Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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samedi 12 novembre 2011

Attention manip : le "pacte 2012" de "l'Institut pour la Justice"

Depuis quelques jours, un appel à signer un “Pacte pour la justice” en vue de l’élection présidentielle de 2012 circule sur internet, émanant de l’Institut pour la Justice (IPJ), que mes lecteurs connaissent bien, hélas pour eux.

Dans un premier temps, j’ai consacré à cette initiative le traitement que je réserve à toutes celles de l’IPJ, c’est-à-dire mon plus profond mépris.

Mais je dois reconnaître que l’IPJ est en train de réussir son coup, avec sa méthode habituelle : mettre en avant la douleur d’une victime qui se défend de mettre en avant sa douleur, des affirmations que rien ne vient étayer si ce n’est la parole de la victime, étant entendu que quiconque est contre est un salaud qui méprise la douleur d’un père, un droitdel’hommiste bobo naïf, et bien évidemment l’ami du crime.

J’ai quand même été quelque peu soulagé de constater que sur la centaine de personnes qui m’ont signalé ce lien, la plupart avaient une approche méfiante et voulaient des explications. Car des explications, ce fameux message n’en contient pas le début d’une. Le lire avec un minimum d’esprit critique ne peut que révéler cette évidence, mais vous allez voir qu’il est fait justement pour neutraliser d’entrée votre esprit critique.

Puisque la justice, qu’invoque l’IPJ, mais seulement dans son intitulé, exige un débat ou chaque point de vue peut s’exprimer, je vais donc répondre à ce message, par des faits, des explications, des arguments, bref, par la Raison. Je suis désolé de devoir apporter une réponse critique à Joël Censier, dont je ne puis que comprendre la douleur et la colère, c’est une position que je n’apprécie nullement. Mais c’est lui qui a choisi de porter son histoire dans un débat public et d’en faire un argument politique. Je respecte ce choix, mais il entraine des conséquences, dont celle de devoir supporter la critique.

Commençons par une analyse du propos de Joël Censier, avant de terminer par une analyse de la démarche de l’IPJ, dont je rappelle qu’il n’est ni un Institut, ni pour la Justice, mais une simple association de 1901 essayant de promouvoir des thèses ultra-répressives sous un vernis pseudo-scientifique, qui revendique sur son site “400 000 sympathisants” mais non adhérents, c’est à dire des gens dont l’implication a été un clic sur internet mais dont aucun n’a souhaité verser la moindre cotisation. Les candidats sollicités feraient bien de s’en souvenir.

Le propos de Joël Censier

Je m’appelle Joël Censier, j’ai 52 ans et trente ans de police derrière moi. En vous envoyant cette vidéo, j’ai conscience de commettre un acte grave. Mais c’est une question de conscience.

Notez la dramatisation : le policier de trente ans commet un acte grave : il s’exprime. Car quelle que soit la critique qu’appellent ses propos, ils sont dans la limite de la liberté d’expression et sont parfaitement légaux. Son auteur ne s’expose à aucune sanction, aucune poursuite, rien. Mais sa “conscience” le pousse à “commettre un acte grave”. Un peu de dramatisation ne fait pas de mal.

Un de mes enfants, Jérémy, a été tué par un groupe de jeunes, alors qu’il rentrait à la maison. Ces jeunes, pour certains « bien connus des services de police », se sont déchaînés sur Jérémy, simplement parce qu’il était « fils de flic ». A dix contre un, ils l’ont tué avec une « barbarie inimaginable », selon les témoins et les médecins légistes.

Vous en avez sans doute entendu parler à la télévision, ou dans les journaux. C’était à Nay, une ville du Sud-Ouest, le 22 août 2009.

Retenez bien ces deux paragraphes. ce seront les seules présentations des faits auxquels vous aurez droit pour asseoir votre opinion.

La presse de l’époque est encore accessible en ligne (voir ici, ou ). Voici donc ce qu’on peut apprendre sur ce qui s’est passé.

Les faits ont eu lieu la nuit du vendredi 21 au samedi 22 août, à Nay, dans les Pyrénées Atlantiques. Le village célébrait sa fête traditionnelle. Vers 2 heures du matin, alors qu’il rentrait se coucher chez les amis qui l’hébergeaient (Jérémy habitait dans le Gers), il aurait aperçu une rixe qui opposait deux groupes (des gitans sédentarisés qui vidaient une querelle, semble-t-il). Il se serait approché de l’attroupement pour séparer les belligérants. Il semble établi qu’il ne s’est à aucun moment battu lui-même. Mais à peine était-il arrivé qu’une des personnes présentes, Samson G., mineur sans antécédents judiciaires, qui était semble-t-il déjà au sol quand Jérémy est arrivé, s’est relevé et lui a porté cinq coups de couteau, le premier à la poitrine, puis les autres à la poitrine et à la tête. L’autopsie a constaté que deux de ces coups étaient mortels, sans pouvoir déterminer celui des deux qui a été porté en premier et a donc été le coups mortel.

Le mineur a alors remis le couteau à une des personnes présentes en lui demandant de le faire disparaître. Ce mineur, auteur des coups, a été rapidement interpellé et a reconnu être l’auteur des coups de couteau. L’homme qui avait caché le couteau a été arrêté et a indiqué l’emplacement où il avait jeté le couteau (un canif dont la lame faisait 12 cm) qui a été retrouvé. Comme vous l’avez vu, il n’étaient pas dix, mais un. De plus, il est manifestement impossible que l’agresseur de Jérémy ait su que son père était policier puisque les faits ont eu lieu à Nay et que Jérémy habitait dans le Gers à 200 kilomètres de là et étaient hébergé chez des amis. Enfin, jamais les mots “barbarie inimaginable” n’apparaissent dans des rapports de médecins légistes qui emploient des termes techniques froids et descriptifs. D’ailleurs, Joël Censier a publié ce rapport sur le site consacré à cette affaire, et vous pourrez constater que ces termes n’apparaissent nulle part. En réalité, Jérémy Censier a reçu cinq coups de couteau dont deux mortels et des coups de pied une fois au sol. Voilà pour la “barbarie inimaginable”. Selon une technique qui sera employée tout au long, les faits vous sont cachés pour que votre imagination vole au secours de votre indignation.

La réaction judiciaire a été tout à fait normale : après une enquête de police visant à identifier et interpeller les responsables (avec succès ici), retrouver des témoins, faire les constations sur le lieu des faits avant que les indices ne disparaissent, enquête dite de flagrance, le procureur de la République de Pau, face à des faits sans nul doute criminels (il y a des violences volontaires reconnues et mort d’homme), a saisi un juge d’instruction pour continuer l’enquête. C’était obligatoire. Le mineur responsable des coups a été placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention de Pau, à la demande du juge d’instruction, de même que deux autres personnes soupçonnées dans un premier temps d’avoir participé aux faits (le frère du mineur et un ami de celui-ci), qui seront par la suite mises hors de cause sur la mort de Jérémy.

Comme nous le verrons, seul Samson G. a été finalement renvoyé devant la cour d’assises pour meurtre, cinq des sept autres personnes mises en examen seront jugées pour les faits de violences préméditées, c’est-à-dire la bagarre initiale à laquelle Jérémy était étranger, deux ont été mises hors de cause et ont bénéficié d’un non lieu.

La qualification des faits retenue est homicide volontaire pour la personne ayant porté les coups de couteau et violences volontaires en réunion ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de 8 jours.

Le cumul de qualification (homicide + violences avec ITT) s’explique par le fait que si cinq autres personnes présentes ont porté des coups à Jérémy, aucun de ces coups n’a été mortel ni n’a été porté avec l’intention de tuer. Ils ne peuvent donc être assimilé au crime de meurtre. On parle d’incapacité totale de travail de plus de 8 jours car c’est la mesure de la gravité des blessures non mortelles : si Jérémy avait survécu, il aurait eu une ITT de plus de 8 jours. Au-delà de cette limite, fixée par un médecin expert, on est en présence d’un délit, en deçà, d’une contravention. Mais la présence d’une ou plusieurs circonstance aggravante transforme toute violence même légère en délit. Ici, la réunion (violences commises par au moins deux personnes simultanément) est constituée, les auteurs des coups encourent donc cinq ans de prison.

Joël Censier oublie juste de vous dire que la qualification de meurtre a bien été retenue. Je comprends que tous ceux qui étaient présents sur le pont soient responsables de la mort de son fils à ses yeux. La justice se doit de porter sur les faits un regard objectif.

Reprenons les propos de Joël Censier.

Pour Corinne, mon épouse, et pour moi, la vie s’est arrêtée ce jour-là. Nos nuits et nos jours ne sont plus qu’une succession de cauchemars insupportables. Jusqu’à la fin de nos jours, nous pleurerons cet enfant que rien ni personne ne pourra nous rendre. Mais cette vidéo n’a PAS pour but de vous raconter notre histoire,

Et c’est bien dommage, puisqu’on nous demande de prendre position.

et encore moins de vous demander de nous plaindre.

Comme on va le voir, c’est ce qu’en rhétorique, on appelle une prétérition.

Ce n’est pas parce que notre enfant est mort que nous avons décidé de lancer cet appel. Si je vous parle aujourd’hui, c’est à cause de ce qu’il s’est passé après. Car cela concerne tous les citoyens qui, un jour peut-être, auront affaire comme nous à la Justice. Et nous ne voulons pas que d’autres connaissent ce que nous avons connu. Nous ne voulons pas que d’autres traversent les terribles épreuves que nous avons vécues après la mort de notre fils.

Comme beaucoup de victimes, nous avons cru que la Justice allait nous défendre. Qu’elle allait tout faire pour poursuivre les assassins. Ou qu’elle allait, au minimum, essayer de les empêcher de recommencer. Mais non, ce fut TOUT LE CONTRAIRE.

Tout le contraire ? Donc, nous allons avoir une démonstration que la justice ne fait rien pour poursuivre les meurtriers ou même les empêcher de recommencer, et qu’au contraire elle fait tout pour qu’ils recommencent. C’est ce qu’annonce sérieusement ce paragraphe. Retenez cette promesse. Vous allez voir qu’elle ne sera pas tenue. Ne serait-ce déjà que parce que le 15 août 2011, Samson G. a été renvoyé devant les assises pour le meurtre de Jérémy. La justice encourage les meurtriers en les jugeant aux assises ?

Dès les premières heures de la procédure, la Justice s’est rangée du côté des assassins. D’abord, le juge chargé de l’enquête a déclaré que, comme ils étaient dix, on ne pouvait pas savoir avec certitude qui avait donné les coups qui ont tué notre enfant. Il a donc immédiatement libéré sept des voyous, ne gardant que les trois plus dangereux.

Argument d’autorité : je vous le dis, c’est que c’est vrai. Cela reviendra souvent.

Sauf que cette affirmation est douteuse en soi et contraire aux faits.

Douteuse en soi car elle ne tient pas juridiquement, d’abord. Il existe en droit pénal une théorie jurisprudentielle ancienne dite de l’acte unique de violences. Quand un groupe a pris part à des violences, tous les membres de ce groupe sont co-auteurs d’un acte unique de violences en réunion. Peu importe pour leur culpabilité qui a porté tel ou tel coup. Tous sont responsables du résultat. Le rôle de chacun garde son importance pour déterminer la peine (celui qui s’est acharné sera plus sévèrement sanctionné que celui qui a porté un coup). Donc s’il avait été établi que les coups portés par ce groupe avait occasionné la mort de Jérémy, ils auraient commis des violences volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner, sauf à ce que des faits objectifs établissent une intention de tuer.

Ce n’est pas le cas ici. Les coups fatals ont été portés par un couteau, et on sait que seul Samson G. les a portés. Donc il est certain que les violences (coups de poing et de pied) subies par Jérémy n’ont pas causé sa mort, elles n’étaient pas assez puissantes pour cela. L’acte unique de violences ne s’applique qu’aux violences, pas au meurtre, car il faut une intention homicide individuelle.

Rappelons que l’auteur des coups de couteau les a reconnu, tant en garde à vue (aveux qui ont depuis été annulés faute pour ce mineur d’avoir pu être assisté d’un avocat) qu’à nouveau devant le juge d’instruction. Des témoins de l’agression ont été entendus par la police et ont confirmé que seul lui avait porté des coups de couteau. Et cet auteur a bien été mis en examen pour homicide volontaire et placé en détention provisoire jusqu’en septembre dernier, soit deux ans (je reviendrai sur les conditions de sa libération). Il sera jugé pour meurtre par les assises, aux côtés de cinq autres personnes auteurs de violences non mortelles.

Joël Censier semble s’être persuadé que tous ceux présents sur le pont sont responsables de la mort de son fils. Je comprends que son chagrin ne le pousse pas à faire dans le détail. Nous n’avons pas cette excuse pour ignorer la vérité.

Peu de temps après, sur les trois, ils en ont relâché deux, sans raison.

Ah, que j’aimerais que la Justice libérât mes clients sans raison. Mais elle en demande, la bougresse.

Si, bien sûr, il y a une raison. Il suffit de lire la presse pour la connaître. Les éléments impliquant les personnes concernées sont devenus sujets à caution, excusez du peu. Le respect de la présomption d’innocence peut déranger le père d’une victime, je le comprends. Mais le chagrin n’interdit pas l’honnêteté intellectuelle. Il n’y a nul dysfonctionnement dans ces remises en liberté. D’autant que la suite donnera raison à la chambre de l’instruction : ces deux personnes ont été mises hors de cause dans le meurtre et les violences non mortelles. L’erreur de Joël Censier est pardonnable, il n’y a pas à l’IPj de juriste compétent pour lui expliquer cela.

Toute poursuite pour meurtre a été abandonnée contre eux.

Oui, le 15 août 2011, lors de l’ordonnance de règlement de l’instruction, soit après deux années d’enquête. La phrase précédente, commençant par “peu de temps après” laisse entendre que ce fut dans les jours qui ont suivi, ce qui n’est pas le cas.

Les magistrats ont déclaré qu’ils ne retiendraient que le délit de « violences volontaires ayant entraîné une interruption de travail supérieure à huit jours ». Oui, vous avez bien lu : une « interruption de travail supérieure à huit jours ». Un des délits les moins graves du code pénal. >Alors que notre fils est mort !

Jamais la justice n’a nié ce décès, ce que laissent entendre ces propos. Il est mort, mais pas du fait de ces violences.

Mais le pire était à venir.

Je n’en doute pas.

Le 16 septembre dernier, c’est-à-dire il y a un mois [Donc ce message date de mi octobre 2011. NdEolas] , la Justice a décidé de relâcher pour « vice de forme » le dernier qu’elle détenait encore. Cet individu est pourtant le danger public qui a avoué être l’auteur de multiples coups de couteau sur notre fils : un coup qui a transpercé son cœur, un coup qui a traversé sa boîte crânienne, et d’autres encore qui l’ont défiguré. Mais la Justice l’a libéré pour « vice de forme » !

Et quel « vice de forme » ? Ses avocats ont demandé une « mise en état du dossier de leur client, le 25 octobre 2010 ». Il s’agit d’une formalité purement juridique, sans aucune conséquence pratique sur la culpabilité de l’accusé. La chambre d’instruction avait trois mois pour leur répondre. Mais elle a dépassé ce délai. Alors les avocats ont exigé la libération du jeune. Et la Cour de Cassation leur a donné raison. Il a donc été immédiatement libéré. « Cette décision de remise en liberté pour non-respect des délais est une première en France dans l’application du texte concerné. C’est un immense soulagement », a déclaré l’avocat du tueur, Maître Sagardoytho. « Un immense soulagement » ; « une première en France ».

Pour Corinne et pour moi, ces mots victorieux sont insupportables. Nous avons pensé à tous les autres parents qui, désormais, risquent de voir eux aussi les assassins de leur enfant libérés pour ce « vice de forme ».

Vous avez compris ce qui s’est passé ? Non ? Moi non plus, et pourtant je suis avocat. Mais encore une fois, le but n’est pas de vous expliquer quoi que ce soit, de vous convaincre, de s’adresser à votre Raison.

Heureusement pour vous et moi, les décisions de la Cour de cassation sont publiées. J’ai donc pu retrouver l’arrêt concerné (Crim. 14 septembre 2011, pourvoi n°11-84937), ce qui n’a pas été commode puisque et arrêt est non pas du 16 mais du 14 septembre 2011.

Voici donc ce qui s’est passé : à vous de vous faire une opinion, en vous fondant sur les faits, qui vous sont soigneusement cachés par l’IPJ, qui a un rapport délicat avec la vérité, qui il faut dire lui est rarement favorable.

Le 5 mars 2007 a été promulgué une loi modifiant la procédure pénale, prise à la suite de l’affaire d’Outreau. Elle a entre autres introduit de nouvelles procédures permettant d’assurer une meilleure surveillance des détentions provisoires, pour essayer d’éviter qu’à nouveau, des innocents puissent croupir trois ans en prison.

Cette loi a notamment prévu la possibilité pour la défense de demander à la chambre de l’instruction de passer en revue l’instruction, dans une audience en principe publique, où les éléments à charge et à décharge peuvent être débattus afin de s’assurer que la détention est réellement nécessaire. C’est l’article 221-3 du Code de procédure pénale (CPP). Elle se distingue de l’appel sur la détention provisoire qui ne porte que sur l’adéquation de la détention avec les critères posés à l’article 144 du même code.

Cette demande, qualifiée dans le texte de Joël Censier de “mise en état”, terme impropre qui ne s’applique qu’à une procédure civile, peut être introduite par l’avocat d’une partie (même la partie civile, mais ça n’a que peu d’intérêt pour elle), ou par le parquet (même remarque que pour la partie civile) quand une personne est détenue depuis au moins trois mois et que l’avis de fin d’instruction n’a pas encore été rendu par le juge d’instruction. Le président de la chambre de l’instruction peut même décider d’office de lancer de lui-même cette procédure, mais à ma connaissance, ce n’est encore jamais arrivé. C’est une arme procédurale contre l’inaction d’un juge d’instruction qui semblerait trop négliger un dossier.

Dans notre affaire, l’avocat du mineur incarcéré (et seul incarcéré désormais) a déposé une telle demande le 19 octobre 2010, c’est à dire après un an et deux mois de détention de son client. On peut supposer qu’il estimait que l’instruction avait fait le tour des faits et qu’il craignait que le dossier ne stagnât et que son client végétât en détention.

Le Président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Pau avait huit jours pour y répondre. Soit il rejetait la demande par une décision non susceptible de recours, soit il transmettait à la chambre qu’il préside pour que l’affaire soit jugée après une audience réunissant toutes les parties. Dans ce cas, la loi exige que la cour statue par un arrêt qui doit être rendu dans un délai de trois mois à compter de cette saisine par le président. Faute de quoi, prévoit ce texte, “les personnes placées en détention sont remises en liberté.” C’est la loi.

le 25 octobre 2010, soit dans le délai de 8 jours, le président a estimé que cette demande méritait d’être examinée par la cour. La cour devait donc rendre son arrêt au plus tard le 25 janvier 2011.

Pourtant ce n’est que le 5 avril 2011 qu’il va prendre une ordonnance fixant l’audience au 6 mai 2011.

Les 4 et 5 mai 2011, la défense a déposé ses argumentations écrites, qu’on appelle “mémoires”, commettant ainsi une erreur : en effet, si d’ordinaire, les mémoires peuvent être déposés au plus tard la veille de l’audience, dans le cadre de l’audience de l’article 221-3 du CPP, ils doivent être déposés au moins deux jours ouvrables avant. C’est comme ça, c’est la loi. Le même jour, soit la veille de l’audience (je ne crois pas du tout à un hasard de calendrier) devant la cour, le juge d’instruction notifie aux partie l’avis de fin d’instruction.

Le 7 juin 2011, la chambre de l’instruction a rendu un arrêt déclarant irrecevables les mémoires de la défense car déposés trop tardivement, disant n’y avoir lieu à application de l’article 221-3 du CPP du fait que le 5 mai 2011, veille de l’audience, le juge avait rendu son avis de fin d’instruction, estimant qu’il avait terminé son enquête. L’avocat du détenu a formé un pourvoi contre cette décision, invoquant notamment le non respect du délai de 3 mois. Le 14 septembre 2011, la Cour de cassation a cassé cet arrêt et ordonné la remise en liberté immédiate du mis en examen détenu, car “lorsque la chambre de l’instruction est saisie sur le fondement de ce texte, son arrêt doit être rendu au plus tard trois mois après sa saisine, à défaut de quoi les personnes placées en détention sont remises en liberté” et “en omettant de statuer d’office sur la remise en liberté du requérant alors que le délai de trois mois à compter de sa saisine était expiré, la chambre de l’instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé”.

Cette décision a ulcéré le père de Jérémy. Pourtant il faut en comprendre la portée. Le mis en examen est remis en liberté (il a depuis été placé sous contrôle judiciaire, c’est-à-dire qu’il reste suivi par la justice, avec notamment une obligation de pointer au commissariat de Mont-de-Marsan deux fois par semaine). Point.

Les poursuites continuent, l’ordonnance de mise en accusation de Samson G. du 15 août 2011 reste valable (sous réserve de l’appel en cours contre cette ordonnance, qui a été renvoyé par la Cour de cassation pour être jugé devant la cour d’appel de Toulouse), et ce jeune homme sera probablement jugé par la cour d’assises des mineurs. Simplement, il sera jugé libre. Sachant que devant la cour d’assises, toute peine est immédiatement exécutoire : s’il est condamné à ne serait-ce qu’un jour de prison de plus que ce qu’il a déjà effectué (soit deux ans et trois semaines), il sera immédiatement arrêté et conduit en prison. Voilà, c’est tout. Voilà la justice amie des assassins et ennemie des victimes en général et de Joël Censier en particulier.

Je cite les mots de son avocat, commentant la décision de septembre dernier, cité dans Sud-Ouest : “Une décision que ne conteste pas Me Martial. « Elle est en conforme en droit. » L’avocat confie qu’il s’attendait à cette issue. Il avait d’ailleurs prévenu les parents de Jérémy de la probabilité de la remise en liberté de Samson G.”. Même leur avocat leur dit que c’est normal.

Ce qui d’ailleurs mérite qu’on s’y attarde. Qu’a fait la justice ainsi vilipendée ? Au départ, le président de la chambre de l’instruction commet une erreur en n’audiençant pas dans le délai de 3 mois. Le 25 janvier 2011, la détention de Samson G. devient illégale. Il aurait dû être remis en liberté ce jour là. Et pourtant il n’en sera rien fait. Au contraire, le président va laisser au juge le temps d’envoyer l’avis de fin d’instruction pour audiencer l’affaire et tenter de dire que l’article 221-3 du CPP n’est plus applicable ; or c’est cet article qui fonderait la libération immédiate du suspect. Ce qui, avec le pourvoi, va repousser cette remise en liberté au mois de septembre 2011, soit 9 mois en toute illégalité. Bref, la justice paloise a tout fait, y compris violé la loi, pour réparer les conséquences de son erreur. Quand une cour d’appel viole la loi pour ne pas remettre un suspect en liberté, comment peut-on ensuite affirmer qu’elle a pris parti contre soi et en faveur du meurtrier de Jérémy ? De bonne foi, s’entend ?

Alors nous avons décidé de lancer cet appel à toute la population pour protester auprès des autorités afin que cette affreuse injustice ne touche pas d’autres familles. Pour nous, c’est trop tard, la Justice ne reviendra pas en arrière. Mais si vous ne faites rien, le monde judiciaire et les hommes politiques considéreront que ce fonctionnement là de la Justice est accepté par l’opinion publique. Et le même scénario frappera d’autres familles.

Le scénario étant : un présumé innocent remis en liberté en attendant d’être jugé. Aux armes !

Il faut savoir que le jour de la reconstitution, toute la bande est arrivée le sourire aux lèvres, les mains dans les poches. Ils se sont amusés à raconter et re-raconter le meurtre, en changeant de version à chaque fois, pour se moquer de gendarmes, ou de nous. Ils étaient parfaitement décontractés et désinvoltes. Ils savaient qu’ils n’avaient rien à craindre. De mon côté, je pleurais de douleur. J’ai commencé à comprendre que la Justice était en train de nous lâcher.

“Mais l’objet de cet appel n’est pas de nous faire plaindre.”

Je n’ai aucune information sur cette reconstitution, hormis le fait qu’elle a eu lieu en janvier 2011. Maintenant, qu’un groupe de jeunes sortant à peine de l’adolescence, dans une situation où ils sont mal à l’aise, se mette à ricaner bêtement et à rouler des mécaniques pour assurer devant les copains, je le crois volontiers. Je vois le même comportement dans les prétoires, à mon grand dam quand il s’agit de mon client. Quant à l’affirmation “ils savaient qu’ils n’avaient rien à craindre”, elle ne repose que sur le ressenti d’un père bouleversé ; et le “j’ai commencé à comprendre que la justice était en train de nous lâcher”, j’aimerais comprendre.

Le juge d’instruction fait une reconstitution, c’est à dire une mesure d’instruction sur les lieux du drame, demandant à chacun d’expliquer où il était et ce qu’il a fait. Que les explications données soient contradictoires, et parfois mensongères, cela arrive assez souvent. Il y a toujours l’illusion qu’un mensonge bien trouvé permettra d’échapper à l’évidence et au châtiment. Cette illusion est l’ennemie des avocats, car elle aboutit à creuser la tombe de leurs clients, qui ne font qu’éveiller d’avantage les soupçons à leur égard : “s’il ment, qu’a-t-il donc à cacher ? Ne serait-il pas plus impliqué encore que ce que les indices semblent révéler” ? Notons d’ailleurs que le genre de propos que tient l’IPJ ne peut qu’encourager ceux qui le lisent à tenter de nier l’évidence et mentir effrontément face à la justice, puisque l’IPJ laisse entendre que cela permet de s’en sortir et même de se mettre les juges dans la poche. Conseil d’un avocat pénaliste : n’essayez jamais cette méthode. Dites la vérité, ou mieux, taisez-vous, mais ne mentez jamais face à la justice. Jamais. JAMAIS.

Sur le pont, à l’endroit de la reconstitution, un gendarme s’est approché de moi. Ce n’était pas pour me dire un mot de sympathie. Non. Il m’a présenté une convocation à la Gendarmerie. Une plainte avait été déposée contre moi pour « subornation de témoin », et je devais être entendu par les gendarmes. Je me suis retrouvé sur le banc des accusés parce que j’avais demandé à un témoin du meurtre de se manifester auprès des autorités. On m’a expliqué que ce n’était pas à moi de le faire, je devais « laisser la Justice faire son travail »…

Cette anecdote est curieuse. Généralement, les convocations sont envoyées par courrier. Une remise en main propre est plutôt un dernier avertissement à quelqu’un qui n’y défère pas avant l’interpellation en bonne et due forme. Mais il n’est pas du tout conforme aux usages de mélanger les procédures et de confier aux gendarmes chargés du service d’ordre d’une confrontation de remettre des convocations pour audition dans une procédure différente. Ne serait-ce que parce que la maladresse serait ici évidente et que les gendarmes ont des égards. D’autant plus qu’entendre Joël Censier comme témoin aurait relevé de la brigade territoriale du domicile de Joël Censier plutôt que celle de Nay, située à 200 km de là. Vu les imprécisions, les omissions et les contre-vérités contenues jusque là, je prendrai donc cette affirmation avec des pincettes.

La subornation de témoin est un délit prévu par l’article 434-15 du Code pénal. Il consiste dans le fait d’user de promesses, offres, présents, pressions, menaces, voies de fait, manœuvres ou artifices au cours d’une procédure ou en vue d’une demande ou défense en justice afin de déterminer autrui soit à faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation mensongère, soit à s’abstenir de faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation. Elle est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende, ce même si la subornation n’est pas suivie d’effet.

Le simple fait de demander à un témoin de se manifester n’est pas une subornation de témoin. C’est tout à fait légal. Pour qu’une plainte ait été déposée à la gendarmerie, il faut donc que ce témoin se soit senti quelque peu pressé de faire une déclaration qui n’était pas tout à fait conforme à la vérité. J’ignore les suites qui ont été données à cette audition et à cette plainte. je ne doute pas un instant que si elle était allée plus loin, Joël Censier n’aurait pas manqué d’en remettre une couche sur la justice qui s’acharne contre lui. On peut donc supposer qu’elle a été classée sans suite. Détail pas assez important pour qu’on vous le communique. Que diantre, il faut bien vous faire cliquer à la fin.

J’ai même risqué des poursuites pénales car j’avais parlé d’un des meurtriers de mon fils en disant que c’était un « enfoiré ». >Son avocat me menaçait d’un procès en « diffamation ».

“J’ai même risqué”. Comprendre : “je n’ai pas été poursuivi”. Notez que Joël Censier s’obstine à parler au pluriel des meurtriers alors qu’il a été depuis longtemps établi que Samson G. a seul porté les coups mortels. Enfin, “enfoiré” n’est pas une diffamation mais une injure.

C’est alors que mon épouse et moi avons décidé de ne plus nous laisser faire. Au lieu d’attendre passivement le procès, nous avons décidé de rejoindre l’Institut pour la Justice.

Nous y voilà.

Le placement de produit de l’IPJ

L’Institut pour la Justice est un organisme indépendant qui regroupe des juristes, des victimes et des citoyens, qui œuvrent pour réformer la Justice française. Cet Institut a élaboré un Pacte 2012, qui sera présenté à tous les candidats à l’élection présidentielle, pour demander des réformes urgentes du système judiciaire.

Vous pouvez contribuer aujourd’hui à faire passer ces réformes, et à sauver des victimes futures, en signant le Pacte 2012 pour la Justice, en cliquant sur le bouton ci-dessous. Car si nous sommes des centaines de milliers de citoyens à soutenir ces propositions de réforme, les candidats seront obligés de nous écouter ; c’est une question de poids électoral. Mais c’est aussi une question de conscience et de justice.

Pas de vérité ni de Raison.

Lorsqu’on n’y est pas personnellement confronté, on pense souvent que la Justice fait bien son travail. On n’ose pas demander qu’elle soit plus rigoureuse envers les délinquants et les criminels, de peur d’être accusé de manquer d’humanité. Mais je peux vous dire, après trente ans d’expérience dans la Police, que vous n’avez pas à craindre cela. Il est rarissime qu’un vrai délinquant soit traité trop sévèrement en France. La plupart des délinquants bénéficient même d’une impunité à peine croyable.

Argument d’autorité. “J’ai trente ans d’expérience dans la police, je dis donc la vérité. Le fait que je sois partie prenante à une procédure qui me touche personnellement n’a naturellement en RIEN affecté mon jugement. Cela me dispense donc d’étayer mes affirmations par des faits, qui on l’a déjà vu ont un fort parti pris contre moi.”

On entend souvent parler de “violation des Droits de l’homme” dans nos prisons. Mais savez- vous pourquoi 225 détenus, dans une prison de Lyon, viennent de lancer une pétition pour dénoncer « des conditions de détention inacceptables » ? Ces conditions « inacceptables » c’est qu’il leur est interdit d’utiliser… la Playstation 3 dans leur cellule !!

A votre avis, est-ce à cause de l’interdiction d’utiliser une Playstation 3 en cellule que 6 détenus se sont suicidés dans cette prison entre janvier et septembre de cette année ? Voici le texte de la pétition. Les détenus réclament en effet (entre autres : le racket du cantinage, qui est un véritable scandale, l’absence d’activité sportive, illégale, le défaut d’écoute des prisonnier, qui a conduit à des suicides, tout ça sont des détails) de pouvoir utiliser des consoles de jeux vidéos dans leur cellule. De 9 m², surpeuplée, où ils passent 23h/24 chaque jour. Mais ces consoles ne sont pas offertes par l’administration pénitentiaires, pas plus que les télévisions dans les cellules : elles sont louées au prix fort, comme dans les hôpitaux, d’ailleurs. Je ne doute pas que certains citoyens modèles estimeront que ne pas périr d’ennui et sombrer en dépression est faire un traitement trop doux à des prisonniers. Le sadisme des honnêtes gens m’a toujours effaré.

Il n’est pas rare que la Justice relâche un délinquant arrêté des dizaines, voire des centaines de fois par la Police. Le Préfet de Police de Paris, lui-même, en a témoigné dans la presse, le 8 septembre dernier.

Si, c’est rare : il faut encore que je sois son avocat.

Plus sérieusement… Non, en fait, je ne peux pas prendre ce genre d’affirmation sérieusement. Tenez, voici un homme qui cette semaine s’est pris un an ferme pour avoir volé 2 euros de bonbons parce qu’il avait 15 mentions sur le casier. Non mais allez un peu voir des audiences correctionnelles, au lieu de gober des énormités pareilles. Là, la démonstration va consister en prendre une exception pour faire croire qu’elle est révélatrice de la généralité.

Il a cité le cas d’un homme qui venait d’être arrêté pour la 97eme fois. Peut-on imaginer pire mépris pour les victimes ?

Arrêté 97 fois ne veut pas dire condamné 97 fois (ce qui est impossible sauf à vivre plus d’un siècle et commencer jeune). Donc ne veut pas dire coupable 97 fois, et encore moins 97 victimes. Je ne sais rien de ce cas, cité effectivement par le préfet de police qui en bon préfet aime plus les chiffres que les faits. Ainsi, ce même préfet de police n’hésite pas à affirmer que le taux d’élucidation baisse depuis que les avocats assistent les gardé à vue. Avant de dire que grâce à son action volontariste, le taux d’élucidation est en hausse. Comme disait Sir Winston Churchill : je ne fais jamais confiance à des chiffres que je n’ai pas falsifié moi-même.

Des dizaines de milliers de personnes âgées sont cambriolées chez elles chaque année, sans qu’on ne se donne même plus la peine de rechercher les coupables, parce qu’on sait qu’ils seront de toute façon relâchés par la Justice. Des femmes se font violer, ou disparaissent, et on laisse leurs agresseurs libres de recommencer sous des prétextes dérisoires.

Source ? Lien ? Faits ? Pas question. Ça vous ferait réfléchir. Or on surfe sur vos préjugés.

Aujourd’hui, il est grand temps que les candidats aux élections s’en aperçoivent. Mais si nous voulons être sûrs qu’ils se prononcent officiellement, alors il est indispensable que nous soyons des centaines de milliers à signer le Pacte 2012 de l’Institut pour la Justice. J’espère que vous allez le signer et transmettre cette vidéo à tout votre entourage.

Bref vous comporter comme un virus informatique.

Il ne s’agit pas de mesures « répressives », et encore moins de réclamer un retour en arrière. Il s’agit simplement de recentrer la Justice sur sa mission première de protection des citoyens. Instaurer un fonctionnement normal, moderne et juste de l’institution judiciaire, adapté à la réalité d’aujourd’hui, dans lequel les citoyens puissent avoir confiance.

Nouvelle prétérition. L’IPJ ne connait que le tout répressif. Vous allez voir.

Un petit mot sur la mission de la justice, “protection des citoyens”. Ce n’est pas, n’a jamais été et en sera jamais le rôle de la justice. L’IPJ oublie d’ailleurs que les prisonniers sont eux aussi des citoyens et devrait donc militer pour leur protection contre l’État qui leur impose des conditions de détention indigne. Mais pour l’IPJ, on n’est plus citoyen quand on a été condamné.

Protéger suppose une antériorité du danger, d’empêcher un dommage de survenir. La justice, par sa nature même, n’intervient que pour réparer, donc a posteriori. Était-ce le rôle des juges d’être sur le pont de Nay pour empêcher la mort de Jérémy ? Bien sûr que non, ce rôle incombe à la police, et il est illusoire de croire qu’elle peut tout prévenir : même les États les plus policiers du monde connaissent le crime et la délinquance (dans des proportions plus importantes que chez nous, paradoxalement). La mission de la justice n’est pas de protéger, mais de réparer, en sanctionnant le crime. Vouloir inverser la chronologie aboutit à la rendre responsable de la mort de Jérémy et de tous les crimes commis. On sent que cette tentation existe aussi dans le personnel politique. Elle est irrationnelle, et malsaine, car elle revient à faire pression sur les juges, dont l’indépendance est notre première garantie.

Nous demandons: - que les peines de prison soient vraiment appliquées quand elles sont prononcées ; il faut savoir en effet qu’actuellement, 80 000 peines de prison restent non exécutées, faute de place.

Plutôt 82.000, chiffre issu d’un rapport de l’Inspection Générale des Services Judiciaires de 2009, qui représente 13% des peines de prison ferme prononcées. Il est faux de dire que c’est uniquement faute de place que ces peines ne sont pas exécutées. Environ 30.000 d’entre elles ne le sont pas car on ne retrouve jamais le condamné. Les 50.000 peines restantes constituent le stock des dossiers en attente d’exécution (source : le lien précédent). La plupart de ces 50.000 peines seront exécutées un jour. Le délai de traitement est en effet problématique, pour le condamné lui-même au premier chef (il n’y a pas de victime dans tous ces dossiers, loin de là), qui a pu trouver du travail, se réinsérer et changer de vie quand vient l’heure d’exécuter sa peine. Résultat inéluctable de décennies de moyens insuffisants. Si vous ne voulez pas vous payer une justice digne de de ce nom, vous le paierez d’une autre façon.

Le parc pénitentiaire fait 56 150 places opérationnelles au 1er mai 2011. Toutes ces places sont occupées, et plus encore : la population carcérale est de 64 584 personnes (au 1er mai 2011toujours) (taux d’occupation de 115%, avec les répercussions que l’on imagine sur les conditions de détention, qui vont un peu au-delà de l’absence de Playstations en cellule). Que propose l’IPJ ?- Ben d’exécuter ces peines, voyons. - Et comment ? - Ah mais vous allez nous lâcher avec ces satanés faits ?

J’ajoute enfin que le passage à l’acte suppose dans la plupart des cas (excluons les terroristes et les déments) que la personne commettant une infraction ait la conviction de l’impunité, c’est-à-dire qu’elle soit persuadée qu’elle ne sera pas arrêtée et punie pour ce fait. Colporter urbi et orbi et dans tous les médias que les peines de prison ne sont pas exécutées en France, quand bien même c’est faux, risque ainsi fort de favoriser des passages à l’acte. En somme, l’IPJ pousse au crime.

- que les victimes aient au moins autant de droits que les accusés, car aujourd’hui la triste réalité est que les délinquants ont souvent plus de droits et de considération que les victimes ;

Il est vrai que le fait qu’on n’incarcère pas les victimes les prive du droit de contester leur détention. Je vous laisse le soin de décider s’il faut modifier cet état du droit.

Pour le reste, j’invite l’IPJ à aller voir comment ça se passe ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis, pour constater que la France est le pays qui traite sans doute le mieux les victimes dans le cadre du procès. La seule chose qui leur reste fermée est la possibilité de faire appel sur l’action publique, c’est à dire demander une peine plus sévère ou contester une relaxe ou acquittement, qui est le monopole du parquet. Elles ne peuvent faire appel que sur leur action, l’action civile, c’est-à-dire les dommages-intérêts. Parce que la justice n’est pas la vengeance, et que la peine frappe le condamné au nom de la société et non au nom de la victime. Et que leur donner ce droit serait une usurpation des prérogatives de la République par des particuliers, et un cadeau empoisonné. La vérité est terrible : aucune peine, aussi dure fût-elle, ne répare le chagrin de la victime ou de ses proches. Même les familles des victimes dont l’assassin a été condamné à mort et exécuté n’ont jamais ressenti le moindre soulagement de ce fait. Parce qu’une exécution ne répare pas une mort, mais en fait une deuxième. J’ai déjà été confronté à des victimes qui se réfugiaient dans la colère pour échapper à leur douleur. C’est une échappatoire tentante et facile en apparence, mais c’est un cul-de-sac. Une fois la peine définitive tombée, elles se disent que si leur douleur est toujours là, c’est que cette peine est insuffisante, et demeurent à jamais frustrées en se disant que si la peine maximale avait été prononcée, elles ne souffriraient plus. Et si la peine maximale est prononcée, la douleur restant la même, elles se disent que ce maximum n’est pas suffisant. Et ainsi de suite.

Je ne leur jette nullement la pierre, je ne souhaite à personne de connaître ce qu’elles subissent. Mais la douleur ne remplace pas la Raison. Et en faire un argument politique est pour le moins critiquable.

- qu’aucune atteinte aux personnes et aux biens ne reste impunie, car les plaintes classées sans suite sont une invitation à la récidive;

D’un autre côté, une plainte fantaisiste ou infondée (parce que les faits ne constituent pas un délit), doit bien être classée sans suite. Quand les faits sont suffisamment étayés, le parquet n’hésite pas à poursuivre. Mais il n’a pas de temps à perdre à consacrer ses faibles moyens à poursuivre les chimères.

- que les lois nous protègent vraiment des criminels récidivistes ; aujourd’hui, la perpétuité dure 20 ans en moyenne. Même les prédateurs les plus dangereux ont vocation à sortir de prison ;

Bien sûr. Tous les matins, les juges d’application des peines arrivent au bureau en se demandant quel prédateur particulièrement dangereux ils vont pouvoir libérer aujourd’hui. C’est bien connu. D’ailleurs, traditionnellement, le 1er lundi du mois, il demandent aux avocats pénalistes de leur ressort de leur envoyer la liste de leurs clients détenus les plus dangereux pour établir les libérations conditionnelles du mois.

Désolé de faire de l’humour, mais face à ce monceau de sottise, ce n’est que de la politesse.

Plus sérieusement, je rappellerai ici que le meurtre de Jérémy n’a rien à voir avec la récidive puisque Samson G. n’avait aucun antécédent judiciaire, et n’a commis aucun autre meurtre, ni que je sache aucune infraction, depuis sa remise en liberté. Ce sont ici les thèses de l’IPJ qui s’invitent et parasitent la sympathie que vous pourriez éprouver pour Joël Censier.

S’agissant de la récidive, qui est un phénomène très variable selon la nature des faits, voici les chiffres du ministère de la justice, portant sur l’année 2007. Pour les condamnés pour délit, 8,0 % étaient en état de récidive légale, et 26,7 % en simple réitération sur cinq ans, c’est à dire qu’ils avaient déjà été condamnés dans les 5 années précédentes pour des faits de nature différente (par exemple : l’auteur d’un vol déjà condamné pour conduite en état d’ivresse). Ce qui laisse 65,3% de primo-délinquants.

Le taux varie selon les faits : les délits sexuels (agression sexuelle, exhibitionnisme) connaissent parmi les plus bas taux de récidive (moins de 6% en 2004), les délits routiers (conduite en état alcoolique ou en grand excès de vitesse) le plus haut, de l’ordre de 16%, le sommet étant les vols et recel avec près de 30% (chiffres 2004, pdf, lien Google viewer). Les sanctions prononcées sont nettement plus lourdes en cas de récidive ou de réitération, l’emprisonnement ferme qui représente 6,7 % des peines prononcées à l’encontre des primo condamnés, passe à 30 % pour les réitérants et à 50 % pour les seuls récidivistes. Sur les 3 245 condamnés pour crime en 2007, 128 étaient en état de récidive légale soit un taux de récidive de 3,9 %. Ce taux varie selon le type de crime : de 9,5 % pour les vols aggravés à 2,7 % pour les viols (je cite le ministère de la justice).

Les deux tiers des criminels condamnés n’avaient aucun antécédent judiciaire. En somme, méfiez-vous plutôt des honnêtes gens…

- que la justice et les magistrats soient responsables devant les citoyens, parce que leurs décisions sont prises au nom du peuple français ;

C’est oublier que ce sont précisément des citoyens qu’ils jugent. Être responsable devant ceux qu’on juge, est-ce une garantie d’indépendance ? Auriez-vous confiance dans la justice si votre riche adversaire dans son tort pouvait menacer le juge de poursuites s’il ne lui donnait pas raison ? Les magistrats sont responsables, mais cette responsabilité tient compte de leur nécessaire indépendance. J’ai traité ce sujet dans ce billet. Mais il est plus facile pour l’IPJ de laisser entendre que les juges sont irresponsables parce que les justiciables qu’ils condamnent ne peuvent pas se venger par un procès. La complexité, c’est pas le truc de l’IPJ, vous l’aurez compris.

La mise en œuvre de ce Pacte serait un changement considérable pour la protection des citoyens et des victimes.

…parce que….? Ah, non, c’est la fin de la phrase. Ceux qui veulent des explications iront se brosser.

Mais même si ces mesures peuvent vous paraître évidentes, elles n’ont aucune chance d’être reprises par les candidats à la présidentielle et votées dès 2012 si des centaines de milliers de citoyens ne se manifestent pas pour les demander maintenant.

C’est pourquoi je vous demande de cliquer sur le bouton ci-dessous pour signer votre Pacte 2012, puis de transférer ce message à vos amis, votre famille, vos collègues.

Le clic, nouveau paradigme de l’action politique. Cela permettra juste à l’IPJ de revendiquer désormais un million de personnes qui auront été abusées le temps de remplir un formulaire, et qui n’ont aucun moyen de se retirer de leurs fichiers, et de prétendre parler en leur nom.

De notre côté, nous mobilisons d’importants moyens humains et financiers pour : - rassembler des dizaines, des centaines de milliers de signatures ;

Soit des données personnelles collectées en toute illégalité et sans garanties pour les signataires, puisque les mentions imposées par la loi informatique et liberté s’agissant d’un traitement de données nominatif (notamment la désignation de la personne auprès de qui exercer le droit d’accès, de rectification et de retrait) sont absentes du formulaire de signature. Je suis certain que l’IPJ exigera que la loi pénale lui soit appliquée avec autant de rigueur qu’il l’exige pour les autres. Ah. Ah. Je déconne.

- préparer des dossiers précis, justifiant le coût et la faisabilité de chacune de nos réformes, avec des avocats et des juristes spécialisés ;

On aurait pu croire que ce travail avait été fait en amont, ne croyez-vous pas ?

- mobiliser la presse, pour que cette action soit médiatisée le plus largement possible ;

C’est le but de la manœuvre. L’IPJ n’a aucune légitimité dans le milieu universitaire, elle essaie la légitimité médiatique : le fameux “vu à la TV”. Force est de reconnaître qu’il a réussi sur ce point.

- organiser des rencontres officielles avec chaque candidat, pour obtenir leur engagement à mettre en œuvre nos réformes, en cas d’élection.

Marine Le Pen se fera sans nul doute un plaisir de les recevoir.

(…) Au nom de mon enfant, de ma famille, et de mon pays, je vous dis merci.

Non. Votre pays, M. Censier, est aussi le mien, et vous n’avez aucune légitimité pour parler en son nom. Quant à embarquer la mémoire de votre fils mort dans un combat qui ne fut jamais le sien, je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur hommage à lui rendre.


PS à mes lecteurs : content de vous retrouver. Vous m’avez manqué.

mardi 26 avril 2011

Boîte à gifles

“Par Gascogne”


Il est un rapport qui est passé tellement inaperçu qu’il a même fallu une insistance syndicale particulière pour qu’il soit publié : il s’agit du rapport du Conseil Supérieur de la Magistrature[1] rendu le 21 mars 2011 dans le cadre de l’affaire de Pornic, suite à sa saisine par le Garde des Sceaux, conformément à l’article 65 de la constitution de 1958, tel que modifié par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008. En effet, il était auparavant arrivé que la Conseil Supérieur de la Magistrature donne spontanément son avis sur le fonctionnement de l’institution judiciaire, et particulièrement des entraves qui pouvaient voir le jour suite à des interventions politiques. Cette liberté a paru si démocratiquement honteuse que la réforme constitutionnelle de 2008 a estimé nécessaire de ne plus permettre au CSM d’intervenir hors saisine du Garde des Sceaux.

Suite au mouvement des fonctionnaires et magistrats du ministère de la Justice, après les propos du Président de la République sur les dysfonctionnements judiciaires ayant selon lui conduit au meurtre de Laëtitia Perrais, le Ministre de la Justice s’était engagé à saisir le CSM d’une demande d’avis portant sur deux questions principales :

- la qualité du suivi des personnes condamnées, élément fondamental de la lutte contre la récidive.

- l’exercice par les chefs de juridiction et de Cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci.[2].

Le rapport du CSM ne traitera pas la seconde question, précisant que la question de la répartition des compétences entre Premier Président de Cour d’Appel et Président de TGI est d’une telle importance qu’elle mérite à elle seule un rapport annuel.

Quant au traitement de la première question, le Conseil n’a pas attendu la deuxième page de son rapport pour ouvrir la boîte à gifles. Je ne sais pas si les membres du CSM renouvelé suite à la réforme constitutionnelle de 2008, et sur la nomination desquels des critiques ont pu être faites, ont voulu immédiatement marquer leur indépendance, mais je dois reconnaître que la lecture de leur avis est plus que réjouissante.

A titre préliminaire, le Conseil rappelle en effet que “le respect du principe de la présomption d’innocence, garanti par la Déclaration de droits de l’Homme et du Citoyen et le code de procédure pénale, s’impose à l’égard de toute personne mise en cause dans une affaire criminelle tant qu’elle n’a pas été jugée”. Si ça, ce n’est pas un message directement adressé au garant de l’indépendance de la Justice, je ne sais pas ce que c’est. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’il parlait d’un présumé coupable



Concernant le fonctionnement des juridictions, le CSM débute par un rappel salutaire : en matière de récidive, d’exécution et d’application des peines, 11 rapports se sont succédé entre 2002 et 2011. On a beau savoir depuis Clémenceau que lorsque l’on veut enterrer un problème, on créé une commission, qui pondra un rapport, cela commence à faire beaucoup. Et ce d’autant plus que selon le Conseil, une des rares dispositions reprise dans une loi a consisté à “inclure la prévention de la récidive dans la définition des missions des services pénitentiaires d’insertion et de probation”. De l’aspect magique de la loi… Et le Conseil de proposer qu’il soit établi une liste des recommandations déjà formulées et d’assurer la mise en œuvre de celles qui le méritent. Ou comment expliquer calmement qu’un énième rapport ne présente qu’un intérêt plus que relatif, et qu’appliquer les précédents serait déjà une bonne chose.

Le Conseil souligne ensuite que pour une lutte efficace contre la récidive, il conviendrait qu’existe une réelle stabilité législative, ce qui n’est plus le cas depuis quelques années, pointant la “succession trop rapide des textes”. On ne saurait mieux dire.

Une fois ces critiques faites (et bien faites), le rapport reprend à son compte différentes propositions qui avaient déjà pu être formulées, concernant la lutte contre la récidive. Il y souligne particulièrement une “recherche en criminologie” accrue, afin de mieux détecter la dangerosité criminologique des condamnés, qui ne peut se réduire à la dangerosité psychiatrique, concept plus restreint, puisque reposant essentiellement sur la recherche d’une pathologie mentale. Le Conseil ne met cependant en exergue que le manque de formation des conseillers d’insertion et de probation, ce qui me paraît trop limité. En effet, sauf changement intervenu depuis ma propre formation, l’ENM ne forme pas les futurs magistrats à la criminologie, ce qui est regrettable. Pas même une formation du Cesare Beccaria, que tout magistrat pénaliste se doit cependant d’étudier. La formation à la criminologie devrait également être proposée à tous les personnels pénitentiaires, et notamment aux directeurs et chefs de service, appelés à donner leur avis sur les aménagements de peine des personnes incarcérées. Sauf erreur de ma part, je ne crois pas que cela soit actuellement le cas à l’ENAP.

Suivent quatre propositions portant sur la nécessité de suivis pluridisciplinaires des condamnés, l’augmentation des moyens humains et matériels afin d’assurer efficacement ce suivi, et le nombre de médecins coordonnateurs, notoirement insuffisants en matière de suivi des délinquants et criminels sexuels. Bref, la reprise quasi intégrale des demandes portées par les syndicats depuis des années, et à nouveau malheureusement remise à l’ordre du jour suite au drame de Pornic.

Face à cette mise en cause claire et précise que la Chancellerie a tenté de camoufler, voici la réponse du Ministère, qui se passe de commentaire :

Communiqué de la Chancellerie

07 avril 2011 Avis du CSM relatif au fonctionnement de la Justice La qualité du suivi des personnes condamnées et l’exercice par les chefs de juridiction et de cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci.

Après avoir pris connaissance des rapports des inspections diligentées à Nantes à la suite du meurtre de Laëtitia Perrais, et en vertu de l’article 65 de la Constitution, Michel Mercier, Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés, a saisi le 22 février 2011 la formation plénière du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) d’une demande d’avis relative au fonctionnement de la Justice.

Les deux rapports d’inspection, celui de l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) concernant le service de l’application des peines du tribunal de grande instance de Nantes, et celui de l’Inspection des services pénitentiaires relatif aux conditions de prise en charge de Tony Meilhon par le service d’insertion et de probation de Loire-Atlantique, ont été communiqués au CSM.

Dans sa saisine, le Garde des Sceaux rappelait en particulier les éléments mis en lumière par le rapport de l’IGSJ : difficultés quant à la prise en compte et au relais par les chefs de juridiction et de cour des demandes de renfort en effectifs exprimées par les magistrats du service de l’application des peines, délégation par le président du tribunal de grande instance de Nantes de ses responsabilités d’administration de la juridiction à sa principale collaboratrice, carences dans la validation des orientations définies par ce service, insuffisante coordination entre les juges de l’application des peines et le service pénitentiaire d’insertion et de probation.

Dans son avis rendu le 21 mars 2011, le CSM a souhaité distinguer deux aspects :

- la qualité du suivi des personnes condamnées, - l’exercice par les chefs de juridiction et de cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci.

Sur la qualité du suivi des personnes condamnées :

- Le CSM établit la liste des différents rapports établis depuis 2002 sur la récidive et préconise un suivi des recommandations qui en sont issues. Il relève 5 thématiques ayant fait l’objet de développements et de préconisations dans les deux rapports d’inspection, qui lui paraissent intéresser et impacter le fonctionnement des juridictions :

* la formation à la recherche en criminologie,

* la nature du suivi par une équipe pluridisciplinaire,

* les moyens humains du suivi des personnes condamnées,

* le nombre des médecins coordonnateurs,

* les moyens matériels.

Sur l’exercice par les chefs de juridiction et de cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci :

Le Garde des Sceaux souhaitait connaître les préconisations du CSM afin d’améliorer l’exercice par les chefs de juridiction et de cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci et sollicitait particulièrement son avis :

* sur la possibilité, pour le président d’une juridiction de déléguer ses attributions en la matière,

* sur le rôle des chefs de cour au regard de leur faculté de recourir à l’emploi de vacataires, à l’affectation de magistrats placés ou à la délégation de magistrats de leur cour,

* sur les obligations incombant aux chefs de juridiction et de cour en matière de contrôle des modalités d’organisation décidées par les services de leur ressort.

En vertu de l’article 65 de la Constitution, le pouvoir de nomination des premiers présidents et des présidents de tribunaux de grande instance appartient en effet au CSM, dans sa formation compétente à l’égard des magistrats du siège. Cette même formation statue également comme conseil de discipline des magistrats du siège.

Le CSM relève que l’ensemble de ces questions porte sur le rôle et les missions de premiers présidents des cours d’appel ainsi que sur les compétences respectives du premier président et du président.

Il a toutefois estimé que l’importance de ces questions justifiait qu’elles soient traitées dans un futur rapport annuel qui leur serait consacré.

On mesure à la lecture du communiqué la parfaite analyse de la Chancellerie des critiques émises par la plus haute instance de régulation de la Magistrature. Qui s’en étonnera ?

Notes

[1] N’y cherchez pas le rapport, il ne s’y trouve pas

[2] Il était notamment reproché dans le rapport de l’inspection générale des services judiciaires au président du TGI de Nantes d’avoir trop délégué à sa première vice-présidente

mercredi 9 février 2011

Pourquoi les juges sont dangereux

Par Maboul Carburod…Z, auteur intermittent et magistrat impénitent


Longtemps j’y ai cru à ce métier. Juger, dire le droit, c’était faire entrer la Raison dans le prétoire, donner la mesure des choses et, modestement, essayer de créer du lien social. Lors de ma première installation, le président de ma juridiction avait profondément insisté sur la nécessaire humilité du magistrat.

Mes premiers mois d’exercice, non comme juge pénal, mais comme juge d’instance[1], m’ont fait profondément douter de moi, ont bousculé mes convictions, m’ont obligé à approfondir ce qui faisait mon humanité.

Je n’ai jamais cru détenir la vérité ni avoir le pouvoir de la dire. J’ai la simplicité de croire que j’essaie de trouver la part de vérité que les enquêteurs et les justiciables me proposent.

Lorsque je suis monté pour la première fois aux Assises, j’ai eu peur. Il n’y avait pas d’appel possible[2] et je désirais de toutes mes forces éviter de me tromper. Comment situer la culpabilité, à quel niveau prononcer une peine ?

Toutes ces questions sont sans réponse standardisée, et l’honnêteté commande de dire qu’à chaque affaire à juger, à chaque dossier, à chaque audience, il faut savoir se remettre en question, la seule certitude se situant dans le jugement rendu.

Ce que j’ai compris, c’est qu’un juge ne changera jamais le monde, ni les gens.

La seule certitude que j’aie est que le seul jugement que je m’interdis est celui qui retranchera une personne de l’humanité : Le juge n’est pas Dieu.

Je suis donc incapable de dire toute la vérité sur une affaire. Je suis incapable de prédire l’avenir d’une personne que je dois juger. J’essaie simplement de donner la mesure d’un acte.

Mais je me suis lourdement trompé.

Je n’ai pas compris, qu’avec le pouvoir qui m’était conféré, je pouvais tout. Je pouvais vivre dans l’absolu, savoir la vérité des faits et d’une personne, deviner son avenir ou du moins le discerner, dire son degré d’humanité ou d’inhumanité. Oui, je suis dépourvu de tout talent, de toutes les qualités professionnelles attendues.

Je n’ai pas compris que la loi pénitentiaire récemment votée[3] m’invitait à prononcer les peines de plus de deux ans et non pas l’inverse[4], que l’obligation de motiver l’absence d’aménagement de peine, c’était pour épater la galerie, que la présomption d’innocence ne valait rien contre l’avis du prince, que la détention était l’unique moyen de sauvegarder la société, de même que la liberté sauvegardait l’individu.

Je ne suis pas assez savant pour résoudre la quadrature du cercle.

Et pourtant, je ne suis pas seul, car tous mes collègues sont comme moi.

Serions-nous tous des incapables ?

Merci à ceux qui nous critiquent sans tact ni mesure, car nul ne doute qu’ils sauront faire mieux que nous. Regardez les succès américains contre la délinquance, ils sont si criants. Peu importent les condamnés à mort exécutés puis innocentés, puisque le jury populaire a voté et que le juge n’avait plus le choix dans la peine[5]

Mais, un nouveau doute m’assaille : les Cours d’Assises, composées de jurés populaires, mettent-elles systématiquement le maximum en cas de potentialité de récidive ?

Non.

Alors, le peuple est-il laxiste, les jurés enfermés dans leur tour d’ivoire ? C’est évident, ils sont manipulés par les magistrats professionnels, qui ne supportent pas de partager leur arrogant pouvoir.

C’est sûr, ils en usent et en abusent. Comment, ils osent invoquer les Droits de l’Homme pour écarter une loi votée selon les règles par des gens légitimes car élus ? Comment, le Conseil Constitutionnel, ces politiques, osent censurer la volonté populaire ?

Qui ose se poser en contre-pouvoir du peuple, seul souverain, représenté uniquement par les élus ?

Puisque le peuple a décidé la sévérité, il appartient à la justice d’obéir. Les juges, non élus, sont illégitimes. Les pouvoirs qu’ils se sont arrogés sont anti-républicain.

En République responsable, le pouvoir émane du peuple par l’élection et son représentant suprême détient la légitimité suprême et tout découle de lui.

Qu’est donc que la séparation des pouvoirs ? Un outil donné aux juges pour se révolter ? C’est indigne. Que sont ces principes invoqués de la légalité des délits et des peines pour s’opposer à la juste application de la peine plus sévère au cas présent ? Une auto-protection du laxisme institutionnel ?

Oui, les juges sont dangereux, car ils ne sont pas légitimes à se dresser en contre-pouvoirs.

Mais ma conscience se révolte.

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ne dispose-t-elle pas qu’un pays qui ne connaît pas la séparation des pouvoirs n’a point de Constitution[6] ? La légitimité est-elle confiée à l’élu ou à la loi votée par l’élu ? La défense des Libertés Publiques ne commande-t-elle pas la légalité des délits et des peines[7], en réponse à l’Habeas Corpus tant invoqué[8] ? Le droit à la sûreté ne doit pas primer les autres droits et libertés publiques[9] L’indépendance des pouvoirs doit permettre aux contrôles démocratiques d’opérer, la non-ingérence permettant à chacun d’exercer ses compétences en toute impartialité. En ce sens, l’institution judiciaire tente de donner la mesure de chaque homme.

Posons-nous seulement une question : Croyons-nous encore en l’homme ?

Si le juge y croit encore, alors il est nécessairement dangereux aux yeux de certains, car son jugement sera forcément à la mesure de sa conviction, pétri d’humanité et d’une forme d’espérance, osant risquer la liberté.

S’il n’y croit plus, alors versons dans une société faite de cynisme et de rapport de force, ce qu’elle a trop tendance à être.

Puisque je crois en l’homme, alors je suis un être dangereux.

Notes

[1] Le juge d’instance juge seul les petits litiges civils, d’une valeur comprise entre 4001 et 10.000 euros, selon une procédure orale simplifiée. L’avocat n’est pas obligatoire dans cette procédure. NdEolas.

[2] L’appel en amtière criminelle a été créé par la loi du 15 juin 2000. Eh oui : les condamnations à mort n’étaient pas susceptibles d’appel. NdEolas

[3] Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire.

[4] La loi pénitentiaire a porté de un à deux ans les peines de prison ferme pouvant être aménagées pour éviter une détention, et a posé que l’aménagement était le principe et l’enfermement l’exception.Parfait exemple de la schizophrénie législative que cette loi perdue au milieu de 42 lois sécuritaires votées depuis 2002.NdEolas

[5] Le droit américain prévoit systématiquement des peines planchers, même pour les primo délinquants, le plancher pouvant même être la perpétuité réelle (life without possibility of parole), peine qui peut même être prononcée à l’encontre d’un mineur, et ne connaît pas le sursis. La criminalité violente est pourtant nettement plus élevée aux Etats-Unis, sans différence notable entre les Etats pratiquant la peine de mort et ceux l’ayant aboli ; et la population carcérale rapportée à la population totale, environ dix fois plus élevée : 88 détenus pour 100.000 hab en France, 738 aux Etats-Unis. Source : OCDE, 2007. NdEolas

[6] Article 16. NdEolas

[7] Principe fondamental posé par l’article 8 de la Déclaration de 1789 : nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi antérieure au fait punissable, et par une peine prévue par une loi antérieure à ce fait. Aucune rétroactivité en matière pénale des lois plus sévères. NdEolas.

[8] Notamment par votre serviteur : l‘habeas corpus est le droit pour toute personne privée de sa liberté par les autorités de contester cette privation de liberté devant un juge indépendant. NdEolas

[9] Le droit à la sûreté fait partie des droits imprescriptibles proclamées par la Déclaration de 1789, avec la liberté, la propriété et la résistance à l’oppression. Sûreté, au 18e siècle, ne s’entendait cependant pas au sens de “sécurité” aujourd’hui, mais de sûreté juridique, qui veut que tout citoyen ait un accès aisé à la connaissance de la loi, loi à laquelle l’Etat lui aussi doit être soumis. La publication des lois au JO relève de ce droit. L’exigence de clarté de la loi posé par le Conseil constitutionnel également. NdEolas

mardi 8 février 2011

Éléments de langage

Alors que la colère de la Basoche ne retombe toujours pas, bien au contraire (Plus de la moitié des tribunaux et cours d’appel soit 115 sur un total de 195, ont voté un renvoi des audiences non urgentes, dont Paris, qui de par sa taille gigantesque a le plus de mal à se mettre en branle ; d’ailleurs, 300 magistrats étaient présents à l’AG selon la presse), le Gouvernement fourbit ses armes.

Ses armes, c’est ce qu’on appelle les éléments de langage. Des argumentaires distribués aux élus de la majorité pour qu’ils puissent les réciter, le sourcil froncé et l’index tendus vers la caméra, comme s’ils maitrisaient le sujet.

Pour vous épargner du temps et la douleur d’écouter Christian Estrosi, mes Taupes, qui font l’envie de Moubarak comme de Facebook, m’ont communiqué ces argumentaires. Je vous les livres tels quels. Je pense que mes lecteurs magistrats apprécieront à leur juste valeur. Ils émanent directement de l’Élysée et ont été distribués aux parlementaires UMP.

Premier argumentaire, sur les dysfonctionnement de la justice. Il date du 4 février. Les mises en page (gras, italiques et soulignés) sont d’origine.


4 février 2011

ARGUMENTAIRE

Affaire Laëtitia et dysfonctionnement dans la chaîne pénale

Contexte :

Le 3 février, à l’occasion d’un déplacement à Orléans consacré à la sécurité, le Chef de l’Etat a réaffirmé son intention que toute la lumière soit faite sur les circonstances ayant conduit à la remise en liberté de Tony MEILHON, principal suspect du meurtre ignoble de la jeune Laëtitia à Pornic. « Le risque zéro n’existe pas, mais tout expliquer par la fatalité, c’est se condamner à l’impuissance » a-t-il ajouté. En diligentant des enquêtes d’inspection, Michel MERCIER et Brice HORTEFEUX ont précisé que « s’il y a eu des dysfonctionnements, ils ne peuvent pas rester sans réponse ». Pour protester contre ces déclarations, les magistrats du TGI de Nantes ont décidé une grève des audiences jusqu’au 10 février et exigé qu’aucune procédure disciplinaire ne soit mise en œuvre.

Éclairage :

1) Devant un tel drame, nous devons aux Français de rechercher ce qui n’a pas

fonctionné

- En rappelant cette exigence avec fermeté, le Président de la République est dans son rôle de garant du « fonctionnement régulier des pouvoirs publics » (article 5 de la Constitution). Il est de son devoir d’exiger que soient précisées les responsabilités des uns et des autres. En l’espèce, le devoir de nos institutions, c’est « de protéger la société de ces monstres » et de tout comprendre, tout entreprendre pour qu’un tel drame ne se reproduise pas ;

- Il est tout à fait normal que des rapports d’inspection aient été demandés dès lors qu’il est d’ores et déjà avéré que le suivi des obligations de Tony MEILHON n’avait pas été correctement mis en œuvre. Il n’y a alors rien d’exceptionnel à ce que le gouvernement mobilise, selon les procédures habituelles, les différents services d’inspection compétents (pénitentiaires, judiciaires, police nationale). C’est bien le contraire qui serait choquant ! Ces rapports d’inspection, qui devraient être rendus dans quelques jours, permettront d’analyser objectivement le fonctionnement de la chaîne pénale dans cette horrible affaire. S’ils font apparaître des dysfonctionnements manifestes, des procédures disciplinaires seront alors engagées.

- Sans attendre, le gouvernement veut apporter de nouvelles réponses au fléau de la délinquance sexuelle et violente : création imminente d’un Office opérationnel de suivi des délinquants sexuels ; mise en place dans chaque département d’une Cellule de synthèse et de recoupement concentrant ses efforts sur le suivi des multirécidivistes ; renforcement des Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Ces réponses passent certes par un renforcement des moyens mais ne s’y résument pas. Ainsi, dans le cadre de la LOPPSI, le recours au bracelet électronique sera facilité de même que les rapprochements judiciaires entre des affaires traitées par différents services.

2) Dans un État de droit, indépendance de la justice ne veut pas dire irresponsabilité

- Dans cette affaire comme dans d’autres, le principe de responsabilité de l’autorité judiciaire peut être légitimement posé. Qui pourrait accepter que ce grand service public régalien se dédouane de toute responsabilité au prétexte de l’indépendance que la constitution lui confère (article 64) ? Comme dans l’affaire Outreau, certains magistrats ont l’audace d’exiger qu’aucune procédure disciplinaire ne soit engagée et qu’aucune responsabilité ne leur soit imputée ! Ce n’est pas notre conception de la république et de la démocratie. Car la justice repose sur la confiance et il n’y a pas de confiance sans responsabilité.

- En refusant « d’exercer les fonctions de magistrat en Sarkozie » (Matthieu BONDUELLE, SG du syndicat de la magistrature), les magistrats grévistes manquent à leur devoir. Et au final ce sont les victimes et les justiciables qui font les frais de cette réaction, illégitime et disproportionnée.


Quelques commentaires :

Penser que cet argumentaire émane de l’Élysée est accablant. Le Président de la République est le garant du fonctionnement des Institutions et de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Et là, il se retourne contre l’autorité judiciaire, et via une présentation des faits tronqués. Ce n’est bien sûr pas la phrase citée qui a mis le feu aux poudres. C’est cette phrase là, non citée, et pourtant reprise en boucle dans les médias :

Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés, c’est la règle.

L’argumentaire laisse entendre que c’est la saisine de l’Inspection Générale des Services Judiciaires (IGSJ) qui a provoqué l’ire des magistrats, qui exigeraient avant de connaître les résultats qu’aucune sanction ne soit prise. L’Élysée ment. Purement et simplement. Car la vérité est que c’est tout le contraire : depuis le début, les magistrats fustigent le fait que par cette phrase ci-dessus rappelée, le Président, sans attendre les résultats de l’enquête de l’IGSJ, affirme qu’il y a eu faute et qu’elle sera sanctionnée, alors même que les magistrats nantais, sachant comment fonctionne leur service en sous effectif criant, savaient bien qu’aucune faute ne pourra être retenue à leur encontre pour avoir considéré comme non prioritaire un dossier de mise à l’épreuve pour outrage à magistrat.

Les lecteurs apprécieront en outre la rétrogradation de la justice, déjà non reconnue comme pouvoir au même titre que l’exécutif et le législatif par la Constitution, qui parle de simple “autorité”, au rang de simple “service public régalien”. On retrouve ici la vision du président de la République, exposée dans son discours d’Épinal de juillet 2007.

Et bien sûr le couplet démagogique sur les magistrats qui refusent de voir leur responsabilité mise en cause. L’Élysée rédige ses argumentaire au zinc, maintenant.

Deuxième argumentaire, sur les moyens et l’organisation de la justice (la célèbre antienne, « C’est pas une question de moyens, c’est une question de méthode », popularisée par Coluche sous la forme « Dites-vous de quoi vous avez besoin, on vous expliquera comment vous en passer ». Il est daté d’aujourd’hui 8 février.


8 février 2011

ARGUMENTAIRE

Grève des tribunaux et moyens de la justice

Contexte :

La polémique autour des dysfonctionnements survenus dans l’affaire Laëtitia a servi de prétexte à une « fronde » des magistrats, largement orchestrée par certains syndicats qui se réclament ouvertement de gauche. A leur initiative, le report d’audiences a déjà été voté par une cinquantaine de juridictions. Réfutant toute éventualité de mise en cause de leur responsabilité, les magistrats grévistes concentrent leurs attaques sur le manque de moyens de la Justice en France.

Éclairage :

1) Jamais aucun gouvernement n’a consenti un si grand effort pour le budget de la

Justice

- La Justice n’est pas un budget sacrifié, bien au contraire ! Depuis 2007 (6,27 Mds€), le budget de la justice a augmenté de près de 900 millions d’euros pour dépasser en 2011 le seuil jamais atteint des 7 Mds (7,1Mds exactement). Rien que pour 2011, ce sont 550 emplois nouveaux dont 399 de greffiers. Cette progression continue traduit la détermination du gouvernement à replacer la Justice au cœur de la société ;

- Cet effort est d’autant plus symbolique au regard du mouvement de maîtrise des dépenses publiques engagé par ailleurs. Il convient en effet de rappeler que, dans le même temps que le budget de la Justice progressait significativement, l’Etat réduisait son déficit de 40% entre 2010 et 2011 ;

- On ne peut pas dire que les gouvernements précédents en avaient fait autant. Les grévistes qui pointent le mauvais classement du budget français en Europe (0,19% du PIB, 37ème rang européen) oublient de rappeler que cette situation à laquelle nous tentons de remédier est le fruit d’un long héritage…Elisabeth GUIGOU, qui fort opportunément joint son éternelle « indignation » à la « colère des magistrats » devrait avoir l’honnêteté de rappeler l’état dans lequel elle a laissé le budget de la Justice en 2002. Il est vrai qu’avec les 35 heures et les emplois aidés, le Gouvernement auquel elle appartenait avait fait d’autres choix pour partager les fruits de la croissance de l’époque…Depuis que la droite est au pouvoir, nous avons redressé la situation : le budget de la Justice a augmenté de 40%.

2) L’efficacité de notre système judiciaire ne saurait se réduire à la sempiternelle question des moyens

- N’en déplaise aux grévistes et aux polémistes, c’est bien à la modernisation de la Justice française que nous nous sommes attelés depuis 2007. C’est ce que nous avons fait en réformant la carte judiciaire. Réforme à laquelle aucun gouvernement n’avait eu le courage de s’atteler depuis 1958. Était-il efficace de garder, comme c’était parfois le cas, deux TGI à 18 kilomètres de distance ? En même temps que nous réformions la carte, nous avons augmenté les effectifs de la justice de 2300 agents et investi massivement dans la construction de nouvelles cités judiciaires, modernes et cohérentes ;

- Le monde évolue, la Justice doit s’adapter. C’est le sens des différentes lois adoptées depuis 2007 (récidive, rétention de sûreté, loi pénitentiaire…) et des projets actuellement débattus au Parlement (garde à vue, introduction des jurys populaires, PJL « Guinchard » relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement des procédures). Ce mouvement de réformes, que certains qualifient d’ « empilement », nous l’assumons tout à fait : l’immobilisme, c’est le meilleur moyen de détourner les citoyens de la Justice.


Bon, passons rapidement sur les chiffres, notamment ces fameux 40% qui ne tiennent pas compte de l’inflation (16,5% sur cette même période), que le budget de la Justice inclut aussi le budget de la Pénitentiaire, et le fait que la 37e place de la France a été mesuré postérieurement à cette augmentation, qui montre bien d’où on vient.

Le couplet sur la réforme de la carte judiciaire est indécent, quand on voit que les suppressions se sont faites sans transfert de moyens (ainsi en région parisienne, le tribunal d’instance de Nogent Sur marne, qui a récupéré le ressort de celui de Vincennes, supprimé, n’a pas eu un magistrat ou un greffier supplémentaire. Résultat : impossible d’avoir une date d’audience avant la fin de l’année. Oui, nous sommes en février). L’argument des 18 km entre deux tribunaux de grande instance (TGI) ne veut rien dire. Le plus gros TGI de France, celui de Paris, est distant de 13km du second, Nanterre. Personne ne propose de supprimer l’un des deux.

Il demeure qu’à Nantes, le ministère a doté 17 postes de Conseiller d’Insertion et de Probation sur les 42 qu’il a instaurés. Que les lois empilées avec fierté par le Gouvernement, notamment la loi pénitentiaire de novembre 2009, va faire exploser cette charge de travail, alors que PAS UN SEUL POSTE n’a été créé. Alors le gouvernement peut dire que tout ça, c’est la faute des méchants socialistes. Les socialistes ont été au pouvoir 5 ans. Cette majorité est aux affaires depuis 9 ans. Il y a un moment où l’excuse du bilan devient simplement indécente pour se défausser de ses responsabilités. Et ça donne des leçons de responsabilité aux magistrats.

Le stade de l’autisme politique est dépassé. Là, l’exécutif sombre dans la bouffée délirante. C’est dramatique.

mercredi 2 février 2011

Drame de Pornic : où sont les défaillances ?

Par Gascogne, intérimaire


Comme je n’aurais su dire mieux, je me permets de reproduire ici une lettre ouverte adressée par la CGT Pénitentiaire au Président de la République suite au meurtre de la jeune Laëtitia à Pornic. Cette lettre est consultable sur le site du syndicat, ainsi d’ailleurs que d’autres interventions de la CGT Pénitentiaire dans le cadre de la polémique qui a suivi l’arrestation et la mise en examen de Tony Meilhon.


LETTRE OUVERTE

A



Monsieur Nicolas Sarkozy, Président de la République Palais de l’Elysée 55, rue du faubourg Saint Honoré 75008 PARIS



Monsieur le Président,



J’ai pris connaissance du courrier que vous avez envoyé à monsieur le Garde des Sceaux. Je reviens vers vous après vous avoir déjà fait parvenir notre communiqué du mercredi 26 janvier 2011 par l’intermédiaire de votre attachée de presse.

Comme vous, je suis choquée et anéantie, monsieur le Président !



Premièrement, je suis consternée par l’utilisation populiste que vous faites de ce drame, terrible … la mort tragique d’une jeune fille dans des circonstances encore non élucidées et a priori ignobles !



Deuxièmement, je suis vraiment surprise que vous vous intéressiez enfin au crédit ou au discrédit de l’institution judiciaire : « Il me paraît en conséquence indispensable de faire toute la lumière sur ces dysfonctionnements qui portent atteinte au crédit de l’institution judiciaire. » Surprise, car vous-même avez souvent raillé l’institution judiciaire. Vos déclarations ont souvent remis en cause le professionnalisme des magistrats et des fonctionnaires.



Troisièmement, je suis choquée ensuite par la détermination dont vous faites preuve afin de trouver des coupables : « Vous m’avez indiqué avoir ordonné une enquête administrative interne afin de déterminer avec précision les conditions dans lesquelles cette procédure relative à la mise à exécution d’une peine correctionnelle s’est déroulée et les éventuelles responsabilités qui pourraient être mises en évidence. »



Des coupables, il n’y en a pas chez les fonctionnaires professionnels de la Justice. L’enquête administrative diligentée auprès des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et du tribunal de Nantes ne doit pas faire peser la responsabilité sur des agents qui n’ont pas à la porter … Ce que vous semblez vouloir, monsieur le Président, c’est un responsable à tout prix !



Vous n’êtes pourtant pas sans ignorer, monsieur le Président, que depuis des années, les politiques de casse du service public que vous menez, et plus particulièrement celui de la Justice qui nous concerne ici, sont les vrais responsables. L’inspection générale des services pénitentiaires était venue au SPIP de Nantes, il y a quelques mois. Le manque de moyens conduisant à la mise en place, en concertation avec les autorités compétentes, de la mise au placard des dossiers que le service ne pouvait prendre en charge faute de moyens, était connu ! Cette situation, qui existe dans de nombreux services, a été dénoncée à de multiples reprises.

En novembre 2010, la CGT Pénitentiaire, en mouvement, demandait entre autres, le recrutement de 1000 travailleurs sociaux, conformément à l’étude de l’impact de la loi pénitentiaire ! Madame Michèle Alliot-Marie, Garde des Sceaux, nous avait gentiment dit que le ministère de la justice et l’administration pénitentiaire étaient des privilégiés : pas d’emplois supplémentaires, hormis les 40 recrutements de travailleurs sociaux pénitentiaires pour l’année 2011 !



Sur votre invitation, l’inspection générale des services pénitentiaires a interrogé, à plusieurs reprises, des collègues. Plutôt que de demander des comptes à des agents, faites interroger les responsables de cette politique qui conduit les services à l’asphyxie !



Je peux comprendre votre trouble, lorsqu’en conseil des ministres vous dites : « Que puis-je dire à la famille de Laëtitia ? » … Que pouvez-vous leur dire ?

Tout d’abord, raconter comment vous avez, à cause de votre politique, anéanti les services publics en supprimant des fonctionnaires.



Ensuite, leur expliquer que la politique pénale menée par les ministres obéissant à vos ordres, a engendré une surpopulation carcérale, sans recruter des fonctionnaires supplémentaires tant à l’administration pénitentiaire qu’à la Justice en général. Expliquer comment les juges sont surchargés de dossiers ….



Vous éclairerez la famille sur l’état de la protection judiciaire de la jeunesse où le nombre de fonctionnaires ne cesse de diminuer. Vous pourrez aussi leur dire que les juges pour enfants sont débordés, parfois sans greffier, et que l’Etat ne reverse pas assez d’argent aux collectivités pour qu’elles recrutent des éducateurs pour le suivi des enfants et des jeunes en danger ou en difficultés !



Il n’y aura pas de boucs émissaires !



Alors, après analyse des responsabilités, vous pourrez vous excuser car la famille de la victime doit savoir que les dysfonctionnements de la Justice ne sont pas le fait d’un fonctionnaire d’un SPIP ou d’ailleurs, d’un magistrat, mais que c’est le fait de la défaillance d’un système, celui de l’Etat qui s’est désengagé de ses obligations depuis de longues années, et plus particulièrement depuis votre élection !



Comme vous êtes chef de cet Etat défaillant, vous pourrez leur signifier, que vous portez l’entière responsabilité de la déficience et du dysfonctionnement ! Avec la CGT pénitentiaire, je n’accepterai pas que des professionnels de la Justice paient à la place du pouvoir exécutif, donc du système !

Recevez, monsieur le Président, l’expression de mon attachement à l’ensemble des services publics, bastions et remparts de la démocratie donc de la République française !

Céline Verzeletti, Secrétaire Générale de la CGT pénitentiaire



Montreuil, le 31 janvier 2011


A titre personnel, je rajouterai ceci :

S’il ne saurait y avoir de hiérarchie dans la douleur de la perte d’un être cher, sans doute en existe-t-il une, très subjective, dans la manière dont cet être vous a été enlevé. Et le drame qui vient de se dérouler en Bretagne fait partie des pires choses qui peuvent être infligées à des parents, frères et sœurs d’une personne que l’on assassine.

Les premiers moments de douleur passés, abrutissants et irréels, la colère prend souvent le dessus, pour tenter de faire face, à défaut de comprendre. Et la recherche de responsabilité est un mécanisme normal du long apprentissage du deuil. Encore faut-il que ce mécanisme ne soit pas dévoyé en vengeance, qui n’est jamais bonne conseillère. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’État moderne a substitué l’institution judiciaire à la vengeance privée.

Si défaillance il y a eu, et s’il faut donc demander des comptes, ne nous trompons pas d’interlocuteur. La récente déclaration interministérielle vantant les mérites d’une inspection qui n’était même pas terminée pendant que l’encre du communiqué séchait déjà ne doit pas faire illusion. Cette déclaration est en tout état de cause proprement étonnante lorsque l’on sait que le Ministère était avisé depuis très longtemps de l’état déplorable des services de l’application des peines, tant au Palais de Justice de Nantes où il manquait un JAP depuis un an, qu’au service pénitentiaire d’insertion et de probation où la surcharge de travail des CIP ne leur permettait pas de traiter l’ensemble des dossiers. Le Ministère savait, et a laissé faire. Donner l’ordre aujourd’hui de ne pas prioriser les dossier est dès lors un revirement qui ne pourra de toute manière pas être mis en œuvre.

La récidive existera toujours. Le genre humain est ainsi fait que l’on ne peut contrôler vingt quatre heures sur vingt quatre un individu décidé à passer à l’acte, même porteur d’un bracelet électronique, qui n’a jamais rien empêché (il suffit d’assister à un débat de révocation d’une mesure de placement sous surveillance électronique pour s’en convaincre). Ceci ne pourra évidemment jamais consoler les proches des victimes, pour qui la perte d’un être cher ne peut évidemment pas se ranger parmi des statistiques, mais nos concitoyens ne doivent pas être dupés par de fausses promesses de risque zéro.

La récidive doit être limitée au maximum. Et ce n’est pas une énième loi qui y parviendra. Pas plus que profiter de la douleur de l’opinion publique ne résoudra le problème. Tout au plus cela rapportera-t-il quelques voix. Mais n’est-ce pas là le sommet du cynisme face à la mort d’une jeune femme ?

mardi 9 novembre 2010

La Constitution à géométrie variable

On me sait gardien vétilleux de la rigueur juridique, même si je confesse volontiers un biais favorable aux libertés en général, et notamment à la première d’entre elle, qu’on distingue d’un simple singulier : la liberté.

Mais j’avoue que des fois, le parquet de Paris me semble planer à des hauteurs d’abstraction juridique telles que moi, humble vermisseau de la pensée du droit, j’ai du mal à le suivre.

Ainsi, alors qu’il est établi, ré-établi et surétabli  que les gardes à vue actuelles violent la Constitution, la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CSDH), les droits de l’homme et les principes généralement reconnus dans les sociétés démocratiques, le parquet de Paris ne voit aucun problème à continuer de les appliquer telles quelles et à embastiller gaillardement avec des déclarations reçues en violation de tout ce qui fait un système judiciaire dont on n’a pas à rougir.

Soit. On l’a vu, le mauvais exemple, comme le mauvais temps, vient d’en haut.

Mais le parquet se veut inflexible contre quiconque viole la loi, et si pour cela il faut qu’il la viole lui même, qui suis-je pour y trouver à redire ?

Néanmoins, au risque de passer pour un mauvais coucheur, je crains de déceler une certaine incohérence avec les principes ci-dessus rappelés dans une récente décision de classement sans suite prise par le même parquet.

Les faits étaient les suivants. Un président de la République en exercice, dont je tairai le nom pour préserver la présomption d’innocence, même  si, comme vous allez le voir, il n’en a  pas besoin, puisqu’elle est pour lui irréfragable, a un insatiable appétit de sondages. Il en prend à tous les repas, espérant garder la ligne (en vain, celle-ci a néanmoins plongé vers les abysses de l’impopularité), ce qui génère un coût non négligeable.

Peu importe, me répondrez-vous en chœur. Il est bon que notre primus inter pares soit à l’écoute du Peuple, et la Pythie aujourd’hui écoute le nombril du peuple via des instituts de sondage ; et nous ne sommes que trop heureux de contribuer au financement de ce louable souci d’écoute.

Certes. Mais néanmoins, si le principe est louable, la réalisation pêche quelque peu. Ainsi, la Cour des comptes, en juillet 2009, a eu la surprise de tomber sur une convention d’une page confiant la commande de ces multiples sondages (pour un budget annuel d’1,5 millions d’euros) au cabinet Publifact, qui lui-même se chargeait de passer les commandes auprès des divers instituts de sondage. Premier problème, ce cabinet appartient à Patrick Buisson, conseiller politique du président de la République, donc premier destinataire de ces sondages. Conflit d’intérêt. Deuxième problème, vu le montant annuel de ce contrat, il aurait dû suivre la procédure instituée pour les marchés publics, c’est à dire être soumis à un appel d’offre public (au niveau européen, même) et à une mise en concurrence, afin de respecter l’égalité des candidats et économiser l’argent public. C’est-à-dire tout le contraire de confier la commande et la réalisation à la même personne. Or ne pas respecter les règles des marchés publics est un délit, le délit de favoristisme (art. 423-14 du Code pénal).

Une association Anticor, pour Anti Corruption, a déposé une dénonciation de ces faits auprès du parquet de Paris. Dénonciation, et pas plainte, car seule la victime directe peut porter plainte et éventuellement saisir elle même un juge si le parquet n’y pourvoit lui-même. Or cette association ne peut prétendre être victime directe : elle est, comme nous tous, victime indirecte car c’est de l’argent public qui est ainsi mésusé. La dénonciation est l’acte d’un tiers qui signale au parquet une infraction et l’invite à y donner les suites que la loi appelle.

Or le parquet de Paris, après s’être penché sur la question, a rendu une décision de classement sans suite, pour des motifs juridiques qui ont de quoi laisser perplexe.

En effet, le parquet considère que l’immunité pénale du chef de l’Etat, prévue par la Constitution doit aussi s’appliquer à ses collaborateurs, en l’occurrence, Patrick Buisson.

Et là, je tique. Et quand je tique, je sors un livre d’Histoire.

L’immunité du président de la République est en France une vieille tradition, qui remonte à la Révolution française. La Constitution de 1791 instaurait une monarchie parlementaire, et posait le principe de l’inviolabilité de la personne du roi (chapitre II, Section 1re, article 2). On ne pouvait se saisir de sa personne, le juger ni lui faire le moindre mal. C’est là qu’on voit que violer la Constitution est aussi une vieille tradition en France.

Cette inviolabilité de la personne du chef de l’exécutif a perduré au-delà des régimes. Jamais formalisée sous Napoléon (qui n’en avait pas besoin), elle figure à l’article 13 de la Charte Constitutionnelle du 4 juin 1814 (la Restauration), l’article 12 de la Charte de la Monarchie de Juillet. La Constitution de la IIe république (1848) se méfiait de l’exécutif et a rendu le président pleinement responsable (article 68 de la Constitution). Ce qui n’a pas empêché ce président de  renverser le régime par un Coup d’Etat et de se faire nommer empereur, et de rétablir cette immunité par l’article 5 de la Constitution de 1852, assez habilement d’ailleurs : “Le président de la République est responsable devant le Peuple français, auquel il a toujours le droit de faire appel.” Je dois avouer l’idée de laisser le responsable seul décisionnaire de la nécessité d’en appeler ou non à son juge assez brillante.

La IIIe république, on l’oublie trop souvent, était censée préparer le terrain au retour d’un roi, la première chambre des députés étant dominée par les monarchistes (400 sur 675), mais trop divisés entre deux prétendants pour se mettre d’accord. En attendant, on a nommé un président de la République, aux pouvoirs restreints (il ne s’agit pas qu’il pique le trône au roi), qui n’est responsable qu’en cas de haute trahison (article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875). Vous connaissez la suite : les deux prétendants moururent simultanément, et les monarchistes furent balayés aux élections suivantes. Et voici comment naquit définitivement la République : par accident.

La loi Constitutionnelle du 10 juillet 1940 est muette sur la question, puisqu’elle renvoie à une nouvelle Constitution que le Chef de l’Etat est chargée de rédiger. Malheureusement, trop occupé à rédiger les statuts des juifs, le Maréchal n’a jamais trouvé le temps de rédiger cette nouvelle Constitution. Mal lui en a pris, puisque du coup, il a pu être jugé en 1945 et condamné à mort (peine commuée en prison à vie). Même si je doute qu’une Constitution eût suffi à le mettre à l’abri.

La IVe république revint à un système proche de celui de la IIIe, et l’article 42 de la Constitution du 27 octobre 1946 pose à nouveau le principe de l’immunité, sauf Haute Trahison, rapport au cas ci-dessus.

En 1958, tout change et rien ne change.

Tout change car le président de la République devient le personnage central de la République. C’est lui qui exerce le pouvoir, le premier ministre devient de fait un de ses subordonnés. Mais rien ne change : si le premier ministre peut être renversé par l’assemblée (ce qui n’est arrivé qu’une fois), le président, lui, est intouchable. L’article 68 posait le principe que le Président de la République n’était responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de Haute Trahison, constatée par une juridiction spéciale, la Haute Cour de Justice. La Constitution était muette sur le sort des actes accomplis en dehors de l’exercice de ses fonctions, notamment avant son élection. La question ne s’est jamais posée sur le après, les présidents de la République ayant jusqu’à il y a peu eu l’habitude de mourir peu après la cessation de leurs fonctions, quand ce n’était pas pendant, exception faite du président Giscard d’Estaing, qui a eu la précaution de devenir immortel, et qui n’a depuis commis que des crimes contre la littérature.

La logique voulait donc que le président restât dans ce cas un justiciable ordinaire ; mais le cas concret ne s’est pas présenté tout de suite. C’est grâce à l’élection d’un président ayant plus de casseroles qu’une voiture de jeunes mariés que la question est revenue sur le devant de la scène.

Elle a d’abord été tranchée très gentiment par la Cour de cassation, bien qu’on ne lui ait rien demandé, dans un arrêt du 10 octobre 2001. Dans cette affaire de – déjà !- délit de favoritisme, un mis en cause (EDIT :) une partie civile demandait que le Président de la République fût entendu comme simple témoin sur des faits commis alors qu’il exerçait des fonctions municipales. Nenni répond la Cour :

…rapproché de l’article 3 et du titre II de la Constitution, l’article 68 doit être interprété en ce sens qu’étant élu directement par le peuple pour assurer, notamment, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat, le Président de la République ne peut, pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun ; qu’il n’est pas davantage soumis à l’obligation de comparaître en tant que témoin prévue par l’article 101 du Code de procédure pénale, dès lors que cette obligation est assortie par l’article 109 dudit Code d’une mesure de contrainte par la force publique et qu’elle est pénalement sanctionnée

Bref, le président de la République ne peut être pénalement sanctionné. Ni donc être appelé à témoigner, car cette obligation de témoigner est pénalement sanctionnée. S’il refusait, il faudrait le sanctionner, donc on ne va pas lui demander au cas où. On se frotte les yeux.

En février 2007, sentant la fin de son mandat venir, ledit président de la République a brusquement ressenti le besoin de réformer cet aspect du droit, qui pourtant ne l’avait pas fait broncher pendant 12 ans. La Constitution fut révisée et le nouveau statut du chef de l’Etat est le suivant :

Article 67 : Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 (mise en cause par la cour pénale internationale-NdA) et 68.

Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.

Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions.

Article 68 : Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour.

La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l’autre qui se prononce dans les quinze jours.

La Haute Cour est présidée par le président de l’Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d’un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d’effet immédiat.

Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.

Une loi organique fixe les conditions d’application du présent article.

Ladite loi organique a été examinée par le Sénat le 14 janvier 2010, a fait une brève apparition en séance publique avant qu’une motion de renvoi en commission ne soit adoptée, ce qui est un enterrement de première classe. Bref, 3 ans après cette réforme, faute de loi organique, l’immunité du président de la République est absolue. C’est ce qu’on appelle l’Etat de droit à la Française.

Voilà où nous en sommes.

Mais vous constaterez avec moi que depuis Louis XVI, l’immunité ne concernait que le chef de l’Etat. JAMAIS ses collaborateurs. Ne serait-ce que parce qu’ils sont nommés discrétionnairement par lui, et révoqués de la même façon, mais en aucun cas des élus du peuple. Leur existence n’est même pas prévue par la Constitution.

Ainsi, en étendant l’immunité du chef de l’Etat à ses collaborateurs, le parquet de Paris viole, par fausse application, la Constitution, et donne sa bénédiction pour que le délit de favoritisme devienne le mode normal de fonctionnement du principal organe de l’exécutif. 

Si l’avocat en moi n’a rien contre un peu d’impunité pénale, même s’il préfère que ce soit au profit de ses clients, le citoyen qui sommeille, lui, a un peu de mal à gober cette application pour le moins extensive, surtout quand il songe à l’application restrictive de cette même constitution qui est faite sur la garde à vue, oui, c’est une obsession, mais je me soigne, promis, en juillet je serai guéri.

Hélas, l’association Anticor ne peut rien faire contre cette décision de classement puisqu’elle n’a pas le pouvoir de déclencher les poursuites (elle n’est pas victime). Eventuellement, d’autres cabinets de conseil ayant pu proposer la même prestation que Publifact, et n’ayant pu concourir au marché, pourraient porter plainte, car ils seraient les victimes directes du délit qui les a évincés. Mais il n’est jamais bon de chercher des poux dans la tête au conseiller politique du Prince, qui reste un de leurs principaux clients.

Et l’immunité particulière devient impunité générale.

Laissons donc les puissants s’amuser et allons défendre les voleurs de sacs à main au butin de 50 euros. 50 euros, c’est un vol. 1,5 millions, c’est de la poésie. Ils comprendront.

samedi 9 octobre 2010

Le tribunal correctionnel de Brest a-t-il violé la loi ?

Il y a une semaine de cela, la presse relatait une histoire sans intérêt hormis le fait qu’elle impliquait le réseau social Facebook, très à la mode actuellement, ce qui rendait cette histoire susceptible d’intéresser leurs lecteurs.

Pour faire court (je vais développer par la suite), un jeune homme état d’ivresse en Bretagne (where else ?) circule en voiture avec un ami. Cet ami conduit, ce qu’il ne devrait pas faire, puisqu’il fait l’objet d’une suspension du permis de conduire. Suspension compréhensible puisqu’il s’engage gaillardement dans un sens interdit, ce qui n’est pas bien, sous les yeux de gendarmes, ce qui n’est pas malin. Contrôle, immobilisation du véhicule, et notre dionysiaque bigouden léonard est rentré chez lui à pied, et une fois arrivé, sous le coup de la colère, a jeté quelques mots sur sa page Facebook exprimant son ressentiment à l’égard de la  maréchaussée bretonne.

Six mois plus tard – cela a son importance-, la gendarmerie découvrait à Plouzané, au rond point Kerdeniel (Ah, l’exotisme des noms bretons), une voiture accidentée et en flammes, dont la plaque d’immatriculation encore lisible a permis de découvrir qu’elle appartenait à notre héros. Ayant vainement tenté de le contacter, la gendarmerie a consulté sa page Facebook, accessible à tous (probablement en tapant son nom dans Google), et a découvert sa saillie éthylique. Elle a aussitôt exprimé la modération de son approbation de ces propos en allant arrêter ce jeune homme qui fut placé en garde à vue. Il était convoqué devant le tribunal pour outrage, et, n’ayant pas jugé utile de se présenter ou de se faire représenter par un avocat, a pris trois mois ferme.

J’ai aussitôt froncé les sourcils et haussé les épaules. J’ai pensé que l’affaire avait été mal relatée par la presse, comme cela arrive hélas trop fréquemment en matière de justice.

Jusqu’à ce que Rue89 publie de larges extraits de la décision. Et là, mea culpa, l’affaire semble bien avoir été correctement rapportée, ce qui me fait dresser les quelques cheveux qui me restent sur la tête. Je crains fort qu’emporté par son enthousiasme, le parquet n’ait poursuivi une infraction non constituée, et surtout, l’enthousiasme du parquet étant toujours communicatif quand aucun avocat n’est présent, que le tribunal ne l’ait suivi sur le chemin de l’illégalité.

Si je me trompe, je remercie mes lecteurs de pointer du doigt mon erreur ; si je ne me trompe pas, j’attire l’attention du parquet de Brest sur le fait qu’il peut encore faire appel lundi pour réparer sa bévue.

Voici en effet ce que nous apprend le jugement.

« Le 28 mai 2010 à 3 heures 40, les gendarmes de X étaient sollicités pour intervenir au rond-point de Kerdeniel à PLOUZANE où se trouvait un véhicule en feu et accidenté, abandonné sur place.

Le véhicule était identifié comme appartenant à M. X.

Sans nouvelles de l’intéressé, les enquêteurs consultaient le lendemain après-midi sa page Facebook et constataient la présence de la phrase suivante :

“ BAIZE LES KEPI NIKER VS MERE BANTE DE FILS DE PUTE DE LA RENE DES PUTE… NIKER VS MERE VS ARIERE GRAN MERE ET TT VOTRE FAMILLE BANDE DE FILS DE PUTE DE VS MOR ”

Après investigations poussées de votre serviteur, il s’avère que ce n’est pas du breton, mais bien du français. La frustration du scripteur l’a fait trébucher sur la syntaxe. On y perçoit en vrac une synecdoque par laquelle l’auteur en désignant le couvre-chef, se propose en fait d’avoir une relation sexuelle contre nature avec la personne située juste en dessous, sans solliciter son consentement, affirme que ceux qui portent ledit couvre-chef pratiqueraient l’inceste avec leur génitrice (ils seraient donc tous frères), qui se serait en son temps livrée à la prostitution, rencontrant à cette occasion une véritable reconnaissance par ses pairs, et cette activité professionnelle serait à l’origine de la conception des gendarmes en question. Les femmes de leur famille seraient en outre dotées d’une longévité exceptionnelle, ce qui permettrait aux activités incestueuses de sauter la barrière des générations. Ces relations consanguines seraient d’ailleurs étendues aussi aux collatéraux. L’invocation finale de la mort laisse le lecteur sur sa faim, tant elle n’apparaît guère en cohérence avec ce qui précède. On perçoit néanmoins le souci d’être désobligeant.

M. X entendu par les gendarmes le 4 juin 2010 leur donnait les explications suivantes : un ami à lui s’était fait contrôler sans permis et devait passer en comparution immédiate pour ces faits ; cela l’avait énervé ; il était ivre et avait écrit sur son Facebook la phrase précédemment citée ; il ajoutait qu’il devait regagner son domicile à bord du véhicule de son camarade, lequel avait emprunté un sens interdit et s’était fait arrêter par les gendarmes ; il s’était donc retrouvé au Faou sans chauffeur et à pied.

Il était convoqué à l’audience correctionnelle du 1er octobre 2010 par remise d’une convocation par officier de police judiciaire ; il ne se présentait pas à l’audience.

Le chef d’escadron Y, ès qualité représentant de l’ADM Brigade de Gendarmerie (Corps de soutien technique et administratif de la gendarmerie, NdA) se constituait partie civile et sollicitait l’allocation de la somme de 1 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice moral subi par l’institution qu’il représente. »

Le tribunal constate d’un simple phrase que le délit est constitué et reconnu par l’intéressé. Retenez bien cela, c’est ici que le tribunal se fourvoie, faute de discussion sur l’infraction. Je vais graisser le passage important de la suite.

« Attendu que M. X a déjà été condamné à une peine de 3 mois d’emprisonnement assorti du sursis par le Tribunal pour enfant de Brest le 9 décembre 2009 pour des faits d’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique et refus d’obtempérer.

Attendu qu’il ne s’est pas présenté à l’audience pour s’expliquer sur les faits et qu’il n’a par ailleurs pas tenu compte de l’avertissement qui lui avait été donné il y a moins d’un an pour des faits de même nature.

Attendu qu’en tenant des propos outrageants à l’égard de la gendarmerie sur Facebook, facilement accessible à tous, il a gravement porté atteinte à la dignité et au respect dû à cette institution dont le travail quotidien s’exerce souvent dans des conditions difficiles.

Attendu que la présence à l’audience du chef d’escadron Y, Commandant de la Compagnie de Gendarmerie de…, démontre s’il en était besoin l’importance accordée par l’institution qu’il représente à ce type d’outrage dont elle a été l’objet de la part de M. X.

Qu’en conséquence, seule une peine d’emprisonnement ferme apparaît de nature à faire comprendre à M. X, quels que soient les mobiles avancés par lui, que l’on ne peut banaliser un tel comportement, surtout qu’il avait déjà été averti par la justice pour des agissements similaires. »

Par ces motifs, le tribunal prononce une peine de trois mois de prison ferme, et 750 euros d’amende.

Eh bien à la lecture de ce jugement, je puis affirmer que le tribunal s’est trompé lourdement, et qu’il aurait dû relaxer le prévenu. Pour une raison purement juridique.

L’outrage est défini à l’article 433-5 du Code pénal. Je graisse le passage important, vous allez tout de suite comprendre.

Constituent un outrage (…) les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l’envoi d’objets quelconques adressés à une personne chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie.

Lorsqu’il est adressé à une personne dépositaire de l’autorité publique, l’outrage est puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende.

Et oui. Non rendus publics. Et pourquoi ? Je suis sûr que mes lecteurs les plus anciens ont déjà deviné : parce que s’ils sont rendus publics, c’est une injure publique, relevant de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Et l’injure publique envers l’armée de terre, dont relève la gendarmerie, est punie de 12000 euros d’amende (article 33 de la loi de 1881), mais en aucun cas elle ne peut être punie de prison. Ce qui fait que par voie de conséquence, elle ne pouvait légalement fonder une garde à vue : article 67 du code de procédure pénale.

Mais enfin et surtout, la prescription de ce délit étant de trois mois (article 65 de la loi de 1881), et l’écrit litigieux ayant été découvert six mois plus tard, l’injure ne pouvait plus être poursuivie.

Le tribunal correctionnel de Brest aurait dû relever le caractère public des propos, qu’il constate pourtant dans son jugement en disant qu’ils étaient accessible à tous, constater que l’outrage n’était pas constitué, et qu’il n’était pas saisi de faits d’injure, qu’il ne pouvait requalifier hors la présence de prévenu, qu’en tout état de cause, l’action aurait été prescrite, et relaxer le prévenu.

Sauf à ce que quelqu’un m’explique en quoi je me suis trompé, si un magistrat ou un confrère brestois me lit, je l’invite à attirer l’attention du parquet sur cette décision de façon à ce qu’il interjette appel (le délai expire ce lundi 11). Je ne doute pas qu’il le fera. Aussi peu sympathique soit ce prévenu, s’il y a une chose que le parquet exècre plus que les jeunes imbéciles qui outragent simultanément la gendarmerie et la langue françaises, c’est les décisions de justice illégales.

Surtout s’il en est à l’origine.

samedi 4 septembre 2010

Le simplisme est-il soluble dans la démagogie ?

Par Gascogne


Bon, je sais, vous allez me dire qu’en posant la question, j’y réponds déjà. Et puis vous commencez à me connaître, je ne peux pas m’empêcher de tirer sur mes cibles préférées, notamment certains syndicats de police. Ceci étant, des fois, c’est presque trop facile

Et vous savez aussi que sur ce blog, nous préférons la pédagogie à la démagogie. Alors quelques éléments à titre préliminaire :

✔ la détention provisoire en France est un outil de politique pénale dont l’institution judiciaire n’arrive pas à réellement fléchir l’utilisation. Pour vous en convaincre, lisez le trés instructif rapport 2007 de la Commission de suivi de la détention provisoire, instituée par la loi du 15 juin 2000, et particulièrement ce passage des conclusions du rapport :

Enfin, les nombres de prévenus dans les établissements pénitentiaires doivent être considérés avec précaution, comme il a été indiqué. La baisse marquée du ratio prévenus/détenus, qui passe de 52% en 1984 à 30,7% au 1er janvier 2007, doit se lire surtout comme traduisant la forte augmentation de détenus condamnés. Quant aux flux d’entrée en détention, elle traduit, s’agissant des entrées de prévenus, la baisse des prévenus faisant l’objet d’une instruction.

Il signifie que si, en pourcentage, le nombre de détentions provisoires semble diminuer, ce n’est que parce que le nombre de condamnés à de l’emprisonnement ferme augmente d’année en année, notamment du fait du nombre toujours plus important de poursuites. Et les dernières lois de procédure pénale, comme celle du 10 août 2007 sur les peines planchers, ne vont rien faire pour arranger la tendance (c’est d’ailleurs le but assumé). Rajoutez à cela que la moyenne du temps passé en détention provisoire augmente sensiblement, et vous aurez une vision claire de la justice prétendument laxiste que d’aucuns se plaisent à dépeindre.

Le législateur tente pourtant de limiter au maximum la détention provisoire. La dernière loi en date, celle du 29 novembre 2009, est venu modifier l’article 137 du Code de Procédure Pénale :

Toute personne mise en examen, présumée innocente, demeure libre.

Toutefois, en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté, elle peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire ou, si celles-ci se révèlent insuffisantes, être assignée à résidence avec surveillance électronique.

A titre exceptionnel, si les obligations du contrôle judiciaire ou de l’assignation à résidence avec surveillance électronique ne permettent pas d’atteindre ces objectifs, elle peut être placée en détention provisoire.

Cela signifie que lorsqu’une personne est mise en examen par un juge d’instruction, elle doit normalement être laissée libre. Si pour les nécessités de l’enquête, des mesures coercitives doivent être prises, elle peut alors être placée sous contrôle judiciaire. Si cette mesure contraignante n’est pas suffisante, elle peut alors faire l’objet d’une assignation à résidence sous surveillance électronique (c’est l’ajout de la loi). Enfin, et en dernier ressort, si les trois premières solutions ne sont pas satisfaisantes, la détention provisoire peut être envisagée, sous réserve de la réunion des critères de l’article 144 du CPP.

Bref, le législateur (actuel notamment) veut que la détention provisoire soit évitée à tout prix, et ne soit utilisée que dans les cas les plus graves.

Et bien évidemment, si le juge des libertés et de la détention (notez l’ordre des mots voulu par la représentation nationale) a un doute sur la participation de la personne qui lui est déférée aux faits qui lui ont valu une mise en examen, il va hésiter à plus forte raison à prononcer une détention dont on sait qu’elle est lourde de conséquences. L’opinion publique y a été particulièrement sensibilisée via Outreau.

✔ Deuxième point de droit, tout aussi simple que le premier. Tous les citoyens sont égaux devant la loi. Cela signifie que le droit s’applique de la même manière à chacun d’entre nous, quel que soit son statut social, ou son origine, qu’il s’appelle Eric, Brice, Monsif ou Lies. Dés lors, la présomption d’innocence s’applique à tout justiciable, qu’il soit Ministre de la République ou habitant d’une banlieue difficile.

Bref, vous comprendrez que les déclarations des syndicats de police et du Ministre de l’intérieur, ainsi d’ailleurs que du président de la République, suite à la libération sous contrôle judiciaire d’un mis en examen dans l’affaire dite du “casino d’Uriage”, ont fait tiquer le juriste que je suis (oui, je manie la litote à merveille).

D’une part, sur le fond du dossier, j’ai cru comprendre que notre “présumé braqueur” comme disent les journalistes, niait les faits, ce qui en soit est assez fréquent, mais surtout avait un alibi et deux témoins à décharge, ce qui déjà l’est beaucoup moins.

Ensuite, je rappellerai à Monsieur le Ministre ainsi qu’aux syndicalistes avertis de la police nationale que la critique publique d’une décision de justice est une infraction pénale. Je sais, j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, mais que voulez vous, la pédagogie suppose la répétition. Surtout avec les élèves les plus lents.

Et lorsque je lis le communiqué du ministère de l’intérieur, je dois avouer un certain étonnement :

Cette affaire démontre une nouvelle fois que certes, la protection de nos concitoyens doit passer par l’action déterminée et très professionnelle de la police et de la gendarmerie, mais impose aussi des décisions de justice mettant effectivement les délinquants hors d’état de nuire

Le travail de l’institution judiciaire, pour Brice Hortefeux, consisterait simplement à donner un blanc-seing à la police, et à mettre les délinquants hors d’état de nuire. En les exécutant ? Une conception bien simpliste de l’office du juge, qui doit tout de même et avant tout s’approcher le plus possible de la vérité, élément qui semble peu intéresser le Ministre. Et conception très primitive de la peine, qui ne doit pas juste “mettre hors d’état de nuire” (sans même parler du fait qu’une détention provisoire n’est pas une peine, mais là, ça devient visiblement trop technique).

Enfin, pour ce qui est des déclarations des syndicalistes policiers, je laisse la parole à Patrice Ribeiro, secrétaire général du syndicat national des officiers de police (vous savez, celui qui estimait dans son premier communiqué que ces gauchistes de juges n’étaient pas là pour “dire le droit”), qui a visiblement mal réagi en apprenant que jeter le discrédit sur une décision de justice est une infraction pénale :

J’ai l’impression de vivre sous l’Inquisition. Le magistrat est comme le Pape, infaillible? Le JLD a passé un concours à bac + 5, comme les policiers, sauf que son concours est inscrit dans la Constitution, c’est tout.

Apparemment, certains policiers ont manqué quelques années de droit…

Heureusement, la Garde des Sceaux ayant indiqué dans une tribune du Monde, en date du 30 juillet 2010 et en défense du procureur Courroye, qu’elle ne tolèrerait aucune attaque contre les magistrats, je ne doute pas de la virulence de sa riposte devant de telles agressions. Je devrais ?

samedi 21 août 2010

C'est la faute à mon père (justice fiction)

Par Dadouche et Gascogne


Tribunal de Framboisy, audience correctionnelle à juge unique du 35 mai 2013. L’huissier appelle : “Dossier 15, Rabachon Michel et Michu Jocelyne épouse Rabachon”.

Un couple s’avance à la barre. Il n’est pas très à l’aise, elle est manifestement un peu remontée. Après la vérification d’identité, la présidente entonne son couplet : “Vous comparaissez aujourd’hui tous les deux devant ce tribunal car il vous est reproché de vous être, à Framboisy, courant 2011, soustrait, sans motif légitime, à vos obligations légales, au point de compromettre la moralité de votre enfant mineur Matthieu Rabachon, en l’espèce en ne prenant pas les mesures appropriées pour lui faire respecter les obligations fixées judiciairement par le jugement du tribunal pour enfants de céans du 13 janvier 2011, infraction prévue et réprimée notamment par l’article 227-17 du Code Pénal”. Il se renfrogne, elle commence à protester. La présidente l’interrompt : “Madame, je vais d’abord rappeler les faits tels qu’ils ressortent de la procédure et des éléments transmis par le tribunal pour enfants, vous pourrez ensuite vous expliquer”.

La présidente résume le parcours judiciaire et familial de Mathieu. Tout commence par des problèmes de comportement en milieu scolaire, dès la fin de l’école primaire. Ses parents le font suivre par un psychologue, sans résultat. Le juge des enfants est finalement saisi en assistance éducative après son exclusion du collège à la suite d’insultes envers un professeur et d’absences non justifiées. Le rapport d’investigation et d’orientation éducative souligne des incohérences éducatives entre les parents, entre une certaine rigidité de la mère et un plus grand laxisme du père, qui est peu présent et “achète” sa tranquillité quand il est là en cédant facilement à ses enfants. Matthieu est intelligent et réussit plutôt scolairement quand il ne perturbe pas les cours (et quand il y va…). La situation se tend au domicile et Matthieu commence à réagir avec violence aux tentatives de sa mère de maintenir des règles. Après trois portes cassées, un canapé mis en lambeaux et une perquisition des gendarmes à la suite de vols d’autoradios commis avec des copains plus âgés, le père prend la mesure du problème et décide de “reprendre les choses en main”. Il déclare forfait quand Matthieu, avec lequel il avait une relation plutôt chaleureuse quand il ne lui refusait rien, l’insulte à la moindre frustration . Parallèlement, le juge des enfants est saisi des procédures pénales et ordonne une mesure d’aide réparation puis une mesure de liberté surveillée. Après que Matthieu a menacé sa mère et son frère avec un couteau parce qu’on lui refusait de sortir un soir, un placement est décidé dans une Maison d’Enfants à Caractère Social (MECS), qui accueille des adolescents en petit collectif. Les parents, au bord du divorce, pensent pouvoir souffler un peu . Ils ont la surprise, au bout de quelques jours, de voir Matthieu arriver pour dîner comme si de rien n’était, décrétant qu’il est hors de question qu’il reste au foyer où on prétend lui interdire de téléphoner à sa copine à minuit passé. Les parents, qui ont en mémoire les propos du juge des enfants qui leur a doctement expliqué que Matthieu a besoin d’un cadre que seuls peuvent désormais lui apporter des professionnels, appellent aussi sec le foyer, qui envoie un éducateur chercher l’ado récalcitrant. Au bout d’une dizaine de fois, le foyer n’envoie plus personne, l’Aide Sociale à l’Enfance demande au juge des enfants la mainlevée du placement et les parents commencent à trouver que les professionnels ne sont pas bien doués. Le juge des enfants résiste un peu mais doit déposer les armes quand le foyer refuse d’accueillir à nouveau le jeune, qui se montre violent avec les autres gamins accueillis, et que l’ASE fait savoir qu’elle n’a aucune structure actuellement capable d’accueillir Matthieu.

Retour chez Papa-Maman, qui se braquent contre les éducateurs et le juge des enfants “qui ne savent pas mieux y faire qu’eux”. Matthieu sort quand à lui renforcé de cet intermède et nargue ses parents à chaque occasion, particulièrement le jour où son père, à bout, est sur le point de le frapper et où la prunelle de ses yeux le menace d’aller porter plainte à la gendarmerie. Les parents baissent les bras et se contentent de tout faire pour éviter que le jeune tyran ne s’énerve. Jusqu’à son interpellation au petit matin, au volant d’une voiture volée. Matthieu est déféré devant le juge des enfants, qui souhaiterait le placer en Centre Educatif Fermé (CEF). Matthieu a en effet 15 ans et demi et n’a fait l’objet de poursuites “que” dans trois affaires (les autres procédure dans lesquelles il est impliqué ne sont en effet pas encore parvenues au Parquet). Une détention n’est évidemment pas envisageable, ni juridiquement ni en opportunité, mais un cadre ferme est indispensable. Manque de chance, ou plutôt manque de place, aucun des 12 CEF contactés en urgence par les éducateurs de permanence de la Protection Judiciaire de la Jeunesse ne peut accueillir Matthieu dans l’immédiat. Peut être plus tard… En attendant, on dégotte miraculeusement une place dans un foyer de la PJJ à Ponponville[1]. Matthieu est placé sous contrôle judiciaire avec obligation de respecter le placement, sans retour chez ses parents le week-end pour l’instant. Le vendredi soir il sonne chez ses parents, qui appellent le foyer. Mais Ponponville c’est loin, c’est vendredi soir, les éducateurs ne se déplaceront pas. Les parents, qui ne voient pas comment faire rentrer de force leur Tanguy nouvelle manière dans la voiture familiale, baissent les bras et attendent la fin du week-end. Le lundi matin, l’éducateur de la PJJ qui suit Matthieu à Framboisy vient le chercher et réussit à le convaincre de monter dans la voiture. Il en sautera quasiment en marche quelques centaines de mètres plus loin. Dans le même temps, le foyer de la PJJ fait savoir que le jeune “se met en danger et met en danger les autres” (il a déjà provoqué trois bagarres en une semaine) et demande la mainlevée du placement “le jeune ne correspondant pas au projet de l’établissement”.

Retour à la case départ, et toujours pas de place en CEF. Matthieu est condamné par le Tribunal pour enfants à une peine de deux mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve, assorti d’une obligation de formation, de soins psychologiques et de respect du placement en CEF qui sera ordonné dès qu’on aura une place. Deux mois plus tard, Matthieu est toujours désœuvré (il ne s’est plus levé au bout de deux jours pour aller au stage que son père lui avait trouvé). Il a ricané quand on lui a parlé d’aller voir un psychologue, et ses parents envisagent de mettre le petit frère en internat pour le protéger. Matthieu, qui semblait avoir compris qu’il valait mieux se tenir à carreau, ne commet plus d’infraction jusqu’à un nouveau vol de voiture avec course-poursuite avec les gendarmes. Cette fois on trouve une place en CEF, où il est expédié manu militari. Il sera plus tard incarcéré après avoir fugué du CEF et commis de nouveaux faits.

C’est pour la période de quelques mois durant lesquels Matthieu était au domicile de ses parents sans respecter l’obligation de formation et soins, et qui s’est soldée par son départ effectif en CEF, que Michel et Jocelyne sont poursuivis. Les gendarmes ont en effet noté dans le PV de synthèse de cette procédure que la famille “a montré depuis des années un grand laxisme face aux dérives de leur fils, bien connu de nos services”. On lit entre les lignes que les militaires ont peu apprécié les réflexions de Michel qui lors d’une première procédure pour des dégradations sur la commune, leur avait en substance reproché de ne pas plutôt s’occuper des trois cambriolages qui venaient de se produire à côté de chez lui. Le substitut de permanence, emporté par son élan et agacé d’avoir du passer un week-end entier à gérer l’interpellation de Matthieu, décide, ne connaissant de la situation que ce que l’OPJ lui en a dit, qu’il n’y a pas de raison de ne poursuivre que le mineur et qu’il va faire application du nouveau texte qui permet de poursuivre les parents. C’est forcément de leur faute, ils sont laxistes.

La présidente interroge Jocelyne et Michel : pourquoi n’ont-ils pas sollicité une aide éducative dès que Matthieu a rencontré des difficultés de comportement en milieu scolaire ?

Jocelyne lève les yeux au ciel et se tourne vers Michel : “Vas y toi, explique…”. Et Michel, reprenant courage, commence : “Pour ce que ça sert les éducateurs…”. L’air exaspéré de Jocelyne l’arrête net. il reprend : “je pensais que les éducateurs c’était pour des cas plus graves, je ne trouvais pas que c’était bien méchant, moi aussi j’étais un peu chahuteur. Et puis les professeurs l’avaient dans le nez”. Soupir excédé de Jocelyne. Michel reprend : “C’est vrai que je ne me suis pas rendu compte au début, j’ai voulu tout faire pour mes enfants, j’ai été trop gentil et ça se retourne contre moi. On a des milliers d’euros de dommages et intérêts à payer, on a failli se séparer, et maintenant on est là.”

La présidente reprend : “Je vois dans les rapports des différents services éducatifs et dans les décisions du juge des enfants que Matthieu a souvent profité de certaines incohérences entre vous”. Jocelyne, de plus en plus agitée, prend la parole : “Les services et la juge, ils écrivent bien ce qu’ils veulent, ils n’y étaient pas. Matthieu a toujours été un enfant dur, il fallait toujours le surveiller et le punir.” Se retournant vers son mari : “c’est vrai aussi que tu ne m’as jamais beaucoup soutenue quand tu étais là”. Michel lui répond “quand je rentrais on ne pouvait jamais rien faire parce que Matthieu était puni pour quelque chose. Dès que tu étais agacée par quelque chose, c’était de sa faute”.

La présidente, qui voit la petite aiguille de l’horloge monumentale de la salle d’audience se rapprocher dangereusement du VIII et qui sait qu’il reste encore 4 dossiers, tente de recadrer le débat sur la période des faits poursuivis : “Enfin quand même, il semble qu’avant de partir au CEF, Matthieu faisait ce qu’il voulait à la maison”. Jocelyne, piquée au vif, lui répond : “Vous croyez que ça nous plaisait ? Tout ce qu’il a appris dans les foyers, c’est des insultes et des menaces. C’était invivable à la maison, j’en étais venue à avoir peur de mon fils”. Elle s’arrête net, s’effondrant en sanglots. Elle reprend : “Et une fois au CEF, vous croyez que ça a été mieux ? C’est après le CEF qu’il est parti en prison ! Et ça va encore être de notre faute, comme si la juge des enfants ne nous l’avait pas assez seriné pendant les audiences du Tribunal pour enfants”. La présidente tente plus prudemment “Mais ces difficultés ne sont pas venues en un seul jour, et les services éducatifs ont tenté de vous expliquer qu’il fallait être plus ferme”. Pour toute réponse, Jocelyne lève les yeux au ciel. Michel tente timidement “Le jour où j’ai failli lui mettre une gifle pour le calmer, il a voulu aller porter plainte ! Comment voulez vous qu’on fasse alors que même les éducateurs n’y arrivent pas ?” Jocelyne enchaîne “Dans les foyer, ils font ce qu’ils veulent ! Au début, on a joué le jeu, on les prévenait chaque fois qu’il rentrait, ils ne venaient même plus le chercher. Quand la juge nous a dit que le placement était levé, alors que devant nous elle et le Procureur lui avaient dit qu’il partirait en prison s’il fuguait, qu’est ce qu’on pouvait faire ?”.

La président, qui a été juge des enfants dans une autre vie, bafouille quelques chose sur “le manque de place dans les foyers” et, après avoir demandé à Jocelyne et Michel s’ils ont quelque chose à ajouter, donne la parole au Procureur.

Le procureur se lève, excédé par le déroulé des débats, non pas que sa collègue du siège ne les ait pas bien tenus (encore que, si on l’écoutait ne serait-ce qu’un peu lors des assemblées générales…), mais par le discours des parents :

“Madame le président, j’ai toujours quelques difficultés à entendre à l’audience des parents vous dire que, finalement, si leur enfant a fait tout et n’importe quoi, c’est nécessairement à cause des éducateurs qui ont moins bien fait leur travail qu’eux, du juge qui n’a rien compris à la souffrance de leur enfant, ou encore des institutions qui n’ont pas donné la place adéquate à leur rejeton. Que les choses soient claires dans l’esprit de M. et Mme Rabachon, si quelque chose à échoué au niveau de la prise en charge éducative de Matthieu, c’est bien d’abord vers ses parents qu’il faut se retourner.

Et je ne néglige pas, bien évidemment, les difficultés auxquelles ils ont été confrontées. Mais si leur fils a bien fait “ce qu’il voulait” en foyer, c’est d’abord parce que, à la base, il faisait ce qu’il voulait au foyer parental.

Alors qu’a bien pu tenter la société, que je représente à cette audience. Elle a d’abord limité en bons d’achat les allocations qu’ont touchées M. et Mme Rabachon lors de la rentrée scolaire de leur fils, au cas où ceux-ci auraient préféré acheter un écran plat plutôt que des cahiers et des crayons. Et comme cela n’a pas été suffisant, il a bien fallu passer au stade supérieur. Ainsi, la représentation nationale a souhaité que les parents qui n’acceptaient pas que leur rejeton soit sous contrôle de la justice, et qui n’obligeaient pas leur enfant à respecter ses obligations judiciaires, soient sanctionnés. Le député Ciotti, après avoir lutté contre l’absentéisme scolaire, a-t-il proposé à l’assemblée nationale de punir de peines allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement les parents dont les enfants ne respecteraient pas leurs obligations. Un parent ne doit-il pas en effet être responsable du comportement de sa progéniture ?

J’entends déjà les oulémas des droits de l’homme vous dire que la responsabilité pénale ne saurait être que personnelle. Et après ? La représentation nationale n’est-elle pas en droit de modifier les règles ? Il existait bien une époque où le groupe était responsable du comportement de l’un de ses membres. La répression des Hooligans nous a bien démontré que cette responsabilité collective était une bonne chose. Les parents ne peuvent dés lors qu’être pénalement responsables du comportement de leurs enfants.

Je ne reviendrai dés lors pas sur la constitution de l’infraction, et son imputabilité. Matthieu n’a en rien respecté ses obligations judiciaires, ses parents ne l’ont en rien obligé à s’y conformer, comme nous avons pu le comprendre lors de leur déposition à la barre de votre juridiction. Vous ne pourrez dés lors qu’entrer en voie de condamnation.

Je me pose cependant la question de l’implication des autres membres de la famille de Matthieu. En effet, si les parents n’ont pu le forcer à respecter ses obligations, qu’en est-il de ses grands-parents, tant paternels que maternels, habitants Framboisy ? Et que dire des oncles et des tantes, substituts paternels et maternels, qui habitent également la même ville ? Je compte sur la jurisprudence de votre juridiction pour démontrer que nous pouvons aller encore plus loin dans la responsabilité familiale.

Devrais-je d’ailleurs, peut-être dans le sens de la défense, aller jusqu’à exiger que soit mise en cause la responsabilité des services sociaux, et pourquoi pas du juge des enfants, qui n’ont su, pas plus que les parents, encadrer ce jeune délinquant ?

Je n’irai bien sûr pas jusqu’à mettre en cause la société elle-même, qui n’a pas su empêcher Matthieu de persévérer dans son parcours délinquant. Puisque je la représente, je me verrais dans l’obligation de m’accuser moi-même, ce qu’aucune convention internationale portant sur la procédure pénale n’admet.

Et puis, il faut savoir s’arrêter quelque part dans la recherche de responsabilités.

Reste à savoir quelle peine infliger à M. et Mme Rabachon, leur culpabilité ne faisant aucun doute.

Je ne vous apprends rien en affirmant que la peine que vous prononcerez se doit d’avoir un caractère pédagogique. Qu’en outre, elle doit permettre d’éviter la récidive. Qu’enfin, elle se doit de favoriser la resocialisation des condamnés. Alors quoi de mieux, leur casier ne portant trace d’aucune condamnation, qu’une peine alternative à l’emprisonnement. Et particulièrement d’un stage de parentalité, qui va enfin leur apprendre comment éduquer un enfant.

Car je reste intimement persuadé que l’échec éducationnel de ces parents pourra être compensé par deux journées de ce stage mis en place par l’État, qui leur apprendra comment éduquer un enfant. A leur frais. Enfin.

Il me semble évident qu’élever un enfant, cela s’apprend.

Et ce sera justice[2].

Notes

[1] ne cherchez pas sur Mappy, vous risquez de ne pas trouver…

[2] mais bien évidemment, les lecteurs de ce blog sont invités à délivrer leur propre verdict…

jeudi 1 juillet 2010

Le mépris

“Et ma Justice, tu l’aimes ?”

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lundi 7 juin 2010

Plaidoyer pour une Coupe du Monde

Dans quatre jours, la Coupe du Monde de football va commencer. Je sais, ce n’est pas un scoop. D’autant qu’elle revient avec une régularité de métronome chaque fois que nous sommes à équidistance de deux années bissextile.

Comme tous les quatre ans, la même fièvre va s’emparer d’une bonne partie de l’humanité, et un agacement profond va saisir le reste d’icelle. Et je vais ouïr et lire les mêmes rengaines qui n’ont absolument rien de nouveau. Alors, c’est à cette part de l’humanité, du moins de mon lectorat que je souhaite m’adresser.

Loin de moi l’idée de prétendre, en un billet, vous faire aimer le football. Mon enthousiasme pour le ballon rond est d’une modération qui ferait passer le plus placide des centristes pour un dangereux exalté. Mais j’espère à tout le moins vous expliquer pourquoi cet événement est loin d’être dépourvu d’intérêt, et mérite au pire votre bienveillante indifférence.

Le football, au-delà de toutes les critiques que l’institution est devenue, et qui sont fondées (notamment son aspect économique démesuré, qui fait que la Coupe du Monde ne connaît in fine qu’un seul vainqueur : la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), reste un phénomène unique au monde de par son universalité.

Universalité car c’est sans doute le sport le plus pratiqué au monde, grâce à sa simplicité (il suffit d’un ballon pour jouer et de cinq minutes d’explication pour assimiler les règles, sauf celle du hors jeu, où il faut Bac+4) et à sa faible dangerosité (il n’y a en principe pas de contact physique).

Universalité aussi car c’est une compétition véritablement mondiale. Il n’est pas un pays, aussi modeste soit-il, qui ne puisse s’il le souhaite prendre part à cette compétition. En effet, 208 pays sont affiliées à la FIFA, soit 16 de plus qu’à l’ONU et 5 de plus que le Comité International Olympique (il n’y a que l’athlétisme qui ait plus de pays affiliés, avec 213.

Car cette coupe du Monde se passe en deux parties. La première partie, qui commence trois ans avant la deuxième, voit tous les pays qui s’alignent (cette année, quatre ont manqué à l’appel : les Philippines, le Laos, Brunei, et le Bhoutan) s’affronter par zones géographiques. Même la Palestine a une équipe de football qui a participé aux qualifications (malheureusement, elle a été éliminée suite à un forfait face à Singapour du fait du refus d’Israël de laisser sortir l’équipe, équipe dont trois joueurs ont été tués au cours de l’opération Plomb Durci ; vous voyez que le football illustre pleinement l’actualité). Passons sur les règles complexes de sélection, mais à la fin, il ne peut en rester que 32. C’est la deuxième partie qui va commencer le 11 juin.

Ces 32 équipes sont réparties en huit groupes de 4 équipes qui sont toutes s’affronter une fois, ce qui garantit trois matches à chaque équipe. Une victoire rapporte trois points de classement, un match nul, un point à chaque équipe, une défaite, zéro. Des ex aequo sont départagés à la différence de buts marqués contre buts encaissés. Les deuxièmes de chaque groupe affronteront des premiers d’autres groupes en une série de matchs où cette fois il n’y a plus de matchs nuls possible, une des équipes devant être éliminée à la fin du match, au besoin après les fameux tirs au but. On parle de huitièmes de finale, quarts de finales, demi- finales et la finale, qui sera jouée le 11 juillet.

Cette finale sera regardée partout dans le monde, y compris dans les monastères tibétains.

“La belle affaire”, me direz-vous. “L’humanité se passionne pour un événement futile qui est une perte de temps et une affaire de gros sous”.

Une affaire de gros sous, sans nul doute. Futile, certainement. C’est là précisément tout son intérêt.

Bien sûr, nous pourrions hypocritement souhaiter que l’humanité saisisse chaque seconde pour philosopher et disserter métaphysique. Mais il est bon aussi que l’humanité se passionne pour du futile. Ce qui serait mauvais serait qu’elle ne passionnât que pour du futile, et n’en déplaise aux plus pessimistes d’entre vous, on en est loin.

Mais là, oui, elle va se passionner pour cet événement qui au fond n’est qu’un jeu et c’est formidable.

C’est là la dernière universalité du football, et la plus belle. Car c’est un intérêt commun qui transcende les barrières sociales. Dans les bars, des inconnus commencent à discuter comme de vieux amis. Dans les commissariats, les soirs de match, les policiers donnent les scores aux gardés à vue. Un peu de fraternité républicaine entre hommes que tout sépare pourtant.

Alors, quand dans les jours qui viennent, vous entendrez passer en klaxonnant des voitures dans la rue, célébrant bruyamment la victoire de leur équipe (ça ne devrait pas trop vous déranger cette année), plutôt que de maugréer des remarques désobligeantes, haussez les épaules en souriant et partagez un peu de leur allégresse. Elle ne peut pas vous faire de mal.

En tous cas, j’implore votre patience, car de foot, je parlerai ici. Et des à-côtés, car il n’y a pas de bonne coupe du monde sans ses controverses (Ah, la main d’Henry, comme j’aurais aimé trouver le temps de faire ce billet sur l’arbitrage qui vous aurait expliqué en quoi la qualification de la France était valide et ne saurait être remise en question) et son lot d’injustice. On peut même parler droit.

En tout cas, je reprendrai mes “Devine qui vient dîner ce soir” pour présenter nos adversaires d’un soir, et ces billets seront, avec mon accord, repris sur Rue89.

Si cela vous insupporte, manifestez votre mécontentement de la manière la plus cruelle : ne lisez pas le billet et passez à autre chose. Inutile en tout état de cause de laisser un commentaire rageur sur le désintérêt que malgré mes explications cette coupe du Monde provoque chez vous. Car le désintérêt des autres pour ce genre de commentaires n’a rien à envier au vôtre.

Il va de soi que mes billets purement juridiques continueront pendant la Coupe. Alors un peu de patience et de tolérance. Notre République en a bien besoin. J’y reviendrai.

mardi 11 mai 2010

De la QPC, du corporatisme des juges, et de quelques approximations intellectuelles...

Par Gascogne


Ce matin sur France Culture, Olivier Duhamel s’est livré dans le cadre d’une courte chronique, à un exercice de poujadisme radiophonique comme on en entend malheureusement trop souvent dés que l’on aborde des questions de justice, et ce d’autant plus si ces questions sont techniques.

Il a voulu démontrer qu’en matière de question préjudicielle de constitutionnalité, dont le Maître des lieux a expliqué les mécanismes ici et , les magistrats de la cour de cassation faisaient preuve, pour reprendre ses propres termes, de “conservatisme” et de “corporatisme”. C’est étonnant comme depuis quelques temps ces termes, bien évidemment péjoratifs dans la bouche de ceux qui les utilisent, servent utilement chez quelques chroniqueurs se voulant les garants d’une forme de morale politique qui ne souffre aucune contestation, d’alpha et d’oméga du raisonnement. Inutile d’aller plus loin dans la discussion, l’attribution de ces qualificatifs suffit à elle seule à dénigrer et à asseoir ce qui se veut être un raisonnement définitif.

Or, en matière de raisonnement, Olivier Duhamel nous avait habitués à mieux. La paresse intellectuelle semble quelque peu le gagner…

Que dit-il aux auditeurs de France Culture ? Tout simplement qu’en matière de transmission des questions préjudicielles de constitutionnalité, les juges du fond, qu’ils soient administratifs ou judiciaires, “jouent le jeu” (résumer une question de libertés publiques à un jeu laisse quelque peu perplexe, mais passons), mais que si le Conseil d’État mérite un satisfecit d’Olivier Duhamel dans l’application de la procédure (les sages du Palais-Royal en seront fort aises), la cour de cassation par contre fait tout pour “saboter” cette réforme.

Je passerai sur le fait que l’on se demande bien pour quel motif la cour de cassation chercherait à “saboter” une réforme constitutionnelle, à part éventuellement en vue de fomenter un coup d’État, le premier président de cette institution ayant peut-être quelques velléités de tourner dictateur malgré son âge vénérable, pour m’en tenir au fond du propos.

Première difficulté dans la raisonnement : notre constitutionnaliste aguerri n’est pas extrêmement précis dans les chiffres. Il parle de “centaines” de décisions transmises par les bons juges qui jouent le jeu. Affiner ses estimations aurait sans doute été utile, et aurait également permis de constater que si les juridictions du fond ont effectivement transmis un certain nombre de QPC, on a pu constater à chaque audience suite à l’entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle que bien des requêtes en transmission ont été rejetées, les juges considérant les demandes comme non sérieuses, tout comme vient de le faire la cour de cassation. Aucune statistique n’a encore été effectuée en l’état, seules les transmissions étant comptabilisées, mais je pense que les magistrats qui me lisent pourront confirmer avoir vu ces décisions dans toutes les juridictions de France et de Navarre. Qu’elles ne soient pas entrées en statistique ne veut pas dire qu’elles n’existent pas.

Là où on touche à la limite de la mauvaise foi, ou dans le meilleur des cas à de la désinformation, c’est lorsque notre chroniqueur matinal fait d’une décision de la cour de cassation refusant la transmission au conseil constitutionnel une généralité, dont il tire sa conclusion suprême et définitive : les hauts magistrats, par conservatisme et corporatisme, tentent de saborder la réforme constitutionnelle en refusant de transmettre.

Je suis certain que France Culture dispose d’une connexion internet. Je ne peux dés lors que proposer à Olivier Duhamel, lorsqu’il souhaite parler d’une décision de justice, de se rendre à sa source. Il découvrira alors à cette adresse, dédiée à la jurisprudence de la cour de cassation, notamment en matière de QPC, que le 7 mai 2010, date à laquelle la décision de refus de transmission critiquée[1] a été rendue, 4 autres arrêts ont été rendus. Un a porté refus de transmission (comme la réforme constitutionnelle l’y autorise si la cour estime que cette question n’est pas sérieuse), 3 ont porté transmission au conseil constitutionnel.

Alors on peut bien entendu critiquer les deux refus de transmission, sur le fond (car sur la forme, cela revient à critiquer la réforme constitutionnelle elle-même, et à dire que la cour de cassation ne devrait servir que de boîte au lettre, et non pas de filtre, comme Olivier Duhamel le rappelle pourtant au début de sa chronique). Mais si l’on est de bonne foi, on ne passe pas sous silence trois décisions qui démontrent à elles seules l’inanité des accusations si faciles de corporatisme et de conservatisme.

M. Duhamel est en droit d’espérer un plus grand libéralisme de la part de la cour de cassation. Les auditeurs de France Culture sont en droit d’espérer un peu plus de rigueur intellectuelle sur une radio qui ne mérite sans doute pas de telles approximations.

Notes

[1] portant sur le fait que l’article 9 de la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 ayant inséré, après l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, un article 24 bis instaurant le délit de contestation de crimes contre l’humanité serait contraire aux principes constitutionnels de la légalité des délits et des peines ainsi que de la liberté d’opinion et d’expression

jeudi 25 mars 2010

On ne répond pas aux questions qu’on se pose pas.

Par Sub lege libertas


Il n’y a pas mieux qu’un prétoire pour fantasmer sur la société et ses maux. D’ailleurs le café du commerce, qui en est le miroir aux suspensions d’audience, se remplit de ces brèves de sociologie judiciaire, de ces « faits » zemmouriens.

N’y voit-on que ce qu’on regarde, comme le demande Maître Eolas ? Importe-il tant d’analyser ce qu’on vient y regarder, même pour dissiper des illusions d’optique qui grossiraient l’importance de la couleur de la peau alors que la faiblesse des ressources serait un critère plus pertinent pour expliquer la présence sur le banc des prévenus de tel ou tel ? Et s'il valait mieux fermer les yeux, sortir des choses vues, pour s’interroger sur ce qu’on n’a pas vu ? Alors les réponses différeraient.

Tentons l’expérience, en décentrant le débat des vaguement désignés “trafiquants” vers les agresseurs sexuels sur mineurs au sein de leur famille, les nouveaux monstres actuels, les « pédophiles incestueux ». Au quotidien dans ma région septentrionale, on ne voit guère dans le prétoire, accusés de ces choses, ni moult bons bourgeois, cadres dynamiques à la peau qui craint le soleil plus rare sous ces latitudes, ni d’ailleurs de nombreux méditerranéens du sud, ni de cohorte de sub-sahariens. Est-ce un « fait » qu’au Nord, seul le petit blanc inactif, alcoolique et pauvre soulage sa misère sexuelle sur sa progéniture ? On le lisait certes dans les tribunes du Parc des Princes, mais...

Et si la question n’étaient pas : “le maintien de structures familiales traditionnelles et d’interdits religieux forts quant à la sexualité et la consommation d’alcool diminuent fortement la prévalence du risque incestueux dans les familles issues de l’immigration maghrébine ou d’Afrique équatoriale ?” Des sociologues ou démographes ne rappellent-ils pas que le plus souvent, l’émigration vers l’Europe déstructure le tissu familial et s’accompagne aussi rapidement de l’adoption de comportements similaires à ceux des populations du pays d’accueil, à supposer d’ailleurs que cette acculturation n’a pas déjà eu lieu en grande partie dans le pays d’origine, ouvert aux cultures occidentales par l’effet de la mondialisation ?

Et si la question n’étaient pas non plus : “est-ce que la promiscuité, conséquence d’une précarité sociale plus accrue dans les bassins de population septentrionaux, fortement touchés par le chômage structurel de masse, favorise l’inceste dans des familles nombreuses recomposées au sein desquelles le désœuvrement alcoolisé et la déshérence des schémas familiaux traditionnels émoussent le sens moral ? ”.

Si les questions étaient :

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car dans ce type de milieu, l’enfant abusé sur-couvé dans la famille aurait moins d’interlocuteurs pour l’écouter, contrairement aux familles pauvres ou précaires très suivies par les services sociaux ?
— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car un travailleur social ayant une suspicion se rassurerait plus facilement au sujet la situation de malaise de l’enfant, grâce à l’explication fournie par le parent agresseur sexuel maîtrisant bien l’art de conversation et ayant une image de notable ?

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car le mal être de l’enfant ferait l’objet par la famille d’une prise en charge par un psychologue, qui pourrait voir dans les dires de l’enfant un récit fantasmatique des relations familiales et conseiller une orientation vers le médecin de famille pour une prise de psychotrope ?
— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car si l’enfant abusé en devient agressif à l’égard d’autrui ou de lui-même, ses parents le feront hospitaliser dans le meilleur service d’une clinique psychiatrique recommandé par relations familiales ?

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car au fond ces affaires de famille s’y règlent entre soi ?
— Voit-on dès lors moins de maghrébins ou d’africains incestueux en correctionnelle, car au fond ces affaires de famille s’y règlent aussi entre soi, qu’éventuellement la menace d’un « renvoi au pays » de l’enfant qui viendrait à s’en plaindre suffit à maintenir le silence pour cet enfant dont toutes les attaches sont sur notre sol où il est né ?

— Voit-on d’ailleurs un(e) jeune maghrébin(e )ou africain(e) abusé(e) dont les parents sont en situation irrégulière, comme lui /elle le cas échéant, aller porter plainte, alors qu’on a encore récemment vu récemment qu’une jeune adulte scolarisée et battue par son frère a bénéficié en s’en plaignant d’un vol affrèté par le ministère préféré de ce blog ?
— Voit-on aussi moins de maghrébins ou d’africains incestueux en correctionnelle, car le repli sur soi de certaine de ces familles peu insérées quoiqu’acculturées, mais sollicitant donc peu les services sociaux, contribue paradoxalement à enclore l’enfant dans son silence comme un fils ou une fille de la bourgeoisie ?

Et si je pose ces questions, ce n’est pas que la réponse est « c’est un fait ». Ce ne sont qu’hypothèses à vérifier, qui plus est sur des situations rarement observées ou observables par le magistrat, rapportées à la quantité de celles qu’il lui est donné de voir. Mais ces questions, le magistrat du parquet ne se les pose guère quand il traite journellement sa pile de signalement de suspicion de faits incestueux transmis par les services sociaux et concernant d’abord des familles précaires usagers de ce type de structures.

Dès lors la question ne pourrait-elle pas devenir cyniquement au sujet de ces pédophiles incestueux potentiels qu’on ne voit pas en correctionnelle :

— Faut-il que je saisisse la Brigade des mineurs du Commissariat du centre ville pour mener d’initiative une enquête du chef de non dénonciation de crime ou délit d’atteinte à l’intégrité corporelle et atteintes sexuelles aggravées, en entendant tous les élèves de l’Institut *** qui ne m’a jamais adressé en cinq ans le moindre signalement concernant ses pensionnaires ?
— Si je ne le fais pas alors que la rumeur, c’est à dire une personne digne de foi désirant garder l’anonymat comme le noteraient les policiers, ou un courrier anonyme reçu opportunément le rapporte, est-ce parce que « sociologiquement » ce type de faits se déroulent plus souvent dans d’autres milieux ?
— Et si je le fais et que l’enquête ne prouve rien, pourrai-je conclure que la « pédophilie incestueuse » se manifeste essentiellement dans les famille pauvres, « c’est un fait » ?

Ce que traite la justice pénale n’est pas un miroir de la société, c’est une effraction du regard collectif sur... ses marges.

Alors reprenons les « trafiquants » zémmouriens « factuellement » noirs ou arabes. Comprenons d’abord qu’il s’agirait de trafiquants de stupéfiant, et que le chroniqueur semble d’ailleurs plus désigner le dealer de rue qui aurait vocation à être repéré ou contrôlé facilement par la police en patrouille, plus que le chef de réseau propriétaire de six immeubles de rapport, ayant huit sociétés immatriculées au registre du commerce avec pour gérant sa femme, sa mère, ses filles et cousines, le tout servant au blanchiment de l’argent du trafic. Remarquons d’ailleurs, pour désespérer E. Zemmour, que celui-ci aussi, qui a l’air très organisé, peut être un maghrébin ou un africain, le monopole de l’intelligence - fût-elle dévoyée - n’étant pas réservé au petit blanc de banlieue devenu éditorialiste.

Alors quelles sont quelques unes des questions auxquelles on ne répond pas, si l’on se contente d’observer avec l’avocat général Bilger que les dealers de rue fréquentant la correctionnelle à Paris seraient souvent des noirs ou des arabes, ou des pauvres dans l’approche eolassienne :

— Ne voit-on pas plus de blancs bourgeois revendeurs de cocaïne, d’extasy ou cannabis en correctionnelle, car fournissant des clients de leur milieu, ils se donnent rendez-vous, non sous le nez de la police, Place Stalingrad sur laquelle ils zoneraient camés, mais à l’hôtel particulier de la famille dans une Cité privée de Passy où l’on entre au volant d’une voiture luxueuse après avoir indiqué au vigile discret le nom du propriétaire auquel on rend visite ?
— Ne voit-on pas plus de blancs bourgeois revendeurs de cocaïne, d’extasy ou cannabis en correctionnelle, car opérant en appartement dans les beaux quartiers, loin de vivoter uniquement de leur deal avec comme ressource officielle au mieux le R.S.A., leur petit commerce est une récréation lucrative parallèle à une activité légale ou une visibilité sociale qui ne les rend pas suspect ?
— Ne voit-on pas plus de blancs bourgeois revendeurs de cocaïne, d’extasy ou cannabis en correctionnelle car je n’ai pas souvenir, à l’époque lointaine où j’y vivais, que le préfet de police de Paris sollicitât beaucoup de réquisitions de contrôles d’identité à la sortie des établissements de nuit sis dans les rues adjacentes aux Champs Elysées ou du côté du Polo de Bagatelle ou du Tir au pigeon, de sorte que les consommateurs de produits stupéfiants invités par les services de police à indiquer leur fournisseur sont plutôt ceux qui se fournissent chez Momo fiché à la police et opérant à la Porte de la Chapelle ?

Il est temps que pour parler de notre société nous en quittions le spectacle, fût-il judiciaire. Ou s’il l’on veut parler de notre société au travers de ce prisme, que n’interroge-t-on pas le spectacle judiciaire sur ce qu’il ne représente pas ?

Alors honte sur nous non à cause de ceux qui sont attraits en justice et peu me chaut leur couleur de peau. Mais le règne de la loi ne garantit notre liberté que si nous y sommes tous soumis à égalité. Honte sur nous pour ceux-là seuls que l’on se garde de conduire devant leurs juges. Et « c’est un fait », il y en a.


Je ne recevrai pas de commentaires. Le débat avec le maître des lieux se poursuivra sous son billet, qui précède, en cliquant là !

mardi 16 mars 2010

Question prioritaire de constitutionnalité, mode d'emploi

NB : ce billet est la suite de ce premier épisode.


— Bonjour Maître. Bonjour Jeannot.

— Bonjour la Miss. Entre donc, et sers toi donc une coupe. C’est la fête.

— Oui, j’ai cru comprendre que nous vivions un moment historique dans l’histoire. Du droit, certes, mais ça reste de l’histoire.

— Les occasions de dire du bien de notre président de la République sont trop rares pour bouder notre plaisir.

— À propos de bouder, pourquoi Jeannot ne dit-il rien, et me regarde-t-il, bouche bée ?

— Disons que le champagne n’est pas la seule cause de son ivresse. Laissons-le à son extase et buvons à ce grand jour.

— Mais au fait, concrètement, comment ça marche, cette Question Prioritaire de Constitutionnalité ?

— Curieusement, assez simplement. La Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) peut être posée devant toute juridiction, aussi bien judiciaire qu’administrative. Seule exception : la cour d’assises.

— Pourquoi ?

— On pourrait dire parce que le jury représente le peuple souverain rendant la justice (d’où le fait que les audiences de cour d’assises se tiennent en la forme solennelle : hermine de rigueur, même sur les épitoges parisiennes). Mais ce serait une mauvaise réponse : le peuple souverain est le premier soumis à la Constitution, car s’il est souverain, il n’est pas monarque absolu.

— Quelle est la bonne réponse ?

— Elle est pragmatique. La cour d’assises a comme caractéristique unique dans notre ordre juridictionnel d’être une juridiction temporaire. Elle ne siège que par sessions, en principe, de quinze jours par trimestre, plus si besoin (et à Paris, il y en a trois qui siègent simultanément de janvier à décembre, sans compter la Spéciale jugeant les actes de terrorisme). De ce fait, elle siège “sans désemparer”, c’est à dire sans interruption autre que le repos des juges, jusqu’à rendre sa décision. Or la Question Prioritaire de Constitutionnalité suppose un sursis à statuer, incompatible avec la cour d’assises.

— Un accusé de crime ne peut donc soulever que la loi qu’on lui applique serait inconstitutionnelle ?

— Si, Dieu merci. Mais selon des modalités différentes sur lesquelles je reviendrai. Procédons par ordre.

— Je suis toute ouïe.

— La Question Prioritaire de Constitutionnalité peut être posée à tout stade de la procédure, même pour la première fois en appel, dérogeant à la règle judiciaire de prohibition des moyens nouveaux, et même devant la cour de cassation.

— Voilà qui facilitera son entrée en vigueur.

— Absolument. Les instances déjà engagées peuvent bénéficier de ce nouveau droit. Sur la forme, la Question Prioritaire de Constitutionnalité doit impérativement être posée par écrit, et par un écrit distinct des autres pièces de procédure comme les requêtes et les mémoires devant la juridiction administrative, et les conclusions et mémoires devant la juridiction judiciaire.

— Pouvez-vous me rappeler brièvement la différence ?

— Devant la juridiction administrative, on appelle requête l’acte qui introduit l’instance, qui met en route le procès. Les argumentations écrites produites par la suite pour y répliquer, puis par le demandeur pour combattre cette contre argumentation, etc. s’appellent tous des mémoires (en défense, en demande). Cela qu’on soit devant le tribunal administratif, la cour administrative d’appel ou le Conseil d’État. Devant la juridiction judiciaire, le procès civil est introduit par une assignation, le procès pénal par une citation. Les arguments présentés par les particuliers (demandeur, défendeur, partie civile, prévenu ou accusé) sont des conclusions. Les arguments du parquet sont des réquisitions (s’il ne fait que saisir un juge, c’est un réquisitoire). Les arguments présentés devant la cour de cassation et devant la chambre de l’instruction s’appellent des mémoires.

— La procédure judiciaire est plus compliquée.

— Toujours. La procédure administrative est un modèle de simplicité formelle, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne présente aucune difficulté de fond. Les publicistes sont capables de subtilités qui auraient lassé les byzantins.

— Revenons-en à la Question Prioritaire de Constitutionnalité.

— J’allais vous le proposer. L’écrit doit être distinct, et motivé, c’est-à-dire expliquer en quoi la loi applicable serait contraire à la Constitution. Formellement, la Question Prioritaire de Constitutionnalité prendra donc la forme de l’écrit habituel : mémoire, conclusion… Ce sera nécessairement une exception au principe de procédure civile d’unicité des écritures, qui veut que toutes les argumentations figurent dans les conclusions et que toute demande qui n’est pas reprise dans les dernières conclusions est réputée abandonnée.

— Et que doit faire le juge saisi d’une telle question ?

— Il en vérifie la recevabilité, qui repose sur trois conditions (article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; enfin, la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux. Pour résumer, il s’assure de sa pertinence au litige, de sa nouveauté, et de son sérieux, encore que j’aie du mal à imaginer un cas qui remplirait les deux premières conditions mais pas la troisième.

— Faut-il argumenter cette recevabilité dans la Question Prioritaire de Constitutionnalité ?

— Ce n’est pas obligatoire, juste vivement conseillé. Mâcher le travail du juge ne nuit jamais. Notamment, lui fournir copie de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi contestée (s’il a été saisi) me paraît un minimum, pour qu’il puisse s’assurer si la disposition en question —C’est le cas de le dire— a été examinée et ce qu’il en a été dit.

— Je suppose que si le juge estime qu’une de ces conditions n’est pas remplie, il rejette la QPC. Et s’il estime qu’elles sont remplies ?

— Il n’est pas compétent pour y répondre. Le législateur a fait l’option d’une compétence exclusive du Conseil constitutionnel. Cette défiance vis à vis du justiciable est loin d’avoir disparu du cœur du législateur. Aux États-Unis, la Constitution est une norme comme les autres, et tout juge saisi peut juger de la conformité d’une loi à la norme suprême. Les Cours suprêmes de chaque État et la Cour Suprême des États-Unis n’agissent que comme cour de cassation, pour unifier l’interprétation de la Constitution.

— Nous connaissons tous votre proaméricanisme béat, qui n’est battu en béatitude aux yeux de vos détracteurs que par votre européisme. Revenons-en à la France.

— Soit. Le juge estimant la QPC recevable la transmet dans les huit jours à la cour de cassation s’il porte une robe ou une médaille en sautoir[1] et au Conseil d’État s’il ne porte aucun signe distinctif de sa fonction.

— Pourquoi ce passage obligé ?

— C’est un filtrage, comme l’ancienne chambre des requêtes de la cour de cassation, dont on n’a jamais eu autant besoin que depuis qu’on l’a supprimée en 1947.

— Sur quels critères ?

— Les mêmes que la recevabilité devant le juge du fond : pertinence, nouveauté, et sérieux (article 23-4 de l’Ordonnance du 7 novembre 1958)

— Article qui est redondant, puisque le législateur, après avoir renvoyé au 1° de l’article 23-2, reprend le caractère sérieux comme condition de la transmission au Conseil constitutionnel.

— Tu as remarqué ? C’est que le législateur se méfie encore plus du juge que du peuple.

— Et pour la cour d’assises ?

— La QPC doit nécessairement accompagner un appel. La QPC accompagne la déclaration d’appel ; il est aussitôt transmis à la cour de cassation, sans examen de la recevabilité, pour la procédure de filtrage.

— Comment se passe cette procédure de filtrage ?

— Sans ministère d’Avocat aux Conseils. Les QPC sont transmises avec les écritures des parties, et la Cour ou le Conseil ont trois mois pour se prononcer. Soit ils confirment la nouveauté, la pertinence et le sérieux et saisissent le Conseil constitutionnel, soit ils estiment qu’une de ces conditions manque et font retour de la procédure devant le juge. Notons que ce refus peut contenir la réponse à la question : par exemple “Attendu que dans sa décision du 31 février 2010, le Conseil a déjà estimé que l’article 63-4 du Code de procédure pénale était contraire à la Constitution en ce qu’il ne permet pas une assistance effective par un avocat tout au long de la garde à vue ; Attendu qu’en conséquence, la question soulevée ne présente pas de caractère de nouveauté, par ces motifs, dit n’y avoir lieu à saisine de Conseil constitutionnel, ordonne le retour de la procédure au tribunal de Framboisy”.

— Et si on est déjà devant la Cour de cassation ou le Conseil d’État ?

— L’étape 1 saute, on passe directement à la 2 : le réexamen approfondi de la recevabilité avant saisine éventuelle du Conseil constitutionnel. La QPC prend la même forme que les écritures habituelles : un mémoire, rédigé par un avocat aux Conseils sauf dans les procédures où on peut avoir la folie de s’en passer (le pénal, essentiellement).

— Ça me paraît un peu bizarre, ce double contrôle portant sur les mêmes critères.

— En vérité, ça l’est. Mais je pense qu’avec l’usage, une répartition du travail se fera : le juge du fond se contentera d’un contrôle de l’irrecevabilité manifeste, notamment en se référant aux décisions déjà rendues par la cour de cassation ou le Conseil d’État, tandis que ces deux cours suprêmes opéreront un filtrage plus méticuleux et rigoureux pour éviter le risque de surmenage au neuf sages et deux moins sages de la rue Montpensier.

— Et si la QPC est transmise au CC, que se passe-t-il ?

— La procédure est réglée par une décision réglementaire du Conseil du 4 février 2010. Les étudiants en droit découvriront à cette occasion que la prohibition des arrêts de règlement connaît des exceptions. L’audience est publique ; une salle a été aménagée pour que le public puisse la suivre depuis la salle du conseil où elle se tiendra.

— Et ensuite ?

— De deux choses l’une. Soit la réponse à la QPC est négative : la loi est conforme : le dossier retourne au juge initialement saisi qui applique la loi avec l’esprit serein du juge qui respecte la Constitution. Soit la réponse est positive ; dans ce cas, la disposition inconstitutionnelle est abrogée au jour de la publication de la décision au Journal Officiel, sauf si le Conseil décide d’aménager les effets de cette abrogation dans le temps (nouvel article 61-1 de la Constitution).

— Comment ? Mais une loi violant la norme suprême devrait être nulle ! Et voilà un bien étrange accommodement que de décider comment une loi va peu à peu cesser de violer la Constitution !

— Tu as remarqué ? Le pragmatisme l’emporte sur la rigueur juridique. L’idée étant de limiter les remises en cause de situations passées : la sûreté juridique est aussi un droit de l’homme.

— Un an et demi à peine après avoir réduit le délai de prescription de trente à cinq ans, voilà un bien tardif souci.



— Il est vrai. Sans doute aussi le règne de la loi qui a marqué un siècle de notre histoire institutionnelle laisse cette dernière trace : la loi ne peut si mal faire qu’il faille la traiter comme un vulgaire décret. Le Conseil d’État a lui aussi pris l’habitude de retarder dans le temps l’effet de ses décisions, permettant ainsi au gouvernement de prendre les mesures urgentes nécessaires.

— Et cette procédure est-elle promise à un grand succès ?

— Sans nul doute, surtout les premières années, le temps de soumettre au Conseil Constitutionnel toutes les questions que les parlementaires ne lui ont pas soumises. Une fois cette phase de rattrapage terminée, le rythme sera moins effréné. En attendant, la machine tourne à plein régime. À ce jour, 16 mars 2010, la cour de cassation est saisie de 18 QPC en matière civile et de 4 questions en matière pénale (dont une sur la conformité du système actuel de la garde à vue), tandis que le conseil d’Etat est saisi de 28 QPC.

— Vivement que la première QPC soit transmise au Conseil constitutionnel !



— Tous les juristes de France attendent ce moment comme une pucelle attend le bal. Sois certaine que nous en reparlerons ici.

— Merci, cher maître, je vous laisse travailler.

— Je suis ton serviteur, Malika. N’oublie pas d’emporter Jeannot en partant. Il va finir par baver sur mon tapis

Notes

[1] Les magistrats professionnels et les juges de commerce portent la robe ; les juges de proximité et conseillers prud’hommes une simple médaille en sautoir, ce que je trouve parfaitement anormal soit dit en passant).

lundi 8 mars 2010

Ils reviennent... et ils ne sont pas contents

Par Dadouche, revenante


Depuis plusieurs années, on dirait que les magistrats passent, dans un ordre aléatoire, par toutes les phases du deuil : le choc, la dépression, la colère, le marchandage, l’acceptation.

Il y a eu le marchandage.
Nous étions débordés ? C’était tout l’honneur, toute la noblesse de notre fonction que d’accepter sans nous plaindre.
On jugeait des gens à 23 h 30 ? C’était pour leur éviter de revenir, et qu’importe si on n’était plus très frais.

Il y a eu le choc.
Le séisme d’Outreau, personne ne l’a vu venir. Après tout, on savait, nous, qu’on faisait ce qu’on pouvait pour écoper la mer à la petite cuillère.
Nous sommes aussi restés sidérés d’entendre qu’il fallait que “le juge paye”, ou qu’il “suait la haine”.

Il y a eu l’acceptation.
Après tout, il fallait bien s’y faire : après tout ce qu’on avait entendu sur l’irresponsabilité supposée des magistrats, comment s’étonner que certains ne s’inquiètent pas plus de la mise en minorité des magistrats au Conseil Supérieur de la Magistrature, organe de discipline, mais surtout de nomination des magistrats.

Il y a eu la dépression.
Ce n’est pas “magistrats en colère” qu’Eolas aurait du intituler l’espace qu’il nous a laissé le 23 octobre 2008.
C’est plutôt “magistrats sous Valium”.

Si vous ne les avez pas encore lus[1], certains titres ne respirent pas franchement la joie de vivre :
- Amertume
- Malaise, vous avez dit malaise ?
- Le dégoût
- Paranoïa
- Je voudrais m’excuser
- Le malaise
- L’angoisse du gardien des libertés au moment du penalty
- Réflexions désabusées d’un juge d’instance.

Et puis, il y a la colère. La vraie.

C’est la phase que nous traversons actuellement.

Demain, 9 mars, tous les syndicats et organisations professionnelles de magistrats appellent à un mouvement national, en collaboration avec des syndicats de greffiers et fonctionnaires de justice, de personnel pénitentiaire, d’éducateurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse et plusieurs organisations d’avocats, ainsi que nos collègue magistrats des juridictions administratives et financières. Une manifestation aura lieu entre le Palais de Justice de Paris et la place Vendôme.

Pas pour nous.
On ne demande rien pour nous.

Mais parce que c’est notre responsabilité de vous dire, le plus visiblement possible, que l’institution judiciaire au bord de la faillite, sur tous les plans.

Parce que nous ne pouvons plus nous résoudre à accepter la Justice boiteuse qu’on nous impose de rendre au nom de nos concitoyens.
Parce que certaines de nos juridictions n’ont même plus de quoi nous payer des codes.
Parce que plus un expert ne va accepter de travailler pour un si mauvais payeur.
Parce que les fonctionnaires dévoués auprès desquels nous travaillons chaque jour ne vont pas tenir bien longtemps.
Parce que si ça continue, nous n’aurons plus de papier pour imprimer les jugements attendus des justiciables.
Parce que les réformes actuelles, qui vont vers toujours plus d’automaticité, toujours plus de rapidité, vont tuer l’office du juge
Parce que les justiciables qui dépendaient de juridictions supprimées ne se déplacent plus aux audiences.
Parce que certains veulent “tenir” la Justice.
Parce que 53 euros par an et par habitant, c’est quand même pas lourd.
Parce qu’on ne peut pas à la fois prononcer des peines planchers et vider les prisons avec des aménagements de peine automatiques
Parce que le discrédit régulièrement apporté aux décisions de justice affaiblit chaque fois un peu plus l’autorité de nos décisions et donc leur efficacité
Parce que des magistrats dont l’indépendance n’est pas assurée par leur statut, c’est la suspicion qui pèse sur chacune de nos décisions

Parce que nous n’en pouvons plus de faire le deuil de la Justice.

Je ne sais pas combien nous serons demain. Ce ne sera sans doute pas une marée humaine. Nous ne sommes que 8.000, et beaucoup n’ont pu se résoudre à annuler des audiences pour se rendre à Paris.

Tout ce que j’espère, c’est que nous pourrons rester dans cet état de colère.

Car si rien ne change, nous retomberons dans l’acceptation. Et le jour où nous aurons terminé notre deuil et renoncé à la Justice, c’est l’équilibre démocratique qui subira la plus grande perte.

Alors demain ayez une pensée pour les petits pois rouges de colère, et espérez qu’ils ne deviennent pas tous grisatres.

Notes

[1] grave lacune à réparer d’urgence…

lundi 22 février 2010

La justice et la mort

Le dernier, vraiment dernier cette fois, rebondissement de l’affaire Treiber, au-delà des considérations liées à ce dossier et qui n’ont pas leur place sur ce blog, amène à soulever une question à portée plus générale. Quel est donc l’effet de la mort sur le cours de la justice, et pourquoi ?

Le droit étant la science des distinctions et des exceptions, il faut distinguer les hypothèses.

La division pertinente se fait ici entre la justice civile et la justice pénale. La justice civile oppose des personnes privées (personnes physiques comme vous et moi, sauf si vous êtes un robot, ou morales : sociétés, associations, syndicats de copropriétaires, etc.) qui ont un conflit entre elles. La justice pénale oppose la société (représentée, et avec quel talent, par le ministère public) à une personne privée (physique ou morale) ou publique (à l’exception de l’État, car en France, quand on fixe les règles, on veille à ce qu’elles ne s’appliquent pas à soi même) soupçonnée d’avoir commis un fait que la loi punit : ce qu’on appelle de manière générale une infraction.

La mort n’a en principe aucun effet sur la justice civile, peu importe que la personne décédée soit le demandeur ou le défendeur. En effet, la mort d’une personne fait que son patrimoine, terme qui en droit désigne l’ensemble des biens et des droits d’une personne, passe à ses successeurs (en principe, son conjoint et ses enfants, je ‘entrerai pas dans le détail de la détermination des successeurs qui mériterait un billet à elle seule). Le procès continue donc, la partie décédée étant remplacée par l’ensemble de ses successeurs, qu’on appelle consorts.

Ainsi, si monsieur A. fait un procès à monsieur B. et que ce dernier décède en cours d’instance, le jugement sera rendu contre les consorts B. Et quand bien même le décédé avait eu la ferme intention de faire un procès avant que la Camarde ne lui signifie un jugement sans appel, ses successeurs peuvent engager l’action en son nom, puisque ce droit d’agir en justice figure dans son patrimoine. Cette hypothèse n’a rien de rare : toutes les actions en réparation d’un décès, accidentel (accident de la route, du travail) ou non sont par leur nature même toujours exercées par les héritiers (la nécromancie étant expressément prohibée par l’Ordre des avocats comme étant du démarchage de clientèle illégal).

Il y a des exceptions qui tiennent à la nature du procès en cours. Ainsi, une instance en divorce prend fin avec le décès d’un des époux, puisque ce décès dissout immédiatement et de plein droit le mariage. Il ne reste donc plus rien à dissoudre pour le juge. Le décès d’une personne peut aussi faire courir un délai pour exercer certaines actions, comme l’action en recherche de paternité, qui doit être intentée au plus tard dans les dix ans suivant le décès du père supposé (art. 321 du Code civil). Mais le principe demeure le même : on présente ses condoléances et on continue.

Au pénal, le principe est le contraire, mais il faut au préalable bien comprendre une chose. Devant une juridiction pénale (juge de proximité, tribunal de police, tribunal correctionnel ou cour d’assises), deux actions différentes sont jugées en même temps.

L’action principale, c’est l’action publique. Le demandeur est le ministère public. Il demande au juge de déclarer le prévenu coupable et en répression, de le condamner à une peine qu’il suggère dans ses réquisitions.

Mais une action accessoire peut venir s’y greffer : celle de la victime qui demande réparation du préjudice que lui a causé l’infraction. Cette action s’appelle l’action civile par opposition à l’action publique, et elle est de nature civile.

Cela posé, il faut donc distinguer deux hypothèses.

Le décès de la victime est totalement indifférent, hormis bien sûr quand il est à l’origine de l’action publique (poursuites pour meurtre ou homicide involontaire). Mais peu importe que la victime d’un vol décède avant le jugement de son voleur. Les héritiers exercent l’action au nom du défunt. C’est ainsi les conjoints, enfants ou parents de la victime qui s’assoient sur le banc des parties civiles.

En revanche, le décès de la personne poursuivie, elle, met fin à l’action publique. Le juge pénal rend un jugement constatant l’extinction de l’action publique.

Pourquoi ? Pour deux raisons.

Tout d’abord, parce que l’action publique est intrinsèquement liée à la personne de l’accusé. On va juger un fait qu’il a commis, et s’il est reconnu coupable, prononcer une peine pour sanctionner son comportement, qui sera fixée en fonction de sa personnalité. L’article 132-24 al. 2 du code pénal fixe l’objet de la peine ;

La nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l’insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions.

Comme vous pouvez le constater, la mort de l’accusé prive la peine de tout intérêt. Quand bien même serait-il condamné, la société n’est pas menacée par un mort, sauf dans les films de George A. Romero. Le mort est à l’abri de tout châtiment, comme Arvirargus le chantait sur la tombe d’Imogène (qui d’ailleurs n’était pas vraiment morte mais passons). Les intérêts de la victime, dont la mention ici est un cadeau démagogique de la loi du 12 décembre 2005, sont sans effet sur la mort, c’est vérifié. La question de l’insertion du condamné se résume à trouver un cercueil à sa taille. Quant à la commission de nouvelles infractions, il y a été pourvu de manière fort efficace, le taux de récidive des morts étant de 0%, même si l’Institut pour la Justice prépare sûrement une étude pour démontrer le contraire.

À cela, des lecteurs pourraient m’objecter que pour les victimes, ce procès garde un intérêt et qu’on pourrait bien leur faire ce cadeau. Pourquoi pas, au Moyen-Âge, on faisait en effet des procès en effigie, qui le cas échéant étaient brûlées sur le bûcher. La démagogie victimaire justifie bien un retour au droit archaïque ; comme ça, les cellules de garde à vue seront raccords avec les culs-de-basse-fosse. Que diantre, on fait bien des procès à des fous pour leur complaire, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

Néanmoins, un ultime problème se pose, au-delà de l’inutilité absolue du procès fait à un mort. C’est l’exercice des droits de la défense. Le but du procès pénal est quand même que l’accusé puisse s’expliquer. Soit sur les éléments qui l’accablent alors qu’il prétend être innocent, soit sur les raisons qui l’ont poussé à commettre ce geste s’il reconnaît les faits. Retirez cela et vous n’avez plus un procès, mais un simulacre.

On pourra m’objecter que si l’accusé est bien vivant mais en fuite, le procès a tout de même lieu. En effet, c’est ce qu’on appelle le défaut. Mais la loi admet elle même que ce procès est un simulacre puisqu’il suffit que le condamné par défaut réapparaisse (volontairement ou soit interpellé) et il pourra exercer une voie de recours spécifique, l’opposition, qui n’est pas un appel puisqu’il réduit à néant la première décision et donne lieu à un nouveau premier procès, qui pourra lui-même faire l’objet d’un appel. En fait, le but principal du défaut est de faire échec à la prescription de l’action publique en lui substituant après l’audience la prescription de la peine, qui est bien plus longue (trois ans pour une contravention au lieu d’un an, cinq ans pour un délit au lieu de trois, vingt ans pour un crime au lieu de dix ans). Un procès par défaut est par nature provisoire, en attendant le vrai procès de l’accusé.

En outre, la justice a déjà assez de mal à juger les vivants pour qu’en plus on lui ajoute la clientèle des morts.

Dernière question pour conclure : la victime, qui à ce stade n’est que plaignante, n’a-t-elle donc aucun recours si l’accusé se fait la belle par la dernière porte ?

Sur l’action publique, non, aucun. Elle est éteinte, il n’est plus possible pour la justice d’établir sa culpabilité ou son innocence. Le dossier passe aux historiens, s’il les intéresse. Il ne relève plus de la justice des hommes.

Mais l’action civile, elle n’est pas affectée par le décès, comme je l’expliquais en ouverture.

Simplement, elle ne peut plus être portée devant la juridiction répressive puisqu’elle n’est plus saisie du dossier. La jurisprudence a apporté un tempérament de taille à ce principe : cette règle ne s’applique pas si l’affaire est en appel, car il a déjà été statué sur l’action publique. Dans ce cas, la cour constate l’extinction de l’action publique, mais reste compétente pour juger l’action civile, c’est-à-dire sur les dommages-intérêts, que ce soit le condamné défunt qui ait fait appel ou la partie civile. Et ce même si le défunt avait bénéficié d’une relaxe (s’il était jugé pour un délit) ou d’un acquittement (s’il était jugé pour un crime). On peut donc discuter de la culpabilité du défunt en appel ; mais il faut qu’il ait été jugé une première fois de son vivant.

La victime peut donc en cas de décès avant tout jugement au pénal porter son action devant le juge civil, suivant les règles du code de procédure civile, pour demander une indemnisation aux héritiers de la personne soupçonnée, ou devant une juridiction spécifique, la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction, qui est bien de nature civile (c’est la 2e chambre civile qui connaît des pourvois sur cette procédure), quand bien même elle est réglée par les articles 706-3 du CPP. Les mystères du droit.

La première voie n’est quasiment jamais empruntée car elle est très périlleuse. Il faut prouver la culpabilité du défunt, en se fondant notamment sur le dossier de l’instruction, et devant les juridictions civiles, la présomption d’innocence est bien mieux respectée : pas d’intime conviction du juge, c’est de la certitude qu’il faut apporter. La procédure devant la CIVI suppose uniquement de prouver que les faits à l’origine du dommage « ont le caractère matériel d’une infraction » (art. 706-3 du CPP), peu important de savoir qui est coupable. Le but même de cette procédure, initialement créée pour les actes de terrorisme, est de permettre aux victimes d’être indemnisées même quand les auteurs des faits demeurent inconnus.

Voilà la situation dans cette tragique affaire, ou trois familles pleurent désormais un être cher et devront continuer à vivre avec leur convictions mais aussi leurs incertitudes. Nous ne sommes ici que pour faire du droit, je vous demanderai donc de ne pas aborder la question du coupable-pas coupable. Nous n’avons aucune qualité pour en discuter et le chagrin des familles impose un silence respectueux.

mardi 19 janvier 2010

Du rififi à la cour de cassation

La semaine dernière s’est tenue la rentrée solennelle de la cour de cassation. Sub lege libertas a expliqué en quoi consiste cette formalité obligatoire, celle de la cour de cassation étant bien entendue la plus importante par son prestige : le président de la République y est invité et vient de temps en temps annoncer au Parlement les réformes qu’il va décider de voter, et le garde des Sceaux est presque toujours présent. Cette année, le premier ministre avait fait le déplacement.

C’est d’ordinaire un moment ronronnant d’amabilités consensuelles et de congratulations co-respectives, où la Cour accueille ses nouveaux membres (on dit “les installe”) et fait le bilan de l’année écoulée. On s’y ennuie ferme (c’est à l’occasion d’une telle audience solennelle que le président de la République a lancé sa formule des “petits pois”), et le président de Harlay aurait pu lancer sa célèbre formule : “Si ces messieurs qui parlent voulaient bien ne pas faire plus de bruit que ces messieurs qui dorment, cela permettrait peut-être à ces messieurs qui écoutent d’entendre”.

Mais cette année, le mécanisme a connu des couinements inattendus et de ce fait réjouissants.

L’audience commence par un discours du premier président, qui après une brève introduction, cède la parole au procureur général, qui demande au premier président d’installer les nouveaux venus, ce qu’il fait après avoir vanté leurs mérites, puis reprend la parole pour son bilan de l’année passée. Le premier président reprend la parole et termine ensuite son discours.

Cette année, la cour accueillait trois nouveaux présidents de chambres nommés par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Si le Conseil nomme au rang de président de chambre, c’est le premier président qui décide qui va où. Mais le premier président siégeant au CSM, il n’y a pas de suspens. Ainsi, Jacques Mouton, avocat général à la cour de cassation depuis sept ans, affecté au parquet de la chambre criminelle, après toute une carrière passée au parquet, était censé prendre la présidence de la chambre criminelle de la cour, celle qui juge les pourvois en matière pénale. À tel point que le procureur général s’est permis dans son discours de féliciter par avance ses futurs collègues.

M. Jacques Mouton, M. Christian Charruault, M. Dominique Loriferne, si nos usages et nos traditions confient à Monsieur le Premier président, le soin de rappeler vos mérites éminents que le Conseil supérieur de la magistrature a distingués, je tiens toutefois ici à vous adresser, avec le parquet général de cette Cour, mes plus chaleureuses félicitations pour votre nomination aux prestigieuses fonctions de président de Chambre. Vos parcours, marqués par l’excellence, sont différents. Pour vous, Christian Charruault et Dominique Loriferne, ils sont enracinés dans la fonction de juge, que vous incarnez avec éclat. Pour vous, Jacques Mouton, c’est dans l’exigente culture parquetière, jusqu’au ministère public de cette Cour, que vous avez forgé votre identité de magistrat, votre science du droit et de la procédure pénale. Nul ne doute que vous réussirez, chacun, pleinement, dans l’exercice de ces belles et passionnantes fonctions de président, menée avant vous, avec talent, par Messieurs Pierre Bargue, Jean-Louis Gillet et Hervé Pelletier, qui cèdent aujourd’hui leur place et à qui je rends également hommage en cet instant.

Mal lui en prit.

Car, si le premier président rappela bien les mérites des nouveaux présidents, après avoir fait lire le décret de nomination par le directeur de greffe de la Cour, il annonça :

Par ordonnance de ce jour :
- M. Christian Charruault est affecté à la présidence de la Première chambre ;
- M. Dominique Loriferne, à celle de la 2e chambre ;
- M. Jacques Mouton, à la direction du service de documentation, des études et du rapport, M. Bertrand Louvel prenant la présidence de la chambre criminelle.

Petit tour de passe-passe : le presidentus designatus de la chambre criminelle va à la Documentation, et le directeur de la documentation devient président de la chambre criminelle. D’après mes taupes, personne ou presque n’était au courant.

Pourquoi ce pronunciamiento ? Il ne saurait s’agir d’une sanction pour Jacques Mouton, magistrat très estimé par ailleurs, et aux mérites certains. La seule explication qui me vienne est que Jacques Mouton est un pur parquetier : il n’a jamais occupé de fonction de juge (on dit “au siège”, les juges étant assis quand ils parlent), et cette fonction de président de la chambre criminelle aurait été ses premières fonctions à ce poste. Tandis que Bertrand Louvel, lui, est au contraire un pur magistrat du siège, très réputé pour son indépendance d’esprit. D’un côté, un magistrat qui n’a jamais été indépendant dans ses fonctions de par leur nature, de l’autre, un électron libre. C’est le second qui va présider la chambre criminelle. Sans exagérer l’influence d’un président sur l’orientation de la jurisprudence (elle existe mais le président ne fait pas la pluie et le beau temps Quai de l’Horloge), il y a là un message, peut-être un avant-goût des conséquences de l’arrêt Medvedyev de la grande chambre de la cour européenne des droits de l’homme (mais si, vous savez, l’affaire du ”Winner”) attendu dans les semaines qui viennent ? En tout cas, un coup de théâtre à la cour de cassation étant aussi rare qu’un visage sans Botox dans le 16e arrondissement, je me réjouis de ce petit vent de liberté qui a soufflé quai de l’Horloge.

Mais ce ne fut pas le seul.

Remis de sa surprise, le procureur général reprit le fil de son discours. Et il ne fut pas en reste. C’est à la réforme de la procédure pénale en cours qu’il s’en prit. Annoncée dans le même lieux un an plus tôt devant le premier président par le président premier, les hauts magistrats n’avaient pas pu réagir. Mais telle la mule du pape qui retient son coup (avec cette précaution de ne pas attendre sept ans, louable prudence quand on a l’âge d’être à la cour de cassation) pour mieux le donner, le procureur général a illustré que même aux audiences solennelles, la parole du ministère public est libre. Il parla ainsi du projet de suppression du juge d’instruction (comme il le rappelle trèsjudicieusement : du juge d’instruction et non de l’instruction elle même, confiée au parquet.

Rappelons d’abord qu’au soutien de la suppression de la juridiction d’instruction, le principal argument, depuis longtemps présenté comme irréfutable, est qu’on ne saurait, comme la loi l’impose actuellement, instruire à charge et à décharge. Cet argument, la Commission Léger l’a repris à son compte en soulignant que le juge d’instruction, depuis sa naissance, vit toujours dans l’ambiguïté de sa double fonction. Mais elle a aussi balayé cet argument pour faire peser sur le parquet cette même obligation d’instruire à charge et à décharge. Ne faut-il donc pas craindre que l’ambiguïté, si elle existe, ne soit simplement transférée ?

Loin de moi cependant l’idée que l’institution ne doit pas évoluer. Je crois pour ma part, avec la Commission Léger, que le juge d’instruction du XXIème siècle n’a plus rien de commun avec le magistrat né, voici deux siècles, du code d’instruction criminelle, au point qu’il est légitime de reconsidérer la fonction. Je dis bien la fonction puisque c’est du juge qu’il s’agit et non de l’instruction dont personne n’envisage la disparition. Or, comparé à son lointain collègue du début du XIXème siècle, ce juge qui était peut-être, selon Balzac, l’homme le plus puissant de France, n’est-il pas aujourd’hui surtout le plus seul, voire le plus isolé ?

Solitude face à la complexité d’un code de procédure pénale toujours plus dense, au point qu’il réunit plusieurs codes en un seul, au point aussi qu’il génère la crainte récurrente de commettre une nullité à chaque pas et, partant, expose le juge au risque de détourner son attention vers des exigences purement formelles. Solitude face à une défense parfaitement en droit de s’organiser collégialement avec le souci légitime de ne laisser passer aucune des erreurs de procédure que le juge pourrait commettre ou laisser passer.

Solitude face aux médias dont l’irruption dans le procès pénal, aussi sacrée que soit la liberté d’informer, n’est pas toujours sans incidence sur le déroulement d’une procédure. Solitude face à l’opinion, curieuse et prompte à s’émouvoir, voire à s’enflammer, mais peu à même de comprendre la chose juridique. Solitude enfin, il faut bien le dire, face au ministère public, maître de la saisine du juge, au point que celle-ci est devenue résiduelle. Si la collégialité est une force, nul doute que celle-ci se trouve aujourd’hui du côté des parquets, structurellement organisés pour répondre aux pressions que je viens d’évoquer.

Et même si la qualité, la compétence et le dévouement des juges d’instruction ne sont pas en cause, n’est-il pas temps de considérer les mesures à envisager pour que soit toujours assurée la qualité de la justice à laquelle sont en droit de prétendre nos concitoyens ? Et si cette qualité exige maintenant une répartition différente des responsabilités, si elle se trouve du côté d’un élargissement des pouvoirs du parquet et d’un renforcement du contrôle par le juge, alors pourquoi ne pas l’envisager ? C’est ce qui me conduit à dire que le rapport Léger va dans la bonne direction.

in cauda venenum :

Encore faut-il être certain que la réforme, dont ne sont actuellement dessinés que les contours, franchira les obstacles dressés sur un parcours loin d’être achevé. Je veux parler, bien sûr, d’obstacles juridiques, même si le premier d’entre eux est aussi de nature politique, puisqu’il s’agit du statut du ministère public.

Je me garderai bien évidemment, depuis ce siège, de porter la moindre appréciation à cet égard. Ce n’est pas mon domaine. Mais si l’on regarde la chose d’un point de vue strictement juridique, ne faut-il pas s’inquiéter de la conformité aux principes constitutionnels qui nous gouvernent des pouvoirs nécessairement renforcés d’un parquet en charge de l’instruction des affaires pénales?

C’est que, contrairement à bien des idées reçues, la Constitution ne place pas explicitement, en son article 64, le ministère public parmi les composantes de l’autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle. C’est une difficulté que le Conseil constitutionnel a heureusement résolue par une jurisprudence jamais démentie jusqu’à ce jour, en jugeant le 11 août 1993 que “l’autorité judiciaire qui, en vertu de l’article 66 de la Constitution, assure le respect de la liberté individuelle, comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet”.

Mais que savons nous de la pérennité de cette analyse appliquée à un parquet en charge exclusive de l’instruction des affaires pénales ?

Le Conseil constitutionnel se montre en effet plus que vigilant à l’égard du contrôle et de la direction d’actes susceptibles d’entraîner des atteintes excessives à la liberté individuelle, actes dont l’initiative pourrait revenir au seul parquet. Et ne faut-il pas aussi s’attendre, dans cette nouvelle configuration, à voir se durcir la jurisprudence, certes indirecte et non définitive, par laquelle le juge de Strasbourg en vient à contester au parquet actuel le statut d’autorité judiciaire?

À ce stade du discours, le président du Conseil constitutionnel, présent dans la salle, a redemandé un verre de petit lait.

L’obstacle ici, n’est plus politique mais bien juridique et, pour ce qui me concerne, sauf à éloigner le ministère public du statut de la magistrature, ce que ne propose heureusement pas le rapport Léger, je ne vois pas comment il sera franchi sans que soit, tôt ou tard, reconsidéré le statut du parquet, sous peine de laisser perdurer une contradiction majeure dont la validation constitutionnelle et européenne paraît bien problématique.

L’arrêt Medvedev, toujours, qui annonce un coup de tonnerre dans le ciel juridictionnel français.

Mon souhait est que les paroles du Premier président Aydalot ne prennent pas une dimension prophétique quand, il y a maintenant quarante années, il s’inquiétait ici même de voir “le parquet rejeté dans les ténèbres extérieures”.

Un second obstacle se dessine, tout aussi difficile. Notre pays a connu, depuis le plus que centenaire arrêt Laurent-Athalin[1] jusqu’aux dernières lois renforçant les droits des victimes, une évolution favorable à ces dernières, dont la place dans le procès pénal, il faut bien le dire, n’a pas toujours été à la hauteur de leurs légitimes aspirations. Nul ne sait vraiment par quelle institution, par quelle procédure, ce droit ne subira aucune régression dès lors que, par définition, avec la suppression du juge d’instruction, disparaîtra la possibilité de mettre en mouvement l’action publique par le moyen d’une constitution de partie civile devant lui.

Le rapport Léger propose que le juge de l’enquête et des libertés ordonne au parquet d’enquêter sur les faits que lui dénoncerait une victime mais dont il aurait refusé de se saisir. Je ne vois pas comment ce dispositif pourrait, ne serait-ce qu’en termes d’apparence, constituer un substitut valable à l’actuelle constitution de partie civile devant le juge d’instruction.

Et voici le moment de la charge sabre au clair :

L’injonction de faire donnée par le juge au parquet qui ne voudrait pas faire paraît à cet égard bien illusoire. Quels seront les droits effectifs de la victime face à un refus de déférer à une telle injonction ? Et surtout, ce qui est pire, quels seront ses droits face à un parquet qui, sans opposer de refus explicite d’instruire, pourra, même sans faire volontairement preuve d’inertie, opposer qu’il est saisi de quelques dizaines ou centaines de milliers d’affaires ? Je suis en tout cas bien obligé de dire, sur ce point, ma totale incapacité, aujourd’hui, à suggérer le dispositif qui pourrait constituer ce substitut valable sans recourir à ce qui ressemblerait à un rétablissement de la juridiction d’instruction, sauf à amoindrir les droits des victimes, ce que personne n’envisage.

Admirez l’habileté consistant à dire “je suis d’accord avec le rapport léger qui reprend servilement la pensée présidentielle va dans la bonne direction ; mais le fait est qu’il dit n’importe quoi”.

Ce n’est pas encore la révolte des petits pois, mais après les récits désabusés de magistrats de province racontant comment les chefs de juridiction ont souvent tout fait pour neutraliser les velléités de protestation des magistrats à l’occasion des audiences solennelles (voir ce billet de Justicier Ordinaire par exemple), le fait que les plus hauts magistrats montrent l’exemple de l’indocilité, même si ça reste mesuré et que parvenu à ce niveau, ils ne risquent plus rien, permettez-moi de trouver une petite odeur de printemps dans cette brise qui souffle sur les bords de Seine.


Le discours du premier président Lamanda. Le discours du procureur général Nadal.

Notes

[1] Crim. 8 déc. 1906, Bull. n° 443 : c’est l’arrêt qui, bien avant la loi, a consacré le droit de la victime de mettre en mouvement l’action publique en saisissant elle même le juge d’instruction. C’est l’acte de naissance du droit des victimes, qui jusqu’à présent étaient soumises au bon vouloir du parquet.

lundi 11 janvier 2010

Schadenfreude

C’est par dizaines que vous me l’avez signalé ; donc, ne serait-ce que pour mettre fin au flux, j’en prends acte officiellement.

L’un des objectifs de ce blog depuis son ouverture a été de créer un espace de dialogue, particulièrement entre avocats et magistrats, tant nos deux professions se connaissent mal (j’espère pouvoir un jour employer l’imparfait pour écrire cette phrase), ce qui est source de malentendus dans les deux sens, tant les préjugés et idées reçues sont promptes à se glisser dans les places laissées vides par l’ignorance.

De ce point de vue, je ne puis que me réjouir que des membres de nos deux professions passent un jour de l’une à l’autre. Mme Michèle Bernard-Requin, que l’on voit dans le documentaire de Raymond Depardon “10e chambre”, est une ancienne avocate devenue magistrate. Bruno Thouzellier, ancien président de l’Union Syndicale des Magistrats (USM) en 2006, organisation majoritaire chez les petits pois, honore à présent le barreau de Paris de sa présence. Ca ne peut être qu’une bonne nouvelle.

Puisque ça ne peut être qu’une bonne nouvelle, je n’ai donc d’autre choix que de me réjouir de l’annonce de l’arrivée prochaine au sein de notre barreau de madame Rachida Dati, magistrate détachée (poste qu’elle occupe avec talent), maire du 7e arrondissement de Paris, et député européen, du moins quand la presse est là. A ce propos, on me demande régulièrement comment je fais pour mener de front mon activité d’avocat et ce blog, pour ma part, je me trouve limite fainéant comparé à mon futur confrère ou à mon autre confrère Jean-François Copé, qui à côté de son activité d’avocat, trouve aussi le temps d’être maire de Meaux, président de la communauté de communes du pays de Meaux, député, président du groupe UMP à l’assemblée, et qui a même réussi à caser dans son agenda la rédaction d’un rapport sur l’audiovisuel public. En fait, on ne devrait pas me demander comment je trouve le temps de tenir mon blog mais pourquoi je ne fais que tenir un blog en plus de mon activité d’avocat.

Je n’ose me lancer dans un panégyrique des mérites de ma future consœur, car pour être fidèle à ma réputation, je dois faire un billet long. Son arrivée au sein de notre grande famille confraternelle me permet toutefois d’aborder une question qu’en plus de cinq ans, je n’ai jamais traitée : comment devient on avocat, et pourquoi autant d’hommes et de femmes politiques de tous bord choisissent-elle d’embrasser cette belle carrière ?

Comment ?

La voie normale pour accéder à la profession est de passer l’examen d’accès aux Centres Régionaux de Formation Professionnelle des Avocats (CRFPA), au nombre de 15 pour toute la France[1]. C’est cet examen, qui s’apparente à un concours du fait que chaque fac a un numerus clausus d’étudiants à y envoyer, est la vraie sélection. Il est ouvert aux étudiants en droit titulaires d’un master I en droit (diplôme sanctionnant quatre années d’étude) ou d’un diplôme reconnu comme équivalent ; à ma connaissance, il n’y en a qu’un, le diplôme de Science Po Paris mention “carrières judiciaires et juridiques et droit économique”.

Cet examen se divise en deux parties : l’admissibilité, qui est le gros écrémage, est la partie écrite. Il y a une note de synthèse de cinq heures (vous avez un gros dossier documentaire, vous devez en faire une synthèse organisée sur quatre pages), deux compositions juridiques, une en droit des obligations (l‘alma mater du droit) et une dans une discipline au choix parmi les trois procédures civile, pénale et administrative, un cas pratique de trois heures sur une matière au choix[2].

Ceux qui ont la moyenne sur l’ensemble de ces épreuves passent l’admission, constitué d’épreuves orales, toutes publiques, au nombre de cinq : un oral sur une des matières non choisie pour la composition écrite, un oral de pocédure communautaire OU voies d’exécution (matière qui ne traite pas de fusillade, pendaison et guillotine mais de saisies et adjudications), un oral de comptabilité privée OU de finances publiques, un oral de langue étrangère et enfin le redoutable Grand Oral (Prononcer Grand Toral), ou grand O (prononcer Granto) : une demi heure face à un professeur de droit, un avocat et un magistrat, 15 minutes sur un sujet tié au sort que vous aurez préparé pendant une heure en bibliothèque avec accès à tous les codes et lois, et 15 minutes sous la mitraille des questions du jury qui vise non pas à voir l’étendue de vos connaissances mais à voir comment vous réagissez sous la pression, vous sortez des pièges qui vous sont tendus et comment vous réagissez face à une question dont vous ne connaissez pas la réponse — même si en ce qui me concerne, le jury n’a pas réussi à trouver cette question en une demi heure (sourire satisfait).

Source : Arrêté du 11 septembre 2003 fixant le programme et les modalités de l’examen d’accès au centre régional de formation professionnelle d’avocats.

Cet examen réussi, vous vous inscrivez à un Centre Régional de Formation professionnelle des Avocats où vous suivrez une scolarité de 18 mois (vous êtes élève avocat), divisée en trois parties : 6 mois de formation théorique portant notamment sur le statut et la déontologie professionnels, la rédaction des actes juridiques, la plaidoirie et le débat oral, les procédures, la gestion des cabinets d’avocats ainsi que sur une langue vivante étrangère. 6 mois de projet pédagogique individuel (PPI), pouvant être porté à 8 mois, qui doit être un stage extérieur au monde de la justice, et enfin six mois de stage en cabinet d’avocat, rémunéré entre 700 et 1000 euros par mois selon la taille du cabinet.

Au terme de cette formation, l’élève avocat passe le Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (CAPA), et vous n’avez plus qu’à vous inscrire à un Barreau (ce qui au préalable impose de justifier d’un domicile professionnel dans le ressort du Barreau) et à prêter devant la première chambre de votre cour d’appel le magnifique serment des avocats : je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignitié, conscience, indépendance, probité et humanité.

L’avocat peut à présent faire connaissance de ses nouveaux amis toujours fauchés : l’URSSAF[3], le RSI[4], la CNBF[5], outre l’Ordre et sa RCP[6] et le Trésor Public[7].

Est-ce à dire que Mme Dati a brillamment réussi ce difficile examen a achevé en 6 mois une scolarité qui en dure 18 ? Naturellement, non.

Mme Dati a déjà démontré que les examens, elle aimait autant s’en passer. Après avoir évité de passer le concours d’accès à l’école nationale de la magistrature (ENM) grâce à son quasi-MBA, il était tout à fait naturel qu’elle prétât serment en empruntant un chemin de traverse, celui là même qu’ont suivi Noël Mamère, Christophe Caresche, Dominique de Villepin, Ségolène Royal, Frédéric Lefebvre, et Jean-François Copé entre autres : celui de la passerelle des art. 97 et 98 du décret du 27 novembre 1991 organisant la belle et noble profession d’avocat (titre approximatif). Sont en effet dispensés de tout examen et formation et peuvent directement prêter serment après accord du Conseil de l’Ordre toute une série de personnes, soit de par leur profession (art. 97) soit de par leur expérience (art. 98).

Et tel est le cas des magistrats de l’ordre judiciaire (art. 97, 3°), ce qu’est Madame Dati nonobstant son détachement en date du 21 août 2007, détachement qui à ma connaissance n’a pas pris fin ce qui peut d’ailleurs poser problème, puisque le détachement ne fait pas perdre la qualité de magistrat (la mise en disponibilité, si, provisoirement), les fonctions d’avocat et de magistrat étant incompatibles, mais cette question concerne le Conseil Supérieur de la Magistrature et non le Conseil de l’Ordre des avocats de Paris.

Pourquoi ?

Croyez-moi, je me la suis posé, cette question, en sanglotant d’abondance. Je n’ai aucune réponse définitive à apporter. J’aime à croire que le prestige de notre profession y est pour un peu. Plus prosaïquement, la carrière politique est soumise à certains aléas, qui relève selon la catégorie du politicien de la fidélité de ses électeurs ou de la disgrâce du Prince. Et si gouverner c’est prévoir, vouloir gouverner impose la même obligation. D’où le cumul des mandats, qui fait que quand l’un cesse, il reste l’autre pour se consoler. Il n’y a pas de statut de l’élu en France, et hormis pour les parlementaires, il n’existe pas de caisse de retraite ou de parachute doré (même si la République est bonne fille et est experte pour recaser les élus déchus). La profession d’avocat donne une perspective post-vie politique.

En outre, la profession d’avocat, ce n’est pas que la plaidoirie devant les juges. À Paris, et à Nanterre dans le ressort duquel se trouve la Défense, la majorité des avocats ne mettent jamais la robe et ne voient jamais le nez d’un juge. C’est l’activité de Conseil, ou juridique opposé au judiciaire (comme si le judiciaire n’était pas juridique !), ou encore les avocats d’affaire, qu’un dicton ancien et affectueux au sein du Barreau définissait comme “ceux qui n’en ont pas”, d’affaires. C’est cette activité que mes illustres nouveaux confrères entendent exercer, que les justiciables se rassurent. Car la profession d’avocat, dont l’exercice simultané avec des mandats politique n’est pas incompatible (j’y reviens), permet de monétiser tout à fait légalement l’actif le plus précieux d’un élu : ses connaissances du fonctionnement de la machine de l’État, et son carnet d’adresses. Souvent il faut négocier avec des administrations ou des établissements publics où la hiérarchie est hors d’atteinte (la seule fois que j’ai été face à un préfet, c’était le jour où il venait présenter ses compliments à la juridictions administrative qui allait lui pourrir la vie, , ayant pris son poste il y a peu. J’étais dans le hall, attendant le début de l’audience de reconduite à la frontière, et, après avoir serré la main des policiers de l’escorte dont il est le supérieur hiérarchique, il m’a salué d’un cordial “Puisque vous êtes là, il faut bien que je vous salue”. Authentique.

Les élus, eux, ont le numéro de portable du préfet qu’ils tutoient même peut-être. Ou de tel directeur du Trésor apte à négocier un redressement délicat. Ou même déjeunent avec le ministre en charge du dossier. Ou peuvent rapidement obtenir les coordonnées du conseiller en charge. Etc.

Je vous vois froncer les sourcils. Les plus pointus d’entre vous murmurent peut être même les mots “trafic d’influence”. Précisément, l’avocat est encadré par sa déontologie (qui est rigoureuse, vous allez voir) et sait jusqu’où il peut aller. Négocier directement avec les administrations, si possible en sautant par dessus l’agent de guichet, c’est aussi le travail de l’avocat. À Bercy, ça se fait au quotidien. Vous croyez que les contribuables figurant sur la fameuse liste des 3000 évadés fiscaux vont aller en personne voir leur percepteur leur carnet de chèque UBS à la main ? Une armée de fiscalistes s’occupe de leur cas pour négocier au mieux leur venue à Cannossa. C’est à dire le montant du chèque qu’ils signent pour qu’on leur fiche la paix : pas de redressement, pas de poursuites. C’est parfaitement légal. Et un élu ou ancien élu, pour ce genre de travail, c’est aussi utile qu’un juriste élevé au Code Général des Impôts (sous la réserve déontologique ci-dessous).

Voilà le genre d’activité auxquels ceux qui exerceront réellement la profession se livreront. Je ne pense pas voir Mme Dati dans les couloirs du palais, sauf si je la croise au sortir de sa prestation de serment.

Est-ce à dire que Mme Dati pourra être commise pour défendre un récidiviste contre une éventuelle peine plancher ?

Comme j’aimerais, même si je ne sais si je dois le souhaiter ! Hélas, c’est rigoureusement impossible. Je doute que le pénal intéresse Mme Dati, elle a passé ces dix dernières années à la démontrer, et à Paris, seuls les volontaires peuvent être commis d’office, et après avoir suivi une formation spécifique. De plus, le règlement intérieur du Barreau de Paris prévoit (art. P. 41.5) qu’un avocat ancien fonctionnaire ne peut conclure ni plaider contre les administrations ressortissant au département ministériel auquel il a appartenu, pendant un délai de cinq ans à dater de la cessation de ses fonctions. Et comme je l’ai déjà signalé, à ce jour, Mme Dati n’a pas officiellement cessé ses fonctions. Cependant, je ne sais pas si l’Ordre estime que plaider face au ministère public revient à plaider contre l’administration dont on relevait. Le ministère public n’est pas le ministère de la justice ; c’est le représentant de la société devant les tribunaux. C’est très différent. j’ajoute que mon confrère Bruno Thouzellier, qui n’a décousu ses simarres qu’en 2008 est en charge d’un département pénal des affaires dans son cabinet, ce qui le conduit à être opposé au ministère public. Cela semble donc possible. Si un membre du Conseil de l’Ordre passe par là, ses lumières seront les bienvenues.

S’agissant de ses mandats électifs de maire de Paris 7e et député européen, dont on sait le sérieux avec lequel elle les exerce, c’est l’article P.41.2 qui s’applique. Le cumul des mandats va ici sérieusement réduire le champ d’activité de ma future consœur : elle ne peut toucher à aucun dossier concernant l’État et ses émanations, les institutions européennes, les collectivités publiques que sont les régions, les départements, les communes, dont la ville de Paris et ses établissements. Ca fait du monde. Mais elle peut par exemple conseiller la maison Dior.

Mais je ne doute pas que le cabinet où elle va exercer, l’AARPI[8] Sarrau Thomas Couderc ai-je cru comprendre trouvera à l’occuper. Elle y retrouvera son ancien collègue Bruno Thouzellier, dont je vous parlais plus haut. Ils auront, j’en suis sûr, plein de choses à se dire.

Notes

[1] Ils se situent à Paris, Versailles, Lille, Strasbourg, Villeurbanne, Marseille, Montpellier, Toulouse, Bordeaux, Poitiers, Rennes, Bastia, Sainte-Clotilde (La Réunion), Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) et Fort-de-France (Martinique).

[2] Choisie parmi les suivantes : - droit des personnes et de la famille ; - droit patrimonial ; - droit pénal général et spécial ; - droit commercial et des affaires ; - procédures collectives et sûretés ; - droit administratif ; - droit public des activités économiques ; - droit du travail ; - droit international privé ; - droit communautaire et européen ; - droit fiscal des affaires.

[3] Ce sont les allocations familiales que vous financez.

[4] Régime Social des Indépendants, l’assurance maladie.

[5] Caisse nationale des Barreaux Français, la caisse de retraite des avocats.

[6] Responsabilité Civile Professionnelle obligatoire, de l’ordre de 1200 euros par an à Paris.

[7] Impôt sur le Revenu, Taxe professionnelle, TVA.

[8] Association À Responsabilité Professionnelle Individuelle ; prononcer “Harpie”.

samedi 2 janvier 2010

Audience de rentrée 2010

par Sub lege libertas


La parole est au représentant du Ministère Public :

Au commencement de cette nouvelle année, conformément à l’article R111-2 du code de l’organisation judiciaire, les procureurs s’en vont requérir la clôture de l’année judiciaire 2009 en audience solennelle devant leur juridiction. Aussi,

Chers lecteurs justiciables virtuels,

Mes chers maîtres, leurs auxiliaires en justice, au premier rang desquels je salue Eolas comme Bâtonnier virtuel désigné,

Mes chers collègues magistrats du siège et du parquet,

Moi Sub lege libertas, je me lève pour rêver à voix haute, c’est à dire selon la définition d’Eolas requérir, l’ouverture de l’année judiciaire 2010. Il n’est plus temps de dresser le bilan de l’an passé, sauf à rappeler la litanie des turpitudes qui firent tanguer la nef judiciaire, liste noire oublieuse de petits moments de justice silencieux : tous nous eûmes alors, fugacement peut-être, le sentiment malgré tout que si la justice est hélas un ministère, elle reste une vertu républicaine.

Mais de la vertu, on ne perçoit la nécessité que dans l’outrage qui lui est fait. Les bons juges à la Paul Magnaud sont plus nombreux qu’il n’y paraît, mais il manque aujourd’hui un Clémenceau pour les louer. Le temps est à la fustigation, on préfère chasser le petit juge. Maître Eolas a justement rappelé qu’au fond, la seule exigence dont est comptable l’agent de justice c’est la motivation rigoureuse des ses actes dans le respect de la procédure. Maudire le juge ou le procureur soulage, mais ne répare pas l’outrage qui peut avoir été fait à la justice. Comme le disait un vieux président de Cour d’assises au condamné après le prononcé de sa condamnation : “Monsieur vous avez la nuit pour maudire cette cour ; mais à compter de demain il vous reste cinq jours francs pour vous pourvoir en cassation. Passé ce délai, vous n’y serez plus recevable” [1]

Certes la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration, comme le rappelle l’article 15 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789. Mais en justice, ce compte rendu l’est sur le fond des dossiers par l’exercice des voies de recours (appel, cassation, saisine de la Cour européenne des droits de l’homme) ; et au delà, si le comportement du magistrat se fait oublieux des devoirs de son état, par la voie disciplinaire. Formons donc le voeux, puisque l’heure est à ce rituel propitiatoire, que 2010 voit s’éloigner l’usage du pilori médiatique à l’encontre des gens de justice, magistrats ou avocats, qui ont l’heur de déplaire. Souhaitons si leur actes suscitent mécontentement ou réprobation, qu’on s’en remette aux voies de droit pour les contester ; mieux même, qu’on attende pour critiquer, au moins le temps de la réponse apportée au recours formé.

Que de publicité donnée à telle décision - sans doute critiquable - mais quel silence sur l’absence de recours exercé ou sur son infirmation par les juridictions de contrôle. Mais me direz vous, le contrôle est parfois défaillant . Oui, la justice non seulement est un ministère, mais c’est aussi une institution humaine, donc faillible, ce qui n’échappe pas même aux papes de la chronique judiciaire. Formons donc le voeu secondaire que ceux qui déterminent au nom de la Nation les principes et les moyens du fonctionnement de la justice, au lieu de participer parfois à la curée contre les magistrats ou les avocats, rendent eux aussi compte publiquement de la sincérité des budgets votés, des besoins réels de la justice, de l’évaluation des textes votés à la hâte, empilés sans logique ni décret d’application... Les juges, leur cul sur les lys effilochés des tapisseries leurs altiers fauteuils vermoulus, ne font qu’appliquer la loi sans la maudire, ni rêver du temps jadis où il parlementait pour l’enregistrer ou régler par arrêt pour l’avenir. En apostrophant vertement leur misère, la Nation et ses représentants ne font que détourner la tête de leur propres inconséquences.

Cessons la mercuriale, de peur que l’agronome nous rappelle que la mercuriale annuelle est une mauvaise herbe à retrancher et semons les bons grains de voeux judiciaires pour 2010 pour nous garder de l’ivraie.

Que 2010 soit donc d’abord l’année judiciaires des Libertés, étrangement accrochées en appendice au Ministère de la Justice par son nouveau Garde. Liberté par exemple de ne pas être suspect, c’est à dire suspecté pour ce qu’on est (par son vêtement, par sa religion, par son langage, par ses idées, par ses pulsions etc.) et non pour ce qu’on fait de répréhensible parce qu’on aurait retrouvé l’esprit de Saint Just qui voulut au comble de la Terreur et jusqu’à en perdre la tête qu’on jugeât suspects “ceux qui n’ayant rien fait contre la Liberté, n’ont rien fait pour elle !”. Liberté pour la justice donc de peser sereinement les charges et leurs preuves.

Que 2010 soit aussi une année de l’égalité en justice. Egalité par exemple de tous devant son juge ou son procureur, non parce qu’on les morigénerait encore pour qu’ils y fussent plus attentifs; mais parce qu’on assurerait à tous que les choix de procédure ne relèvent pas d’une politique de juridiction, mot nouveau de la langue de chêne pour désigner la gestion comptable des flux de dossiers ; parce que tous saurait qu’une libre défense en justice a un coût et que l’on ne devrait y renoncer faute que ce coût réel soit assuré par la société quand le justiciable ne peut le faire.

Que 2010 soit enfin une année de fraternité judiciaire. Fraternité par exemple des citoyens libres et égaux en droit qui ne doivent pas être sommés d’aller demander à un juge de vérifier leur nationalité quand il n’ont jamais pensé en avoir une autre que celle de France, quoique leurs aïeux n’y soient pas nés. Fraternité qui fait que l’identité française ne doit être qu’une notion juridique qui se conjugue harmonieusement avec l’article 371 du Code civil qui impose aux enfants honneur et respect à l’égard de leur parents, de sorte qu’il n’y a pas à renoncer à la fierté de ses origines familiales pour avoir le droit d’être regardé comme français.

La déclinaison républicaine de voeux pour une justice libre, égale et fraternelle n’est pas un simple exercice de style convenu pour requérir que l’année judiciaire 2009 soit déclarée close, que l’exercice 2010 soit ouvert, qu’il soit donné acte qu’il a été procédé conformément à la loi, procès verbal étant dressé pour être versé au rang des minutes du Tribunal. C’est un appel, loin du tumulte de l’opinion, pour que tous les gens de justice continuent un peu à oublier que la justice est une administration, pour mieux espérer avoir les moyens d’en approcher les vertus de concorde civique.

Bonne année à tous.

Notes

[1] (à l’époque, il n’y avait pas l’appel et son délai de dix jours).

lundi 2 novembre 2009

Un moment de justice

Je ne suis pas le dernier à critiquer la justice quand j’estime qu’elle faillit à sa mission, aussi difficile soit-elle. Je me dois donc aussi de saluer ses réussites, surtout quand elles sont inattendues.

Je craignais le pire avec le procès de Francis Évrard devant la cour d’assises de Douai, la semaine dernière. Tous les ingrédients étaient réunis pour faire dérailler le procès.

La médiatisation à outrance : on se souvient que la disparition de la victime, en août 2007, peu de temps après les élections présidentielles et législatives, a été suivie en direct par la France entière, à l’occasion d’une Alerte Enlèvement.

Les faits, qui sont de nature à déchaîner les passions : un pédophile, le prédateur absolu de notre temps, récidiviste, alors que le parlement discutait la loi sur les peines planchers, une victime âgée de 5 ans. 

Certains hommes politiques n’ont d’ailleurs pas hésité longtemps à surfer sur la vague médiatique de l’abject. Castration chimique obligatoire ici, quand bien même on sait qu’elle a des effets secondaires très lourds sur la santé et qu’elle est inadaptée dans bien des cas (dont celui d’Évrard), et castration physique de l’autre ; les testicules de Francis Évrard on eu droit à l’attention des plus hautes autorités de l’État.

Et pourtant, ces vents mauvais se sont arrêtés à la porte de la salle d’audience. Conjonction du père de la victime qui a fait preuve d’une grande dignité depuis le début de cette affaire, d’un accusé qui reconnaît sa responsabilité, d’un président, Michel Gasteau, d’un avocat général, Luc Frémiot, et de deux avocats, Emmanuel Riglaire pour la partie civile et Jérôme Pianezza pour la défense qui ont su donner à ce procès la sérénité dont il avait besoin.

Avec comme résultat l’impossible équilibre qui a été trouvé, une décision qui satisfait tout le monde : 30 ans de réclusion criminelle dont 20 de période de sureté, ce qui signifie que Francis Évrard ressortira au mieux à 81 ans. La défense combattait la peine d’élimination de perpétuité qui était requise, et la victime voulait simplement être sure que plus jamais il ne pourrait nuire. On est loin des surenchères politiques sur cette affaire. Je tenais à rendre modestement hommage aux acteurs de ce procès.

Ce qui ne signifie pas que la Justice doit s’enorgueillir de cette affaire. Du procès oui, de l’affaire, non. Le père de la victime a annoncé son intention d’attaquer l’État en responsabilité et il a mille fois raison. Car ce drame a été rendu possible non par l’incurie de quelques-uns, cette fois, pas de juge d’instruction tête-à-claque pour servir d’exhutoire, mais par le fonctionnement normal de l’institution, normal au sens de : ce dossier a été traité comme tous les autres. 

Vous m’entendez et m’entendrez régulièrement ici pester contre le manque de moyens de la Justice. C’est tellement habituel pour les acteurs de la justice que la réponse consiste le plus souvent à soupirer que décidément, on ne pense qu’à ça et que de toutes façons on en aura jamais assez (donc autant ne pas nous en donner du tout, on fait des économies). 

Alors si vous voulez voir ce que ça donne, ce fonctionnement à l’économie de bouts de chandelles, à l’anémie de personnel et aux réformes bricolées sans recul, installez-vous confortablement.

Au cours des sept années qui ont précédé la libération de Francis Évrard, il a pu avoir trois rendez-vous par an avec un psychiatre. Un tous les quatre mois. Je vous laisse deviner quels résultats on peut espérer avec ce genre de prise en charge, si on peut appeler ça ainsi.

La CIP (Conseillère d’insertion et de Probation) qui suivait son dossier en prison a été incapable de lui trouver un logement pour sa sortie de fin de peine, après 20 années de détention (il a pour le moment passé 37 des 63 ans de sa vie en prison). Quelques structures existent, mais le genre de profil de Francis Évrard est refusé. Donc à sa sortie de prison, il est à la rue avec une liste d’hôtels, le 115 à appeler en cas d’urgence, et 4000 euros de pécule, 20 années d’économies. C’était en juin 2007, 2 mois avant son passage à l’acte. Voilà comment il a été libéré.

À sa libération, Francis Évrard est allé à Caen, puis à Rouen. Son dossier doit le suivre : il est libre de ses mouvements, mais doit les signaler au juge d’application des peines car il fait l’objet d’une “surveillance judiciaire”, création de la loi Clément, dite “Récidive I”, du 12 décembre 2005. Problème : le système informatique ne prévoit pas ce dispositif, le logiciel n’a pas été mis à jour de la loi. Cette loi si indispensable est d’ailleurs tellement appliquée que jamais le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de Rouen n’en avait eu un auparavant. Quant au dossier papier, il n’est jamais parvenu au service pénitentiaire d’insertion et de probation car il a été envoyé au juge d’application des peines. Résultat : le 10 juillet 2007, le SPIP de Rouen reçoit Francis Évrard… en ignorant tout de son dossier et notamment de l’obligation de suivre un traitement anti-hormonal auquel il est censé être astreint. La question de ses obligations ne sera pas abordée lors de cet entretien.

J’ajoute que ce genre de problème, je le constate quotidiennement. Dans mes dossiers devant le Juge d’application des peines, c’est toujours moi qui fournis au juge la copie du jugement de condamnation, et les pièces pénales du dossier qui peuvent éclairer le juge sur la personnalité du condamné et l’aider à prendre sa décision. Comment fait-on pour les condamnés qui, c’est la majorité, n’ont pas d’avocat au stade de l’exécution de la peine ?

Le dossier papier arrivera finalement quelques jours plus tard sur le bureau du juge d’application des peines (JAP), qui ignorait que le SPIP avait déjà convoqué l’intéressé (le JAP siège au palais de justice, car il a souvent d’autres fonctions judiciaires à exercer, le SPIP a ses propres locaux, car il relève de la Pénitentiaire). Mais il arrivera le jour de son départ en vacances. La période des services allégés fera que le collègue JAP de permanence, qui n’avait aucun moyen d’être alerté de ce dossier spécial, n’y touchera pas : il a déjà assez à faire avec les délais à respecter, les audiences à tenir, et les collègues à remplacer pour aller vérifier par curiosité le courrier non signalé de sa collègue. Le juge de l’application des peines ne découvrira ce dossier qu’à son retour de congés, mi-août… au moment où Francis Évrard récidive.

Voilà. Pas de juge fainéant, pas de fonctionnaire inattentif ou démissionnaire : Francis Évrard a été traité comme n’importe quel autre justiciable, et même plutôt mieux : il a été reçu par le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation de Rouen dans des délais très brefs, mais par un service matériellement incapable de faire quoi que ce soit. Et les personnes en charge de ce dossier, qui sont allées témoigner devant la cour d’assises, devront vivre avec la culpabilité d’avoir failli sans avoir pu faire quoi que ce soit.

C’est le fonctionnement ordinaire, quotidien de votre justice. Voilà, concrètement, ce qu’est le manque de moyens. Donc oui, j’encourage le père de la victime dans son action en responsabilité de l’État, que ce dernier paye le prix de ne pas vouloir donner à la justice les moyens qu’elle mérite. Et la prochaine fois que ces mêmes causes produiront les mêmes effets, on vous distraira encore en vous promettant de couper la tête du juge d’instruction ou les c… aux violeurs d’enfants. Ça, ça ne coûte rien : comptez sur le Gouvernement pour être généreux là-dessus.

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