Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 31 octobre 2007

mercredi 31 octobre 2007

Délits volontaires et involontaires

La discussion d'hier sur les chiens dangereux m'incite à enfin écrire un billet explicatif sur un des concepts les moins bien compris du droit pénal : l'élément moral de l'infraction, et la distinction qui en découle entre les délits volontaires et involontaires.

Toute infraction a une composante matérielle (un acte prohibé, comme des violences, ou une abstention, pour la non assistance à personne en danger ou la non dénonciation de crime) et un élément moral, qui implique la conscience qu'a l'auteur de ce qu'il fait.

Ici, il faut se remémorer la pierre angulaire du droit pénal français, la distinction tripartite des infractions.

A chaque catégorie d'infraction correspond un élément moral plus ou moins marqué.

Pour les contraventions, il suffit d'être conscient de ses actes, de ne pas agir sous l'empire d'une force majeure.

Ainsi, si vous grillez un feu rouge, peu importe que vous puissiez démontrer avec une certitude absolue que vous n'aviez pas vu le signal lumineux, la contravention est constituée. Votre seul moyen de défense est de démontrer qu'au moment des faits, vous avez agi mû par une impérieuse nécessité : vous transportiez une personne victime d'une crise cardiaque à l'hôpital, vous avez agi ainsi pour éviter un accident qui sinon aurait été certain, ou vous aviez perdu conscience, par exemple. Dans ces cas là seulement, l'élément moral disparait, et vous devez être relaxé.

Pour les crimes, il faut avoir recherché le résultat. Le meurtrier doit avoir voulu tuer. L'assassin doit avoir prémédité son geste. Le violeur doit avoir conscience du refus de sa victime d'avoir un rapport avec lui. Question classique de TD de droit pénal : « Mais quid du crime de violences volontaires ayant entraîné la mort sans l'intention de la donner ? La définition du crime exclut l'intention ? » Là, le chargé de TD se doit de coller immédiatement un zéro à l'étudiant. La définition légale exclut l'intention homicide, mais les violences demeurent volontaires, et ce crime, loin d'être une exception, démontre le principe : entre celui qui frappe à la tête pour assommer et tue, et celui qui frappe à la tête et tue, la seule différence est l'intention, et elle fait toute la différence.

Laissons l'étudiant se morfondre sous les regards chargés d'opprobre de ses camarades, et tournons nous maintenant vers la catégorie intermédiaire, celle des délits, qui va nous poser le plus de problèmes.

Pour les délits, la jurisprudence exige que le coupable ait agi en connaissance de cause, qu'il ait « fait exprès ». Attention, cela ne signifie pas qu'il doit avoir conscience de transgresser telle disposition législative ou réglementaire. Nul n'est censé ignorer la loi, cette preuve n'a pas à être rapportée. Peu importe que celui qui télécharge des films sur internet soit persuadé que c'est légal parce que ces films sont déjà passés à la télé. Il ne peut se prévaloir de son ignorance de la loi pour échapper à la condamnation. Voilà le sens exact de cette célèbre expression, qui n'a jamais voulu dire que tout le monde était censé connaître la loi.

Mais alors, pourquoi parle-t-on de délits involontaires ? L'expression est très mal comprise, et s'ajoute à cela la déplorable traduction des séries américaines. Souvent, vous verrez un procureur américain (district attorney) et l'avocat d'une crapule finie négocier des aveux contre une requalification en "homicide involontaire" avec 15 ou 20 ans à la clef, alors que toutes les preuves indiquent que ladite crapule a vidé deux ou trois chargeurs (selon le budget de la série) dans le corps de la victime.

C'est que le crime de unvoluntary manslaughter est traduit littéralement par homicide involontaire, alors qu'en fait il s'agit de violences volontaires ayant entraîné la mort sans l'intention de la donner (puni en France de 15 à 20 ans de réclusion criminelle, tandis que l'homicide involontaire est puni de trois à 5 ans, à une exception près). En fait, dans ces hypothèses, le procureur sait que son dossier a une faiblesse : il aura du mal à apporter la preuve de l'intention homicide qui constitue le meurtre. Or aux Etats-Unis, la requalification à l'audience n'est pas possible. L'accusé de meurtre qui établit l'absence d'intention homicide sera acquitté et ne pourra pas être à nouveau poursuivi sur les mêmes faits. D'où la proposition de la crapule : "je suis prêt à avouer ma culpabilité pour une infraction certes grave, mais me garantissant d'échapper à la prison à vie ou à la peine de mort. Si vous voulez me voir condamner à mort, prenez le risque de mon acquittement". Rassurez-vous, si la série passe sur TF1, la crapule sera immanquablement condamnée à mort et le procureur pourra aller trinquer gaîment avec ses collègues.

Revenons au droit français. Le délit volontaire se distingue du délit involontaire par la recherche du résultat. Celui qui frappe volontairement veut faire mal. Celui qui vole veut s'emparer d'un bien qui ne lui appartient pas. Le délit involontaire résulte d'une imprudence, d'une négligence, d'une maladresse, ou de l'inobservation volontaire de règles de sécurité.

Mais il y a bien au départ une action en connaissance de cause. L'auteur d'un délit involontaire commet bien un acte volontaire, mais jamais il n'a voulu causer le mal qui en résulte. Et la différence est fondamentale si vous voulez des décisions justes.

Un exemple qui fait comprendre la différence : prenons un ouvrier sur un échafaudage qui, pour épater ses camarades, jongle avec des marteaux. Un des marteaux lui échappe et blesse un passant. Il n'a pas voulu blesser qui que ce soit. Mais jongler avec des marteaux sur un échafaudage est une imprudence coupable, tant le risque de blesser quelqu'un si un marteau tombait était évident et n'a pas pu échapper au jongleur amateur. Il a pris un risque en connaissance de cause. Il mérite une sanction pénale, mais ne peut être assimilé à celui qui viserait sciemment des passants avec des marteaux, qui ne prend pas de risque mais cherche à blesser.

Or pour les propriétaires de chiens qui attaquent des enfants, comme pour les chauffards, on est dans le domaine de l'homicide involontaire. Le propriétaire de chien commet une faute, et même plusieurs : il s'occupe mal de son chien, le sort sans muselière, parfois sans laisse, le laisse divaguer, et n'a pas la force de le contrôler s'il devient méchant. Tout cela justifie qu'il soit condamné. Mais il ne peut être assimilé à celui qui lancerait son chien sur un enfant. De même que le conducteur qui roule trop vite, a bu quelques verres de trop, et regarde le cadran de son téléphone mobile en composant un numéro et ne voit pas arriver le cycliste qu'il percute ne peut être assimilé à celui qui aura jeté son véhicule contre le cycliste parce qu'il est l'amant de sa femme.

Cela est souvent mal compris des victimes, ou plutôt de leurs proches, quand celles-ci sont décédées des suites de cette faute. La loi du Talion a laissé des traces, et celui qui a tué doit être regardé comme un meurtrier dans le bon sens populaire. Quand elles entendent que les assises ont condamné tel meurtrier à 15 ans de réclusion criminelle, et que celui qui a fauché leur fils de 17 ans sur son scooter se prend 2 ans avec sursis, c'est souvent l'incompréhension. Et l'incompréhension, qui devrait appeler la pédagogie, attire en fait la démagogie, qui pousse à aggraver les peines en dépit de toute logique judiciaire.

Mais vouloir manifester son indignation en élevant l'imprudent au rang du criminel, cela revient aussi à rabaisser le criminel au rang de l'imprudent.

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