Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 18 juin 2008

mercredi 18 juin 2008

On n'a plus tous les jours trente ans

Ça y est, la loi sur la prescription en matière civile est au J.O. du jour. C'est, dans l'indifférence générale, une des plus importantes réformes du droit civil depuis l'adoption du Code civil qui vient d'entrer en vigueur. Et elle entre en vigueur demain.

Version : “les juristes parlent aux juristes”.

En matière mobilière et personnelle, le délai de prescription extinctive de droit commun passe à cinq ans, contre trente ans auparavant.

Les prescriptions particulières prévues par le Code civil sont ainsi modifiées :

— La responsabilité des avocats se prescrit par cinq ans (contre dix auparavant pour l'assistance en justice et trente pour le conseil : on va faire des économies en stockage d'archives). La prescription de deux ans pour nos émoluments disparaît : elle s'aligne sur la prescription quinquennale de droit commun. Art. 2225 nouveau du Code civil.

— La responsabilité pour dommage corporel (uniquement corporel) se prescrit par dix ans, vingt ans en cas de crime commis sur un mineur, du jour de la survenance du dommage. Oui, ce ne sont pas les mêmes règles pour la prescription de l'action publique, on va s'amuser. (art. 2226 nouveau)

— La prescription acquisitive de droit commun en matière immobilière reste à trente ans, l'imprescriptibilité extinctive est réaffirmée. Art. 2227 nouveau.

— La prescription acquisitive abrégée par vingt ans disparaît. Désormais, on usucape par trente ans, ou par dix ans en cas de possession de bonne foi et par juste titre.

— Enfin et surtout c'est un monument qui déménage. En fait de meubles, possession vaut titre, NOTRE en fait de meubles possession vaut titre n'est plus l'article 2279 du Code civil. Désormais, il sera l'article 2276. Vous, je ne sais pas, mais moi, j'ai l'impression de voir un ami d'enfance déménager. Même s'il ne va pas loin, ce ne sera plus jamais la même chose.

Version : les juristes parlent aux mékéskidis.

La prescription désigne le fait d'acquérir ou de perdre un droit en raison de l'écoulement d'un laps de temps. Si le droit s'éteint, on parle de prescription extinctive. Si on acquiert le droit, on parle de prescription acquisitive, ou usucapion, du latin usus capio, “je prends par l'usage”.

Depuis le Code civil de 1804, le délai de droit commun pour la prescription était de trente ans. Votre médecin vous ampute de la mauvaise jambe (ne riez pas, ça arrive), vous aviez trente ans pour lui faire savoir que non, ça ne vous en faisait pas une belle, de jambe. C'est la prescription extinctive. Si des squatteurs occupent pendant trente ans votre villa dans le Lubéron, au bout de trente ans, si vous n'avez rien fait, elle est à eux. C'est la prescription acquisitive.

En matière mobilière (tout bien meuble, c'est à dire que l'on peut déplacer : une table comme un animal), une autre règle s'applique : le possesseur de l'animal est présumé en être le propriétaire. C'est le sens de la formule en fait de meubles, possession vaut titre, cauchemar des étudiants de 1re année de droit.

Je vous fais grâce de la définition de la possession, qui est autre chose que le fait d'avoir la chose dans la main. Les plus curieux peuvent se référer à l'entrée correspondante de l'indispensable dictionnaire du droit privé.

À partir de demain, les droits s'éteindront au bout d'un délai d'inaction de cinq ans.

À qui cela bénéficie-t-il ?

Certainement pas au citoyen lambda. Une longue prescription le protège au contraire, lui donnant le temps de réagir, de rechercher les preuves de son droit, de ne plus être sous influence. Ce sont tous les notables et professionnels qui se frottent les mains : médecins, avocats, notaires, chefs d'entreprises et mandataires sociaux, dont les activités les exposent à engager leur responsabilité personnelle (et c'est d'ailleurs ce qui justifiait en partie des traitements pouvant paraître démesurés : il sera intéressant d'observer l'évolution des rémunérations des grands chefs d'entreprise après ça : on parie qu'ils ne vont pas baisser pour autant ?).

Notons, on n'est jamais mieux servi que par soi-même, que les règles de prescription concernant l'État sont inchangées : si vous ne payez pas un impôt, c'est pendant dix six ans que l'État pourra vous le réclamer[1].

Cette évolution est d'ailleurs symbolique d'un changement de valeur de la société que je trouve préoccupant.

Lors de la naissance du droit français moderne, au début du XIXe siècle, la principale action de l'État sur les citoyens, outre l'action fiscale, était l'action pénale. Or l'État, estimant que le trouble à l'ordre public finit par s'éteindre avec le temps, avait fixé des délais de prescription assez courts : un an pour les contraventions, trois ans pour les délits, dix ans pour les crimes. Les actions des citoyens, en revanche, étaient protégées par la loi car c'était les droits des individus qui étaient concernés : dans le doute, c'était trente ans.

Or un mouvement récent tend à allonger le délai pendant lequel l'État peut poursuivre une infraction. Les crimes contre l'humanité ont été déclarés imprescriptibles, même si l'affaire Boudarel a révélé que cela ne pouvait s'appliquer, pour les faits antérieurs au 1er mars 1994, qu'aux crimes commis par les puissances de l'Axe, et non aux crimes contre l'humanité commis au nom du communisme, par exemple[2]. La prescription des crimes sur mineurs a été rallongée en 1998 pour être fixée en 2004 à vingt ans, à compter de la majorité de leur victime, c'est à dire jusqu'au jour de ses trente huit ans. Pour les délits, il a été porté à dix ans à compter de la majorité pour les mineurs, et à vingt ans à compter de la majorité pour certains délits comme, les agressions sexuelles, mais aussi tenez-vous bien, les violences ayant entraîné plus de huit jours d'incapacité totale de travail (vous vous souvenez de Thomas, qui vous a poussé dans les escaliers en 6e, vous vous étiez fait une entorse : faites-vous plaisir, faites-le citer devant le juge des enfants pour vos 37 ans), ou l'atteinte sexuelle sans violence ni contrainte ni surprise (vous vous souvenez de Julien, 18 ans, qui au Camping du Beau Rivage, vous avait embrassé quand vous aviez quatorze ans ? Il vous a mis la main aux fesses et vous a plaqué quand vous lui avez dit non ? Citez-le en correctionnelle pour vos 37 ans, vous aurez de ses nouvelles, comme ça, et il sera inscrit au FIJAIS comme délinquant sexuel à 41 ans après une vie sans histoire, il devra aller pointer chaque année au commissariat, imaginez la tête de son épouse et ses enfants, quelle douce vengeance…).

Bref, alors que sous Napoléon, que nul n'accusera d'avoir traité à la légère les intérêts de l'État, l'action du citoyen était mieux protégée que celle de l'État, c'est à un renversement des valeurs que nous assistons, dans une société se disant pourtant libérale (oui, Bertrand, au sens politique, bien sûr). À tel point d'ailleurs que dans certains cas, l'État garde le pouvoir de poursuivre alors même que la victime a perdu ce pouvoir par la prescription (cas des violences sur mineurs, l'action de la victime s'éteindra le jour de ses 28 ans, alors que l'État peut poursuivre l'auteur des coups jusqu'aux 38 ans de la victime, quand bien même elle aura perdu le droit de réclamer réparation). À croire que c'est l'État qui est la vraie victime, comme si au fond, le corps de ses citoyens lui appartenait plus qu'à eux-même.

J'exagère ? Vraiment ? Rapprochez cela d'infractions comme le défaut de port de la ceinture de sécurité ou de défaut de casque à moto, qui est une infraction qui ne peut faire de mal… qu'à celui qui le commet. Idem pour la consommation de stupéfiants, quand ces substances sont produites par leur propre consommateur. Se ruiner la santé, est-ce un délit contre la chose publique ?

Napoléon ne l'aurait même pas rêvé, nous l'avons fait. Ça vaudrait parfois le coup de s'interroger, non ?

Mais je m'égare, terminons-en avec la prescription.

Quelles sont les règles d'entrée en vigueur ?

Pour les prescriptions extinctives en cours, on distingue deux hypothèses.

1°) Les prescriptions auxquelles il reste moins de cinq ans à courir.

Pas de changement : elles se prescriront à la date initialement prévue.

2°) Les prescriptions en cours auxquelles il reste plus de cinq ans à courir.

Un nouveau délai de prescription de cinq ans partira à compter de l'entrée en vigueur de la loi.

Exemples : Une action se prescrit par trente ans depuis le 1er janvier 1980 : date d'exctinction le 1er janvier 2010, elle reste inchangée. Une action se precrit par trente ans depuis le 1er janvier 2000, date d'extinction le 1er janvier 2030. Un nouveau délai de cinq ans courra à partir du 19 juin 2008, extinction le 19 juin 2013.

C'est à dire que le 19 juin 2013, c'est 25 années de prescription qui vont tomber le même jour. Chers confrères, révisez vos dossiers, l'année 2013 risque sinon de coûter bonbon à notre assureur. Merci pour lui.

Pour mémoire, la prescription par trois mois en matière de presse est inchangée.

Notes

[1] En fait, six ans en cas de défaut de déclaration, et trois ans en cas de déclaration inexacte.

[2] Crim., 1er avril 1993, Boudarel, bull. crim. n°143

Les avoués anticipent leur disparition…

… en cessant d'exercer leurs fonctions.

La chambre nationale des avoués a annoncé, lors d'une conférence de presse qui s'est tenue hier, que les avoués “cesseraient d'apporter leur concours au bon fonctionnement de la justice” et ce dès aujourd'hui.

Pour bien connaître et (donc, ajouterais-je) apprécier les avoués, je rends hommage à leur rigueur, même dans la colère : le mot grève, qui serait ici totalement abusif, est soigneusement évité. Si une chose devait résumer les avoués, c'est bien ça.

Une chose qui surprendra ceux qui les connaissent est la violence du communiqué, hélas introuvable à un format numérique (le site de la chambre nationale a comme dernière actualité un avis du 10 avril annonçant les épreuves orales de l'examen d'aptitude aux fonctions d'avoués pour le 20 novembre prochain…). Les avoués accusent directement le Garde des Sceaux de mentir, d'agir de manière irréfléchie, de faire preuve d'inconséquence, et de mépris à leur égard. Oui, je sais, ça fera rire dans les cités de Seine Saint Denis, mais de la part d'une profession qui a fait de la délicatesse et du tact une de leur plus hautes vertus, je vous assure qu'on a jamais vu cela de mémoire d'avocat.

Si le mouvement est suivi, c'est toute la procédure d'appel en matière civile et commerciale (y compris de référé) qui menace d'être paralysée : sans avoué, une procédure ne peut avancer, hormis les dossiers d'ores et déjà en état d'être plaidés. Les affaires sociales et surtout pénales, qui sont dispensées du ministère d'avoué, ne sont pas affectées.

Ça donne quoi, dans vos cours d'appel respectives ?

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