Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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novembre 2010

lundi 29 novembre 2010

Endorsement

Ce billet ne s’adresse qu’à mes confrères du barreau de Paris. Il sera bref.

Pour ceux d’entre vous qui n’ont pas relevé leurs e-mails depuis un mois et ont un fax en panne, je vous informe que demain et jeudi, ce sont les élections au Conseil de l’Ordre. Les autres sont au courant.

Comme je sais que sur les 13 voix que nous avons à donner, on finit toujours par se demander pour qui voter, voire voter au hasard ou voter blanc, je vous saurais gré de porter une de vos voix sur la candidature de notre confrère Abderrazak Boudjelti.

Pourquoi le soutiens-je ? D’abord, parce qu’il ne me l’a pas demandé, mais c’est le cas de l’ensemble des candidats, et je les en remercie, ça m’épargne la peine de refuser. J’ajoute que ce n’est ni un ami, ni un associé, ni même un co-défenseur dans un de mes dossiers. Je l’ai juste rencontré un soir et ai eu le plaisir de discuter avec lui, c’est tout.

Ensuite, parce qu’en tant que président, et je crois[1] membre fondateur de l’association des Avocats pour la Défense en Droit des Étrangers (ADDE), il est impliqué dans une voie du droit qui m’est chère et pour laquelle il y a un vrai, un beau combat d’avocat qui est engagé depuis des années, et dans lequel je suis modestement partie prenante. C’est une association d’entraide et d’échange d’informations et de jurisprudence pertinente entre tous les barreaux de France, pour faire échec au pire ennemi de l’avocat en la matière : l’isolement.

L’ADDE a filé des cauchemars au défunt ministère de l’immigration et de l’identité nationale, notamment en coordonnant au niveau national une riposte judiciaire lors de la tentative de reconduite à la frontière expresse des Kurdes syriens découverts sur une plage corse. Le taux d’annulation a été de 100%, malgré le choix du ministère d’éparpiller lesdits Kurdes dans toutes la France pour tenter de dissimuler une tentative d’expulsion collective, prohibée par le droit international. Pour la petite histoire, je sais que plusieurs de ces familles se sont vues reconnaître le statut de réfugiés par l’OFPRA. C’était vraiment des gens qui fuyaient la persécution que l’administration tentait de renvoyer à leurs bourreaux. Voilà un exemple parmi tant d’autres, sans doute le plus spectaculaire, mais pas la seule victoire, remportée grâce à l’ADDE.

Or il serait bon à mon sens qu’un membre du Conseil de l’Ordre soit aussi impliqué dans les problématiques de la défense d’urgence en droit des étrangers. Dieu sait que les choses peuvent être améliorées, et que des compétences techniques doublées d’une pratique active seraient appréciées. Surtout à la veille d’une nouvelle réforme du droit des étrangers qui nous promet bien des hauts-le-cœur.

Je n’hésite pas à vous demander ce service car je n’en tirerai aucun bénéfice personnel, hormis peut-être une plus grande implication de l’Ordre en la matière.

Voilà, j’arrête de vous emm… avec ces élections qui, courage, sont bientôt passées.

NB : Abderrazak Boudjelti est également candidat mandaté par le Syndicat des Avocats de France. Si vous êtes de droite, encanaillez-vous avec la gauche le temps d’une voix. Personne n’en saura rien.

PS : Inutile de me solliciter pour le 2e tour ou pour l’année prochaine. Je ne compte pas faire de ce type de soutien une habitude.

PPS : Oui, vraiment inutile de me solliciter. Abderrazak Boudjelti a été battu en arrivant 19e pour 13 postes. Punaise, chers confrères, vous déconnez. Vous élisez un membre du COSAL et vous écartez Abderrazak Boudjelti. Tsss…

Notes

[1] Au temps pour moi, le président de l’ADDE est mon confrère Vanina Rochiccioli.

dimanche 28 novembre 2010

"Dossier suivant..."

Il y a des jours où le métier de magistrat est encore moins facile que les autres. Et avec son talent habituel, Pascale Robert-Diard, nous raconte une de ces affaire, jugée avant-hier vendredi à Créteil.

Quelques commentaires préalables :

La présidente du tribunal n’a rien à dire sur le fait que le dossier lui échoit. Le juge a une obligation de juger tout dossier qui lui est confié. Le vocabulaire juridique, qui affectionne les expressions marquant l’esprit, dit que le juge est saisi d’un dossier. Dès lors que c’est bien à son tribunal que la loi attribue le pouvoir de juger cette affaire, la présidente doit le juger.

C’est le parquet qui a décidé d’engager des poursuites. Il n’y a pourtant aucun paradoxe entre cette décision de poursuivre et des réquisitions que l’on devine très modérées, tant sur la forme dans laquelle elles sont exprimées que sur la peine demandée. Il y a eu mort d’homme. Le parquet ne peut pas classer une telle affaire sans suite. Ça n’interdit pas la lucidité sur la réalité criminelle de cette affaire dramatique.

Enfin, la peine prononcée est à la limite de la légalité, puisque la dispense de peine suppose que le préjudice soit réparé, et ici, l’irréparable a eu lieu. Mais dans cette affaire, manifestement, aucune peine n’était adéquate. Le tribunal a donc dispensé de peine. A dossier exceptionnel, on peut admettre des exceptions qui ne troublent pas l’ordre public. D’autant que la prévenue a déjà une autre peine, et celle-là sera perpétuelle. Le fait qu’il n’y ait pas de meilleure solution est un indice sérieux qu’on a trouvé la bonne solution.

Dernier avertissement : c’est un billet qui remue. Surtout ceux d’entre vous qui êtes parents. Je n’aurais pas aimé plaider ce dossier.

Une mère, sa fille oubliée dans une voiture, et la justice., sur le blog Chroniques judiciaires, de Pascale Robert-Diard.

mercredi 24 novembre 2010

Avis de Berryer Belge, avec comme invite : Dieu

Peuple de Berryer, c’est le branle-bas ! Une Berryer inattendue, impromptue et au débotté va avoir lieu demain jeudi 25 novembre 2010 à 21 heures, salle des Criées. 

L’invité sera Dieu, Créateur du ciel et de la terre et de deux-trois autres trucs, qui a confirmé Sa venue, entouré de ses Douze apôtres secrétaires. Encore que je me suis laissé dire que ce ne sera pas forcément les douze que l’on croit, puisque la rumeur et les sujets semblent indiquer une visite de nos cousins venus du plat, les secrétaires de la Conférence du barreau de Bruxelles. Normal, car de toute évidence, Dieu ne peut être que Belge, puisque même divisé en trois, il reste Un, exploit que seuls les Belges ont réussi à accomplir à ce jour.

En outre, gageons que pour une fois, si les douze secrétaires sont de bonne volonté, cette conférence sera placée sous le signe de l’esprit fin.

Les sujets seront les suivants :

1. Et Dieu créa la frite ?

2. La Belgique a-t-elle une crise de foi ?

 

Comme d’habitude, entrée libre, dans la limite des places disponibles. Les candidats peuvent se manifester auprès de l’excellent Thomas Heintz, au 01 42 27 33 82 / theintz[at]fleurymares.com

Bonne Berryer.

vendredi 19 novembre 2010

Prix Busiris pour Michel Mercier

busirisEolas_big 1 minute 40 secondes. L’Académie a dû se frotter les yeux face à ce record qui ne sera sans doute jamais battu. Il aura fallu 1 minute 40 secondes à Michel Mercier, annonce de l’heure, lancement et salutations comprises, pour obtenir son premier prix Busiris. Un contrôle antidopage a naturellement été effectué, et est revenu négatif.

Le garde des Sceaux, déjà affectueusement surnommé “Angélique” par ses petits pois dévoués, effectuait aujourd’hui sa première sortie médiatique, au micro d’Europe 1, interviewé par Jean-Pierre Elkabbach.


Voici la vidéo.

Saluons ici le journaliste qui a loyalement averti le ministre : “En matière de justice, il n’y a pas d’état de grâce, il faut tout de suite être dans le bain. Michel Mercier, bonjour, êtes vous prêts à plonger ? On y va ?”.

Et prêt à plonger, le ministre l’était.

La première question porte sur l’affaire dite du karachigate, du nom d’une affaire de commissions occultes sur un marché de construction de sous marins par la France au Pakistan, dont le défaut de paiement aurait entraîné à titre de mise en demeure un attentat ayant tué le 8 mai 2002 14 personnes dont 11 Français travaillant pour la Direction des Constructions Navales, attentat attribué aux islamistes mais semble-t-il perpétré en réalité par les services secrets du pays pour faire comprendre que Pacta Sunt Servanda.

— “ Le juge [d’instruction] et les avocats [des parties civiles] demandent la levée du secret défense, est-ce que vous soutenez leur demande ?

— “Écoutez, je suis ministre de la justice et j’ai comme règle toute simple de ne pas intervenir dans des instructions en cours. Il y a une instruction, un juge d’instruction, il utilise les procédure existantes, il doit les utiliser, et je n’a rien à dire.”

Relance du journaliste :

_ “Est-ce que vous êtes favorable…”

Interruption du ministre.

— “Je n’ai …Si vous… Monsieur Elkabbach, si je commence mon travail de ministre de la justice en intervenant dans les procès en cours,… ça va pas marcher. Et je ne ferai jamais ça.”

Le journaliste relance encore, car en habitué de la langue de bois, il sait bien que quand un ministre invoque le respect de l’indépendance de la justice, c’est qu’il sait que l’affaire peut lui exploser à la figure. Il ne manque plus que le ministre déclare qu’il a confiance dans les magistrats de ce pays, et on sait qu’il est mort de trouille.

— “Est ce que vous vous engagez ici à ce que toute la vérité soit faite au moins sur Karachi ?”

“Écoutez, il y a… la justice en est saisie, moi, j’ai confiance dans les magistrats de ce pays. Et je pense qu’ils feront bien leur travail.”

Avant de vous expliquer en quoi cette affirmation est ici juridiquement aberrante, écoutons la suite car voilà la contradiction.

— “Les familles des victimes de l’attentat demandent l’audition de messieurs Chirac et Villepin. Est-ce que c’est possible ?”

L’audition de témoins est un acte d’instruction par essence. Elle est décidée par le juge d’instruction, soit de sa propre initiative, soit à la demande d’une partie. Mais on est là au cœur de l’instruction. Après tout ce qui vient d’être dit, le garde des Sceaux devrait à nouveau opposer un refus ferme de prendre position, au nom de sa non intervention dans les instructions en cours et de sa confiance absolue dans les magistrats de ce pays. N’est-ce pas ?

“Écoutez, je pense que messieurs Chirac et monsieur [de] Villepin n’étaient peut-être pas en poste au moment de l’affaire de Karachi.” Sous-entendu : le juge d’instruction devrait refuser de procéder à cette audition qui n’apporterait rien à la manifestation de la vérité. Ça, c’est du virage au frein à main.

Mais l’aberrance juridique, donc.

Le ministre est interrogé sur la question de la levée du secret défense.

Qu’est-ce que le secret défense ?

Il est défini par les articles 413-9 et suivants du Code pénal.

413-9 : Présentent un caractère de secret de la défense nationale au sens de la présente section les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l’objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès.

Peuvent faire l’objet de telles mesures les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers dont la divulgation ou auxquels l’accès est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d’un secret de la défense nationale.

Les niveaux de classification des procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers présentant un caractère de secret de la défense nationale et les autorités chargées de définir les modalités selon lesquelles est organisée leur protection sont déterminés par décret en Conseil d’Etat.

Le décret en question est l’article R. 413-6 du Code pénal qui renvoie aux articles R. 2311-1 et suivants du code de la défense relatifs à la protection du secret de la défense nationale. Le législateur est taquin et adore les jeux de piste.

Le Code de la défense prévoir trois niveaux de classification : Très Secret-Défense, Secret-Défense et Confidentiel-Défense. Cette classification relève du ministre concerné, pas nécessairement de celui de la Défense (pensons au ministre des affaires étrangères). C’est lui qui classifie et déclassifie. Il est opposable à la justice, car les pièces doivent être versées au dossier de la procédure et sont librement accessibles aux parties, ce qui est incompatible avec leur caractère secret.

Bien sûr, il peut être tentant pour un ministre de classifier ainsi des éléments ne regardant pas la Défense nationale et susceptible d’intéresser un juge plutôt qu’un espion étranger.

Une loi n°98-567 du 8 juillet 1998 a institué une commission consultative qu’un juge peut saisir s’il souhaite une déclassification de documents utiles à la manifestation de la vérité qui émet un avis qui est rendu public (publié au JO), rendant beaucoup plus délicat pour un ministre de refuser une déclassification injustifiée. Il demeure que la décision relève de lui seul.

Voilà où se situe l’affirmation juridiquement aberrante. Le ministre se réfugie derrière l’indépendance de la justice pour refuser de prendre position sur une question relevant du seul Gouvernement. Ce qui est d’autant plus audacieux qu’il n’hésite pas dix secondes après d’exprimer un avis sur ce que le juge d’instruction devait faire. Ou plutôt ne pas faire.

Monsieur le ministre, félicitations, l’Académie vous décerne le prix avec mention “talent précoce”.

jeudi 18 novembre 2010

Un jury d'application des peines ?

Dernière fusée présidentielle (j’emprunte cette expression à Philippe Bilger, elle est parfaite pour désigner ce genre de fulgurances jaillies de nulle part, qui font dire “hooo” à tout le monde et finissent toujours en fumée) : la création de jurys populaires aux côtés des tribunaux correctionnels mais aussi, là est la nouveauté, au niveau de l’application des peines.

Le sujet a beau être complexe, pour une fois, je vais faire assez court. Cette proposition se heurte à tellement de difficultés concrètes qu’elle a encore moins de chances de voir le jour que la suppression du juge d’instruction, que le changement de garde des Sceaux achève d’enterrer.

Entendons-nous bien. Sur le principe, je n’ai rien contre le jury populaire. Je le pratique assez pour savoir qu’il ne se confond pas avec l’opinion publique, que la quasi totalité des citoyens tirés au sort prend son rôle très au sérieux, et que prendre une décision après une audience judiciaire n’a rien à voir avec écrire un commentaire sur le figaro.fr. Les dérives ne sont pas impossibles, mais elles sont rares, et j’ai moins peur de neuf citoyens tirés au sort que d’un juge unique en matière correctionnelle, car si je tombe sur un exalté, il n’y aura personne pour le tempérer. Qu’on ne me fasse pas le procès d’intention de me méfier du peuple. Si je tiens un blog sur le justice depuis plus de 6 ans, c’est précisément pour rapprocher mes concitoyens de leurs juges.

Ceci étant réglé, matériellement, la réforme sera impossible à mettre en place, pour des raisons pratiques, car elle va à contresens de toute l’orientation de la politique pénale.

Un jury populaire a besoin de temps. Pour comprendre le dossier, pour comprendre les enjeux, pour délibérer à plusieurs, pour voter (car seul un vote secret garantit la sincérité de son opinion). Plaider devant un juge professionnel peut se faire en 5 à 15 minutes sur la plupart des dossiers. Un technicien du droit s’adresse à des techniciens du droit, le vocabulaire est technique et précis, on peut se contenter de citer un numéro d’article pour appuyer un argument de droit. Une plaidoirie d’assises ne peut faire moins de 30 minutes, la durée ordinaire étant plutôt autour de l’heure. Pas tant à cause de la complexité de l’affaire (une cavalerie bancaire est bien plus compliquée qu’un meurtre) mais parce qu’on s’adresse à des Mékéskidis. C’est exactement la même raison qui fait la longueur légendaire de certains de mes billets. Face à des magistrats, un avocat peut sprinter ; face à des jurés, il faut aller les prendre par la main et marcher à côté d’eux tout le long du chemin. C’est très enrichissant ; mais c’est mauvais pour les stats.

C’est antinomique avec la politique actuelle de traitement en temps réel, qui fait des audiences de comparution immédiate surchargées traitant parfois 25 dossiers en un après-midi. Et cette contradiction est irréconciliable. Elle suffit à condamner la réforme.

Mais il y en a d’autres.

La procédure correctionnelle se fonde sur un dossier. Il faut lire les procès verbaux reprenant les constatations des policiers, les déclaration des témoins et plaignant, et bien sûr ne pas lire les déclarations du suspect puisqu’elles sont nulles faute d’assistance d’un avocat. La procédure d’assises, elle, bien que précédée d’une instruction, est orale. Les jurés n’ont pas accès au dossier, seules certaines pièces sont lues, à la demande des parties ou au choix du président. Cela contribue encore plus à la durée des débats. Une telle réforme impose donc de bouleverser la procédure correctionnelle pour en faire une procédure orale. Ce qui implique l’obligation absolue pour le prévenu de comparaître en personne, ce qui n’est pas le cas actuellement, le prévenu peut se faire représenter par un avocat, et surtout implique la comparution en personne des policiers et témoins. En somme, une procédure anglo-saxonne.

Ce n’est pas impossible, puisque ça existe aux Etats-Unis et en Angleterre. Mais ces systèmes reposent sur le fait que seule une minorité des affaires sont effectivement jugées, la plupart étant traitées en plaider coupable, c’est-à-dire par des audiences de distribution de peines très encadrées par la loi.

Bon nombre d’audiences correctionnelles font l’objet de renvois faute de pouvoir être jugées. Déranger des jurés (NB : Partie mise à jour) qui coûtent de l’ordre de 150 euros par jour, pour que l’affaire soit renvoyée va rapidement rendre la mesure impopulaire. Mais ces renvois sont parfois inévitables, car imposés par le droit à un procès équitable (article 6 de la célèbre Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales – CSDH).

Le jury populaire a un coût important. Outre l’indemnisation des jurés, il faut mettre en place le système de tirage au sort, les envois et le suivi des convocations, traiter, au besoin pénalement, le cas des jurés ne répondant pas, et le suivi administratif des indemnités. Les tribunaux accueillant une cour d’assises auront moins de difficultés, mais le nombre de jurés à suivre va sans doute être multiplié par vingt ou trente ; quant aux tribunaux sans cour d’assises (une majorité), ils ne sont tout simplement pas équipés.

Bref, une fois de plus, notre président bien-aimé-sauf-dans-les-sondages risque de se casser le nez face à sa pire ennemie : la réalité.roue carrée

S’agissant du jury d’application des peines, s’ajoute la technicité aigüe de la matière, peu, trop peu pratiquée par les avocats hélas (il faut dire qu’elle n’est pas rentable financièrement). Il y a d’ailleurs une dizaine d’année encore, c’était une matière purement administrative, à tel point que les décisions de libération conditionnelle des criminels lourdement condamnés relevaient du Garde des Sceaux en personne. Plusieurs réformes ont profondément changé la matière en 2000, 2004 et 2009, il y a un an tout juste, avec la loi pénitentiaire. Vous voyez d’ailleurs la politique de gribouille à l’œuvre une fois de plus. La matière s’est profondément judiciarisée. Un juge d’application des peines ne se contente pas de dire si oui ou non il y a lieu à libération. La décision suit un long processus de préparation d’un projet de sortie : où le condamné habitera-t-il ? Que fera-t-il une fois dehors ? Il y a des expertises médico-psychologiques faisant appel à des notions médicales précises : une personnalité narcissique n’est pas une personne qui aime se recoiffer devant un miroir. Et elle s’accompagne d’obligations liées à sa situation. La loi offre une très vaste panel de mesures possibles. Il faudra que les jurés les connaissent pour statuer en connaissance de cause et puissent le cas échéant les modifier ou en proposer d’autres. Bref, qu’ils soient plus compétents que des avocats. Tenez, allez lire le Code de procédure pénale sur l’application des peines. Ca commence là. Juste la partie législative. Vous en avez dix fois plus dans la partie décrets.

En outre, le critère retenu des criminels condamnés est absurde. La loi répartit actuellement l’application des peines entre deux juridictions, le juge d’application des peines (JAP), statuant à juge unique, et le Tribunal d’application des peines (TAP), composé de trois JAP et siégeant au niveau de la cour d’appel (la plupart des tribunaux de grande d’instance n’ont qu’un seul JAP). La répartition se fait sur le critère de la peine restant à exécuter : le TAP est compétent pour les peines prononcées supérieures à dix ans et dont la durée restant à subir dépasse 3 ans. En dessous, le JAP est compétent, sachant que tout JAP peut décider , face à un dossier délicat, de le renvoyer au TAP pour bénéficier d’une prise de décision collégiale. Déranger des jurés pour savoir si un condamné pour meurtre dans les années 90 devant sortir dans 1 an va bénéficier ou non d’une libération conditionnelle me paraît quelque peu démesuré.

En outre, les praticiens de la matière savent que l’aménagement des peines, et notamment la libération conditionnelle, préparée et encadrée, est le meilleur moyen de lutter contre la récidive (le taux est beaucoup plus élevé pour les libérations “sèches”, en fin de  peine et sans encadrement possible, que pour les libérations conditionnelles qui sont suivies et encadrées par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, sous la surveillance des JAP), et qu’il y a pour chaque condamné une fenêtre de tir, un moment optimal où le condamné est prêt pour se réinsérer. La rater en refusant une mesure adaptée peut tout gâcher, car la détention sera dès lors vécue comme injuste et disproportionnée. Or une société injuste ne donne pas envie de s’y insérer. Faire comprendre cela à un jury et le convaincre qu’on y est, que c’est maintenant qu’il faut tenter le coup suppose de lui transmettre une expérience qu’il n’a pas. Le risque de réinsertions gâchées par un jury trop prudent est grand, avec comme conséquence une forte augmentation de la récidive, ce qui n’est pas l’effet recherché.

J’attire d’ailleurs votre attention sur la plus grande erreur commise ces dernières années par le législateur en la matière : le traitement de la récidive au niveau de l’application des peines. C’est l’infâme loi Clément du 12 décembre 2005, dite “Récidive I” principalement, qui devrait faire mourir de honte son auteur. Qu’on prenne ne compte la récidive au niveau de la peine prononcée, c’est compréhensible, tant que c’est une prise en compte intelligente et non automatique à coup de peines plancher. Le renouvellement d’un comportement ayant déjà conduit à une condamnation appelle une plus grande sévérité, j’en conviens. Mais limiter les possibilités d’aménagement des peines pour les récidivistes comme l’a fait la loi Clément, en augmentant les délais avant de bénéficier d’une telle mesure, voire en interdisant purement et simplement les libérations conditionnelles parentales (possibles sans condition de délai) pour les récidivistes est une imbécilité profonde et une erreur gravissime. Les récidivistes sont précisément ceux qui ont le plus besoin des aménagements de peine permettant un retour à la liberté progressif et encadré pour une réinsertion définitive. Et la fenêtre de tir dont je parlais est trop souvent manquée pour des conditions de délai. Où on voit que la loi anti-récidive de M. Clément favorise de fait la récidive. On l’applaudit bien fort. Il est urgent d’abroger ces limitations au niveau de l’application des peines (les peines plancher, j’arrive encore à me débrouiller avec, car elles n’ont rien d’automatique). Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont des directeurs d’établissement pénitentiaires.

Cette idée de réforme présente toutefois un avantage immédiat : le président ne pourra plus sauter à la gorge du juge quand un libéré sous conditionnelle repassera à l’acte. La démagogie interdit en effet de promettre de faire payer le peuple. Comme quoi il devrait y réfléchir à deux fois.

Avis de Berryer : André Manoukian

Peuple de Berryer, la Conférence te semonce ! Viens t’ébaudir avec l’éternelle star : la conférence reçoit monsieur André Manoukian, auteur-compositeur, arrangeur, pianiste et comédien, qui nous régalera sans doute des aphorismes et apophtegmes dont il a le secret.

Ce sera le lundi 22 novembre 2010 à 21h00, Salle des Criées du Palais de Justice.

Le beau Dédé

Le portrait approximatif de l’invité sera dressé par la spectaculaire Vanessa Bousardo, 9ème secrétaire de la Conférence.

Les travaux porteront sur les sujets suivants :

1. Tu te plais dans ton pavillon, Baltard ?

2. Liane Foly, est-ce bien raisonnable ?

Comme toujours, l’entrée est libre, sans réservation possible, sauf à coucher avec Thomas Heintz, Quatrième secrétaire (et vous comprendrez l’admiration que je lui porte en voyant le nombre de places réservées).

Toute personne, avocat ou non, peut assister à la Conférence Berryer. Compte tenu du nombre limité de places, il est recommandé d’arriver tôt (avant 19h30), la conférence commençant à 21h00. Présentez-vous au contrôle au niveau des grilles de la Cour du Mai, Boulevard du Palais. 

Les candidats (et non les spectateurs) sont invités à s’inscrire auprès de M. Thomas Heintz, 4ème Secrétaire :

Tél.: 01 42 27 33 82 / theintz[at]fleurymares.com

 

Bonne Berryer à tous.

mardi 16 novembre 2010

Touche pas à mon fils

Une mésaventure venant d’arriver à un couple isérois ferait sourire le juriste s’il n’avait eu pour conséquence de gâcher une noce.

Elle est Chinoise, de Hong Kong, et belle ; il est Français, donc beau, et de Grenoble, ce qui ne gâche rien.

Ils s’aiment et ont décidé de convoler. Une cinquantaine de personnes ont été invitées pour célébrer l’hymen, dont certains ont fait le voyage depuis le Port Aux Parfums.

Mais patatras : la fête fut gâchée, et comme toujours, par un huissier. Les parents du fiancé formèrent une opposition à mariage en vertu de l’article 173 du Code civil, à la stupéfaction générale, y compris, et cela m’étonne, de mes confrères isérois interrogés par le journal le Dauphiné :

Aucun des nombreux avocats qu’ils contactent ne connaît cet article 173. « De ma vie professionnelle, je ne l’ai jamais croisé, confirme Jean-Luc Medina, bâtonnier de Grenoble. Ce texte est tombé en désuétude, il n’a jamais été abrogé ».

Je veux croire qu’ils se seront mal exprimés. L’article 173 du Code civil n’est pas tombé en désuétude, et est toujours en vigueur, bien qu’il ne soit que fort peu utilisé (j’ai trouvé trace d’une telle opposition formée à paris en 1983).

Mais prenons les choses dans l’ordre, voulez-vous.

Le mariage est une union à la fois publique et privée. Privée, car elle est une union consentie entre deux êtres et fait naître des obligations respectives, et tient de ce point de vue du contrat. Publique, car elle ne se forme que par une célébration, c’est à dire une formalité publique, et quiconque peut savoir si Untel ou Unetelle sont mariés, et avec qui, en demandant, sans frais, un extrait d’acte de naissance ou de mariage des intéressés.

Cette publicité est un élément fondamental du mariage. Le mariage clandestin est nul : article 191 du Code civil (ce qui me fait m’interroger sur la validité de l’hymen présidentiel, célébré en catimini à l’Elysée, qui n’est pas la Maison Commune et certainement pas accessible au public).

La loi exige donc préalablement à la célébration une formalité de publicité : la publication des bans, affichettes placardées à la mairie (le Code civil emploie une délicieuse expression surannée, la Maison Commune) où la célébration aura lieu, mentionnant les prénoms, nom, professions domiciles et résidence des futurs époux, ainsi que le lieu où le mariage devra être célébré. Cette publication doit avoir lieu au moins dix jours avant le mariage, faute de quoi la célébration ne peut avoir lieu, sous peine de voir les foudres de la loi s’abattre sur l’officier d’état civil, le frappant d’une terrible amende de 3 à 30 euros, le mariage restant valable. Cette publication vise à permettre à quiconque connaissant l’existence d’une cause d’empêchement du mariage de se manifester à temps. Ces causes étant principalement une trop forte parenté entre les époux (qu’ils pouvaient parfois ignorer eux-même dans la France du XIXe siècle), où l’existence d’un mariage non dissous (l’état civil étant rigoureusement tenu depuis deux siècles, il faut que le dit mariage ait été célébré  l’étranger et non transcrit pour que ce soit possible), ou une éventuelle fraude.

Cette formalité quelque peu folklorique (qui va lire les bans affichés dans les panneaux de publicité administrative à l’extérieur de toutes les mairies, alors qu’il peut lire mon blog ?), l’est un peu moins depuis 2003 et 2007 où le législateur, qui a cru nécessaire de venir glisser son nez jusque dans la couche nuptiale, a posé de multiples conditions préalables à cette formalité. Ainsi, désormais, le maire est censé recevoir les époux, au besoin séparément, pour s’assurer de la réalité de leur intention matrimoniale. Vous l’aurez deviné, cette formalité a été introduite (en 2003) et modifiée (en 2007) par des lois portant sur l’immigration ; car l’étranger est censé venir jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes, et pas donner des fils à nos femmes. Heureusement pour mon maire bien aimé que je me suis marié à l’étranger et avant ces lois scélérates. Je redoute qu’un tel interrogatoire de police se serait déroulé dans une ambiance peu républicaine.

Rassurez-vous, le président de la République, lorsqu’il a épousé une étrangère, n’a pas eu à subir cette humiliation, qui n’est bonne que pour les gueux citoyens ordinaires. Et je suis prêt à parier que l’ancien ministre de l’immigration n’a pas eu non plus à passer par ces fourches caudines lorsqu’il a épousé sa ravissante épouse, pourtant native du mauvais côté de la Méditerranée. C’est l’article 63 du Code civil.

Une fois cette formalité respectée, la célébration a lieu selon les formes prévues par l’article 75 du Code civil, qui emprunte beaucoup au cérémonial liturgique, notamment par la lecture du Livre. Non point la Bible, laïcité obligé, mais le Code civil, dont certains articles sont lus aux époux, qu’il ne sont pourtant pas censés ignorer.

Cependant, la célébration ne peut avoir lieu en cas d’opposition à mariage.

Cette opposition se fait très simplement, par signification par huissier. Vous téléphonez à un huissier territorialement compétent pour la commune où le mariage va avoir lieu (actuellement, c’est le ressort du tribunal d’instance qui détermine cette compétence ; cela doit bientôt passer à l’échelle départementale, mais je ne sais plus où en est cette réforme ; je compte sur mes gentils lecteurs pour m’éclairer). Celui-ci va se rendre au domicile des époux et leur remettre en main propre un acte d’opposition à mariage, qui est également signifié à la mairie où la célébration doit avoir lieu.

Qui peut former opposition ?

À tout seigneur, tout honneur : le ministère public, gardien de l’ordre public, qui a des compétences peu connues mais très importantes en matière civile, notamment pour tout ce qui concerne l’état des personnes. N’oubliez pas que c’est le ministère public qui a fait appel du jugement de Lille annulant un mariage car la mariée avait menti sur son état virginal. Son droit d’opposition s’exerce chaque fois qu’il décèle une cause qui entraînerait la nullité du mariage ; c’est une opposition préventive (art. 175-1 du Code civil). Ainsi, le parquet de Bordeaux avait formé opposition au mariage que l’ancien maire de Bègles se proposait de célébrer entre deux hommes – ce qui n’empêcha pas le maire de passer outre.

L’époux ou l’épouse d’un des futurs conjoints, pour des raisons qui me semblent assez évidentes (art. 172 du Code civil).

Enfin, les parents des deux époux (art. 173 du Code civil), et si les deux sont décédés, les aïeux vivants. Si l’un des mariés n’a ni père et mère, ni aucun ascendant en vie, le frère ou la sœur, l’oncle ou la tante, le cousin ou la cousine germains majeurs, mais seulement si l’un des époux est dément, ou sous tutelle et que le consentement du Conseil de famille n’a pas été obtenu (art. 174 du Code civil).

Pour nos presque mariés isérois, nous sommes dans le cadre de  l’article 173 du Code civil, opposition des parents.

Est-ce à dire que les parents peuvent, par un simple caprice, s’opposer au bonheur conjugal de leurs enfants ? Bien que cela soit la définition légale de la  belle-mère, la réponse est quand même non.

L’acte d’opposition doit comporter certaines mentions, à peine de nullité et de sanction de l’huissier ayant prêté son concours, dont une capitale : le motif de l’opposition. La Cour de cassation a jugé qu’une opposition fondée sur le seul rejet par les parents du futur conjoint est nulle.

Que faire en cas d’opposition ?

L’opposition peut d’abord être levée par celui qui l’a formée, par signification par huissier d’un acte qu’on appelle mainlevée.

L’opposition est valable un an, puis devient caduque. Mais dans ce cas, une nouvelle opposition peut être formée en cas de nouveau projet de mariage, retour au point de départ.

Enfin, le tribunal de grande instance peut être saisi de l’opposition. Il doit statuer dans les dix jours, de même que la cour d’appel en cas d’appel. Soit il ordonne la mainlevée de l’opposition, soit il la confirme, et dans ce cas, l’union matrimoniale est impossible, car l’opposition a révélé une vraie cause d’empêchement.

Le Code civil prévoit qu’en cas de mainlevée d’une opposition, une nouvelle opposition, même pour d’autres motifs, est irrecevable (sauf si la première opposition était nulle pour des raisons de forme, le fond n’ayant pas été abordé).

Pourquoi ces parents ont-ils fait opposition ?

Je l’ignore, les articles de presse étant muets là-dessus. Je ne vois guère que deux possibilités. Soit l’un des deux, si ce n’est les deux, ne supporte pas l’idée que leur fils épouse une fille de Confucius, soit le grand-père de l’époux ayant servi dans sa jeunesse dans la Coloniale a été envoyé en Indochine, et un soir de permission où il se rendit avec ses compagnons d’arme au tripot de madame Feng pour jouer sa solde au Mah-Jong, et la chance lui ayant souri, dans les vapeurs d’alcool de riz et d’opium, il fit la rencontre de la belle Feuille de Saule qui y vendait ses charmes pour aider sa famille souffrant de la famine dans un village perdu des sommets du Yunnan, et là, alors que sous leur fenêtre, la lune se reflétait dans le Mékong, il conçut par un accident voulu par les Dieux la mère de la mariée, faisant des futurs mariés des cousins germains tante et neveu, et donc rendant leur union impossible (phrase mise à jour). C’est cette dernière hypothèse que je juge la plus crédible, car je ne veux pas croire que des Français puissent être xénophobes. Des lecteurs soupçonneux pourraient se demander s’il n’y avait pas fraude, ce mariage ne visant qu’à donner des papiers à la mariée. Je leur ferais remarquer que si de tels mariages blancs existent, ils ne s’accompagnent généralement pas d’un banquet pour 50 personnes et la famille de la mariée ne fait pas 11000 km en avion pour venir assister à une fraude.

Faut-il abroger l’article 173 ?

Méfions-nous des décisions rapides et simplistes. Ça fait trente ans que la France est gouvernée ainsi, et l’expérience n’est pas concluante. Cet article est peu utilisé, mais conserve un intérêt. Le fait que ces époux attirent une sympathie naturelle pour leur malheur ne justifie par qu’on modifie la loi : on ne touche pas à la règle générale pour un intérêt particulier. Les parents n’ont pas un pouvoir discrétionnaire et arbitraire d’interdire à leur enfant de se marier (et accessoirement ils sont impuissants à empêcher un concubinage ou un PaCS), et ce sont les mieux placés pour connaître des causes s’opposant à un mariage, et parfois seuls eux les connaissent. Une opposition est désagréable, mais moins qu’une action en nullité postérieurement au mariage. De même que le fait qu’on abuse d’une loi ne rend pas la loi mauvaise. C’est l’abus qui l’est.

Que les époux acceptent néanmoins tous mes vœux de bonheur.

jeudi 11 novembre 2010

11 novembre

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Une pensée pour les poilus, tous disparus, et une particulière au dernier d’entre eux, qui fut un immigré qui se battit pour la France sans en avoir la nationalité (il ne l’eut qu’en 1939).

Il mentit même sur son âge pour pouvoir s’engager.

Ces immigrés, tous des fraudeurs.

mardi 9 novembre 2010

La Constitution à géométrie variable

On me sait gardien vétilleux de la rigueur juridique, même si je confesse volontiers un biais favorable aux libertés en général, et notamment à la première d’entre elle, qu’on distingue d’un simple singulier : la liberté.

Mais j’avoue que des fois, le parquet de Paris me semble planer à des hauteurs d’abstraction juridique telles que moi, humble vermisseau de la pensée du droit, j’ai du mal à le suivre.

Ainsi, alors qu’il est établi, ré-établi et surétabli  que les gardes à vue actuelles violent la Constitution, la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CSDH), les droits de l’homme et les principes généralement reconnus dans les sociétés démocratiques, le parquet de Paris ne voit aucun problème à continuer de les appliquer telles quelles et à embastiller gaillardement avec des déclarations reçues en violation de tout ce qui fait un système judiciaire dont on n’a pas à rougir.

Soit. On l’a vu, le mauvais exemple, comme le mauvais temps, vient d’en haut.

Mais le parquet se veut inflexible contre quiconque viole la loi, et si pour cela il faut qu’il la viole lui même, qui suis-je pour y trouver à redire ?

Néanmoins, au risque de passer pour un mauvais coucheur, je crains de déceler une certaine incohérence avec les principes ci-dessus rappelés dans une récente décision de classement sans suite prise par le même parquet.

Les faits étaient les suivants. Un président de la République en exercice, dont je tairai le nom pour préserver la présomption d’innocence, même  si, comme vous allez le voir, il n’en a  pas besoin, puisqu’elle est pour lui irréfragable, a un insatiable appétit de sondages. Il en prend à tous les repas, espérant garder la ligne (en vain, celle-ci a néanmoins plongé vers les abysses de l’impopularité), ce qui génère un coût non négligeable.

Peu importe, me répondrez-vous en chœur. Il est bon que notre primus inter pares soit à l’écoute du Peuple, et la Pythie aujourd’hui écoute le nombril du peuple via des instituts de sondage ; et nous ne sommes que trop heureux de contribuer au financement de ce louable souci d’écoute.

Certes. Mais néanmoins, si le principe est louable, la réalisation pêche quelque peu. Ainsi, la Cour des comptes, en juillet 2009, a eu la surprise de tomber sur une convention d’une page confiant la commande de ces multiples sondages (pour un budget annuel d’1,5 millions d’euros) au cabinet Publifact, qui lui-même se chargeait de passer les commandes auprès des divers instituts de sondage. Premier problème, ce cabinet appartient à Patrick Buisson, conseiller politique du président de la République, donc premier destinataire de ces sondages. Conflit d’intérêt. Deuxième problème, vu le montant annuel de ce contrat, il aurait dû suivre la procédure instituée pour les marchés publics, c’est à dire être soumis à un appel d’offre public (au niveau européen, même) et à une mise en concurrence, afin de respecter l’égalité des candidats et économiser l’argent public. C’est-à-dire tout le contraire de confier la commande et la réalisation à la même personne. Or ne pas respecter les règles des marchés publics est un délit, le délit de favoristisme (art. 423-14 du Code pénal).

Une association Anticor, pour Anti Corruption, a déposé une dénonciation de ces faits auprès du parquet de Paris. Dénonciation, et pas plainte, car seule la victime directe peut porter plainte et éventuellement saisir elle même un juge si le parquet n’y pourvoit lui-même. Or cette association ne peut prétendre être victime directe : elle est, comme nous tous, victime indirecte car c’est de l’argent public qui est ainsi mésusé. La dénonciation est l’acte d’un tiers qui signale au parquet une infraction et l’invite à y donner les suites que la loi appelle.

Or le parquet de Paris, après s’être penché sur la question, a rendu une décision de classement sans suite, pour des motifs juridiques qui ont de quoi laisser perplexe.

En effet, le parquet considère que l’immunité pénale du chef de l’Etat, prévue par la Constitution doit aussi s’appliquer à ses collaborateurs, en l’occurrence, Patrick Buisson.

Et là, je tique. Et quand je tique, je sors un livre d’Histoire.

L’immunité du président de la République est en France une vieille tradition, qui remonte à la Révolution française. La Constitution de 1791 instaurait une monarchie parlementaire, et posait le principe de l’inviolabilité de la personne du roi (chapitre II, Section 1re, article 2). On ne pouvait se saisir de sa personne, le juger ni lui faire le moindre mal. C’est là qu’on voit que violer la Constitution est aussi une vieille tradition en France.

Cette inviolabilité de la personne du chef de l’exécutif a perduré au-delà des régimes. Jamais formalisée sous Napoléon (qui n’en avait pas besoin), elle figure à l’article 13 de la Charte Constitutionnelle du 4 juin 1814 (la Restauration), l’article 12 de la Charte de la Monarchie de Juillet. La Constitution de la IIe république (1848) se méfiait de l’exécutif et a rendu le président pleinement responsable (article 68 de la Constitution). Ce qui n’a pas empêché ce président de  renverser le régime par un Coup d’Etat et de se faire nommer empereur, et de rétablir cette immunité par l’article 5 de la Constitution de 1852, assez habilement d’ailleurs : “Le président de la République est responsable devant le Peuple français, auquel il a toujours le droit de faire appel.” Je dois avouer l’idée de laisser le responsable seul décisionnaire de la nécessité d’en appeler ou non à son juge assez brillante.

La IIIe république, on l’oublie trop souvent, était censée préparer le terrain au retour d’un roi, la première chambre des députés étant dominée par les monarchistes (400 sur 675), mais trop divisés entre deux prétendants pour se mettre d’accord. En attendant, on a nommé un président de la République, aux pouvoirs restreints (il ne s’agit pas qu’il pique le trône au roi), qui n’est responsable qu’en cas de haute trahison (article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875). Vous connaissez la suite : les deux prétendants moururent simultanément, et les monarchistes furent balayés aux élections suivantes. Et voici comment naquit définitivement la République : par accident.

La loi Constitutionnelle du 10 juillet 1940 est muette sur la question, puisqu’elle renvoie à une nouvelle Constitution que le Chef de l’Etat est chargée de rédiger. Malheureusement, trop occupé à rédiger les statuts des juifs, le Maréchal n’a jamais trouvé le temps de rédiger cette nouvelle Constitution. Mal lui en a pris, puisque du coup, il a pu être jugé en 1945 et condamné à mort (peine commuée en prison à vie). Même si je doute qu’une Constitution eût suffi à le mettre à l’abri.

La IVe république revint à un système proche de celui de la IIIe, et l’article 42 de la Constitution du 27 octobre 1946 pose à nouveau le principe de l’immunité, sauf Haute Trahison, rapport au cas ci-dessus.

En 1958, tout change et rien ne change.

Tout change car le président de la République devient le personnage central de la République. C’est lui qui exerce le pouvoir, le premier ministre devient de fait un de ses subordonnés. Mais rien ne change : si le premier ministre peut être renversé par l’assemblée (ce qui n’est arrivé qu’une fois), le président, lui, est intouchable. L’article 68 posait le principe que le Président de la République n’était responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de Haute Trahison, constatée par une juridiction spéciale, la Haute Cour de Justice. La Constitution était muette sur le sort des actes accomplis en dehors de l’exercice de ses fonctions, notamment avant son élection. La question ne s’est jamais posée sur le après, les présidents de la République ayant jusqu’à il y a peu eu l’habitude de mourir peu après la cessation de leurs fonctions, quand ce n’était pas pendant, exception faite du président Giscard d’Estaing, qui a eu la précaution de devenir immortel, et qui n’a depuis commis que des crimes contre la littérature.

La logique voulait donc que le président restât dans ce cas un justiciable ordinaire ; mais le cas concret ne s’est pas présenté tout de suite. C’est grâce à l’élection d’un président ayant plus de casseroles qu’une voiture de jeunes mariés que la question est revenue sur le devant de la scène.

Elle a d’abord été tranchée très gentiment par la Cour de cassation, bien qu’on ne lui ait rien demandé, dans un arrêt du 10 octobre 2001. Dans cette affaire de – déjà !- délit de favoritisme, un mis en cause (EDIT :) une partie civile demandait que le Président de la République fût entendu comme simple témoin sur des faits commis alors qu’il exerçait des fonctions municipales. Nenni répond la Cour :

…rapproché de l’article 3 et du titre II de la Constitution, l’article 68 doit être interprété en ce sens qu’étant élu directement par le peuple pour assurer, notamment, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat, le Président de la République ne peut, pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun ; qu’il n’est pas davantage soumis à l’obligation de comparaître en tant que témoin prévue par l’article 101 du Code de procédure pénale, dès lors que cette obligation est assortie par l’article 109 dudit Code d’une mesure de contrainte par la force publique et qu’elle est pénalement sanctionnée

Bref, le président de la République ne peut être pénalement sanctionné. Ni donc être appelé à témoigner, car cette obligation de témoigner est pénalement sanctionnée. S’il refusait, il faudrait le sanctionner, donc on ne va pas lui demander au cas où. On se frotte les yeux.

En février 2007, sentant la fin de son mandat venir, ledit président de la République a brusquement ressenti le besoin de réformer cet aspect du droit, qui pourtant ne l’avait pas fait broncher pendant 12 ans. La Constitution fut révisée et le nouveau statut du chef de l’Etat est le suivant :

Article 67 : Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 (mise en cause par la cour pénale internationale-NdA) et 68.

Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.

Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions.

Article 68 : Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour.

La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l’autre qui se prononce dans les quinze jours.

La Haute Cour est présidée par le président de l’Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d’un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d’effet immédiat.

Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.

Une loi organique fixe les conditions d’application du présent article.

Ladite loi organique a été examinée par le Sénat le 14 janvier 2010, a fait une brève apparition en séance publique avant qu’une motion de renvoi en commission ne soit adoptée, ce qui est un enterrement de première classe. Bref, 3 ans après cette réforme, faute de loi organique, l’immunité du président de la République est absolue. C’est ce qu’on appelle l’Etat de droit à la Française.

Voilà où nous en sommes.

Mais vous constaterez avec moi que depuis Louis XVI, l’immunité ne concernait que le chef de l’Etat. JAMAIS ses collaborateurs. Ne serait-ce que parce qu’ils sont nommés discrétionnairement par lui, et révoqués de la même façon, mais en aucun cas des élus du peuple. Leur existence n’est même pas prévue par la Constitution.

Ainsi, en étendant l’immunité du chef de l’Etat à ses collaborateurs, le parquet de Paris viole, par fausse application, la Constitution, et donne sa bénédiction pour que le délit de favoritisme devienne le mode normal de fonctionnement du principal organe de l’exécutif. 

Si l’avocat en moi n’a rien contre un peu d’impunité pénale, même s’il préfère que ce soit au profit de ses clients, le citoyen qui sommeille, lui, a un peu de mal à gober cette application pour le moins extensive, surtout quand il songe à l’application restrictive de cette même constitution qui est faite sur la garde à vue, oui, c’est une obsession, mais je me soigne, promis, en juillet je serai guéri.

Hélas, l’association Anticor ne peut rien faire contre cette décision de classement puisqu’elle n’a pas le pouvoir de déclencher les poursuites (elle n’est pas victime). Eventuellement, d’autres cabinets de conseil ayant pu proposer la même prestation que Publifact, et n’ayant pu concourir au marché, pourraient porter plainte, car ils seraient les victimes directes du délit qui les a évincés. Mais il n’est jamais bon de chercher des poux dans la tête au conseiller politique du Prince, qui reste un de leurs principaux clients.

Et l’immunité particulière devient impunité générale.

Laissons donc les puissants s’amuser et allons défendre les voleurs de sacs à main au butin de 50 euros. 50 euros, c’est un vol. 1,5 millions, c’est de la poésie. Ils comprendront.

jeudi 4 novembre 2010

Petit cours de droit à l'usage de la Chancellerie et des magistrats indépendants

Eh oui, la garde à vue, encore. Parce que je n’arrive pas à digérer ce qui est en train de se passer.

Petit résumé des épisodes précédents :

Le 23 novembre 1993, la Cour européenne des droits de  l’homme (CEDH) rend un arrêt Poitrimol c. Francecondamnant la France pour son système de garde à vue qui jusqu’en janvier 1993 ne permettait aucune intervention de l’avocat (la requête de M. Poitrimol a été déposée en 1988). La Chancellerie s’applaudit elle-même, en se réjouissant que ce droit soit devenu effectif depuis le mois de janvier 1993, ajoutant même qu’elle a repoussé en août de cette même année l’intervention de l’avocat à la 21e heure de la garde à vue afin qu’il soit encore plus effectif. keep right

Le 15 juin 2000, une loi ramène l’intervention de l’avocat à la première heure de garde à vue.

Le 27 novembre 2008, la  CEDH rend un arrêt Salduz c. Turquie qui précise sa position sur le droit à l’assistance d’un avocat au cours de la garde à vue (article 6 de la Convention de Sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – CSDH). Les principes généraux qu’elle dégage dans cet arrêt condamnent clairement les régimes dérogatoires de garde à vue existant en droit français, repoussant de deux, voire trois jours l’intervention de l’avocat. L’arrêt reste ambigu sur la conformité du simple entretien de 30 mn sans accès au dossier. La Turquie, ayant parfaitement senti le coup venir, a anticipé et s’est mise en conformité en 2005, soit trois ans avant cette décision la condamnant. Les autorités françaises ne voient aucun problème et estiment contre toute évidence que le code de procédure pénale est parfaitement conforme.

Le 13 octobre 2009, la Cour européenne des droits de  l’homme rend un arrêt Dayanan c. Turquie qui lève toute ambigüité : les principes qu’elle a dégagés signifient bien que l’avocat doit pouvoir assister son client pendant les interrogatoires, et ce quels que soient le régime de la garde à vue, de droit commun ou dérogatoire, le maintien à l’écart de l’avocat ne pouvant se justifier qu’au cas par cas. La Chancellerie réagit en chantant à tue-tête Tout va très bien, madame la marquise. Et afin de démontrer que la procédure française est parfaitement conforme, elle annonce une réforme en urgence.

Les avocats français soulèvent les nullités de garde à vue, et obtiennent quelques décisions y faisant droit, mais très minoritaires.

Le 30 juillet 2010, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel constate l’évidence : les gardes à vue en droit français ne sont pas conformes aux principes relevés par la Cour européenne des droits de l’homme, qui ont valeur constitutionnelle en France. Néanmoins, comme la Constitution le lui permet, il repousse les effets de cette décision au 1er juillet 2011 pour laisser le temps au législateur de voter une réforme. Les juristes suffoquent d’indignation de voir que des dispositions votées pour garantir la sécurité juridique, qui est un droit de l’homme, sont utilisées pour écarter les droits de l’homme. Mais peu importe, la CSDH, elle, ne connaît pas d’intermittence. La Chancellerie dit que décidément, c’est un monde merveilleux puisque la réforme qu’elle a dans les tiroirs est pile poil conforme à ce que dit le Conseil constitutionnel, la preuve, elle va la modifier pour en tirer les conséquences.

Le 14 octobre 2010, comme c’était parfaitement prévisible, la CEDH condamne la France dans un arrêt Brusco c. France dans lequel elle constate que le droit français viole la Convention en ne permettant pas à l’avocat d’assister son client dès le début de la garde à vue, ce qui implique d’être présent lors des interrogatoire et d’avoir accès au dossier. La Chancellerie annonce qu’elle s’est pâmée de bonheur en lisant cet arrêt tant il consacre sa réforme qui est parfaitement conforme à ce que demande la Cour. Le fait qu’elle ne soit pas encore en vigueur ne semble pas poser de problème à la Chancellerie, qui se réfugie derrière l’argument fallacieux que le régime de garde à vue en question est antérieur à la loi du 15 juin 2000 ; je vous avais expliqué alors pourquoi l’argument ne tenait pas.

Le 19 octobre 2010, la Cour de cassation rend trois arrêts achevant d’enterrer la garde à vue à la française, précisant que même les régimes dérogatoires prévus pour le terrorisme, le trafic de stupéfiant et la délinquance organisée ne sont pas conformes à la CSDH. La Chancellerie réagit en disant que la lecture de ces arrêts l’a fait tomber amoureuse d’elle-même tant sa réforme est parfaitement conforme à ce que dit la Cour, et qu’elle va aussitôt l’adapter à ces nouveaux arrêts.

Croyez-vous que la farce s’arrête là ? Non, mes chers amis. Le dernier épisode date de ce jour, où la Chancellerie a produit cette merveilleuse dépêche à destination de ses magistrats bien-aimés.

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Ah, elle nous saurait gré de la tenir informée, sous le timbre du bureau de la police judiciaire, de toute difficulté qui pourrait survenir dans la mise en œuvre de cette dépêche ? Y’a qu’à demander.

Direction des affaires criminelles et des grâces,
Sous direction de la justice pénale générale,
Bureau de la police judiciaire ;
À l’attention de Maryvonne.

Chère madame la directrice des affaires criminelles et des grâces,

Mon attention a été attirée sur l’application disparate du droit dans certaines productions de votre ministère, notamment votre dépêche du 4 novembre 2010.

Afin de préserver un minimum d’État de droit et de garantir l’égalité des justiciables devant la loi, dont vous me ferez le crédit de croire que je suis au moins aussi soucieux que vous, je voudrais vous rappeler à certaines réalités essentielles.

Quelles que soient les (puissantes) réserves qu’appellent chez moi la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet dernier, qui à mon sens fait un mésusage de la faculté que lui donne la Constitution de repousser dans le temps l’effet de ses abrogations (je ne suis pas sûr en effet que le Constituant avait à l’esprit de lui permettre de repousser dans le temps les droits de l’homme, mais plutôt de lui permettre de s’assurer de leur effectivité immédiate et continue), et celles, plus puissantes encore qu’éveillent les arrêts de la Cour de cassation du 19 octobre (je cherche encore le texte de loi lui permettant de repousser dans le temps les effets d’une illégalité manifeste, si vous avez un tuyau, je suis preneur), je découvre avec horreur qu’emportée par l’enthousiasme, vous avez oublié un détail : la CEDH, et son arrêt du 14 octobre.

L’article 15 de la CSDH prévoit les deux seuls cas où l’application de la Convention peut être écartée. Je vous la rappelle pour mes lecteurs, car je ne doute pas que vous le connaissiez par cœur :

    1. En cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international.
    2. (…)
    3. Toute Haute Partie contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées. Elle doit également informer le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe de la date à laquelle ces mesures ont cessé d’être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine application.

Sauf à ce que vous m’informiez (sous le timbre de mon blog) de la date à laquelle vous avez notifié au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe la suspension de l’application de l’article 6 (et au passage, du pays avec lequel nous sommes en guerre, je commence à planifier mes vacances de Noël et je ne voudrais pas commettre d’impair), je crains fort que les décisions du Conseil constitutionnel et de la cour de cassation, mes confrères et moi nous en tamponnions comme vous de votre première circulaire, du moins jusqu’au 1er juillet 2011 en ce qui nous concerne.

Car les décisions de la Cour ont force obligatoire, vous le savez bien, mais oui, c’est l’article 46. Souffrez que je le rappelle à mes lecteurs.

Article 46 – Force obligatoire et exécution des arrêts

  1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
  2. (…)
  3. (…)
  4. Lorsque le Comité des Ministres estime qu’une Haute Partie contractante refuse de se conformer à un arrêt définitif dans un litige auquel elle est partie, il peut, après avoir mis en demeure cette Partie et par décision prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité, saisir la Cour de la question du respect par cette Partie de son obligation au regard du paragraphe 1.
  5. Si la Cour constate une violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres afin qu’il examine les mesures à prendre. Si la Cour constate qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres, qui décide de clore son examen.

J’en profite pour rappeler à mes lecteurs que l’article 55 de la Constitution dispose que les Traités ont une force supérieure à la loi, qu’elle soit votée ou juste annoncée à cors et à cris.

Donc, quand je lis sous votre plume que vous invitez les magistrats, du siège et du parquet confondus, à écarter l’application d’un traité en vigueur, qui plus est, car vous êtes taquine, le jour de son 60e anniversaire (la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales a été signée le 4 novembre 1950), je tremble pour vous. Non mais Maryvonne, vous vous rendez compte à qui vous écrivez ? À tout le Parquet de France !

En effet, l’article 432-1 du Code pénal, dont l’application n’a pas été écartée par le Conseil constitutionnel ni la Cour de cassation, punit de 5 ans de prison et 75000 euros d’amende le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi.

Heureusement, vous écrivez à des magistrats indépendants, fussent-ils du parquet : ils ne vous obéiront pas, vous sauvant la mise, car l’article 432-2 du Code pénal prévoit que les peines sont portées à 10 ans et 150 000 euros d’amende quand les mesures sont suivies d’effet. Pensez-y au moment de distribuer les primes de fin d’année.

À la place, voici ce que vous allez leur dire. Afin de garantir l’égalité des justiciables devant la loi, vous allez dire aux parquetiers de soutenir les demandes en nullité des auditions de garde à vue et de les soulever eux-même quand la défense n’y penserait pas. Vous allez leur dire d’indiquer aux Officiers de Police Judiciaire (OPJ) de s’abstenir d’effectuer des auditions de garde à vue des personnes suspectées, et si les OPJ estiment qu’une telle audition est indispensable, de leur dire de rappeler au gardé à vue qu’il a le droit de se taire, de le mentionner dans le procès verbal et de lui proposer l’assistance d’un avocat au cours de cet interrogatoire, avocat auquel le dossier de la procédure sera tenu à disposition (en entier, bien sûr), après l’entretien confidentiel de 30 minutes. Le Code de procédure pénale actuellement en vigueur ne l’interdit nullement, et tout ce qui n’est pas interdit par la loi est autorisé.

Ainsi, vous mettrez la France en conformité avec la CSDH avant même que l’usine à gaz qu’est en train de bricoler la patronne ne soit prête, ce qui la plongera dans l’enchantement, et vous vaudra sans nulle doute une promotion méritée.

En attendant, et ce malgré tout le respect que j’ai pour vous et qui transpire de ce billet, je continuerai, avec mes confrères, à soulever sans relâche la nullité des auditions en garde à vue, et dans l’hypothèse improbable où je tomberais sur des magistrats ayant oublié leur indépendance sous un banc à l’ENM et qui rejetteraient mes exceptions de nullité, je ferais appel, je me pourvoirai, et ce jusqu’à la CEDH où, vous le savez bien, je gagnerai.

Les finances de mon pays me préoccupent trop pour que je les grève de dommages-intérêts versés à mes clients.

Faisons des économies. Appliquons le droit.

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