Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 26 mai 2006

vendredi 26 mai 2006

L'amnistie de Guy Drut

Le président de la République vient de décider une mesure individuelle d'amnistie au profit de Guy Drut, ancien ministre de la jeunesse et des sports du gouvernement Juppé, député de la 5e circonscription de Seine et Marne et maire de Coulomiers, à la suite de sa condamnation en octobre dernier à 15 mois de prison avec sursis et 50000 euros d'amende dans l'affaire dite des marchés publics d'Ile de France.

Cette amnistie n'est pas l'exercice du droit de grâce prévu par l'article 17 de la Constitution : la grâce n'efface pas la condamnation, elle dispense de l'exécution de la peine ou la commue en une peine moins grave. L'amnistie supprime l'élément légal de l'infraction : les faits amnistiés ne consituent donc plus un délit. Les effets sont exposés à l'article 133-9 du Code pénal :

L'amnistie efface les condamnations prononcées. Elle entraîne, sans qu'elle puisse donner lieu à restitution[1], la remise de toutes les peines. Elle rétablit l'auteur ou le complice de l'infraction dans le bénéfice du sursis qui avait pu lui être accordé lors d'une condamnation antérieure.

Cette amnistie repose juridiquement sur l'article 10 de la loi n°2002-1062 du 6 août 2002, loi d'amnistie qui a été votée après la réélection de Jacques Chirac.

Cet article 10 prévoit, outre les amnisties de droit posées par les articles précédents, la possibilité pour le président de la République d'accorder par décret individuel une amnisitie, à condition que les faits aient été commis avant le 17 mai 2002 (date de prise de fonction du président de la République pour ce deuxième mandat), et que la personne appartienne à une des catégories visées par la loi : mineurs ou majeur de moins de 21 ans au moment des faits, personne ayant un passé de combattant, de déporté ou de résistant et les "personnes qui se sont distinguées d'une manière exceptionnelle dans les domaines humanitaire, culturel, sportif, scientifique ou économique" (article 10, 6°). Guy Drut bénéficie ainsi de son glorieux passé sportif, à savoir sa médaille d'or au 110 mètres haie aux Jeux Olympiques de Montréal en 1976.

Le Président de la République ne peut pas décider de lui même d'accorder cette mesure : elle doit lui être demandée "par toute personne", c'est à dire que Guy Drut n'est pas forcément le demandeur à l'amnistie.

Ce décret n'a pas à être motivé ; mais l'Elysée a estimé nécessaire de préciser (cité par Les Echos) que "Cela permettra à Guy Drut de continuer à siéger au sein du Comité international olympique, ce qui est tout à fait essentiel pour la France et la défense de ses intérêts dans le domaine sportif". Comme les JO à Paris en 2012 ?

Cette amnistie est, juridiquement, tout à fait légale. Politiquement, elle est désastreuse et moralement injustifiable. Elle est manifestement, évidemment un cadeau fait à un ami politique du même bord, et montre bien la tradition gaulliste qui n'en finit pas de mourir, contaminant la République dans le processus, qui veut que "l'intérêt supérieur de la France", l'ancienne "Raison d'Etat", telle qu'appréciée par le prince, prime sur toute autre considération, y compris l'égalité des citoyens face à la justice et à la loi.

Sans compter la concurrence déloyale pour ma profession.

Mise à jour : En relisant le texte de la loi, je me suis remémoré que l'une de ses lignes directrices était la volonté de moraliser la vie publique. Ainsi, l'article 14, 5° de ladite loi exclut du bénéfice de l'amnistie, y compris celle individuelle de l'article 10, toutes les infractions habituellement rencontrées dans les affaires liées au financement occulte des partis politiques.

Comment Guy Drut est-il passé à travers les mailles du filet ?

Il était poursuivi pour recel d'abus de confiance. Or si l'abus de confiance simple et aggravé sont bien exclus du bénéfice de la loi par l'article 14, 5°, le recel de ces délits, lui, ne l'est pas. Un oubli du législateur, sans doute. Toujours est-il que cette amnistie individuelle s'inscrit totalement à contre-courant de l'intention du législateur.

Enfin, un détail de poids : l'amnistie ne met pas fin à l'action civile de la région qui demande la restitution des sommes détournées. Si l'amende de 50000 euros ne sera pas exigible, les dommages-intérêts le seront.

Notes

[1] Cela signifie que si une peine d'amende a été payée, le montant ne sera pas remboursé ; si elle n'a pas été payée, elle n'est plus exigible.

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