Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 9 novembre 2012

Institut contre la justice

Par Gascogne


Lorsque je recherche la définition d’un “institut”, outre le côté beauté de la chose, je tombe le plus souvent sur la définition suivante : “établissement de recherches scientifiques et d’enseignement supérieur”. De manière assez étonnante, je n’arrive dès lors pas à comprendre comment l’Institut pour la justice peut relever d’une telle définition.

Non pas que je ne comprenne pas comment ses membres peuvent réfléchir à l’avenir de l’institution judiciaire française. Qu’ils le fassent comme n’importe quel autre citoyen est non seulement normal mais encore salutaire. Qu’ils le fassent par le biais de vidéos virales est pourtant déjà plus troublant. Est-il en effet besoin d’appeler tous les citoyens de France et de Navarre à témoins pour réfléchir sur les modifications à apporter au système judiciaire ? En dehors d’une élection démocratique, s’entend… Est-il besoin d’utiliser la douleur de la famille d’une victime pour mettre en avant sa propre conception de ce que doit-être le système judiciaire français ?

Il est bien évident que tout un chacun est en droit d’exiger un débat démocratique, même en dehors de périodes électorales, sur n’importe quel sujet, l’institution judiciaire n’échappant ni à la critique, ni à la discussion. Mais cela suppose que l’on accepte en retour la critique… de la critique. D’autant plus lorsqu’elle est systématique. Alors je dois reconnaître un certain étonnement lorsque j’ai appris que l’Institut pour la Justice avait diffusé sur son blog[1] un billet d’humeur suite au discours du président de l’Union Syndicale des Magistrats lors du congrès annuel de ce syndicat, en présence du Garde des Sceaux, et, fait exceptionnel, du Ministre de l’Intérieur, à Colmar.

Cette association, qui se veut proche des “victimes”, mais qui l’est surtout de partis politiques, a publié sur son site, avant même de l’avoir envoyé à son destinataire naturel, la lettre suivante :

Monsieur le Président,

Je me permets de vous écrire suite à votre discours lors du Congrès de l’USM, le 19 octobre dernier, à Colmar.

Je tenais à vous faire part de ma stupéfaction à la lecture de celui-ci. Vous n’avez, en effet, pas hésité à attaquer violemment l’Institut pour la Justice, en utilisant des mots particulièrement discourtois et mensongers à notre égard, évoquant « un discours populiste et extrémiste », « des amalgames pathétiques » ou des « voix qui tentent de faire croire qu’elles défendent les victimes ».

Je me permettrai de revenir sur le fond de vos attaques très rapidement, mais j’aimerais auparavant souligner une contradiction particulièrement manifeste dans votre discours. Après avoir invectivé publiquement et de manière éhontée l’Institut pour la Justice, vous ajoutez, dans votre discours, que vous croyez « au nécessaire dialogue républicain », que vous êtes « ouverts au dialogue et au compromis » et concluez par « nous préférons infiniment aux oppositions frontales du passé le débat d’idée ! ».

A la lecture de ces mots, je suis pris d’un sérieux doute sur votre sincérité et votre volonté de parvenir à un dialogue constructif, ce qui ne veut pas dire sans oppositions. En ayant recours à l’amalgame, l’invective et même la stigmatisation systématique, vous utilisez des procédés qui sont à l’opposé de vos déclarations et vous rapprochent de partis ou mouvements qui n’hésitent pas à recourir, eux, à des « discours populistes et extrémistes ». Vous critiquez les méthodes de certains syndicats de policiers à l’encontre de l’USM mais usez des mêmes procédés à notre égard. En ce sens, je dois reconnaître mon étonnement, pour ne pas dire plus.

Par ailleurs, vous faites une erreur – dont j’espère qu’elle n’est pas volontaire – en laissant croire que nos analyses sur les dysfonctionnements de la justice visent les magistrats. Si des critiques individuelles peuvent être faites à l’égard de certains magistrats, ce dont vous ne vous privez pas à l’égard de M. COURROYE, il n’en est pas moins vrai que les juges appliquent, plus ou moins strictement, les lois pénales décidées et votées par les pouvoirs exécutif et législatif.

Or, ce sont ces lois que nous dénonçons et que nous souhaitons voir modifier dans le sens des préoccupations et idées qui sont les nôtres. Je vous saurai donc gré de ne pas simplifier nos discours et nos propositions qui reçoivent, par ailleurs, le soutien de nombreux magistrats, professionnels et experts du monde judiciaire.

Vous revendiquez, et c’est une idée à laquelle nous ne sommes pas insensibles, l’instauration d’un véritable pouvoir judiciaire dans notre pays, symboliquement matérialisé par une réforme de notre Constitution. Or, je ne doute pas que comme nous, vous souscriviez à l’idée qu’il n’est de plus grand danger dans une démocratie, qu’un pouvoir sans contre-pouvoir.

La Justice est rendue dans notre pays au nom du peuple français. Sans céder à quelque populisme que cela soit, refuser d’entendre l’opinion publique ne peut être compatible avec la mission même de la Justice. Instaurer un pouvoir judiciaire digne de ce nom en France, nécessiterait dans le même temps que des contre-pouvoirs forts soient mis en place. Cette remarque s’applique d’ailleurs à l’ensemble de nos institutions, notre pays souffrant, sans aucun doute, de l’absence de véritables contre-pouvoirs.

La démocratie et l’information des citoyens sont un combat et une mission de chaque jour. Certes, nous sommes sans doute en désaccord sur l’orientation des réformes qui seraient nécessaires à notre système judiciaire, mais je vous prierai de ne pas recourir à des discours ou à des procédés que vous condamnez légitimement lorsqu’ils sont adressés à votre encontre.

Nous sommes tout à fait disposés à vous rencontrer et à multiplier les échanges avec l’Union Syndicale des Magistrats. Le débat démocratique a tout à y gagner à condition que les invectives ne soient pas l’instrument privilégié par votre organisation pour nous décrire.

Je crois qu’il était nécessaire que l’Institut pour la Justice vous fasse part de sa préoccupation à l’égard des propos qui sont les vôtres. Je ne doute pas que nous aurons l’occasion d’échanger à ce sujet.

Restant à votre disposition, je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’expression de mes salutations cordiales.

Alexandre GIUGLARIS Délégué général adjoint de l’Institut pour la Justice

L’IPJ s’est entendu faire la réponse suivante :

Monsieur le délégué général adjoint,

J’accuse réception ce jour de votre courrier du 25 octobre dernier qui m’est tardivement parvenu, mais dont je n’avais pas manqué de prendre connaissance, puisque vous l’avez concomitamment diffusé sur votre site internet sous forme de lettre ouverte.

Vous semblez me reprocher un passage du discours que j’ai prononcé en présence de Mme TAUBIRA et de M. VALLS à l’occasion du 38ème congrès annuel de l’USM à Colmar le 19 octobre dernier.

Je me félicite de l’intérêt que vous portez à nos travaux. Néanmoins, vous me permettrez de trouver inapproprié d’extraire quatre lignes d’un discours de 45 minutes en en modifiant le sens et la portée.

Après m’être félicité du discours respectueux du Ministre de l’Intérieur à l’égard des magistrats et de leurs décisions, ouvrant la porte à un travail serein et consensuel gage de succès dans la lutte contre la délinquance et la récidive, j’ai émis des inquiétudes quant aux oppositions de certains, tant au sein de la police qu’au sein de la magistrature, à cette attitude responsable.

J’ai ajouté : « D’autres voix, qui tentent de faire croire qu’elles défendent les victimes, mais véhiculent un discours populiste et extrémiste, les rejoindront. Comment ne pas condamner les derniers amalgames pathétiques diffusés sur internet, par ceux qu’il faudrait plutôt appeler ICJ, « l’Institut contre la Justice » ! »

Je conçois que ces propos vous soient désagréables, mais ils correspondent au ressenti de très nombreux collègues après les multiples attaques dont l’IPJ est coutumier à l’égard des magistrats.

Il m’avait en effet échappé que c’étaient les lois et procédures que vous contestiez et non les magistrats et leurs décisions. Le visionnage intégral des vidéos diffusées sur votre site internet, les raccourcis saisissants que vous opérez, les approximations et les amalgames flagrants prouvent qu’au-delà des lois, ce sont également les décisions de justice et ceux qui les rendent que vous attaquez. Vous êtes naturellement libre de penser ce que vous voulez des magistrats et fonctionnaires de greffe qui servent pourtant la justice avec abnégation et sans les moyens suffisants pour faire face à l’ensemble de leurs missions.

Vous avez le droit de porter des idées qui n’ont été efficaces dans aucun pays au Monde et de faire du lobbying pour les imposer dans notre pays.

Mais vous ne pouvez pas, comme vous le faites, systématiquement stigmatiser la Justice, laissant entendre que les magistrats, par esprit partisan, sont laxistes, font fi des victimes et favorisent en réalité les délinquants. Ou si vous le faites, acceptez au moins, sans vous victimiser, que ceux qui majoritairement représentent les magistrats fassent part publiquement de leur réprobation !

« La démocratie (j’ajouterai la séparation des pouvoirs et l’indépendance des magistrats) et l’information des citoyens sont un combat et une mission de chaque jour » écrivez-vous.

Je partage ce sentiment, mais, à l’USM, nous considérons que la démocratie ne peut se mettre en œuvre que si les organes régulateurs de la société, au rang desquels nous plaçons naturellement l’institution judiciaire, sont respectés.

Quant à l’information donnée, encore faudrait-il qu’elle soit juste et exprimée avec sincérité, ce qui, j’ai le regret de vous le dire, n’est pas le sentiment principal qui émane de vos publications.

Vous comprendrez que tant que ces deux conditions préalables ne sont pas remplies, il ne peut être envisagé un quelconque travail entre l’USM et votre institut

Je vous prie d’agréer, Monsieur le délégué général adjoint, mes salutations distinguées.

Christophe REGNARD Président de l’Union Syndicale des Magistrats

Je ne suis certes en rien objectif, comme membre du syndicat si honni de l’IPJ, et par ailleurs fort peu adhérent dudit institut. Mais tout de même, il me semble qu’à la démagogie d’un tel regroupement qui se positionne sur l’échiquier politique, et en matière de justice, à l’extrême de ce qu’une démocratie peut accepter, il faut systématiquement répondre, pour ne pas leur laisser le champ libre de la discussion démocratique. Si tant est que la réponse à la réponse ne soit pas la plainte en diffamation, solution facile de celui qui finalement refuse toute forme de dialogue.

Une chose est claire : je ne laisserai jamais cet “institut” discourir seul de ce qui est sa vision extrême de la justice. Je suis immodestement persuadé que je suis mieux placé que n’importe quel de ses membres pour savoir ce qu’est la justice en France et ce dont elle a réellement besoin. Et je continuerai à le dire, à le réclamer, à la critiquer. Fut-ce au prix d’une assignation en justice pour “diffamation”, puisqu’il semble que la seule réponse de cette association à la critique de sa vision du monde judiciaire soit le recours à cette justice qu’elle semble pourtant tant détester.

Note

[1] je vous laisse faire toutes recherches utiles sur Google, n’entendant pas me faire le publicitaire de cette association

samedi 13 octobre 2012

Incompréhension

Le verdict rendu hier par la cour d’assises de Créteil dans une affaire de viols en réunion (merci de ne pas employer le terme de “tournante” que je trouve abject, on n’est pas obligé de parler comme les criminels) sur deux jeunes femmes (âgées de 15 et 16 ans à l’époque des faits) suscite l’incompréhension et la colère, qui sont deux vieilles amies qui aiment à cheminer de conserve. De nombreuses questions me sont posées sur ce verdict, auxquelles je vais avoir bien du mal à répondre, mais un point me paraît nécessaire.

Rappelons brièvement les faits : en 2005, deux jeunes femmes ont porté plainte pour des faits de viol en réunion dont elles auraient été victimes plusieurs années auparavant. Il ne s’agissait pas de viols accidentels, mais, selon leurs dires, d’un véritable esclavage sexuel, d’une réduction au statut d’objet sexuel à disposition de tout le monde. Cet article de Libération, cité par Aliocha dans son article faisant une analyse du côté médiatique de la réaction, les rappelle fort bien. Ceci posé, je n’ai accès à aucun élément d’information sur ce dossier, je ne puis que m’interroger à voix haute et supputer.

Ces faits ont de quoi scandaliser. De par leur énormité, cette affaire est rapidement, et bien malgré les parties prenantes, devenue un cas emblématique de la cause des femmes. Et devenir un symbole médiatique est malheureusement la pire chose qui puisse arriver à une affaire pénale, car la sérénité en disparaît aussitôt. Le procès est lui aussi hors norme : 14 accusés (18 personnes mises en causes ont été identifiées, mais une est décédée, une autre est en fuite, et deux étant âgés de moins de 16 ans au moment des faits relèvent du tribunal pour enfant statuant en matière criminelle, et ce même s’ils ont presque 30 ans aujourd’hui), 3 semaines de débat, c’est rare. Un procès d’assises ordinaire dure 2 à 3 jours, une session d’assises 15. C’est à dire qu’un procès a duré à lui seul une session et demie (même si on est loin du record du procès Papon, qui a duré 6 mois). S’agissant de faits concernant des accusés mineurs au moment des faits, les débats se tiennent à huis clos, c’est à dire hors la présence du public, sauf au moment du délibéré. La loi permet de lever ce huis clos si toutes les parties mineures au moment des faits y consentent, mais dans cette affaire, c’est peu probable. Dans une affaire pareille, le huis clos donne un avantage certain à la défense, puisque les parties civiles sont seules avec leur avocat, face à 14 accusés qui se soutiennent ; les avocats de la défense ne voudront jamais y renoncer et ils ont raison.

Et le verdict est tombé : des 14 accusés, 10 sont acquittés, et les 4 condamnés ont reçu cinq ans dont quatre avec sursis pour deux d’entre eux, un troisième a été condamné à cinq ans dont quatre ans et demi avec sursis et le dernier à trois ans avec sursis. Un seul accusé est parti en détention, mais c’est parce qu’il est détenu pour une autre affaire criminelle où il est mis en cause.

Depuis, on a appris que le parquet allait faire appel des peines prononcées et de certains acquittement, pas tous, mais j’ignore lesquels. Seuls les accusés à l’encontre desquels le parquet a fait appel pourront voir leur peine aggravée. Les parties civiles peuvent faire appel elles aussi, mais seulement sur l’action civile ; si elles font appel à l’encontre d’un accusé acquitté, la cour d’assises d’appel ne pourra pas le déclarer coupable : il sera condamné au civil à des dommages intérêts, mais n’aura pas de casier judiciaire ni d’inscription au Fichier Judiciaire Automatisé des Auteurs d’Agressions Sexuelles (FIJAIS). Avant de protester de cette situation, demandez-vous pourquoi le parquet ne fait pas appel de ces condamnations.

Et pour ajouter encore aux ténèbres, les arrêts d’assises ne sont pas motivés, la cour n’a pas à expliquer pourquoi elle a statué comme elle l’a fait. De fait, le secret des délibérations interdit même à la cour d’expliquer pourquoi elle a statué ainsi. Résultat : ni les avocats de la défense ni les avocats des parties civiles ni le parquet ne comprennent.

En somme, nous voilà bien seuls avec nos questions.

Pour ma part, il y a un aspect que j’arrive assez bien à comprendre, celui des nombreux acquittements. La règle est simple, d’airain, et ne supporte pas d’exception même quand les faits nous scandalisent : si la preuve de la culpabilité n’est pas rapportée, on acquitte, et sans état d’âme. Il faut bien comprendre la démarche d’une cour d’assises. Face à un accusé qui nie et une plaignante qui accuse, la cour ne doit pas dire qui ment et qui dit la vérité. Elle doit dire si elle a une intime conviction que l’accusé est coupable. Ne pas avoir une intime conviction que l’accusé est coupable ne veut pas dire avoir une intime conviction que la plaignante ment. Cela peut vouloir dire, et c’est le plus souvent le cas, qu’on a l’intime conviction qu’on ne sait pas. Et qu’on ne condamne pas quelqu’un à 20 ans de réclusion quand on ne sait pas. Même si cela peut faire du chagrin à quelqu’un qui a vécu des choses horribles.

Ce d’autant que dans les affaires de viol anciennes, la charge de la preuve est écrasante. Il faut rapporter la preuve d’un acte de pénétration sexuelle, qui 6 ans après, quand la plainte a été déposée, n’aura pas laissé de traces, et celui de l’absence de consentement, car cette absence ne peut pas être présumée, c’est un élément de l’infraction, donc à l’accusation de l’établir. Cette absence de consentement n’est pas si difficile que cela à prouver quand le viol a lieu hors du cadre du couple (marié ou non) ou du cercle amical. Une cour d’assises croira volontiers qu’une femme n’a pas voulu avoir un rapport sexuel avec cet homme qu’elle ne connaissait pas rencontré dans la rue alors qu’elle rentrait chez elle. Ou qu’elle n’a pas accepté de coucher avec cinq ou six hommes qu’elle ne connaissait pas à la suite dans une cave. Encore faut-il que le rapport soit établi. Et aussi longtemps après, il n’y a guère que l’admission par le mis en cause qui le permette, les témoins étant rares, même dans les viols en réunion puisque les personnes présentes sont coaccusées. Dire “oui, j’ai couché avec elle mais elle était d’accord” est souvent une mauvaise défense. Dire “je n’ai jamais couché avec elle” en est généralement une bien meilleure.

Là où je comprends moins, même si je crois deviner ce qui s’est passé, c’est qu’en 5 ans d’instruction, les mécanismes qui existent pour éviter un tel taux d’acquittement n’aient pas rempli leur office. À la fin de l’instruction, le juge d’instruction doit décider s’il y a des “charges suffisantes” contre les mis en examen d’avoir commis les faits qui leur sont imputés. S’il n’y a pas de charges suffisantes, le juge dit n’y avoir lieu à poursuivre, ce qu’on appelle un “non lieu”. Ce qui ne veut pas dire que les faits n’ont pas eu lieu comme on l’entend souvent et comme les plaignants ont tendance à le croire. Si une personne est assassinée mais que son assassin n’est pas retrouvé, il y aura un non lieu, ce qui ne veut pas dire que l’assassinat n’a pas eu lieu, c’est absurde. Mais il n’y a personne à poursuivre, ou on n’a pas trouvé de preuves suffisantes. Ici, j’ai du mal à croire que les carences de l’accusation n’étaient pas apparentes pour certains accusés sur les 10. Je relève à l’appui de mon incrédulité que le parquet général ne semble pas vouloir faire appel de tous les acquittements, et d’ailleurs pour plusieurs cas l’avocat général à l’audience s’en était rapporté, c’est à dire avait admis ne pas avoir de billes pour soutenir la culpabilité. Et la chambre de l’instruction, car je doute qu’il n’y ait pas eu d’appel de l’ordonnance de mise en accusation, a confirmé ce choix initial. Qui est désastreux.

J’ai à plusieurs reprises vu des dossiers d’instruction où un non lieu s’imposait à mon sens (et je ne dis pas cela parce que j’étais l’avocat de la défense) mais où le renvoi devant le tribunal était finalement ordonné, généralement parce qu’un mis en examen ayant reconnu les faits, il va y avoir un jugement, et le juge préfère renvoyer tout le monde, laissant au tribunal le soin de séparer mes clients de l’ivraie. Après tout, puisqu’il va y avoir une audience, on n’est pas à un prévenu près, et il y a toujours la crainte que celui qui ne sera pas renvoyé devant le tribunal, donc absent des débats, soit désigné par tous les prévenus comme étant le vrai coupable, selon le principe que les absents ont toujours tort. Et comme c’était prévisible, le tribunal a prononcé une relaxe, parfois sur réquisitions conforme du parquet, vu la carence de preuves. Ces relaxes laissent un goût amer, car le client a vécu des mois d’angoisse supplémentaires, et a exposé des frais pour sa défense dont il aurait pu se passer. J’ai actuellement au règlement deux dossiers d’instruction, un correctionnel et un criminel, où je redoute précisément ce genre de décision décidant de ne pas décider.

Dans cette affaire, cette décision, peut-être motivée par la demande insistante en ce sens de la plaignante, auquel cas ce serait un cadeau empoisonné, cette décision disais-je a été désastreuse, car les plaignantes, parties civiles, se sont retrouvées seules face à 14 accusés solidaires dans leur défense, consistant clairement à les attaquer, sans que les proches des plaignantes puissent être présentes pour les soutenir, huis clos oblige. Le récit d’une des parties civiles est éloquent en ce sens. Et la faiblesse de l’accusation sur certains rejaillit forcément sur les autres. Si A est accusé sans fondement au point que l’acquittement s’impose, c’est que les faits reprochés à B doivent être infondés, même si pour lui il y a quelques indices. Et imaginez ce que c’est que faire face à un mur de 14 accusés, nonobstant l’excellence des avocates qu’elles avaient choisi pour les assister. Le rapport de force aurait été différent face à moitié moins d’accusés. Et aurait évité un taux d’acquittement proche de celui d’Outreau. Cela n’aurait peut être pas changé l’issue du procès, mais cela aurait épargné 3 semaines terribles pour les plaignantes. On ne se méfie jamais assez des cadeaux qu’on veut faire aux victimes. Sans oublier le fait que devant l’autre tribunal, celui de l’opinion publique, des voix se feront entendre qui les accuseront d’avoir exagéré voire inventé pour celle dont tous les agresseurs supposés ont été acquittés.

Reste un autre aspect difficile à comprendre, celui des peines prononcées. La cour a pour quatre des accusés l’intime conviction qu’ils ont commis les faits de viol en réunion dans les conditions rappelées plus haut. Et prononce des peines de prison avec sursis ou une partie ferme courte, soit couvrant de la détention provisoire, soit permettant un aménagement de la prison. Deux séries de raisons peuvent l’expliquer.

D’une part, la minorité des auteurs des faits à l’époque de leur commission. Du fait de cette minorité, la peine encourue est réduite de moitié, soit 10 ans maximum, sauf si la cour décide de l’écarter par un vote spécial. Et il faut se souvenir que nonobstant la haine qui a saisi la société française à l’égard de ses enfants délinquants (qu’on rebaptise du terme technique de “mineurs” dans les discours officiels pour tâcher de faire oublier ce qu’ils sont) que des adolescents n’ont pas un cerveau d’adulte, qu’il n’est pas encore arrivé à maturité même quand ils mesurent deux mètres, et n’ont pas développé toutes les inhibitions qui apparaissent chez les adultes et qui bloquent les pulsions. La clémence imposée par la loi n’est pas une fantaisie de droitdelhommiste, je rappelle que l’ordonnance sur l’enfance délinquante a été signée par Charles de Gaulle, qui n’était pas un modèle de permissivité dans l’éducation de ses enfants. Et cette minorité est facile à oublier face à des accusés approchant la trentaine.

Là se situe à mon sens une deuxième explication. Les adolescents de 1999 sont devenus adultes, pères de famille, ont un travail, sont insérés et n’ont jamais plus été mis en cause dans des faits similaires (sinon la presse s’en serait immanquablement fait écho). Quel sens aurait une incarcération 13 ans après les faits ? Mettre la société à l’abri ? Mais on sait qu’ils ne sont plus dangereux, puisqu’ils n’ont pas recommencé. Punir les faits ? Certes, mais leur faire perdre leur travail, leur logement peut-être, priver des enfants de leur père, plonger toute une famille dans des ennuis financiers ? Sans pouvoir dire aux condamnés qu’ils n’avaient qu’à y penser avant : à 16 ans, ils devaient sérieusement penser que s’ils allaient violer cette fille, ils allaient perdre leur boulot et leur famille à 29 ans et voir disparaître toute appétence sexuelle ? Soulager les victimes ? Ah, la belle blague, qu’on leur raconte des années durant sur l’aspect thérapeutique de la condamnation, sur le fait que comme par magie, leur souffrance disparaitra ce jour là, et même parfois qu’il faut qu’elles attendent ce passage nécessaire pour commencer leur guérison. Combien de victimes entend-on dire qu’elles ont besoin que la justice “reconnaisse leur qualité de victime”. Comme si pour guérir on avait besoin que le médecin reconnaisse sa qualité de malade. Cela n’arrive pas. Après la condamnation, la souffrance reste la même, car la blessure est à l’intérieur, elle ne se transfère pas. La guérison de tels faits est impossible, c’est comme la mort d’un proche, le mal est définitif. On apprend à vivre avec, et à oublier la peine le temps d’un éclat de rire, sachant qu’elle reviendra le soir au moment du coucher. Et plus on retarde ce nécessaire apprentissage, plus il est difficile, et plus on souffre quand on réalise le temps perdu. Ce raisonnement revient à condamner les victimes à une souffrance éternelle quand l’auteur des faits n’est pas retrouvé ou meurt en cours d’instruction, réservant l’espoir de guérison aux seules victimes reçues comme partie civile et obtenant la condamnation de l’auteur des faits. Donc cela fait dépendre leur guérison d’éléments sur lesquelles elles n’ont aucune prise. C’est plus que scientifiquement critiquable : c’est dégueulasse.

Donc quel sens aurait eu une peine de plusieurs années de prison ferme avec mandat de dépôt devant la cour, comme c’est la règle ? Pour le symbole ? Détruire des vies 13 ans après pour le symbole, c’est facile à souhaiter dans des communiqués enflammés, ce n’est pas aussi facile dans une salle de délibération quand on va les voir voler en éclat, ces vies. Fichue humanité de la justice.

Difficile de finir sur une parole d’espoir. Je me souviens d’un autre procès de la cour d’assises des mineurs de Créteil ayant suscité des réactions indignées, celui de Youssouf Fofana, dont l’appel n’avait pas servi à grand’chose et n’avait satisfait personne. Le huis clos ne sera pas levé, on n’en saura donc pas plus en appel. Peut-être que d’ici là, les cours d’assises devront motiver leur verdict, réforme cent fois annoncée et mille fois repoussée, et dont cette affaire vient rappeler l’urgente nécessité.


Edit : On me signale la réforme d’août 2011, à l’occasion de la loi qui a introduit l’expérimentation des jurés citoyens en correctionnelle tout en réduisant leur nombre aux assises, qui a introduit un début de motivation des arrêts d’assises. Je vous laisse lire l’article 365-1 du CPP pour voir ce qu’il en est de cette motivation, qui n’a pas encore été rendue publique, et dont je doute qu’elle nous apporte grand’chose. Vous verrez dans mon prochain bilelt ce qu’est une vraie motivation.

Edit 2 : le serveur hébergeant mon blog a connu des problèmes techniques, en cours de résolution, qui a rendu mon blog difficilement accessible ce samedi. Désolé des désagréments. Le geek en chef sera privé de pizza pendant 2 semaines.

vendredi 29 juin 2012

Droit de suite

Il y a deux semaines de cela, j’ai participé à une émission d’@rrêtsurimages.net (dont je suis très fier du titre) au sujet du rétablissement du délit de harcèlement sexuel, dans le prolongement de mon précédent billet. Sur le plateau étaient présentes la ministre des droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem, en charge du dossier, et Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT), association qui est en pointe de ce combat depuis plusieurs années (et dont je salue le travail et la compétence que j’ai découverts à cette occasion).

De cette émission, visible seulement sur abonnement, mais je ne puis croire que vous ne soyez pas déjà abonné à @arrêtsurimages, et de la longue discussion que j’ai eue avec Marilyn Baldeck après l’émission (merci à Daniel Schneidermann de nous avoir laisser abuser de son hospitalité), il ressort quelques éléments divers que je livre à votre sagacité.

Un mea culpa tout d’abord, car j’ai commis une erreur dans mon premier billet qui a résulté en une injustice, et j’en suis désolé, tant pour mes lecteurs que pour celles qui en ont été victimes. J’ai dit que la réforme de 2002, qui a élagué au maximum la définition du délit au point de le rendre inconstitutionnel, a été due à une demande des associations de victimes de harcèlement sexuel. Je me suis pris une volée de vois vert bien méritée, car mon information était fausse, j’ai eu la faiblesse de ne pas la vérifier, et en plus, ajoutant la honte à l’opprobre, elle a été reprise ailleurs.

Donc rétablissons la justice : non, la catastrophique réforme de 2002 n’est pas due à un quelconque lobbying : c’est un amendement, déposé par un parlementaire, semble-t-il lors de la lecture définitive à l’assemblée, donc sans que le Sénat n’ait pu y redire, qui est passé comme une lettre à la poste, alors précisément que des associations comme l’AVFT avait tenté d’attirer l’attention du législateur sur le danger d’une incrimination si floue, en vain. C’est d’ailleurs pour cela que l’AVFT a elle aussi déposé une Question Prioritaire de Constitutionnalité contre ce délit, mais en espérant que le Conseil laisserait un délai au législateur pour rectifier la loi.

Sur ce point, d’ailleurs, un mot. Je n’ai pas eu la possibilité de réagir aux propos de Madame Vallaud-Belkacem critiquant durement le Conseil constitutionnel d’avoir immédiatement abrogé, alors même qu’il avait eu la délicatesse se laisser un an de délai sur la garde à vue.

Mon sang n’a fait qu’un tour, mais Daniel Schneidermann, tenu de laisser le débat sur ses rails et l’émission tenir dans un temps raisonnable, a fait avancer la discussion sur un autre sujet, à raison.

Néanmoins, ayant ici tout le temps et l’espace que je désire, je tiens à y revenir pour défendre le Conseil. Il a eu raison d’abroger sans délai ce délit. C’est en laissant survivre la garde à vue dans sa version moyen-âgeuse qu’il avait eu tort. Rappelons d’ailleurs que le Conseil avait laissé jusqu’au 1er juillet 2011 au législateur pour modifier la loi. Cela avait sidéré plusieurs commentateurs, qui ne comprenaient pas comment une violation des droits de l’homme pouvait perdurer afin de laisser le temps au législateur de s’organiser. Les droits de l’homme mis en échec par l’agenda parlementaire ? Votre serviteur avait pour sa part fait observer que :

Les auditions de nos clients sont des atteintes à leurs droits constitutionnels et conventionnels, et rien dans la décision du Conseil n’interdit de le soulever. Nous devons donc demander systématiquement l’annulation des PV recueillant des déclarations de nos clients sans que nous ayons été mis en mesure de les assister. Un PV n’est pas une mesure. C’est un acte. Et n’oubliez pas de viser l’article 5 de la CSDH : le chemin de Strasbourg reste ouvert.

Et la Cour de cassation m’entendit puisque sans attendre le 1er juillet, c’est le 15 avril qu’elle a déclarée illégales les gardes à vue sans avocat, entraînant une bienvenue entrée en vigueur précipitée du droit à une assistance, sinon complète, du moins moins incomplète, la question de l’accès au dossier n’étant pas encore résolue, mais on y travaille.

Cette décision, et la précision qu’elle s’applique y compris aux gardes à vues antérieures, puisque la Convention européenne des droits de l’homme est en vigueur depuis1974, a été une gifle pour le Conseil, qui s’est fait rappeler par la Cour de cassation à un respect plus rigoureux des droits fondamentaux.

Un mot encore là-dessus, car le plaisir du blog est celui des digressions infinies. Je souhaite faire une mise au point sur cette entrée en vigueur anticipée, car beaucoup de sottises sont écrites là-dessus.

Nous, j’entends par ce nous les avocats, avons tiré le signal d’alarme depuis des années. Les avocats aux conseils, nos confrères spécialisés dans la représentation devant les cours suprêmes que sont le Conseil d’État et la Cour de cassation (ils ont même le monopole de cette représentation) et dans une moindre mesure la Cour de Justice de l’Union Européenne et la Cour européenne des droits de l’homme (sans monopole, mais ce sont de fait devenus des spécialistes dont on aurait tort de se passer) avaient même vu le problème il y a une vingtaine d’années, mais depuis les arrêts Salduz (2008) et Dayanan (2009), le doute n’était plus permis sur cette illégalité. Votre serviteur avait signalé la difficulté sur ce blog dès le 13 juillet 2009, en donnant à l’arrêt Salduz une portée plus restreinte que ce qu’avait voulu la Cour, mais trois mois plus tard l’arrêt Dayanan venait balayer toute incertitude là-dessus. Dès lors, nous fûmes des centaines à déposer des observations en garde à vue, demandant à rester pour assister notre client. En vain, la Chancellerie ayant pris une circulaire donnant pour instruction de ne pas faire droit à ces demandes fantaisistes, ces arrêts “concernant la Turquie et non pas la France”, affirmation qui aurait fait hurler même un étudiant de 1re année (mais pas un procureur, visiblement, puisque tous ont obéi). Pendant 2 ans, les avocats ont dit “laissez-nous rester, sinon, votre procédure viole la Convention européenne des droits de l’homme, et la sanction est la nullité”. Pendant 2 ans, les policiers ont répondu “la Chancellerie a dit de dire non, alors c’est non”. Alors nous avons soulevé les nullités de ces auditions, comme nous avions loyalement averti que nous allions le faire.

C’est pourquoi je refuse aujourd’hui que l’on reproche aux avocats les catastrophes judiciaires que cela entraîne. Nous n’avons pris personne en traître. Résultat, des aveux, parfois portant sur des crimes affreux, ont été annulés, que ce soit dans l’affaire Jérémy Censier, que mes lecteurs connaissent bien, ou dans l’affaire Léa. Que les journalistes ne comprennent rien, c’est compréhensible, surtout que l’avocat de la partie civile ne se prive pas de les enfumer, mais il n’y a aucune rétroactivité ici : la nullité repose sur un texte signé en 1950, entré en vigueur en 1974, et dont le sens ne faisait plus le moindre doute depuis octobre 2009, soit 14 mois avant les faits. Ce qui est arrivé est la seule conséquence du déni de réalité qu’a décidé la Garde des Sceaux de l’époque, Madame Alliot-Marie.

Et j’en profite pour rappeler ici que le refus de donner accès au dossier à l’avocat au cours de la garde à vue fait peser le même risque sur les procédures actuellement en cours. Que personne ne vienne pleurnicher, c’est ce qui arrive quand on n’écoute pas les avocats.

Revenons-en au harcèlement sexuel.

Le Conseil a retenu sa leçon, et a abrogé sans délai le délit de harcèlement, la seule alternative étant de laisser perdurer un délit dont l’inconstitutionnalité avait été constatée, c’est à dire de permettre que soient condamnés pénalement des gens qui avaient violé une loi illégale. Ce n’était pas possible, quelle que soit par ailleurs la noblesse de la cause défendue par ce délit. On ne peut le lui reprocher cette décision, n’en déplaise à Madame le ministre.

Il résulte de ce débat et de ses à-côtés que la rédaction absconse de l’actuel projet de loi vient du fait que le législateur entend viser des hypothèses allant largement au-delà du seul monde professionnel. Il y a, et il faut en avoir conscience, volonté d’incriminer des comportements pouvant se rencontrer dans les études et même dans des circonstances privées. Ainsi sont dans le collimateur de la loi les ambiances de salle de garde où les femmes internes se prennent parfois des remarques grossières pouvant leur faire éviter comme la peste sinon ce lieu du moins certains collègues le fréquentant. L’hypothèse de la boîte de nuit, que j’avais soulevée, est aussi destinée à entrer dans le champ de la loi. De fait, ce n’est pas tant un harcèlement qui est réprimé qu’une forme de sous-agression sexuelle (l’agression sexuelle supposant à tout le moins un contact physique), purement verbale ou même résultant d’une attitude déplacée (se caresser ostensiblement l’entrejambe, ou même des coups de rein répétés un peu trop explicites, par exemple). Au risque d’englober des comportements auxquels le législateur n’a pas pensé, comme mon exemple des collégiens dessinant des zizis sur le cahier d’une camarade, qui, n’en déplaise encore à Madame le ministre, tombe bel et bien sous le coup de la loi telle qu’actuellement rédigée, les mineurs étant pénalement responsables pour tout délit figurant dans le Code pénal sans mention expresse en ce sens (exemple). Peut-être faudrait-il exclure les mineurs de la prévention, en tout cas cela mérite d’être débattu.

Voilà le sens exact de ce projet de loi, qui vise à défendre les femmes dans toutes les circonstances possibles. Le recours à la loi pénale pour cela est-il indispensable, par des peines considérablement aggravées au passage alors qu’un simple rétablissement du délit avec une définition claire aurait suffit ? Que notre société tolère encore des comportements inacceptables envers les femmes est un fait —car même si ce délit n’est pas réservé aux hommes, il est certain que comme tous les délits sexuels, il est en quasi totalité le fait de mâles—, mais changer les mœurs à coups de sanctions pénales est une vieille chimère et un fantasme de toute-puissance de la loi, qui est dangereux par nature. Rappelons que le sexual harassment américain, qui est l’inspiration du délit de harcèlement sexuel, est aux États-Unis une faute civile, et pas un délit pénal. Il ne fait pas encourir de peine de prison, mais une condamnation à des très lourds dommages-intérêts, outre une opprobre sociale totalement inconnue en France, et surtout facilite considérablement la vie des victimes, qui ont une charge de la preuve beaucoup plus facile à rapporter.

Vous voyez, on a affaire à un problème complexe, qui mériterait mieux qu’être élevé en mesure politique symbolique (la communication du Gouvernement consiste à dire que c’est le premier texte qu’il déposera et fera voter) et nécessite d’une part une réflexion quant à sa formulation et à sa portée, et d’autre part une information du public sur ce qu’il va englober. Je n’aime pas les beaufs des machines à café, mais de là à en faire des délinquants pour leur apprendre les bonnes manières, vous comprendrez que je demeure réservé.

PS : Allez l’Espagne. (Mon épouse me lit)

samedi 5 mai 2012

L'abrogation du délit de harcèlement sexuel

Par une décision très remarquée, le Conseil constitutionnel, statuant sur une Question Prioritaire de Constitutionnalité, a déclaré contraire à la Constitution, et par voie de conséquence abrogé, le délit de harcèlement sexuel.

Cette décision provoque l’ire d’associations féministes. Je les comprends, car quand bien même cette abrogation, vous allez le voir, est bien fondée, les conséquences sont terribles pour les victimes de faits de cette nature, qui sont dans leur écrasante majorité des femmes. En fait, nous sommes ici dans un cas d’école de malfaçon législative pavé de bonnes intentions envers les victimes. Et comme le vice est la chose au monde la mieux partagée, cette malfaçon est entièrement imputable à la gauche, ce dont nous avions perdu l’habitude depuis 10 ans (même si l’équité impose de dire que l’opposition d’alors et la majorité de depuis aurait pu détecter et corriger le problème).

Parlons sexe

C’est en effet un sujet intarissable et qui peut être abordé sans risque un dimanche électoral.

Le délit de harcèlement sexuel, article 222-33 du Code pénal, a été créé par une loi du 26 juillet 1992, et quelle loi puisque c’est elle qui instituait un nouveau Code pénal, entré en vigueur le 1er mars 1994. Majorité de gauche donc (Pierre Beregovoy premier ministre) mais issu d’un consensus bipartisan indispensable à la réussite de ce projet.

À cette époque, le délit est défini ainsi :

Le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions.

Le juriste aime la précision et le pénaliste en raffole. Un texte définissant un délit doit être clair et précis pour que nul n’ait de doute si telle action est légale et si telle ne l’est point.

Le terme “harceler” ne revêt pas une telle précision. La loi de 1992 y a pourvu en ajoutant que ce harcèlement est constitué (1) par des ordres, des menaces ou des contraintes (2) dans le but d’obtenir des faveurs sexuelles (3) par une personne abusant de son autorité. Le délit était constitué pour peu que ces trois éléments fussent prouver : la pression, le but, l’abus d’autorité.

Quatre ans plus tard, le législateur jugea bon d’y revenir, sous la pression d’associations défendant les droits des femmes, car de nombreuses plaintes avaient fini en relaxe ou en non lieu, à l’occasion de la loi n°98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, loi votée par la gauche qui instaura le fichier des empreintes génétiques, le suivi socio-judiciaire, et fit des infractions sexuelles une catégorie à part relevant d’une procédure exorbitante du droit commun. Deux ans plus tard, l’affaire d’Outreau pouvait commencer.

L’article 11 de cette loi du 17 juin 1998 (Lionel Jospin premier ministre) a élargi la définition du délit de harcèlement sexuel pour englober des hypothèses non couvertes par le texte originel. La définition devenait alors (je graisse le passage modifié)

Le fait de harceler autrui en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions.

L’introduction des gérondifs ne change pas grand chose hormis alourdir inutilement le texte ; le changement est que désormais des pressions graves constituent également le délit.

Les victimes ne sont jamais contentes, et cette extension ne satisfit point les associations parlant en leur nom : il y avait encore des plaintes qui n’aboutissaient pas à la condamnation.

À l’occasion du vote de la loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale (art. 179), l’article 222-33 fut modifié, et le législateur ne fit pas dans la finesse. Il supprima des mots sans en ajouter un seul. Voici le nouvel article 222-33, encore en vigueur au jour de la décision du Conseil constitutionnel. Je barre les mots supprimés.

Le fait de harceler autrui en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions.

Exeunt les conditions d’abus d’autorité et de forme des pressions. Harceler dans le but d’obtenir des faveur sexuel vous expose à 1 an de prison. Autant dire que les boîtes de nuit devinrent aussitôt des hauts lieux de la délinquance sexuelle organisée.

La jurisprudence de l’époque traduit l’embarras du juge face à ce texte. Sa définition tellement large crée des conflits avec d’autres qualifications, et le taux de cassations prononcées sur ce délit (sur un échantillon certes très faible) est révélateur.

Ainsi, dans un arrêt du 10 novembre 2004, la Cour de cassation a annulé un arrêt condamnant un enseignant pour harcèlement sexuel sur un élève en relevant que celui-là ayant embrassé longuement celle-ci, les faits constituaient plutôt le délit d’atteinte sexuelle, plus sévèrement réprimé.

Dans un récent arrêt du 6 décembre 2011, elle annule un arrêt ayant relaxé un employeur poursuivi pour harcèlement sexuel et relaxé en appel car il n’était pas prouvé selon la cour d’appel que le comportement de l’employeur ait dégradé les conditions de travail. La Cour sanctionne car pour elle, la simple possibilité que les conditions de travail se dégradent suffit à constituer le délit.

En outre, le harcèlement sexuel étant aussi interdit par le Code du travail, la chambre sociale a aussi eu son mot à dire, et elle a eu l’occasion dans un arrêt du 19 octobre 2011 de casser un arrêt de cour d’appel ayant refusé de sanctionner un employeur pour un comportement déplacé mais relevant selon la cour d’appel de la vie privée, les messages salaces étant envoyés en dehors des heures de travail. La Cour de cassation annule, disant que la relation de travail existante suffit à constituer le harcèlement prohibé.

Cela traduit une vraie réticence des juges du fond à donner à ce texte toute sa (très) large portée.

Vous voyez l’évolution : le législateur voulut protéger le plus possible les victimes de harcèlement sexuel, qui est une réalité. Et pour ce faire, il élargit la sphère du délit, l’élargit, l’élargit, l’élargit…

Et boum

Gérard Ducray est un élu de la région lyonnaise dont le comportement à l’égard d’une collaboratrice a paru excéder les limites de la convenance à celle-ci. Elle a donc porté plainte pour harcèlement sexuel. Condamné en appel (j’ignore ce que le tribunal avait décidé), il forme un pourvoi en cassation et à cette occasion soulève la contrariété du délit de harcèlement sexuel à la Constitution car trop vague selon lui.

Et le Conseil constitutionnel va lui donner raison dans sa décision 2012-240 QPC du 4 mai 2012.

La décision est courte : après avoir rappelé l’évolution de la définition du délit et notamment sa dernière mouture de 2002, le Conseil en déduit

Qu’il résulte de ce qui précède que l’article 222-33 du code pénal permet que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis ; qu’ainsi, ces dispositions méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et doivent être déclarées contraires à la Constitution.

C’est à dire : ce délit n’est pas suffisamment défini depuis la loi de 2002 ; pas de définition précise, pas de délit. L’article 222-33 est abrogé.

Et maintenant, que se passe-t-il ?

Dans un premier temps, le délit étant abrogé, toutes les procédures pénales en cours aboutiront à une décision mettant hors de cause la personne soupçonnée dans tous les cas où le harcèlement n’est pas lié à une relation de travail (je vous explique pourquoi tout à l’heure) : les enquêtes préliminaires en cours seront classées sans suite, les instructions aboutiront à un non lieu, et les décisions non définitivement jugées seront obligatoirement de relaxe, pour disparition de l’élément légal de l’infraction. Cette conséquence est à la fois inéluctable et irrémédiable.

Le délit de harcèlement sexuel sera rétabli, c’est certain. Les faits de harcèlement sexuel commis à compter de l’entrée en vigueur de ce nouveau texte pourront être poursuivis, mais en aucun cas les faits commis antérieurement, y compris ceux à l’époque où l’article 222-33 était en vigueur. C’est là une règle fondamentale d’application rétroactive de la loi pénale plus douce, or l’abrogation d’un délit est une loi pénale plus douce (peu importe qu’une décision QPC n’est pas à proprement parler une loi : de par la loi, elle abroge un texte pénal, cela revient au même).

Les personnes s’estimant victimes d’un tel comportement ne sont cependant pas totalement démunies.

Tout d’abord, le Code du travail interdit toujours le harcèlement sexuel dans le cadre du travail ; harcèlement qui est défini à l’article L.1152-1 et L.1153-1, et pénalement réprimé par l’article L.1155-2. Cette disposition n’est pas directement concernée par la décision du 4 mai. Actuellement, toutes les plaintes pour harcèlement visaient l’article 222-33 du Code pénal, tellement large qu’il englobait toutes les situations. Mais celles concernant une relation de travail peuvent être requalifiées en harcèlement sexuel au travail, et les poursuites pourront continuer. Cela s’entend uniquement des relations de travail de droit privé, entre collègues ou salarié et employeur : CDD, CDI, contrat d’apprentissage, contrat de stage, mais pas les relations de travail dans une administration ou à l’égard de clients de l’entreprise, qui ne sont pas partie au contrat de travail.

Ensuite, le harcèlement sexuel reste une faute civile de droit commun, pouvant engager la responsabilité civile du harceleur. La plainte pénale présente un intérêt certain pour la victime, car la société manifeste aussi sa réprobation de l’acte par la bouche du ministère public à l’audience et surtout elle ouvre la possibilité de saisir un juge d’instruction qui pourra user de ses pouvoirs d’investigation pour établir les faits, alors que dans un procès civil, la charge de la preuve pèse sur le demandeur seul et ce fardeau est souvent écrasant. Un harcèlement sexuel est par nature très difficile à prouver car le harceleur préfère agir en tête à tête, sans témoins gênants, non pas qu’il ait nécessairement conscience de mal agir mais il préfère un peu d’intimité pour faire la roue devant l’objet de ses assiduités. Donc la voie civile, si elle reste ouverte, reste dans les faits assez illusoire.

L’affaire dans l’affaire

Cette décision risque de faire encore un peu plus de bruit qu’elle n’en fait déjà, car un joli lièvre a été levé par Serge Slama.

Gérard Ducray est un élu lyonnais, je l’ai précisé au début. Sa carrière politique n’est pas récente, puisque déjà le 8 juin 1974, il était nommé Secrétaire d’État aux transports dans le Gouvernement Chirac 1. Le premier ministre d’alors est Jacques Chirac, membre de droit du Conseil constitutionnel en sa qualité d’ancien président de la République. Le président de la République d’alors est Valéry Giscard d’Estaing, est en cette qualité également membre de droit du Conseil constitutionnel. Mais tout va bien de ce côté, puisque les deux n’ont pas siégé dans cette affaire.

Ce qui n’est pas le cas de Jacques Barrot, membre du Conseil constitutionnel depuis le 25 novembre 2010, nommé par Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale. Il a siégé, puisque son nom apparaît parmi les signataires de la décision. Or si vous reprenez le décret du 8 juin 1974, vous constaterez que 3 lignes sous le nom de Jacques Barrot se trouve celui de… Gérard Ducray, Secrétaire d’État au tourisme. Oups.

Jacques Barrot aurait dû se déporter, s’agissant d’une affaire concernant un de ses anciens co-secrétaires d’État. le fait qu’il ait statué dans une décision lui donnant raison et le mettant à l’abri des poursuites pénales dans lesquelles il avait pourtant été condamné pose un sérieux problème d’impartialité du Conseil.

Cela ne peut avoir de conséquence sur la décision du 4 mai, qui est irrévocable car non susceptible de recours et a une autorité absolue.

Mais M. Barrot a quelques explications à fournir sur ce point, qui met également en lumière le vrai problème que pose la longévité incroyable des carrières politiques en France (cela fait 38 ans que ces 4 personnes évoluent dans les sphères du pouvoir) et de la consanguinité qui en résulte, d’autant plus que le même Jacques Barrot était député de la Haute Loire dans l’Assemblée qui a voté la loi du 17 janvier 2002 qui a rendu inconstitutionnelle le délit de harcèlement sexuel, mais certes dans l’opposition et probablement absent lors du vote.

Comme quoi l’absentéisme parlementaire a du bon : on en vient à regretter qu’il n’y ait pas eu d’absentéisme au Conseil constitutionnel.

jeudi 29 mars 2012

La France peut-elle être condamnée pour la mort de Mohamed Merah ?

Les déclarations du père de Mohamed Merah, auteur de sept assassinats à Toulouse et Montauban et abattu par la police le 22 mars dernier, indiquant son intention de poursuivre la France pour la mort de son fils, ont beaucoup scandalisé.

Histoire d’être une fois de plus à rebrousse-poil de l’émotion populaire, ce qui est l’essence du ministère de l’avocat, je dirai que pour ma part, je suis scandalisé de l’outrance des réactions à ces déclarations. La campagne électorale n’excuse pas tout quand on siège au Gouvernement de la République, pour ne pas mentionner celui qui la préside.

Un père dont le fils est mort, tué par la police, met en cause la responsabilité de l’État, estimant que cette mort aurait pu être évitée. Quoi de plus banal ? La justice traite des dizaines de cas similaires. La France reste un État de droit, certes imparfait, mais on progresse. Un État de droit est un État soumis à ses propres règles, respect qui peut au besoin lui être imposé par un juge. Seule la loi pose les droits de chacun et leur limite : elle est la règle commune, et nul ne peut l’écarter par caprice individuel. Même au nom du scandale public, ou de l’impudeur de la démarche, impudeur qui serait un bien étrange critère pour faire échec à la loi.

En l’occurrence, que dit la loi ?

Tout d’abord, qu’on ne poursuit pas “la France”, qui n’a pas d’existence juridique en soi, c’est une entité abstraite. On poursuit la République française, par son incarnation administrative : l’État.

Ensuite, elle s’interroge sur la qualité à agir du père. Ici, le problème est vite résolu : Mohamed Merah est mort sans descendance, ses héritiers sont donc ses père et mère. Ils peuvent agir à deux titres (je rappelle ici que la mère de Mohamed Merah n’a pas fait part d’une quelconque intention d’agir en justice de ce chef) : exercer l’action de leur fils défunt en qualité d’héritier, et exercer leur action personnelle pour le préjudice qu’ils ressentent du fait de la perte de leur fils, qui est un préjudice direct. C’est cette dernière action seule qui sera utilisée, car exercer la première implique d’accepter la succession de leur fils, succession qui contient dans son passif l’obligation d’indemniser les victimes. Le père a donc bel et bien le droit d’agir en justice.

Quelle action peut-il exercer ?

Deux voies s’offrent à lui qui peuvent se cumuler car ces actions sont de nature différentes.

La voie pénale tout d’abord, dirigée personnellement contre les personnes qui ont pris part aux actions ayant conduit à la mort de Mohamed Merah. C’est ainsi que le père de Mohamed Merah a annoncé son intention de porter plainte pour assassinat à l’encontre du RAID. Cette plainte ne peut légalement aboutir. Le RAID (Recherche Assistance Intervention Dissuasion) ne peut être déclaré pénalement responsable, car ce n’est pas une personne morale. C’est un service du ministère de l’intérieur, donc de l’État, qui est pénalement irresponsable : art. 121-2 du Code pénal. Elle peut en revanche concerner les personnes physiques, c’est à dire les fonctionnaires de police ayant mené l’opération, et ceux ayant donné les ordres, qui sont complices par instructions.

L’action commencera par une plainte au parquet, qui pourra ouvrir une enquête ou laisser sans suite. Ce n’est qu’une fois que le parquet aura renoncé à agir ou sera resté 3 mois sans répondre qu’un juge d’instruction pourra être directement saisi par le père de Mohamed Merah.

Une crainte légitime peut naître quant à l’identité des fonctionnaires de police qui ont mené l’opération, puisque la partie civile a accès au dossier. Cette identité est cependant protégée par la loi. L’article 39 sexies de la loi du 29 juillet 1881 interdit de révéler cette identité (l’arrêté du 27 juin 2008 mise à jour 7 avril 2011 fait bénéficier le RAID de ces dispositions). En outre, pour plus de sécurité, le juge d’instruction peut entendre les fonctionnaires concernés comme témoins tant qu’il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction, selon les modalités prévues aux articles 706-57 et 706-58 du CPP qui préservent leur anonymat, et il n’existe à ce stade aucune raison plausible de les soupçonner (mes lecteurs complotistes pourront aller voir dans un dictionnaire la définition du mot plausible).

Sauf coup de théâtre au cours des investigations, l’affaire se terminera par un non lieu qui pourra, au choix du juge d’instruction, reposer sur la légitime défense, l’état de nécessité, le commandement de l’autorité légitime ou la permission de la loi, sans même que les policiers ne soient mis en examen.

L’autre voie est la voie de la justice administrative : les policiers du RAID ont agi comme agents de l’État, ils ont exercé en son nom la force que la loi les autorise à utiliser, en vertu de l’autorité dont l’État les a investi. L’État est donc responsable des conséquences de leurs actes, et en aucun cas les individus sous l’uniforme.

Le principe et les règles de cette responsabilité sont posés par un arrêt du Conseil d’État (le droit administratif est un droit prétorien, c’est à dire né de décisions de justice plus que de textes de loi ; les étudiants en droit qui choisissent la belle voie du droit public ont comme livre de chevet non pas un Code comme leurs camarades ayant opté pour le droit privé, mais un recueil de jurisprudence qu’on appelle le GAJA. En l’occurrence, si mes souvenirs de fac sont encore bons, c’est l’arrêt du 10 février 1905 ”Tomaso Grecco” qui pose les principes. Ces principes sont les suivants : l’État peut être responsable des dommages causés par des opérations de police, mais à condition d’établir une faute commise au cours de ces opérations. Pour les opérations de routine sans difficulté particulière, une faute simple suffira, mais dès lors que les circonstances sont difficiles, une faute lourde sera exigée, qui sera apprécié à l’aune de la difficulté de l’opération en cause. Ai-je besoin de vous dire que l’assaut de l’appartement où s’était retranché Mohamed Merah se situe au sommet de l’échelle de la difficulté, et que les chances qu’une faute lourde soit établie ici sont inférieures aux chances du PSG de gagner la Ligue des Champions (sachant qu’il n’était pas qualifié cette saison). Je précise que cette règle de la faute lourde ne s’applique pas à deux cas : si un tiers avait été blessé au cours de l’opération par une balle perdue ou autre — ce qui Dieu merci ne fut pas le cas— et pour les dégâts occasionnés à l’appartement, que l’État doit prendre en charge sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques, le propriétaire n’ayant pas à supporter seul le coût de la remise en état.

En conclusion, Mohamed Merah père peut s’il le souhaite saisir la justice française pour faire valoir ses droits. Il n’y a pas à le lui refuser, il n’y a pas à s’en offusquer, et certainement pas à y donner une telle publicité : en République, tout litige peut être porté devant un juge qui le tranchera selon les règles de droit en vigueur. Il peut faire ses procès, qu’il perdra. La désapprobation de l’initiative est permise, bien sûr. De là à tenir des propos injurieux à son égard, c’est ma désapprobation qui est encourue.

Il ne m’a pas échappé que Mohamed Merah père ne s’est pas particulièrement illustré par sa présence constante et affectueuse auprès de son fils, car il a quitté le domicile familial en 1994 et n’a plus guère joué de rôle dans la vie de son fils par la suite, puisqu’il est parti s’installer en Algérie tandis que son fils a vécu toute sa vie en France, si on écarte quelques voyages malheureux à l’étranger. De là à en tirer la conclusion qu’il agit uniquement par appât du lucre, il y a une tentation à laquelle certains n’auront aucune envie de résister. Qu’il soit permis de penser qu’il reste possible malgré tout que nonobstant cette séparation, dont j’ignore tout des causes, il ait gardé pour ce petit garçon qu’il a tenu dans les bras à sa naissance, dont il a entendu les premiers rires, dont il a vu les premiers pas, une affection que ni le temps ni l’éloignement ni les crimes n’a pu faire disparaître, les père et mère qui me lisent comprendront, et que la pensée de la mort de son fils, malgré les crimes qu’il a commis, et que son père ne nie pas et condamne, lui a causé une douleur et une émotion sincères, comme peut être aussi sincère qu’erroné le sentiment d’injustice qui le pousse à agir. Et je fais des phrases longues si je veux. Qu’il agisse s’il persiste. Nos lois sont claires. Il perdra. Je pense qu’une partie de l’émotion causée par les déclarations du père repose sur la crainte qu’il ne gagne et qu’il ne faille lui verser de l’argent : cette crainte est infondée.

La colère, l’incompréhension, la stupeur qui sont les nôtres après ces crimes affreux ne doivent pas nous aveugler et nous faire perdre la Raison qui est la seule lumière qui éclaire l’esprit, sous peine de devenir comme ceux qui nous combattent. Cette Raison qui d’ailleurs nous fit abandonner les châtiments d’ancien droit qui frappaient les crimes les plus abominables comme le Lèse-Majesté et le parricide, et qui frappaient non seulement le coupable dans sa chair mais aussi son corps après sa mort et toute sa famille. En effet, le condamné, après avoir été mis à mort dans des conditions abominables, était brûlé et ses cendres dispersées pour qu’il n’ait jamais de sépulture, sa maison était démolie jusqu’à ce qu’il ne reste pierre sur pierre, et du sel était répandu sur le sol pour que rien n’y repousse ; son patronyme était aboli, ses biens confisqués et sa famille chassée du royaume. Je trouve frappant de comparer ces châtiments, tirés des arrêts ayant condamnés Jacques Clément, François Ravaillac et Robert François Damien, et l’incroyable controverse qu’il y a eu sur le lieu de sépulture de Mohamed Merah, les autorités françaises refusant, sans base légale, qu’il ait sépulture en France et tentant de convaincre l’Algérie, qui a décliné, de recevoir le cadavre. Voyez comme il est facile, et ce avec la meilleure conscience du monde, de renoncer à l’héritage des Lumières, sous prétexte qu’on combat l’obscurantisme.

mardi 20 mars 2012

Soyez le JAF (1) : le délibéré

L’audience de la semaine passée avait commencé à 09h05. Eléa et Païkan ont attendu le délibéré avec la boule au ventre.

En s’arrêtant au commentaire #190, on relève que parmi les commentateurs :

- 6 personnes se sont prononcées en faveur d’une résidence habituelle chez la mère (avec un droit de visite et d’hébergement pour le père),

- 9 personnes se sont prononcées en faveur d’une résidence provisoire chez la mère, dans l’attente des résultats d’une mesure avant dire droit (enquête sociale et/ou expertise médico-psychologique),

- 8 personnes se sont prononcées en faveur d’une résidence alternée « définitive », c’est-à-dire sans mesure avant dire droit,

- 4 personnes se sont prononcées en faveur d’une résidence alternée provisoire, avec réexamen de la situation dans X mois, sans pour autant ordonner de mesure avant dire droit,

- 9 personnes se sont prononcées en faveur d’une résidence alternée provisoire avec mesure avant dire droit.

Soit 15 commentateurs (42%) en faveur de la fixation de la résidence des enfants au domicile de la mère (à titre habituel ou provisoire) et 21 commentateurs (58%) pour la résidence alternée (habituelle ou provisoire).

Par ailleurs, 23 mesures avant dire droit ont été ordonnées en tout, dont 16 enquêtes sociales familiales et 7 expertises médico-psychologique, parfois de façon cumulative.

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Au préalable, il convient de rappeler que les réflexions qui figurent dans ce billet sont personnelles et que le délibéré qui est proposé ne prétend pas être la seule solution qui puisse être donnée au litige opposant Eléa et Païkan. La justice est rendue par des êtres humains qui, en appliquant les mêmes textes de lois, peuvent parfois porter une appréciation différente sur les mêmes faits (Pour Paul Ricoeur, la finalité courte de l’acte de juger consiste à trancher le litige, « en vue de mettre un terme à l’incertitude », et la finalité longue est la contribution à la paix sociale (« L’acte de juger », Le juste, 1995). La part faite à la vérité et à la justice comme deux absolus est donc assez restreinte, et de ce point de vue le juge, même civiliste, est plus un régulateur social qu’un grand sage.). Les voies de recours sont d’ailleurs faites pour permettre à chacun de voir sa cause rejugée par un autre juge, et pour uniformiser les jurisprudences.

Mais avant tout, comment font Eléa et Païkan dans l’attente du délibéré ?

En moyenne, les délibérés du juge aux affaires familiales (hors divorce) interviennent entre quinze jours et un mois après l’audience. Dans un tribunal en crise, ce délai peut aisément être dépassé. Certains d’entre vous se sont donc interrogés : que font les parents pendant ce temps ? Qui est dans son bon droit ?

Lorsque les justiciables disposent d’une précédente décision judiciaire (comme par exemple leur divorce, ou un précédent jugement du JAF), celle-ci demeure en vigueur jusqu’à ce qu’elle soit éventuellement modifiée par une nouvelle décision. Ce n’était pas le cas d’Eléa et Païkan, qui viennent d’un monde idéal où les JAF n’existent pas.

Tous deux ont reconnu chaque enfant dans l’année de sa naissance et l’autorité parentale est donc exercée en commun. Or la résidence de l’enfant est l’une des questions relevant de l’autorité parentale. Dans l’attente du délibéré, Eléa et Païkan devraient donc prendre, d’un commun accord, une décision concernant la résidence de leurs enfants, et à défaut d’accord… saisir le JAF. Joli syllogisme. Eléa et Païkan sont donc condamnés à attendre.

Comment faire autrement ? Le juge doit avoir le temps de réfléchir à froid (la prise de décision à chaud est la plus mauvaise des solutions), prendre connaissance des pièces, parfois nombreuses, lire les conclusions des parties lorsqu’il y en a, prendre une décision, la rédiger sur son ordinateur, la relire, l’envoyer à son greffe pour qu’il la mette en forme et l’imprime, la relire à nouveau, la signer et l’adresser aux avocats ou directement aux justiciables lorsqu’ils n’ont pas d’avocat. Tout cela pour chaque dossier. Ce temps incompressible est celui du délibéré.

Nous sommes samedi et le juge a enfin le temps de rédiger ses décisions. Par précaution, il relit quand même l’article 373-2-11 du code civil, lequel dispose que, « lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge prend notamment en considération :

1° La pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure ;

2° Les sentiments exprimés par l’enfant mineur dans les conditions prévues à l’article 388-1 ;

3° L’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre ;

4° Le résultat des expertises éventuellement effectuées, tenant compte notamment de l’âge de l’enfant ;

5° Les renseignements qui ont été recueillis dans les éventuelles enquêtes et contre-enquêtes sociales prévues à l’article 373-2-12 ;

6° Les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre. »

Suivons donc le raisonnement étape par étape.

1. La pratique antérieure des parents

Le plus souvent, la pratique antérieure des parents est facile à déterminer car elle ne souffre aucune discussion. Les parents indiquent que depuis leur séparation les enfants sont chez l’un ou chez l’autre ou en résidence alternée, ou encore que depuis le mois de septembre le petit frère est venu habiter chez son père, etc. Ce n’est pas le cas d’Eléa et Païkan, pour qui on en est réduits à deviner quelle était exactement leur pratique antérieure. Quels sont donc les faits constants, c’est-à-dire les faits non contestés par les parties ?

- il y a manifestement eu une période post-séparation de juin 2011 à mi-octobre 2011 où le père voyait beaucoup plus les enfants qu’il ne les a vus ensuite. Il est vraisemblable qu’il s’agissait d’une sorte de résidence alternée puisque la directrice de la crèche parle d’« une semaine sur deux » (sur une période d’un mois toutefois très courte, dont on peut se demander si elle est pertinente) et que le père a consulté le médecin pour ses enfants au moins une fois un mardi, c’est-à-dire en pleine semaine. Toutefois, aucun des proches de Païkan attestant pour lui ne fait état d’une quelconque résidence alternée en septembre-octobre. C’est donc assez louche et on n’en saura pas plus. Et s’il y a eu une résidence alternée, était-elle vraiment souhaitée par les deux parents ou bien Eléa la subissait-elle comme elle le prétend ? Ici encore, nous n’en saurons rien. Enfin, s’il y a eu une résidence alternée, était-elle de l’intérêt des enfants et le juge doit-il la faire sienne ?

- à compter de la mi-octobre, Païkan a beaucoup moins vu ses enfants, qui résidaient désormais totalement chez Eléa, suite à une décision unilatérale de la mère. Depuis, il ne les voit que certains week-ends, au bon vouloir d’Eléa.

Dans ce dossier, comme cela arrive parfois, ni les avocats, ni les parties elles mêmes, ni les pièces du dossier ne permettent de savoir avec précision la pratique qui a été celle des parents pendant quatre mois.

2. Les sentiments exprimés par l’enfant mineur

L’article 388-1 du code civil prévoit que, dans toutes les procédures qui le concernent, l’enfant peut demander à être entendu par le juge. Cette audition est de droit et ne peut être refusée que si l’enfant n’est pas discernant.

Comme en matière pénale, le législateur n’a pas fixé dans la loi l’âge de discernement de l’enfant et il appartient à chaque juge d’estimer, au cas par cas, si un enfant est discernant et peut en conséquence être entendu. Dans le cas qui nous occupe, Léo et Léa sont trop jeunes pour être regardés comme discernants et nous devrons donc nous passer de leur avis.

3. L’aptitude des parents à assumer ses devoirs et à respecter les droits de l’autre


Sur les qualités éducatives de chacun des deux parents

Rien ne permet de remettre en cause les qualités éducatives et pédagogiques des deux parents. Celles de la mère ne sont pas du tout remises en cause par le père. Quant au père, les attestations versées aux débats et notamment celle du médecin suffisent à écarter tous les doutes formulés indirectement par la mère.

Sur le « coup de force » d’Eléa


Certains commentateurs ont relevé que laisser les enfants chez Eléa au motif qu’ils y sont depuis quatre mois et ne s’y trouvent pas malheureux serait entériner son coup de force de la mi-octobre. C’est déjà une interprétation des faits, car il n’est pas démontré qu’il existait une résidence alternée auparavant et, même si elle existait, il n’est pas certain qu’il ne s’agissait pas cette fois-ci d’un coup de force du père.

Mais même à supposer qu’Eléa ait accompli ce coup de force, que faudrait-il en conclure ? Qu’il faut faire vivre les enfants chez le père, pour punir la mère ? Imaginons par exemple une femme quittant le domicile familial avec les enfants et refusant de les confier à un père violent : le coup de force ne serait-il pas pour autant, en l’espèce, conforme à l’intérêt des enfants ? Si les enfants sont bien chez Eléa depuis quatre mois, il n’est pas totalement absurde de considérer que leur intérêt peut passer par la préservation de cette stabilité. Le JAF n’a pas à punir un parent ni à récompenser l’autre, il est là pour préserver l’intérêt des enfants.

Il ne s’agit pas d’encourager ou de légitimer un quelconque coup de force mais simplement de rappeler que le droit ne peut pas se soustraire à la réalité et doit bien composer avec elle.

4. Les mesures avant dire droit

Une enquête sociale et/ou une expertise médico-psychologique apporteront toujours une plus value au dossier et des éléments de motivation. Mais ces mesures sont coûteuses en argent et en temps. Une enquête sociale, c’est 650 €(À la charge de la partie ou des parties condamnée(s) aux dépens, ou du trésor public en cas d’aide juridictionnelle) et 3 à 6 mois de délai, outre l’organisation d’une seconde audience, avec une seconde décision à rendre. Comme indiqué dans le premier billet, le délai pour être convoqué devant le JAF varie de 3 à 10 mois environ, selon la situation du tribunal. À moyens constants, ordonner trop de mesures avant dire droit revient à prendre le risque de faire doubler ces délais.

Ces mesures doivent donc présenter un véritable intérêt. Il n’apparaît utile de les ordonner que si l’on croit qu’elles permettront de mieux trancher lorsqu’on reverra les parties à la deuxième audience. Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, il apparaît évident qu’Eléa et Païkan ont chacun leurs faiblesses, leur vécu, leurs difficultés, et qu’une mesure avant dire droit permettrait d’en savoir plus à ce sujet. Mais cela n’apparaît pas pour autant indispensable : il est intéressant de relever qu’aucun avocat n’a suggéré une telle mesure, que les qualités éducatives de chacun des parents ne sont pas valablement remises en cause, pas plus que l’attachement des enfants à leurs deux parents. Il n’y a aucun élément d’inquiétude particulier.

En tout état de cause, s’il l’on voulait vraiment ordonner une mesure avant dire droit dans ce dossier, il s’agirait plus probablement d’une enquête sociale, car ni l’épisode de violences du père ni la dépression de la mère ne suffisent à caractériser des profils psychologiques ou psychiatriques si complexes qu’une expertise médico-psychologique apparaisse indispensable. À l’inverse, l’enquête sociale permettrait, au passage, d’approfondir le vécu du couple parental, de détailler les conditions d’hébergement des enfants au domicile de chacun des deux parents (et surtout du père, puisqu’il dit lui-même que c’est petit) et la façon dont les enfants réagissent au contact de chacun de leurs parents.

Enfin, certains ont proposé une résidence alternée provisoire avec une nouvelle étude de la situation dans quelques mois. C’est tout à fait envisageable, mais le risque est de n’avoir aucun élément nouveau lors de la prochaine audience si chacun des parents maintient sa demande et tire de la résidence alternée provisoire le bilan qui l’arrange. Dans ce cas, il apparaît intéressant de doubler cette décision d’une mesure d’enquête sociale afin de disposer d’éléments d’appréciation complémentaires.

5. Sur les violences du père

Les violences sont reconnues par Païkan, quoique visiblement minimisées. Le seul épisode dont on a la preuve s’est produit plus d’un an avant la séparation du couple et les attestations versées aux débats ne reviennent pas sur le caractère éventuellement violent du père. La réponse pénale est restée modérée, puisque le ministère public a ordonné une médiation pénale, mesure alternative aux poursuites qui suppose la reconnaissance des faits par l’auteur et l’acceptation de cette mesure par la plaignante. Il n’a jamais été allégué la moindre violence en la présence ou sur les enfants, de sorte que le contexte dans lequel elles se sont produites n’existe plus et que le risque pour les enfants apparaît nul. Dans notre dossier, les faits de violences n’apparaissent donc pas réellement pertinents pour la prise de décision, même si un rappel dans la motivation sera utile comme l’a judicieusement rappelé le maître des lieux, afin de ne pas faire comme si ces violences n’avaient jamais existé.

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Voici quelques éléments de débat et de réflexion sur les questions posées par ce cas pratique.

Sur la résidence alternée

Il n’est pas question ici d’émettre un avis de principe en faveur ou contre la résidence alternée (Les lecteurs qui souhaiteraient se faire un avis à ce sujet pourront par exemple lire avec profit le numéro de l’AJ Famille du mois de décembre 2011, dont le dossier spécial traite de la résidence alternée), ce débat dépassant de loin le cadre de ce billet. Voici simplement quelques éléments de réflexion :

- le législateur de 2002 a prévu la résidence alternée à l’article 373-2-9 du code civil. Ce faisant, il n’a fixé aucune condition d’âge, et notamment aucun âge minimal. Cela signifie que tout raisonnement qui consiste à poser comme principe qu’un enfant de tel âge est trop jeune pour une résidence alternée est un raisonnement contraire à la loi. Encore faudra-t-il le démontrer et le dire autrement : pour rejeter une demande de résidence alternée, il faudra pour le juge expliquer en quoi, dans cette situation donnée, la résidence chez un des deux parents préserve mieux les intérêts de l’enfant que la résidence alternée.

- certains ont relevé une mésentente entre les parents, qui pourrait empêcher la résidence alternée. Néanmoins, on ne peut pas poser en condition sine qua non d’une résidence alternée la bonne entente des parents, sauf à prendre le risque de laisser le parent défavorable à cette mesure entretenir le conflit.

- le législateur n’a pas prévu que la résidence alternée serait le fonctionnement de principe(La proposition de loi en ce sens semble d’ailleurs n’avoir reçu aucune suite). Pour Léo et Léa, l’incidence n’est pas des moindres : il ne suffit pas de constater que la résidence alternée est réalisable (ce qui reste d’ailleurs à démontrer, notamment avec 25 minutes de trajet en voiture matin et soir) et qu’aucun des deux parents ne présente de danger pour les enfants, car ce raisonnement viserait, par la négative, à ne pas exclure l’application du principe de la résidence alternée. Mais, comme en droit positif la résidence alternée n’est pas de principe, il faut démontrer, positivement cette fois-ci, qu’elle répond bien à l’intérêt des enfants.

Sur la résidence chez le père ou chez la mère

Dans le cas qui nous occupe, Païkan ne demandait pas la fixation de la résidence habituelle des enfants à son domicile. Cette hypothèse n’était donc pas envisageable pour le juge, qui reste lié par les demandes des parties.

Les statistiques réalisées par le ministère de la justice (à propos des divorces), sont très éclairantes. Il en ressort (Rapport du Secrétariat général du ministère de la justice, 2009) que, tous types de divorces confondus, en 2007, la résidence des enfants était fixée chez le père dans 7,9 % des cas, chez la mère dans 76,8 % des cas et en alternance dans 14,8 % des cas.

Une lecture hâtive de ces chiffres pourrait conforter la théorie selon laquelle il existe une réelle injustice des juges envers les pères. Toutefois, ces statistiques concernent les décisions rendues et sont donc à corréler avec des statistiques concernant les demandes des parents (Je n’ai pas trouvé de telles statistiques sur Internet, avis aux commentateurs…). Le juge étant lié par les demandes des parties, il ne sera pas étonnant que peu de pères obtiennent la résidence de leurs enfants si peu d’entre eux en font la demande. C’est une hypothèse de réflexion dont nous reparlerons un peu plus bas.

Ces données sont donc insuffisantes pour tirer des conclusions définitives. Elles permettent cependant de constater trois choses :

- dans le divorce par consentement mutuel, où les deux époux se mettent d’accord entre eux sans l’intervention d’aucun juge (Le juge aux affaires familiales n’intervient que pour homologuer la convention des parties en vérifiant qu’elle respecte, notamment, l’intérêt des enfants), le taux de résidences alternées est certes le plus élevé (21,5 %) mais demeure relativement limité (moins d’une famille sur quatre), et le taux de résidences chez le père est le plus faible (6,5 %) ;

- dans un divorce accepté, qui est un divorce contentieux (Il existe en France quatre types de divorces. Tout d’abord, le divorce par consentement mutuel, qui est un divorce gracieux : le JAF homologue la convention de divorce préparée par les parties et prononce leur divorce. Les trois autres divorces sont contentieux (le juge tranche alors un litige) : il s’agit du divorce dit « accepté », où les parties sont d’accord sur le principe de la rupture du mariage mais pas sur toutes les conséquences (argent, enfants etc), le divorce pour faute et le divorce pour altération définitive du lien conjugal, qui peut être prononcé à la demande d’une partie seulement, lorsqu’elle justifie que les époux ont cessé de vivre ensemble depuis au moins deux ans), c’est-à-dire où le juge tranche, le taux de résidence chez le père (9,1 %) est supérieur à celui des divorces par consentement mutuel (6,5 %) et même à la moyenne tous divorces confondus (7,9 %) ; à l’inverse, le taux de résidences alternées chute à 10,7 % ;

- la part des résidences fixées chez le père n’est jamais aussi importante (11,1 %) que lorsque le divorce est très conflictuel, comme les divorces pour faute (Ce chiffre s’explique toutefois bien plus par la chute vertigineuse de la résidence alternée – 4,4 % – probablement en raison du caractère souvent trop conflictuel de la situation, que par une désaffection des mères, pour qui le taux de fixation de la résidence culmine à 83,9% dans ce type de procédures).

Si l’on pose l’hypothèse selon laquelle, lors d’un divorce par consentement mutuel, aucun des époux n’est manipulé par l’autre ni contraint, on constate que 71,8 % des familles, et donc 71,8 % des mères et 71,8 % des pères, souhaitent que la résidence des enfants soit fixée chez la mère (Certains commentateurs du billet précédent ont soutenu que les pères se voyaient déconseiller par leur avocat de demander la résidence de leur enfant. C’est méconnaître la réalité du système judiciaire : tout d’abord, pourquoi un avocat déconseillerait-il cette demande à son client ? Le seul risque d’une telle demande est qu’elle soit rejetée, ce qui revient exactement au même que de ne pas la formuler… Mais surtout, en procédure hors-divorce, comme c’est le cas d’Eléa et Païkan, l’avocat n’est pas obligatoire et plus de la moitié des dossiers sont des dossiers sans avocats : qui, cette fois, aurait alors manipulé le père ? Ces théories ne convaincront que ceux qui veulent absolument se croire victimes d’un complot des juges et des avocats contre les pères du monde entier…). Dès lors, l’hypothèse évoquée plus haut et selon laquelle le faible taux de résidences alternées et de résidences chez le père résulterait, pour une large part, du faible taux de ces demandes chez les pères, apparaît relativement valable, même si elle demande à être confortée par des statistiques.

Et l’idée que les juges trancheraient en défaveur des pères n’apparaît donc pas évidente.

Sur la contribution alimentaire

Une bonne méthode de raisonnement consiste ici à déterminer le coût mensuel que représente un enfant pour ses parents, notamment en fonction de son âge et du nombre d’enfants du couple, puis de le répartir entre les deux parents au prorata de leurs ressources respectives, en estimant que le parent qui héberge habituellement l’enfant contribue en nature tandis que l’autre parent contribue sous la forme d’une pension alimentaire (Par exemple, si un enfant coûte 500 € par mois, qu’il vit chez sa mère, que celle-ci a un salaire de 1.200 € et le père de 3.000 €, le rapport des revenus des parents est de 29 % pour la mère et de 71 % pour le père, donc la pension alimentaire de ce dernier devrait, en théorie, être de (500 € x 0,71) 355 € par mois).

Il est toutefois difficile d’estimer précisément le coût réel d’un enfant. Il y a les frais faciles à quantifier : couches, vêtements, soins… et les frais plus ou moins masqués parce que dilués dans les dépenses des parents : alimentation, logement, voiture… Et même à supposer que l’on puisse établir de façon incontestable le coût d’un enfant, il reste ensuite à adapter la pension alimentaire aux facultés contributives du parent qui en est débiteur.

Diverses tentatives de rationalisation ont été réalisées mais ne revêtent pour les juges qu’un caractère purement indicatif. Il s’agit par exemple, en Allemagne, du barème de Dusseldorf ou, chez nous, du barème établi par la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) (La DACS est l’une des quatre directions du ministère de la justice avec la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), la Direction de protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) et la Direction de l’administration pénitentiaire, DAP). Ces grilles peuvent servir à fixer des ordres de grandeurs, la pension variant ensuite nécessairement en fonction de la situation financière et personnelle de chaque créancier, de chaque débiteur et des besoins de chaque enfant.

En théorie, les revenus du nouveau compagnon ou de la nouvelle compagne du débiteur ne sont pas pris en compte. Ils le sont cependant indirectement puisqu’ils viennent amoindrir les charges du débiteur. Payer seul un loyer de 800 € ou le partager par moitiés avec son nouveau compagnon, ce n’est évidemment pas la même chose.

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Voici une proposition de délibéré.

Sur l’exercice de l’autorité parentale

Attendu que Léo et Léa ont été reconnus par leurs deux parents dans l’année de leur naissance ; que l’autorité parentale est par conséquent exercée en commun par les deux parents, comme il sera rappelé au dispositif du présent jugement ;

Sur la résidence des enfants

Attendu qu’au soutien de sa demande tendant à voir instaurer une résidence alternée pour ses deux enfants, Païkan expose que (rappel des moyens et arguments de Païkan) ;

Attendu toutefois que, si durant les mois de juillet à octobre 2011 Païkan a manifestement vu ses enfants de façon fréquente et régulière, les pièces versées aux débats ne permettent pas pour autant d’établir qu’une réelle résidence alternée a été mise en place entre les parties postérieurement à leur séparation ; qu’il est cependant constant que Léo et Léa résident habituellement au domicile de leur mère depuis mi-octobre 2011 ;

Attendu par ailleurs que la mise en place d’une résidence alternée supposerait pour les deux enfants de changer de cadre de vie chaque semaine alors qu’ils ne sont âgés que de 4 ans et demi et de 2 ans et 8 mois ; que par ailleurs un tel mode de résidence impliquerait de leur faire supporter des trajets d’au moins 50 minutes chaque jour afin de se rendre à l’école ; que si les conditions d’accueil des enfants au domicile de leur père apparaissent satisfaisantes pour l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement, elles demeurent moins bonnes que celles offertes par la mère, restée au domicile familial où les enfants ont vécu depuis leur naissance et ont leurs habitudes ; que dès lors, l’intérêt des enfants commande, en l’état, de fixer leur résidence habituelle au domicile de leur mère ;

Sur les droits du père

Attendu qu’au soutien de sa demande subsidiaire tendant à se voir octroyer un droit de visite et d’hébergement élargi s’exerçant toutes les fins de semaine, du vendredi soir au lundi matin, Païkan expose que (rappel des moyens et arguments de Païkan) ;

Attendu qu’il ressort des pièces versées aux débats que les qualités éducatives des deux parents sont très satisfaisantes ; que contrairement aux allégations de la défenderesse, le père démontre qu’il se préoccupe de la santé de ses enfants en les ayant conduits chez le médecin à deux reprises en l’espace de deux mois ; que par ailleurs les faits de violences conjugales, bien que minimisés par Païkan, ne concernaient pas les enfants et qu’il n’est pas non plus allégué que ces violences auraient eu lieu en leur présence ; que dès lors rien ne justifie de faire obstacle aux relations que les enfants doivent entretenir avec leur père et qu’il sera ainsi fait droit à la demande de ce dernier de bénéficier d’un large droit de visite et d’hébergement ;

Attendu cependant qu’un droit élargi à toutes les fins de semaines reviendrait à priver les enfants de profiter de périodes de temps libre avec leur mère ; qu’une telle solution, contraire à leurs intérêts, ne saurait être retenue ; qu’il convient dès lors de prévoir que les droits du père prendront la forme d’un droit de visite et d’hébergement s’exerçant une fin de semaine sur deux, outre une journée en semaine, du mardi soir au mercredi soir ;

Sur la contribution du père à l’entretien et à l’éducation des enfants

Attendu qu’il ressort des déclarations des parties à l’audience et des pièces versées aux débats que leurs situations personnelles peuvent être résumées comme suit :

- Païkan est ingénieur en informatique et dispose d’une situation professionnelle stable ; il perçoit un revenu mensuel de 3.200 €, règle un loyer de 900 € qu’il partage avec sa compagne, ainsi que des mensualités de crédit à hauteur de 640 € par mois, soit un reste à vivre mensuel de 2.110 €, avant déduction des impositions et charges courantes ; qu’il exerce un droit de visite et d’hébergement élargi sur ses deux enfants ;

- Eléa est assistante infographiste depuis le mois d’octobre 2011 ; elle perçoit à ce titre un revenu mensuel de 1.150 €, outre 125 € d’allocations familiales, elle règle 114 € de mensualités de crédit à la consommation et expose un loyer résiduel de 350 € (400 € d’APL), soit un reste à vivre mensuel de 811 € avant déduction des impositions et charges de toutes natures ; qu’elle assume au quotidien les frais liés aux deux enfants ;

Attendu qu’il convient en conséquence de fixer à la somme de 290 € par enfant et par mois la part contributive de Païkan pour l’entretien et l’éducation de ses enfants, soit 580 € par mois en tout…

mercredi 14 mars 2012

Le maire et la gifle

Un fait divers remontant à quelques semaines fait encore parler de lui, notamment car mes amis de l‘“Institut pour la Justice” ont enfourché ce cheval de bataille pour faire une de leurs inénarrables pétitions où deux écueils sont toujours soigneusement évités : expliquer et s’adresser à l’intelligence du lecteur.

Rappelons également que Marie-Antoinette, à qui l’édile a été comparé par cette association, a été enfermée d’août 1792 à octobre 1793, a été séparée de ses enfants, a vu son époux guillotiné et sa meilleure amie dépecée vive et sa tête agitée au bout d’une pique à sa fenêtre, a été accusée publiquement d’avoir agressé sexuellement son fils et condamnée à mort par le tribunal révolutionnaire, et que le blanchissement accéléré de ses cheveux est attribué notamment au cancer de l’utérus qu’elle avait développé et qui évidemment n’était pas soigné. Ce qui en effet équivaut bien à une amende avec sursis pour une gifle.

Les faits peuvent en effet se résumer ainsi : le maire d’une petite commune a été condamné pour avoir giflé un de ses administrés mineur dont le comportement, c’est le moins qu’on puisse dire, laissait à désirer.

Comme vous le savez, c’est avec joie qu’en ces lieux, nous nous frottons à ces deux écueils. Voici donc ce qui s’est réellement passé, et où en est la procédure, et, détail minuscule oublié par l’IPJ, ce que dit la loi, que le juge a pour mission d’appliquer.

Les faits

Le 24 août 2010, à Cousolre (Nord), commune rurale de 2500 habitants, Maurice Boisart, maire de la commune, aperçoit par la fenêtre de son bureau un jeune homme, mineur, escalader un grillage qui, je le suppose, entourait un terrain de sport municipal, grillage qui venait d’être refait par la commune pour un coût de 10.000 euros, alors même que la clef ouvrant cette clôture est à sa disposition. Ce jeune homme est bien connu du maire pour son comportement pour le moins turbulent : le maire fera état d’une perturbation d’une cérémonie d’hommage aux anciens combattants, de provocations en bloquant la voiture du maire, et, mais ce n’est là qu’un soupçon, divers tags salissant les murs de la commune.

Mécontent, le maire se porte à sa rencontre, et très vite, le ton montre entre l’édile et le jeune homme. Je cite le compte-rendu d’audience, car audience il va y avoir, de Pascale Robert-Diard. C’est d’abord le maire qui parle :

Je suis sorti. Je lui ai dit : ‘tu arrêtes de te foutre de ma gueule’. Demain matin, tu iras au poste, raconte le maire. Il m’a répondu : ‘C’est pas toi qui va m’empêcher de faire ce que je veux’. Il m’a insulté, m’a traité de ‘bâtard’ et la claque est partie. J’ai jamais donné de gifle à personne dans ma vie. J’ai eu un geste instinctif, c’est pas la meilleure chose que j’ai faite. Je le regrette.” Il ajoute, un peu plus bas : “Je ne cherche pas à excuser ma gifle, j’aurais pas dû le faire. Mais le problème, il vient peut-être de comment il a été élevé ce garçon…”

Notez bien que le maire ne cherche pas à excuser sa gifle. Il reconnait qu’il a eu tort de la donner.

La suite de l’affaire est racontée sur procès-verbaux par les copains du jeune homme, témoins de la scène. L’humiliation qui fait sortir l’adolescent de ses gonds, les insultes qui pleuvent – “Fils de pute, je vais niquer ta mère, attends si t’es un homme, je vais te tuer” – le coup de poing qui part mais qui n’atteint pas le maire car les autres s’interposent, la colère, toujours, qui pousse le mineur à rentrer chez lui, à prendre deux couteaux qu’il glisse dans ses chaussettes et à revenir sur la place de la mairie avant d’être calmé et désarmé par ses amis. Le maire porte plainte pour outrages (le garçon a été condamné depuis), les parents déposent plainte à leur tour contre l’édile, pour “violences”.

Je graisse ce passage que l’IPJ a soigneusement oublié de mentionner dans son texte : ce jeune homme a lui aussi été poursuivi et condamné pour son agression envers le maire. J’ignore la peine qui a été prononcée, mais ce n’est pas le genre d’incident qui amène au prononcé d’une peine de prison ferme, en tout état de cause.

La réponse judiciaire

C’est le procureur de la République du tribunal de grande instance d’Avesnes Sur Helpe qui était compétent territorialement pour décider des suites à donner. On sait qu’il a saisi le juge des enfants de poursuites à l’encontre du jeune homme, qui ont abouti à sa condamnation. Le maire avait la possibilité, étant victime, de se constituer partie civile et de demander des dommages-intérêts au jeune homme et à ses parents, civilement responsables de leur galopin. J’ignore s’il a usé de cette faculté. Mais il a eu la possibilité de demander réparation de l’outrage qu’il a subi à cette occasion.

S’agissant de la gifle, qui n’est pas contestée par son auteur, le procureur de la République a ouvert son Code pénal, et a lu la loi que le peuple français l’a chargé d’appliquer, en sa qualité de magistrat. Son attention s’est immanquablement portée sur l’article 222-13, qui dispose (la loi ne stipule pas, jamais) :

Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises :

(…)

7° Par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission.

C’est là un délit de violence aggravée. Il ne lui a pas fallu longtemps pour retrouver les circulaires de la Chancellerie adressée à tous les parquets, où les instructions, auquel il est tenu d’obéir sont claires : les faits de violences, et tout particulièrement si elles sont aggravées doivent faire l’objet d’une réponse pénale systématique. Pas de classement sans suite. Interdit. D’autant qu’ici, les faits sont établis et reconnus.

Il a donc opté pour l’engagement de poursuites sous forme d’une “Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité” (CRPC) le fameux “plaider coupable à la française” (articles 495-7 et suivants du code de procédure pénale). Le procureur propose au maire de reconnaître sa culpabilité dans ces violences aggravées et d’accepter la peine qu’il lui propose, qui sera ensuite homologuée par un juge, qui ne pourra pas modifier cette peine, mais tout au plus refuser de l’homologuer s’il l’estime inadéquate, que ce soit trop ou pas assez sévère.

Et le maire de Cousolre se voit proposer une amende de 600 euros, sans prison fût-ce avec sursis. Je rappelle que la loi prévoit jusqu’à 3 ans de prison et 45000 euros d’amende.

Mais le maire va refuser cette peine, comme il en a le droit. Dans cette hypothèse, le procureur de la République n’a pas le choix : il doit saisir le tribunal correctionnel pour que les faits soient jugés selon le droit commun : art. 495-12 du code de procédure pénale, sauf élément nouveau, mais ici, il n’y avait rien de nouveau sur les faits.

Voilà comment le maire se retrouve devant le tribunal correctionnel d’Avesnes Sur Helpe, le 3 février dernier.

L’audience

L’affaire a attiré l’attention de la presse, et Pascale Robert-Diard, que j’ai déjà citée, était présente. Cette audience ne s’est pas très bien passée pour le maire, car, si j’en crois la chroniqueuse du Monde (et je la crois), le parquetier a été particulièrement brutal avec le maire, et ses réquisitions véhémentes, qui ne s’imposaient pas vraiment, ont surpris l’assistance. Entendons-nous bien. Je suis un farouche partisan de la liberté de parole du procureur à l’audience qui est une garantie essentielle d’une bonne justice. Mais cette liberté n’interdit pas la critique, et là, ces réquisitions me paraissent critiquables sur la forme et sur le fond.

D’une part, sur la forme, le procureur a opté pour des réquisitions virulentes, qui, à mon sens, ne sont jamais pertinentes, mais là étaient particulièrement hors de propos. Le prévenu est un homme de 62 ans, maire en exercice, sans antécédent, qui a eu un geste violent dans un accès de colère après avoir été visiblement provoqué. Les sarcasmes sur le Chicago des années 30 et Montfermeil sont déplacés, et inutilement humiliants. C’est l’avocat qui parle : les magistrats doivent veiller à ne jamais humilier le prévenu, aussi irritant soit-il, et là le maire de Cousolre ne l’était manifestement même pas. Une humiliation publique défoule peut-être celui qui use et abuse de sa position pour l’infliger (on doit accepter l’offense sans réagir sous peine de risquer l’outrage à magistrat en retour), mais détruit tout effet pédagogique de l’audience et au contraire crée des rancœurs envers la justice qui ne favorisent pas la réinsertion du condamné. Je ne comprends pas le comportement du procureur, mais j’émets une réserve sur mon opinion : je ne connais pas l’intégralité du dossier, il y a peut-être certains aspects du comportement du prévenu que j’ignore. Je maintiens cependant que ce comportement est inapproprié en toute circonstance, quel que soit la qualité du prévenu.

Sur le fond, le procureur a reproché au maire d’avoir refusé ce plaider-coupable à 600 euros, mettant cela sur le compte de la volonté du prévenu d’avoir une tribune médiatique. Problème : la loi interdit de faire état devant le tribunal d’une procédure de plaider-coupable (CRPC) qui n’a pas abouti : art. 495-14 du CPP. On me rétorquera que la loi interdit de faire état des déclarations faites au cours de cette procédure ou des documents remis, ce qui a contrario ne semble pas interdire de faire état qu’une telle procédure a été engagée. À cela je répondrai que ce n’est pas la volonté du législateur qui avait même décidé initialement que l’audience d’homologation ne devait pas être publique pour préserver le secret de cette procédure si elle ne devait pas aboutir[1], avant de se faire retoquer par le Conseil constitutionnel qui a exigé cette publicité, non pour faire échec au secret d’une procédure avorté, mais au nom du principe de publicité des débats (cons. n°117 sq.). Enfin et surtout, si le parquet a fait état de la proposition de peine (600 euros d’amende) devant le tribunal, il a nécessairement fait mention d’une pièce de la procédure ou d’une déclaration des parties, puisqu’il a bien fallu à un moment que cette proposition de peine soit formulée dans le dossier.

Enfin, tout ça pour quoi ? Pour aboutir à une peine requise de 500 euros d’amende, soit moins que la peine proposée en CRPC, ce qui revient à reconnaître implicitement que le maire a en fait eu raison de refuser cette peine.


Mise à jour : Merci à Arisu qui me signale une interview éclairante du procureur qui était présent à l’audience, publiée dans la Voix du Nord.

Pour résumer : il a été sur le ton de l’ironie pour marquer son désaccord avec le récit apocalyptique qui lui était fait de la situation à Cousolre, mais le regrette rétrospectivement vu que l’effet a manifestement manqué son but. Son analyse juridique rejoint la mienne, vous le verrez, et il précise que le maire a refusé toutes les mesures de conciliation (qui impliquaient la réparation du dommage), que sept témoins corroboraient le récit de la victime précisant qu’il n’y a pas eu d’injure avant la gifle, alors que le maire lui même n’en a fait état pour la première fois que deux jours plus tard. Les seuls propos que le mineur a reconnu sont “C’est pas toi qui va m’empêcher de ramasser mon ballon, casse-toi “, mais le procureur rappelle, à raison, que l’excuse de provocation a disparu en 1994 avec l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal.


La décision

Le jugement a été rendu le 17 février 2012. Curieusement, l‘“Institut pour la Justice” a oublié d’en préciser le contenu exact dans sa diatribe, qui ne mentionne que les dommages-intérêt.

Le tribunal a déclaré le maire coupable des faits de violences et a prononcé une peine de 1000 euros d’amende assortie du sursis, c’est à dire que le maire n’aura pas à payer cette amende s’il n’est pas à nouveau condamné pénalement pour un délit ou un crime dans les 5 ans qui viennent (ce qui semble quasiment certain vu la personnalité de ce monsieur). Curieuse décision, qui dépasse le quantum requis par le parquet (ce qui est plus sévère) mais l’assortit du sursis (ce qui est plus indulgent). Précisons que le maire n’échappera cependant pas au paiement d’un droit de 90 euros qui frappe toute personne condamnée.

Les motivations du jugement sont éclairantes sur les moyens de défense du prévenu. Celui-ci a soulevé la légitime défense (art. 122-5 du Code pénal) pour plaider la relaxe. Voici comment le tribunal écarte cet argument.

“Le prévenu soutient qu’il doit être relaxé des fins de la poursuite car il estime qu’il était en état de légitime défense. Il fait valoir que son geste, qu’il regrette, a été un réflexe face à une insulte. il ajoute que sa réaction a été proportionnée à cette insulte reçue.

En l’espèce, au vu des éléments du dossier, il est vraisemblable que l’attitude et les paroles de Pierre D., qui se trouvait en un lieu non accessible au public, aient pu être perçues comme provocantes par Maurice Boisart.

Cependant, une telle attitude, voire l’insulte “bâtard” évoquée par le prévenu, ne sont pas de nature à justifier une réaction de violence, fût-elle légère, sur le fondement de la légitime défense, en l’absence de toute tentative de violence physique.

Dès lors, il convient d’écarter ce fait justificatif et de déclarer Maurice Boisart coupable des faits de violence par personne dépositaire de l’autorité publique (…)

L’argumentation du tribunal est irréprochable. C’est une parfaite application de la jurisprudence bi-séculaire en matière de légitime défense : seul un comportement physiquement violent justifie une riposte violente : c’est la règle de la proportionnalité. J’ajoute que la jurisprudence évolue de manière continue dans un sens admettant de moins en moins la légitime défense, sauf au profit des forces de l’ordre. La violence est de moins en moins tolérée dans notre société, ce qui est une évolution heureuse, et les juges reflètent cette évolution des mentalités, qui est abondamment et surabondamment prise en compte par l’évolution de la loi.

Le tribunal motive ainsi la peine prononcée :

Compte tenu des circonstances de la commission de l’infraction et de la personnalité de M. Boisart, qui n’a jamais été condamné et qui bénéficie de renseignements de personnalité très satisfaisants, il sera condamné au paiement d’une amende d’un montant de 1000 euros assortie du sursis simple.

Notez que le tribunal a pris en considération les circonstances de l’infraction comme élément à décharge, quand bien même l’excuse de provocation a disparu en 1994. Il admet que c’est le comportement de la victime qui a été déterminant dans le passage à l’acte, ce qui atténue la responsabilité du maire et justifie le prononcé du sursis, avec les “renseignements de personnalité très satisfaisants”, comprendre que l’enquête et l’audience ont montré que Maurice Boisart était quelqu’un d’inséré dans la société ne montrant aucune dangerosité particulière et ayant eu jusque là un parcours sans histoire (pas de casier judiciaire, notamment). Il est rare qu’un tribunal prenne la peine de se montrer aussi laudatif avec un prévenu qu’il condamne.

Reste la partie la plus délicate : les intérêts civils. Car le maire a été déclaré coupable : il doit réparer sa faute. Il est donc condamné à indemniser le mineur giflé. Celui-ci, représenté par ses parents, demandait 1000 euros de dommages-intérêts, et 2000 euros d’article 475-1, c’est-à-dire de frais de justice, essentiellement constitués des honoraires de leur avocat. Le tribunal n’a pas le choix et doit faire droit à cette demande, mais peut fixer un montant inférieur au montant demandé, ce qu’il fait : 250 euros de dommages-intérêt et 500 euros d’article 475-1, à la charge du maire, qu’il doit verser entre les mains des parents du mineur.

Cela met mes amis de l’IPJ dans un état proche de l’apoplexie. Pourtant, c’est l’application pure et simple de la loi et la prise en compte du préjudice subi par la victime, reconnue en tant que telle, ce qui est l’essence du combat de l’IPJ, du moins tel qu’il le proclame (et qui suis-je pour mettre en doute sa sincérité ?) L’IPJ devrait donc applaudir cette décision, s’il était cohérent. S’il l’était.

Le tribunal n’avait d’autre choix que de condamner le prévenu reconnu coupable à indemniser la victime. Et surtout il ne pouvait à ce stade prendre en compte le comportement de la victime pour diminuer voire supprimer son droit à réparation. Là encore, jurisprudence bi-séculaire : en matière de délits volontaires, ce que sont les violences, le comportement de la victime, s’il n’a pas été une cause d’irresponsabilité pénale, c’est-à-dire s’il n’a pas fondé une légitime défense ou un état de nécessité, ne peut diminuer son droit à réparation. Ce n’est possible qu’en cas de délit involontaire (homicide ou blessures par négligence, par exemple). C’est là encore une règle protectrice de la victime à laquelle l’IPJ ne devrait que vouloir applaudir.

Suites et alternatives

Le maire a déclaré avoir fait appel de cette décision. La chambre des appels correctionnels de Douai examinera cet appel. Il est probable que le parquet a formé ce qu’on nomme un appel incident, c’est à dire un appel en réplique à l’appel du prévenu. La cour d’appel de Douai pourra donc aussi, si elle le juge nécessaire, aggraver la peine du prévenu. Je ne sais pas si la partie civile a fait appel elle aussi, auquel cas la cour pourrait également alourdir les dommages-intérêts. Les délais d’audiencement d’un appel correctionnel tournent autour d’un an, on a donc le temps de voir venir. Le maire a changé d’avocat pour cet appel et est désormais défendu par un natif de Cousolre, un certain (et redoutable) Éric Dupond-Moretti.

Dernière question : le parquet avait-il d’autres choix que de poursuivre ? C’est la question que se pose Philippe Bilger, magistrat honoraire (rappelons que chez les avocats, honoraire veut dire facture, et chez les magistrats, retraité), qui se demande pourquoi le parquet n’a pas classé sans suite, ce qu’il peut faire en opportunité même face à des faits établis.

Comme je l’ai dit au début, le parquet a reçu de la Chancellerie des instructions très claires de ne jamais classer sans suite des violences aggravées. Classer sans suite, c’eût été désobéir, et la loi lui interdit de désobéir à ces instructions (et l’expose le cas échéant à des sanctions personnelles).

En outre, c’eût été inutile.

En effet, la loi permet à celui qui se dit victime directe d’une infraction de mettre lui-même en mouvement l’action publique si le parquet ne le fait pas, que ce soit en saisissant un juge d’instruction (art. 85 sq. du CPP) ou le tribunal, par citation directe (art. 392 sq. du CPP). Là encore, il existe une association à l’intitulé pompeux qui ne cesse de revendiquer des droits de plus en plus accrus pour les victimes, notamment leur donner le droit de faire appel sur l’action publique.

Pour être parfaitement clair, l‘“Institut pour la Justice” fait du lobbying intensif pour permettre à l’avenir à un mineur giflé par un maire dans de telles circonstances de faire appel de l’amende avec sursis et de demander à la cour d’aggraver la peine, en augmentant le montant de l’amende et en supprimant le sursis, et ce même si le parquet ne le souhaitait pas. Et il va même plus loin : il souhaite que si le maire avait été condamné à de la prison, ce mineur incivique puisse venir s’opposer à toute demande de libération conditionnelle ou toute mesure d’aménagement qui pourrait éviter ou limiter le temps passé en prison par ce maire, au nom de l’application effective des peines prononcées (point 3 du Pacte 2012) et de l’impunité zéro pour les atteintes aux personnes (pacte 2012, point n°2).

Je suis ravi de ce spectaculaire virage à 180 degrés de l’IPJ, mais craint hélas qu’il relève plus de la profondeur de réflexion de la girouette que d’un recours tardif mais toujours salutaire à la Raison.

En conclusion, que retenir de cette affaire ? Qu’ici, la justice n’a fait qu’appliquer scrupuleusement la loi, ce qui ne surprendra que ceux qui ne la connaissent pas. La loi sanctionne les violences, toutes les violences. Et la loi ne dit pas qu’un maire aurait, par exception, le droit de distribuer des baffes à tout perturbateur de l’ordre public, sous prétexte qu’il est élu local. Au contraire, la loi dit que celui à qui on a fait l’honneur de confier la mission d’être maire a encore moins le droit que les autres de se laisser emporter à la violence, et qu’il doit être plus sévèrement puni qu’un citoyen ordinaire quand il le fait. La même loi laisse néanmoins une marge d’appréciation au juge pour la fixation de la peine au regard des faits tels qu’ils se sont déroulés, et de la personnalité du prévenu. Devinez d’ailleurs qui milite pour que cette marge d’appréciation soit restreinte voire annihilée dans un sens d’une plus grande sévérité systématique ? Mais oui, toujours lui !

Cette décision vous scandalise ? Libre à vous, mais vous ne pouvez pas la reprocher à la justice, qui avait ici les mains liées par la loi. Demandez au législateur de changer la loi si vous souhaitez que votre maire puisse librement vous gifler vous et vos enfants à chaque fois qu’il estimera que vous contrevenez à l’ordre public. En attendant, la loi vous protège et les maires gifleurs seront toujours exposés à des sanctions pénales.

Et si vous estimez finalement avoir été induit en erreur par l‘“Institut pour la justice” qui vous a intentionnellement caché ce que je vous explique ici, ce qui fut le cas de nombreuses personnes à la suite de l’affaire du Pacte 2012, à tel point que cette association a dû se fendre d’une page spéciale pour me rendre hommage et tenter de faire cesser l’hémorragie de gogos, vous pouvez écrire à info@institutpourlajustice.com en demandant que votre nom soit retiré de la liste des signataires et surtout de leur base de donnée pour éviter de vous faire spammer à l’avenir. On vous expliquera en retour que je suis très méchant, ce que j’assume parfaitement. Mais moi, au moins, je ne vous prends pas pour des imbéciles.

Voir aussi cet article de Pascale Robert-Diard, toujours elle, sur les lettres de soutien reçues par le maire, et ce portfolio publié par Le Monde.

Note

[1] Rapport de M. Warsmann n°856 du 14 mai 2003, II, A, 2.

mercredi 15 février 2012

Procédure 2012/01 (5e partie)


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jeudi 2 février 2012

Procédure 2012/01 (1re partie)

Voici un billet écrit à 8 mains, avec Tinotino, gendarme émérite, qui comme dans toutes les procédures fourni l’essentiel du travail de tape (je parle du texte), Gascogne, parquetier ténébreux, et Fantômette, intrépide avocate, basé sur une histoire vraie. Des détails ont été modifiés, pour assurer que les protagonistes ne sont pas reconnaissables. Cette affaire a lieu à Mordiou-Sur-Armagnac, dans le ressort du tribunal imaginaire de Castel-Pitchoune (Cour d’appel d’Artagnan), où me voici avocat, et où, malgré mes efforts, le Maréchal des Logis-Chef Tinotino et le Premier substitut Gascogne font régner la terreur parmi les criminels. 

C’est le récit d’une enquête de police (on l’appelle ainsi même quand elle est menée par la gendarmerie), vue à la fois du gendarme en charge de l’enquête, du procureur qui la supervise, et des deux avocats qui vont intervenir au cours de la garde à vue, l’un pour le suspect, l’autre pour la plaignante. Les passages en italique et entre parenthèses au milieu d’un dialogue sont les pensées de celui qui parle, pensées que seuls vous pouvez entendre.

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vendredi 30 décembre 2011

Le Sage, le Flic et le Suspect

Par Simone Duchmole, officier de police judiciaire, que mes lecteurs actifs en commentaires connaissent bien, à qui je souhaite la bienvenue comme auteur invitée et que je remercie pour sa participation à ce débat.


Je ne vous le cache pas : je me réjouis de la décision du Conseil Constitutionnel en date du 18.11.2011 sur l’audition dite « libre » des suspects et sur l’impossibilité pour les avocats d’accéder, au moment de la garde à vue, aux pièces du dossier.

J’entends bien ceux qui y voient une démission des Sages de la rue de Montpensier, arguant, consternés, que ces derniers font fi des règles fondamentales pourtant réaffirmées avec force depuis plusieurs années par les magistrats européens de Strasbourg (où l’herbe est si verte). Oui, j’entends tout cela. Mais je ne peux m’empêcher de me réjouir car je constate que cette prestigieuse institution (cela dit sur ce point le doute m’assaille, il suffit notamment de voir son attitude vis à vis des comptes de campagne du candidat Balladur en 1995 pour se rendre compte du malaise)… que cette prestigieuse institution, donc, garde une conception du « procès pénal » proche de la mienne. En tout cas, c’est comme cela que je l’interprète. Et cette joie m’a donné envie de coucher quelques remarques sur le papier. Je remercie donc Maître Eolas de m’avoir ouvert son blog malgré nos avis très divergents sur le sujet.

Pour mieux comprendre mon point de vue, commençons par des choses simples, ce qui, pour une fonctionnaire de police, n’étonnera personne. Nous, les flics, à quoi servons nous exactement, à part bien sûr harceler les automobilistes ou déloger brutalement de sympathiques manifestants ? L’article 14 du Code de Procédure Pénale résume, en quelques mots, notre mission, en tout cas celle de la Police Judiciaire à laquelle j’appartiens : nous sommes chargés de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, et ce tant qu’une information n’est pas ouverte (donc tant qu’un juge d’instruction n’est pas saisi). Comme vous le voyez, nous n’intervenons que de manière limitée dans le « procès pénal », concept beaucoup plus large comprenant notamment la phase essentiel du jugement. Pour faire simple, nous recherchons, au cours de nos enquêtes, tous les éléments utiles permettant à la Justice de se prononcer d’abord sur les éventuelles poursuites puis sur la culpabilité de la personne poursuivie.

Et dans le cadre de cette recherche, il nous arrive de mettre en œuvre une mesure devenue emblématique : la garde à vue.

Évacuons tout de suite la question des conditions matérielles de cette dernière. On en parle depuis longtemps et c’est bien souvent le premier grief formulé par ceux qui ont la « chance » de passer dans nos locaux, dans ces cellules exigües, inconfortables et bien souvent malodorantes. L’État estime peut-être que la brièveté du séjour ne mérite pas que soit consenti un effort particulier. On s’en tient donc au strict minimum, aussi bien en ce qui concerne le mobilier (le béton redevient cependant tendance) que la propreté (un coup de serpillière quand le personnel en charge du ménage y pense, c’est largement suffisant). Voilà un chantier qui aurait du être engagé depuis longtemps.

Évacuons ensuite son caractère d’« indicateur d’activité ». C’était le cas il y a encore quelques mois mais la politique en la matière a changé. Il y a peu, plus vous faisiez de gardes à vue, plus vous montriez le dynamisme de votre service. Aujourd’hui, tout cela est bien fini. En caricaturant un peu, je dirais qu’il ne faut dorénavant faire de la garde à vue que lorsque vous ne pouvez pas faire autrement. Convoquer votre mis en cause pour le lendemain, en vue d’une audition libre, au lieu de régler le problème immédiatement est l’attitude préconisée, du moins pour les plus petits délits… même si cela complique votre tâche. Et tout cela pourquoi ? Parce que l’augmentation du nombre de gardes à vue a fini, assez logiquement, par marquer les esprits et parce que, très certainement, la présence accrue des avocats au cours de ces mesures a un coût que l’administration compte bien minorer.

La réforme adoptée en 2011 et entrée en vigueur en juin dernier a posé les bases suivantes : Ne peut faire l’objet d’une garde à vue que la « personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement ». Il s’agit d’une mesure de contrainte décidée par un Officier de Police Judiciaire, seul (mais pas de façon arbitraire) ou sur instruction du Procureur de la République. Cette mesure doit constituer l’unique moyen de parvenir à l’un des six objectifs énumérés par l’article 62-2 du Code de Procédure Pénale (1-Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne, 2-Garantir sa représentation devant le procureur afin que ce dernier puisse apprécier la suite à donner à l’enquête, 3-Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices, 4-Empêcher la personne de faire pression sur les témoins ou les victimes, 5-Empêcher que la personne ne se concerte avec les éventuels co-auteurs ou complices, et enfin 6-Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit).

Très souvent, j’entends que les policiers se contentent de vagues soupçons pour placer en garde à vue leurs clients alors qu’ils feraient mieux de pousser un peu leurs investigations avant de les passer à la question. Cette attitude s’expliquerait par leur probable fainéantise et surtout le culte sans pareil voué aux aveux. Non, les enquêteurs ne se disent pas en recevant leurs dossiers : « Il y aurait bien quelques trucs à faire pour démontrer l’infraction et confondre son auteur, mais je vais me contenter de placer en garde à vue le suspect et lui faire avouer son forfait. »

Ce sont les circonstances qui l’emportent bien souvent. La plupart des dossiers donnant lieu à des gardes à vue sont a priori traités en flagrance, c’est à dire quand le crime ou le délit se commet au moment de l’intervention des forces de l’ordre ou quand il vient de se commettre. Et là c’est l’urgence qui prédomine. Le suspect est interpellé puis interrogé en même temps que sont récoltés les éléments de preuve. Il est difficile de remettre une convocation pour la semaine suivante à une personne poursuivie par la clameur publique et « accusée » d’avoir commis dix minutes plus tôt un vol avec violences, un viol ou un meurtre. Oui, de simples soupçons suffisent pour que l’on décide de vous retenir un moment afin d’y voir plus clair. Comment faire autrement lorsqu’une femme de ménage sort d’une chambre d’hôtel en accusant un client de l’avoir agressée ? Comment faire autrement lorsqu’un jeune homme connu pour agression sexuelle présente des griffures au visage et a été aperçu en compagnie d’une camarade de classe peu de temps avant que celle-ci ne disparaisse mystérieusement ?

Nos dossiers permettent heureusement parfois que soient engagées de multiples investigations avant l’audition du suspect. Mais l’absence d’élément probant, en raison par exemple de l’ancienneté des faits, ou l’existence d’un simple faisceau d’indices, ne rend pas pour autant injustifiées les auditions sous le régime de la garde à vue. Et il arrive de devoir précipiter une garde à vue parce qu’un événement inattendu bouleverse le déroulement normal de l’enquête.

Privé de liberté (rassurez vous, pour une durée très limitée), contraint de rester à la disposition des policiers pour tous les actes qu’ils jugeront utiles à la manifestation de la vérité (cette fameuse vérité que les avocats nous présente toujours comme une chimère), le suspect dispose néanmoins (et fort heureusement) de droits. Ils ne sont certes pas très nombreux mais permettent de ne pas se sentir isolé, seul face à l’oppresseur. Le suspect peut donc (n’est évoqué ici que le régime de droit commun, histoire de ne pas compliquer mon propos), et ce depuis le 01.06.2011 (ne revenons pas sur les régimes antérieurs), après avoir été avisé de la nature et de la date des faits reprochés :

- faire prévenir un proche (et non pas passer un coup de téléphone lui-même, nous ne sommes pas aux États-Unis)

- être examiné par un médecin qui se prononcera sur la compatibilité de son état de santé avec la mesure de garde à vue et administrera des soins si nécessaires

- s'entretenir avec un avocat au début de la mesure ainsi qu’au début de l’éventuelle prolongation, de manière confidentielle et pendant 30 minutes (Une demi-heure durant laquelle aborder le fond de l'affaire n'est pas interdit. Néanmoins le suspect ayant la fâcheuse tendance à mentir, même à son avocat, nous comprenons la difficulté de la tâche de ce dernier) et se faire assister au cours des auditions (mais pas des autres actes, comme les perquisitions par exemple). Cette assistance est bien sûr gratuite, laissée à la charge des contribuables, et ce quels que soient les revenus du suspect. Bien évidemment, si celui-ci choisit d’être assisté par un avocat particulier, ce sera à lui de régler les honoraires. D’où parfois la réticence de certains avocats à se déplacer et/ou rester pour des clients qu’ils connaissent peu ou pas et dont ils redoutent l'insolvabilité.

L'assistance de l'avocat au cours des auditions est donc la grande avancée de la dernière réforme sur la garde à vue. Cette dernière, adoptée dans la difficulté sous la pression des instances judiciaires nationales et supra-nationales, laisse cependant les avocats toujours aussi insatisfaits. En effet, si les portes de nos bureaux leur sont désormais ouvertes, ils enragent de ne pouvoir intervenir au cours des auditions (peur du syndrome de la plante verte ?). Certes ils peuvent toujours rédiger des observations sur ce qu'ils voient et entendent, et même poser des questions à la fin de chaque audition (ce qui n’est pas rien), mais ils voudraient prendre la parole pour orienter, au fur et à mesure de l'audition, leurs clients.

Ils exigent aussi et avant tout de pouvoir prendre connaissance du dossier pour organiser la défense. C’est le nœud principal de la discorde et un des objets de la récente décision, négative (mais très positive) du Conseil Constitutionnel. Les avocats s'estiment particulièrement floués puisque selon eux l'accès au dossier est un élément fondamental dans l'organisation de la défense, défense qu'ils doivent pouvoir exercer librement. « Comment défendre mon client si je ne sais pas ce qui lui est reproché ? » En réalité, en s'entretenant avec leurs clients puis en écoutant les questions posées par les enquêteurs, il leur est certainement possible de se faire une idée plus ou moins précise de la nature exacte des faits reprochés, des circonstances dans lesquelles ils ont été commis et des éléments en possession des enquêteurs.

La Cour Européenne des Droits de l'Homme, dans son interprétation du « procès équitable », exigerait, selon eux, que les suspects bénéficient d'une défense sans entrave, et ce dès le début de l'enquête. C’est oublier que la Cour a eu l’occasion d’indiquer que cette équité s’apprécie au regard de la procédure pénale dans son ensemble. C'est aussi refuser de voir dans le procès pénal un processus complexe composé de plusieurs phases. Et celle qui nous intéresse ici, l'enquête policière, doit être distinguée, selon moi, des phases d' « inculpation » et de jugement. Comme l'ont rappelé les Sages, lors de la garde à vue, qui n'est qu'un acte d'enquête parmi d'autres au moment où les policiers et gendarmes tentent de recueillir tous les éléments utiles à la manifestation de la vérité, l'avocat présent n'a pas vocation à plaider et à discuter du bien-fondé des actes accomplis. Les bureaux des forces de l'ordre ne sont pas des prétoires. Nous agissons dans une phase qui ne laisse sciemment pas le contradictoire prendre sa pleine mesure. Il le fera éventuellement par la suite (notamment au moment du jugement, du moins en théorie). Nos investigations sont certes attentatoires aux droits et aux libertés, mais c'est la nature même de notre mission qui l'exige. Les preuves, il faut que nous allions les chercher, les débusquer et parfois les arracher.

L'égalité des armes à ce stade des investigations est une vaste plaisanterie. Il ne faut absolument pas « juridictionnaliser » la garde vue, ni d’ailleurs l'enquête de police dans son ensemble. Certains exigent en effet que la garde à vue, et d’une manière générale la phase d’enquête, devienne pleinement contradictoire. Cette volonté provient certainement du fait que le contradictoire semble aujourd’hui malmené au cours de nombreuses procédures de jugement (notamment celles dites simplifiées). Le voir, pour pallier cette situation, s’installer dans les bureaux des enquêteurs peut paraître séduisant mais ce serait une erreur. La phase d’enquête n’a pas à souffrir des problèmes liés à l’engorgement des tribunaux.

Je le répète, je suis donc contre l'accès au dossier à ce stade des investigations Le mis en cause n'a pas à prendre connaissance de l'intégralité des éléments à disposition des enquêteurs. Pour arriver à savoir ce qu'il s'est vraiment passé, il faut parfois mettre le suspect face à ses contradictions, ses incohérences, ses élucubrations, en passer par des questions auxquelles on sait pertinemment qu'il mentira pour ensuite lui présenter, de manière calculée, les éléments qui démonteront son discours. Lui présenter dès le départ les pièces du dossier par le biais de son conseil, c'est l'éclairer totalement sur ce que nous savons (et donc ce que nous ne savons pas encore), c'est lui permettre d'élaborer un discours adapté.

Je suis également contre l'accès aux dossiers car certains d'entre eux contiennent des informations qui ne peuvent être divulguées, à ce stade de l'enquête. Je fais référence ici à tous les actes en cours ou à venir qui seraient mis en danger en cas de « publicité ».

Et ce n’est pas jeter la suspicion sur les avocats que de leur refuser, à ce stade du processus pénal, l’accès à notre procédure. Mais tout bon avocat utilisera les éléments qui lui seront présentés (tous, y compris et surtout ceux qui pourraient réduire à néant l’enquête) pour mener à bien sa mission, à savoir défendre les intérêts de son client (intérêts qui n’ont parfois rien à voir avec la manifestation de la vérité), et ce, sans enfreindre la moindre règle déontologique.

Alors, certes, beaucoup de dossiers ne contiennent pas grand chose et leur caractère confidentiel ne rime pas à grand chose. Mais accepter un accès total et sans condition à la procédure c'est potentiellement mettre en péril des dossiers complexes et/ou sensibles.

Maître Eolas a évoqué un compromis, à savoir un système dans lequel l’accès au dossier serait de droit mais susceptible de faire l’objet d’un report sur décision des autorités judiciaires. C'est une solution envisageable (mais que je ne souhaite pas) même si je reste persuadée que les avocats monteront au créneau à chaque fois que cet accès leur sera refusé.

La garde à vue ne concerne, faut-il le rappeler, qu'environ un mis en cause sur deux. 50% des suspects sont donc entendus en « audition libre ». Comme chacun sait, cette question me tient à cœur car c'est une vieille pratique que je défends ici depuis longtemps. Mes dossiers ne nécessitent pas souvent la mise en œuvre d'une garde à vue. Et cela n'a rien à voir avec le fait que l'audition se déroule hors présence d'un avocat. Contrairement à ce que sous-entend souvent le Maître des lieux, on ne choisit pas l'audition libre pour se débarrasser des avocats (c’est une vision assez nombriliste de la situation), on le fait parce qu'elle s'adapte mieux aux circonstances. La lourdeur et le caractère infamant (entre autres) de la garde à vue me paraissent suffisamment importants pour que je n’use de cette mesure qu’avec parcimonie.

Bref, le Conseil Constitutionnel a défendu l’existence d’une telle audition, malgré le contexte actuel, au grand désespoir des avocats qui ne se voient toujours pas invités à y assister. Les Sages exigent néanmoins que soit réelle la liberté dont jouissent ceux qui sont ainsi interrogés hors du régime de la garde à vue par les forces de l’ordre. A titre de garantie, les informations suivantes doivent être délivrées aux mis en cause avant toute question sur le fond :

- nature et date de l’infraction que la personne est soupçonnée avoir commise

- droit de mettre fin à tout moment à l’entretien en quittant les locaux de police ou de gendarmerie.

Pour info, je n’ai pas attendu la décision des Sages pour informer mes convoqués de leur possibilité de mettre fin à tout moment à l’entretien. Je le fais depuis plusieurs mois, et jusqu’à présent personne ne s’est levé pour quitter mon bureau. Personne n’est monté sur ses grands chevaux pour exiger la présence d’un avocat à ses côtés. Et tous, avec plus ou moins d’entrain, ont bien voulu répondre à mes questions. Le désir de donner leur vision des évènements était visiblement plus fort que le reste.

Alors, bien sûr, j’entends d’ici ceux qui prétendent que notre suspect n’a pas vraiment le choix, que, malgré ces petites garanties procédurales, il n’acceptera son sort qu’en raison de la menace sourde qui pèse sur lui (serait-ce la présence de mes bottins, négligemment posés sur le bord de mon bureau ?). Pourtant, que risque le suspect qui n’apprécie pas ce choix ? Au mieux, rentrer tranquillement chez lui. Au pire, se retrouver en garde à vue et donc bénéficier de ces droits dont il rêvait tant et que le fourbe enquêteur n’avait pas voulu lui accorder. Je précise, en ce qui me concerne, que seule la première option trouve grâce à mes yeux. En effet, si j’ai choisi d’entendre librement mon suspect, ce n’est pas pour changer d’avis en chemin uniquement parce que celui-ci ne veut pas répondre à mes questions. Si j’avais voulu le contraindre à passer quelques heures en ma compagnie, je l’aurais placé en garde à vue tout de suite. La poursuite de mes investigations m’obligera cependant peut-être à le recroiser dans des circonstances moins agréables pour lui.

Malgré cette sage décision du Conseil Constitutionnel, nous constatons que la mobilisation des avocats reste entière. Ils continuent de demander l’accès au dossier et estiment que tout suspect, privé ou non de liberté, doit pouvoir être assisté d’un conseil. Bien que de nombreux parlementaires semblent aujourd’hui prêter une oreille attentive à ce discours, les espoirs de ces auxiliaires de justice reposent toujours sur les magistrats de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui, espèrent-ils, condamneront la France pour être restée sourde à leurs revendications. Mais attention, de grands espoirs peuvent parfois déboucher sur de grosses déceptions.

samedi 12 novembre 2011

Attention manip : le "pacte 2012" de "l'Institut pour la Justice"

Depuis quelques jours, un appel à signer un “Pacte pour la justice” en vue de l’élection présidentielle de 2012 circule sur internet, émanant de l’Institut pour la Justice (IPJ), que mes lecteurs connaissent bien, hélas pour eux.

Dans un premier temps, j’ai consacré à cette initiative le traitement que je réserve à toutes celles de l’IPJ, c’est-à-dire mon plus profond mépris.

Mais je dois reconnaître que l’IPJ est en train de réussir son coup, avec sa méthode habituelle : mettre en avant la douleur d’une victime qui se défend de mettre en avant sa douleur, des affirmations que rien ne vient étayer si ce n’est la parole de la victime, étant entendu que quiconque est contre est un salaud qui méprise la douleur d’un père, un droitdel’hommiste bobo naïf, et bien évidemment l’ami du crime.

J’ai quand même été quelque peu soulagé de constater que sur la centaine de personnes qui m’ont signalé ce lien, la plupart avaient une approche méfiante et voulaient des explications. Car des explications, ce fameux message n’en contient pas le début d’une. Le lire avec un minimum d’esprit critique ne peut que révéler cette évidence, mais vous allez voir qu’il est fait justement pour neutraliser d’entrée votre esprit critique.

Puisque la justice, qu’invoque l’IPJ, mais seulement dans son intitulé, exige un débat ou chaque point de vue peut s’exprimer, je vais donc répondre à ce message, par des faits, des explications, des arguments, bref, par la Raison. Je suis désolé de devoir apporter une réponse critique à Joël Censier, dont je ne puis que comprendre la douleur et la colère, c’est une position que je n’apprécie nullement. Mais c’est lui qui a choisi de porter son histoire dans un débat public et d’en faire un argument politique. Je respecte ce choix, mais il entraine des conséquences, dont celle de devoir supporter la critique.

Commençons par une analyse du propos de Joël Censier, avant de terminer par une analyse de la démarche de l’IPJ, dont je rappelle qu’il n’est ni un Institut, ni pour la Justice, mais une simple association de 1901 essayant de promouvoir des thèses ultra-répressives sous un vernis pseudo-scientifique, qui revendique sur son site “400 000 sympathisants” mais non adhérents, c’est à dire des gens dont l’implication a été un clic sur internet mais dont aucun n’a souhaité verser la moindre cotisation. Les candidats sollicités feraient bien de s’en souvenir.

Le propos de Joël Censier

Je m’appelle Joël Censier, j’ai 52 ans et trente ans de police derrière moi. En vous envoyant cette vidéo, j’ai conscience de commettre un acte grave. Mais c’est une question de conscience.

Notez la dramatisation : le policier de trente ans commet un acte grave : il s’exprime. Car quelle que soit la critique qu’appellent ses propos, ils sont dans la limite de la liberté d’expression et sont parfaitement légaux. Son auteur ne s’expose à aucune sanction, aucune poursuite, rien. Mais sa “conscience” le pousse à “commettre un acte grave”. Un peu de dramatisation ne fait pas de mal.

Un de mes enfants, Jérémy, a été tué par un groupe de jeunes, alors qu’il rentrait à la maison. Ces jeunes, pour certains « bien connus des services de police », se sont déchaînés sur Jérémy, simplement parce qu’il était « fils de flic ». A dix contre un, ils l’ont tué avec une « barbarie inimaginable », selon les témoins et les médecins légistes.

Vous en avez sans doute entendu parler à la télévision, ou dans les journaux. C’était à Nay, une ville du Sud-Ouest, le 22 août 2009.

Retenez bien ces deux paragraphes. ce seront les seules présentations des faits auxquels vous aurez droit pour asseoir votre opinion.

La presse de l’époque est encore accessible en ligne (voir ici, ou ). Voici donc ce qu’on peut apprendre sur ce qui s’est passé.

Les faits ont eu lieu la nuit du vendredi 21 au samedi 22 août, à Nay, dans les Pyrénées Atlantiques. Le village célébrait sa fête traditionnelle. Vers 2 heures du matin, alors qu’il rentrait se coucher chez les amis qui l’hébergeaient (Jérémy habitait dans le Gers), il aurait aperçu une rixe qui opposait deux groupes (des gitans sédentarisés qui vidaient une querelle, semble-t-il). Il se serait approché de l’attroupement pour séparer les belligérants. Il semble établi qu’il ne s’est à aucun moment battu lui-même. Mais à peine était-il arrivé qu’une des personnes présentes, Samson G., mineur sans antécédents judiciaires, qui était semble-t-il déjà au sol quand Jérémy est arrivé, s’est relevé et lui a porté cinq coups de couteau, le premier à la poitrine, puis les autres à la poitrine et à la tête. L’autopsie a constaté que deux de ces coups étaient mortels, sans pouvoir déterminer celui des deux qui a été porté en premier et a donc été le coups mortel.

Le mineur a alors remis le couteau à une des personnes présentes en lui demandant de le faire disparaître. Ce mineur, auteur des coups, a été rapidement interpellé et a reconnu être l’auteur des coups de couteau. L’homme qui avait caché le couteau a été arrêté et a indiqué l’emplacement où il avait jeté le couteau (un canif dont la lame faisait 12 cm) qui a été retrouvé. Comme vous l’avez vu, il n’étaient pas dix, mais un. De plus, il est manifestement impossible que l’agresseur de Jérémy ait su que son père était policier puisque les faits ont eu lieu à Nay et que Jérémy habitait dans le Gers à 200 kilomètres de là et étaient hébergé chez des amis. Enfin, jamais les mots “barbarie inimaginable” n’apparaissent dans des rapports de médecins légistes qui emploient des termes techniques froids et descriptifs. D’ailleurs, Joël Censier a publié ce rapport sur le site consacré à cette affaire, et vous pourrez constater que ces termes n’apparaissent nulle part. En réalité, Jérémy Censier a reçu cinq coups de couteau dont deux mortels et des coups de pied une fois au sol. Voilà pour la “barbarie inimaginable”. Selon une technique qui sera employée tout au long, les faits vous sont cachés pour que votre imagination vole au secours de votre indignation.

La réaction judiciaire a été tout à fait normale : après une enquête de police visant à identifier et interpeller les responsables (avec succès ici), retrouver des témoins, faire les constations sur le lieu des faits avant que les indices ne disparaissent, enquête dite de flagrance, le procureur de la République de Pau, face à des faits sans nul doute criminels (il y a des violences volontaires reconnues et mort d’homme), a saisi un juge d’instruction pour continuer l’enquête. C’était obligatoire. Le mineur responsable des coups a été placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention de Pau, à la demande du juge d’instruction, de même que deux autres personnes soupçonnées dans un premier temps d’avoir participé aux faits (le frère du mineur et un ami de celui-ci), qui seront par la suite mises hors de cause sur la mort de Jérémy.

Comme nous le verrons, seul Samson G. a été finalement renvoyé devant la cour d’assises pour meurtre, cinq des sept autres personnes mises en examen seront jugées pour les faits de violences préméditées, c’est-à-dire la bagarre initiale à laquelle Jérémy était étranger, deux ont été mises hors de cause et ont bénéficié d’un non lieu.

La qualification des faits retenue est homicide volontaire pour la personne ayant porté les coups de couteau et violences volontaires en réunion ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de 8 jours.

Le cumul de qualification (homicide + violences avec ITT) s’explique par le fait que si cinq autres personnes présentes ont porté des coups à Jérémy, aucun de ces coups n’a été mortel ni n’a été porté avec l’intention de tuer. Ils ne peuvent donc être assimilé au crime de meurtre. On parle d’incapacité totale de travail de plus de 8 jours car c’est la mesure de la gravité des blessures non mortelles : si Jérémy avait survécu, il aurait eu une ITT de plus de 8 jours. Au-delà de cette limite, fixée par un médecin expert, on est en présence d’un délit, en deçà, d’une contravention. Mais la présence d’une ou plusieurs circonstance aggravante transforme toute violence même légère en délit. Ici, la réunion (violences commises par au moins deux personnes simultanément) est constituée, les auteurs des coups encourent donc cinq ans de prison.

Joël Censier oublie juste de vous dire que la qualification de meurtre a bien été retenue. Je comprends que tous ceux qui étaient présents sur le pont soient responsables de la mort de son fils à ses yeux. La justice se doit de porter sur les faits un regard objectif.

Reprenons les propos de Joël Censier.

Pour Corinne, mon épouse, et pour moi, la vie s’est arrêtée ce jour-là. Nos nuits et nos jours ne sont plus qu’une succession de cauchemars insupportables. Jusqu’à la fin de nos jours, nous pleurerons cet enfant que rien ni personne ne pourra nous rendre. Mais cette vidéo n’a PAS pour but de vous raconter notre histoire,

Et c’est bien dommage, puisqu’on nous demande de prendre position.

et encore moins de vous demander de nous plaindre.

Comme on va le voir, c’est ce qu’en rhétorique, on appelle une prétérition.

Ce n’est pas parce que notre enfant est mort que nous avons décidé de lancer cet appel. Si je vous parle aujourd’hui, c’est à cause de ce qu’il s’est passé après. Car cela concerne tous les citoyens qui, un jour peut-être, auront affaire comme nous à la Justice. Et nous ne voulons pas que d’autres connaissent ce que nous avons connu. Nous ne voulons pas que d’autres traversent les terribles épreuves que nous avons vécues après la mort de notre fils.

Comme beaucoup de victimes, nous avons cru que la Justice allait nous défendre. Qu’elle allait tout faire pour poursuivre les assassins. Ou qu’elle allait, au minimum, essayer de les empêcher de recommencer. Mais non, ce fut TOUT LE CONTRAIRE.

Tout le contraire ? Donc, nous allons avoir une démonstration que la justice ne fait rien pour poursuivre les meurtriers ou même les empêcher de recommencer, et qu’au contraire elle fait tout pour qu’ils recommencent. C’est ce qu’annonce sérieusement ce paragraphe. Retenez cette promesse. Vous allez voir qu’elle ne sera pas tenue. Ne serait-ce déjà que parce que le 15 août 2011, Samson G. a été renvoyé devant les assises pour le meurtre de Jérémy. La justice encourage les meurtriers en les jugeant aux assises ?

Dès les premières heures de la procédure, la Justice s’est rangée du côté des assassins. D’abord, le juge chargé de l’enquête a déclaré que, comme ils étaient dix, on ne pouvait pas savoir avec certitude qui avait donné les coups qui ont tué notre enfant. Il a donc immédiatement libéré sept des voyous, ne gardant que les trois plus dangereux.

Argument d’autorité : je vous le dis, c’est que c’est vrai. Cela reviendra souvent.

Sauf que cette affirmation est douteuse en soi et contraire aux faits.

Douteuse en soi car elle ne tient pas juridiquement, d’abord. Il existe en droit pénal une théorie jurisprudentielle ancienne dite de l’acte unique de violences. Quand un groupe a pris part à des violences, tous les membres de ce groupe sont co-auteurs d’un acte unique de violences en réunion. Peu importe pour leur culpabilité qui a porté tel ou tel coup. Tous sont responsables du résultat. Le rôle de chacun garde son importance pour déterminer la peine (celui qui s’est acharné sera plus sévèrement sanctionné que celui qui a porté un coup). Donc s’il avait été établi que les coups portés par ce groupe avait occasionné la mort de Jérémy, ils auraient commis des violences volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner, sauf à ce que des faits objectifs établissent une intention de tuer.

Ce n’est pas le cas ici. Les coups fatals ont été portés par un couteau, et on sait que seul Samson G. les a portés. Donc il est certain que les violences (coups de poing et de pied) subies par Jérémy n’ont pas causé sa mort, elles n’étaient pas assez puissantes pour cela. L’acte unique de violences ne s’applique qu’aux violences, pas au meurtre, car il faut une intention homicide individuelle.

Rappelons que l’auteur des coups de couteau les a reconnu, tant en garde à vue (aveux qui ont depuis été annulés faute pour ce mineur d’avoir pu être assisté d’un avocat) qu’à nouveau devant le juge d’instruction. Des témoins de l’agression ont été entendus par la police et ont confirmé que seul lui avait porté des coups de couteau. Et cet auteur a bien été mis en examen pour homicide volontaire et placé en détention provisoire jusqu’en septembre dernier, soit deux ans (je reviendrai sur les conditions de sa libération). Il sera jugé pour meurtre par les assises, aux côtés de cinq autres personnes auteurs de violences non mortelles.

Joël Censier semble s’être persuadé que tous ceux présents sur le pont sont responsables de la mort de son fils. Je comprends que son chagrin ne le pousse pas à faire dans le détail. Nous n’avons pas cette excuse pour ignorer la vérité.

Peu de temps après, sur les trois, ils en ont relâché deux, sans raison.

Ah, que j’aimerais que la Justice libérât mes clients sans raison. Mais elle en demande, la bougresse.

Si, bien sûr, il y a une raison. Il suffit de lire la presse pour la connaître. Les éléments impliquant les personnes concernées sont devenus sujets à caution, excusez du peu. Le respect de la présomption d’innocence peut déranger le père d’une victime, je le comprends. Mais le chagrin n’interdit pas l’honnêteté intellectuelle. Il n’y a nul dysfonctionnement dans ces remises en liberté. D’autant que la suite donnera raison à la chambre de l’instruction : ces deux personnes ont été mises hors de cause dans le meurtre et les violences non mortelles. L’erreur de Joël Censier est pardonnable, il n’y a pas à l’IPj de juriste compétent pour lui expliquer cela.

Toute poursuite pour meurtre a été abandonnée contre eux.

Oui, le 15 août 2011, lors de l’ordonnance de règlement de l’instruction, soit après deux années d’enquête. La phrase précédente, commençant par “peu de temps après” laisse entendre que ce fut dans les jours qui ont suivi, ce qui n’est pas le cas.

Les magistrats ont déclaré qu’ils ne retiendraient que le délit de « violences volontaires ayant entraîné une interruption de travail supérieure à huit jours ». Oui, vous avez bien lu : une « interruption de travail supérieure à huit jours ». Un des délits les moins graves du code pénal. >Alors que notre fils est mort !

Jamais la justice n’a nié ce décès, ce que laissent entendre ces propos. Il est mort, mais pas du fait de ces violences.

Mais le pire était à venir.

Je n’en doute pas.

Le 16 septembre dernier, c’est-à-dire il y a un mois [Donc ce message date de mi octobre 2011. NdEolas] , la Justice a décidé de relâcher pour « vice de forme » le dernier qu’elle détenait encore. Cet individu est pourtant le danger public qui a avoué être l’auteur de multiples coups de couteau sur notre fils : un coup qui a transpercé son cœur, un coup qui a traversé sa boîte crânienne, et d’autres encore qui l’ont défiguré. Mais la Justice l’a libéré pour « vice de forme » !

Et quel « vice de forme » ? Ses avocats ont demandé une « mise en état du dossier de leur client, le 25 octobre 2010 ». Il s’agit d’une formalité purement juridique, sans aucune conséquence pratique sur la culpabilité de l’accusé. La chambre d’instruction avait trois mois pour leur répondre. Mais elle a dépassé ce délai. Alors les avocats ont exigé la libération du jeune. Et la Cour de Cassation leur a donné raison. Il a donc été immédiatement libéré. « Cette décision de remise en liberté pour non-respect des délais est une première en France dans l’application du texte concerné. C’est un immense soulagement », a déclaré l’avocat du tueur, Maître Sagardoytho. « Un immense soulagement » ; « une première en France ».

Pour Corinne et pour moi, ces mots victorieux sont insupportables. Nous avons pensé à tous les autres parents qui, désormais, risquent de voir eux aussi les assassins de leur enfant libérés pour ce « vice de forme ».

Vous avez compris ce qui s’est passé ? Non ? Moi non plus, et pourtant je suis avocat. Mais encore une fois, le but n’est pas de vous expliquer quoi que ce soit, de vous convaincre, de s’adresser à votre Raison.

Heureusement pour vous et moi, les décisions de la Cour de cassation sont publiées. J’ai donc pu retrouver l’arrêt concerné (Crim. 14 septembre 2011, pourvoi n°11-84937), ce qui n’a pas été commode puisque et arrêt est non pas du 16 mais du 14 septembre 2011.

Voici donc ce qui s’est passé : à vous de vous faire une opinion, en vous fondant sur les faits, qui vous sont soigneusement cachés par l’IPJ, qui a un rapport délicat avec la vérité, qui il faut dire lui est rarement favorable.

Le 5 mars 2007 a été promulgué une loi modifiant la procédure pénale, prise à la suite de l’affaire d’Outreau. Elle a entre autres introduit de nouvelles procédures permettant d’assurer une meilleure surveillance des détentions provisoires, pour essayer d’éviter qu’à nouveau, des innocents puissent croupir trois ans en prison.

Cette loi a notamment prévu la possibilité pour la défense de demander à la chambre de l’instruction de passer en revue l’instruction, dans une audience en principe publique, où les éléments à charge et à décharge peuvent être débattus afin de s’assurer que la détention est réellement nécessaire. C’est l’article 221-3 du Code de procédure pénale (CPP). Elle se distingue de l’appel sur la détention provisoire qui ne porte que sur l’adéquation de la détention avec les critères posés à l’article 144 du même code.

Cette demande, qualifiée dans le texte de Joël Censier de “mise en état”, terme impropre qui ne s’applique qu’à une procédure civile, peut être introduite par l’avocat d’une partie (même la partie civile, mais ça n’a que peu d’intérêt pour elle), ou par le parquet (même remarque que pour la partie civile) quand une personne est détenue depuis au moins trois mois et que l’avis de fin d’instruction n’a pas encore été rendu par le juge d’instruction. Le président de la chambre de l’instruction peut même décider d’office de lancer de lui-même cette procédure, mais à ma connaissance, ce n’est encore jamais arrivé. C’est une arme procédurale contre l’inaction d’un juge d’instruction qui semblerait trop négliger un dossier.

Dans notre affaire, l’avocat du mineur incarcéré (et seul incarcéré désormais) a déposé une telle demande le 19 octobre 2010, c’est à dire après un an et deux mois de détention de son client. On peut supposer qu’il estimait que l’instruction avait fait le tour des faits et qu’il craignait que le dossier ne stagnât et que son client végétât en détention.

Le Président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Pau avait huit jours pour y répondre. Soit il rejetait la demande par une décision non susceptible de recours, soit il transmettait à la chambre qu’il préside pour que l’affaire soit jugée après une audience réunissant toutes les parties. Dans ce cas, la loi exige que la cour statue par un arrêt qui doit être rendu dans un délai de trois mois à compter de cette saisine par le président. Faute de quoi, prévoit ce texte, “les personnes placées en détention sont remises en liberté.” C’est la loi.

le 25 octobre 2010, soit dans le délai de 8 jours, le président a estimé que cette demande méritait d’être examinée par la cour. La cour devait donc rendre son arrêt au plus tard le 25 janvier 2011.

Pourtant ce n’est que le 5 avril 2011 qu’il va prendre une ordonnance fixant l’audience au 6 mai 2011.

Les 4 et 5 mai 2011, la défense a déposé ses argumentations écrites, qu’on appelle “mémoires”, commettant ainsi une erreur : en effet, si d’ordinaire, les mémoires peuvent être déposés au plus tard la veille de l’audience, dans le cadre de l’audience de l’article 221-3 du CPP, ils doivent être déposés au moins deux jours ouvrables avant. C’est comme ça, c’est la loi. Le même jour, soit la veille de l’audience (je ne crois pas du tout à un hasard de calendrier) devant la cour, le juge d’instruction notifie aux partie l’avis de fin d’instruction.

Le 7 juin 2011, la chambre de l’instruction a rendu un arrêt déclarant irrecevables les mémoires de la défense car déposés trop tardivement, disant n’y avoir lieu à application de l’article 221-3 du CPP du fait que le 5 mai 2011, veille de l’audience, le juge avait rendu son avis de fin d’instruction, estimant qu’il avait terminé son enquête. L’avocat du détenu a formé un pourvoi contre cette décision, invoquant notamment le non respect du délai de 3 mois. Le 14 septembre 2011, la Cour de cassation a cassé cet arrêt et ordonné la remise en liberté immédiate du mis en examen détenu, car “lorsque la chambre de l’instruction est saisie sur le fondement de ce texte, son arrêt doit être rendu au plus tard trois mois après sa saisine, à défaut de quoi les personnes placées en détention sont remises en liberté” et “en omettant de statuer d’office sur la remise en liberté du requérant alors que le délai de trois mois à compter de sa saisine était expiré, la chambre de l’instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé”.

Cette décision a ulcéré le père de Jérémy. Pourtant il faut en comprendre la portée. Le mis en examen est remis en liberté (il a depuis été placé sous contrôle judiciaire, c’est-à-dire qu’il reste suivi par la justice, avec notamment une obligation de pointer au commissariat de Mont-de-Marsan deux fois par semaine). Point.

Les poursuites continuent, l’ordonnance de mise en accusation de Samson G. du 15 août 2011 reste valable (sous réserve de l’appel en cours contre cette ordonnance, qui a été renvoyé par la Cour de cassation pour être jugé devant la cour d’appel de Toulouse), et ce jeune homme sera probablement jugé par la cour d’assises des mineurs. Simplement, il sera jugé libre. Sachant que devant la cour d’assises, toute peine est immédiatement exécutoire : s’il est condamné à ne serait-ce qu’un jour de prison de plus que ce qu’il a déjà effectué (soit deux ans et trois semaines), il sera immédiatement arrêté et conduit en prison. Voilà, c’est tout. Voilà la justice amie des assassins et ennemie des victimes en général et de Joël Censier en particulier.

Je cite les mots de son avocat, commentant la décision de septembre dernier, cité dans Sud-Ouest : “Une décision que ne conteste pas Me Martial. « Elle est en conforme en droit. » L’avocat confie qu’il s’attendait à cette issue. Il avait d’ailleurs prévenu les parents de Jérémy de la probabilité de la remise en liberté de Samson G.”. Même leur avocat leur dit que c’est normal.

Ce qui d’ailleurs mérite qu’on s’y attarde. Qu’a fait la justice ainsi vilipendée ? Au départ, le président de la chambre de l’instruction commet une erreur en n’audiençant pas dans le délai de 3 mois. Le 25 janvier 2011, la détention de Samson G. devient illégale. Il aurait dû être remis en liberté ce jour là. Et pourtant il n’en sera rien fait. Au contraire, le président va laisser au juge le temps d’envoyer l’avis de fin d’instruction pour audiencer l’affaire et tenter de dire que l’article 221-3 du CPP n’est plus applicable ; or c’est cet article qui fonderait la libération immédiate du suspect. Ce qui, avec le pourvoi, va repousser cette remise en liberté au mois de septembre 2011, soit 9 mois en toute illégalité. Bref, la justice paloise a tout fait, y compris violé la loi, pour réparer les conséquences de son erreur. Quand une cour d’appel viole la loi pour ne pas remettre un suspect en liberté, comment peut-on ensuite affirmer qu’elle a pris parti contre soi et en faveur du meurtrier de Jérémy ? De bonne foi, s’entend ?

Alors nous avons décidé de lancer cet appel à toute la population pour protester auprès des autorités afin que cette affreuse injustice ne touche pas d’autres familles. Pour nous, c’est trop tard, la Justice ne reviendra pas en arrière. Mais si vous ne faites rien, le monde judiciaire et les hommes politiques considéreront que ce fonctionnement là de la Justice est accepté par l’opinion publique. Et le même scénario frappera d’autres familles.

Le scénario étant : un présumé innocent remis en liberté en attendant d’être jugé. Aux armes !

Il faut savoir que le jour de la reconstitution, toute la bande est arrivée le sourire aux lèvres, les mains dans les poches. Ils se sont amusés à raconter et re-raconter le meurtre, en changeant de version à chaque fois, pour se moquer de gendarmes, ou de nous. Ils étaient parfaitement décontractés et désinvoltes. Ils savaient qu’ils n’avaient rien à craindre. De mon côté, je pleurais de douleur. J’ai commencé à comprendre que la Justice était en train de nous lâcher.

“Mais l’objet de cet appel n’est pas de nous faire plaindre.”

Je n’ai aucune information sur cette reconstitution, hormis le fait qu’elle a eu lieu en janvier 2011. Maintenant, qu’un groupe de jeunes sortant à peine de l’adolescence, dans une situation où ils sont mal à l’aise, se mette à ricaner bêtement et à rouler des mécaniques pour assurer devant les copains, je le crois volontiers. Je vois le même comportement dans les prétoires, à mon grand dam quand il s’agit de mon client. Quant à l’affirmation “ils savaient qu’ils n’avaient rien à craindre”, elle ne repose que sur le ressenti d’un père bouleversé ; et le “j’ai commencé à comprendre que la justice était en train de nous lâcher”, j’aimerais comprendre.

Le juge d’instruction fait une reconstitution, c’est à dire une mesure d’instruction sur les lieux du drame, demandant à chacun d’expliquer où il était et ce qu’il a fait. Que les explications données soient contradictoires, et parfois mensongères, cela arrive assez souvent. Il y a toujours l’illusion qu’un mensonge bien trouvé permettra d’échapper à l’évidence et au châtiment. Cette illusion est l’ennemie des avocats, car elle aboutit à creuser la tombe de leurs clients, qui ne font qu’éveiller d’avantage les soupçons à leur égard : “s’il ment, qu’a-t-il donc à cacher ? Ne serait-il pas plus impliqué encore que ce que les indices semblent révéler” ? Notons d’ailleurs que le genre de propos que tient l’IPJ ne peut qu’encourager ceux qui le lisent à tenter de nier l’évidence et mentir effrontément face à la justice, puisque l’IPJ laisse entendre que cela permet de s’en sortir et même de se mettre les juges dans la poche. Conseil d’un avocat pénaliste : n’essayez jamais cette méthode. Dites la vérité, ou mieux, taisez-vous, mais ne mentez jamais face à la justice. Jamais. JAMAIS.

Sur le pont, à l’endroit de la reconstitution, un gendarme s’est approché de moi. Ce n’était pas pour me dire un mot de sympathie. Non. Il m’a présenté une convocation à la Gendarmerie. Une plainte avait été déposée contre moi pour « subornation de témoin », et je devais être entendu par les gendarmes. Je me suis retrouvé sur le banc des accusés parce que j’avais demandé à un témoin du meurtre de se manifester auprès des autorités. On m’a expliqué que ce n’était pas à moi de le faire, je devais « laisser la Justice faire son travail »…

Cette anecdote est curieuse. Généralement, les convocations sont envoyées par courrier. Une remise en main propre est plutôt un dernier avertissement à quelqu’un qui n’y défère pas avant l’interpellation en bonne et due forme. Mais il n’est pas du tout conforme aux usages de mélanger les procédures et de confier aux gendarmes chargés du service d’ordre d’une confrontation de remettre des convocations pour audition dans une procédure différente. Ne serait-ce que parce que la maladresse serait ici évidente et que les gendarmes ont des égards. D’autant plus qu’entendre Joël Censier comme témoin aurait relevé de la brigade territoriale du domicile de Joël Censier plutôt que celle de Nay, située à 200 km de là. Vu les imprécisions, les omissions et les contre-vérités contenues jusque là, je prendrai donc cette affirmation avec des pincettes.

La subornation de témoin est un délit prévu par l’article 434-15 du Code pénal. Il consiste dans le fait d’user de promesses, offres, présents, pressions, menaces, voies de fait, manœuvres ou artifices au cours d’une procédure ou en vue d’une demande ou défense en justice afin de déterminer autrui soit à faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation mensongère, soit à s’abstenir de faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation. Elle est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende, ce même si la subornation n’est pas suivie d’effet.

Le simple fait de demander à un témoin de se manifester n’est pas une subornation de témoin. C’est tout à fait légal. Pour qu’une plainte ait été déposée à la gendarmerie, il faut donc que ce témoin se soit senti quelque peu pressé de faire une déclaration qui n’était pas tout à fait conforme à la vérité. J’ignore les suites qui ont été données à cette audition et à cette plainte. je ne doute pas un instant que si elle était allée plus loin, Joël Censier n’aurait pas manqué d’en remettre une couche sur la justice qui s’acharne contre lui. On peut donc supposer qu’elle a été classée sans suite. Détail pas assez important pour qu’on vous le communique. Que diantre, il faut bien vous faire cliquer à la fin.

J’ai même risqué des poursuites pénales car j’avais parlé d’un des meurtriers de mon fils en disant que c’était un « enfoiré ». >Son avocat me menaçait d’un procès en « diffamation ».

“J’ai même risqué”. Comprendre : “je n’ai pas été poursuivi”. Notez que Joël Censier s’obstine à parler au pluriel des meurtriers alors qu’il a été depuis longtemps établi que Samson G. a seul porté les coups mortels. Enfin, “enfoiré” n’est pas une diffamation mais une injure.

C’est alors que mon épouse et moi avons décidé de ne plus nous laisser faire. Au lieu d’attendre passivement le procès, nous avons décidé de rejoindre l’Institut pour la Justice.

Nous y voilà.

Le placement de produit de l’IPJ

L’Institut pour la Justice est un organisme indépendant qui regroupe des juristes, des victimes et des citoyens, qui œuvrent pour réformer la Justice française. Cet Institut a élaboré un Pacte 2012, qui sera présenté à tous les candidats à l’élection présidentielle, pour demander des réformes urgentes du système judiciaire.

Vous pouvez contribuer aujourd’hui à faire passer ces réformes, et à sauver des victimes futures, en signant le Pacte 2012 pour la Justice, en cliquant sur le bouton ci-dessous. Car si nous sommes des centaines de milliers de citoyens à soutenir ces propositions de réforme, les candidats seront obligés de nous écouter ; c’est une question de poids électoral. Mais c’est aussi une question de conscience et de justice.

Pas de vérité ni de Raison.

Lorsqu’on n’y est pas personnellement confronté, on pense souvent que la Justice fait bien son travail. On n’ose pas demander qu’elle soit plus rigoureuse envers les délinquants et les criminels, de peur d’être accusé de manquer d’humanité. Mais je peux vous dire, après trente ans d’expérience dans la Police, que vous n’avez pas à craindre cela. Il est rarissime qu’un vrai délinquant soit traité trop sévèrement en France. La plupart des délinquants bénéficient même d’une impunité à peine croyable.

Argument d’autorité. “J’ai trente ans d’expérience dans la police, je dis donc la vérité. Le fait que je sois partie prenante à une procédure qui me touche personnellement n’a naturellement en RIEN affecté mon jugement. Cela me dispense donc d’étayer mes affirmations par des faits, qui on l’a déjà vu ont un fort parti pris contre moi.”

On entend souvent parler de “violation des Droits de l’homme” dans nos prisons. Mais savez- vous pourquoi 225 détenus, dans une prison de Lyon, viennent de lancer une pétition pour dénoncer « des conditions de détention inacceptables » ? Ces conditions « inacceptables » c’est qu’il leur est interdit d’utiliser… la Playstation 3 dans leur cellule !!

A votre avis, est-ce à cause de l’interdiction d’utiliser une Playstation 3 en cellule que 6 détenus se sont suicidés dans cette prison entre janvier et septembre de cette année ? Voici le texte de la pétition. Les détenus réclament en effet (entre autres : le racket du cantinage, qui est un véritable scandale, l’absence d’activité sportive, illégale, le défaut d’écoute des prisonnier, qui a conduit à des suicides, tout ça sont des détails) de pouvoir utiliser des consoles de jeux vidéos dans leur cellule. De 9 m², surpeuplée, où ils passent 23h/24 chaque jour. Mais ces consoles ne sont pas offertes par l’administration pénitentiaires, pas plus que les télévisions dans les cellules : elles sont louées au prix fort, comme dans les hôpitaux, d’ailleurs. Je ne doute pas que certains citoyens modèles estimeront que ne pas périr d’ennui et sombrer en dépression est faire un traitement trop doux à des prisonniers. Le sadisme des honnêtes gens m’a toujours effaré.

Il n’est pas rare que la Justice relâche un délinquant arrêté des dizaines, voire des centaines de fois par la Police. Le Préfet de Police de Paris, lui-même, en a témoigné dans la presse, le 8 septembre dernier.

Si, c’est rare : il faut encore que je sois son avocat.

Plus sérieusement… Non, en fait, je ne peux pas prendre ce genre d’affirmation sérieusement. Tenez, voici un homme qui cette semaine s’est pris un an ferme pour avoir volé 2 euros de bonbons parce qu’il avait 15 mentions sur le casier. Non mais allez un peu voir des audiences correctionnelles, au lieu de gober des énormités pareilles. Là, la démonstration va consister en prendre une exception pour faire croire qu’elle est révélatrice de la généralité.

Il a cité le cas d’un homme qui venait d’être arrêté pour la 97eme fois. Peut-on imaginer pire mépris pour les victimes ?

Arrêté 97 fois ne veut pas dire condamné 97 fois (ce qui est impossible sauf à vivre plus d’un siècle et commencer jeune). Donc ne veut pas dire coupable 97 fois, et encore moins 97 victimes. Je ne sais rien de ce cas, cité effectivement par le préfet de police qui en bon préfet aime plus les chiffres que les faits. Ainsi, ce même préfet de police n’hésite pas à affirmer que le taux d’élucidation baisse depuis que les avocats assistent les gardé à vue. Avant de dire que grâce à son action volontariste, le taux d’élucidation est en hausse. Comme disait Sir Winston Churchill : je ne fais jamais confiance à des chiffres que je n’ai pas falsifié moi-même.

Des dizaines de milliers de personnes âgées sont cambriolées chez elles chaque année, sans qu’on ne se donne même plus la peine de rechercher les coupables, parce qu’on sait qu’ils seront de toute façon relâchés par la Justice. Des femmes se font violer, ou disparaissent, et on laisse leurs agresseurs libres de recommencer sous des prétextes dérisoires.

Source ? Lien ? Faits ? Pas question. Ça vous ferait réfléchir. Or on surfe sur vos préjugés.

Aujourd’hui, il est grand temps que les candidats aux élections s’en aperçoivent. Mais si nous voulons être sûrs qu’ils se prononcent officiellement, alors il est indispensable que nous soyons des centaines de milliers à signer le Pacte 2012 de l’Institut pour la Justice. J’espère que vous allez le signer et transmettre cette vidéo à tout votre entourage.

Bref vous comporter comme un virus informatique.

Il ne s’agit pas de mesures « répressives », et encore moins de réclamer un retour en arrière. Il s’agit simplement de recentrer la Justice sur sa mission première de protection des citoyens. Instaurer un fonctionnement normal, moderne et juste de l’institution judiciaire, adapté à la réalité d’aujourd’hui, dans lequel les citoyens puissent avoir confiance.

Nouvelle prétérition. L’IPJ ne connait que le tout répressif. Vous allez voir.

Un petit mot sur la mission de la justice, “protection des citoyens”. Ce n’est pas, n’a jamais été et en sera jamais le rôle de la justice. L’IPJ oublie d’ailleurs que les prisonniers sont eux aussi des citoyens et devrait donc militer pour leur protection contre l’État qui leur impose des conditions de détention indigne. Mais pour l’IPJ, on n’est plus citoyen quand on a été condamné.

Protéger suppose une antériorité du danger, d’empêcher un dommage de survenir. La justice, par sa nature même, n’intervient que pour réparer, donc a posteriori. Était-ce le rôle des juges d’être sur le pont de Nay pour empêcher la mort de Jérémy ? Bien sûr que non, ce rôle incombe à la police, et il est illusoire de croire qu’elle peut tout prévenir : même les États les plus policiers du monde connaissent le crime et la délinquance (dans des proportions plus importantes que chez nous, paradoxalement). La mission de la justice n’est pas de protéger, mais de réparer, en sanctionnant le crime. Vouloir inverser la chronologie aboutit à la rendre responsable de la mort de Jérémy et de tous les crimes commis. On sent que cette tentation existe aussi dans le personnel politique. Elle est irrationnelle, et malsaine, car elle revient à faire pression sur les juges, dont l’indépendance est notre première garantie.

Nous demandons: - que les peines de prison soient vraiment appliquées quand elles sont prononcées ; il faut savoir en effet qu’actuellement, 80 000 peines de prison restent non exécutées, faute de place.

Plutôt 82.000, chiffre issu d’un rapport de l’Inspection Générale des Services Judiciaires de 2009, qui représente 13% des peines de prison ferme prononcées. Il est faux de dire que c’est uniquement faute de place que ces peines ne sont pas exécutées. Environ 30.000 d’entre elles ne le sont pas car on ne retrouve jamais le condamné. Les 50.000 peines restantes constituent le stock des dossiers en attente d’exécution (source : le lien précédent). La plupart de ces 50.000 peines seront exécutées un jour. Le délai de traitement est en effet problématique, pour le condamné lui-même au premier chef (il n’y a pas de victime dans tous ces dossiers, loin de là), qui a pu trouver du travail, se réinsérer et changer de vie quand vient l’heure d’exécuter sa peine. Résultat inéluctable de décennies de moyens insuffisants. Si vous ne voulez pas vous payer une justice digne de de ce nom, vous le paierez d’une autre façon.

Le parc pénitentiaire fait 56 150 places opérationnelles au 1er mai 2011. Toutes ces places sont occupées, et plus encore : la population carcérale est de 64 584 personnes (au 1er mai 2011toujours) (taux d’occupation de 115%, avec les répercussions que l’on imagine sur les conditions de détention, qui vont un peu au-delà de l’absence de Playstations en cellule). Que propose l’IPJ ?- Ben d’exécuter ces peines, voyons. - Et comment ? - Ah mais vous allez nous lâcher avec ces satanés faits ?

J’ajoute enfin que le passage à l’acte suppose dans la plupart des cas (excluons les terroristes et les déments) que la personne commettant une infraction ait la conviction de l’impunité, c’est-à-dire qu’elle soit persuadée qu’elle ne sera pas arrêtée et punie pour ce fait. Colporter urbi et orbi et dans tous les médias que les peines de prison ne sont pas exécutées en France, quand bien même c’est faux, risque ainsi fort de favoriser des passages à l’acte. En somme, l’IPJ pousse au crime.

- que les victimes aient au moins autant de droits que les accusés, car aujourd’hui la triste réalité est que les délinquants ont souvent plus de droits et de considération que les victimes ;

Il est vrai que le fait qu’on n’incarcère pas les victimes les prive du droit de contester leur détention. Je vous laisse le soin de décider s’il faut modifier cet état du droit.

Pour le reste, j’invite l’IPJ à aller voir comment ça se passe ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis, pour constater que la France est le pays qui traite sans doute le mieux les victimes dans le cadre du procès. La seule chose qui leur reste fermée est la possibilité de faire appel sur l’action publique, c’est à dire demander une peine plus sévère ou contester une relaxe ou acquittement, qui est le monopole du parquet. Elles ne peuvent faire appel que sur leur action, l’action civile, c’est-à-dire les dommages-intérêts. Parce que la justice n’est pas la vengeance, et que la peine frappe le condamné au nom de la société et non au nom de la victime. Et que leur donner ce droit serait une usurpation des prérogatives de la République par des particuliers, et un cadeau empoisonné. La vérité est terrible : aucune peine, aussi dure fût-elle, ne répare le chagrin de la victime ou de ses proches. Même les familles des victimes dont l’assassin a été condamné à mort et exécuté n’ont jamais ressenti le moindre soulagement de ce fait. Parce qu’une exécution ne répare pas une mort, mais en fait une deuxième. J’ai déjà été confronté à des victimes qui se réfugiaient dans la colère pour échapper à leur douleur. C’est une échappatoire tentante et facile en apparence, mais c’est un cul-de-sac. Une fois la peine définitive tombée, elles se disent que si leur douleur est toujours là, c’est que cette peine est insuffisante, et demeurent à jamais frustrées en se disant que si la peine maximale avait été prononcée, elles ne souffriraient plus. Et si la peine maximale est prononcée, la douleur restant la même, elles se disent que ce maximum n’est pas suffisant. Et ainsi de suite.

Je ne leur jette nullement la pierre, je ne souhaite à personne de connaître ce qu’elles subissent. Mais la douleur ne remplace pas la Raison. Et en faire un argument politique est pour le moins critiquable.

- qu’aucune atteinte aux personnes et aux biens ne reste impunie, car les plaintes classées sans suite sont une invitation à la récidive;

D’un autre côté, une plainte fantaisiste ou infondée (parce que les faits ne constituent pas un délit), doit bien être classée sans suite. Quand les faits sont suffisamment étayés, le parquet n’hésite pas à poursuivre. Mais il n’a pas de temps à perdre à consacrer ses faibles moyens à poursuivre les chimères.

- que les lois nous protègent vraiment des criminels récidivistes ; aujourd’hui, la perpétuité dure 20 ans en moyenne. Même les prédateurs les plus dangereux ont vocation à sortir de prison ;

Bien sûr. Tous les matins, les juges d’application des peines arrivent au bureau en se demandant quel prédateur particulièrement dangereux ils vont pouvoir libérer aujourd’hui. C’est bien connu. D’ailleurs, traditionnellement, le 1er lundi du mois, il demandent aux avocats pénalistes de leur ressort de leur envoyer la liste de leurs clients détenus les plus dangereux pour établir les libérations conditionnelles du mois.

Désolé de faire de l’humour, mais face à ce monceau de sottise, ce n’est que de la politesse.

Plus sérieusement, je rappellerai ici que le meurtre de Jérémy n’a rien à voir avec la récidive puisque Samson G. n’avait aucun antécédent judiciaire, et n’a commis aucun autre meurtre, ni que je sache aucune infraction, depuis sa remise en liberté. Ce sont ici les thèses de l’IPJ qui s’invitent et parasitent la sympathie que vous pourriez éprouver pour Joël Censier.

S’agissant de la récidive, qui est un phénomène très variable selon la nature des faits, voici les chiffres du ministère de la justice, portant sur l’année 2007. Pour les condamnés pour délit, 8,0 % étaient en état de récidive légale, et 26,7 % en simple réitération sur cinq ans, c’est à dire qu’ils avaient déjà été condamnés dans les 5 années précédentes pour des faits de nature différente (par exemple : l’auteur d’un vol déjà condamné pour conduite en état d’ivresse). Ce qui laisse 65,3% de primo-délinquants.

Le taux varie selon les faits : les délits sexuels (agression sexuelle, exhibitionnisme) connaissent parmi les plus bas taux de récidive (moins de 6% en 2004), les délits routiers (conduite en état alcoolique ou en grand excès de vitesse) le plus haut, de l’ordre de 16%, le sommet étant les vols et recel avec près de 30% (chiffres 2004, pdf, lien Google viewer). Les sanctions prononcées sont nettement plus lourdes en cas de récidive ou de réitération, l’emprisonnement ferme qui représente 6,7 % des peines prononcées à l’encontre des primo condamnés, passe à 30 % pour les réitérants et à 50 % pour les seuls récidivistes. Sur les 3 245 condamnés pour crime en 2007, 128 étaient en état de récidive légale soit un taux de récidive de 3,9 %. Ce taux varie selon le type de crime : de 9,5 % pour les vols aggravés à 2,7 % pour les viols (je cite le ministère de la justice).

Les deux tiers des criminels condamnés n’avaient aucun antécédent judiciaire. En somme, méfiez-vous plutôt des honnêtes gens…

- que la justice et les magistrats soient responsables devant les citoyens, parce que leurs décisions sont prises au nom du peuple français ;

C’est oublier que ce sont précisément des citoyens qu’ils jugent. Être responsable devant ceux qu’on juge, est-ce une garantie d’indépendance ? Auriez-vous confiance dans la justice si votre riche adversaire dans son tort pouvait menacer le juge de poursuites s’il ne lui donnait pas raison ? Les magistrats sont responsables, mais cette responsabilité tient compte de leur nécessaire indépendance. J’ai traité ce sujet dans ce billet. Mais il est plus facile pour l’IPJ de laisser entendre que les juges sont irresponsables parce que les justiciables qu’ils condamnent ne peuvent pas se venger par un procès. La complexité, c’est pas le truc de l’IPJ, vous l’aurez compris.

La mise en œuvre de ce Pacte serait un changement considérable pour la protection des citoyens et des victimes.

…parce que….? Ah, non, c’est la fin de la phrase. Ceux qui veulent des explications iront se brosser.

Mais même si ces mesures peuvent vous paraître évidentes, elles n’ont aucune chance d’être reprises par les candidats à la présidentielle et votées dès 2012 si des centaines de milliers de citoyens ne se manifestent pas pour les demander maintenant.

C’est pourquoi je vous demande de cliquer sur le bouton ci-dessous pour signer votre Pacte 2012, puis de transférer ce message à vos amis, votre famille, vos collègues.

Le clic, nouveau paradigme de l’action politique. Cela permettra juste à l’IPJ de revendiquer désormais un million de personnes qui auront été abusées le temps de remplir un formulaire, et qui n’ont aucun moyen de se retirer de leurs fichiers, et de prétendre parler en leur nom.

De notre côté, nous mobilisons d’importants moyens humains et financiers pour : - rassembler des dizaines, des centaines de milliers de signatures ;

Soit des données personnelles collectées en toute illégalité et sans garanties pour les signataires, puisque les mentions imposées par la loi informatique et liberté s’agissant d’un traitement de données nominatif (notamment la désignation de la personne auprès de qui exercer le droit d’accès, de rectification et de retrait) sont absentes du formulaire de signature. Je suis certain que l’IPJ exigera que la loi pénale lui soit appliquée avec autant de rigueur qu’il l’exige pour les autres. Ah. Ah. Je déconne.

- préparer des dossiers précis, justifiant le coût et la faisabilité de chacune de nos réformes, avec des avocats et des juristes spécialisés ;

On aurait pu croire que ce travail avait été fait en amont, ne croyez-vous pas ?

- mobiliser la presse, pour que cette action soit médiatisée le plus largement possible ;

C’est le but de la manœuvre. L’IPJ n’a aucune légitimité dans le milieu universitaire, elle essaie la légitimité médiatique : le fameux “vu à la TV”. Force est de reconnaître qu’il a réussi sur ce point.

- organiser des rencontres officielles avec chaque candidat, pour obtenir leur engagement à mettre en œuvre nos réformes, en cas d’élection.

Marine Le Pen se fera sans nul doute un plaisir de les recevoir.

(…) Au nom de mon enfant, de ma famille, et de mon pays, je vous dis merci.

Non. Votre pays, M. Censier, est aussi le mien, et vous n’avez aucune légitimité pour parler en son nom. Quant à embarquer la mémoire de votre fils mort dans un combat qui ne fut jamais le sien, je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur hommage à lui rendre.


PS à mes lecteurs : content de vous retrouver. Vous m’avez manqué.

mardi 4 octobre 2011

La lutte contre la délinquance, en (soustr)action

Ci-dessous, une circulaire à diffusion restreinte (oups…) de la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale sur les orientations en matière de lutte contre la délinquance du 15 septembre 2011, révélée par le député Jean-jacques Urvoas. Outre son aspect involontairement comique quand on voit un général de gendarmerie parler comme un énarque, quelques commentaires s’imposent.

CIRC-GEND-MPP-93086

§2 Que diable vient faire dans ce paragraphe, mettant l’accent sur la nécessité de la lutte contre le trafic de stupéfiant, cause de beaucoup de délinquance satellite (notamment des vols et agressions pour financer une consommation coûteuse) l’instruction de lutter contre… l’immigration illégale ? D’où diable vient ce lien entre ces deux délinquances, qui sur le terrain n’est pas avérée : une activité de trafic nécessite une visibilité et une mobilité que n’ont pas les sans-papiers, qui craignent le moindre contrôle d’identité ; quant à la simple consommation, elle est très coûteuse alors que leur premier souci est généralement de financer leur famille, souvent restée au pays.

Je ne vois qu’une explication : il faut motiver les troupes. Les policiers et gendarmes ne cachent plus leur malaise voire leur ras le bol à faire la chasse aux clandestins, qui sont pour la plupart des pères de famille qui veulent offrir un avenir à leurs enfants, bref pas vraiment la définition du voyou. Débarquer dans des maisons à l’heure du petit déjeuner, ramasser des enfants en pyjama qui hurlent de terreur, leur laisser 5 minutes pour choisir les jouets qu’ils peuvent emporter, ben figurez-vous que ça les laisse mélancoliques. Alors on assimile les clandestins aux dealers, et hop, le tour est joué, on en a fait des méchants. Du moins on essaie d’y croire là-haut dans les étoiles.

§3 : Comment faire baisser les chiffres de la délinquance ? Thème récurent de cette circulaire. La méthode trouvée est géniale : refuser d’enregistrer les plaintes (ce qui est pourtant illégal). Plaintes pour violences ? Houlala, mais certains inventent pour être mieux remboursés d’un téléphone volé. Vérifiez les faits AVANT d’enregistrer la plainte, et dans le doute, n’enregistrez pas. C’est vrai qu’en n’enregistrant que les affaires déjà élucidées, on fait péter les stats. Les femmes battues apprécieront.

§4 : Là on bascule dans l’hallucinant. Même en présence de victimes avérées d’escroqueries sur internet, il faut dissuader le dépôt de plainte car les victimes peuvent se faire rembourser par leur banque. On ne va pas non plus s’embarrasser à rechercher les auteurs de l’escroquerie, ça pourrit les chiffres de la délinquance, et à l’approche d’une campagne électorale, ça relève de la Haute Trahison. Quand la politique sécuritaire aboutit à laisser les escrocs agir en toute impunité. Fabuleux, non ?

§5 : Encore une conséquence malheureuse de 10 ans de politique hystérico-judiciaire. Plus de peines, moins de moyens, et on se retrouve avec un stock de 80.000 peines de prison à faire exécuter, sans autre alternatives que l’incarcération. Sachant que le parc carcéral français a 56.150 places occupées par 64.584 personnes (non, il n’y a pas d’erreur de typo sur les chiffres), vous voyez dans quelle quadrature du cercle on se trouve. Mais pas de problème, la solution a été trouvée : le ministre de l’intérieur a écrit au Garde des Sceaux. On est sauvé.

§6 : Là, on touche à la poésie sur l’insuffisance des moyens : “Vous disposez, de manière insuffisante mais régulière, du renfort de forces mobiles”. L’insuffisance est régulière, et ça, c’est une bonne nouvelle.

§7 : Bon, on vous demande de faire tout et son contraire, mais on ne va pas s’arrêter là : en plus, il faut que vous soyez sur le terrain, “visibles” pour dissuader, mais, en vocabulaire technique de statistique, occupés à rien foutre. En échange, une contrepartie : “la suppression des charges indues”. Comme tenir les stats pour le ministère ? Ah ! Ah ! Je plaisante. Non, ce sera plutôt l’escorte des détenus pour être jugés, tiens, une tâche bien moins utile.

Enfin, la dernière phrase de la circulaire sonne curieusement à mes oreilles comme un appel à l’aide.

Cette circulaire m’a éclairé sur un comportement étrange auquel j’ai assisté récemment dans les commissariats parisiens, et qui semble révéler que la Police nationale a reçu des instructions similaires : à deux reprises, j’ai constaté la présence derrière le bureau d’accueil d’un commissariat (bureau occupé par un personnel civil) d’un gardien de la paix, dont la seule mission semblait être de dissuader des particuliers venus porter plainte, y compris quand l’objet de la plainte était une infraction avérée. Je l’ai vu ainsi pour une femme disant que son ex-époux n’avait pas ramené les enfants chez elle la veille (“allez voir le juge aux affaires familiales pour faire supprimer son droit de visite”) alors que c’est un délit de non représentation d’enfant (art. 227-5 du Code pénal), ou un homme venu se plaindre que l’acquéreur de sa voiture n’avait pas fait changer la carte grise, ce qui faisait qu’il recevait les avis de contravention à son nom (“écrivez à la préfecture pour qu’il annulent la contravention”), alors que c’est une contravention de 4e classe (art. R.322-5 du Code de la route).

En tout cas, voilà une bonne nouvelle : dans les mois qui viennent, les chiffres de la délinquance vont baisser.

Attention, hein. J’ai bien dit les chiffres, pas la délinquance.

jeudi 29 septembre 2011

Petit Vade Mecum d'urgence sur la contribution pour l'aide juridique

Ce billet s’adresse avant tout à mes confrères, indirectement aux magistrats qui vont devoir dès samedi se dépatouiller avec ça, mais risque d’être abscons pour mes lecteurs mekeskidis, car je vais devoir employer un vocabulaire technique.

Samedi 1er octobre entre en vigueur la contribution pour l’aide juridique, un droit de 35 euros qui doit être acquitté pour l’engagement d’une procédure devant les juridictions judiciaires et administratives.

Le décret vient de sortir, et entre les exceptions et les exemptions, on s’y perd.

Donc voilà où on en est.

Le principe

Le principe est simple : une procédure engagée, 35 euros. Quel que soit le nombre de parties. La loi de finance rectificative qui a institué ce droit prévoyait un paiement par voie électronique pour les avocats et avoués, mais rien n’a été mis en place. le décret prévoit qu’en cas d’impossibilité, ce droit est acquitté par voie de timbre mobile, c’est à dire le bon vieux timbre fiscal (ça rappellera des souvenirs aux vieux publicistes). Premier problème : la loi ne prévoit pas cette possibilité pour les auxiliaires de justice, mais seulement pour les particuliers. Pas sûr que le décret soit légal, ce qui promet des recours en annulation. Vive l’incertitude juridique.

Les timbres sont à accoler sur l’acte introductif d’instance déposé au greffe de la juridiction (et non sur le greffier ou sur le juge) : sur la requête introductive devant les juridictions administratives, le second original pour une assignation (inutile d’envoyer un exemplaire timbré à l’huissier, collez-les lors du placement), ou la déclaration d’appel.

Le droit n’est dû qu’une fois par procédure, même si elle fait l’objet de saisines multiples d’une juridiction. Ainsi si vous relancez une procédure après péremption d’instance, désistement ou caducité de la citation, ou si vous saisissez une juridiction après une décision d’incompétence, vous n’avez pas à payer à nouveau (mais devrez produire la saisine originelle dûment timbrée pour prouver votre recevabilité).

Pour la même raison, une requête en rectification d’erreur matérielle, en interprétation ou en complément d’une décision, est exemptée. Idem pour la saisine en rétractation, modification ou contestation d’une ordonnance sur requête (mais l’ordonnance sur requête exigera elle le paiement du droit de 35€).

De même, si vous faites un référé expertise (qui suppose paiement du droit), et que vous saisissez ensuite au fond sur la base de cette expertise, la saisine au fond est exemptée du droit, qui a déjà été acquitté.

Enfin, bien que ce ne soit pas expressément dit, l’intervention n’est pas une introduction d’instance, et dispense donc du paiement de ce droit (voilà qui encouragera les parties civiles à se constituer devant le juge répressif).

Les exceptions

Elles sont nombreuses, sinon ce ne serait pas drôle.

Sont dispensés du paiement du droit de 35 euros :

  • - Les procédures au titre de l’aide juridictionnelle, totale ou partielle ;
  •  -Les procédures introduites par l’État (je mentionne pour info, je doute qu’Il me lise), et par le ministère public, qui est son Prophète, ce qui exclut toutes les instances pénales SAUF les citations directes par la partie civile et les plaintes avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction ;
  • - Les requêtes devant la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI), et les demandes au titre du SARVI, qui n’est pas une procédure judiciaire ;
  • - Les procédures devant le juge des enfants ;
  • - Les procédures devant le juge des libertés et de la détention ;
  • - Les procédures devant le juge des tutelles ;
  • - Les procédures de surendettement (on peut comprendre pourquoi…)
  • - Les procédures de redressement et liquidation judiciaire, et de redressement amiable des exploitations agricoles ;
  • - Les recours contre les décisions individuelles relative à l’entrée, au séjour et à l’éloignement d’un étranger sur le territoire français ainsi qu’au droit d’asile : refus de titre avec ou sans OQTF, recours devant la CNDA, contentieux des RATATA, etc. (Ouf) ;
  • - Le référé liberté devant le juge administratif (mais PAS le référé suspension ni le référé mesure utile) ;
  • - La demande d’Ordonnance de Protection devant le juge aux affaires familiales (c’est pour les victimes de violences conjugales) (art. 515-9 du Code civil) ;
  • - La demande d’inscription sur les listes électorales devant le président du tribunal d’instance (art. L. 34 du Code électoral) (ouf aussi, trouver des timbres fiscaux le dimanche, c’est pas évident) et les contestations d’élections professionnelles et de désignation de délégués syndicaux ;
  • - La contestation des dépens d’une instance devant le TGI).
  • - La saisine d’une juridiction de renvoi après cassation.
  • - Les procédures soumises au procureur de la République, au greffier en chef, ou au secrétariat d’une juridiction (certificat de nationalité par exemple) ;
  • - Les procédures aux seules fins de conciliation, de certificat, d’acte de notoriété, de recueil de consentement.
  • - Les demandes incidentes, à condition de mentionner l’instance principale à laquelle elle se rattache
  • - Les assignations en divorce, le droit de timbre ayant été acquitté lors de la requête initiale ; (Merci OlEB)
  • - Les demandes d’indemnisations de détention provisoire indue (1e instance et appel) ;
  • - La demande aux fins d’autorisation d’accueil d’embryon devant le président du TGI ;
  • - Les saisies des rémunérations du travail, sauf intervention d’un créancier extérieur à la procédure ; Rectificatif : les saisies des rémunérations du travail sont soumises au droit  de timbre, seules sont dispensées les contestations de la saisie et l’intervention à une saisie en cours quand on est déjà créancier (hypothèse de l’actualisation de la créance) (merci Ratapignata)et OlEB ;
  • - Opposition à ordonnance résiliant un bail d’habitation pour inoccupation ;
  • - Opposition à injonction de payer ou de faire, le droit ayant été acquitté pour obtenir l’injonction.
  • - Demande d’exécution d’une décision du juge administratif.

La sanction

C’est l’irrecevabilité, constaté d’office par le juge (président du tribunal, président de chambre, juge de la mise en état ou formation de jugement selon le cas), sans débat si c’est un avocat qui a présenté la requête ou déposé la citation. Sinon, il doit solliciter les observations des demandeurs sans avocat. Cette irrecevabilité n’empêche pas le juge civil de statuer sur les demandes d’article 700 (on pense bien sûr à celles présentées par le défendeur).

Attention, cette irrecevabilité n’est pas susceptible d’être couverte devant le juge judiciaire (art. 62-5 du CPC), mais elle peut l’être devant le juge administratif même après expiration du délai de recours (art. R.411-2 du CJA).Oui, c’est pas juste.

Le juge administratif est dispensé de demander la régularisation si le requérant est représenté par un avocat, sinon il doit demander la régularisation.

En cas de décision d’irrecevabilité erronée, vous avez 15 jours pour saisir le juge ayant prononcé cette irrecevabilité pour qu’il la rapporte sans débat. S’il maintient son refus, c’est le recours de droit commun.

La récupération

Ce droit est dû au titre des dépens par la partie qui succombe, sauf décision expresse du juge. Pour le civil/commercial/prud’hommal : art. 695, 1° du CPC. Pour l’administratif : Art. R. 761-1 du CJA.

Et l’aide juridictionnelle alors ?

Si elle est accordé, le requérant est exempté du paiement. Il en est justifié par la production d’une copie de la décision octroyant l’AJ avec l’acte introductif. Si la demande est en cours, il est produit copie de la demande. En cas de rejet de la demande d’AJ, de retrait ou de caducité, la contribution doit être acquittée dans le mois qui suit devant les juridictions judiciaires ; devant les juridictions administratives, le juge doit demander la régularisation avant de prononcer l’irrecevabilité (théoriquement il peut le faire sans solliciter la régularisation si un avocat représente le requérant, mais ce serait contraire au procès équitable à mon sens).

Merci de me signaler mes erreurs et oublis, je mettrai ce billet à jour si nécessaire.

À vos timbres fiscaux.
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Mise à jour 1 : ajout des élections professionnelles et interprétation de l’art. 1114 du CPC.
——
Mise à jour 2 : rectification sur la saisie des rémunérations du travail.

vendredi 16 septembre 2011

La relaxe en appel de Brice Hortefeux

La cour d’appel de Paris a, par un arrêt du 15 septembre 2011 (Pôle 2 chambre 7, ou comme dit la cour elle même la chambre 2-7, n°10/06226, relaxé Brice Hortefeux des faits d’injure raciale, liés à son désormais fameux apophtegme : “Quand y’en a un, ça va, c’est quand y’en a plusieurs qu’il y a des problèmes”.

J’avais écrit à l’époque un billet pour commenter le jugement dont la relecture est utile, car contrairement aux apparences, la cour approuve le tribunal sur la presque totalité de sa décision.

Néanmoins, comme je sais que certains de mes lecteurs sont d’indécrottables feignasses, je vous fais un résumé.

Le tribunal avait été saisi non par le parquet mais par des associations de lutte contre le racisme, le MRAP en tête, cela a son importance, à la suite de la diffusion sur Public Sénat de cette vidéo.

Pour condamner le ministre, le tribunal devait constater la réunion des éléments suivants :

- Brice Hortefeux a-t-il tenu des propos injurieux envers des personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ?

Si la réponse est oui, on passe à la question suivante.

- Ces propos ont-ils été tenus publiquement au sens de la loi sur la presse de 1881 (qui inclut la diffusion radiophonique ou télévisuelle, ne vous inquiétez pas).

Si la réponse est oui, un délit a été commis. Si la réponse est non, on passe à la question suivante.

- Ces propos ont-ils été tenus confidentiellement ?

Si oui, il n’y a aucun fait punissable. Sinon, il y a non pas délit mais contravention.

Le tribunal avait répondu oui-non-non, et avait condamné Brice Hortefeux pour injure raciale non publique à l’amende maximum, soit 750 euros..

Voyons à présent ce que dit la cour d’appel, et ce qui est plus important encore, ce qu’elle ne dit pas.

Sur la première question, sa réponse est sans pitié pour l’ex-ministre.

Dans le cas présent, Brice HORTEFEUX, en prononçant les premiers propos poursuivis : “Ah mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype alors. C’est pas du tout ça”’, répond à la remarque d’une militante qui juge bon de préciser que le jeune Amine, dont il a été dit qu’”il parle ‘arabe”, est “catholique”, “mange du cochon” et “boit de la bière”.

Considérant toutes les personnes d’origine arabe comme pratiquant les préceptes de la religion musulmane, -le “prototype”-, ce qui témoigne d’un évident manque de culture, le ministre, notamment en charge des cultes, s’offre un malheureux trait d’humour destiné à souligner ce qui constituerait une particularité venant bousculer des schémas simplistes et quelque peu réducteurs.

Aussi désagréable soit-il, le propos : “ça ne va pas du tout”, qui feint de stigmatiser celui qui ne suivrait pas les préceptes de sa religion “naturelle”, ne présente pas, ainsi que l’a déjà jugé le tribunal, de caractère outrageant ou méprisant à l’égard des personnes d’origine arabe auxquelles est seule imputée la pratique généralisée de l’islam.

II en est autrement des seconds propos poursuivis.

Répondant à la précision apportée par la militante : “C’est notre petit Arabe”, Brice HORTEFEUX insulte l’ensemble des membres de la communauté d’origine arabe en laissant entendre, certes de façon ironique, que la présence de l’un d’entre eux, pris isolément, peut être tolérée - Quand il y en a un, ça va.”- , mais que leur réunion est source de problèmes.

Ne se référant à aucun fait précis, le propos, qui vient conforter 1’un des préjugés qui altèrent les liens sociaux, est outrageant et méprisant à l’égard de l’ensemble du groupe formé par les personnes d’origine arabe stigmatisées du seul fait de cette appartenance, ce qui le rend punissable.

Ce qui le rend punissable“ : la cour est très claire : Brice Hortefeux a bel et bien tenu des propos constituant une injure à caractère racial.

Vient ensuite la question de la publicité.

Là encore, la cour confirme purement et simplement le raisonnement du tribunal : les propos n’étaient pas publics au sens de la loi de 1881, mais n’étaient pas non plus confidentiels, puisque tenus lors d’une manifestation réservée aux seuls militants de l’UMP : cette communauté d’intérêt, nonobstant la présence de la presse, fait que cette réunion était une réunion privée. On est donc dans le domaine de la contravention, et non du délit.

Ite missa est ? Non point, et la cour va répondre à une dernière question qui va sauver in extremis Brice Hortefeux.

Le MRAP, qui est seul à l’origine de cette action, était-il recevable à agir, c’est à dire était-il investi par la loi du pouvoir de ce faire ? Si la réponse est oui, le sort de Brice Hortefeux est scellé. Sinon, il est sauvé.

Pour être recevable, le MRAP doit être une association dont les statuts lui donnent pour objet de combattre le racisme et d’assister les victimes de discrimination raciale, et exister depuis au moins 5 ans : c’est l’article 48-1 de la loi de 1881.

Le MRAP rempli ces conditions, nul ne le conteste.

Mais la cour va estimer que cette habilitation législative, dérogatoire au droit commun qui veut que seul le parquet et la victime directe (en l’espèce Amine) sont recevables à agir, se limite au seul délit d’injure raciale publique, prévu par l’article 33 al. 3 de la loi de 1881, mais pas à la contravention d’injure raciale non publique, prévue au Code pénal (art. R.624-4).

Fatalitas. Le tribunal n’a pas été valablement saisi, il ne peut donc condamner M. Hortefeux. Il eût fallu pour cela que la victime directe portât plainte dans un délai d’un an, ce qu’elle ne fit pas, ou que le parquet poursuivît, ce qu’il ne fit pas non plus.

Dépouillé de son pouvoir de condamner, la cour constate son impuissance, et met Brice Hortefeux “hors de cause”.

Cet arrêt appelle de ma part une observation.

La cour a sans nul doute voulu rosser d’importance, juridiquement s’entend, Brice Hortefeux. En effet, elle ne respecte pas l’ordre logique des arguments. En principe, la première chose que vérifie le juge est la recevabilité de l’action : est-il bien le juge compétent pour juger l’affaire, est-elle introduite selon les formes et les délais de droit ? Si tel est le cas, on aborde le fond. Ici, elle aborde le fond, précise bien en des termes très durs, que l’infraction était constituée, mais au fait, oups : je ne suis pas valablement saisie, je ne condamne donc pas.

Elle aurait pu se contenter de dire (en résumant) : la cour, considérant que le MRAP était irrecevable à agir si les faits relèvent d’une contravention, par ces motifs, infirme le jugement, déclare le MRAP irrecevable, le déboute de l’ensemble de ses demandes, met Brice Hortefeux hors de cause, qu’est-ce qu’il y a à la cantine ?.”” Cela revenait au même. Mais non. Elle a tenu à rappeler d’abord que oui, injure raciale il y avait bien eu (une cour d’appel qui veut insister sur un point précis parle comme Yoda).

En conséquence, Brice Hortefeux ne peut prétendre, et je ne crois pas qu’il l’ait fait, ni aucun de ses amis, que la justice lui a donné raison. La justice lui a donné tort, a pris la peine de le dire, avant de constater que pour des raisons de procédure, elle n’avait pas le pouvoir de donner suite.

En résumé, la condamnation disparaît, mais l’opprobre reste entière.

PS : le MRAP contestant cette analyse restrictive de son droit à agir envisage un pourvoi en cassation.

L’arrêt d’appel, en intégralité (merci à Pascale Robert-Diard, du Monde).

lundi 27 juin 2011

La guerre de l'accès au dossier n'aura pas lieu (car elle est déjà gagnée)

La parole est à la défense.

Qui commencera par rendre hommage au travail de Gascogne et à travers lui du procureur général Robert, qui fait régner le désespoir sur les bancs de la défense dans tout le ressort de la cour d’appel de Riom[1] qui m’ont fourni pour la première fois en deux ans de bataille judiciaire une argumentation étayée sur la garde à vue. Jusqu’à présent, l’argumentation la plus juridique que j’aie eue était “la procédure respecte le Code de procédure pénale donc les conclusions de Maître Eolas doivent être rejetées”, ce qui revenait à assassiner la hiérarchie des normes (je me plaignais précisément qu’on ait appliqué le code de procédure pénale alors que j’invoquais la Constitution et la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui lui sont supérieurs) et je n’aime pas les assassinats sauf quand c’est moi qui suis en défense.

Merci, monsieur le procureur, merci mon général, donc.

Mais vous avez tort.

L’erreur commis par les tenants du “pas d’accès au dossier en garde à vue” repose essentiellement à mon sens sur un malentendu sur la portée exacte de l’accès au dossier. C’est en quelque sorte le tout ou rien : cet accès devrait être intégral ou inexistant, et comme il ne peut être intégral pour tous, que ce soit pour des raisons matérielles (le dossier n’est pas physiquement constitué, ou il est trop gros) ou juridiques (des éléments doivent être cachés pour ne pas gêner l’enquête), il doit donc être refusé pour tous, CQFD.

Et de citer des jurisprudences de la CEDH qui admettent des refus d’accès au dossier pour démontrer que ce refus peut être conforme à la Convention, ce que je ne conteste pas, mais il doit être l’exception, et ne peut être opposé en cas d’incarcération.

Dissipons donc d’entrée ce malentendu.

Rappelons la règle édictée par la Cour, dans l’arrêt Dayanan c. Turquie, cité par Gascogne, notamment son §32.

“l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir tout la vaste gamme d’intervention qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer”.

La Cour a même poussé la gentillesse jusqu’à donner la clef pour interpréter cet arrêt et tous ceux qu’elle a rendu sur le sujet, dans un arrêt très ancien, Artico c. Italie de 1980 (§33), auquel elle renvoie expressément dans l’arrêt Imbroscio c. Italie, arrêt cité par Gascogne, mais pas sur ce point là (il se trouve au §38) :

La Cour rappelle que le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs; la remarque vaut spécialement pour ceux de la défense eu égard au rôle éminent que le droit à un procès équitable, dont ils dérivent, joue dans une société démocratique.

Voilà la règle d’interprétation : face à un choix, il faut privilégier celui permettant un exercice concret et effectif que celui aboutissant à des droits symboliques et imparfaits. C’est simple, clair et limpide. Or je mets a udéfi quiconque de m’expliquer comment je puis, conrètement et effectivement, et non de manière illusoire, préparer un interrogatoire, et organiser la défense, si on m’interdit l’accès au dossier. Le procureur général Robert ne répond pas à cette question : il se contente de dire : c’est possible, des arrêts l’admettent.

La Cour de cassation, dans ses arrêts d’assemblée plénière du 15 avril 2011, reprend à son tour cette règle, précisant ainsi que c’est elle qui l’a poussée à exiger une présence immédiate de l’avocat, renversant la jurisprudence de la chambre criminelle du 19 octobre 2010 :

Attendu que les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ; que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ;

Si on perd de vue cette règle de la recherche de l’effectivité et du concret, on s’égare. C’est, je le crains, la première erreur du procureur général Robert. La seconde étant sur la portée de l’accès au dossier, j’y reviendrai.

D’abord, quand l’avocat doit-il avoir accès au dossier ?

Ce droit d’accès ne s’impose qu’en cas de privation de liberté, donc de garde à vue. C’est le sens de l’arrêt Horomidis c. Grèce cité par Gascogne. Une personne entendue librement ne peut revendiquer cet accès au nom de la CEDH, mais elle peut, et à mon sens doit, revendiquer son droit de garder le silence, au nom de cette même CEDH. La règle est simple : pas de déclaration à la police sans possibilité d’assistance par un avocat et accès au dossier. Donnant donnant. Notons que rien, absolument rien n’interdit de laisser une personne entendue librement d’être assistée d’un avocat et que celui-ci ait accès au dossier. C’est le prix que nous devons exiger pour accepter que nos clients se prêtent à un interrogatoire qui peut aboutir à les incriminer dans des faits graves. C’est folie de la part d’un avocat de laisser son client parler, même en sa présence, sans savoir ce qu’on lui reproche et quels sont les éléments à charge contre lui. Sauf à considérer que le rôle d’un avocat est d’être le témoin muet du naufrage de son client, son rôle n’étant de prendre la parole que quand il est trop tard. En somme, un retour à l’avocat du XIXe siècle.

Je vois déjà mes lecteurs magistrats, et surtout les parquetiers, bondir sur le formulaire de commentaires. Un petit mot d’explication pour eux, et pour les curieux.

Se taire n’est pas un aveu de culpabilité. Tant que des policiers et des magistrats français raisonneront ainsi, les erreurs judiciaires auront de beaux jours devant elles. Se taire est une mesure de prudence, tant que l’on ne sait pas avec certitude ce qui nous est reproché et sur quels fondements. Faire des déclarations à l’aveugle, en toute bonne foi, pour disisper les soupçons peut être le meilleur moyen de creuser sa propre tombe, même quand on n’a rien fait. Surtout quand on n’a rien fait.

Je cite Michel Huyette, magistrat, qui tient le très bon blog “paroles de juges”, qui cite l’hypothèse d’aveux obtenus sur un bluff d’un policier, qui a dit au gardé à vue qu’un mis en cause avait avoué les faits, ce qui était faux :

Le policier, même s’il a dit quelque chose de mensonger, n’a utilisé aucune violence ni physique ni psychologique. Il n’a aucunement malmené le gardé à vue, assisté rappelons le de son avocat. Il a seulement utilisé un petit truc, pas vraiment méchant, qui a eu pour conséquence que l’auteur d’un braquage a reconnu sa participation. Si c’est la vérité, elle a émergé d’un interrogatoire qui a été conduit sans pression malsaine contre l’intéressé, sinon l’avocat aurait aussitôt réagi et exigé une mention au dossier. Et l’on peut penser que, rassuré par la présence de son avocat, si le second gardé à vue est innocent il sait que le policier ment et il n’a aucune raison d’admettre sa participation.

Un petit truc pas vraiment méchant. Mais le magistrat continue aussitôt par “si c’est la vérité”, admettant que cet aveu peut être faux. Et le seul garde-fou qu’il oppose à ce risque d’erreur, c’est la seule présence physique de l’avocat, censé rassurer assez le gardé à vue pour le mettre à l’abri des pressions psychologiques. Sauf que l’avocat est censé se taire tout le long de l’interrogatoire, et quand il s’avise de prononcer un mot, l’OPJ menace de le faire remplacer par le parquet, comme la loi l’autorise. Ça, ce ne sont pas des droits effectifs et concrets. C’est de la pensée magique :what could possibly go wrong?.

Mais persévereront certains, croire que quand on est en garde à vue pour des faits qu’on n’a pas commis, on peut dire des choses qui vont nous enfoncer est absurde. À ceux là, je conseille la lecture de ce billet de Maitre Mô, sur la garde à vue d’un enseignant accusé de viol par une élève. Le récit date de l’époque d’avant la présence de l’avocat. Mais reprenez ce récit en imaginant que Me Mussipont puisse rester mais sans pouvoir parler sous peine d’être viré de la procédure. Cela change quelque chose ? Puis imaginez que Me Mussipont puisse, avant d’aller parler à son client, lire le PV de plainte de Dalila, et en communiquer la teneur à son client. Dans quels cas les droits de la défense seront-ils concrets et effectifs, dans quel cas la fausseté de l’accusation serait le plus aisément révélé ? Et n’aurait-il pas mieux fait, ce gardé à vue, de se taire jusqu’à ce qu’il ait enfin accès à ces informations avec son avocat ?

Et pour conclure sur ce point, je vais citer un magistrat américain, le Justice Robert H. Jackson (1941-1954), qui fut juge au tribunal de Nuremberg, et qui écrivit dans un arrêt Watts v. Indiana, 338 U.S. 49 (1949) que

Tout avocat digne de ses honoraires dira au suspect, dans des termes dépourvus de toute ambigüité, de ne pas faire de déclaration à la police quelles ques soient les circonstances[2].

Les anglophones parmi vous pourront se régaler de cette passionnante conférence de James Duane, professeur de droit et ancien avocat pénaliste, où il démontre avec brio et humour pourquoi il faut faire sienne cette devise. Vous pourrez également écouter l’intervention d’un policier qui lui répond… qu’il a raison.

Mais nous nous égarons. Revenons à la garde à vue.

La revendication d’accès au dossier ne doit pas s’entendre d’un accès intégral à toutes les informations. Certaines sont cachées, et ce jusqu’au bout, à la défense, avec la bénédiction de la Cour de cassation. Par exemple, les informateurs, qui préviennent par des coups de fil anonymes qu’un délit va se commettre à tel endroit. Belle hypocrisie, les policiers savent généralement très bien qui est l’auteur de ce coup de fil, qui est souvent un informateur. Mais cette information est cachée, pour des raisons de sécurité, et aucun juge n’a jamais fait preuve devant moi de curiosité à cet égard, puisque de toutes façons par définition, le tuyau était bon.

De même, les actes en cours, et ceux à venir, n’ont pas à figurer au dossier, qui par nature ne contient que des pièces constatant des actes déjà accomplis. Donc en aucun cas nous n’exigeons de tout savoir. Juste les éléments pertinents concernant notre client, ce qui peut se résumer par : tous les éléments à charge contre lui justifiant la mesure de garde à vue.

Rappelons en effet que depuis le 1er juin, l’article 62 du Code de procédure pénale précise que

S’il apparaît, au cours de l’audition de la personne, qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle ne peut être maintenue sous la contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue. Son placement en garde à vue lui est alors notifié dans les conditions prévues à l’article 63.,

et que l’article 62-2 du Code de procédure pénale dispose désormais que

[La garde à vue] doit constituer l’unique moyen de parvenir à l’un au moins des objectifs suivants :

1° Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;

2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête ;

3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;

4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;

5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ;

6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit.

Ce sont des conditions de légalité de la mesure : raisons plausibles et nécessités légales. L’avocat doit être en mesure, et dès ce stade, d’en contrôler la réalité et le bien fondé (et, mais c’est une autre histoire, de les contester sans délai devant un juge). Les droits de la défense doivent être concrets et effectifs, vous vous souvenez ? Or dire à l’avocat “vous pouvez rester, mais primo vous vous taisez, secundo, vous ne saurez pas pourquoi on a placé votre client en garde à vue, ce sera la surprise pour lui et vous lors de l’audition”, ce n’est pas permettre un exercice concret et effectif de ces droits.

À quelles pièces l’avocat doit-il avoir accès ?

Cela dépend des hypothèses.

La plus simple et la plus fréquente est l’enquête de flagrance : le suspect est en garde à vue pour un délit qui vient de se commettre. Les actes pertinents sont le procès verbal de saisine-interpellation quand les policiers ont constaté eux-même des faits, la plainte de la victime supposée, et les éventuelles auditions de témoins quand il y en a, naturellement dans la mesure où ces auditions ont déjà eu lieu et que les policiers sont susceptibles de les opposer au gardé à vue. Étant précisé que si entre l’entretien de début de garde à vue et l’audition plusieurs heures ont passé qui ont permis ces auditions, il faut laisser à l’avocat le temps d’en prendre connaissance et d’en parler avec son client. Et ne venez pas me chercher des poux dans le tête (ils sont tous morts de froid depuis longtemps) avec les questions d’organisation : le gardé à vue passe la plupart de la garde à vue seul en cellule, il peut au besoin nous y recevoir, ce n’est pas le temps qui manque.

L’enquête préliminaire, qui est une enquête menée par la police sous la direction du parquet, sans ou avec très peu de mesures coercitives possibles (la garde à vue en fait partie). Là, on peut se trouver face à un dossier très volumineux, dont il est matériellement impossible de prendre connaissance en 30 minutes ni même en plusieurs heures. Eh bien laissez-nous nous débrouiller. On sait nous aussi repérer les PV intéressants, les rapports de synthèse, les auditions pertinentes. On fait ça tous les jours lors des permanences mises en examen. Et si le dossier est beaucoup trop complexe, c’est le signe qu’il ne relève pas d’une garde à vue dans le cadre d’une enquête de flagrance mais d’une instruction, où les droits de la défense sont mieux garantis, et ce depuis 115 ans. Donc qu’il faut faire un usage généreux du droit de garder le silence jusqu’à ce qu’enfin on ait pu prendre connaissance de ce dossier.

L’instruction enfin. Ici, on est dans une hypothèse différente, puisque c’est un juge d’instruction qui contrôle, et de fait autorise la garde à vue. Il y a eu une enquête approfondie en amont, et on en est au “coup de filet”, les suspects, parfois surveillés depuis longtemps, sont interpellés. Leur mise en examen est probable, et la détention provisoire n’est pas une hypothèse absurde. Et surtout, le dossier d’instruction n’est pas matériellement présent, il est au cabinet du juge d’instruction et n’a pas le droit d’en sortir. Il existe un double qui peut se ballader mais il n’est pas censé aller plus loin que le service reprographie. En outre, il peut y avoir des milliers de pages d’écoutes téléhoniques absconses et des actes par centaines. Cet accès est souvent matériellement impossible, je l’admets. Dans ce cas, je vois deux solutions. La douce : le juge d’instruction, qui est juge impartial, prévoit une copie des pièces pertinentes à communiquer à l’avocat et les envoie au commissariat. La forte : pas un mot en garde à vue. Cette dernière a ma préférence car elle est facile à mettre en place et plus conforme à l’esprit de la loi de 1897, qui a posé l’interdiction de faire entendre un mis en examen par un policier (art. 105 du CPP), l’usage de la garde à vue pré-inculpation étant apparu pour faire échec à cette règle (v. François Saint-Pierre, le Guide de la défense pénale, Ed. Dalloz, n°112.41).

Enfin, laissons de côté la théorie juridique, aussi passionnante soit-elle. Pour achever de démontrer l’absurdité du système actuel, qui plus encore que sa non conformité signe son décès rapide, voici les scènes auxquelles on peut assister dans les commissariats. Ces trois scènes sont réelles.

Scène 1 : je suis appelé pour assister un gardé à vue soupçonné de violences conjugales. Il va être confronté à la plaignante. Je demande à relire le PV de notifcation des droits, le certificat médical de mon client confirmant que son état de santé est compatible avec cette mesure, et les PV d’audition de mon client pour me raffraichir la mémoire. Je vois l’OPJ sortir le dossier, qui est une pile de feuilles format A4 glissées dans une chemise format A3, l’ouvrir, et feuilleter les PV un par un pour sortir ceux auxquels j’ai accès, et pas les autres. Il y passe une à deux minutes. S’il me passait le dossier, je ne lui ferais pas perdre son temps et je me débrouillerais avec. Je ne sais pas ce que raconte la plaignante, et ne peux en discuter avec mon client pour qu’il m’apporte des précisions me permettant le cas échéant de souligner les incohérences et contradictions de son récit, ce qui serait pourtant bon pour la recherche de la vérité, qui n’est pas forcément l’ennemi de l’avocat, loin de là. Les droits de la défense concrets et effectifs, je ne les vois pas ici.

Scène 2 : Je suis appelé pour assister une plaignante dans une affaire de violences conjugales. Elle va être confrontée au gardé à vue. Je peux demander cette fois à lire la plainte de ma cliente, mais pas les auditions du gardé à vue (son avocat peut les lire, mais il ne peut pas lire la plainte de ma cliente ; je vous assure que pour nous, avocats habitués au contradictoire, c’est une aberration). L’OPJ va donc soigneusement sortir les PV que nous pouvons chacun lire, et s’assurer que nous ne nous les échangeons pas, ce que nous avons fortement envie de faire (et on s’en dira le contenu dans le couloir de toutes façons). Les droits de la défense des victimes sont eux aussi bafoués, ce qui est paradoxal quand on entend les discours victimaires de l’actuel majorité ; mais c’est le prix à payer pour faire obstacle aux droits de la défense : il faut aussi en dépouiller les victimes.

Scène 3 : la confrontation commence. Que ce soit dans le 1er ou la 2e affaire, savez-vous par quoi commence TOUJOURS une confrontation ? Par la lecture de la plainte de la plaignante et de la déposition du gardé à vue. Ces mêmes PV pour lesquels on a pris toutes les précautions pour nous interdire de les lire, on nous les lit à présent : dame ! bien obligé, puisqu’il faut que nos clients y réagissent. On marche sur la tête.

Vous voyez l’absurdité du système, au-delà de sa non conformité à la Convention. Les policiers à qui je le fais remarquer en conviennent, mais ils obéissent aux instructions reçues, et ne doutent pas que ça changera bientôt. En attendant, on a réussi à repousser encore un peu un exercice concret et effectif des droits de la défense, et cela, dans notre République, est considéré comme une victoire.

Ce système est intenable. Que ce soit sous la pression de la CEDH, de la Cour de cassation à présent qu’elle a adopté une position plus conventionnelle, ou peut-être des juridictions du fond qui vont en avoir assez d’être les dernières à appliquer le droit alors qu’elles sont en première ligne, cet accès au dossier, fut-il limité et encadré, mais concret et effectif pour ce dont la défense a besoin dans le cadre de la garde à vue, est inéluctable.

Et en attendant, nos seuls armes sont des observations au dossier, des conclusions ou requêtes en nullité, et surtout le droit au silence, qui est un moyen de pression très efficace, pour peu que nos clients suivent nos conseils sur ce point.

La question n’est pas allons-nous gagner, mais quand ? Le plus tôt sera le mieux. Amis magistrats, à vous de jouer.

Notes

[1] C’est à dire des barreaux de Riom, Clermont-Ferrand, Cusset, Montluçon, Moulins, Aurillac et du Puy-En-Velay.

[2] any lawyer worth his salt will tell the suspect in no uncertain terms to make no statement to police under any circumstances.

jeudi 9 juin 2011

La guerre de l'accès à l'intégralité du dossier en garde à vue aura-t-elle lieu ?

“Par Gascogne”


En quelques années, la Cour Européenne des Droits de l’Homme est devenue une Pythie, en charge d’interpréter un texte très large, et à qui chacun veut faire dire ce qu’il souhaite entendre. L’exécutif français a attendu d’être au pied du mur pour faire modifier la législation sur la garde à vue, et continue d’ailleurs dans le même sens en ce qui concerne les dispositions pénales relatives au séjour irrégulier des étrangers en France[1]. Les atermoiements des pouvoirs exécutifs et judiciaires ont conduit à la pagaille que l’on connaît depuis quelques semaines, et qui n’est pas près de s’éteindre.

De l’autre côté, les avocats, qui sont à l’initiative des divers recours et questions prioritaires de constitutionnalité ayant conduit aux changements législatifs actuels, tentent de pousser un peu plus l’avantage, en obtenant ce que la loi ne leur a pas encore donné en matière de garde à vue : je ne parle pas d’une rémunération correcte, mais de l’accès à l’intégralité du dossier d’enquête. Et pour justifier cette demande, la plupart d’entre eux s’appuie sur la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Dont il font une lecture qui relève plus de la divination ou de la méthode Coué que de l’analyse. Mais comme dirait quelqu’un que je connais, une affirmation n’a jamais valu argumentation. Alors plongeons nous dans les joies de l’analyse jurisprudentielle européenne[2].

A titre préliminaire, il faut en revenir au texte lui même, base du travail du juriste : l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme dispose que

Tout accusé a droit notamment à :

a.être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui;

b.disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;

c.se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent;

C’est beaucoup en terme de droits fondamentaux, mais textuellement, c’est tout. Tout personne faisant l’objet de poursuites pénales a le droit d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix.

On remarquera tout d’abord que l’article 6 ne parle que du droit à un procès équitable, ce qui en terme purement sémantique se rapporte donc à la phase de jugement, pas à celle de l’enquête. C’est l’article 5 de la convention (droit à la liberté et à la sûreté) qui se rapporte à la phase présentencielle, et particulièrement celle de l’arrestation. Les juges de Strasbourg ont cependant décidé dans le cadre du pouvoir d’interprétation qui est celui de tout juge d’étendre cette protection à la phase d’enquête, sur la base de l’article 6, depuis l’arrêt Imbriosca c. Suisse du 24 novembre 1993, qui soulignait que cet article “peut jouer un rôle avant la saisine du juge au fond si et dans la mesure où son inobservation initiale risque de compromettre gravement le caractère équitable du procès”. Autrement dit, le droit à un procès équitable commence avant la phase d’audience dans la mesure où cette phase risque de compromettre le droit à un procès équitable.

Cette jurisprudence ne s’est jamais démentie, et le désormais fameux arrêt Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008 a repris le même raisonnement, exactement dans les mêmes termes (et oui, tout n’a pas commencé avec cet arrêt, mais bien près de 20 ans auparavant). Plus encore, cet arrêt mettait en avant la “vulnérabilité” de la personne en garde à vue qui devait être compensée par l’assistance d’un avocat “dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé à ne pas s’incriminer lui même”. Bref, la Cour fait de l’avocat un garant du droit de se taire.

Il faudra attendre l’arrêt Dayanan c. Turquie le 13 octobre 2009 pour avoir une définition un peu plus précise du rôle de l’avocat dans le cadre de la garde à vue. Les juges estiment ainsi que “l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir tout la vaste gamme d’intervention qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer”.

Il n’est là nul part écrit que l’avocat doit avoir dès ce stade un accès total au dossier de la procédure, étant par ailleurs précisé qu’en France, la garde à vue d’une personne peut intervenir à divers moments de l’enquête, le “dossier” n’étant pas nécessairement formalisé comme il peut l’être à l’instruction[3].

Alors sur quoi s’appuient les tenants de l’accès à l’intégralité du dossier en garde à vue pour le réclamer. Pas uniquement sur l’arrêt Svipsta c. Lettonie, du 9 mars 2006.

En effet, un arrêt Lamy c. Belgique du 30 mars 1989 (Oui, vous avez bien lu, 1989), avait déjà indiqué qu’il existait un droit de communication aux “pièces du dossier qui revêtent une importance essentielle pour une contestation efficace de la légalité de la détention”.

Aucun des arrêts concernés ne traite de l’accès au dossier en garde à vue, mais à un stade plus avancé de la procédure, à savoir une détention provisoire dans le cadre notamment d’une instruction judiciaire. Et il ne viendrait jamais à l’idée en France à un procureur normalement constitué (Warning : appât à Troll) d’utiliser pour motiver des réquisitions de détention provisoire des pièces de procédure dont l’avocat de la défense n’aurait pas eu connaissance. L’article préliminaire du code de procédure pénale consacre d’ailleurs ce principe du contradictoire, qui paraît tout à fait naturel aux parquetiers[4].

Mieux : dans ce même arrêt Svipsta, la Cour affirme qu’existe “la nécessité d’une conduite efficace des enquêtes pénales, ce qui peut impliquer qu’une partie des informations recueillies durant ces investigations doivent être gardées secrètes afin d’empêcher les accusés d’altérer des preuves et de nuire à la bonne administration de la justice”. Un avocat qui a connaissance des pièces de procédure ne peut les cacher à son client, cela serait contraire à sa déontologie (que les quelques avocats qui me lisent me contredisent, si je m’égare dans cette matière que je ne maîtrise pas). Ce n’est donc pas leur faire injure que de leur dire qu’ils n’ont pas à avoir accès à l’ensemble du dossier, à ce stade de la procédure.

Le 27 juillet 2006, la Cour, dans son arrêt Horomidis c. Grèce, allait plus loin, concernant un requérant qui n’était pas incarcéré, et qui n’avait pas eu accès à l’intégralité du dossier le concernant, dans le cadre d’une instruction préparatoire : Pas de violation de la convention alors que “la procédure litigieuse n’est pas encore terminée, car aucune décision interne définitive portant sur les accusations qui pèsent sur le requérant n’est encore rendue. Or, à la lecture du dossier, la Cour ne saurait admettre que le seul refus d’accès au dossier, que les autorités compétentes ont opposé au requérant jusqu’au jour où ce dernier fut appelé à un interrogatoire, ait pu influencé en soi, à ce stade de la procédure, le caractère équitable du procès”.

Donc, toujours le même critère, évalué au cas par cas par la Cour. En l’état de la procédure, le refus d’accès à l’intégralité du dossier a-t-il pu influencer le droit à un procès équitable ?

A ce stade, en ce qui me concerne, je reste bien évidemment très humble. La jurisprudence n’est pas une science exacte, et je ne sais pas si la France sera condamnée sur ce point précis, dans un dossier donné, puisque la Cour statue au cas par cas. Mais tout ce que je sais en l’état de mes pauvres connaissances, c’est qu’une condamnation n’est en rien acquise, la Cour Européenne des Droits de l’Homme sachant parfaitement faire la part des choses entre les droits fondamentaux opposés que sont le droit à la sécurité pour les plaignants et le droit à une procès équitable pour les mis en cause. Car aucun de ces deux droits n’est supérieur à l’autre.

Je ne doute pas que l’on ne me dira plus que j’ai piscine, manière de dire que je n’argumente jamais, ou alors par allusion. En ce qui me concerne, cela fait un moment que je soupe des tribunaux correctionnels qui suivent des argumentaires par allusions, sans se plonger dans la véritable jurisprudence de la Cour Européenne, grand mal de nos juges nationaux. Mais je n’en veux pas aux avocats, qui ne font que leur travail.

En guise de conclusion, et pour éviter que l’on me serve à nouveau le désespérant argument du corporatisme, je vais me permettre de me ranger sous la bannière d’un avocat, qui n’a pas trop mal réussi en politique : Robert BADINTER, qui a tenu les propos suivants lors du débat au Sénat sur la réforme de la garde à vue :

Pour autant, madame la garde des sceaux, la présence de l’avocat n’implique pas la communication intégrale à celui-ci du dossier de l’enquête de police. Ceux qui ne connaissent pas assez bien la procédure accusatoire sont trop souvent victimes d’une confusion à cet égard : rappelons que l’obligation de communiquer la totalité du dossier ne vaut qu’au stade de la mise en examen, quand des charges suffisantes, et non une simple raison plausible de soupçonner qu’il ait commis une infraction, ont été réunies contre celui qui n’était jusque-là qu’un gardé à vue. Il s’agit alors d’un degré de gravité tout à fait différent, et l’avocat, qui devient dans ce cas le défendeur à l’action publique, doit évidemment avoir accès à toutes les pièces du dossier en vertu du principe du contradictoire. C’est un principe et une jurisprudence constants.” Mais, au stade de la garde à vue, la seule exigence est de communiquer les éléments du dossier –procès-verbaux, déclarations – qui justifient le placement en garde à vue. Dès lors, tout est simple et clair : il suffit de courage politique pour briser cette espèce de pesanteur multiséculaire qui accable notre justice dans ce domaine. Le temps est venu d’y remédier. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Permettez que je rajoute les applaudissements d’un modeste parquetier aux propos du grand homme.


Mise à jour du 12 juin par Eolas : les liens vers les arrêts de la CEDH marchent désormais.

Notes

[1] En l’occurrence, c’est la Cour de Justice de l’Union Européenne qui a œuvré en ce sens

[2] Que Marc ROBERT, procureur général près la Cour d’Appel de Riom, soit vivement remercié : j’ai puisé sans vergogne dans son extraordinaire travail d’analyse du 2 mai 2011 sur le sujet, qu’il a bien voulu mettre en ligne sur le site intranet de sa Cour

[3] Où les avocats n’ont d’ailleurs pas accès aux actes en cours, sans que cela n’ait posé le moindre problème jusqu’à présent

[4] parfois moins à certains avocats qui versent des conclusions dactylographiées de nullité à l’audience sans en avoir au préalable fait parvenir un jeu au parquet

lundi 16 mai 2011

De quelques aspects juridiques de l'affaire DSK

Nous sommes tous sous le choc après ce week end. Un coup de tonnerre dans un ciel bleu n’aurait pu nous plonger plus dans la sidération. Comme vous, je ne comprends pas. C’est d’ailleurs incompréhensible. Cette victoire de l’Azerbaïdjan à l’Eurovision ne trouvera jamais d’explication rationnelle.

Traitons donc un sujet plus léger, avec l’affaire DSK.

Il ne s’agit pas ici de démontrer la culpabilité ou l’innocence du directeur général du FMI : des confrères plus compétents que moi — et bien mieux payés — s’en chargent. Pas plus que de tenter de démontrer un hypothétique complot, dans un sens ou dans l’autre, mais de décrire et expliquer la procédure pénale dont il fait l’objet pour comprendre ce qui se passe et ce qui va se passer. Je précise que je n’ai pas la prétention d’être avocat au barreau de New York et prie de plus éminents spécialistes que moi de pardonner mes erreurs éventuelles et approximations probables, et je rectifierai le billet au besoin. La traduction de termes juridiques étant source de confusion, j’utiliserai le vocabulaire anglais dans la langue de Shakespeare : en effet, un mandat d’arrêt est une chose en droit français, un arrest warrant en est une autre. En outre, cela vous facilitera la lecture de la presse américaine.

Rappelons brièvement les faits : DSK est suspecté (à ce stade, il n’est pas encore accusé, vous allez voir) d’avoir surgi, nu, face à une femme de chambre qui était entrée, croyant la chambre vide, pour la remettre en ordre. Après avoir fermé la porte à clef, il lui aurait imposé une fellation, aurait tenté de lui ôter ses vêtements pour la connaître plus avant, mais celle-ci a réussi à s’échapper. La police, arrivée sur place, aurait constaté qu’il avait quitté les lieux, oubliant un de ses (sept) téléphones mobiles, et a retrouvé sa trace dans la liste des passagers d’un vol Air France pour Paris.

Il a été interpellé à bord par la Port Authority of New York and New Jersey, la police aux frontières locale, et remis à la police de New York, plus précisément à la Special Victims Unit, l’Unité Spéciale des Victimes, que les spectateurs de TF1 connaissent bien, mais on me signale que ceux-ci sont rares en ces lieux.

Aux États-Unis, comme en Angleterre, la police a un vaste pouvoir d’enquête, et d’initiative sur les enquêtes. Contrairement à la France où le parquet dirige l’enquête et donne des instructions à la police qui sont en réalité des ordres, le district attorney découvre le dossier quand la police le lui amène avec le suspect. Pour certains dossiers graves, il peut avoir un rôle de conseil de la police, lui indiquant les preuves dont il a besoin pour pouvoir engager les poursuites. Les deux autorités sont plus séparées qu’en France.

L’arrestation peut avoir lieu sans mandat (arrest warrant) dans deux cas : le crime a lieu en la présence de l’officier de police, ou si l’officiers à des indices suffisants pour arrêter la personne (sufficient grounds). De manière générale, une arrestation au domicile suppose qu’un juge délivre un arrest warrant.

La première phase est celle du booking et a lieu au poste de police. Prise d’empreintes, photo pour l’identité judiciaire, levée des antécédents judiciaires (criminal record, qui à New York s’appelle NYSID report ou “rap sheet”. Le suspect peut être interrogé, mais il a le droit de garder le silence (qui ne sera jamais retenu à charge contre lui, contrairement à la France, qui n’est pas encore sortie du moyen-âge judiciaire, on y travaille). Il peut être assisté d’un avocat qui a le droit d’intervenir pendant les interrogatoires (le parquet de Paris frissonne de terreur face à cette perspective). L’officier de police en charge du dossier (généralement le premier arrivé sur place) rédige un rapport, le criminal complaint, qui est la base des poursuites.

Les faits les moins graves donnent lieu rapidement à remise en liberté avec convocation directe devant le juge (Desk Appearence Ticket, DAT). Ici, nous sommes en présence d’une felony, en haut de l’échelle de gravité, donc pas de DAT, mais présentation à un juge. Cet état d’arrestation doit être le plus bref possible. La loi prévoit un délai de 48 heures en cas d’arrestation un week end, mais cette règle ne s’applique pas à New York City, où des audiences se tiennent 365 jours par an (366 les années bissextiles, de 09h00 à 01h00). Dans cette affaire, DSK a accepté que cette audience, qui pouvait avoir lieu dimanche (New York city’s justice doesn’t sleep), soit reportée à lundi pour permettre des tests ADN.

Une fois le booking terminé, le suspect est conduit sous escorte au Court Building, au tribunal compétent (ici, s’agissant de felonies,le New York City Criminal Court, mais uniquement pour la phase préliminaire). C’est là que se trouve DSK au moment où je tape ces lignes : sa fameuse sortie sous les flashs, que toute la presse publie en se demandant si elle peut la publier, est son transfert du poste de police à la Criminal Court.

Là, l’officier de police en charge du dossier et/ou la plaignante sont reçues par un substitut (Deputy District Attorney, DDA) qui décide s’il y a lieu d’engager des poursuites. Le DDA ne parle PAS au suspect, car aux États-Unis, ils ont compris que c’était la partie adverse (pour la France, on a un espoir pour le XXIIe siècle). Le DDA, s’il estime le dossier suffisant, formalise cela par un written complaint, qui est la plainte officielle du parquet.

Le suspect est alors conduit devant un juge pour une audience qui s’appelle l‘arraignment. Le juge informe le suspect des charges pesant contre lui (une copie lui en est remise), de son droit à un avocat (il doit pouvoir être assisté, au besoin par un commis d’office, lors de l‘arraignment), de son droit à une audience préliminaire (preliminary hearing s’il s’agit d’une felony comme c’est le cas pour DSK). On ne lui demandera pas à ce stade s’il plaide coupable ou non coupable, cette partie n’ayant lieu que pour des misdemeanors et des violations, l’équivalent d’un délit ou d’une contravention (mais le suspect a le droit de renoncer à ce droit et de plaider coupable devant la Criminal Court ; cette option est d’ores et déjà écartée par les avocats de DSK).

Le juge peut décider d’emblée de mettre fin aux poursuites s’il estime que l’infraction n’est manifestement pas constituée (case dismissed). S’agissant des felonies reprochées à DSK, la mise en accusation relève du Grand Jury.

Le juge va enfin décider ce qu’on fait de DSK en attendant que le Grand Jury statue. Il peut le libérer sur sa promesse de se présenter spontanément (Released on his Own Recognizance, ROR), libéré sous caution ou exceptionnellement remanded, maintenu en détention un maximum de 120 heures jusqu’à ce que le Grand Jury ait statué ou qu’un Preliminary Hearing se tienne si le suspect, qui est à présent défendeur, le demande (le parquet, lui, ne le demande jamais en pratique).

La différence essentielle entre le Preliminary Hearing et le Grand Jury est que la première est publique et se tient en présence du défendeur, alors que le Grand Jury siège à huis clos, en présence du seul District Attorney et des témoins amenés à déposer.

Le Grand Jury est composé de 23 personnes (un quorum de 16 personnes est requis pour qu’il puisse statuer). On lui expose les preuves réunies, et il délibère et vote soit un true bill : 12 jurés au moins estiment qu’il y a des charges suffisantes et on va au procès (indictment), soit un no bill, pas de procès, dossier dismissed.

En cas d‘indictment par le Grand Jury, une nouvelle audience d‘arraignment se tient devant la Superior Court compétente pour juger les crimes (felonies), ici la New York Supreme Court. S’ouvre alors la phase préparatoire du procès : les parties peuvent négocier un plea bargaining, c’est à dire un plaider coupable, ou ont 45 jours pour présenter des requêtes (motions) devant être tranchées avant la tenue du procès, par exemple pour écarter des preuves obtenues illégalement, ou ordonner certaines mesures. Une fois ces motions jugées, une date de procès est fixée. Le procès est public, et jugé par un juré qui ne vote que sur la culpabilité, la peine relevant du seul juge et étant prononcée à une audience ultérieure.

Enfin, les qualifications retenues à ce stade sont au nombre de 3 : criminal sexual act, attempted rape, unlawful imprisonment. Le système de peine encourue est un peu complexe. Les crimes sont divisés entre les catégories A-I, A-II, B, C, D et E. DSK semble relever de la catégorie B, donc un maximum de 25 ans d’emprisonnement et un minimum de 1 à 8 ans (Code pénal de l’État de New York, art. 70). Mais sous de grandes réserves, les charges n’ayant pas encore officiellement été notifiées.

Et pour en revenir au vrai scandale, voici la chanson de l’Azerbaïdjan ,qui a remporté le concours de l’Eurovision.

jeudi 14 avril 2011

Quelques commentaires sur les propos de Michel Mercier

Michel Mercier, Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, était ce 13 avril l’invité de France Inter pour présenter un peu plus en détail la réforme annoncée des jurés correctionnels. Des nouveautés sont apparues à cette occasion, le tout lié dans un argumentaire que le ministre a eu un peu la flemme d’apprendre par cœur d’où certaines imprécisions.

Je me propose de commenter ses propos, avec une méthode qui aura le mérite de la simplicité mais qui tord le cou à un millénaire de tradition universitaire : l’ordre chronologique dans lequel les propos ont été tenus. Les propos du ministre sont graissés. Je laisse intentionnellement de côté les propos purement politiques ou de communication, comme l’affirmation purement gratuite que les Français veulent cette réforme au point qu’ils ne parlent que de ça. Quand un ministre affirme entendre ce que disent les Français, c’est qu’il a discuté avec son chauffeur.

Tout d’abord, le ministre a été interrogé en tête à tête par le présentateur par intérim de la matinale, Bruno Duvic.


Michel Mercier par franceinter

Les jugements rendus par ces tribunaux renforcés ne seront pas plus sévères.

C’est en effet probable, tous les magistrats ayant siégé aux assises confirment qu’ils n’ont pas constaté d’unanimité répressive chez les jurés, qui aux assises auraient d’ailleurs les moyens d’imposer leurs vues. J’y reviendrai.

Aux assises, les jurés siègent avec les magistrats depuis 1932.

Non, depuis la loi du 25 novembre 1941 (Journal Officiel du 12 décembre). Vous comprendrez vu la date que cette précision n’est pas anodine. Auparavant, le jury criminel français était le même qu’en Angleterre et aux États-Unis : douze hommes délibérant seuls sur la culpabilité, la cour composée de trois juges délibérant seule sur la peine. Mais la crainte de voir des peines sévères frapper des coupables ne méritant pas la sévérité (l’ancien Code pénal prévoyant, voyez-vous ça, des peines plancher), on assistait de plus en plus à des acquittements d’opportunité. La loi avait déjà été modifiée pour permettre au jury de voter les circonstances atténuantes (dont le seul vote sauvait le condamné du risque de la guillotine), mais le régime de Vichy, qui ne se caractérisait pas par sa confiance démesurée dans le peuple a fondu cour et jury en une entité unique, de neuf jurés et trois juges pour garder le nombre douze, dont l’origine est biblique (allusion à la Pentecôte : quand douze hommes de bonne volonté sont réunis, l’Esprit Saint est avec eux).

Cette loi sur le jury de 1941 fait partie des rares lois de l’État Français sauvées de la nullité à la libération. Elle est de fait encore en vigueur aujourd’hui.

Sur le ralentissement du rythme des jugements

En effet, Jean-Paul Garraud fait dans la démesure dans sa critique, mais on a l’habitude de son caractère histrionique. Une audience ordinaire en collégiale (3 juges) peut espérer juger une dizaine d’affaires simples dans des conditions à peu près satisfaisantes, une quinzaine dans des mauvaises conditions (comme les comparutions immédiates), au-delà risque de sombrer dans le sordide et les juges décident généralement de renvoyer d’office les affaires surnuméraires avec une remarque glaciale au parquet qui décide du nombre d’affaires à juger par audience. Je n’imagine pas qu’en une après midi, le tribunal correctionnel renforcé puisse juger plus de 5-6 affaires.

Les moyens nécessaires seront affectés à cette réforme

Le ministre finira par s’agacer du caractère répétitif de cette question et des réactions dubitatives que ses affirmations réitérées provoqueront. Mais le manque dramatique de moyens de la justice est désormais bien connu, je comprends donc cette réticence et la partage pleinement. Notamment la centaine de magistrats recrutés annoncée aura pour effet d’équilibrer le nombre de magistrats recrutés en tout et ceux partant à la retraite. J’ai donc du mal à les considérer comme des magistrats supplémentaires pouvant sans dommages être affectés à cette tâche nouvelle.

Les questions techniques, comme les nullités de procédure, resteront réservées aux magistrats professionnels.

C’est le cas devant la cour d’assises, pour des raisons évidentes de technicité mais aussi parce que les jurés ne s’expriment aux assises que par un vote à bulletin secret, qui suppose une réponse binaire incompatible avec un débat sur, au hasard, la conformité du contrôle de la garde à vue par le seul parquet avec la convention européenne des droits de l’homme. Néanmoins, le projet de loi prévoit des assesseurs pour l’application des peines, ce qui est un peu contradictoire, car la matière est très technique.

L’entrée en vigueur sera progressive et commencera par une phase d’expérimentation dans le ressort de deux cours d’appel de taille différente.

Je vais solliciter mes taupes pour savoir lesquelles sont les heureuses élues. Je note en tout cas qu’une superbe porte de sortie est aménagée, puisque l’entrée en vigueur généralisée est reportée au delà de la fin du monde les élections présidentielles de 2012 — on nous avait promis des jurés « avant l’été »— ce qui en cas de changement de majorité veut dire enterrement de première classe et en cas de stabilité politique permet de changer d’avis sans perdre la face. Une réforme qu’on lance une patte en avant et l’autre déjà sur le recul ne paraît pas promise à une espérance de vie bien longue.

On va créer des tribunaux correctionnels pour mineurs de 16 à 18 ans récidivistes.

Une vieille lune de ce gouvernement, qui partage avec certains de mes clients une certaine obsession morbide pour la jeunesse. Actuellement, les mineurs —le droit pénal parle d’enfants— sont jugés par deux juridictions : le juge des enfants statuant seul en audience de cabinet (comprendre : dans son bureau) quand il s’agit de prononcer des mesures éducatives, qui sont des sanctions pénales pouvant être très contraignantes, mais où la finalité éducative est dominante, ou le tribunal pour enfants quand le prononcé d’une peine comme de la prison est envisagé. Le tribunal pour enfants est présidé par un juge pour enfants assisté de deux assesseurs non juges, choisis parmi des personnalités qualifiées ayant démontré leur intérêt pour les affaires de l’enfance. Les mineurs de 16 à 18 ans ayant commis un crime relèvent de la cour d’assises des mineurs, qui a pour particularité de siéger à huis clos, et d’avoir des juges assesseurs pris parmi les juges pour enfants.

Là, je ne comprends pas. Cette nouvelle juridiction spéciale aurait pour seule spécificité d’écarter les assesseurs du tribunal pour enfants pour les remplacer par des juges professionnels. je soupçonne aussi que ce tribunal pourra statuer dans une sorte de comparution immédiate pour mineurs, qui est une obsession récurrente de ce gouvernement depuis des années. J’aimerais qu’on m’explique la cohérence de vouloir adjoindre aux juges professionnels des citoyens assesseurs en correctionnelle pour les majeurs et dans la même loi virer les citoyens assesseurs du tribunal pour enfants dès lors que les faits sont graves. C’est donc qu’on craint leur trop grande clémence ? Mais on nous assure que les citoyens assesseurs en correctionnelle ne seront pas plus sévères ! Ajoutons à cela que les peines plancher créées en août 2007 s’appliquent aux mineurs, donc que la loi impose déjà une sévérité minimale en cas de récidive. Si quelqu’un trouve la logique interne, ses parents l’attendent à l’entrée du magasin.

C’est la loi du 12 avril 1906, et non l’ordonnance du 2 février 1945, qui a créé la spécificité du droit pénal des mineurs.

L’histoire du droit est une matière très noble. Mais on ne déchoit pas à la travailler. La loi du 12 avril 1906 fait 3 articles et n’a eu qu’un seul effet, certes notable : passer la majorité pénale fixée à 16 ans sous la révolution (Code pénal de 1791, repris dans le Code pénal de 1810 à 18 ans (la majorité civile n’a été fixée à 18 ans qu’en 1974). Elle n’a rien changé au régime pénal applicable aux mineurs, qui a essentiellement été fixé par la loi du 5 août 1850.

Cette loi créait les maisons de correction qui accueillaient les mineurs punis de six mois de prison au plus ou enfermés au titre de la correction paternelle. Le père avait en effet le pouvoir de faire enfermer ses enfants mineurs : un mois s’ils avaient moins de 16 ans, sans que le juge puisse y redire quoi que ce soit, et jusqu’à 6 mois de 16 à 21 ans, mais le juge pouvait refuser ou raccourcir cette période : art. 376 et suivants du Code Napoléon.

Outre les établissement pénitentiaires, se trouvaient les colonies pénitentiaires, les tristement célèbres “bagnes pour enfants”, comme la fameuse colonie de Mettray fondée en 1834, ou celle de Belle-Île-En-Mer, qui accueillent les mineurs dont la peine est comprise entre six mois et deux ans. En 1934, une révolte des enfants détenus suite au passage à tabac de l’un d’eux par les gardiens a donné lieu à une prime de 20 francs à quiconque capturerait un fugitif. Jacques Prévert, bouleversé par ce spectacle de battues, composa à cette occasion son célèbre poème La Chasse à l’Enfant.

Enfin, les colonies correctionnelles accueillent, si j’ose dire, les mineurs condamnés à plus de deux ans de prison.

Les conditions abominables dans lesquelles étaient traitées les enfants, et le grand nombre d’orphelins livrés à eux même dans un pays en ruine où les autorités étaient inexistantes a poussé un dangereux gauchiste bobo droitdelhommiste à prendre en février 1945 une ordonnance créant les juges pour enfants et les tribunaux pour enfants et posant le principe que toute sanction frappant un mineur devait avant tout viser à l’éduquer. Ce crypto-marxiste-léniniste s’appelait Charles de Gaulle.

Cette ordonnance est encore en vigueur aujourd’hui, même si elle a été modifiée 68 fois depuis. Oui, plus d’une fois par an.

L’excuse de minorité est graduée, elle a plus d’effets quand on a 13 ans que quand on en a 18.

Oui, il a dit ça. Comment vous dire, monsieur le Garde des Sceaux… Vous savez, depuis la loi du 12 avril 1906 (celle là même que vous avez amenée à Bruno Duvic), la majorité pénale est fixée à 18 ans. Il n’y a plus d’excuse de minorité à cet âge là.

L’excuse de minorité est une règle qui divise par deux les peines encourues par un mineur. Un vol simple est passible de 3 ans de prison. Commis par un mineur, l’excuse de minorité abaisse cette peine encourue à 18 mois. Elle s’applique à partir de 13 ans, qui est l,âge à partir duquel on peut prononcer une peine. Elle est impérative jusqu’à 16 ans. De 16 à 18 ans, le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs peut écarter l’excuse de minorité par une décision spécialement motivée et prononcer alors une peine comprise entre la moitié et le maximum légal.

Les délinquants mineurs de 1945 ne sont pas les mêmes qu’aujourd’hui.

Argument régulièrement ressorti pour justifier des textes très répressifs contre les mineurs. Et qui est un pur sophisme.

Naturellement, ce ne sont pas les mêmes : 65 ans ont passé, soit toute une vie. Le monde a changé pendant ces 6 décennies, et sans doute plus qu’il n’a jamais changé en aussi peu de temps dans l’Histoire. On est pour le moment dans le domaine de l’évidence. Là où on bascule dans l’affirmation contestable, c’est quand on laisse entendre qu’ils ont changé en pire.

Les mineurs de 1945, ceux qui s’occupaient d’eux goûtent désormais aux félicités éternelles, et lesdits mineurs ne sont plus très frais (il doit en rester quelques uns au Sénat). Donc on ne risque pas trop la contradiction. Pour ma part, j’ai tendance à penser que des gamins de 12 à 21 ans, orphelins, SDF, livrés à eux mêmes dans un pays en guerre où l’occupant se livrait à la terreur avec la complicité des autorités administratives n’avaient aucune raison d’être plus doux, honnêtes et obéissants que les caïds de banlieue qui font les délices des documentaires de la première chaîne. En tout cas, l’affirmation selon laquelle nos doux bambins d’aujourd’hui seraient plus enclins au crime et à la violence qu’à l’époque mériterait d’être un tant soit peu étayée par des arguments scientifiques. Tout comme le fait que les conditions de vie exécrables dans les maisons de correction et les colonies pénitentiaires n’aient en rien assagi les enfants délinquants de l’époque peut nourrir une réflexion sur l’efficacité autre qu’électorale de la méthode. Ajoutons à cela les progrès pédagogiques, comme le fait par exemple qu’on ait supprimé de l’enseignement des établissements pour mineur l’entraînement au tir et à la manipulation des armes enseigné dans les années 30

Et en admettant un instant que les mineurs délinquants aujourd’hui soient en effet pires que ceux de 1945, en quoi sera-ce une solution de changer la composition du tribunal chargé de les juger ? Qui peut croire que nos Rapetout en culottes courtes trembleront d’effroi en lisant le Code de l’Organisation Judiciaire et aussitôt décideront d’employer leur vie à des travaux des champs ?

On ne le saura pas. On en reste à la gesticulation, et on écarte les assesseurs des tribunaux pour enfants en disant qu’ils sont nocifs, et on en fait entrer dans les tribunaux correctionnels en disant qu’ils sont indispensables. Dans la même loi.

Vient à présent la deuxième partie de l’émission, baptisée Inter Active. Jean-Philippe Deniau, le chef du service police-justice (dit aussi le service partout-nulle part) de France Inter et Jean-François Achilli, chef du service politique, se joignent à la ronde, même si, ce qui est un peu vexant pour ces journalistes de talent, ce sont des auditeurs qui sont amenés à poser des questions, avec le risque, pas toujours évité, du syndrome du café du commerce.


Michel Mercier par franceinter

Premier thème abordé, qui me fait frétiller : la garde à vue.

Le texte sur la garde à vue est un texte d’équilibre

Ça commence mal. Rappelons que le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme ont constaté l’évidence que les avocats, dont modestement votre serviteur, répétaient jusque là en vain depuis deux ans : la garde à vue ne répondait pas aux exigences minimales des droits de l’homme. Le Conseil a donné dans sa décision de juillet dernier le mode d’emploi pour se mettre en conformité : assistance effective d’un avocat, donc présence aux interrogatoires, accès au dossier, possibilité de poser des questions, de s’entretenir confidentiellement avec son avocat, bref tout ce qu’il faut pour commencer à exercer la défense dès le moment de l’arrestation.

Ce sont là des exigences minimales : en deçà, on n’est pas en conformité avec les droits de l’homme.

Quand le Garde des Sceaux nous dit donc fièrement qu’il s’agit d’un texte “d’équilibre” entre les droits de la défense et les nécessités de l’enquête, vous l’aurez compris, et la lecture de la petite loi (c’est ainsi qu’on appelle un texte de loi voté par le parlement mais pas encore promulgué car pouvant être soumis au Conseil constitutionnel) le confirme : le législateur n’a pas été fichu de se conformer à ces exigences minimales (notamment sur le point crucial de l’accès au dossier). Citoyens français, vos droits font peur.

Je note au passage que, invité à commenter les propos de Claude Guéant sur les incidents que notre présence ne manquerait pas de provoquer, le ministre assure de son entière confiance les policiers et les gendarmes. Je vous laisse trouver qui il a oublié.

Les avocats seront indemnisés 300 euros pour une garde à vue outre 150 euros en cas de prolongation

Dont acte.Sous réserve de la sujétion réelle qu’imposera la garde à vue nouvelle formule, et qui nécessite d’être confronté à la réalité, le niveau d’indemnisation semble correct pour une mission d’AJ. Il faudrait préciser s’il y a majoration pour déplacement ; la question ne se pose pas à Paris, mais chez nos voisins de Versailles, où la plupart des cabinets sont à Versailles même, où siègent le tribunal, la cour d’appel, le tribunal administratif et la cour administrative d’appel, il y a 50 km entre cette ville et Saint Arnoult, au fin fond du département. Il faut en tenir compte.

Cette loi sur la garde à vue sera appliquée

Cela ne fait aucun doute. Au 1er juillet, tous les articles du code de procédure pénale sur la garde à vue seront définitivement abrogés. Le Gouvernement n’a pas le choix. Il ne le fait pas de gaîté de cœur, mais il doit le faire.

On va définir les cas dans lesquels ont pourra recourir à la garde à vue

En effet, la loi prévoit que

« Cette mesure doit constituer l’unique moyen de parvenir à l’un au moins des objectifs suivants :

« 1° Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;

« 2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête ;

« 3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;

« 4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;

« 5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ;

« 6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit.

Maintenant, je ne me fais aucune illusion. D’abord, la garde à vue actuelle était aussi soumise à conditions (il faut que ce soit pour les nécessités de l’enquête,et qu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction.

Ensuite, l’article 144 du même Code prévoit une liste de ce genre restreignant le recours à la détention provisoire, qui doit être “exceptionnelle” et “l’unique moyen” de parvenir à ces buts. On sait ce que ça donne en pratique.

Viennent à présent les auditeurs.

Ariane de Lorient

Ariane va nous proposer un formidable condensé synthétique de tous les clichés sur le jury populaire, avec en prime l’argument d’autorité : “Moi, j’ai assisté à des procès d’assises”, comprendre dans le public.

Le jury arrive et il ne sait pas de quoi il s’agit : c’est un peu le principe du jury populaire. Mais le début de l’audience est consacré à la lecture de l’ordonnance de mise en accusation qui est un résumé complet des faits et de l’enquête, et les débats durent généralement au moins deux jours pour leur permettre de s’imprégner du dossier et de connaître les parties en présence. S’ils sont ignorants au début, ce qui est une garantie de leur impartialité, à la fin du procès, il y a peu de gens qu’ils connaissent aussi bien que l’accusé. Même dans leur entourage familial proche.

Les jurés s’endorment : le coup de barre d’après le repas du midi est une malédiction, et pour peu que ce soit un expert au ton monotone qui vienne témoigner, c’est radical. Mais le coup de barre n’est pas le sommeil. La loi prévoit qu’un juré qui se serait endormi doit être remercié et remplacé par un juré supplémentaire, car il n’a pas assisté à l’intégralité des débats. Il en va de même d’ailleurs quand c’est l’avocat. En aucun cas la cour ne continue ses travaux en chuchotant pour ne pas réveiller les 9 jurés renversés sur leurs fauteuils.

Les jurés ne comprennent rien à ce qui se passait, car c’est souvent compliqué aux assises : chère Ariane, si vous avez compris ce qui se passait à chaque fois, ce que je veux croire puisque vous y retourniez, faites donc le même crédit à vos concitoyens.

Les jurés n’ont aucune notion de droit : C’est en effet le cas la majorité des fois. Mais avant d’aller délibérer, ils vont avoir trois éminents juristes qui vont chacun leur tout leur exposer l’état du droit et la solution que selon eux il préconise dans l’intérêt de la victime, de la société et de l’accusé. Pendant le délibéré, ils ont sous la main trois juristes au moins aussi bons qui peuvent répondre à toutes leurs questions. Et si malgré cela ils ne savent toujours pas, la loi leur indique la voie : cela doit profiter à l’accusé.

Les jurés jugent par rapport à leur affectif et non par rapport à des preuves : Chère Ariane, de quoi parlons-nous donc pendant les deux jours d’audience ? Croyez-vous que l’expert balistique et le médecin légiste, son rapport d’autopsie sous le bras, viennent inviter les jurés à laisser parler leur Moi psychanalytique ?

L’impression que m’a donné Ariane est qu’elle n’a pas assisté à des procès d’assises, mais à un procès d’assises, concernant un de ses proches, et que le résultat ne l’a pas satisfaite.

Néanmoins, rebondissons sur ces remarques pour faire un examen comparé de la cour d’assises et du tribunal correctionnel renforcé. On a vu que depuis 1941, juges et jurés délibèrent ensemble. Mais d’une part, le jury est majoritaire, et peut emporter une décision contre l’avis des magistrats. D’autre part, le secret du vote garantit sa sincérité. Non que les présidents manipulent ou veulent imposer leurs vues au jury — il y en a, mais ils sont rares — mais cette garantie assure à ceux qui ne sont pas au délibéré, l’accusé en premier, que ce délibéré a lieu dans des conditions optimales d’indépendance d’esprit. Devant le tribunal correctionnel renforcé, il n’en sera rien. Les jurés seront minoritaires, et leur vote sera connu des magistrats. Cette différence est fondamentale et suffit à réfuter tout argument comparatif avec la cour d’assises. La loi ne parle d’ailleurs pas de jurés correctionnels, mais de citoyens assesseurs. C’est exactement cela. Et rien de plus. Cet aspect mérite d’être au centre de la réflexion sur les modalités de cette réforme.

Les citoyens assesseurs pourront poser directement des questions au prévenu, à la partie civile, aux témoins et pourquoi pas aux avocats

C’est expressément prévu par le projet de loi. Et c’est une bombe à retardement.

Aux assises, si un juré exprime au cours de l’audience son opinion sur la culpabilité, il doit être excusé et remplacé par un juré supplémentaire. Il n’y aura rien de tel devant le tribunal correctionnel renforcé. Qu’un juré laisse échapper un “Mais vous croyez qu’on va gober vos mensonges ?” et le procès ne sera plus équitable faute d’impartialité du juge. Je sens que les présidents de correctionnelle retiendront leur respiration en donnant la parole aux citoyens assesseurs.

La rémunération des jurés

Le ministre n’a pas compris ou n’a pas voulu comprendre la question de l’auditeur à 8 euros par dossier. Il ne s’agissait pas d’un juré mais d’un délégué du procureur, une de ces petites mains de la justice qui contribue à faire du chiffre dans l’indifférence. Le délégué du procureur reçoit l’auteur de faits délictuels dans le cadre des alternatives aux poursuites. Il propose à l’auteur des faits d’accepter des mesures qui s’apparentent à des peines sans en être (pas d’inscription au casier) et à indemniser la victime en échange d’un classement sans suite. Il peut traiter plusieurs dizaines de dossiers par jour, qui comptent comme une réponse pénale. Ils sont payés 8 euros par dossier, avec parfois un an de retard. Les juges de proximité, créés par le président précédent, ne sont plus payés et devraient bientôt être supprimés. Les experts ne sont plus payés qu’avec deux ans de retard.

Et le ministre annonce que les citoyens assesseurs seront rémunérés aussi bien voire mieux que des magistrats professionnels. Vous comprendrez les réactions dubitatives, surtout quant à la pérennité de ce financement.

Ce sujet n’est pas épuisé, mais je crains que mes lecteurs ne le soient ; certains aspects de la loi n’ayant pas été abordés. Le texte du projet en est publié, je vais en prendre connaissance, et il y aura lieu de revenir notamment sur la cour d’assises light.

Mais vous savez que je suis un citoyen se voulant exemplaire, et je me devais de rectifier certains propos du ministre. Voilà qui est fait.

dimanche 6 mars 2011

Avis de Berryer : Christophe Hondelatte

Nous sommes le 8 mars 2011, il est… 

21 heures. 

Le peuple de Berryer, entré librement sans réservation possible, inconscient de la tragédie qui va se jouer, devise gaiment en se demandant combien de retard aura la Conférence ce soir. Une voix s’exclame : « Faites entrer l’invité ! »

Soudain, 13 personnes, 7 hommes, 5 femmes et un roux font irruption dans la salle des Criées. 

Le Quatrième s’exclame avec une mâle assurance “Peuple de Berryer, voici monsieur Christophe Hondelate !” déclenchant aussitôt un tonnerre d’exclamation. 

Ils prennent place sur la tribune qui fait face au public. L’invité d’honneur ôte sa veste en cuir.

Matthieu Hy, Quatrième Secrétaire, et d’après plusieurs témoins l’instigateur de cette étrange cérémonie, gratifie le public d’un portrait cocasse de l’invité, goguenard sous les bons mots et saillies du 4e secrétaire.

Deux candidats se lèvent chacun leur tour pour traiter les sujets suivants :

- Faut-il faire entrer la cousine ?

- Peut-on sortir debout des Assises ?

Quand soudain… 

c’est le drame. 

Tous les deux vont être sau-va-ge-ment et impitoyablement mis en pièces par les 12 psychopathes, sous les yeux impuissants. De l’invité et les cris de joie. Du public. 

Et l’horreur ne s’arrête pas là.

À peine la scène d’horreur vient-elle de se terminer qu’une personne dans le public se lève et va froidement, méthodiquement, massacrer à son tour les 12 Secrétaires, tandis que le public, coup de théâtre, va se retourner contre eux et acclamer leur bourreau. 

Les enquêteurs, arrivés sur les lieux, déclareront horrifiés avoir retrouvé des fragments d’ego coincés jusque dans les lustres. L’instruction révélera que les victimes étaient, détail incroyable, volontaires, et ont pu à cette fin contacter monsieur Matthieu Hy, Quatrième secrétaire, en lui écrivant un mail à hy.avocat\(at]gmail.com.

À bientôt pour un nouveau numéro de Faites entrer la Berryer.

dimanche 20 février 2011

Classement sans suite

“Par Gascogne”


L’article 40-1 du code de procédure pénale donne au procureur de la République la possibilité, lorsqu’est portée à sa connaissance la commission d’une infraction par une personne dont l’identité et le domicile sont connus, soit de poursuivre le mis en cause devant une juridiction de jugement (tribunal de police ou tribunal correctionnel : le procureur fera alors remettre au mis en cause une convocation à comparaître, par l’intermédiaire d’un huissier via ce que l’on appelle une citation directe, par l’intermédiaire d’un officier de police judiciaire, ou encore en main propre dans le cadre de ce que l’on appelle une convocation par procès verbal), soit de mettre en œuvre des mesures alternatives aux poursuites (par exemple un rappel à la loi, par officier de police judiciaire ou délégué du procureur[1], qui consiste simplement à rappeler à la personne ayant commis une infraction les peines encourues, puis à classer le dossier sans suite, ou encore composition pénale, qui consiste à faire valider par un juge une mesure qui ressemble fort à une peine, mais qui n’en porte pas le nom, le procureur ne pouvant imposer une peine à une personne, contrairement à un juge, seul constitutionnellement habilité à ce faire).

D’autres pays, comme l’Allemagne, ne connaissent pas ce principe d’opportunité des poursuites, auquel ils opposent celui de légalité des poursuites, selon lequel toute infraction doit nécessairement être poursuivie. Pour assurer le traitement d’un nombre de procédures plus important, le nombre de procureurs et de juges en Allemagne est bien évidemment beaucoup plus élevé qu’en France (2,9 procureurs pour 100 000 habitants en France, contre 6,2 en Allemagne, 11,9 juges contre 24,5 - source CEPEJ).

Chaque système a ses avantages et ses inconvénients, ainsi d’ailleurs que ses propres exceptions au principe (voire ici pour quelques approfondissements).

Notamment, concernant l’opportunité des poursuites, il permet de gérer la masse des plaintes, qui ne sont pas toujours particulièrement bien étayées, et également d’éviter des poursuites inopportunes pour des infractions pourtant constituées. Toutefois, et afin de compenser ce pouvoir exorbitant face à la victime, qui consiste à choisir en simple opportunité de poursuivre ou non l’auteur identifié d’une infraction, notre droit a prévu le mécanisme de la citation directe par la victime devant la juridiction de police ou correctionnelle, ainsi que la constitution de partie civile devant le juge d’instruction, qui mettent en route l’action publique sans que le procureur ne puisse s’y opposer, sauf motifs juridiques spécifiques, ou dossier politique[2]

Malheureusement, la pression des statistiques imposée depuis un certain nombre d’années par la Chancellerie sur les parquets fait qu’il est de moins en moins possible pour un procureur de présenter à la grand messe annuelle qu’est l’audience de rentrée de son TGI des chiffres où apparaîtraient un taux trop important de classement sans suite dit d’opportunité, c’est à dire qui ne correspondrait pas au minimum à un rappel à la loi. C’est ainsi que le Ministère affiche des taux de réponse pénale de 87,7 % pour les majeurs, 92,9 % pour les mineurs, soit un taux résiduel de classement sans suite d’opportunité de 12,3 % pour les majeurs, et 7,1 % pour les mineurs. Nous ne sommes plus très loin d’un système de légalité des poursuites.

La décision de poursuivre une personne n’est pas nécessairement toujours facile à prendre, loin du cliché du procureur schizophrène qui ne pourrait pas surveiller une garde à vue puisqu’il aurait nécessairement déjà en tête les joies d’en découdre à l’audience. Ainsi en a-t-il sans doute été pour les collègues qui ont poursuivi ce père en Isère, et cette mère dans l’Essonne, à la suite du décès de leur enfant oublié dans leur voiture. Les décisions prononcées ont d’ailleurs a priori été à la hauteur des difficultés qu’ont connues les juges au moment de s’entendre sur la peine adéquate.

Il est cependant clair que dans ces deux cas, j’ai un peu de mal à voir ce que ce genre de procès apporte à la société, si ce n’est le message consistant à dire qu’il convient de bien surveiller ses enfants, ce avec quoi tout un chacun sera d’accord. Il est évident que la fonction punitive de la peine ne saurait être remplie, les prévenus ayant déjà eu à souffrir eux-mêmes de leur propre comportement. Même chose concernant le fait que la peine doit aussi servir à éviter la récidive par la crainte qu’elle entraîne. Inutile de développer plus…

Dès lors, un classement sans suite dans ce genre d’affaire ne me paraît pas déraisonnable, quand bien même y-a-t-il eu mort d’homme, tant il me semble évident que les auteurs sont également victimes de leur propre faute. Tout comme il est tout autant aussi évident que les notions d’auteur ou de victime ne sont pas aussi linéaires et simples que l’exploitation que le politique en fait pourrait le faire croire[3].

Le contentieux routier est bien souvent très difficile en la matière, tout comme d’ailleurs celui des infanticides, car la victime du comportement fautif est un proche de l’auteur de ce comportement. Fort heureusement, ni l’un ni l’autre ne font partie de mon contentieux, économique et financier, et dès lors moins sujet à ce genre de cas de conscience. Il me reste tout de même la permanence et les audiences pour être confronté à ces auteurs-victimes. Car contrairement à ce que semble penser notamment M. Baroin, récitant ses éléments de langage, nous sommes confrontés tous les jours aux justiciables, et à leur détresse. Et nous ne pouvons pas choisir nos dossiers. Et en terme de Justice, c’est tant mieux.

Notes

[1] Mesure dont Julien DRAY a profité

[2] Comme par exemple celui dit des “biens mal acquis” pour lequel le parquet n’a pas réellement goûté aux joies de la constitution de partie civile de l’association Transparency international

[3] Le “politique” semble d’ailleurs parfaitement au courant, Nicolas Sarkozy ayant refusé de recevoir lui-même le père biologique de Laëtitia Perrais, qui en avait pourtant fait la demande, pour cause de casier judiciaire peu compatible avec la notion de blanche victime que le président semble adorer…

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