fondé une famille, qui sont des signes d'insertion. Il suggère donc une peine de prison ferme de quelques mois, qui serait aménageable par le JAP, ou un sursis avec mise à l'épreuve.

L'avocat approuve le parquet en ce qu'il relève des signes d'insertion. Sur l'histoire du sac, il précise que lui aussi s'était fait cette réflexion en lisant la fouille. Il a expliqué à son client qu'une éventuelle préméditation n'était pas une circonstance aggravante, et que s'il avait fait lui même ce sac, il ferait mieux de le reconnaître, sa sincérité jouant plus en sa faveur qu'une volonté de dissimulation. Malgré tout, son client maintient que les faits se sont déroulés ainsi. Dont acte. Sur la peine, il souligne que le préjudice pour la victime est quasiment nul, les biens volés ayant été restitués, sans être pour autant absent, tout vol étant désagréable et entraînant un coût pour les magasins obligés de se protéger. D'où la plainte, et l'absence de constitution de partie civile. Cependant, il relève de la lecture du casier judiciaire que jamais monsieur Padoué n'a été condamné à une sanction pécuniaire. Or aujourd'hui, il a un revenu, certes modeste, mais qui lui permettrait de payer une amende et de saisir ainsi l'aspect économique du vol. Pourquoi contribuer à l'engorgement des services du JAP pour une affaire si modeste ? Quant à une mise à l'épreuve, quelles seraient les modalités d'épreuve ? Un travail ? Il en a déjà un. Une obligation de soin ? Padoué n'est pas malade, juste pauvre. Une obligation d'indemniser la victime ? Elle ne demande rien et a récupéré ses biens intacts. Il suggère donc une peine de jours amende, d'un montant modeste et d'une durée assez longue, qui assurerait le paiement de l'amende avec la menace de la prison, dont le montant total pourrait opportunément être de l'ordre du prix des flacons volés.

Le prévenu, à qui vous donnez la parole en dernier, exprime ses regrets d'avoir ainsi "fait une connerie" et promet qu'il ne recommencera pas.

Il est temps de délibérer.


Le prévenu est cité pour vol simple. Le code pénal prévoit que vous pouvez prononcer jusqu'à trois années de prison et 45.000 euros d'amende.

Toutefois, le casier révèle un état de récidive (récidive spéciale et temporaire : des faits identiques, une condamnation -deux en fait- remontant à moins de cinq ans), qui n'a pas été relevé dans la citation. Vous pouvez toutefois relever d'office cette récidive, après avoir invité les parties (procureur et prévenu ainsi que l'avocat du prévenu) à présenter leurs observations, ce qui porte les peines encourues à six années d'emprisonnement et 90.000 euros d'amende.

Vous pouvez prononcer de l'emprisonnement seul ou une amende seule.

Si vous prononcez une peine de prison ferme, vous devez motiver spécialement votre décision, sauf si vous décidez de relever l'état de récidive.

Vous ne pouvez pas assortir la peine de prison ou d'amende d'un sursis simple, car le prévenu a déjà été condamné à de la prison il y a moins de cinq ans.

Vous pouvez prononcer un sursis avec mise à l'épreuve (SME) si vous ne dépassez pas cinq ans de prison (pas de SME pour une peine d'amende). Dans ce cas, vous devez préciser la durée de la peine de prison, et la durée de l'épreuve, qui doit être entre douze mois et trois ans ; vous devez aussi préciser les modalités de l'épreuve, parmi la liste de l'article 132-45 du Code pénal. N'oubliez pas ces trois points.

Si vous prononcez plus d'un an de prison, vous pouvez décerner un mandat de dépôt pour que le prévenu soit arrêté immédiatement. En tout état de cause, si vous prononcez plus d'un an, l'emprisonnement sera inévitable, seules les peines d'un an au plus pouvant être aménagées pour éviter l'incarcération. Enfin, si vous relevez la récidive, vous pouvez décerner un mandat de dépôt quelle que soit la durée de la peine d'emprisonnement (merci Gascogne pour la précision).

Enfin, la défense suggère une peine alternative : les jours-amende.

Il s'agit d'une peine se présentant sous la forme de "X jours amende à Y euros". Cela signifie que le prévenu devra s'acquitter au bout de X jours d'une amende de X fois Y euros. S'il ne la paye pas, la peine sera convertie automatiquement en X jours de prison.

Exemple : "100 jours amende à 10 euros" signifie que le condamné devra payer 1000 euros d'amende à l'issue d'un délai de 100 jours, faute de quoi, il effectuera 100 jours de prison.

Si vous optez pour cette peine, vous devez préciser le nombre de jours et le montant journalier. Vous ne pouvez pas prononcer une peine de prison avec sursis ou d'amende en plus d'une peine de jours amende.

Délibéré ici.

Notes

[1] Demande présentée par une des parties -rarement le parquet mais ça peut arriver- que l'affaire soit jugée à une audience ultérieure car une partie ne peut être présente ou une démarche reste à accomplir. Le renvoi ou son refus sont des décisions d'administration judiciaire, qui ne font pas l'objet d'un jugement et ne sont pas susceptibles de recours.

vendredi 1 juin 2007

Un petit point sur les réformes des peines plancher et de l'excuse de minorité

Une interview dans Le Monde de Madame Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice, apporte des informations intéressantes sur les deux réformes en préparation et promises par le président Sarkozy dans son programme : l'instauration de peines plancher pour les récidivistes et la suppression de l'excuse de minorité pour les mineurs récidivistes de 16 à 18 ans.

Et les nouvelles sont plutôt bonnes, à mon goût.

Sur les peines plancher, on est très loin de l'ahurissant projet communiqué aux parlementaires.

Tout d'abord, il n'y aura pas d'automaticité : le juge pourra descendre en-dessous de ce plancher, en motivant spécialement son jugement.

Explication : Depuis le nouveau code pénal, entré en vigueur le 1er mars 1994, le juge qui prononce une peine de prison ferme doit spécialement motiver sa décision de ne pas recourir au sursis. Il ne peut se contenter de dire : "attendu qu'il est coupable, il y a lieu de le condamner à six mois d'emprisonnement". Il faut qu'il ajoute une explication à son jugement. Les formulations les plus fréquentes sont du type "Eu égard à l'extrême gravité des faits", "au trouble à l'ordre public causé par l'infraction", ou "aux antécédents judiciaires du prévenu qui démontrent une délinquance habituelle, une peine de prison ferme paraît seule à même de sanctionner efficacement l'infraction". Depuis la loi Clément du 12 décembre 2005, le juge est dispensé de motivation spéciale pour de la prison ferme si le prévenu est en état de récidive, ce qui ne l'oblige pas pour autant à motiver spécialement une peine autre que l'emprisonnement. C'est l'article 132-19 du Code pénal.

La loi nouvelle imposera désormais au juge qui condamne une personne en état de récidive à expliquer pourquoi il ne prononce pas la peine plancher. C'est une incitation à ne pas se casser la tête et à la prononcer, mais il y a un type dans la salle qui se fera un devoir et un plaisir de fournir au juge une telle motivation clefs en main : l'avocat de la défense.

Exit donc l'effarante affirmation de l'argumentaire aux parlementaires selon laquelle les juges peuvent échapper aux peines plancher, mais seulement en ne déclarant pas coupable le prévenu...

De même, le niveau des peines plancher a été sérieusement revu à la baisse. Exeunt donc la moitié à la première récidive, ce sera un an pour un délit passible de trois ans de prison, deux ans pour un délit passible de cinq ans, trois ans pour un délit passible de sept ans et quatre ans pour un délit passible de dix ans. Quid des délits passibles de six mois, un an et deux ans ? Mystère. Sans doute seront-ils exclus du champ d'application. Pour les crimes, le minimum sera respectivement de cinq ans, sept ans, dix ans et quinze ans pour les actes encourant quinze ans, vingt ans, trente ans et la réclusion à perpétuité (voir ce billet pour des explications sur ces seuils de peine).

L'obligation de motivation spéciale ne pouvant être appliquée devant la cour d'assises, qui ne motive pas ses arrêts, je pense que ce sera remplacé par un vote spécial, ou une majorité qualifiée...

Pour les mineurs, l'excuse de minorité (qui divise par deux le maximum encouru) sera écartée pour les mineurs de 16 à 18 ans en cas de deuxième récidive (donc ils devront avoir été déjà deux fois condamnés définitivement) et seulement pour des crimes portant atteinte aux personnes et des délits graves de violences ou agressions sexuelles. Autant dire sur des cas extrêmement rares. Enfin, la juridiction pourra rétablir le bénéfice de cette excuse par une décision spécialement motivée. Alors qu'aujourd'hui, la juridiction doit prendre une décision spécialement motivée pour écarter l'excuse de minorité, dans le cas où elle souhaite dépasser la moitié de la peine.

Je l'ai déjà dit ici, et je récidive : le législateur peut voter toutes les lois répressives qu'il veut, tant qu'il laisse au juge le pouvoir d'adapter la sanction à chaque cas. Ce sera le cas ici. Tant mieux.

Je relève pour conclure ce passage, qui est une magnifique illustration de la gesticulation législative que je dénonce sans relâche.

La loi du 5 mars sur la prévention de la délinquance a étendu la possibilité d'exclure l'excuse de minorité pour les récidivistes ayant commis des faits graves. Le projet va plus loin.

La loi du 5 mars en question, c'est la loi Sarkozy sur la prévention de la délinquance, qui avait tant fait parler d'elle. Elle a été promulguée le 5 mars dernier. Le même jour qu'une réforme de la procédure pénale, la loi tendant à renforcer l'équilibre (sic : on renforce un équilibre ??) de la procédure pénale, soit dit en passant.

Et bien moins de trois mois après, le même ministre, devenu président de la République, va faire voter avant la rentrée une nouvelle loi qui va encore plus loin. On peut se demander ce qui lui a échappé au cours des débats parlementaires qui soit devenu une telle urgence quelques semaines plus tard. Surtout quand on constate que cette loi comporte déjà des dispositions aggravant le traitement de la récidive (art. 43), qui n'entreront en vigueur que le 5 mars 2008. Et qui risquent donc d'entrer en conflit avec les dispositions sur le point d'être votées.

Et pendant ce temps, juges, procureurs et avocats griffonneront rageusement les marges de leurs codes d'annotations de mise à jour...

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