Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 9 novembre 2010

La Constitution à géométrie variable

On me sait gardien vétilleux de la rigueur juridique, même si je confesse volontiers un biais favorable aux libertés en général, et notamment à la première d’entre elle, qu’on distingue d’un simple singulier : la liberté.

Mais j’avoue que des fois, le parquet de Paris me semble planer à des hauteurs d’abstraction juridique telles que moi, humble vermisseau de la pensée du droit, j’ai du mal à le suivre.

Ainsi, alors qu’il est établi, ré-établi et surétabli  que les gardes à vue actuelles violent la Constitution, la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CSDH), les droits de l’homme et les principes généralement reconnus dans les sociétés démocratiques, le parquet de Paris ne voit aucun problème à continuer de les appliquer telles quelles et à embastiller gaillardement avec des déclarations reçues en violation de tout ce qui fait un système judiciaire dont on n’a pas à rougir.

Soit. On l’a vu, le mauvais exemple, comme le mauvais temps, vient d’en haut.

Mais le parquet se veut inflexible contre quiconque viole la loi, et si pour cela il faut qu’il la viole lui même, qui suis-je pour y trouver à redire ?

Néanmoins, au risque de passer pour un mauvais coucheur, je crains de déceler une certaine incohérence avec les principes ci-dessus rappelés dans une récente décision de classement sans suite prise par le même parquet.

Les faits étaient les suivants. Un président de la République en exercice, dont je tairai le nom pour préserver la présomption d’innocence, même  si, comme vous allez le voir, il n’en a  pas besoin, puisqu’elle est pour lui irréfragable, a un insatiable appétit de sondages. Il en prend à tous les repas, espérant garder la ligne (en vain, celle-ci a néanmoins plongé vers les abysses de l’impopularité), ce qui génère un coût non négligeable.

Peu importe, me répondrez-vous en chœur. Il est bon que notre primus inter pares soit à l’écoute du Peuple, et la Pythie aujourd’hui écoute le nombril du peuple via des instituts de sondage ; et nous ne sommes que trop heureux de contribuer au financement de ce louable souci d’écoute.

Certes. Mais néanmoins, si le principe est louable, la réalisation pêche quelque peu. Ainsi, la Cour des comptes, en juillet 2009, a eu la surprise de tomber sur une convention d’une page confiant la commande de ces multiples sondages (pour un budget annuel d’1,5 millions d’euros) au cabinet Publifact, qui lui-même se chargeait de passer les commandes auprès des divers instituts de sondage. Premier problème, ce cabinet appartient à Patrick Buisson, conseiller politique du président de la République, donc premier destinataire de ces sondages. Conflit d’intérêt. Deuxième problème, vu le montant annuel de ce contrat, il aurait dû suivre la procédure instituée pour les marchés publics, c’est à dire être soumis à un appel d’offre public (au niveau européen, même) et à une mise en concurrence, afin de respecter l’égalité des candidats et économiser l’argent public. C’est-à-dire tout le contraire de confier la commande et la réalisation à la même personne. Or ne pas respecter les règles des marchés publics est un délit, le délit de favoristisme (art. 423-14 du Code pénal).

Une association Anticor, pour Anti Corruption, a déposé une dénonciation de ces faits auprès du parquet de Paris. Dénonciation, et pas plainte, car seule la victime directe peut porter plainte et éventuellement saisir elle même un juge si le parquet n’y pourvoit lui-même. Or cette association ne peut prétendre être victime directe : elle est, comme nous tous, victime indirecte car c’est de l’argent public qui est ainsi mésusé. La dénonciation est l’acte d’un tiers qui signale au parquet une infraction et l’invite à y donner les suites que la loi appelle.

Or le parquet de Paris, après s’être penché sur la question, a rendu une décision de classement sans suite, pour des motifs juridiques qui ont de quoi laisser perplexe.

En effet, le parquet considère que l’immunité pénale du chef de l’Etat, prévue par la Constitution doit aussi s’appliquer à ses collaborateurs, en l’occurrence, Patrick Buisson.

Et là, je tique. Et quand je tique, je sors un livre d’Histoire.

L’immunité du président de la République est en France une vieille tradition, qui remonte à la Révolution française. La Constitution de 1791 instaurait une monarchie parlementaire, et posait le principe de l’inviolabilité de la personne du roi (chapitre II, Section 1re, article 2). On ne pouvait se saisir de sa personne, le juger ni lui faire le moindre mal. C’est là qu’on voit que violer la Constitution est aussi une vieille tradition en France.

Cette inviolabilité de la personne du chef de l’exécutif a perduré au-delà des régimes. Jamais formalisée sous Napoléon (qui n’en avait pas besoin), elle figure à l’article 13 de la Charte Constitutionnelle du 4 juin 1814 (la Restauration), l’article 12 de la Charte de la Monarchie de Juillet. La Constitution de la IIe république (1848) se méfiait de l’exécutif et a rendu le président pleinement responsable (article 68 de la Constitution). Ce qui n’a pas empêché ce président de  renverser le régime par un Coup d’Etat et de se faire nommer empereur, et de rétablir cette immunité par l’article 5 de la Constitution de 1852, assez habilement d’ailleurs : “Le président de la République est responsable devant le Peuple français, auquel il a toujours le droit de faire appel.” Je dois avouer l’idée de laisser le responsable seul décisionnaire de la nécessité d’en appeler ou non à son juge assez brillante.

La IIIe république, on l’oublie trop souvent, était censée préparer le terrain au retour d’un roi, la première chambre des députés étant dominée par les monarchistes (400 sur 675), mais trop divisés entre deux prétendants pour se mettre d’accord. En attendant, on a nommé un président de la République, aux pouvoirs restreints (il ne s’agit pas qu’il pique le trône au roi), qui n’est responsable qu’en cas de haute trahison (article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875). Vous connaissez la suite : les deux prétendants moururent simultanément, et les monarchistes furent balayés aux élections suivantes. Et voici comment naquit définitivement la République : par accident.

La loi Constitutionnelle du 10 juillet 1940 est muette sur la question, puisqu’elle renvoie à une nouvelle Constitution que le Chef de l’Etat est chargée de rédiger. Malheureusement, trop occupé à rédiger les statuts des juifs, le Maréchal n’a jamais trouvé le temps de rédiger cette nouvelle Constitution. Mal lui en a pris, puisque du coup, il a pu être jugé en 1945 et condamné à mort (peine commuée en prison à vie). Même si je doute qu’une Constitution eût suffi à le mettre à l’abri.

La IVe république revint à un système proche de celui de la IIIe, et l’article 42 de la Constitution du 27 octobre 1946 pose à nouveau le principe de l’immunité, sauf Haute Trahison, rapport au cas ci-dessus.

En 1958, tout change et rien ne change.

Tout change car le président de la République devient le personnage central de la République. C’est lui qui exerce le pouvoir, le premier ministre devient de fait un de ses subordonnés. Mais rien ne change : si le premier ministre peut être renversé par l’assemblée (ce qui n’est arrivé qu’une fois), le président, lui, est intouchable. L’article 68 posait le principe que le Président de la République n’était responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de Haute Trahison, constatée par une juridiction spéciale, la Haute Cour de Justice. La Constitution était muette sur le sort des actes accomplis en dehors de l’exercice de ses fonctions, notamment avant son élection. La question ne s’est jamais posée sur le après, les présidents de la République ayant jusqu’à il y a peu eu l’habitude de mourir peu après la cessation de leurs fonctions, quand ce n’était pas pendant, exception faite du président Giscard d’Estaing, qui a eu la précaution de devenir immortel, et qui n’a depuis commis que des crimes contre la littérature.

La logique voulait donc que le président restât dans ce cas un justiciable ordinaire ; mais le cas concret ne s’est pas présenté tout de suite. C’est grâce à l’élection d’un président ayant plus de casseroles qu’une voiture de jeunes mariés que la question est revenue sur le devant de la scène.

Elle a d’abord été tranchée très gentiment par la Cour de cassation, bien qu’on ne lui ait rien demandé, dans un arrêt du 10 octobre 2001. Dans cette affaire de – déjà !- délit de favoritisme, un mis en cause (EDIT :) une partie civile demandait que le Président de la République fût entendu comme simple témoin sur des faits commis alors qu’il exerçait des fonctions municipales. Nenni répond la Cour :

…rapproché de l’article 3 et du titre II de la Constitution, l’article 68 doit être interprété en ce sens qu’étant élu directement par le peuple pour assurer, notamment, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat, le Président de la République ne peut, pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun ; qu’il n’est pas davantage soumis à l’obligation de comparaître en tant que témoin prévue par l’article 101 du Code de procédure pénale, dès lors que cette obligation est assortie par l’article 109 dudit Code d’une mesure de contrainte par la force publique et qu’elle est pénalement sanctionnée

Bref, le président de la République ne peut être pénalement sanctionné. Ni donc être appelé à témoigner, car cette obligation de témoigner est pénalement sanctionnée. S’il refusait, il faudrait le sanctionner, donc on ne va pas lui demander au cas où. On se frotte les yeux.

En février 2007, sentant la fin de son mandat venir, ledit président de la République a brusquement ressenti le besoin de réformer cet aspect du droit, qui pourtant ne l’avait pas fait broncher pendant 12 ans. La Constitution fut révisée et le nouveau statut du chef de l’Etat est le suivant :

Article 67 : Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 (mise en cause par la cour pénale internationale-NdA) et 68.

Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.

Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions.

Article 68 : Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour.

La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l’autre qui se prononce dans les quinze jours.

La Haute Cour est présidée par le président de l’Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d’un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d’effet immédiat.

Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.

Une loi organique fixe les conditions d’application du présent article.

Ladite loi organique a été examinée par le Sénat le 14 janvier 2010, a fait une brève apparition en séance publique avant qu’une motion de renvoi en commission ne soit adoptée, ce qui est un enterrement de première classe. Bref, 3 ans après cette réforme, faute de loi organique, l’immunité du président de la République est absolue. C’est ce qu’on appelle l’Etat de droit à la Française.

Voilà où nous en sommes.

Mais vous constaterez avec moi que depuis Louis XVI, l’immunité ne concernait que le chef de l’Etat. JAMAIS ses collaborateurs. Ne serait-ce que parce qu’ils sont nommés discrétionnairement par lui, et révoqués de la même façon, mais en aucun cas des élus du peuple. Leur existence n’est même pas prévue par la Constitution.

Ainsi, en étendant l’immunité du chef de l’Etat à ses collaborateurs, le parquet de Paris viole, par fausse application, la Constitution, et donne sa bénédiction pour que le délit de favoritisme devienne le mode normal de fonctionnement du principal organe de l’exécutif. 

Si l’avocat en moi n’a rien contre un peu d’impunité pénale, même s’il préfère que ce soit au profit de ses clients, le citoyen qui sommeille, lui, a un peu de mal à gober cette application pour le moins extensive, surtout quand il songe à l’application restrictive de cette même constitution qui est faite sur la garde à vue, oui, c’est une obsession, mais je me soigne, promis, en juillet je serai guéri.

Hélas, l’association Anticor ne peut rien faire contre cette décision de classement puisqu’elle n’a pas le pouvoir de déclencher les poursuites (elle n’est pas victime). Eventuellement, d’autres cabinets de conseil ayant pu proposer la même prestation que Publifact, et n’ayant pu concourir au marché, pourraient porter plainte, car ils seraient les victimes directes du délit qui les a évincés. Mais il n’est jamais bon de chercher des poux dans la tête au conseiller politique du Prince, qui reste un de leurs principaux clients.

Et l’immunité particulière devient impunité générale.

Laissons donc les puissants s’amuser et allons défendre les voleurs de sacs à main au butin de 50 euros. 50 euros, c’est un vol. 1,5 millions, c’est de la poésie. Ils comprendront.

mercredi 13 octobre 2010

Cachez moi cette loi que je ne saurais voir

Le JO de ce jour est porteur de tristes nouvelles, sous la forme de la loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, dite loi anti-burqa, ce qui impose l’invocation du Tartuffe, qui sera ici comme un poisson dans l’eau, vous allez voir.

Car vous constaterez avec moi que, alors que le gouvernement a paradé devant les micros en annonçant qu’il allait étouffer l’hydre intégriste avec cette loi, que les débats parlementaires n’ont parlé que de la burqa, et que la presse ne parle de cette loi que comme une anti-burqa, cette loi ne dit pas un mot de la burqa, et que quand la religion y est mentionnée, c’est pour apporter une exception à l’interdiction de la dissimulation du visage.

Voyons un peu ce que dit cette loi. ce sera rapide. Avant de voir ce qu’en a dit le Conseil Constitutionnel. Ce ne sera pas plus long.

La loi

Elle se compose de sept articles, tous forts brefs. C’est le seul mérite que l’on peut trouver à cette loi.

L’article 1er pose sobrement :

Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage.

Rappelons ce que le dictionnaire entend par tenue : “(Ensemble de) vêtement(s) accompagné(s) de ses/leurs accessoires que porte une personne et qui varie(nt) selon les circonstances, selon son activité, sa profession.” Le juriste relèvera d’emblée que la tenue doit être destinée à dissimuler le visage. Si la tenue a pour effet de dissimuler le visage, mais n’est pas destiné à cela, l’interdiction ne s’applique pas. La tenue doit enfin dissimuler le visage, peu importe qu’elle ne dissimule que cela (sous réserve du délit d’exhibition sexuelle).  Lady Gaga, jaillissant hors de l'eau telle Aphrodite, avec un superbe masque-boule disco, dont le regard lance des éclairs semblant dire : "que celui qui m'a poussée se dénonce"

L’article 2 apporte une précision et une série d’exceptions.

La précision est la définition de l’espace public au sens de l’article 1er : l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.

Les voies publiques sont tout simplement la rue et l’ensemble du réseau routier ouvert à la circulation. Les lieux ouverts au public incluent tous les lieux, publics ou privés (la loi ne distingue pas), ou quiconque peut entrer librement, en s’acquittant ou non d’un droit d’entrée payant salle de concert, bibliothèque, restaurant. Les lieux affectés à un service public incluent les tribunaux, mairies, gares et hôpitaux, entre autres. Vous le voyez, c’est large. En fait, si vous mettez un pied dehors, vous passez nécessairement par l’espace public.

La série d’exception est que cette interdiction ne s’applique pas “si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles”.

Le juriste tiquera sur cette loi qui prévoit qu’un vulgaire décret peut la mettre en échec avant de réaliser que la capitulation du Parlement est déjà chose acquise de longue date. En outre, la personne avançant masquée peut mettre en avant des raisons de santé (bandages sur le visage, masque anti-grippe A), des motifs professionnels (policier du GIGN,clown…), la pratique sportive (on pense notamment aux escrimeurs), de fête (Halloween et Carnaval sont sauvés), ou de manifestations artistiques (Daft Punk et Lady Gaga sont à l’abri) ou traditionnelles (là, je sèche).

L’article 3 pose les sanctions de cette interdiction.

La méconnaissance de l’interdiction édictée à l’article 1er est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe.
L’obligation d’accomplir le stage de citoyenneté mentionné au
8° de l’article 131-16 du code pénal peut être prononcée en même temps ou à la place de la peine d’amende.

Le pénaliste s’agacera de cette rédaction. “La peine complémentaire prévue au 8° de l’article 131-16 du Code pénal est applicable à la contravention prévue à l’alinéa précédent” aurait suffi et correspond à la rédaction habituelle, puisque l’article 131-18 du Code pénal pose déjà le principe général qu’une peine complémentaire peut être seule prononcée à la place d’une peine d’amende.

Le constitutionnaliste s’agacera aussi de cette rédaction, puisque la Constitution prévoit que la définition des contraventions relève non du pouvoir législatif mais du pouvoir réglementaire, c’est-à-dire du décret. Violation de la Constitution de peu de conséquence, puisqu’il existe une procédure permettant de saisir le Conseil constitutionnel pour voir constater que cette disposition est de nature réglementaire, ce qui permet de la modifier ou de l’abroger par un décret. Néanmoins, quand l’État veut donner des leçons de valeurs républicaines, je pense que le minimum qu’on puisse demander est de respecter la Constitution.

L’article 4 crée un nouveau délit de dissimulation forcée du visage, en insérant dans le Code pénal cet article :

Art. 225-4-10. - Le fait pour toute personne d’imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d’autorité ou abus de pouvoir, en raison de leur sexe, est puni d’un an d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
Lorsque le fait est commis au préjudice d’un mineur, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende.

La création d’un délit visant, sans le dire, l’homme qui, pour des motifs religieux, obligera une femme à porter la burqa, peut se comprendre. Cela peut même avoir une utilité, en ouvrant une action en justice à la femme qui voudrait échapper à cette emprise. La femme forcée à porter la burqa n’est pas du tout le même problème que la femme portant la burqa volontairement et librement. Et ceux qui affirment que les femmes la portant sont toutes forcées en seront pour leurs frais : la présomption d’innocence exige d’apporter cette preuve. Cet article appelle le moins de réserves de ma part, hormis le fait qu’il met sur le même plan menaces et violences d’un côté, et contrainte, abus de pouvoir ou d’autorité de l’autre. Les menaces et les violences sur conjoint ou par personne ayant autorité sont déjà des délits, pas l’abus d’autorité ou de pouvoir. Cela risque de créer un conflit de qualification.

L’article 5 reporte l’entrée en vigueur des articles 1 à 3 (interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public et ses modalités) à six mois après la promulgation, soit au 12 avril 2011 à 0 heure. En attendant, merci de ne pas appeler la police dès que vous voyez une burqa : ça reste légal.

L’article 6 précise que cette loi s’applique sur l’ensemble du Territoire de la République. Ne soyez pas si étonnés. L’organisation de la France est complexe, et il faut préciser celles des lois votées par le parlement qui s’applique aux territoires d’Outre Mer que sont Mayotte, la Nouvelle Calédonie, Wallis et Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon et la Polynésie française (mais pas l’île de la Réunion ni les Antilles françaises, qui sont des départements, et où toute la loi s’applique de plein droit. La loi risque de poser problème à Saint-Pierre-et-Miquelon, sauf à ce que la jurisprudence considère que le passe-montagne par jour de grand froid est justifié dans l’espace public pour raisons de santé.

L’article 7 prévoit une mesure sans intérêt destinée à aider l’industrie papetière.

La justice se voilera-t-elle la face  ?La décision du Conseil Constitutionnel

Le Conseil constitutionnel (CC) a été amené à statuer sur cette loi. Enfin, si on ose dire. Il a été saisi par les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, qui ont ce droit individuel (les députés et sénateurs qui souhaitent saisir le CC doivent être 60 de la même chambre).

Le travail fourni par les présidents est admirablement synthétisé par le Conseil :

ils n’invoquent à l’encontre de ce texte aucun grief particulier.

Ah, qu’elle est bien défendue, la Constitution.

Le CC, saisi d’aucun argument, va se contenter d’un survol à haute altitude et ne va retoquer qu’un aspect oublié par le législateur, trop soucieux de jouer les Tartuffe : la liberté religieuse, dont le législateur, à force de ne penser qu’à elle, a totalement oublié de parler.

l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public ne saurait, sans porter une atteinte excessive à l’article 10 de la Déclaration de 1789, restreindre l’exercice de la liberté religieuse dans les lieux de culte ouverts au public.

Pas de bol. Les burqas restent légales dans les mosquées (et les églises, soit dit en passant). 

Pour le reste, le Conseil se contentera de constater que la loi ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté. Mon ami Jules s’en agace (mais moins que mon confrère Gilles Devers). Je les comprends. il aurait été éclairant que le Conseil nous expliquât en quoi, car c’est franchement loin d’être évident. Serge Slama est plutôt désabusé. Quant à mon ami Authueil, il soulève une question intéressante : et si le Conseil constitutionnel n’avait pas fait exprès de rester aussi vague pour faire échec à cette saisine opportuniste et permettre une vraie discussion via la procédure de Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) ? Mes lecteurs savent en effet qu’un particulier à qui on veut appliquer une loi peut en contester la constitutionnalité par la procédure de QPC, mais à la condition que la question n’ait pas déjà été tranchée par le Conseil lors de l’examen de la loi ou d’une précédente QPC. En ne répondant rien aux arguments inexistants, le Conseil laisse la porte ouverte aux QPC posées par les premières femmes verbalisées, et en cas de censure, n’aura pas à assumer seul cette responsabilité, tandis que le non-recours des présidents le laissait seul face à l’opinion publique, qui n’aurait pas forcément compris une censure de l’interdiction de la Burqa.(Mise à jour : Serge Slama, infiniment plus compétent que moi, émet de forts doutes sur la théorie d’Authueil. Strasbourg, nous voilà.).

L’avenir nous dira la suite. Ceux qui espéraient voir les burqas disparaître demain en seront pour leurs frais. Ils pourront méditer sur le sens exact de la liberté en République, qui nous impose de tolérer aussi ce qui nous dérange (quel mérite y a-t-il à tolérer ce qui nous convient ?), et sur l’humiliation que serait le fait de voir une femme en burqa nous donner une leçon de liberté. Attendons la suite des événements.

Après tout, le Tartuffe est une pièce en cinq actes.

Mise à jour : Admirons la logique législative. Le port de la burqa, qui mettrait en péril les fondements même de la République selon ses contempteurs (alors que ce sont les fondements de la République qui en permettaient le port, justement), est puni d’une contravention de 2e classe, soit 150 euros max. Au JO de ce jour, un décret a été pris qui sanctionne Free les fournisseurs d’accès qui refuseraient de transmettre un e-mail d’avertissement de la HADOPI de, tenez-vous bien… 1500 euros par e-mail non transmis.

Entre la laïcité et le respect de la femme d’un côté, et les royalties de Johnny Halliday de l’autre, l’État a choisi son camp.

jeudi 13 mai 2010

Crêpage de chignon au sommet

La France a une particularité (Ah, si elle n’en avait qu’une seule…) : elle a trois cours suprêmes. Une en matière judiciaire, la Cour de cassation (Quai de l’Horloge, Paris), une en matière administrative, le Conseil d’État (place du palais-Royal, Paris), et une en matière constitutionnelle, le Conseil constitutionnel (rue de Montpensier, Paris), juste derrière la Comédie Française.

Jusqu’à présent, les compétences de chacun étaient bien réparties : la cour de cassation unifiait la jurisprudence judiciaire, le Conseil d’État faisait de même avec les juridictions administratives (pour un rappel des raisons de cette coexistence de deux ordres, voir ce billet). Le Conseil constitutionnel n’exerçait qu’un contrôle de constitutionnalité de la loi a priori, c’est à dire avant que la loi ne soit promulguée (pour un exemple théâtral de décision du Conseil constitutionnel, voir ce billet).

Tout a changé avec la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, entrée en vigueur le 1er mars 2010, qui a instauré la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). Désormais, tout justiciable peut soulever devant n’importe quelle juridiction une argumentation tendant à faire établir qu’une loi qu’on veut lui appliquer serait contraire à la Constitution. Pour un article plus détaillé, voir ici mon exposé à mon stagiaire, et pour la procédure, là l’exposé à ma stagiaire.

Le système mis en place passe par la cour suprême de chaque ordre avant de finir dans le meilleur des cas devant la troisième cour, la constitutionnelle. Ce qui immanquablement crée des conflits de compétence, d’autant que la Cour de cassation et le Conseil d’État n’ont pas l’habitude d’avoir une juridiction au-dessus d’eux. Je dis au-dessus car seul le Conseil constitutionnel pouvant, en principe, répondre à la Question prioritaire de constitutionnalité, il se retrouve organiquement au-dessus des autres, mais aucune hiérarchie nouvelle ne s’est créée.

Si les choses se sont passé sans accroc à ce jour devant le Conseil d’État, la cour de cassation a rendu deux décisions qui montrent une approche fort différente de la procédure. Olivier Duhamel s’en est ému sur France Culture en des termes virulents qui lui ont attiré les foudres corporatistes et conservatrices de Gascogne. Il est vrai que le chroniqueur de France Culture a été excessif dans son attaque, puisque sur les 8 QPC actuellement pendantes devant le Conseil constitutionnel, 5 ont été transmises par le Conseil d’État et 3 par la Cour de cassation. On est loin du sabotage, mais il est vrai que la cour ne les a transmises que le 7 mai, ce qui pouvait laisser croire à une mauvaise volonté de sa part.

Dernier rebondissement en date d’hier, avec l’entrée en scène du Conseil constitutionnel qui a répondu vertement à la Cour de cassation.

Revenons sur cet inédit crêpage de chignon aux sommets de la hiérarchie judiciaire.

Premier acte : la cour de cassation rend le 12 avril sa première décision sur une QPC, et c’est un coup de théâtre. Amis mékéskidis, concentrez-vous, c’est du droit pur et dur.

Le demandeur, un étranger sans papier, avait été contrôlé dans la bande des 20 kilomètres qui suit nos frontières et qui permet des contrôles volants par la police (art. 78-2 al. 4 du CPP). Le demandeur soulevait que cette bande violait le droit européen sur la libre circulation, puisque la France, au lieu de supprimer ses frontières intérieures, les a diluées sur 20 km de large. Certes, le Conseil constitutionnel avait déjà jugé que cette bande était conforme à la Constitution (Décision n° 93-323 DC du 05 août 1993) mais le demandeur invoquait un changement de situation dû à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne qui a modifié l’article 67 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) pour le faire désormais stipuler que “Union « assure l’absence de contrôle des personnes aux frontières intérieures »”. Ce changement du droit européen était susceptible de rendre cette disposition contraire à la Constitution, puisque son article 88-1 exige que la loi respecte le droit européen.

Au-delà de la question des droits de ce sans-papier, qui j’en ai conscience n’intéresse pas tous mes lecteurs, hélas, cette question concerne tout le monde, tant cette bande de 20 km pose un vrai problème, car elle inclut des métropoles comme Lille (14km de la frontière), Strasbourg (5km de la frontière) ou Mulhouse (16km de la frontière). Pourquoi les habitants de ces villes seraient-ils soumis à des contrôles d’identité quasi-discrétionnaires tandis qu’à Paris, ce ne serait pas possible ?

La QPC est, comme son nom l’indique, prioritaire, c’est à dire qu’elle doit être traitée en premier et promptement. Mais pour la cour de cassation, cela pose problème. Quand se pose une question d’interprétation du droit européen, il y a déjà une juridiction compétente : la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), qui siège au Luxembourg. Elle unifie l’interprétation du droit européen pour les 27 pays de l’UE. Elle peut notamment être saisie, en cas de difficulté, par tout juge européen d’une question dite préjudicielle, du latin pre-judicare, avant juger. Le juge demande si telle règle qu’il se prépare à appliquer doit s’interpréter comme ceci ou comme cela.

Or la question prioritaire du sans-papier lillois repose en fait sur du droit européen : c’est l’article 67 du TFUE qu’on veut interpréter, et non la Constitution, qui ne fait qu’y renvoyer.

Et la Cour de cassation estime qu’on est là face à un problème insoluble.

La QPC est prioritaire, elle doit être traitée en premier, et dans un délai de trois mois qui fait obstacle à ce qu’une question préjudicielle soit traitée par la CJUE. Et les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours, c’est la Constitution qui le dit (art. 62). Donc si elle tranche une question d’interprétation du droit européen, il n’est plus possible de saisir la CJUE de cette interprétation. Ce qui est contraire au droit européen, dont le respect est un impératif constitutionnel.

Alors, par sa décision du 12 avril, la cour de cassation va refuser d’examiner tout de suite cette question, et poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union Européenne, non pas sur la compatibilité de la bande des 20 km avec le droit de l’Union, mais sur la compatibilité de la loi organique organisant la procédure de QPC avec le droit de l’Union, en ce qu’elle risque d’écarter la procédure de question préjudicielle.

La question préjudicielle étant qualifiée d’urgente par la cour de cassation, elle va être examinée rapidement (on parle d’une audience courant juin). Elle peut aboutir à remettre en cause - provisoirement- la procédure de QPC si la CJUE déclare la loi organique organisant les modalités de cette procédure contraire au droit européen, contraignant le parlement à en adopter une autre. À suivre.

Deuxième acte : le 7 mai dernier, la cour de cassation a rejeté une QPC posée par l’hebdomadaire d’extrême droite Rivarol contestant la constitutionnalité de la loi Gayssot du 13 juillet 1990 instaurant le délit de contestation de crimes contre l’humanité, qu’il estimait contraire à la liberté d’expression. Ce rejet reposait sur le caractère non sérieux de la demande, car, explique la Cour,

l’incrimination critiquée se réfère à des textes régulièrement introduits en droit interne, définissant de façon claire et précise l’infraction de contestation de l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par des membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, infraction dont la répression, dès lors, ne porte pas atteinte aux principes constitutionnels de liberté d’expression et d’opinion.

Mon ami Jules est chiffonné par cette décision et pour tout dire moi aussi. La Cour ne démontre pas dans cet attendu que la question posée n’était pas sérieuse, mais que la loi Gayssot est conforme à la Constitution, ce qui est répondre à la question. Et comme une QPC est irrecevable si la question a déjà été tranchée, la Cour de cassation vient de claquer la porte au nez du Conseil constitutionnel, qui ne se verra jamais transmettre cette question, sachant que la loi Gayssot n’avait à l’époque pas été déférée au Conseil constitutionnel. On peut le regretter, et je dirais même plus : on ne peut que le regretter. D’autant plus que le Conseil constitutionnel avait précisé, dans le commentaire de sa décision sur la loi organique sur la procédure de QPC publiée aux Cahiers du Conseil constitutionnel (pdf), que le manque de sérieux devait s’entendre comme une demande fantaisiste ou à but dilatoire uniquement. On peut ici douter que tel fût le cas.

Acte trois : le cave se rebiffe

Mais ils connaissent pas Raoul, à la Cour de cassation. Ce vent de rébellion soufflant des quais de Seine à travers les jardins du Louvre jusque dans la rue de Montpensier n’a pas échappé aux neuf sages et deux moins sages. L’affront ne pouvait pas rester impuni, et le Conseil a saisi l’occasion qui lui était fournie par l’examen de la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.

Parmi divers griefs, tous rejetés par le Conseil, les parlementaires contestaient le fait que le Gouvernement, à l’origine de cette loi, prétendait que le droit européen obligeait la France à cette libéralisation alors que selon les parlementaires, il n’en était rien. Les parlementaires invoquaient précisément l’arrêt de la cour de cassation du 12 avril, celui-là même qui posait la question préjudicielle à la CJUE, en l’ayant très mal compris (ou alors ils sont facétieux, ce qui n’est pas impossible), puisqu’ils en déduisaient une invitation de la cour de cassation faite au Conseil constitutionnel à vérifier la conformité de la loi au droit européen (alors que la cour de cassation exprimait plutôt une crainte que le Conseil constitutionnel ne le fasse).

Le Conseil va bondir sur l’occasion pour répondre à la question qu’on ne lui a pas posée.

Décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010.

10. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 55 de la Constitution : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie » ; que, si ces dispositions confèrent aux traités, dans les conditions qu’elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent ni n’impliquent que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution ;

11. Considérant, d’autre part, que, pour mettre en œuvre le droit reconnu par l’article 61-1 de la Constitution à tout justiciable de voir examiner, à sa demande, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative méconnaît les droits et libertés que la Constitution garantit, le cinquième alinéa de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée et le deuxième alinéa de son article 23-5 précisent l’articulation entre le contrôle de conformité des lois à la Constitution, qui incombe au Conseil constitutionnel, et le contrôle de leur compatibilité avec les engagements internationaux ou européens de la France, qui incombe aux juridictions administratives et judiciaires ; qu’ainsi, le moyen tiré du défaut de compatibilité d’une disposition législative aux engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief d’inconstitutionnalité ;

12. Considérant que l’examen d’un tel grief, fondé sur les traités ou le droit de l’Union européenne, relève de la compétence des juridictions administratives et judiciaires ;

Le Conseil répond à la cour de cassation : non, nous ne nous occuperons pas de la conformité de la loi au droit européen, ça, c’est votre travail, et celui de notre voisin de l’autre côté des colonnes de Buren. Et il détaille.

13. Considérant, en premier lieu, que l’autorité qui s’attache aux décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l’article 62 de la Constitution ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir ces engagements sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution ;

Ce considérant ne répond absolument pas au recours des parlementaires. On est loin de la loi sur les jeux en ligne. C’est bien à la cour de cassation que le Conseil constitutionnel s’adresse. Il répond à l’arrêt du 16 avril.

Et le Conseil enfonce le clou en livrant même un mode d’emploi détaillé de l’articulation QPC/question préjudicielle.

14. Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort des termes mêmes de l’article 23-3 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée que le juge qui transmet une question prioritaire de constitutionnalité, dont la durée d’examen est strictement encadrée, peut, d’une part, statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu’il statue dans un délai déterminé ou en urgence et, d’autre part, prendre toutes les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires ; qu’il peut ainsi suspendre immédiatement tout éventuel effet de la loi incompatible avec le droit de l’Union, assurer la préservation des droits que les justiciables tiennent des engagements internationaux et européens de la France et garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir ; que l’article 61-1 de la Constitution pas plus que les articles 23 1 et suivants de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne font obstacle à ce que le juge saisi d’un litige dans lequel est invoquée l’incompatibilité d’une loi avec le droit de l’Union européenne fasse, à tout moment, ce qui est nécessaire pour empêcher que des dispositions législatives qui feraient obstacle à la pleine efficacité des normes de l’Union soient appliquées dans ce litige ;

15. Considérant, en dernier lieu, que l’article 61-1 de la Constitution et les articles 23-1 et suivants de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne privent pas davantage les juridictions administratives et judiciaires, y compris lorsqu’elles transmettent une question prioritaire de constitutionnalité, de la faculté ou, lorsque leurs décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, de l’obligation de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle en application de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

En somme, transmettre une QPC n’interdit pas de poser également une question préjudicielle. Car les deux visent à vérifier la conformité de la loi à deux droits différents : la Constitution pour la première, le droit européen dans la deuxième. Pour que la loi survive à cette ordalie, il faut qu’elle soit conforme aux deux.

16. Considérant que, dans ces conditions, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi en application de l’article 61 ou de l’article 61-1 de la Constitution, d’examiner la compatibilité d’une loi avec les engagements internationaux et européens de la France ; qu’ainsi, nonobstant la mention dans la Constitution du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007, il ne lui revient pas de contrôler la compatibilité d’une loi avec les stipulations de ce traité ; que, par suite, la demande tendant à contrôler la compatibilité de la loi déférée avec les engagements internationaux et européens de la France, en particulier avec le droit de l’Union européenne, doit être écartée.

Le Conseil constitutionnel répond ainsi à la QPC qui ne lui a pas été transmise : la bande de 20 km sera jugée conforme à la Constitution, comme le Conseil l’a dit en 1993 ; quant au fait de savoir si elle est conforme au droit européen, c’est au juge français, en dernier lieu à la cour de cassation de le dire (le premier juge du droit européen est le juge national), au besoin en saisissant elle même la CJUE d’une question préjudicielle.

La mise en place de telles réformes ne va jamais sans peine. Il y a des conflits de compétence, qui se règlent avec le temps.

Mais à ma connaissance, c’est la première fois qu’on voit ainsi deux des hautes juridictions s’engueuler par décisions interposées. On peut s’en amuser. On peut aussi se désoler d’y voir le signe d’une République peu apaisée.