Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 8 mai 2006

lundi 8 mai 2006

Air Chiotte est-il possible ?

Plusieurs commentateurs identifiés et que j'estime ont émis des doutes sur la véracité du récit d'Air Chiotte. Particulièrement de l'enfermement dans les toilettes au moment du décollage, ce qui serait contraire aux règles de sécurité.

Je vais demander des détails approfondis à ce client, que je confierai s'ils le souhaitent à deux lecteurs qui sont ou ont des proches très impliqués dans le milieu de l'aviation civile. Je vous tiendrai au courant.

Toujours est-il que j'ai deux éléments à verser au dossier. Ils sont tirés des rapports annuels de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, organisme officiel rattaché au ministère de l'intérieur. La source est donc crédible, puisqu'elle émane de l'autre partie.

Et de cette lecture, on apprend que :

► La pratique du saucissonage et du portage pour embarquer est avérée. Elle est confirmée en page 460 du rapport 2005 de la CNDS.

► Une des techniques employées jusqu'à récemment pour immobiliser un étranger récalcitrant est celle dite du "pliage" : l'intéressé est maintenu de force la tête penchée jusqu'à toucher ses genoux, dans une position qui coupe le souffle et l'empêche donc de crier. Cette technique alliée à un coussin a provoqué en Belgique la mort par étouffement de Semira Adamu, le 22 septembre 1998. Le pays a été outré par cette affaire et s'est massivement indigné. Cette technique a été aussitôt abandonnée. En Belgique.

Car la lecture du rapport 2003 de la commission nationale de déontologie de la sécurité (pages 123 et suivantes) apprend qu'en 2003, deux étrangers sont décédés au cours de leur escortage du fait de la technique du pliage utilisée par les policiers. Un Ethiopien, Monsieur H., expulsé vers Johanesburg (capitale de l'Ethiopie, comme chacun sait), et Monsieur B., un argentin.

Le cas de Monsieur H est détaillé : son escorte dans l'avion était composée de trois policiers, le plus vieux âgé de 25 ans, l'un d'entre eux s'étant à plusieurs reprises assis sur le dos de l'étranger pour le maintenir en position.

Voilà ce que dit l'hôtesse responsable de la partie arrière de l'avion :

L’hôtesse de l’air responsable de l’arrière de l’avion n’avait pas supporté de voir « un fonctionnaire de police donner un coup de genou aupassager » pour le faire asseoir de force : « j’ai poussé un cri et je suis partie ». Elle a exposé : « au bout de quelques minutes, (...) je suis retournée à mon poste (...). Me tenant à la hauteur de (M. H.), je voyais qu’il était en partie assis, le thorax plié sur le côté appuyé sur le siège gauche, un des fonctionnaires était assis sur son dos, un autre lui tenait les bras derrière, sa tête pendait dans le vide. (...) (M. H.) est resté dans cette position, il criait de temps à autre mais moins fort. Cela a duré aumoins 20 minutes ».

Le Chef avion, équivalent au sol du commandant de bord, précise :

« je n’ai pas vu de coups qui auraient été portés “gratuitement”, dans le but de faire mal. (...) En revanche, la façon dont ils ont maîtrisé le reconduit ne m’a pas paru habituelle : la ceinture de sécurité était très serrée ; le reconduit était maintenu couché sur le flanc gauche ; l’un des fonctionnaires de police était assis sur lui ; il portait souvent la main sur la bouche du reconduit. À un moment le reconduit a dit : “OK I go”. Je l’ai signalé aux policiers de l’escorte qui ont commencé à desserrer les menottes. Le reconduit s’est dégagé et une bagarre a suivi. J’ai vu le policier de droite porter un coup dans le plexus du reconduit. M. H. a été replacé dans la même position : couché sur le flanc gauche, un fonctionnaire de police – parfois même les deux policiers – assis sur son dos, l’un des deux portant parfois la main sur la bouche du reconduit ».

L'hôtesse de l'air citée plus haut a finalement fait remarquer aux policiers qu'il fallait peut être le changer de position au bout de ces vingt minutes d'immobilisation pliée, ils ont répondu "il est costaud". Cinq minutes après, un des policiers constataient que M.H. ne respirait plus. Il ne pourra être ranimé.

Bien sûr, Monsieur H. s'est longuement débattu et a résisté par la force à cette mesure d'expulsion (vers un pays qui n'était pas le sien), me diront les tenants de l'emploi de la force pour faire appliquer la loi.

Mais ces faits sont punis de trois ans d'emprisonnement, pas de la peine de mort.

Dès lors, vous comprendrez que quand un client me raconte avoir été baillonné et enfermé dans les chiottes au moment du décollage, je trouve crédible que de telles mesures soient employées, qui sont objectivement moins pires que le pliage, sans être pour autant acceptable (non, je refuse de considérer cela comme un progrès).

Et surtout, je relève qu'alors que le décès de Sémira Adamu a provoqué un tollé en Belgique, ces deux décès ont provoqué une formidable indifférence en France.

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