Le récit qui suit m'a été fait par un client dont la demande d'asile avait été jugée manifestement infondée par le ministère de l'intérieur, décision qui a en même temps ordonné son réacheminement. Je ne m'attarderai pas sur cette décision, disons surprenante eu égard aux pièces produites, car en l'espèce, peu importe. Admettons même que sa demande était effectivement manifestement infondée.
Voilà ce que fait chaque jour la République, en notre nom. Mais en catimini, bien sûr.
Quatre policiers sont venus le chercher à ZAPI 3 (l'étranger en question doit peser 60 kilos, et encore, s'il a son trousseau de clef dans sa poche) et l'ont conduit à un des terminaux de départ où il a attendu une heure dans un bureau, sans interprète pour lui expliquer ce qui se passait.
Trois heures avant le décollage de l'avion, sans rien lui dire ni lui demander, les policiers lui ont menotté les mains dans le dos, lui ont ligoté les chevilles et l'ont soulevé et porté à bord de l'appareil.
Une fois à bord, sous les yeux du personnel de cabine impuissant, ils l'ont enfermé dans les toilettes de l'appareil, sans le détacher. Vous avez déjà visité les toilettes d'un avion ? C'est pas bien grand, hein ? Et bien imaginez, trois heures.
Une demi heure avant le décollage, alors que les passagers allaient commencer à arriver, les policiers ont rouvert la porte. Pour le libérer ?
Non.
Pour lui scotcher la bouche avec du ruban adhésif extra-large, afin qu'il ne puisse crier. Il ne faudrait pas troubler la quiétude des passagers, vous comprenez.
C'est dans ces conditions qu'il a passé le décollage. Heureusement qu'il n'y a pas de tablettes dans les toilettes, avec les menottes, il aurait eu du mal à la relever.
Une demi heure après le décollage, les policiers l'ont enfin fait sortir des toilettes pour l'installer au siège qui lui avait été réservé,encadré par deux policiers. Il n'a été désentravé qu'une fois arrivé à destination, dix heures plus tard.
Heureusement pour lui, il a pu faire une nouvelle tentative
Le pire, c'est que quand il m'a fait ce récit, il n'était pas scandalisé, outré, ni même en larmes. Il souriait tristement.
Parce que ce genre de traitement par la police, m'expliquait-il, dans son pays, c'est courant. On s'y habitue presque.
Mais il croyait simplement que ces choses là, ça ne pouvait pas arriver en France.
La honte m'a fait baisser les yeux. Et elle me cuit encore.