Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 3 mai 2006

mercredi 3 mai 2006

Bienvenue en France

Nos députés ont commencé hier l'examen du projet de loi sur l'immigration et l'intégration, projet voulu par le ministre de l'intérieur, qui n'a de cesse de répéter sa formule qui fait florès : "passer d'une immigration subie à une immigration choisie" et qui est aussi fidèle à l'esprit du texte que l'intitulé "égalité des chances" l'était au CPE.

Le droit des étrangers est une matière complexe, mêlant droit administratif et droit judiciaire (privilège qu'il partage avec le droit de l'urbanisme), où les délais sont incroyablements courts face à des juridictions réputées pour leur lenteur autant que pour la qualité de ses jugements, et où les justiciables sont souvent désargentés et exclus du bénéfice de l'aide juridictionnelle sauf dans les cas de mesures d'expulsion par la force. je précise tout de suite que cette expression est juridiquement impropre, le mot d'expulsion ne couvrant qu'un aspect de ces mesures forcées : la loi distingue réacheminement, reconduite à la frontière et expulsion stricto sensu. Le seul mot qui me vient à l'esprit pour réunir toutes ces réalités pourrait a priori sembler trop dur vu la connotation terrible qu'il a pris au cours du siècle passé, je ne l'utiliserai donc pas tout de suite, mais vous allez voir qu'il n'est pas si inadapté que cela, et éthymologiquement, c'est le mot parfait. C'est le mot déportation.

Je vous invite donc à me suivre dans le domaine du droit inconnu des médias, méconnu de bien des avocats, et où ont cours des pratiques qu'on voudrait croire d'un autre temps. A l'heure où on bat sa coulpe sur les crimes d'il y a deux siècles ou d'il y a soixante ans, venez avec moi découvrir ce qu'on pleurera à chaudes larmes de crocodiles dans quelques décénies. Après tout, nos petits enfants nous demanderont si nous étions au courant et pourquoi nous n'avons rien fait. Alors ayez le coeur bien accroché, je vous invite à visiter les égouts de la République.

Il va falloir faire un peu de B.A.BA du droit des étrangers car il est indispensable que vous compreniez un peu de quoi on parle, avant que je vous montre ce que ça donne concrètement.

Nul étranger ne peut être présent sur le territoire sans avoir un titre le lui permettant. C'est un domaine où l'Etat fait une police absolue, et où le seul fait d'être là est un délit. Oui, un délit, car à l'heure où les Etats Unis bruissent d'une loi considérée comme liberticide même par des élus républicains parce qu'elle envisage de faire du séjour irrégulier un délit, cela fait des décennies que tel est le cas en France. Le simple fait d'être là sans avoir un papier qui vous y autorise (et qui n'est pas délivré gratuitement, il n'y a pas de petits profits) est passible d'un an de prison, de 3750 euros d'amende, et de trois ans d'interdiction du territoire : article L621-1 du CESEDA.

Le titre permettant l'entrée sur le territoire et un bref séjour est un visa. Il est délivré par le consulat de France du pays où réside l'étranger. Il peut être touriste, ou encore "Schengen", valable trois mois pour une entrée dans n'importe quel pays de l'espace Schengen. Il nécessite pour être délivré que l'étranger justifie d'un billet aller-retour, des ressources suffisantes pour subvenir à ses besoins, d'une assurance prenant en charge ses frais médicaux, des conditions dans lesquelels il sera hébergé (hotel, certificat d'hébergement). Il peut être aussi long séjour, et est le préalable à une installation en France. Autant dire que le visa long séjour n'est délivré qu'à titre exceptionnel, dans les cas où le consulat n'a pas le choix, et encore faut-il apporter un volume considérable de justificatifs.

Tout étranger qui veut se maintenir en France au-delà de son visa doit solliciter de la préfecture du département où il réside la délivrance d'une carte de séjour, valable un an (elle est collée sur une page du passeport). Au bout d'un certain temps, où dans certains cas particuliers très limités immédiatement, l'étranger peut solliciter une carte de résident, valable dix ans et renouvelable en principe de plein droit. Elle ressemble à notre carte d'identité en plus colorée, et est le Golconda de l'étranger, la fin de ses souffrances, et je n'exagère pas. Beaucoup organisent une fête quand ils l'obtiennent, et la plupart fondent en larme à la sortie de la préfecture, parce que pour en arriver là, vous n'imaginez pas encore ce qu'ils sont vécu. Ca viendra.

Pour les cartes de séjour, il faut distinguer les cas où la préfecture peut accorder la carte de séjour (en fait, tous les cas, le préfet jouit d'une liberté discrétionnaire là dessus) et les cas où la préfecture DOIT accorder la carte de séjour.

Parce que la réalité est simple : quand la préfecture n'est pas obligée d'accorder la carte, elle la refuse. Systématiquement. Avec à la clef une reconduite à la frontière.

Mais j'anticipe.

Tout étranger se présentant à la frontière sans visa est "non admis" avant d'être "réacheminé" vers son point de départ ou tout pays de son choix l'acceptant. Cette "non admission" peut aboutir à sa privation de liberté pour dix huit jours.

Tout étranger présent en France dont l'administration constate qu'il n'a pas de titre de séjour peut être "reconduit à la frontière" par décision du préfet, et placé en Centre de rétention administratif (CRA) le temps que cette mesure soit exécutée, avec un maximum de 32 jours.

De manière générale, tout étranger, fut-il muni d'un titre de séjour, dont le comportement provoque un trouble à l'ordre public, peut être expulsé par décision du préfet, aves des réserves liées à sa situation personnelle. J'y reviendrai.

Pour le moment, revenons à la frontière, où se présente notre étranger. Laissons passer ceux qui ont un visa. Ils ne sont pas tirés d'affaire, mais ils ont quelques mois de tranquilité. Pour les autres, les ennuis commencent immédiatement.

Le cas typique de l'étranger qui se présente à la frontière sans visa est le demandeur d'asile. Au moment du contrôle des passeports, il forme sa demande. Il relève dès lors de la Police Aux Frontières et du Bureau de l'Asile aux Frontières.

Oui. Un étranger qui vient demander l'asile est accueilli par des PAF et des BAF. Le ton est donné.

Pour lui souhaiter la bienvenue, on le place aussitôt en garde à vue, puis en zone d'attente. On parle encore de ZAPI, de Zones d'attentes de personnes en instance, même si, ce me semble, ce terme a disparu des textes officiels au fil des réformes incessantes que connaît la matière.

Pour le moment, l'étranger a le statut au nom charmant de "non-admis". Ce premier placement a lieu pour une durée de 24 heures, renouvelable une fois. Si la PAF veut le garder plus longtemps, elle doit saisir le juge des libertés et de la détention d'une demande en ce sens. Le juge peut autoriser ce maintien pour huit jours, et peut être à nouveau saisi d'une demande de renouvellement de huit jours. C'est une audience de ce type que je raconte dans le billet Un juste. C'est donc une durée totale de 18 jours que l'étranger peut passer en ZAPI. Mais cette durée sera rarement atteinte, grâce à la célérité conjuguée du ministre de l'intérieur et d'une compagnie aérienne peu connue, que j'appelle prosaïquement Air Chiotte.

Ce sera l'objet de mes prochains billets, un peu moins théoriques, mais il fallait passer par là. Demain, je vous proposerai de parler des Zapi Days et du parcours du combattant du demandeur d'asile, et vendredi, d'Air Chiotte.

Préparez vous à avoir honte.

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