Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 26 octobre 2007

vendredi 26 octobre 2007

Et ça fait quoi, un procureur ?

Troisième et dernier volet de notre saga. Sautons directement au cœur du récit.

Le vice-procureur Parquetier arrive tôt, comme tous les jours où il est en charge du traitement en temps réel. Il y a toujours de l'imprévu, et la fin de matinée est toujours surchargée. Autant profiter du calme de début de matinée pour traiter les premiers dossiers.

D'abord, saluer les greffières. Elles aussi vont passer une rude journée. Première tasse de café, et coup d'œil à la pile des dossiers. Il y en a déjà quelques uns. Qui les a traité... Ha, c'est Lincoln. Bon, il ne devrait pas y avoir trop de surprises. Qui compose le tribunal cet après midi ? Le président est le juge Gascogne. Ouille. Pas commode celui-là. Il aime autant taper sur les avocats que sur les procureurs. Quoique... Depuis quelques mois, il est devenu plus zen. Premier assesseur... Dadouche. Sympa, mais il ne faut pas lui casser les pieds. Deux juges d'instruction. Il va falloir être vigilant sur les procédures. Et un juge de proximité pour compléter. Hé ! Hé ! Le président adore les juges de proximité, les délibérés vont être animés.

Allez, hop, au bureau.

Veste posée sur le porte manteau : l'agitation donne chaud.

Premier dossier : affaire Boullu. Conduite en Etat d'Ivresse. Premier relevé : 0,46mg. Deuxième : 0,47mg. Profession... Artisan marbrier. Donc besoin de conduire. Allez, en Ordonnance pénale. On va demander le tarif « petite ivresse » : 500 euros d'amende, suspension de trois mois. Il doit bien avoir un apprenti ou en employé qui conduit. Pas de prison avec sursis, il n'a pas de casier, c'était un petit dépassement.

Hop, dans le casier Ordonnance pénale.

Deuxième dossier : Affaire Ladrón. ILE, vol, recel, recel, recel. Je prends.

« Allô, madame le greffier ?

« - Monsieur le procureur ?

« - Vous pouvez m'appelez un interprète en espagnol pour une comparution immédiate cet après midi ?

« - C'est fait. Monsieur Tapioca est en route.

« -Parfait, merci. »

In Petto : Alors voyons. La saisine... Les policiers sont appelés par le personnel du Mac Quick de la place Georges Rémi pour un vol commis dans l'établissement... Le voleur a été repéré par un client, qui s'en est saisi. La police arrive 5 minutes après, pas de coups, pas de fouille par les vigiles du restaurant... Il est conduit aussitôt auprès de l'OPJ de permanence. Notification des droits dans la foulée. Prolongation... Voici le fax envoyé par Lincoln, dans les temps. La procédure est bonne.

Alors, sur les faits. Le vol est établi. Il s'est emparé du portefeuille, l'a sorti du sac, c'est un vol, pas une tentative. On a un témoin, il a été entendu... Le prévenu nie les faits, il a jeté le portefeuille par terre et a prétendu qu'il était tombé...Ben voyons.

Les recels... Deux téléphones portables, un ticket restaurant... Quoi ? Un ticket restaurant de 7 euros ? Décidément... Allez, qui vole un oeuf recèle un boeuf.

Ensuite, sur les téléphones... Réquisition aux opérateurs, qui ont donné les coordonnées des propriétaires... Ils ont été entendus... Allons bon, le premier dit qu'il avait perdu son téléphone et n'avait pas signalé la perte, s'agissant d'un téléphone mobicarte. Pas de vol, pas de recel.

Mais... Mais... Par le MBA de Rachida Dati ! Le deuxième propriétaire aussi déclare que c'était une perte. C'est sa fille qui l'avait perdu dans le bus. Perdu, mon oeil, oui. Mais du coup, je n'ai rien pour les deux recels.Et deux réquisitions judiciaires facturées pour rien, deux.

Et le ticket restaurant ? Ils ont appelé la société okké, qui émet ces titres. Encore une réquisition judiciaire. C'était des tickets de la société Mondass Assurance. La société a indiqué qu'un de leurs employés, Séraphin Lampion, s'était fait voler son carnet de tickets restaurant au marché aux puces. Il avait déposé plainte, la copie est annexée. Bon, j'ai de quoi caractériser le recel du ticket restau.

(Soupir)

J'adore quand un dossier se déballonne. Un portefeuille restitué, un ticket restaurant de 7 euros, restitué aussi. Ha, il a fière allure, mon dossier. Je vais encore me prendre de l'ironie du président Gascogne.

Ha, oui, il y a l'ILE, aussi. Entré sans visa, il y a trois ans, aucune démarche en cours pour sa régularisation, pas de famille en France. L'ILE est caractérisée. On va poursuivre sous cette qualification pour pouvoir demander une interdiction du territoire comme peine complémentaire, elle n'est pas prévue pour le vol ni le recel.

Attends un moment... Il a quel âge ? 19 ans. Donc il est arrivé à 16 ans ? Il n'y a pas un truc pour les mineurs dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ? Flûte, il faut que je vérifie.

Ha, voilà, article L.313-11, 2bis. Il aurait fallu qu'il soit confié à l'ASE, et il aurait eu droit à sa carte. Mais on lui a dit de se cacher des autorités, et voilà, c'est trop tard. J'adore ce dossier.

Dring dring.

« -Monsieur le procureur, l'interprète est arrivé, et Monsieur Ladrón est au dépôt.

« - Merci. Le B1[1] est arrivé ? »

« - A l'instant. Il est néant. »

In Petto : Primodélinquant. Ha, oui, le président Gascogne va adorer.

« - Merci. Vous me faites monter Monsieur Ladrón ?

« - Bien Monsieur le procureur. »

Quelques minutes plus tard, entre un jeune homme, menotté, escorté d'un policier.

« - Bonjour Monsieur, asseyez-vous.

« - Sientese aqui, por favor.

« - Bonjour Monsieur l'interprète. Alors vous vous appelez Ramón Ladrón Hurtero, vous êtes né le 31 juillet 1988 à Alcazaropolis, au San Theodoros.

« - El fiscal le pregunta si usted se llama Ramón Ladrón Hurtero, nacido el treinta y uno de julio del ochenta y ocho, en Alcazaropolis.

« -Si. »

In Petto : Concentre-toi sur ce que dit l'interprète, sinon, tu vas avoir une migraine avant l'audience.

« - Vous avez été arrêté pour un vol de portefeuille, et d'avoir recelé deux téléphones portables et un ticket restaurant. Qu'avez-vous à me dire sur ces faits ?

« - Sur le vol du portefeuille, il dit que c'est bien lui, il avait besoin d'argent pour manger.

« - Ha, vous reconnaissez donc ?

« -Si.

« - Parce que ce n'est pas ce que vous aviez dit à la police.

« - Il dit qu'il avait peur, les policiers criaient très fort.

« - Bon je note : Je reconnais le vol du portefeuille. Et sur les téléphones ?

« - Il dit qu'il les a acheté 20 euros chacun dans la rue des Frères Loizeau.

« - Quartier mal famé. Vous devriez peut être garder votre argent pour vous acheter à manger plutôt qu'acheter des téléphones portables. Et le ticket restaurant ?

« -Il dit que c'est un individu qui en distribuait à des amis rue des frères Loizeau, et qu'il lui en a demandé un.

« - Et pourquoi vous n'avez pas utilisé le ticket restaurant plutôt que voler un portefeuille ?

« -Il dit que c'était une bêtise et qu'il regrette.

« - Je note : C'était une bêtise et je regrette. Pour le ticket restaurant, on me l'a donné dans la rue. Bon, Monsieur, vous allez passer devant le tribunal cet après midi pour être jugé. vous voulez un avocat ou vous voulez vous défendre tout seul ?

« - Il veut un avocat.

« - Vous avez un avocat ou vous en voulez un commis d'office ?

« - Il dit qu'il n'a pas d'argent.

« - Un avocat commis d'office, c'est un avocat gratuit.

« - Alors il veut l'avocat gratuit.

« - Très bien. Il va aller voir un enquêteur de personnalité, puis il rencontrera son avocat. Merci, monsieur l'interprète.

« -Gracias, Señoria. Adios.


Laissons le vice-procureur Parquetier tranquille pour qu'il finisse ses dossiers, et retrouvons le l'après midi même. Il a revêtu sa robe et est assis dans le prétoire, au bureau réservé au procureur, sous la fenêtre, sur l'estrade, à côté du tribunal. Le box des prévenus lui fait face, la porte s'ouvrant régulièrement pour amener le stock des prévenus en emmener ceux qui ont été jugés.

Le président demande à l'huissier d'appeler la première affaire.


L'huissier annonce « Dossier numéro 4, Ladron, Ramon ». L'interprète se place à la hauteur du prévenu. Le président tend le dossier au juge de proximité, qui a préparé ce dossier.

Le juge constate l'identité du prévenu, rappelle la prévention. Froncement de sourcil du président, il a l'air de ne pas comprendre quelque chose. Il doit être en train de se dire « Tiens ? IL n'y avait pas une histoire de téléphones portables, dans ce dossier ? »

Le juge attaque les faits, mais est aussitôt coupé par le président qui lui murmure quelque chose à l'oreille.

Le pauvre rougit et bredouille, avant de demander au prévenu s'il accepte d'être jugé tout de suite pendant que le président lève les yeux au ciel. Les juges de proximité et la procédure...

Pendant ce temps, le prévenu regarde son avocat d'un air interrogatif. Bon sang, ils ne briefent pas leurs clients avant l'audience sur le fait qu'on va leur poser cette question ?

Bon, il est d'accord. Le juge de proximité reprend son résumé des faits, qui est rapide. Récit de l'arrestation, déclarations en garde à vue, et l'identification du propriétaire des tickets restaurant.

La parole est donnée au prévenu, qui renouvelle ses aveux sur le vol, et maintient qu'on lui a donné le ticket restaurant. Le président demande à la salle s'il y a des parties civiles. Silence. Petit regard en coin vers le procureur. « Ce n'est guère étonnant... ».

In Petto : Oui, je sais, on a audiencé un dossier à sept euros de préjudice, le recel des téléphones nous a claqué dans les doigts...

« Des questions ? »

C'est d'abord au procureur. Il se lève et demande au prévenu :

« Mais vous pensiez que ce monsieur qui distribuait ces tickets restaurants s'était rendu rue des frères Loizeau pour distribuer gratuitement ses tickets restaurants comme ça, par bonté d'âme ?

« -Non, traduit l'interprète, s'ils étaient à lui, il les aurait gardé pour manger. Et puis c'est réservé à ceux qui ont un travail, ça.

« - Pas d'autre question. »

In Petto : Hop, trop facile. Coup d'oeil à l'avocat du prévenu. Il secoue la tête, accablé. Hé oui, son client vient de reconnaître le recel. Il n'a pas de question. Hé. Hé. Tu m'étonnes.

« Monsieur le procureur, vous avez la parole pour vos réquisitions. »

In Petto : Bon, vu le dossier et le profil, on ne va pas être méchant. C'est un dossier qui en fait aurait dû en rester au traitement administratif par un arrêté de reconduite à la frontière, on va le remettre sur les rails qu'il n'aurait pas dû quitter...

« Inutile de s'étendre longuement sur ce dossier, qui est d'une simplicité diaphane. Le vol est établi et reconnu par le prévenu ; quant au recel du ticket restaurant, il est établi par le fait que le prévenu reconnaît qu'il savait que ce généreux mécène n'était pas le propriétaire des tickets restaurants. La jurisprudence exige que le receleur sache que le bien recelé provient d'une infraction, mais il n'a pas à connaître la nature exacte de l'infraction principale. Cette infraction, nous la connaissons : c'est le vol dont a été victime Monsieur Lampion. Enfin, le prévenu est entré sans visa, et n'est pas muni d'un titre de séjour, ce qui constitue le séjour irrégulier.

« En conséquence, vous déclarerez le prévenu coupable des trois préventions.

« S'agissant de la peine, eu égard au fait que le prévenu n'a aucun condamnation à son casier, que le préjudice a été réparé par la restitution des objets volés et recelés, je demande simplement une interdiction du territoire français d'une durée de trois ans à titre principal. Le prévenu étant sans domicile fixe et en situation irrégulière, une remise en liberté reviendrait à ce que l'infraction de séjour irrégulier continue à être commise. En conséquence, je demande que l'interdiction du territoire soit assortie de l'exécution provisoire, ce qui entraînera de plein droit son placement en centre de rétention. »

Voyons ce que l'avocat trouve à redire... ? Bon, tout va bien : il lit la lettre de Guy Môquet.

« - Monsieur le procureur...

Un avocat s'est glissé près du bureau du procureur.

« - Bonjour Maître...

« - Je suis dans le dossier Grobeauf, uméro 11, les violences conjugales...

« - Oui ?

« - Tenez, voici des conclusions en nullité que je soutiendrai tout à l'heure, et des pièces, des justificatifs du travail de mon client, bulletins de salaire, contrat de travail.

In Petto : Hé oui, on n'a pas peur de cogner sa femme mais on a peur de perdre son boulot... Bah, je comptais demander un sursis avec mise à l'épreuve pour que Monsieur aille habiter un peu ailleurs, pas l'envoyer en prison pour qu'il perde son boulot. Par contre, il va falloir lire ces conclusions et y répondre, tout en suivant les débats du dossier. Bon, le président met l'affaire Ladrón en délibéré à la suspension d'audience. L'après midi va être longue...


Épilogue : Ramón Ladrón sera condamné à une interdiction du territoire d'une durée de trois ans, avec exécution provisoire. L'audience se terminera à 22 heures 10. 16 dossiers auront été jugés.

Notes

[1] Bulletin numéro 1 du casier judiciaire. C'est le relevé le plus complet, réservé à la justice. Il est géré par un service situé à Nantes, qui répond par fax aux demandes urgentes de toute la France.

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