Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 17 octobre 2007

mercredi 17 octobre 2007

Le président de la République peut-il divorcer ?

Une question, purement théorique bien sûr, se pose avec insistance ces jours-ci : dans l'hypothèse (d'école) où le président de la République en exercice voudrait mettre fin à son mariage, pourrait-il le faire avec le nouveau statut du chef de l'Etat récemment modifié afin d'assurer une fin de mandat paisible à un précédent titulaire de l'office ?

Jules de Diner's Room et le professeur Frédéric Rolin opinent de conserve que non.

Avant de voir et éventuellement répondre aux objections de ces éminents juristes, voyons un peu le nœud du problème.

C'est peu dire que la République n'aime guère ses juges. Atavisme historique dont j'ai déjà parlé, le pouvoir judiciaire fait peur, et le pouvoir dominant, que ce soit l'exécutif ou le législatif, a toujours veillé à le châtrer. Tout d'abord, en le coupant en deux parties séparées, afin d'avoir ses propres juges (mais qui ont à leur tour pris leur indépendance), et en faisant du troisième pouvoir une simple autorité placée sous la protection que l'on espère bienveillante du président de la République, pourtant chef de l'exécutif. Les parlementaires jouissent d'une immunité, les ministres sont justiciables d'une juridiction où les parlementaires sont majoritaires et qui ne s'est pas manifestée pour sa grande sévérité, et le président de la République a été mis hors de portée de tout ce qui dit le droit[1]. Par contre, qu'un juge soit accusé d'avoir mal fait son travail, et il sera sommé de comparaître devant une commission parlementaire, et le garde des sceaux engagera contre lui des poursuites disciplinaires, faute de pouvoir prononcer directement une sanction, quand bien même ses services lui expliqueraient qu'aucune faute n'a pu être relevée. Les pouvoirs sont ici séparés comme le valet est séparé du maître.

Car la séparation des pouvoirs, vous le remarquerez, n'est jamais opposée qu'au pouvoir judiciaire sur un ton de "pas touche" ! Le fait ainsi que l'exécutif tienne le législatif en laisse en allant jusqu'à tenir son agenda n'a ainsi jamais fait sourciller, pas plus que le fait qu'un premier ministre rappelle à l'ordre un député qui se serait cru libre de critiquer le gouvernement ne provoque de cris d'orfraie de la part des parlementaires.

Ces prolégomènes étaient nécessaires pour bien comprendre l'état des textes. N'y cherchez aucune orthodoxie juridique, aucune cohérence : le but était de mettre le président à l'abri des questions déplacées de ceux qui voudraient que la loi s'appliquât à tous en France (il en reste).

La règle applicable est posée dans la constitution, en son article 67 :

Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68 [qui précisent les conditions de sa destitution en cours de mandat.].

Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.

Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions.

C'est l'alinéa 2, que j'ai graissé, qui est le centre du problème. Le vocabulaire semble à première vue ne concerner qu'une action pénale : acte d'information, d'instruction, ou de poursuite. Mais en réalité, il n'en est rien.

L'alinéa 2 exclut bien toutes les juridictions et les autorités administratives : cela recouvre toutes les juridictions judiciaires, administratives, et les autorités administratives ayant un pouvoir de sanction (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, CNIL, Autorité des Marchés Financiers, Conseil de la Concurrence...). Nul ne peut faire un procès au président de la République, même pour des faits commis avant sa prise de fonction. A commencer par le conjoint de celui-ci, qui ne peut demander le divorce à un juge, que ce soit pour faute, pour rupture prolongée du lien conjugal, ou même sur demande acceptée, car le président serait défendeur et donc ferait l'objet d'une action, et le juge devra exercer son autorité pour trancher sur les conséquences du divorce. Là, je pense qu'il y aura consensus chez les juristes.

Reste une possibilité, et là, nous entrons dans le brouillard. Quid du divorce par requête conjointe ? Le divorce par requête conjointe est en effet une matière gracieuse et non contentieuse. Les époux demandent au juge de prononcer le divorce en constatant leur volonté commune de divorcer, et que toutes les conséquences matérielles du divorce ont été réglés d'un commun accord, par une convention de divorce qu'ils sont signé avec le concours de leur avocat (dont l'intervention est obligatoire).

A strictement parler, dans une telle hypothèse, le président de la République ne fait pas l'objet d'une action. Il est codemandeur, et il n'y a pas de défendeur. L'office du juge se résumé à dire "oui" ou "non", selon qu'il estime que la volonté des époux est réelle (il les reçoit seul et séparément à cette fin) et que les dispositions prises en commun par les époux respectent les intérêts de chacun (concrètement, ne laisse pas l'époux le plus faible dans le besoin attribuant l'essentiel de la fortune commune à l'autre). Il ne peut pas de sa propre autorité modifier la convention ,et décider unilatéralement que tel époux devra verser à son conjoint une somme à titre de prestation compensatoire alors qu'aucune n'était initialement prévue, ou d'en modifier le montant.

Avant 2005, la loi prévoyait d'ailleurs une procédure en deux étapes. Une première audience visait à constater la volonté des époux, les inviter à réfléchir, et permettait au juge de présenter des observations sur le projet de convention de divorce, en disant clairement que si tel point n'était pas modifié dans le sens qu'il indiquait, il refuserait l'homologation de cette convention et donc de prononcer le divorce à la deuxième audience, plusieurs mois plus tard. Aujourd'hui, il n'y a qu'une audience, ce qui renforce le rôle de conseil de l'avocat, qui se doit de faire en sorte de présenter une convention qui sera acceptée par le juge. Le cas échéant, la convention peut être modifiée à la main sur un coin de table dans le cabinet du juge. Sinon, c'est le refus de prononcé du divorce, et toute la procédure doit être recommencée depuis le début avec une nouvelle convention.

Y a-t-il un obstacle à ce que le président de la République et son conjoint présentent ensemble une requête en divorce avec une convention de divorce ?

Pour ma part, je n'en vois pas. Le fait que le président ne peut faire l'objet d'une action ne lui interdit pas d'en être le sujet, c'est à dire d'exercer lui-même une action. Le juge aux affaires familiales ainsi saisi pourrait prononcer le divorce ou refuser de le prononcer, sans violer l'article 67 de la constitution.

Qu'objectent mes excellents contradicteurs ?

Pour Frédéric Rolin et Jules, le principal argument est commun. Le fait que ce soit une matière gracieuse (les parties ne sont pas en conflit et demandent au juge d'entériner leur accord) et non contentieuse (les parties demandent au juge de trancher entre leurs arguments contradictoires) n'exclut pas l'application de l'article 67. Jusque là, je suis d'accord.

Or, même en matière gracieuse, le juge peut décider de son propre chef qu'une mesure d'instruction est nécessaire (articles 10 et 27 du nouveau Code de procédure civile, ou NCPC) comme une enquête sociale ou une expertise psychiatrique par exemple.

Jules rappelle que parmi ces mesures d'instruction figure l'audition des parties (article 10 du NCPC) : « Au titre des mesures d'instruction, les expertises, l'interrogation de témoins, la réception d'attestations, par exemple. Mais également "entendre les parties". Autrement dit, l'audition des parties constitue une mesure d'instruction au sens du NCPC ». Or cette audition est obligatoire pour le divorce par requête conjointe. Dès lors conclut-il, une mesure d'instruction prohibée étant indispensable, l'article 67 s'oppose au prononcé du divorce.

J'objecte très respectueusement.

L'audition des parties est une formalité obligatoire du procès. Elle est prévue par l'article 250 du Code civil, et les modalités sont prévues par l'article 1092 du NCPC, qui n'est ni l'article 10, ni l'article 27, j'ai des preuves irréfutables de cela, l'article 1092 faisant partie du chapitre consacrée à la procédure de divorce par requête conjointe.

Il ne faut pas confondre formalité obligatoire et mesure d'instruction. La mesure d'instruction est une faculté offerte au juge afin de mieux s'informer avant de statuer. Quand bien même le juge aux affaires familiales s'estimerait pleinement informé par la requête en divorce et la convention elle même dont il est saisi, l'avocat pouvant lors de l'audience apporter les quelques détails manquant, il reste tenu d'entendre les époux.

Plus encore, l'audition des parties, comme tout acte d'instruction doit être contradictoire, c'est à dire que l'autre partie doit pouvoir non seulement ouïr les propos mais y objecter. Or en matière de divorce, cette audition n'est pas contradictoire : les époux sont reçus séparément, et hors la présence du ou des avocats. Cela exclut donc qu'il s'agisse d'une mesure d'instruction.

J'opinerais donc pour ma part qu'un juge aux affaires familiales pourrait prononcer le divorce s'il estimait que la requête et la convention sont satisfaisantes ; s'il devait au contraire estimer qu'une mesure d'instruction serait nécessaire, l'article 67 le lui interdirait et il devrait alors refuser de prononcer le divorce. La seule possibilité qu'a le président de la République de divorcer est donc par requête conjointe, requête ne devant poser aucune difficulté pour le juge.

A cela, Frédéric Rolin objecte que ce raisonnement heurterait la règle de l’unicité de l’office du juge :« le juge ne serait compétent que s’il ne mettait pas en œuvre certains des pouvoirs qui lui sont légalement dévolus. Cela n’est tout simplement pas concevable. »

En effet.

Si l'on aborde le problème sous l'angle de la compétence.

Or dès lors que le juge aux affaires familiale constate qu'il est territorialement et matériellement compétent, dans notre cas qu'il est bien juge aux affaires familiales (c'est écrit sur sa porte) et qu'il siège bien à Nanterre (c'est écrit sur un panneau devant le tribunal), le problème de la compétence est réglé.

Seul se pose le problème des pouvoirs du juge. La loi lui donne des pouvoirs pour mieux s'informer avant de statuer. Mais la constitution les lui retire quand un des époux est président de la République. S'il estime être insuffisamment informé pour pouvoir prononcer le divorce, le juge doit refuser, ou éventuellement surseoir à statuer en invitant les parties à lui fournir les pièces qu'il estime nécessaire, sans utiliser le moindre pouvoir de contrainte ni les ordonner lui même. Si ces éléments ne lui sont pas fournis, retour à la situation initiale : la demande sera rejetée.

Cela ne viole pas l'interdiction du déni de justice : le juge ne refuse pas de statuer sous le prétexte de l'obscurité de la loi : il statue, et sa réponse est de rejeter la demande des époux.

D'ailleurs, le Nouvel Observateur annonce par un titre assez mystérieux que « Les Sarkozy ont matérialisé leur séparation lundi 15 octobre ». Matérialisé une séparation ? Les termes sont paradoxaux. S'ils ont vu un juge, il est bien possible qu'ils soient d'ores et déjà divorcés. Mais les rumeurs vont bon train dans cette affaire : LCI dit qu'une requête aurait été déposée par Cécilia Sarkozy, ce qui ne semble pas très réaliste : je pense qu'elle a autre chose à faire que jouer les coursiers pour son avocat. Comment savoir ?

Mais très simplement, amis journalistes. Allez régulièrement à la mairie où se sont mariés les époux Sarközy de Nagy-Bocsa et Ciganer-Albéniz, et demandez un extrait d'acte de mariage sans filiation (il vous faudra la date du mariage, mais vous êtes journalistes, je vous fais confiance). C'est gratuit et aucun justificatif ne vous sera demandé. Le divorce devra être mentionné en marge pour que ses effets soient opposables au tiers, notamment que les époux puissent se remarier ou que les créanciers de l'un ne puissent poursuivre l'autre. Vous aurez même l'indication du jour où le jugement a été rendu. La demande peut aussi être faite par courrier (n'oubliez pas une enveloppe timbrée pour la réponse).

Et dès lors, réjouissez vous, femmes de France : vous saurez que le président est à nouveau un cœur à prendre.

Notes

[1] "Dire le droit" en latin se dit juris dictio ; d'où le mot juridiction : entité qui dit le droit.

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