Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 8 février 2011

Éléments de langage

Alors que la colère de la Basoche ne retombe toujours pas, bien au contraire (Plus de la moitié des tribunaux et cours d’appel soit 115 sur un total de 195, ont voté un renvoi des audiences non urgentes, dont Paris, qui de par sa taille gigantesque a le plus de mal à se mettre en branle ; d’ailleurs, 300 magistrats étaient présents à l’AG selon la presse), le Gouvernement fourbit ses armes.

Ses armes, c’est ce qu’on appelle les éléments de langage. Des argumentaires distribués aux élus de la majorité pour qu’ils puissent les réciter, le sourcil froncé et l’index tendus vers la caméra, comme s’ils maitrisaient le sujet.

Pour vous épargner du temps et la douleur d’écouter Christian Estrosi, mes Taupes, qui font l’envie de Moubarak comme de Facebook, m’ont communiqué ces argumentaires. Je vous les livres tels quels. Je pense que mes lecteurs magistrats apprécieront à leur juste valeur. Ils émanent directement de l’Élysée et ont été distribués aux parlementaires UMP.

Premier argumentaire, sur les dysfonctionnement de la justice. Il date du 4 février. Les mises en page (gras, italiques et soulignés) sont d’origine.


4 février 2011

ARGUMENTAIRE

Affaire Laëtitia et dysfonctionnement dans la chaîne pénale

Contexte :

Le 3 février, à l’occasion d’un déplacement à Orléans consacré à la sécurité, le Chef de l’Etat a réaffirmé son intention que toute la lumière soit faite sur les circonstances ayant conduit à la remise en liberté de Tony MEILHON, principal suspect du meurtre ignoble de la jeune Laëtitia à Pornic. « Le risque zéro n’existe pas, mais tout expliquer par la fatalité, c’est se condamner à l’impuissance » a-t-il ajouté. En diligentant des enquêtes d’inspection, Michel MERCIER et Brice HORTEFEUX ont précisé que « s’il y a eu des dysfonctionnements, ils ne peuvent pas rester sans réponse ». Pour protester contre ces déclarations, les magistrats du TGI de Nantes ont décidé une grève des audiences jusqu’au 10 février et exigé qu’aucune procédure disciplinaire ne soit mise en œuvre.

Éclairage :

1) Devant un tel drame, nous devons aux Français de rechercher ce qui n’a pas

fonctionné

- En rappelant cette exigence avec fermeté, le Président de la République est dans son rôle de garant du « fonctionnement régulier des pouvoirs publics » (article 5 de la Constitution). Il est de son devoir d’exiger que soient précisées les responsabilités des uns et des autres. En l’espèce, le devoir de nos institutions, c’est « de protéger la société de ces monstres » et de tout comprendre, tout entreprendre pour qu’un tel drame ne se reproduise pas ;

- Il est tout à fait normal que des rapports d’inspection aient été demandés dès lors qu’il est d’ores et déjà avéré que le suivi des obligations de Tony MEILHON n’avait pas été correctement mis en œuvre. Il n’y a alors rien d’exceptionnel à ce que le gouvernement mobilise, selon les procédures habituelles, les différents services d’inspection compétents (pénitentiaires, judiciaires, police nationale). C’est bien le contraire qui serait choquant ! Ces rapports d’inspection, qui devraient être rendus dans quelques jours, permettront d’analyser objectivement le fonctionnement de la chaîne pénale dans cette horrible affaire. S’ils font apparaître des dysfonctionnements manifestes, des procédures disciplinaires seront alors engagées.

- Sans attendre, le gouvernement veut apporter de nouvelles réponses au fléau de la délinquance sexuelle et violente : création imminente d’un Office opérationnel de suivi des délinquants sexuels ; mise en place dans chaque département d’une Cellule de synthèse et de recoupement concentrant ses efforts sur le suivi des multirécidivistes ; renforcement des Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Ces réponses passent certes par un renforcement des moyens mais ne s’y résument pas. Ainsi, dans le cadre de la LOPPSI, le recours au bracelet électronique sera facilité de même que les rapprochements judiciaires entre des affaires traitées par différents services.

2) Dans un État de droit, indépendance de la justice ne veut pas dire irresponsabilité

- Dans cette affaire comme dans d’autres, le principe de responsabilité de l’autorité judiciaire peut être légitimement posé. Qui pourrait accepter que ce grand service public régalien se dédouane de toute responsabilité au prétexte de l’indépendance que la constitution lui confère (article 64) ? Comme dans l’affaire Outreau, certains magistrats ont l’audace d’exiger qu’aucune procédure disciplinaire ne soit engagée et qu’aucune responsabilité ne leur soit imputée ! Ce n’est pas notre conception de la république et de la démocratie. Car la justice repose sur la confiance et il n’y a pas de confiance sans responsabilité.

- En refusant « d’exercer les fonctions de magistrat en Sarkozie » (Matthieu BONDUELLE, SG du syndicat de la magistrature), les magistrats grévistes manquent à leur devoir. Et au final ce sont les victimes et les justiciables qui font les frais de cette réaction, illégitime et disproportionnée.


Quelques commentaires :

Penser que cet argumentaire émane de l’Élysée est accablant. Le Président de la République est le garant du fonctionnement des Institutions et de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Et là, il se retourne contre l’autorité judiciaire, et via une présentation des faits tronqués. Ce n’est bien sûr pas la phrase citée qui a mis le feu aux poudres. C’est cette phrase là, non citée, et pourtant reprise en boucle dans les médias :

Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés, c’est la règle.

L’argumentaire laisse entendre que c’est la saisine de l’Inspection Générale des Services Judiciaires (IGSJ) qui a provoqué l’ire des magistrats, qui exigeraient avant de connaître les résultats qu’aucune sanction ne soit prise. L’Élysée ment. Purement et simplement. Car la vérité est que c’est tout le contraire : depuis le début, les magistrats fustigent le fait que par cette phrase ci-dessus rappelée, le Président, sans attendre les résultats de l’enquête de l’IGSJ, affirme qu’il y a eu faute et qu’elle sera sanctionnée, alors même que les magistrats nantais, sachant comment fonctionne leur service en sous effectif criant, savaient bien qu’aucune faute ne pourra être retenue à leur encontre pour avoir considéré comme non prioritaire un dossier de mise à l’épreuve pour outrage à magistrat.

Les lecteurs apprécieront en outre la rétrogradation de la justice, déjà non reconnue comme pouvoir au même titre que l’exécutif et le législatif par la Constitution, qui parle de simple “autorité”, au rang de simple “service public régalien”. On retrouve ici la vision du président de la République, exposée dans son discours d’Épinal de juillet 2007.

Et bien sûr le couplet démagogique sur les magistrats qui refusent de voir leur responsabilité mise en cause. L’Élysée rédige ses argumentaire au zinc, maintenant.

Deuxième argumentaire, sur les moyens et l’organisation de la justice (la célèbre antienne, « C’est pas une question de moyens, c’est une question de méthode », popularisée par Coluche sous la forme « Dites-vous de quoi vous avez besoin, on vous expliquera comment vous en passer ». Il est daté d’aujourd’hui 8 février.


8 février 2011

ARGUMENTAIRE

Grève des tribunaux et moyens de la justice

Contexte :

La polémique autour des dysfonctionnements survenus dans l’affaire Laëtitia a servi de prétexte à une « fronde » des magistrats, largement orchestrée par certains syndicats qui se réclament ouvertement de gauche. A leur initiative, le report d’audiences a déjà été voté par une cinquantaine de juridictions. Réfutant toute éventualité de mise en cause de leur responsabilité, les magistrats grévistes concentrent leurs attaques sur le manque de moyens de la Justice en France.

Éclairage :

1) Jamais aucun gouvernement n’a consenti un si grand effort pour le budget de la

Justice

- La Justice n’est pas un budget sacrifié, bien au contraire ! Depuis 2007 (6,27 Mds€), le budget de la justice a augmenté de près de 900 millions d’euros pour dépasser en 2011 le seuil jamais atteint des 7 Mds (7,1Mds exactement). Rien que pour 2011, ce sont 550 emplois nouveaux dont 399 de greffiers. Cette progression continue traduit la détermination du gouvernement à replacer la Justice au cœur de la société ;

- Cet effort est d’autant plus symbolique au regard du mouvement de maîtrise des dépenses publiques engagé par ailleurs. Il convient en effet de rappeler que, dans le même temps que le budget de la Justice progressait significativement, l’Etat réduisait son déficit de 40% entre 2010 et 2011 ;

- On ne peut pas dire que les gouvernements précédents en avaient fait autant. Les grévistes qui pointent le mauvais classement du budget français en Europe (0,19% du PIB, 37ème rang européen) oublient de rappeler que cette situation à laquelle nous tentons de remédier est le fruit d’un long héritage…Elisabeth GUIGOU, qui fort opportunément joint son éternelle « indignation » à la « colère des magistrats » devrait avoir l’honnêteté de rappeler l’état dans lequel elle a laissé le budget de la Justice en 2002. Il est vrai qu’avec les 35 heures et les emplois aidés, le Gouvernement auquel elle appartenait avait fait d’autres choix pour partager les fruits de la croissance de l’époque…Depuis que la droite est au pouvoir, nous avons redressé la situation : le budget de la Justice a augmenté de 40%.

2) L’efficacité de notre système judiciaire ne saurait se réduire à la sempiternelle question des moyens

- N’en déplaise aux grévistes et aux polémistes, c’est bien à la modernisation de la Justice française que nous nous sommes attelés depuis 2007. C’est ce que nous avons fait en réformant la carte judiciaire. Réforme à laquelle aucun gouvernement n’avait eu le courage de s’atteler depuis 1958. Était-il efficace de garder, comme c’était parfois le cas, deux TGI à 18 kilomètres de distance ? En même temps que nous réformions la carte, nous avons augmenté les effectifs de la justice de 2300 agents et investi massivement dans la construction de nouvelles cités judiciaires, modernes et cohérentes ;

- Le monde évolue, la Justice doit s’adapter. C’est le sens des différentes lois adoptées depuis 2007 (récidive, rétention de sûreté, loi pénitentiaire…) et des projets actuellement débattus au Parlement (garde à vue, introduction des jurys populaires, PJL « Guinchard » relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement des procédures). Ce mouvement de réformes, que certains qualifient d’ « empilement », nous l’assumons tout à fait : l’immobilisme, c’est le meilleur moyen de détourner les citoyens de la Justice.


Bon, passons rapidement sur les chiffres, notamment ces fameux 40% qui ne tiennent pas compte de l’inflation (16,5% sur cette même période), que le budget de la Justice inclut aussi le budget de la Pénitentiaire, et le fait que la 37e place de la France a été mesuré postérieurement à cette augmentation, qui montre bien d’où on vient.

Le couplet sur la réforme de la carte judiciaire est indécent, quand on voit que les suppressions se sont faites sans transfert de moyens (ainsi en région parisienne, le tribunal d’instance de Nogent Sur marne, qui a récupéré le ressort de celui de Vincennes, supprimé, n’a pas eu un magistrat ou un greffier supplémentaire. Résultat : impossible d’avoir une date d’audience avant la fin de l’année. Oui, nous sommes en février). L’argument des 18 km entre deux tribunaux de grande instance (TGI) ne veut rien dire. Le plus gros TGI de France, celui de Paris, est distant de 13km du second, Nanterre. Personne ne propose de supprimer l’un des deux.

Il demeure qu’à Nantes, le ministère a doté 17 postes de Conseiller d’Insertion et de Probation sur les 42 qu’il a instaurés. Que les lois empilées avec fierté par le Gouvernement, notamment la loi pénitentiaire de novembre 2009, va faire exploser cette charge de travail, alors que PAS UN SEUL POSTE n’a été créé. Alors le gouvernement peut dire que tout ça, c’est la faute des méchants socialistes. Les socialistes ont été au pouvoir 5 ans. Cette majorité est aux affaires depuis 9 ans. Il y a un moment où l’excuse du bilan devient simplement indécente pour se défausser de ses responsabilités. Et ça donne des leçons de responsabilité aux magistrats.

Le stade de l’autisme politique est dépassé. Là, l’exécutif sombre dans la bouffée délirante. C’est dramatique.

Les boules

Par Dadouche (revenante)


Appelons le Kevin[1].
Je le connais depuis que j’ai pris mes fonctions de juge des enfants il y a un peu plus de quatre ans. Il aura 18 ans en 2011.
La première fois que je l’ai condamné, c’était en qualité de présidente du tribunal pour enfants statuant en matière criminelle, pour sa participation à un viol en réunion. Il avait moins de 13 ans lors de ces faits et j’ai ordonné sa mise sous protection judiciaire jusqu’à sa majorité.
J’ai découvert un gamin, pas très futé mais pas idiot, qui a grandi entre deux parents toxico qui ont d’après ce que je sais tous deux connu la prison. Il avait été placé très jeune mais l’opposition massive de la famille et la relative amélioration de la situation des parents avait conduit le juge des enfants à mettre un terme au placement. Il était, à 14 ans, déscolarisé de fait après une exclusion de plusieurs collèges.
Je l’ai revu quelques mois plus tard, quand il a essayé avec d’autres gamins du quartier une recette de cocktail molotov sur un parking. Pas de dégât, pas de blessé. Je l’ai mis en examen quand il a été déféré, je l’ai confié à un établissement de la Protection Judiciaire de la Jeunesse dont il a très vite fugué. Le temps de le juger devant le tribunal pour enfants quelques mois plus tard, il avait commis de nouveaux délits, des vols en réunion si je me souviens bien.
Le tribunal pour enfants l’a condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis mise à l’épreuve. Qui a été partiellement puis totalement révoqué quand il a fugué du Centre Educatif Fermé où les éducateurs avaient fini par trouver une place puis quand il a commis d’autres délits.
Le tribunal pour enfants a prononcé des peines fermes, des peines avec sursis mise à l’épreuve. Il a été incarcéré plusieurs fois. On a tenté des aménagements de peine. La dernière incarcération, durant laquelle il a purgé plusieurs peines, a duré plus de dix mois.
Avant même sa majorité, il a une quinzaine de condamnations à son casier judiciaire. La prison a fini de l’endurcir et j’ai vu disparaître au fil des condamnations ce qui lui restait d’enfance. Cela fait des années qu’il est suivi (et de près) par la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Les éducateurs se sont relayés pour tenter de nouvelles approches. A son palmarès, des infractions contre les biens, des outrages, des violences au sein des différents établissements où il a été placé. Hormis la première condamnation, pour des faits criminels pour lesquels nous n’avons jamais craint de récidive, ce qu’on appelle de la délinquance de voie publique.

Kevin, je n’en ai pas encore fini avec lui. Je suis à peu près certaine que je le condamnerai encore avant sa majorité, ne serait-ce que pour ces procédures qui datent d’avant sa dernière incarcération mais qui viennent seulement d’arriver sur le bureau du substitut des mineurs. Les policiers traitent les affaires au rythme qu’ils peuvent en fonction des urgences, les fonctionnaires du greffe enregistrent ensuite les procédures transmises comme ils le peuvent vu les piles qui s’accumulent.
En ce moment, ça va à peu près pour Kevin : pas de nouvelle garde à vue depuis sa sortie de détention, un début de projet professionnel grâce à l’acharnement de son éducateur, qui suit plus de vingt autres jeunes. Ca durera ce que ça durera, je me dis que toute période d’ accalmie est bonne à prendre et lui permet de faire quelques pas en avant, même s’il doit ensuite reculer un peu.

Je n’ai pas de boule de cristal, mais je peux raisonnablement penser que Kevin commettra à nouveau des délits et sera jugé un jour, peut être très vite après sa majorité, par le tribunal correctionnel pour de nouveaux faits de vols avec violence ou d’outrage, ceux qui, il faut bien le dire, sans présenter une gravité extrême, empoisonnent la vie des gens. Vu son casier, il sera condamné à une peine plancher, peut être avec une partie avec sursis mise à l’épreuve.
Il rejoindra peut être la cohorte des “19000 personnes qui ont plus de 50 affaires” dont Bruno Beschizza, l’inénarrable ancien dirigeant de Synergie et nouveau conseiller régional UMP en Ile de France, nous rebat les oreilles à longueur de plateau télé.

Je n’ai pas de boule de cristal mais je peux raisonnablement penser que le risque que Kevin étrangle un jour une jeune femme ou commette un acte qui le fasse qualifier par le même Bruno Beschizza de “monstre prédateur” est, non pas nulle, peut être même un peu plus élevée que le reste de la population, mais tout de même assez proche du néant. De même que Bafodé, Steven ou Muhammat, que je connais bien aussi. Ou leurs grands frères que j’ai condamnés en correctionnelle.
Et si une part significative de ceux qui ont “plus de 50 affaires” se mettaient à tuer des jeunes filles, je pense que ça se verrait un peu.

Je n’ai pas de boule de cristal, mais je peux raisonnablement penser que Djamel, que je connais aussi bien que Kevin, passera un jour en Cour d’assises. Oh, rassurez-vous il est en prison. Il n’a pas seize ans. Il n’existe aucune structure qui le “supporte” plus de quelques mois. La prison non plus ne le supporte pas d’ailleurs. Il est dangereux pour lui et pour les autres, mais tous les experts m’écrivent qu’il ne relève pas d’une hospitalisation. Et bientôt il sortira de prison. Parfois ça m’empêche de dormir. Mais je n’ai aucune solution durable à ma disposition. Alors, quand je le condamne, je le condamne à des peines un peu plus lourdes que celles que je prononcerais pour d’autres. J’en ai un peu honte, mais je ne sais pas quoi faire d’autre.
Je n’ai pas de boule de cristal mais je me doute que, le jour où il commettra un acte encore plus grave, on viendra me demander pourquoi je ne l’en ai pas empêché. Je répondrai que je ne pouvais pas faire grand chose d’autre que tout ce que nous avons tenté depuis des années. On me dira sans doute que c’est quand même ma faute, parce que le Président avait dit “plus jamais ça”. Et s’il se suicide en prison, ce sera sans doute aussi de ma faute.

Je n’ai pas de boule de cristal mais je sais, depuis bientôt 10 ans que je suis magistrat, qu’un vrai suivi social et judiciaire ça n’empêche pas la récidive mais ça en diminue la probabilité. Que quand on a un logement, un travail, une famille, on a quelque chose à perdre et ça peut aider à réfléchir avant de commettre un délit. Parce que quand on est incarcéré, on ne perd pas que la liberté pour un temps. Souvent on perd bien plus. Quand on a rien a perdre, on réfléchit beaucoup moins.
Je sais aussi que quand un conseiller d’insertion et de probation “suit” 135 condamnés, il ne suit rien du tout. Il gère comme il peut, il priorise, il tente de marquer à la culotte ceux qui ont commis les faits les plus graves, ceux qui sont en aménagement de peine.

Je ne fais pas d’angélisme. Des peines d’emprisonnement j’en prononce régulièrement au tribunal pour enfants, en correctionnelle et aux assises.
La douleur des victimes je la connais. J’en ai vu assez pour toute une vie, notamment quand j’étais juge d’instruction.
J’ai assisté à des autopsies de victimes de meurtre, j’ai rencontré leurs parents, j’ai tendu des boîtes de kleenex à des victimes de viols.
Le Président de la République n’a pas de leçon à donner aux magistrats sur la douleur des victimes, celle que nous nous prenons en pleine figure. La douleur brute d’une mère à qui on annonce que le corps de sa fille a été retrouvé. Celle, mêlée d’incompréhension, d’enfants dont “Papa a tué Maman”. Celle, sourde, de parents auxquels on explique, pour qu’ils l’apprennent avec précaution dans la quiétude du cabinet d’instruction plutôt qu’en recevant notification d’un rapport d’expertise ou à l’audience, combien de véhicules ont probablement roulé sur le corps de leur fils après son accident de moto. Celle, paralysante, d’une jeune fille de 17 ans traitée de pute par ceux qui l’ont violée.

Et pour moi ce qui est indécent c’est de s’approprier la douleur de ces victimes pour faire de la désinformation. Pour promettre l’intenable : “plus jamais ça”.
Je n’ai pas de boule de cristal, mais je sais que d’autres victimes seront tuées, violées, agressées. Et que ce sera d’abord la faute du meurtrier, du violeur, de l’agresseur. Pas de ceux qui n’avaient aucun moyen de prédire un passage à l’acte ou même parfois de l’empêcher.
Ou alors c’est Elizabeth Teissier qu’il faut nommer Garde des Sceaux.

Ce qui est décent et responsable, c’est de dire la vérité.
Non, le risque zéro n’existe pas. Dans n’importe quelle société humaine, il y a des crimes.
Non, les magistrats, les policiers, les conseillers d’insertion et de probation ne considèrent pas la récidive comme une fatalité. Ils luttent chaque jour pour la prévenir, avec les moyens matériels et juridiques qu’on veut bien leur donner.
Non, les magistrats ne sont ni irresponsables ni intouchables. Ils répondent de leurs fautes. Mais seulement de leurs fautes,

Je n’ai pas de boule de cristal.
Là, j’ai juste les boules.

Notes

[1] les prénoms des mineurs sont modifiés

mercredi 2 février 2011

Drame de Pornic : où sont les défaillances ?

Par Gascogne, intérimaire


Comme je n’aurais su dire mieux, je me permets de reproduire ici une lettre ouverte adressée par la CGT Pénitentiaire au Président de la République suite au meurtre de la jeune Laëtitia à Pornic. Cette lettre est consultable sur le site du syndicat, ainsi d’ailleurs que d’autres interventions de la CGT Pénitentiaire dans le cadre de la polémique qui a suivi l’arrestation et la mise en examen de Tony Meilhon.


LETTRE OUVERTE

A



Monsieur Nicolas Sarkozy, Président de la République Palais de l’Elysée 55, rue du faubourg Saint Honoré 75008 PARIS



Monsieur le Président,



J’ai pris connaissance du courrier que vous avez envoyé à monsieur le Garde des Sceaux. Je reviens vers vous après vous avoir déjà fait parvenir notre communiqué du mercredi 26 janvier 2011 par l’intermédiaire de votre attachée de presse.

Comme vous, je suis choquée et anéantie, monsieur le Président !



Premièrement, je suis consternée par l’utilisation populiste que vous faites de ce drame, terrible … la mort tragique d’une jeune fille dans des circonstances encore non élucidées et a priori ignobles !



Deuxièmement, je suis vraiment surprise que vous vous intéressiez enfin au crédit ou au discrédit de l’institution judiciaire : « Il me paraît en conséquence indispensable de faire toute la lumière sur ces dysfonctionnements qui portent atteinte au crédit de l’institution judiciaire. » Surprise, car vous-même avez souvent raillé l’institution judiciaire. Vos déclarations ont souvent remis en cause le professionnalisme des magistrats et des fonctionnaires.



Troisièmement, je suis choquée ensuite par la détermination dont vous faites preuve afin de trouver des coupables : « Vous m’avez indiqué avoir ordonné une enquête administrative interne afin de déterminer avec précision les conditions dans lesquelles cette procédure relative à la mise à exécution d’une peine correctionnelle s’est déroulée et les éventuelles responsabilités qui pourraient être mises en évidence. »



Des coupables, il n’y en a pas chez les fonctionnaires professionnels de la Justice. L’enquête administrative diligentée auprès des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et du tribunal de Nantes ne doit pas faire peser la responsabilité sur des agents qui n’ont pas à la porter … Ce que vous semblez vouloir, monsieur le Président, c’est un responsable à tout prix !



Vous n’êtes pourtant pas sans ignorer, monsieur le Président, que depuis des années, les politiques de casse du service public que vous menez, et plus particulièrement celui de la Justice qui nous concerne ici, sont les vrais responsables. L’inspection générale des services pénitentiaires était venue au SPIP de Nantes, il y a quelques mois. Le manque de moyens conduisant à la mise en place, en concertation avec les autorités compétentes, de la mise au placard des dossiers que le service ne pouvait prendre en charge faute de moyens, était connu ! Cette situation, qui existe dans de nombreux services, a été dénoncée à de multiples reprises.

En novembre 2010, la CGT Pénitentiaire, en mouvement, demandait entre autres, le recrutement de 1000 travailleurs sociaux, conformément à l’étude de l’impact de la loi pénitentiaire ! Madame Michèle Alliot-Marie, Garde des Sceaux, nous avait gentiment dit que le ministère de la justice et l’administration pénitentiaire étaient des privilégiés : pas d’emplois supplémentaires, hormis les 40 recrutements de travailleurs sociaux pénitentiaires pour l’année 2011 !



Sur votre invitation, l’inspection générale des services pénitentiaires a interrogé, à plusieurs reprises, des collègues. Plutôt que de demander des comptes à des agents, faites interroger les responsables de cette politique qui conduit les services à l’asphyxie !



Je peux comprendre votre trouble, lorsqu’en conseil des ministres vous dites : « Que puis-je dire à la famille de Laëtitia ? » … Que pouvez-vous leur dire ?

Tout d’abord, raconter comment vous avez, à cause de votre politique, anéanti les services publics en supprimant des fonctionnaires.



Ensuite, leur expliquer que la politique pénale menée par les ministres obéissant à vos ordres, a engendré une surpopulation carcérale, sans recruter des fonctionnaires supplémentaires tant à l’administration pénitentiaire qu’à la Justice en général. Expliquer comment les juges sont surchargés de dossiers ….



Vous éclairerez la famille sur l’état de la protection judiciaire de la jeunesse où le nombre de fonctionnaires ne cesse de diminuer. Vous pourrez aussi leur dire que les juges pour enfants sont débordés, parfois sans greffier, et que l’Etat ne reverse pas assez d’argent aux collectivités pour qu’elles recrutent des éducateurs pour le suivi des enfants et des jeunes en danger ou en difficultés !



Il n’y aura pas de boucs émissaires !



Alors, après analyse des responsabilités, vous pourrez vous excuser car la famille de la victime doit savoir que les dysfonctionnements de la Justice ne sont pas le fait d’un fonctionnaire d’un SPIP ou d’ailleurs, d’un magistrat, mais que c’est le fait de la défaillance d’un système, celui de l’Etat qui s’est désengagé de ses obligations depuis de longues années, et plus particulièrement depuis votre élection !



Comme vous êtes chef de cet Etat défaillant, vous pourrez leur signifier, que vous portez l’entière responsabilité de la déficience et du dysfonctionnement ! Avec la CGT pénitentiaire, je n’accepterai pas que des professionnels de la Justice paient à la place du pouvoir exécutif, donc du système !

Recevez, monsieur le Président, l’expression de mon attachement à l’ensemble des services publics, bastions et remparts de la démocratie donc de la République française !

Céline Verzeletti, Secrétaire Générale de la CGT pénitentiaire



Montreuil, le 31 janvier 2011


A titre personnel, je rajouterai ceci :

S’il ne saurait y avoir de hiérarchie dans la douleur de la perte d’un être cher, sans doute en existe-t-il une, très subjective, dans la manière dont cet être vous a été enlevé. Et le drame qui vient de se dérouler en Bretagne fait partie des pires choses qui peuvent être infligées à des parents, frères et sœurs d’une personne que l’on assassine.

Les premiers moments de douleur passés, abrutissants et irréels, la colère prend souvent le dessus, pour tenter de faire face, à défaut de comprendre. Et la recherche de responsabilité est un mécanisme normal du long apprentissage du deuil. Encore faut-il que ce mécanisme ne soit pas dévoyé en vengeance, qui n’est jamais bonne conseillère. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’État moderne a substitué l’institution judiciaire à la vengeance privée.

Si défaillance il y a eu, et s’il faut donc demander des comptes, ne nous trompons pas d’interlocuteur. La récente déclaration interministérielle vantant les mérites d’une inspection qui n’était même pas terminée pendant que l’encre du communiqué séchait déjà ne doit pas faire illusion. Cette déclaration est en tout état de cause proprement étonnante lorsque l’on sait que le Ministère était avisé depuis très longtemps de l’état déplorable des services de l’application des peines, tant au Palais de Justice de Nantes où il manquait un JAP depuis un an, qu’au service pénitentiaire d’insertion et de probation où la surcharge de travail des CIP ne leur permettait pas de traiter l’ensemble des dossiers. Le Ministère savait, et a laissé faire. Donner l’ordre aujourd’hui de ne pas prioriser les dossier est dès lors un revirement qui ne pourra de toute manière pas être mis en œuvre.

La récidive existera toujours. Le genre humain est ainsi fait que l’on ne peut contrôler vingt quatre heures sur vingt quatre un individu décidé à passer à l’acte, même porteur d’un bracelet électronique, qui n’a jamais rien empêché (il suffit d’assister à un débat de révocation d’une mesure de placement sous surveillance électronique pour s’en convaincre). Ceci ne pourra évidemment jamais consoler les proches des victimes, pour qui la perte d’un être cher ne peut évidemment pas se ranger parmi des statistiques, mais nos concitoyens ne doivent pas être dupés par de fausses promesses de risque zéro.

La récidive doit être limitée au maximum. Et ce n’est pas une énième loi qui y parviendra. Pas plus que profiter de la douleur de l’opinion publique ne résoudra le problème. Tout au plus cela rapportera-t-il quelques voix. Mais n’est-ce pas là le sommet du cynisme face à la mort d’une jeune femme ?

mardi 25 janvier 2011

Réforme de la garde à vue : rapport d'étape

cUn petit mot à titre de prolégomènes : je suis actuellement occupé tant par mon cabinet que par ma famille. Tout va bien, mais le rythme de publication des prochaines semaines s’en ressortira forcément. Merci de votre patience, merci à Gascogne d’assurer l’intérim, et ne vous en faites pas, mes autres colocataires sont à l’échauffement mais je sens qu’ils vont bientôt nous écrire des billets formidables.

L’Assemblée nationale a terminé l’examen du projet de loi relatif à la garde à vue. Le scrutin public, sans surprise, aura lieu mardi et le projet (pdf) sera adopté et envoyé au Sénat.

Dans mes vœux à la Cité et au Monde, je disais

Nous ne sommes pas dispensés de vigilance car il est certain que le législateur facétieux va tout faire pour vider cette réforme de sa substance, ou à tout le moins de s’assurer qu’elle n’ira pas un millimètre plus loin que le strict minimum nécessaire, et encore s’il pouvait revenir quelques centimètres en arrière ce serait encore mieux.

Et ça n’a pas manqué.

La comm’ des anti-droits de l’homme a été la dénonciation du lobby des avocats, dont la seule motivation serait pécuniaire, cette réforme ne visant qu’à nous permettre de nous engraisser sur le dos du contribuable. Bien sûr. Alors rappelons ici que le pénal est l’une des spécialités les moins rémunératrices ; que cette réforme va nous obliger à être disponibles de jour comme de nuit, 365 jours par an, 366 les années bissextiles, y compris les jours fériés. Pour une indemnité qui sera, vous pouvez compter sur l’État, misérable. Franchement, comme lobby, on est plutôt nul.

Alors, comment vos représentant ont-ils considéré vos droits fondamentaux face à l’arbitraire de l’État ? Voilà où on en est.

D’entrée, l’Assemblée, sous couvert du respect des droits de la défense, leur a porté un sale coup. L’article préliminaire du Code de procédure pénale, qui depuis 2000 résume les principes essentiels du procès pénal, disposera que

En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat ou être assistée par lui.

Les avocats devraient applaudir, me direz-vous ?

Non, ils devraient pleurer. Cet article 1er suffit quasiment à lui seul à vider cette réforme de sa substance.

Il a été ajouté in extremis par un amendement du Gouvernement, et reprend la solution d’un arrêt de la chambre criminelle de la cour de cassation du 4 janvier dernier. Dans cet arrêt, la Cour estime que la cour d’appel de Grenoble a eu tort d’annuler des procès-verbaux contenant des déclarations faites en garde à vue sans la possibilité d’être assisté d’un avocat, MAIS ne casse pas l’arrêt puisqu’il a malgré tout déclaré le prévenu coupable : la Cour de cassation estime que cette erreur de la cour d’appel (erreur qui soulignons-le consiste à appliquer les droits de l’homme) a été sans conséquence puisqu’elle a pu s’appuyer sur d’autres éléments que ces déclarations pour prononcer la culpabilité.

L’idée a paru géniale au Gouvernement. Voilà comment sauver toutes les procédures de la nullité, qui devrait être la seule sanction admissible de la violation d’une règle aussi substantielle que les droits fondamentaux reconnus par la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CSDH) : un acte qui les violerait ne devrait pouvoir avoir aucune existence légale, il doit être juridiquement anéanti. Mais non, il suffira que le juge précise dans son jugement que ces déclarations, qu’il aura lues avec le plus grand intérêt, ce qu’une nullité lui aurait interdit, n’ont pas été le seul fondement de son jugement de culpabilité. Michel Vaxès, député (GDR) de la 13e circonscription des Bouches-du-Rhône avait bien déposé un sous-amendement visant à ce que l’adjectif seul fût supprimé, mais ce sous-amendement a été rejeté (40 voix à 22, 2 votes blancs et 514 absents).

Et voilà désormais que la loi a prévu la sanction de l’absence de l’avocat : les déclarations reçues en violation du droit à l’assistance d’un avocat ne pourront être le seul fondement de la déclaration de culpabilité. Dès lors qu’une sanction est prévue et appliquée, le prévenu ne pourra plus dire que ces déclarations reçues en violation des droits de l’homme lui ont causé un grief, et ne pourra en obtenir la nullité. Et quand on sait que la plupart des jugements correctionnels sont ainsi rédigés : « Attendu qu’il ressort des éléments du dossier et des débats à l’audience qu’il y a lieu d’entrer en voie de condamnation », vous verrez qu’il n’y aura même pas besoin de modifier les modèles utilisés par le greffe : les déclarations reçues sans avocat font partie des éléments du dossier ; or le jugement mentionne aussi les débats à l’audience. Donc les déclarations du prévenu n’auront pas été le seul fondement de sa condamnation. CQFD.

Naturellement, la CEDH ne sera pas dupe. Naturellement, cette ruse méprisable entraînera une nouvelle condamnation de la France (Maître Patrice Spinosi, qui est à l’origine de toutes ces condamnations est encore jeune), mais cela prendra du temps, facilement une dizaine d’années. Vous, je ne sais pas, mais moi, j’aime mes droits de l’homme à consommer sur place, pas à emporter pour déguster plus tard.

Entrons à présent dans le détail de cette réforme. Nous ne sommes pas au bout de nos déconvenues.

L’art. 1er donne une nouvelle définition de la garde à vue, qui se veut plus restrictive que l’ancienne. En effet, si l’ancienne est conservée dans sa substance («La garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs»), s’y ajoute les conditions suivantes :

dès lors que cette mesure constitue l’unique moyen de parvenir à au moins un des objectifs suivants :
« 1° Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;
« 2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à
l’enquête ;
« 3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;
« 4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;
« 5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ;
« 6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit.

Là encore, pure poudre aux yeux. Lisez bien. Lisez mieux. Par exemple en ôtant les scories.

La garde à vue peut être décidée dès lors qu’il existe UNE raison plausible de soupçonner qu’une personne a commis un crime ou un délit, dès lors qu’UNE des 6 conditions est remplie, et franchement, rien que la 2° suffit à justifier toutes les gardes à vue, puisqu’elles visent forcément à ce que la personne gardée à vue soit maintenue à disposition du procureur de la République le temps qu’il décide qu’en faire. Soyons clairs : cet article n’apporte RIEN, hormis une clarification des définitions qui de toutes façons figuraient déjà dans tous les manuels de procédure pénale.

Vous avez encore des doutes ? Vous croyez que c’est l’avocat de la défense qui parle, le regard dévié par un prisme déformant ? C’est de bonne guerre, je n’ai jamais caché mon parti pris pour les droits de la  défense. Lisons donc la suite : voici venir les garanties du gardé à vue.

Futur art. 62-5. – «La garde à vue s’exécute sous le contrôle du procureur de la République, sans préjudice des prérogatives du juge des libertés et de
la détention prévues aux articles 63-4-2, 706-88, 706-88-1 et 706-88-2 en matière de prolongation de la mesure au-delà de la quarante-huitième heure
et de report de l’intervention de l’avocat. Le procureur de la République compétent est celui sous la direction duquel l’enquête est menée ou celui
du lieu d’exécution de la garde à vue. »

Pardon, comment, que dites-vous ? La CSDH dit «Toute personne arrêtée (…) doit être aussitôt traduite devant un juge» ? Ouvrez un dictionnaire : aussitôt veut dire 4 jours. Quoi encore ? La Cour, dans le célèbre arrêt Medvedyev, a dit que « Le magistrat [qui contrôle la légalité de la privation de liberté] doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public (§124)» ? Bande d’illettrés. Cela veut dire que le procureur de la République est tout à fait apte à contrôler ces privations de liberté. Donc nous nous sommes mis en conformité en ne changeant rien à l’état du droit. CQFD. Hâtons-nous d’en rire, mes amis. Car le meilleur reste à venir.

« Ce magistrat apprécie si le maintien de la personne en garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette mesure sont nécessaires à l’enquête et proportionnés à la gravité des faits que la personne est soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre.

« Il assure la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue.

« Il peut ordonner à tout moment que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou remise en liberté.»

Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier d’alu.

Eh oui, l’Assemblée a, sans rire ni même rougir, confié la sauvegarde de l’intégralité des droits de mon client à son adversaire dans la procédure. Dans un souci d’égalité des armes, je demande à être chargé de la sauvegarde des droits de l’accusation et de ceux de la victime de mon client, y’a pas de raison qu’il n’y ait que les autres qui aient le droit de rigoler.

Notons plus sérieusement que ces proclamations ne sont assorties d’aucun mécanisme concret : l’avocat de la défense, qui vous allez le voir reste un intrus, n’a pas le droit de saisir un magistrat, ou même le procureur, pourquoi pas, il reste un magistrat, d’une demande, ni ne peut exercer le moindre recours contre les décisions du procureur de maintenir une garde à vue. Non seulement on confie la sauvegarde de vos droits à votre adversaire, mais votre avocat ne dispose d’aucun recours. Puisqu’on vous dit que c’est un progrès des droits de l’homme !

Vous allez voir, le festival du rire ne s’arrête pas là. En effet, l’article suivant commence ainsi :

Futur article 63 : I- Seul un officier de police judiciaire peut, d’office ou sur instruction du procureur de la République, placer une personne en garde à vue.

Oui, mes amis, le procureur peut donner l’ordre de vous placer en garde à vue, et aussitôt contrôlera lui-même sa propre décision pour sauvegarder vos droits.On comprend désormais la raison des tests psychologiques à l’entrée à l’école nationale de la magistrature : la schizophrénie est hautement recommandée pour exercer la magistrature debout.

Bon, tout n’est pas à jeter dans cette réforme et ici un petit mais véritable progrès vient se nicher. L’OPJ devra communiquer au procureur de  la République la qualification des faits (c’est à dire la nature du délit soupçonné) et si le procureur estime qu’elle n’est pas approprié, la nouvelle qualification qu’il retient devra être aussitôt notifiée au gardé à vue. C’est heureux, car souvent en entretien de  garde à vue je réalise que les faits sont incorrectement qualifiés, ou incomplètement, par l’OPJ (un vol est en fait un recel, une escroquerie est en fait un abus de confiance) et je me retrouve face au dilemme d’expliquer à mon client le délit qui lui est reproché au moment où je lui parle, quasi certain que ce délit changera par la suite, ou le briefer sur cette qualification plus exacte mais qui n’est à ce stade que virtuelle, ou le briefer pour les deux au risque de le noyer sous les explications (30 minutes pour devenir pénaliste,c’est court, croyez moi).

De même, la personne gardée à vue se verra désormais proposer le même triptyque que lors de la première comparution devant le juge d’instruction : faire des déclarations, accepter de répondre aux questions ou se taire.

Enfin, l’avis famille devient “fromage et dessert” : le gardé à vue n’aura plus à choisir entre prévenir sa famille ou son employeur, désormais, il pourra faire prévenir les deux.

Reste le meilleur pour la fin, l’intervention de l’avocat.

Le gardé à vue pourra demander à être assisté d’un avocat, choisi ou commis d’office par le bâtonnier.

Et d’entrée, on vire dans le n’importe quoi. Si plusieurs gardés à vue ont choisi le même avocat, le procureur de la République, c’est-à-dire l’adversaire de cet avocat, peut décider de demander au Bâtonnier de désigner un autre avocat pour prendre la place de l’avocat choisi: il suffit que cela empêche une audition simultanée. Et moi, vous croyez que je peux demander un autre procureur sur ce dossier ? Bien sûr que non, voyons. Et ça ne s’arrête pas là.

L’avocat garde droit à un entretien confidentiel de 30 minutes max. UN entretien, la loi est claire (art. 63-4 nouveau). Si vous n’avez pas utilisé vos 30 minutes, vous ne pouvez pas les garder pour plus tard.

Là où on vire à la non conformité pure et simple à la CSDH, c’est quand on lit (art. 63-4-1 nouveau) que l’avocat aura accès aux seuls procès verbaux des déclarations de son client. Vous me direz qu’il était censé être assis juste à côté de lui, mais on ne pense jamais assez aux avocats atteints d’Alzheimer. Par contre, pas droit d’en prendre copie, et pas d’accès aux constatations effectuées par les policiers ou aux dépositions des témoins. Dame ! Si on donne à la défense accès aux éléments à charge, elle pourrait, je ne sais pas, moi, assurer la défense du gardé à vue ? Ce serait la fin d’une tradition nationale remontant à la Sainte Inquisition, et on ne plaisante pas avec l’identité nationale.

Je me permets ici de rappeler ce que dit l’arrêt Dayanan c. Turquie, cité dans  l’arrêt Brusco c. France qui a consacré la non conformité du droit français à la CSDH : «la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer.»(§32) Que le législateur m’explique comment je suis censé discuter l’affaire, organiser la défense, rechercher des preuves favorables à mon client et préparer les interrogatoires si on me cache tous les éléments que je ne connais pas et qu’on ne me laisse accéder qu’à ce qui a été dit en ma présence ?

Mais c’était déjà trop m’accorder. Ainsi, si on m’appelle et que je suis en chemin le plus vite que me le permet mon vélo, le procureur de la République (soit, je le rappelle, mon adversaire dans la procédure) peut autoriser l’OPJ à passer outre mon absence et à débuter l’interrogatoire immédiatement.

Damned. Je vais vraiment très vite sur mon vélo. Et si j’arrivais tout de suite ? Pas de problème. Le même procureur de la République (mon adversaire, vous l’avais-je déjà dit ?) peut décider de passer outre le droit à un avocat et dire que décidément, mon client sera bien mieux privé d’un conseil pendant douze heures. Tout en étant garant de la sauvegarde de ses droits, hein, puisqu’on vous dit qu’on est conforme, c’est bordé au cordeau. Cette décision doit être écrite et motivée. On se demande pourquoi, puisqu’elle ne peut faire l’objet d’aucun recours (on se demande par qui, d’ailleurs, puisqu’il n’y a pas d’avocat ; au moins, c’est cohérent). Et si on veut tenir éloigné l’avocat plus de 12 heures ? On peut, mais il faut l’autorisation d’un juge des libertés et de la détention. Autorisation accordée naturellement sans que l’avocat ait pu s’exprimer. À quoi bon, puisque le procureur est le garant des droits de son client ?

Et puis d’ailleurs, parce qu’il n’y a pas de mesquinerie trop petite pour le législateur, le procureur peut aussi décider que l’avocat tenu éloigné 12 heures ne pourra pas non plus consulter les PV d’audition de son client pour prendre connaissance de ce qu’il a dit en son absence (art. 63-4-2 nouveau). Nananèreuh, bisque bisque rage, t’avais qu’à être télépathe.

Bon,voyons à présent le cas où on aura bien voulu permettre à l’avocat d’assister son client (ce devrait être la majorité des cas, mais je trouve proprement insultant qu’on ait prévu tous les moyens à la discrétion du procureur pour nous tenir éloignés).

Eh bien ce ne sera pas encore la joie.

Nos questions seront réservées pour la fin de l’audition ou de la confrontation. Tant pis si on avait quelque chose d’intelligent à dire: dans un commissariat, l’intelligence peut toujours attendre. L’OPJ peut en outre refuser notre question, s’il estime qu’elle nuit “au bon déroulement de l’enquête ou à la dignité de la personne”, ce qui lui laisse une large marge d’appréciation, et de toutes façons, il n’y a pas de recours. Tout au plus nous sera-t-il permis de déposer des observations écrites où nous pourrons faire figurer nos questions refusées, pour avoir un souvenir, sans doute. On retrouve là les conclusions en donner acte de désaccord prévues à l’instruction (art. 120 du CPP).

Mais ce n’était pas encore assez de garanties données aux syndicats de policiers. L’OPJ pourra donc, s’il estime que l’avocat perturbe gravement le bon déroulement d’une audition ou d’une confrontation, demander au procureur de la République (vous ai-je précisé qu’il s’agit de son adversaire ?) de demander au Bâtonnier d’en désigner un autre (art.63-4-3 nouveau). La loi n’a pas encore autorisé l’OPJ a donner un coup de Taser à l’avocat qui souhaiterait poser une question, mais le Sénat y pourvoira surement.

La loi prévoit enfin le droit pour le plaignant de demander l’assistance d’un avocat en cas de confrontation. Fort bien, mais pourquoi pas lors des interrogatoires ? Ah,ça, les victimes, dès qu’il s’agit de mettre la main au portefeuille, l’État les trouve soudain beaucoup moins sympathiques.

Accessoirement, la loi étend la compétence territoriale des OPJ qui pourront agir dans les ressorts des tribunaux limitrophes sans autorisation du procureur même dans les enquêtes de flagrance.

Voilà,vous saurez désormais quoi penser quand vous entendrez déblatérer sur le “lobby des avocats”, et surtout, quand le Gouvernement paradera sous les applaudissements du Parlement en vous disant qu’il veille sur vos droits.

Une fois de plus, il les utilise comme paillasson.

vendredi 7 janvier 2011

Des jurés populaires, des réformes populistes ?

Par Gascogne


On le sait, le prochain caprice la prochaine réforme présidentielle en matière de justice portera sur la présence de jurés populaires dans les juridictions correctionnelles, un projet de loi devant être présenté avant la fin de l’année.

La suppression du juge d’instruction n’ayant pu aboutir, du fait notamment de l’opposition d’un certain nombre de députés, et de l’irruption dans le débat national de multiples dossiers où les juges d’instruction n’étaient plus présentés comme des schizophrènes irresponsables, mais bien comme des garants d’une enquête plus indépendante que celle menée par un magistrat du Parquet non membre de l’autorité judiciaire[1], il s’agit de démontrer une fois de plus que la réforme de la Justice est une impérieuse nécessité.

Alors voilà ressorti le nouveau serpent de mer du rapprochement-du-peuple-avec-sa-justice.

Cette antienne avait déjà été mise en avant par Jacques Chirac en 2002 suite à une promesse de campagne électorale. Les sages du Palais du Luxembourg avaient pu indiquer lors de la discussion du texte qu’il suffisait d’un peu de bon sens pour être magistrat. En outre, la multiplication des “citoyens-juges” permettait de rapprocher humainement mais aussi localement le justiciable de “sa” justice. Il semblerait cependant que la sagesse de la Haute Assemblée ait été mise à l’épreuve de la pratique, car le nombre de recrutement des juges de proximité n’a jamais atteint le quota fixé (environ 600 juges de proximité en 2008, contre 7 000 prévus initialement), et les dysfonctionnements ont en outre été suffisamment nombreux pour que le gouvernement actuel envisage sérieusement leur suppression. En outre, la proximité géographique a été mise à mal par la réforme de la carte judiciaire, dont on sait que les tribunaux d’instance ont payé le plus lourd tribut.

Le flux et le reflux des réformes gouvernementales, dans la plus grande incohérence, s’est aussi remarqué avec le projet de juin 2010 de supprimer les jurés des Cour d’Assises, au moins en première instance. Quelques mois plus tard, il semble cependant urgent d’introduire les jurés non professionnels devant les juridictions correctionnelles. En première instance…

S’il n’y a pas dans la magistrature d’opposition de principe à la participation des citoyens aux décisions de justice, il n’en reste pas moins que des difficultés matérielles vont se faire jour, si la réforme passe sans préparation ni étude d’impact. Les Cours d’Assises, qui siègent théoriquement une fois par trimestre, ont le plus grand mal à constituer les listes de jurés. Beaucoup de concitoyens, que la lourdeur de la tâche effraie, préfèrent se faire porter pâle. D’autres mettent en avant qu’il ne peuvent pas se permettre de quitter leur travail pour trois semaines ou plus, particulièrement lorsqu’ils travaillent à leur compte.

Le nouveau système devra prévoir la possibilité de faire participer les citoyens non pas quelques semaines par an, mais toutes les semaines, voire tous les jours dans les plus grosses juridictions, où les audiences correctionnelles sont quotidiennes. Certes, le gouvernement semble envisager de limiter leur intervention au infractions punies de 10 ans d’emprisonnement. Mais où est la logique, dans tout cela ? Si les citoyens doivent concourir à la justice correctionnelle, pourquoi limiter cette intervention aux infractions les plus graves ? Comme les crimes ?

L’argumentaire selon lequel la justice ne serait pas une affaire de spécialistes est, quant à lui, tout aussi faux qu’humiliant. Les magistrats font au minimum quatre années d’études pour se présenter au concours de l’ENM. Ils suivent ensuite une formation de 31 mois, tant théorique que pratique, sanctionnée par un concours de sortie. Tout cela pour exercer un métier qui ne nécessite aucune compétence particulière ? Dans ce cas, permettons aux citoyens d’exercer au moins partiellement les fonctions de chirurgien, d’avocat ou de garagiste. L’appropriation par les citoyens de ces métiers parfois décriés permettra d’éviter à l’avenir des critiques récurrentes. Qu’il me soit cependant permis de choisir le professionnel auquel je m’adresse, ce qui n’est malheureusement pas possible pour les magistrats.

Je me permets à ce titre de faire également humblement remarquer au Chef suprême des Parquetiers que tenter de démontrer par les exemples des tribunaux de commerces et des conseils de prud’hommes que la justice n’est pas affaire de spécialistes est à mon sens assez hasardeux. Les magistrats qui siègent dans ces juridictions ne sont certes pas nommés pour leurs compétences juridiques en droit commercial et en droit social, mais élus parce qu’ils ont des connaissances professionnelles particulières dans les matières qui les concernent. Faudra-t-il dès lors nommer uniquement des criminels ou des victimes pour siéger en Cour d’Assises ?

Enfin, lorsque le Garde des Sceaux, dans la droite ligne du président de la République, voit d’un bon œil la présence de citoyens (on va finir par croire que les magistrats n’en sont pas) pour les décisions de libération conditionnelle, puisqu’”Il est tout à fait normal qu’il y ait aussi des assesseurs qui soient prévus pour certains aménagements (..) particulièrement lourds”, on se demande où nos politiques vont chercher tout cela. Peut-être dans les lois déjà existantes ?

Je n’ose y croire. Ce serait la porte ouverte sous des prétextes populistes et/ou électoralistes (rayez la mention inutile) à des amendements visant à faire appliquer des dispositions que l’on trouve déjà dans notre législation, comme les articles 221-11 et 222-48 du Code Pénal, par exemple.

Je reste donc optimiste, et souhaite à tous nos hommes politiques une excellente année 2011, même pré-électorale[2].

Notes

[1] il semble en effet qu’il puisse y avoir dans ces deux dossiers quelques légers risques d’interférence entre un procureur en liaison directe avec le gouvernement, et un dossier où un ministre est directement mis en cause, et un autre dossier où une secrétaire d’État à la Santé, qui a travaillé pendant dix ans pour trois laboratoires pharmaceutiques différents, risque d’être fort intéressée par le dossier en cours.

[2] Tous mes voeux égalements aux lecteurs de ce blog, cela va sans dire, mais va mieux en le disant

vendredi 19 novembre 2010

Prix Busiris pour Michel Mercier

busirisEolas_big 1 minute 40 secondes. L’Académie a dû se frotter les yeux face à ce record qui ne sera sans doute jamais battu. Il aura fallu 1 minute 40 secondes à Michel Mercier, annonce de l’heure, lancement et salutations comprises, pour obtenir son premier prix Busiris. Un contrôle antidopage a naturellement été effectué, et est revenu négatif.

Le garde des Sceaux, déjà affectueusement surnommé “Angélique” par ses petits pois dévoués, effectuait aujourd’hui sa première sortie médiatique, au micro d’Europe 1, interviewé par Jean-Pierre Elkabbach.


Voici la vidéo.

Saluons ici le journaliste qui a loyalement averti le ministre : “En matière de justice, il n’y a pas d’état de grâce, il faut tout de suite être dans le bain. Michel Mercier, bonjour, êtes vous prêts à plonger ? On y va ?”.

Et prêt à plonger, le ministre l’était.

La première question porte sur l’affaire dite du karachigate, du nom d’une affaire de commissions occultes sur un marché de construction de sous marins par la France au Pakistan, dont le défaut de paiement aurait entraîné à titre de mise en demeure un attentat ayant tué le 8 mai 2002 14 personnes dont 11 Français travaillant pour la Direction des Constructions Navales, attentat attribué aux islamistes mais semble-t-il perpétré en réalité par les services secrets du pays pour faire comprendre que Pacta Sunt Servanda.

— “ Le juge [d’instruction] et les avocats [des parties civiles] demandent la levée du secret défense, est-ce que vous soutenez leur demande ?

— “Écoutez, je suis ministre de la justice et j’ai comme règle toute simple de ne pas intervenir dans des instructions en cours. Il y a une instruction, un juge d’instruction, il utilise les procédure existantes, il doit les utiliser, et je n’a rien à dire.”

Relance du journaliste :

_ “Est-ce que vous êtes favorable…”

Interruption du ministre.

— “Je n’ai …Si vous… Monsieur Elkabbach, si je commence mon travail de ministre de la justice en intervenant dans les procès en cours,… ça va pas marcher. Et je ne ferai jamais ça.”

Le journaliste relance encore, car en habitué de la langue de bois, il sait bien que quand un ministre invoque le respect de l’indépendance de la justice, c’est qu’il sait que l’affaire peut lui exploser à la figure. Il ne manque plus que le ministre déclare qu’il a confiance dans les magistrats de ce pays, et on sait qu’il est mort de trouille.

— “Est ce que vous vous engagez ici à ce que toute la vérité soit faite au moins sur Karachi ?”

“Écoutez, il y a… la justice en est saisie, moi, j’ai confiance dans les magistrats de ce pays. Et je pense qu’ils feront bien leur travail.”

Avant de vous expliquer en quoi cette affirmation est ici juridiquement aberrante, écoutons la suite car voilà la contradiction.

— “Les familles des victimes de l’attentat demandent l’audition de messieurs Chirac et Villepin. Est-ce que c’est possible ?”

L’audition de témoins est un acte d’instruction par essence. Elle est décidée par le juge d’instruction, soit de sa propre initiative, soit à la demande d’une partie. Mais on est là au cœur de l’instruction. Après tout ce qui vient d’être dit, le garde des Sceaux devrait à nouveau opposer un refus ferme de prendre position, au nom de sa non intervention dans les instructions en cours et de sa confiance absolue dans les magistrats de ce pays. N’est-ce pas ?

“Écoutez, je pense que messieurs Chirac et monsieur [de] Villepin n’étaient peut-être pas en poste au moment de l’affaire de Karachi.” Sous-entendu : le juge d’instruction devrait refuser de procéder à cette audition qui n’apporterait rien à la manifestation de la vérité. Ça, c’est du virage au frein à main.

Mais l’aberrance juridique, donc.

Le ministre est interrogé sur la question de la levée du secret défense.

Qu’est-ce que le secret défense ?

Il est défini par les articles 413-9 et suivants du Code pénal.

413-9 : Présentent un caractère de secret de la défense nationale au sens de la présente section les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l’objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès.

Peuvent faire l’objet de telles mesures les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers dont la divulgation ou auxquels l’accès est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d’un secret de la défense nationale.

Les niveaux de classification des procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers présentant un caractère de secret de la défense nationale et les autorités chargées de définir les modalités selon lesquelles est organisée leur protection sont déterminés par décret en Conseil d’Etat.

Le décret en question est l’article R. 413-6 du Code pénal qui renvoie aux articles R. 2311-1 et suivants du code de la défense relatifs à la protection du secret de la défense nationale. Le législateur est taquin et adore les jeux de piste.

Le Code de la défense prévoir trois niveaux de classification : Très Secret-Défense, Secret-Défense et Confidentiel-Défense. Cette classification relève du ministre concerné, pas nécessairement de celui de la Défense (pensons au ministre des affaires étrangères). C’est lui qui classifie et déclassifie. Il est opposable à la justice, car les pièces doivent être versées au dossier de la procédure et sont librement accessibles aux parties, ce qui est incompatible avec leur caractère secret.

Bien sûr, il peut être tentant pour un ministre de classifier ainsi des éléments ne regardant pas la Défense nationale et susceptible d’intéresser un juge plutôt qu’un espion étranger.

Une loi n°98-567 du 8 juillet 1998 a institué une commission consultative qu’un juge peut saisir s’il souhaite une déclassification de documents utiles à la manifestation de la vérité qui émet un avis qui est rendu public (publié au JO), rendant beaucoup plus délicat pour un ministre de refuser une déclassification injustifiée. Il demeure que la décision relève de lui seul.

Voilà où se situe l’affirmation juridiquement aberrante. Le ministre se réfugie derrière l’indépendance de la justice pour refuser de prendre position sur une question relevant du seul Gouvernement. Ce qui est d’autant plus audacieux qu’il n’hésite pas dix secondes après d’exprimer un avis sur ce que le juge d’instruction devait faire. Ou plutôt ne pas faire.

Monsieur le ministre, félicitations, l’Académie vous décerne le prix avec mention “talent précoce”.

mardi 9 novembre 2010

La Constitution à géométrie variable

On me sait gardien vétilleux de la rigueur juridique, même si je confesse volontiers un biais favorable aux libertés en général, et notamment à la première d’entre elle, qu’on distingue d’un simple singulier : la liberté.

Mais j’avoue que des fois, le parquet de Paris me semble planer à des hauteurs d’abstraction juridique telles que moi, humble vermisseau de la pensée du droit, j’ai du mal à le suivre.

Ainsi, alors qu’il est établi, ré-établi et surétabli  que les gardes à vue actuelles violent la Constitution, la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CSDH), les droits de l’homme et les principes généralement reconnus dans les sociétés démocratiques, le parquet de Paris ne voit aucun problème à continuer de les appliquer telles quelles et à embastiller gaillardement avec des déclarations reçues en violation de tout ce qui fait un système judiciaire dont on n’a pas à rougir.

Soit. On l’a vu, le mauvais exemple, comme le mauvais temps, vient d’en haut.

Mais le parquet se veut inflexible contre quiconque viole la loi, et si pour cela il faut qu’il la viole lui même, qui suis-je pour y trouver à redire ?

Néanmoins, au risque de passer pour un mauvais coucheur, je crains de déceler une certaine incohérence avec les principes ci-dessus rappelés dans une récente décision de classement sans suite prise par le même parquet.

Les faits étaient les suivants. Un président de la République en exercice, dont je tairai le nom pour préserver la présomption d’innocence, même  si, comme vous allez le voir, il n’en a  pas besoin, puisqu’elle est pour lui irréfragable, a un insatiable appétit de sondages. Il en prend à tous les repas, espérant garder la ligne (en vain, celle-ci a néanmoins plongé vers les abysses de l’impopularité), ce qui génère un coût non négligeable.

Peu importe, me répondrez-vous en chœur. Il est bon que notre primus inter pares soit à l’écoute du Peuple, et la Pythie aujourd’hui écoute le nombril du peuple via des instituts de sondage ; et nous ne sommes que trop heureux de contribuer au financement de ce louable souci d’écoute.

Certes. Mais néanmoins, si le principe est louable, la réalisation pêche quelque peu. Ainsi, la Cour des comptes, en juillet 2009, a eu la surprise de tomber sur une convention d’une page confiant la commande de ces multiples sondages (pour un budget annuel d’1,5 millions d’euros) au cabinet Publifact, qui lui-même se chargeait de passer les commandes auprès des divers instituts de sondage. Premier problème, ce cabinet appartient à Patrick Buisson, conseiller politique du président de la République, donc premier destinataire de ces sondages. Conflit d’intérêt. Deuxième problème, vu le montant annuel de ce contrat, il aurait dû suivre la procédure instituée pour les marchés publics, c’est à dire être soumis à un appel d’offre public (au niveau européen, même) et à une mise en concurrence, afin de respecter l’égalité des candidats et économiser l’argent public. C’est-à-dire tout le contraire de confier la commande et la réalisation à la même personne. Or ne pas respecter les règles des marchés publics est un délit, le délit de favoristisme (art. 423-14 du Code pénal).

Une association Anticor, pour Anti Corruption, a déposé une dénonciation de ces faits auprès du parquet de Paris. Dénonciation, et pas plainte, car seule la victime directe peut porter plainte et éventuellement saisir elle même un juge si le parquet n’y pourvoit lui-même. Or cette association ne peut prétendre être victime directe : elle est, comme nous tous, victime indirecte car c’est de l’argent public qui est ainsi mésusé. La dénonciation est l’acte d’un tiers qui signale au parquet une infraction et l’invite à y donner les suites que la loi appelle.

Or le parquet de Paris, après s’être penché sur la question, a rendu une décision de classement sans suite, pour des motifs juridiques qui ont de quoi laisser perplexe.

En effet, le parquet considère que l’immunité pénale du chef de l’Etat, prévue par la Constitution doit aussi s’appliquer à ses collaborateurs, en l’occurrence, Patrick Buisson.

Et là, je tique. Et quand je tique, je sors un livre d’Histoire.

L’immunité du président de la République est en France une vieille tradition, qui remonte à la Révolution française. La Constitution de 1791 instaurait une monarchie parlementaire, et posait le principe de l’inviolabilité de la personne du roi (chapitre II, Section 1re, article 2). On ne pouvait se saisir de sa personne, le juger ni lui faire le moindre mal. C’est là qu’on voit que violer la Constitution est aussi une vieille tradition en France.

Cette inviolabilité de la personne du chef de l’exécutif a perduré au-delà des régimes. Jamais formalisée sous Napoléon (qui n’en avait pas besoin), elle figure à l’article 13 de la Charte Constitutionnelle du 4 juin 1814 (la Restauration), l’article 12 de la Charte de la Monarchie de Juillet. La Constitution de la IIe république (1848) se méfiait de l’exécutif et a rendu le président pleinement responsable (article 68 de la Constitution). Ce qui n’a pas empêché ce président de  renverser le régime par un Coup d’Etat et de se faire nommer empereur, et de rétablir cette immunité par l’article 5 de la Constitution de 1852, assez habilement d’ailleurs : “Le président de la République est responsable devant le Peuple français, auquel il a toujours le droit de faire appel.” Je dois avouer l’idée de laisser le responsable seul décisionnaire de la nécessité d’en appeler ou non à son juge assez brillante.

La IIIe république, on l’oublie trop souvent, était censée préparer le terrain au retour d’un roi, la première chambre des députés étant dominée par les monarchistes (400 sur 675), mais trop divisés entre deux prétendants pour se mettre d’accord. En attendant, on a nommé un président de la République, aux pouvoirs restreints (il ne s’agit pas qu’il pique le trône au roi), qui n’est responsable qu’en cas de haute trahison (article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875). Vous connaissez la suite : les deux prétendants moururent simultanément, et les monarchistes furent balayés aux élections suivantes. Et voici comment naquit définitivement la République : par accident.

La loi Constitutionnelle du 10 juillet 1940 est muette sur la question, puisqu’elle renvoie à une nouvelle Constitution que le Chef de l’Etat est chargée de rédiger. Malheureusement, trop occupé à rédiger les statuts des juifs, le Maréchal n’a jamais trouvé le temps de rédiger cette nouvelle Constitution. Mal lui en a pris, puisque du coup, il a pu être jugé en 1945 et condamné à mort (peine commuée en prison à vie). Même si je doute qu’une Constitution eût suffi à le mettre à l’abri.

La IVe république revint à un système proche de celui de la IIIe, et l’article 42 de la Constitution du 27 octobre 1946 pose à nouveau le principe de l’immunité, sauf Haute Trahison, rapport au cas ci-dessus.

En 1958, tout change et rien ne change.

Tout change car le président de la République devient le personnage central de la République. C’est lui qui exerce le pouvoir, le premier ministre devient de fait un de ses subordonnés. Mais rien ne change : si le premier ministre peut être renversé par l’assemblée (ce qui n’est arrivé qu’une fois), le président, lui, est intouchable. L’article 68 posait le principe que le Président de la République n’était responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de Haute Trahison, constatée par une juridiction spéciale, la Haute Cour de Justice. La Constitution était muette sur le sort des actes accomplis en dehors de l’exercice de ses fonctions, notamment avant son élection. La question ne s’est jamais posée sur le après, les présidents de la République ayant jusqu’à il y a peu eu l’habitude de mourir peu après la cessation de leurs fonctions, quand ce n’était pas pendant, exception faite du président Giscard d’Estaing, qui a eu la précaution de devenir immortel, et qui n’a depuis commis que des crimes contre la littérature.

La logique voulait donc que le président restât dans ce cas un justiciable ordinaire ; mais le cas concret ne s’est pas présenté tout de suite. C’est grâce à l’élection d’un président ayant plus de casseroles qu’une voiture de jeunes mariés que la question est revenue sur le devant de la scène.

Elle a d’abord été tranchée très gentiment par la Cour de cassation, bien qu’on ne lui ait rien demandé, dans un arrêt du 10 octobre 2001. Dans cette affaire de – déjà !- délit de favoritisme, un mis en cause (EDIT :) une partie civile demandait que le Président de la République fût entendu comme simple témoin sur des faits commis alors qu’il exerçait des fonctions municipales. Nenni répond la Cour :

…rapproché de l’article 3 et du titre II de la Constitution, l’article 68 doit être interprété en ce sens qu’étant élu directement par le peuple pour assurer, notamment, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat, le Président de la République ne peut, pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun ; qu’il n’est pas davantage soumis à l’obligation de comparaître en tant que témoin prévue par l’article 101 du Code de procédure pénale, dès lors que cette obligation est assortie par l’article 109 dudit Code d’une mesure de contrainte par la force publique et qu’elle est pénalement sanctionnée

Bref, le président de la République ne peut être pénalement sanctionné. Ni donc être appelé à témoigner, car cette obligation de témoigner est pénalement sanctionnée. S’il refusait, il faudrait le sanctionner, donc on ne va pas lui demander au cas où. On se frotte les yeux.

En février 2007, sentant la fin de son mandat venir, ledit président de la République a brusquement ressenti le besoin de réformer cet aspect du droit, qui pourtant ne l’avait pas fait broncher pendant 12 ans. La Constitution fut révisée et le nouveau statut du chef de l’Etat est le suivant :

Article 67 : Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 (mise en cause par la cour pénale internationale-NdA) et 68.

Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.

Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions.

Article 68 : Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour.

La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l’autre qui se prononce dans les quinze jours.

La Haute Cour est présidée par le président de l’Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d’un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d’effet immédiat.

Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.

Une loi organique fixe les conditions d’application du présent article.

Ladite loi organique a été examinée par le Sénat le 14 janvier 2010, a fait une brève apparition en séance publique avant qu’une motion de renvoi en commission ne soit adoptée, ce qui est un enterrement de première classe. Bref, 3 ans après cette réforme, faute de loi organique, l’immunité du président de la République est absolue. C’est ce qu’on appelle l’Etat de droit à la Française.

Voilà où nous en sommes.

Mais vous constaterez avec moi que depuis Louis XVI, l’immunité ne concernait que le chef de l’Etat. JAMAIS ses collaborateurs. Ne serait-ce que parce qu’ils sont nommés discrétionnairement par lui, et révoqués de la même façon, mais en aucun cas des élus du peuple. Leur existence n’est même pas prévue par la Constitution.

Ainsi, en étendant l’immunité du chef de l’Etat à ses collaborateurs, le parquet de Paris viole, par fausse application, la Constitution, et donne sa bénédiction pour que le délit de favoritisme devienne le mode normal de fonctionnement du principal organe de l’exécutif. 

Si l’avocat en moi n’a rien contre un peu d’impunité pénale, même s’il préfère que ce soit au profit de ses clients, le citoyen qui sommeille, lui, a un peu de mal à gober cette application pour le moins extensive, surtout quand il songe à l’application restrictive de cette même constitution qui est faite sur la garde à vue, oui, c’est une obsession, mais je me soigne, promis, en juillet je serai guéri.

Hélas, l’association Anticor ne peut rien faire contre cette décision de classement puisqu’elle n’a pas le pouvoir de déclencher les poursuites (elle n’est pas victime). Eventuellement, d’autres cabinets de conseil ayant pu proposer la même prestation que Publifact, et n’ayant pu concourir au marché, pourraient porter plainte, car ils seraient les victimes directes du délit qui les a évincés. Mais il n’est jamais bon de chercher des poux dans la tête au conseiller politique du Prince, qui reste un de leurs principaux clients.

Et l’immunité particulière devient impunité générale.

Laissons donc les puissants s’amuser et allons défendre les voleurs de sacs à main au butin de 50 euros. 50 euros, c’est un vol. 1,5 millions, c’est de la poésie. Ils comprendront.

mardi 19 octobre 2010

Verbatims

…sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l’assistance d’un avocat ;



Assemblée plénière Formation plénière de la chambre criminelle de la Cour de cassation, 19 octobre 2010 (3 espèces).

La Cour de cassation a enterré aujourd’hui la garde à vue, en ajoutant dans le cercueil les régimes spéciaux de garde à vue sans avocat (terrorisme, stupéfiant, délinquance organisée), ce que le Conseil constitutionnel n’avait pas voulu faire en juillet. Ma prophétie s’est donc réalisée.

Je reviendrai plus longuement là dessus dans un billet à venir ce soir plus tard, je suis épuisé. Souffrez que je n’ouvre pas les commentaires sous cette brève en l’attendant. J’ouvre du coup les commentaires, pour vous permettre d’échanger.

Même si certains aspects étranges de cette décision me froissent un peu, c’est un beau, un grand jour pour les droits de l’Homme. En attendant, pour vous distraire, voici un commentaire éclairé de cette décision (j’ai corrigé les fautes et inséré des commentaires en italique).











Paris, le 19 octobre 2010 

GARDE A VUE : La mort de l’Investigation !


SYNERGIE­ OFFICIERS est stupéfait et écœuré par la décision prise ce jour par la Cour de
Cassation qui fait voler en éclat un pan complet de la procédure pénale française au seul bénéfice
des voyous.

Car si des innocents se retrouvaient en garde à vue, ça se saurait.

SYNERGIE­ OFFICIERS regrette que, pour des raisons idéologiques et corporatistes, on impose la
présence des avocats tout au long du processus de l’enquête, sans que ces derniers aient l’obligation
de se plier à la moindre contrepartie de moralité, de déontologie et de transparence de
rémunération comme c’est le cas par tout ailleurs en Europe. Dans les affaires de criminalité
organisée, de stupéfiant ou encore de terrorisme, l’isolement des protagonistes était une condition
sine qua non de réussite d’enquête.

Sans la moindre contrepartie de moralité ou de déontologie. Absolument. D’ailleurs, j’ai reçu aujourd’hui même un truc bizarre, le Code de déontologie 2011 envoyé par mon Ordre. J’en fais quoi ? Transparence de la rémunération ? Ils ont raison. Je suis payé 63,34 euros HT pour un entretien de garde à vue.

SYNERGIE­ OFFICIERS déplore que l’activisme du lobby des avocats s’exerce au mépris du droit
à la sécurité des plus faibles pour la satisfaction commerciale d’une profession libérale, dont le travail ne consiste pas en la manifestation de la vérité mais en l’exonération de la responsabilité de leurs clients, fussent-­ils coupables !

C’est aimable à Synergie d’envisager que nous exonérions nos clients innocents de leur responsabilité.

SYNERGIE­ OFFICIERS dénonce toutes les sirènes dégoulinantes de prétendue bonne conscience
qui ont réussi aujourd’hui à ériger un système où seuls les délinquants bénéficient de l’assistance
obligatoire d’un avocat sans jamais avoir songé au sort des victimes qui ne sont pas suffisamment
fortunées pour que l’on s’y intéresse ! Pour mémoire, si le voyou bénéficiera désormais de
l’assistance gratuite d’un avocat, la victime, même SMICARDE, devra en être de sa poche !

D’un autre côté, les victimes sont rarement mises en garde à vue, il faut le reconnaître. Mais cela dit, Synergie connaît mal le Code de procédure pénale (ça ne surprendra personne). Les gardés à vue ont à ce jour 4 droits, dont 3 notifiés : faire prévenir sa famille, voir un médecin, voir un avocat, et se taire. Les victimes se voient notifier 6 droits. En outre, un smicard a toujours droit à l’aide juridictionnelle, puisqu’il est nécessairement en dessous du plafond de 1372 euros mensuels. Enfin, les victimes mineures ou celles de certains faits graves ont droit à l’aide juridictionnelle sans condition.

SYNERGIE­ OFFICIERS demandait en vain depuis des mois que TOUS les professionnels de
l’enquête judiciaire soient associés pour réformer intelligemment la procédure pénale de notre pays, afin que soit préservé le nécessaire équilibre entre droits des victimes, nécessité de l’enquête et droits de la défense.

Reconnaissons que quand on a besoin d’intelligence, ce n’est pas à Synergie qu’on pense en premier.

SYNERGIE­ OFFICIERS prévient que les policiers français refusent désormais d’être comptables
d’une quelconque manière de l’explosion programmée de la délinquance et de l’effondrement du
taux d’élucidation. SYNERGIE­ OFFICIERS met en garde nos décideurs sur les conséquences
funestes de décisions précipitées et coupées du réel qu’ils devront assumer quand il s’agira
d’affronter les scandales judiciaires à venir (compromission d’enquête, disparition de preuves, pression sur les victimes, représailles sur les témoins…)

Précipitées, ça fait un an qu’on en parle. Et vous verrez que le cataclysme annoncé ne se produira pas.

SYNERGIE­ OFFICIERS en appelle à tous les policiers exerçant leur mission en investigation pour
qu’ ils fassent une application stricte des textes, ce qui aboutira rapidement à saturer l’appareil
judiciaire. En effet, les policiers ne doivent plus tenter de ” jouer” avec les failles de textes absurdes
pour que la Justice de notre pays fonctionne malgré tout, sans le soutien de la classe politique et
encore moins celui des magistrats qui viennent de les lâcher en rase campagne !

Que lis-je ? Les policiers jusqu’ici tentaient de jouer avec les failles des textes ? Parce que quand un avocat le fait, c’est mâââl, mais quand un policier le fait, c’est de l’investigation ?

Le Bureau National

Que j’embrasse au passage.

NB : Billet mis à jour à 23h14.

dimanche 17 octobre 2010

Le jour de gloire est arrivé

La nouvelle est tombée jeudi matin. Oh, elle n’a rien de surprenant, on l’attendait depuis longtemps, et je vous en parlais déjà il y a un an, mais ça y est. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France sur la question de la garde à vue.

Il s’agit de l’arrêt Brusco c. France du 14 octobre 2010, n°1466/07.

Alors puisque le mensonge et le déni de réalité est la méthode politique habituelle de ce Gouvernement quand surgit un problème (rappelez-vous : le délit de solidarité n’existe pas, et d’ailleurs, on va le modifier), il est évident que le Garde des Sceaux va nous entonner la chansonnette de “Meuh non, tout va bien, la garde à vue française est conforme à la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentale (CSDH) et à la Constitution, d’ailleurs, on va changer la loi en urgence pour la mettre en conformité”.

Alors voyons ce que dit cet arrêt, démontons les mensonges à venir de la Chancellerie, et voyons ce que propose le projet de loi sur la garde à vue, qui a été révélé par la Chancellerie.

L’arrêt Brusco c. France

Dans cette affaire, le requérant fut condamné pour complicité de violences aggravées, pour avoir payé deux sbires pour “faire peur” au mari de sa maîtresse. Au cours de sa garde à vue dans cette affaire, il fût entendu sous serment comme témoin, et naturellement sans avocat. À cette occasion, il reconnut les faits.

Son avocat souleva devant le tribunal la nullité de ces aveux du fait du serment, mais le tribunal rejeta son argumentation (qu’en droit on appelle exception). Il en fit appel, et la cour confirma entièrement le jugement. Il se pourvut en cassation, mais son pourvoi fut rejeté, quand bien même entretemps, la loi avait été changée pour supprimer cette obligation de prêter serment. Ayant compris combien il était saugrenu d’invoquer les droits de l’homme devant les juges français, il se tourna vers Strasbourg et la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Bien lui en pris, et la Cour condamne la France pour violation de l’article 6, en l’espèce parce que cette prestation de serment violait le droit fondamental de ne pas s’auto-incriminer. En effet, estime la Cour, le fait de lui faire prêter serment de dire toute la vérité, et de le menacer de poursuites en cas de fausses déclaration sous serment (quand bien même ces poursuites eussent été impossibles, puisqu’il n’était pas témoin des faits mais auteur des faits) constituait une pression contraire à la Convention, qui exige que d’éventuels aveux ne puissent être faits qu’une fois l’intéressé parfaitement informé de leur portée et que rien ne l’oblige à les faire.

C’est là que j’attire votre attention, car il est évident que la contre-argumentation de la Chancellerie va jouer à fond sur ce point. Elle dira que M. Brusco ne se plaignait pas de l’absence d’avocat, mais d’une obligation de prêter serment qui a été supprimée par la loi Perben II du 9 mars 2004, et que la Cour ne fait que sanctionner une non conformité de la loi française réglée il y a 6 ans.

Voyons donc ce que dit réellement la Cour. C’est aux paragraphes 44 et 45 (je graisse).

44.  La Cour rappelle que le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable. Ils ont notamment pour finalité de protéger l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités et, ainsi, d’éviter les erreurs judiciaires et d’atteindre les buts de l’article 6 de la Convention (voir, notamment, Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 92, 10 mars 2009, et John Murray, précité, § 45). Le droit de ne pas s’incriminer soi-même concerne le respect de la détermination d’un accusé à garder le silence et présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de l’accusé (voir, notamment, Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, §§ 68-69, Recueil 1996-VI, Allan c. Royaume-Uni, no 48539/99, § 44, CEDH 2002-IX, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, §§ 94-117, CEDH 2006-IX, et O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni [GC] nos 15809/02 et 25624/02, §§ 53-63, CEDH 2007-VIII).

45.  La Cour rappelle également que la personne placée en garde à vue a le droit d’être assistée d’un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori lorsqu’elle n’a pas été informée par les autorités de son droit de se taire (voir les principes dégagés notamment dans les affaires Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, §§ 50-62, 27 novembre 2008, Dayanan c. Turquie, no 7377/03, §§ 30-34, 13 octobre 2009, Boz c. Turquie, no 2039/04, §§ 33-36, 9 février 2010, et Adamkiewicz c. Pologne, no 54729/00 §§ 82-92, 2 mars 2010).

Ho, bée ma bouche, tombez mes bras, quelle surprise est la mienne ! La Cour insinue que les principes posés par les arrêts Salduz et Dayanan, que mes lecteurs connaissent bien, s’appliqueraient aussi à la France ? Mais pourtant la Chancellerie nous a soutenu exactement le contraire, rappelant même avec morgue que la France n’avait jamais été condamnée pour violation de l’article 6 de la Convention. C’était comme affirmer que le Titanic en train de sombrer était insubmersible, la preuve : il n’avait encore jamais coulé. Sur papier à en-tête d’un ministère de la République.

Eh bien voilà, c’est fait, la France a été condamnée. Comme c’était prévisible, inévitable, inéluctable, tous les juristes le savaient.

Et donc, après avoir rappelé (ou enseigné, en ce qui concerne la Chancellerie, visiblement) ces principes, la Cour les applique au cas de M. Brusco. Et en profite pour enfoncer le clou dans le cercueil de la garde à vue sans avocat.

54.  La Cour constate également qu’il ne ressort ni du dossier ni des procès-verbaux des dépositions que le requérant ait été informé au début de son interrogatoire du droit de se taire, de ne pas répondre aux questions posées, ou encore de ne répondre qu’aux questions qu’il souhaitait. Elle relève en outre que le requérant n’a pu être assisté d’un avocat que vingt heures après le début de la garde à vue, délai prévu à l’article 63-4 du code de procédure pénale (paragraphe 28 ci-dessus). L’avocat n’a donc été en mesure ni de l’informer sur son droit à garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige l’article 6 de la Convention.

Là encore, la Chancellerie, gageons-le va nous jouer le couplet de : “il s’agit du régime de garde à vue en vigueur en 1999, c’est-à-dire avant que la loi du 15 juin 2000 ne prévoie l’intervention de l’avocat dès la première heure ; à présent, l’avocat est là dès le début, il peut notifier ce droit de garder le silence”.

À cela, plusieurs choses à dire. À vous mes confrères, d’abord. J’espère que vous avez ouï la Cour. À toutes vos interventions en garde à vue, vous devez dire au gardé à vue qu’il a le droit de garder le silence, et lui conseiller d’en user d’abondance, faute de pouvoir être assisté d’un avocat. Je ferai un billet entier sur le droit de garder le silence, tant il est une pierre angulaire de la démocratie, et étranger à notre procédure pénale, je vous laisse en tirer vos conclusions. Mais je suis certain que la plupart d’entre vous ne le disent pas. C’est une erreur, c’est même une faute.

À vous mes concitoyens ensuite. Si le ministère ose tenir cet argument, il vous faudra user à son encontre de lazzi et de quolibets. Car c’est l’actuelle majorité qui a fait en sorte, par la loi du 24 août 1993, de revenir sur l’intervention de l’avocat dès la première heure votée par la loi du 4 janvier 1993. Et c’est la même majorité qui, par la loi Perben I du 9 septembre 2002, est revenue sur la notification du droit de garder le silence faite au gardé à vue, en application de la loi du 15 juin 2000. Par deux fois, l’actuelle majorité a voté une loi qui a bafoué la Convention européenne des droits de l’homme. Qui a bafoué vos droits. Dire que rien n’empêche l’avocat de suppléer à sa forfaiture à présent qu’il peut venir dès le début de la garde à vue serait un monument de cynisme. Je parie sur son inauguration prochaine.

À vous mes lecteurs enfin. Lisez bien ce que dit la Cour dans ce §54.

L’avocat n’a donc été en mesure ni de l’informer sur son droit à garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige l’article 6 de la Convention.

L’article 6 de la Convention exige que l’avocat puisse assister le gardé à vue lors de toutes ses dépositions. Ite Missa Est. Il n’y a rien à ajouter. Tout est dit. Repose en enfer, garde à vue à la française.

Le projet de réforme, ou : continuons à violer la Convention, nous ne serons plus là quand la sanction tombera

Dans un pays respectueux du droit en général, ou professant une faiblesse pour les droits de l’homme, le pouvoir législatif se ferait un devoir de voter promptement une loi nous mettant en conformité avec ces principes. C’est par exemple ce qu’a fait la Turquie, et avant même d’être condamnée par les arrêts Salduz et Dayanan. Dès que les autorités turques ont compris, elles se sont mises en conformité en 2005 (les arrêts sont tombés fin 2008).

En France, on fera à la française. C’est à dire qu’on fera voter une loi qui tentera de contourner cette décision. Les droits de l’homme sont chez nous trop précieux pour fréquenter les commissariats sales et vétustes.

Voici ce que contient le projet de loi pondu (pour être poli ; il n’y a pas que les œufs qui sortent du cloaque) par la Chancellerie.

Le Gouvernement propose la création d’une audition libre, qui serait le principe, et la garde à vue, l’exception. Qu’est-ce qu’une audition libre ? Pas une garde à vue. Donc, aucun des droits attachés à la garde à vue ne s’appliquent à l’audition libre, à commencer par l’assistance d’un avocat, et naturellement le droit de garder le silence. Brillant, n’est-ce pas ? Et comme ce régime est destiné à devenir le droit commun, dans le baba, la Cour européenne des droits de l’homme !

Vous avez encore des doutes ? Vous ne pouvez croire à ce degré de cynisme ? Constatez vous même. Voici ce que dire le futur Code de procédure pénale (CPP). Je graisse.

Art. 62-2. - La personne à l’encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, présumée innocente, demeure libre lors de son audition par les enquêteurs. Elle ne peut être placée en garde à vue que dans les cas et conditions prévus par les articles 62-3, 62-6 et 63.

«Art. 62-3. - La garde à vue est une mesure de contrainte prise au cours de l’enquête par laquelle une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs pour l’un des motifs prévus par l’article 62-6. 

La formule que j’ai graissée est exactement celle de l’actuel article 63 du CPP définissant le cas dans lequel la garde à vue est possible.

L’article 62-3 qui exige pour la garde à vue que l’infraction soit passible d’emprisonnement n’apporte absolument rien, contrairement à ce qu’affirme l’exposé des motifs, puisque c’est déjà le cas : article 67 en vigueur du CPP.

Voyons donc ce fameux article 62-6, qui expose les cas dans lesquels on pourra recourir à la garde à vue.

« Art. 62-6. - Une personne ne peut être placée en garde à vue que si la mesure garantissant le maintien de la personne à la disposition des enquêteurs est l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs suivants :

« 1° Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ; 

« 2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République aux fins de mettre ce magistrat en mesure d’apprécier la suite à donner à l’enquête ;

« 3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;

« 4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;

« 5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ; 

« 6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser l’infraction. »

Vous noterez que le 2° permet de recourir à la garde à vue pour n’importe quelle affaire. Il suffit que le procureur de la République n’ait pas encore pris de décision sur les suites à donner, ce qui est systématiquement le cas, puisque c’est la prise de cette décision qui met fin à la garde à vue. Donc arbitraire total.

La notification des droits se trouve au futur article 63-1 :

« Art. 63-1. - I. - La personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu’elle comprend, le cas échéant au moyen de formulaires écrits :

« 1° De son placement en garde à vue ainsi que de la durée de la mesure et de la ou des prolongations dont celle-ci peut faire l’objet ;

« 2° De la nature et de la date présumée de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ;

« 3° De ce qu’elle bénéficie des droits suivants :

« - droit de faire prévenir un proche et son employeur conformément aux dispositions de l’article 63-2 ;

« - droit d’être examinée par un médecin conformément aux dispositions de l’article 63‑3 ;

« - droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat conformément aux dispositions des articles 63-3-1 à 63-4-2.

Ainsi, en audition libre, non seulement on ne vous dit pas que vous avez le droit fondamental de vous taire, mais vous n’aurez pas droit à un avocat pour venir vous le dire, et vous n’aurez même pas le droit de savoir la nature des faits qu’on vous soupçonne d’avoir commis, alors même qu’il existe des des raisons plausibles de soupçonner que vous avez commis ou tenté de commettre une infraction, mais en plus, contrairement à la garde à vue, l’audition libre n’est pas limitée dans le temps.

Bref, la chancellerie a réussi cet incroyable exploit de sortir une proposition de loi à la suite d’une déclaration d’inconstitutionnalité de la garde à vue et d’une condamnation de la France par la CEDH sur ce même régime de la garde à vue qui en fait revient à durcir le régime de la garde à vue. Faut-il haïr les droits de la défense…

Naturellement, ce nouveau régime n’est pas conforme à l’article 6 de la CSDH. Une nouvelle condamnation est inévitable si ce torchon acquerrait force de loi. Ce qui avec le Parlement servile que nous avons tient de la formalité. Qu’en dira le Conseil constitutionnel ? Je ne sais pas, mais sa non-décision sur la loi sur la Burqa a refroidi mes ardeurs à le voir comme garant des droits fondamentaux.

Alors si cette cochonnerie de projet de loi devait passer, retenez d’ores et déjà ce principe, et faites passer le mot : libre audition, piège à con. Si des policiers vous proposent une audition libre, acceptez, puis dites que vous décidez librement de ne faire aucune déclaration et de ne répondre à aucune question, et que vous allez partir librement, après leur avoir librement souhaité une bonne fin de journée. Si les policiers vous menacent alors de vous placer en garde à vue, vous saurez que cette proposition d’audition libre n’avait pour seul objet que de vous priver de vos droits. Vous voilà en mesure de les exercer. Vous les avez bien eus.

Pas un mot sans un avocat à vos côtés.

Et maintenant ?

Que faire dès aujourd’hui ?

L’attitude de la Chancellerie est claire. Il n’y a rien de bon à attendre de ce côté. Alors, baïonnette au canon, c’est dans le prétoire que la bataille doit avoir lieu.

Contrairement à la décision du Conseil constitutionnel de juillet dernier, cet arrêt est immédiatement invocable en droit interne. Vous devez déposer des conclusions dans tous les dossiers où votre client a été entendu en garde à vue, en demandant la nullité des PV où ses propos ont été recueillis, au visa de l’article 6 de la CSDH. En comparution immédiate, cela peut suffire à démolir le dossier. Au besoin, si votre client est d’accord, portez l’affaire devant la CEDH. Vous connaissez les conditions : épuisement des voies de recours interne, puis introduire la requête dans le délai de 6 mois.

Pour reprendre le mot du bâtonnier Marc Bonnant, du barreau de Genève (Mise à jour) de mon confrère Bertrand Périer, aujourd’hui, en France, le meilleur ami des libertés n’est ni le juge, ni la Chancellerie : c’est le TGV Est.

lundi 11 octobre 2010

L'affaire René G...

Assez paradoxalement, l’été est la saison des faits divers (Le stagiaire à l’origine de ce calembour a été viré – NdA). Et un de ceux qui a le plus retenu l’attention est sans doute cette affaire d’un septuagénaire ayant fait usage d’une arme à feu alors qu’il se faisait cambrioler par deux jeunes femmes et avait blessé les deux. Dès l’arrivée de la gendarmerie, il fut placé en garde à vue, et finit mis en examen pour deux tentatives d’homicide volontaire. Pis encore pour lui, le juge d’instruction demanda au juge des libertés et de la détention de le placer en détention provisoire, ce que ce juge accorda.

Son avocat fit aussitôt appel, usant d’une procédure dite de “référé-liberté”, qui fut rejeté, et l’affaire vint devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Montpellier. Pour les détails de cette procédure, voir ce billet. CA MontpellierCette affaire a provoqué une certaine émotion, du fait que ce monsieur, âgé de 73 ans, se retrouvait en prison alors qu’il n’avait fait que se défendre. Incompréhension renforcée quand, dans une affaire n’ayant rien à voir, et dont j’ai déjà traité, une personne soupçonnée d’avoir participé à un braquage spectaculaire était, elle laissée en liberté. Au temps pour le défenseur de la liberté que je suis : mes concitoyens ne s’étaient pas brusquement pris de révulsion pour la détention, ils exécraient seulement celle de qui leur ressemblait.

Cette décision prête à controverse, je le conçois. Et il n’y a rien de mal à commenter les décisions de justice, voire à les critiquer, tant que cela respecte certaines formes. À condition de les avoir lues préalablement.

Voici à cette fin le texte intégral des motifs de cet arrêt. C’est à dire que la cour, après avoir vérifié la procédure qui la saisit, c’est-à-dire s’être assuré de sa compétence et de la recevabilité de la demande (tout juge en France, dans toutes les matières, commence par vérifier ces points, car son pouvoir de juger en dépend), va rappeler les faits pertinents, tels qu’ils ressortent du dossier, avant d’expliquer comment elle décide d’appliquer la loi au cas d’espèce. Je me tais respectueusement et laisse la parole à la cour. Si des explications de votre serviteur devaient s’avérer utiles, je les insérerai en italiques.


Le 5 août 2010, à 17h35, les gendarmes de la brigade de Capestang étaient saisis par le CORG (Centre opérationnel régional de gendarmerie – NdA) de Montpellier du fait que M. René G… avait été réveillé dans son sommeil et avait surpris deux femmes en train de cambrioler son habitation, sise (…) à NISSAN LEZ ENSERUNE, qu’il avait alors fait usage de son fusil et tiré sur celles-ci en les blessant. Arrivés sur place ils découvraient deux personnes de sexe féminin gisant l’une sur la terrasse de la résidence, l’autre sur le sol de l’une des chambres de celle-ci.

M. P… , policier municipal, leur déclarait que lorsqu’il était arrivé sur place il avait vu M. René G… à son portail avec un fusil de chasse à la main et que l’intéressé lui avait remis spontanément ce fusil, qui était approvisionné de deux cartouches.

Les gendarmes découvraient M. René G… dans sa cuisine, occupé à se laver les mains. Il leur remettait spontanément deux cartouches de calibre 12.

Interrogé par les gendarmes, M. René G… déclarait que vers 16h20, alors que son épouse était absente, il avait été réveillé de sa sieste par la sonnette de la porte d’entrée de son domicile ; qu’il avait vu une main ouvrir le contre-vent de la chambre dans laquelle il se trouvait ; qu’il s’était levé pour se rendre vite et directement dans la salle de séjour pour prendre le téléphone portable de sa femme mais avait laissé tomber car il ne savait pas s’en servir ; qu’il était alors allé dans l’arrière cuisine et avait utilisé le téléphone fixe pour appeler le 18 et demander d’appeler la police ; qu’au bout de cinq à dix minutes il avait vu sur la fenêtre de la chambre d’amis deux femmes qui sortaient un chiffon ; qu’il était alors allé chercher son fusil qui se trouvait dans la penderie de sa chambre, puis deux ou trois cartouches qui se trouvaient dans la commode de cette même pièce ; qu’il était retourné dans l’arrière cuisine et avait appelé les pompiers pour leur dire que des personne étaient en train de fracturer et d’entrer et leur demander d’appeler la gendarmerie ou la police ; que pendant cet appel, il avait entendu la sonnerie de la boîte à bijoux contenant ses décorations et les bijoux sans valeur de sa femme ; qu’il était alors arrivé et avait dit « haut les mains » en parlant et en visant les intéressées avec son fusil ; qu’il avait tiré en bas à bout de bras sans épauler ; que l’une des deux jeunes femmes se trouvait devant la boîte à bijoux et lui avait parlé dans une langue qu’il ne comprenait pas ; qu’elle se trouvait à deux mètres de lui, face à lui, accroupie à côté de la coiffeuse qu’elle était en train de fouiller ; que comme il avait vu qu’elles étaient deux, il avait ensuite reculé d’un pas en arrière et regardé dans la chambre d’amis et vu l’autre jeune femme qui fouillait à genoux dans un meuble qui s’y trouvait ; qu’il avait dit « hauts les mains », que l’intéressé lui avait répondu dans une langue qu’il ne comprenait pas et qu’il avait tiré ; qu’il avait ensuite appelé les pompiers pour leur dire que c’était trop tard et qu’il avait tiré.

Il ajoutait qu’il n’y avait pas préméditation mais auto défense ; qu’il était retourné dans sa chambre et avait pris trois ou quatre cartouches et rechargé le fusil, attendant « si jamais il venait l’un des leurs » ; qu’il aurait attendu qu’il entre dans la maison et le menace ; qu’il devait y en avoir un qui faisait le guet ; qu’il craignait des représailles.

Interrogé sur le comportement des jeunes femmes, il déclarait qu’elles étaient en train de cambrioler et qu’elles avaient été prises sur le fait ; que cela s’était passé tellement vite qu’elles n’avaient pas eu le temps de se montrer agressives et qu’il ne savait pas si elles avaient une arme quelconque. Il ajoutait « pour moi j’étais en danger, j’avais peur, je me suis senti en danger avec cette sale race on ne sait jamais ce qu’il peut arriver. Je suis devenu raciste. Avec tout ce qu’il se passe à la télé ça me gonfle, on est obligé de devenir raciste et de se défendre. C’est de l’auto défense ».

Faisant référence à sa période de service militaire en Algérie, il ajoutait : « On est obligé de s’armer, cela s’appelle de l’autodéfense. En Algérie, cela s’appelait de l’auto pacification. Il fallait attendre que l’on nous tire dessus pour riposter. Si la justice faisait son boulot tout ça cela n’arriverait pas… il fallait que cela arrive un jour ou l’autre ».

Il précisait qu’il n’avait pas utilisé son fusil depuis une quinzaine d’années ; qu’il avait seulement voulu faire peur et tiré en direction des jambes ; qu’elles étaient assises et qu’il avait tiré entre les jambes. Il ajoutait « on ne sait jamais, on ne sait pas à quoi on a affaire » ; qu’il s’était énervé, qu’il avait eu très peur, qu’il vivait toujours dans l’anxiété « surtout qu’à côté de chez moi il y en a trois cent » ; que « lorsqu’ils cambriolent ils doivent savoir qu’ils prennent des risques ».

Interrogé sur la façon dont il avait tiré il précisait qu’il avait pris le fusil sans les viser, pour tirer à bout portant dans les jambes ; que s’il avait voulu tuer il aurait tiré dans la tête ou la poitrine.

Les dépistages de l’imprégnation alcoolique et de stupéfiants pratiqués sur M. René G… se révélaient négatifs.

Le certificat médical initial concernant la première victime faisait état des dommages suivants :

-choc hémorragique,

-contusion du foie droit et de la vésicule avec multiples plombs inclus,

-déchirure du colon droit avec multiples plombs inclus,

-déchirure de l’anse grêle avec multiples plombs inclus,

-déchirure de l ‘anse gastrique avec multiples plombs inclus,

-déchirure du psoas droit et fracas coxo fémoral droit avec déplacement de la tête fémorale dans le petit bassin,

-plaie de la paroi abdominale avec importante perte de substance.

L’ITT (incapacité temporaire de travail, l’unité de mesure de la gravité des blessures, qui désigne le nombre de jours pendant laquelle la personne blessée ne peut avoir une activité normale - NdA) prévisible était évaluée à 90 jours sauf complications.

L’une des deux victimes a été identifiée par relevé dactyloscopique comme étant N… Maia. L’autre pourrait être N… (Il s’agit bien du même nom de famille – NdA) Sanéla.

Devant le juge d’instruction, M. René G… a déclaré qu’il aurait pu sortir de la maison mais qu’il aurait du passer par la porte d’entrée et qu’il avait peur pour lui et pour la maison ; qu’il avait tiré automatiquement, qu’il était très énervé et qu’il avait peur ; qu’il avait tiré d’environ deux mètres à deux mètres cinquante pour la première victime et d’un peu plus loin pour la seconde ; que dans la commune de NISSAN il y a des cambriolages presque chaque semaine et parfois deux ou trois fois dans la même journée.

Le Juge des libertés et de la détention a prononcé une ordonnance de placement en détention provisoire et décerné mandat de dépôt le 6 août 2010. M. René G… a relevé appel et formé un référé liberté qui a été rejeté par ordonnance du 11 août 2010.

NdA : Après avoir résumé les faits jusqu’à l’arrivée du dossier devant la cour, les magistrats vont à présent résumer les argumentations des parties. D’abord le détenu, qui est appelant ; puis le ministère public, qui est en défense, même si lors des débats, le mis en examen aura bien eu la parole en dernier.

Devant la cour, M. René G… soutient qu’il convient de replacer les faits dans le contexte de la panique que lui a causé l’intrusion des deux jeunes femmes dans son domicile ; que la proportionnalité de sa riposte doit être appréciée de manière subjective, en fonction de son âge (73 ans) et de sa maladie (cancer de la prostate) ; qu’il n’y a pas de risque de réitération, l’utilisation par lui de l’expression auto défense étant seulement inadéquate ; qu’il offre des garanties de représentation.

Il ajoute que la gravité des blessures causées ne constitue pas une condition du placement en détention ; que la légitime défense doit s’apprécier au regard de ce qu’a pu ressentir l’auteur des faits ; que les investigations complémentaires à mener ne nécessitent pas son placement en détention provisoire.

Le Ministère public répond que la légitime défense ne peut être retenue dès lors que les victimes ne menaçaient pas M. René G… et pouvaient être neutralisées par la simple menace de l’arme ; que de plus l’état de santé des victimes n’est pas encore connu complètement. Il demande de confirmer l’ordonnance de placement en détention provisoire.

NdA : À présent, la Cour va expliquer sa décision en droit. Pour confirmer la détention, ce qu’elle va faire, elle doit expliquer en quoi cette détention est l’unique moyen de parvenir à un des objectifs de l’article 144 du CPP.

Attendu que l’information n’en est qu’à son début ; que de nombreuses investigations sont encore à faire ; que c’est ainsi qu’il n’existe de certificat médical que pour l’une des victimes ; qu’une expertise médicale sera nécessaire pour les deux qu’il sera également nécessaire de procéder à des confrontations ; que l’identité de l’une des victimes demeure incertaine et devra être recherchée ;

Attendu que la détention provisoire est en l’espèce l’unique moyen de mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission et l’importance du préjudice qu’elle a causé ;

Attendu en effet, que l’infraction, consistant en une atteinte par arme à feu à l’intégrité physique de deux jeunes femmes qui n’étaient ni menaçantes, ni même armées, dans des conditions de nature à leur causer des blessures particulièrement graves, en raison de leur position accroupie ou agenouillée, le tout dans un village qui n’est pas un lieu habituel de délinquance violente, est d’une particulière gravité et cause un trouble exceptionnel à l’ordre public, dont le maintien est de la seule responsabilité de la puissance publique et ne peut être exercé par de simples particuliers ;

Attendu que les circonstances de la commission des faits caractérisent également un trouble exceptionnel à l’ordre public, en ce que les déclarations de Monsieur G… révèlent qu’ils ont été commis dans un contexte d’exagération sociale et de racisme revendiqué par lui, dans une commune dont la population se plaint de nombreux cambriolages ; qu’ils sont de nature à servir de justification à d’autres actes d’auto-défense, comme à des représailles de la communauté visée, représailles que l’intéressé déclare d’ailleurs craindre ;

Attendu que le trouble exceptionnel à l’ordre public résulte encore de la gravité des blessures infligées aux victimes et décrites ci-dessus, qui affectent la partie basse de l’abdomen ;

Attendu que ce trouble est persistant, au regard de la situation de fait créée par la présence dans le village d’une importante communauté de roms et des frictions avec la population qu’invoque Monsieur G… ; que lui-même fait état de risques de représailles ; que l’affaire a soulevé une émotion considérable, laquelle se manifeste par des prises de position publiques nombreuses, contradictoires et passionnées ;

Attendu que dans ces circonstances très particulières, le seul contrôle judiciaire ne permettrait pas de mettre fin au trouble sus-visé ; qu’en effet il serait perçu comme un signe de tolérance à l’égard de semblables agissements et entraînerait au contraire de nouveaux troubles ; que seule l’importance symbolique attachée à la mesure de détention provisoire est de nature à ramener l’ordre et à rappeler que l’exercice de la violence légale est le monopole de l’État républicain.


La Cour confirme donc le mandat de dépôt criminel d’une durée d’un an renouvelable.

Je ne vous cache pas que je suis très réservé sur cette décision, mais j’avoue un fort atavisme en faveur de la liberté. Déformation professionnelle, que je m’efforce d’amplifier. Accusez-moi de parti-pris, je revendiquerai fièrement ma culpabilité.

Néanmoins, la question de la légitime défense est un peu trop rapidement escamotée, et par des moyens que je trouve quelque peu artificiels. La légitime défense est définie à l’article 122-5 du Code pénal, qui distingue deux cas : l’atteinte aux personnes et l’atteinte aux biens.

N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.

N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction.

Seule une atteinte aux personnes justifie l’homicide volontaire en légitime défense. Or ici, monsieur G… ne subissait qu’une atteinte aux biens. Il paraît établi qu’à aucun moment, les deux jeunes femmes n’aient eu de geste menaçant à son égard.

Mais cet obstacle à l’invocation de la légitime défense n’est possible que parce que le parquet a retenu la qualification de tentative de meurtre. Or le meurtre suppose la preuve de l’intention homicide, du désir de tuer. Sinon, on est en présence de violences volontaires aggravées par l’usage d’une arme ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner, à condition qu’une victime décède. Et cette intention homicide me paraît ici particulièrement peu évidente.

Monsieur G… a ouvert le feu à une seule reprise sur chacune des jeunes femmes. Il est allé recharger, aurait donc pu les achever, mais il n’en a rien fait. Il a même provoqué les secours avant même d’ouvrir le feu. Alors d’où diable le parquet sort-il des indices graves et concordants de l’existence d’une telle intention ? Les propos racistes tenus en garde à vue (outre le fait qu’ils devraient être regardés comme nuls du fait de l’absence d’un avocat) sont certes déplaisants, et il les paye très cher, mais ils ne révèlent à aucun moment la volonté de tuer.

Si ces jeunes femmes survivent, ce qui semble devoir être le cas, Dieu merci, on sera plutôt en présence du crime de violences aggravées (par usage d’une arme) ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (je ne crois pas que la jeune femme dont les blessures sont indiquées se remettra à 100% de ses blessures) : article 222-10 du Code pénal. Et là, la légitime défense pourra être invoquée.

Certes, certes, dans toute la rigueur du droit, la légitime défense n’est pas débattue dans le cadre de la détention, puisque la jurisprudence, qui cultive l’humour noir, ne cesse de rappeler que les détenus provisoires sont présumés innocents. Néanmoins, envoyer un ou deux ans en prison une personne qui va peut-être bien bénéficier d’un acquittement pose problème. Il me semblait que depuis l’affaire d’Outreau, on était tous d’accord là dessus.

Mais restons rigoureux, et cantonnons-nous à l’article 144.

De nombreuses investigations restent à faire ? Je n’en doute pas. Nécessitent-elles la détention de monsieur G… au point que seule celle-ci permet de les mener à bien ? La lecture de l’arrêt permet d’en douter. Il précise qu’il manque l’état descriptif des blessures de la deuxième victime, qu’une expertise médicale sera  nécessaire, et qu’il faut s’assurer de l’identité exacte de la deuxième victime. C’est sagesse. Mais en quoi monsieur G… laissé en liberté pourrait-il interférer dans une expertise médicale, ou gêner pour identifier une jeune femme dont lui-même ignore l’identité ?

La protection du mis en examen est mentionnée en creux, puisqu’il dit craindre des représailles. C’est donc pour lui rendre service qu’on l’a incarcéré. J’espère qu’il a dit merci, et qu’on lui présentera la note d’hôtellerie. Plus sérieusement, se fonder sur le danger ressenti par monsieur G… pour le placer en détention, alors qu’on a refusé de prendre en compte ce même danger ressenti sur la légitime défense me paraît franchement discutable. Et quand la cour prend la peine de préciser un peu plus loin que les faits ont eu lieu dans un village qui n’est pas un lieu habituel de délinquance violente, on se demande si on rêve.

Reste l’argument du trouble à l’ordre public. Le liberty killer. C’est un argument génial. Pour le parquet, il marche à tous les coups. Et comme personne ne sait ce que c’est, on peut lui faire dire n’importe quoi.

Et d’ailleurs, la cour ne s’en prive pas. “Le trouble exceptionnel à l’ordre public résulte encore de la gravité des blessures infligées aux victimes et décrites ci-dessus, qui affectent la partie basse de l’abdomen”. Pour ne pas troubler l’ordre public, merci de viser la tête.

L’affaire a soulevé une émotion considérable, laquelle se manifeste par des prises de position publiques nombreuses, contradictoires et passionnées”. Heureusement que le législateur a pris le soin de préciser en 2007, à la suite de l’affaire d’Outreau, justement, que “Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l’affaire”.

Quant à l’argument final, selon lequel le maintien en liberté sous contrôle judiciaire “serait perçu comme un signe de tolérance à l’égard de semblables agissements et entraînerait au contraire de nouveaux troubles ; que seule l’importance symbolique attachée à la mesure de détention provisoire est de nature à ramener l’ordre et à rappeler que l’exercice de la violence légale est le monopole de l’État républicain”, on objectera à la Cour que c’est à l’État républicain d’assurer la protection des personnes et des biens, que ce soit la maison de monsieur G…, ou sa personne face à un risque de représailles, qui serait une violation du monopole de la violence légale. Et que la légitime défense est une violence légale, l’État républicain admettant que ses citoyens se défendent eux-même quand il n’est pas en mesure d’y pourvoir.

Il devient urgent de supprimer purement et simplement cet “objectif” lié au trouble à l’ordre public qui n’a rien d’objectif.  Cette affaire le démontre encore si besoin était.

Monsieur G… n’est ni un héros ni un salaud. Ses propos en garde à vue (ah, le droit de garder le silence, vous vous demandez encore à quoi il sert ?) me déplaisent fortement. Vous savez que je ne partage pas son opinion sur les Roms. Je ne serai jamais ami avec lui. Peut-être mérite-t-il une condamnation pénale pour ce qu’il a fait. On verra. Mais ce placement en détention me paraît totalement infondé, aucun des arguments me paraissant tenir la route. Ce n’est pas là de la bonne justice.

Avertissement final : tout commentaire se bornant à dire qu’il a bien fait, qu’il aurait dû mieux viser, et de cet acabit, ainsi que ceux violant l’article 434-25 du Code pénal seront simplement supprimés. Et si je dois passer mon temps à faire la police, les commentaires seront fermés. Merci de ne pas confondre ce blog avec les commentaires du Figaro.fr.

mercredi 6 octobre 2010

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le jugement Kerviel et avez osé me demander

Le jugement rendu ce jour dans l’affaire Kerviel a généré beaucoup de questions de la part de mes lecteurs, dont je me fiche, et de mes lectrices, qui sont l’objet de toute mon attention.

Un petit commentaire judiciaire s’impose donc, pour ces deux catégories car je ne suis pas sectaire.

De quoi Jérôme Kerviel a-t-il été déclaré coupable ?

On lui reprochait trois délits, et il a été déclaré coupable des trois.

Abus de confiance, pour commencer.

L’abus de confiance est, avec le vol et l’escroquerie, le troisième grand délit d’atteinte aux biens.

Le vol sanctionne celui qui s’empare de la chose d’autrui sans rien lui demander. L’escroquerie, celui qui trompe autrui pour se faire remettre indûment la chose.

L’abus de confiance sanctionne celui qui s’est fait remettre en vertu d’un contrat un bien ou un droit afin d’en faire un usage déterminé, et en fait un usage différent, par exemple refuse de le rendre comme il en est tenu. Celui qui loue une voiture et la vend ne l’a pas volé (il ne s’en est pas emparé, le propriétaire lui a remis les clefs volontairement), ni escroqué (il n’y a pas eu de manœuvre pour tromper le propriétaire), mais commet un abus de confiance, car il a disposé d’un bien dont il était détenteur précaire par l’effet du contrat de location, et qu’il était tenu de restituer au terme de celui-ci.

L’existence d’un contrat liant l’auteur et la victime est fondamentale pour caractériser l’abus de confiance (« l’ABC », si vous voulez causer le pénaliste). Abuser de la confiance d’autrui en dehors du cadre d’un contrat n’est pas un délit, mais de la politique.

Ce délit est prévu par l’article 314-1 du Code pénal. Il fait encourir un maximum de trois années de prison et 375 000 euros (rappelons que la loi pénale ne fixe que le maximum des peines, le juge étant, mais de moins en moins, libre d’aller en deçà).

Ici, Jérôme Kerviel avait reçu un mandat de la banque pour effectuer certaines opérations, et dans la limite de certains montants. Il a abusé de ce mandat, estime le tribunal, en dépassant ces autorisations pour engager la banque sur des montants supérieurs sur des opérations distinctes, et bien plus risquées, que celles qu’il était habilité à faire.

Introduction frauduleuse de données dans un système informatique, ensuite. C’est un des délits informatiques du Code pénal. Il sanctionne celui qui modifie le contenu d’un fichier informatique (que ce soit un programme ou un simple fichier de données) sachant qu’il n’en a pas le droit (l’opération doit être frauduleuse, ce qui implique la conscience de ce que l’on fait. Ce délit protège l’intégrité des systèmes informatiques (le droit parle de système de traitement automatisé de données) contre des personnes en modifiant le contenu dans une intention malicieuse ; mais la loi n’exige pas en plus que l’introduction de ces données ait un effet quelconque (altération du fonctionnement, falsification de données…).

Le tribunal va également estimer ce délit constitué par les agissements de Jérôme Kerviel afin de dissimuler dans le système informatique de la banque ses prises de position (et surtout leur montant) afin de ne pas déclencher les systèmes d’alerte mis en place par la banque.

Ce délit est prévu par l’article 323-3 du Code pénal. Il est sanctionné de 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende au maximum.

Enfin, faux et usage de faux.

Le faux consiste en toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques (article 441-1 du Code pénal). Définition complexe, qu’il faut décomposer pour comprendre.

Altération frauduleuse de la vérité : celui qui forge (non, ce n’est pas un anglicisme : l’anglaise forgery qui désigne le faux vient du français) un faux doit avoir conscience de ce qu’il fait. Le faux est constitué que le document soit entièrement faux ou qu’il mélange vérité et mensonge (il mentionne bien votre nom mais donne une fausse date de naissance pour faire croire que vous êtes majeur).

De nature à causer un préjudice : le simple mensonge ne constitue pas le faux. Il faut que ce mensonge soit susceptible de causer un préjudice. Pas qu’il en ait causé un : un préjudice éventuel suffit. Et en la matière, les juges ont de l’imagination. Un mien client qui s’était fabriqué une fausse carte d’étudiant pour faire croire à ses parents qu’il poursuivait ses études a été condamné car le tribunal a estimé qu’il aurait pu utiliser ce document pour bénéficier de tarifs réduits au cinéma.

Accompli par quelque moyen que ce soit : la formule parle d’elle même.

Dans un écrit ou tout support de la pensée : le faux trouve son domaine de prédilection dans le support écrit, mais il peut être constitué par toute altération de la vérité, même sur autre chose. Par exemple, substituer votre photo à celle d’un autre sur une carte d’étudiant n’altère pas l’écrit, mais l’image. C’est un support de la pensée pour la jurisprudence, puisque la photo associe une personne aux informations y figurant.

Qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques : c’est la limite du faux. Il ne suffit pas d’altérer la vérité : il faut que cette altération ait un effet juridique minime mais réel. Un simple écrit mensonger ne constitue pas un faux mais un programme électoral.

Dans le cas Kerviel, le faux retenu est la fabrication de faux e-mails, rédigés sous le nom d’autrui, pour justifier auprès des services de surveillance des activités financières, qu’on appelle dans la finance, où parler français est le comble de la vulgarité, le Back Office, qui surveille le Front Desk, les anomalies qui ont été relevées dans certaines prises de position. Ces faux e mails ont d’ailleurs mis à mal la théorie de la défense qui cosistait à dire que la banque était au courant mais laissait faire car Kerviel rapportait beaucoup. Si elle laissait faire, pourquoi l’induire en erreur avec des faux e-mails justificatifs ?

Le faux et l’usage de ce faux sont deux délits distincts, mais en pratique très souvent commis par la même personne dans la foulée : celui qui forge un faux compte bien en faire usage pour bénéficier de ses effets, d’où l’expression-wagon « faux et usage de faux ». Mais il ne s’agit pas d’une formule indivisible. Tous deux sont punis de 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende.

À quoi a-t-il été condamné ?

En droit français, quand un prévenu est poursuivi pour plusieurs délits et déclaré coupables de plusieurs d’entre eux, le tribunal droit en principe prononcer une seule peine. Les peines encourues ne s’additionnent pas : le tribunal est tenu par la peine la plus sévère prévue pour les délits retenus.

Ici, trois délits sont retenus. Deux sont punis de 3 ans de prison, et un de 5 ans. Le tribunal peut prononcer au maximum 5 ans d’emprisonnement. Les amendes maximales sont de 375 000, 75 000 et 45 000 euros d’amende. Le tribunal peut prononcer jusqu’à 375 000 euros d’amende. Le maximum de l’emprisonnement est fixé par l’introduction frauduleuse de données, et l’amende par l’abus de confiance. Le faux et l’usage de faux n’apportent rien sur ces maxima. Mais bien sûr, le fait qu’ils soient aussi retenus justifie une peine prononcée plus sévère que s’ils ne l’avaient pas été.

Et sévère, le tribunal va l’être, puisqu’il va prononcer le maximum de l’emprisonnement : 5 ans de prison. Il va toutefois décider que seuls trois seront « ferme » et deux avec sursis, c’est-à-dire n’auront pas à être exécutés si le condamné ne l’est pas à nouveau dans un délai de 5 ans. 3 ans ferme, cela implique un passage par la case prison. Jusqu’à deux ans ferme, un aménagement est envisageable évitant l’incarcération pure et simple. Le tribunal est allé au-delà de cette limite. Concrètement, une peine de 3 ans donne un crédit de réduction de peine de 7 mois, restent 29 à effectuer. Une libération conditionnelle est envisageable au mieux au bout de 14 mois et demi, mais ça veut dire plus d’un an derrière les barreaux.

Le tribunal ne prononcera pas de peine d’amende. Il n’a pas à s’expliquer sur ce choix.

Par contre, il va prononcer en outre une peine complémentaire prévue pour l’abus de confiance par l’article 314-10, 2° du Code pénal : l’interdiction définitive d’exercice de la profession dans l’exercice de laquelle le délit a été commis, ici la profession d’opérateur financier (en français, on dit trader) et toute activité liée aux marchés financiers. Nous voilà rassurés : si une banque voulait engager Jérôme Kerviel comme trader, ce n’est plus possible. Ouf. Mais impossible n’est pas français. Le Code de procédure pénale lui permet de demander la levée de cette interdiction, par simple requête, examinée par la juridiction ayant rendu la décision. La seule condition est d’attendre six mois après que cette décision est devenue définitive, et en cas de rejet de cette requête, d’attendre à nouveau 6 mois pour en présenter une nouvelle (concrètement, à Paris, avec les délais d’audiencement, ce sera examiné une fois par an). Mais je doute que Jérôme Kerviel ait envie de regoûter aux joies des puts.

C’est quoi alors cette histoire de 4,9 milliards ?

4 915 610 154 euros précisément. Ce sont les dommages-intérêts dus à la victime principale (il y en a deux autres, deux salariés de la banque, qui ont obtenu réparation du préjudice moral causé par les conditions de travail délétères causées par cette affaire et par les craintes sur la pérennité de leur emploi, qui ne toucheront que 4 000 euros chacun. Contrairement à l’amende, qui est une peine, les dommages-intérêts sont une réparation. C’est le montant précis qu’a perdu la Société Générale à cause des agissements de Jérôme Kerviel, estime le tribunal.

Ce montant correspond à la perte nette subie après avoir opéré le « débouclage » des positions de Jérôme Kerviel. Son activité consistait à promettre à divers partenaires soit d’acheter telle quantité de contrats à tel prix fixé d’avance, soit de les vendre, là aussi à une date et un prix fixés. Le calcul consiste à espérer que le prix des contrats va augmenter dans le premier cas, ou baisser dans le second, générant un substantiel bénéfice (le partenaire y gagne que lui est débarrassé de ce risque, l’opération lui permettant de connaître avec certitude le prix futur de ces contrats, le jour où il réalisera l’opération envisagée).

Le montant total des engagements d’achat ou de vente, le jour où le pot aux roses est découvert, était de l’ordre de 52 milliards d’euros, soit bien plus que la banque ne pouvait se permettre d’engager. Or il est interdit aux banques de s’engager au-delà de ce qu’elles peuvent réellement payer. Il faut que, si ces opérations tournent à la catastrophe et que la Société Générale doive payer de sa poche ces 52 milliards sans rien engranger en retour, elle les ait dans ses caisses (je simplifie quelque peu, que mes lecteurs cocaïnomanes traders me pardonnent). Face à ces positions impossibles à tenir, la banque a estimé ne pas avoir d’autre choix que de les liquider immédiatement, c’est à dire les revendre à d’autres. Ce volume a mécaniquement entraîné la baisse de valeur de ces contrats, outre le fait que l’empressement de la Société Générale à s’en débarrasser a également contribué à cette diminution. Bilan de l’opération, perte sèche de 6 445 696 815 euros. La Société Générale a déduit de ce montant le bénéfice réalisé par Jérôme Kerviel en 2007 (1,47 milliards) d’où le chiffre du jour de 4 915 610 154 euros réclamé par la banque et accordé par le tribunal.

À cela, la défense de Jérôme Kerviel opposait deux arguments : d’abord, la théorie de la complicité tacite. La banque savait et laissait faire car elle gagnait de l’argent, puis a lâché son trader quand la poule aux œufs d’or a cessé de pondre. Le tribunal a estimé qu’aucune preuve n’était apportée, et a retourné cet argument contre le prévenu, en en déduisant qu’il niait sa responsabilité et imputait cyniquement ses erreurs à la victime. Ensuite, la faute de la banque : si elle avait liquidé ces positions plus lentement, peu à peu, voire avait attendu leur terme, elle n’aurait pas tant perdu et même aurait pu gagner de l’argent.

Ce dernier argument n’avait aucune chance de prospérer. En supposant que le comportement de la banque ait été fautif, ce qui n’est pas certain, sa décision du débouclage immédiat reposant sur des arguments sérieux, la jurisprudence estime que la faute de la victime n’est susceptible de diminuer son droit à réparation que dans le cas de délits non intentionnels, comme les homicides ou blessures involontaires, car l’auteur n’a pas recherché le dommage. Mais dans le cas de délits intentionnels, et les trois délits imputés à Jérôme Kerviel sont intentionnels, où l’auteur a recherché le résultat obtenu, la faute de la victime ne peut être invoquée par le condamné. Cela reviendrait à accepter que le voleur de voiture se dédouane en disant que le propriétaire avait oublié de fermer la porte à clef, ou que le mari violent justifie ses coups par l’adultère de son épouse (l’adultère restant une faute civile en droit français). Si la Société Générale a perdu 6,4 milliards d’euros lors du déboclage des positions Kerviel, ce n’est pas, dit le tribunal, parce qu’elle a débouclé, mais parce que Jérôme Kerviel a pris ces positions. Ite Missa Est.

Une telle somme, pour une particulier, n’est-ce pas n’importe quoi ? C’est impossible qu’il paye, pourquoi prononcer une telle somme ? (Et autres variations habituelles sur le thème de la justice déconnecté du vrai monde réel et du bon sens).

La loi est la même pour tous. Celui qui a causé un dommage doit le réparer. Et la règle est celle de la réparation intégrale. L’article 3 du Code de procédure pénale dispose dans son alinéa 2 que l’action civile devant la juridiction pénale sera recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront des faits objets de la poursuite.

La condamnation n’est pas démesurée : elle est à la hauteur de la démesure des engagements pris par Jérôme Kerviel : plus de 50 milliards d’euros d’engagements. La perte sèche est de 10% de ce montant.

Dès lors que le tribunal a estimé que Jérôme Kerviel était responsable et seul responsable de ces malversations, il ne pouvait que le condamner à rembourser, et je suis ouvert pour savoir comment le « bon sens » décide que celui qui a provoqué une perte n’a à rembourser qu’une partie, et surtout comment on calcule cette quote-part.

Évidemment, on se situe à un niveau tellement élevé que les règles habituelles aboutissent à des résultats ahurissants. Le droit et la physique ont ceci en commun que les lois perdent leur sens face à l’infiniment petit et l’infiniment grand. Mais nous n’avons pas encore de droit quantique pour nous aider.

Ainsi, l’article 1153-1 du Code civil prévoit qu’en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Jérôme Kerviel a de la chance dans son malheur, le taux légal n’a jamais été aussi bas : 0,65% par an. Sur une telle somme cependant, cela signifie 31 951 466 euros par an, c’est à dire 85 538,26 euros par jour.

Mais il y a mieux. L’article L.313-3 du Code monétaire et financier prévoit qu’en cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l’intérêt légal est majoré de cinq points à l’expiration d’un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire. C’est à dire que deux mois après que cette condamnation sera devenue définitive (ce que l’appel empêchera pour le moment) cette somme passera à 277 731 973 euros annuels, soit 760 909,52 euros par jour.

Ce qui est terrible pour les avocats spécialisés dans la réparation du préjudice corporel, qui défendent des éclopés, des amputés, des handicapés lourds, et leurs familles, c’est qu’ils savent que la perte d’un enfant est indemnisée à hauteur de 30 à 40 000 euros. C’est à dire que la Société Générale bénéficie d’un jugement équivalent à la perte de 120 000 enfants. Magie du préjudice économique : il peut être justifié à l’euro près, fût-ce sur 4,9 milliards. Alors que notre culture judéo-chrétienne trouve indécent d’estimer la douleur, et paradoxalement ajoute l’indécence d’une réparation dérisoire, ce qui nous rend tout surpris quand quelqu’un obtient une réparation intégrale. 

Mais comment Jérôme Kerviel va-t-il pouvoir payer ?

Il ne le pourra pas. Et la Société Générale en a conscience, rassurez-vous. Simplement, elle a une arme désormais pour saisir à son profit les droits d’auteur du livre de Jérôme Kerviel, et le prix de la cession des droits de son histoire pour le film qui immanquablement va être tiré de cette affaire. Et elle a bien l’intention de s’en servir. Qu’il ne s’enrichisse pas grâce au récit de ses turpitudes n’est pas nécessairement choquant. Et puis viendra un temps où la Société Générale n’aura rien fait pour récupérer sa dette pendant —5— 10 ans (s’agissant d’une condamnation par un jugement, titre exécutoire, la prescription est portée à 10 ans, merci à @guilluy de m’avoir signalé mon erreur), et elle sera prescrite.

L’État ne va pas payer à la place de Kerviel ?

Si. La Société Générale peut, comme tout justiciable, bénéficier du Service d’Aide au Recouvrement des Victimes d’Infraction. L’État est légalement tenu de lui faire l’avance du montant des dommages-intérêts. À hauteur de 3000 euros.

Quelle sera la suite ?

Jérôme Kerviel a immédiatement fait appel. Il sera donc rejugé par la cour d’appel de Paris, dans un an environ. En attendant, le jugement ne peut être mis en application. Jérôme Kerviel ne doit rien et ne peut aller en prison.

À suivre donc.

Pour en savoir plus :

Récit de l’audience où le jugement a été rendu chez Aliocha, qui, elle, sait qu’on ne parle de verdict que devant la cour d’assises (sérieusement, quelle chroniqueuse judiciaire elle ferait…)

L’intégralité du jugement, 73 pages, chez Pascale Robert-Diard.

lundi 20 septembre 2010

Menace démagogique : alerte maximale

Un vent de panique souffle dans les antichambres des ministères, à l’approche d’un remaniement annoncé, avec des affaires qui commencent à faire résonner le doux tintinnabulement des casseroles, des sondages plus bas que des mineurs chiliens, et une opération “sus aux Roms” qui tourne au fiasco diplomatique majeur. 

Dernier avatar du sauve-qui-peut : le ministre de l’intérieur, qui sent que sa fidélité canine au président risque de ne pas peser très lourd tant son passif commence à être aussi chargé qu’un animateur de France Télévision, vient de faire trois propositions dans le domaine judiciaire où la démagogie le dispute à l’absurde.

En somme, il a jeté ses cochonneries dans mon jardin.

Je ne vais pas laisser passer cela, même si je ne vais pas consacrer à ces sottises plus de temps que nécessaire, tant vous allez voir que ces propositions sont du vent, destinés à alimenter les plateaux télé en débats inutiles pendant qu’on oublie qu’il y a encore un ministre du travail.

Première proposition : Adjoindre des jurys populaires aux juridictions d’application des peines.

Là, comme le fait pertinemment remarquer mon confrère Maître Mô, ce n’est pas aller assez loin. il y a encore des risques que des gens sortent. il faudra veiller à ce que ces jurés ne soient autres que les victimes elles mêmes, et là, on sera bordé. c’est vraiment des amateurs, Place Beauvau. 

Les juridictions d’application des peines sont au nombre de deux : le juge d’application des peines (JAP) et les tribunaux d’Application des Peines (TAP). Pour faire simple : les JAP statuent seuls sur les dossiers les moins graves (peines inférieures à 10 ans ou moins de 3 ans restant à effectuer), les TAP, composés de trois juges, sur les dossiers les plus graves.

Je simplifie énormément, j’implore le pardon des JAP (et ex-JAP…) qui me lisent, mais un exposé du droit de l’application des peines serait faire trop d’honneur aux sottises de l’Auvergnat.

Ils statuent sur toutes les demandes liées à l’exécution d’une peine, et seulement à cette exécution. Ils ne peuvent en aucun cas statuer sur une difficulté liée à la peine elle-même : le contentieux de la peine appartient exclusivement à la juridiction qui l’a prononcée. 

Il s’agit principalement de l’aménagement des peines, si le condamné est encore libre, et des réductions de peines et libérations conditionnelles pour les condamnés incarcérés.

C’est un contentieux très technique (je mets tous les prix Nobel au défi de calculer de tête une mi-peine), profondément réformé en 2004 et en 2009 (j’y reviens…). Il s’agit d’évaluer le comportement du condamné en détention (l’administration pénitentiaire participe à la prise de décision), la solidité du projet de sortie (domicile, emploi, motivation du condamné, situation familiale), au vu des pièces produites par la défense, des rapports de l’administration pénitentiaire (dossier disciplinaire, activités, formation suivies) et parfois des expertises médicales (traitement suivi). 

Or un jury populaire ne peut s’envisager sérieusement que pour une procédure orale, comme l’est celle de la cour d’assises. Tous les éléments doivent être débattus oralement, les experts doivent être présents pour répondre aux questions, de même que le futur employeur, la famille, etc. 

En 2009, d’après les Chiffres clés de la justice (statistiques officielles du ministère), les cours d’assises ont traité 3 345 affaires, dont une petite partie traité sans jury (appel sur la seule condamnation civile, accusé en fuite…les stats ne distinguent pas). 

Sur le même laps de temps, les juridictions d’application des peines ont rendu 80 490 décisions directement liées à la liberté d’un condamné à de la prison ferme (les deux tiers étant des permissions de sortie).

Le fait que le ministre ait balancé sa fusée intellectuelle sans expliquer comment les jurys populaires vont pouvoir traiter 24 fois plus de dossiers, ni comment cela va être financé, sans même aborder le sujet de la formation des jurés à un droit technique, montre bien d’une part qu’il n’accorde pas le moindre sérieux à cette proposition, et d’autre part qu’il aurait tort de le faire puisqu’aucun journaliste n’a de toutes façons posé la question. 

Il a un temps été question de faire de même pour les tribunaux correctionnels. Là, j’y serais presque favorable. La tendance étant à augmenter sans cesse le domaine du juge unique en matière correctionnelle, ce retour de la collégialité serait somme toute une bonne chose. Juste un détail : en 2009, ce sont 584 549 décisions qui ont été rendues par les tribunaux correctionnels. Et un procès ordinaire en correctionnelle, ça prend de 20 minutes (comparution immédiate) à une demi journée. Parce qu’entre avocats et magistrats, on peut rentrer de plain-pied dans le débat technique. avec des jurés, il faudra compter le même laps de temps rien que pour faire de la pédagogie aux jurés. Et leur laisser le temps de préparer les dossiers (le dossier Clearstream, c’est 42 tomes, soit au bas mot 21 000 pages). On fait comment, m’sieur Hortefeux ?

Deuxième proposition : L’élection des juges d’application des peines.

La France connaît déjà des juges élus : les juges des tribunaux de commerce (litiges entre commerçants, redressement et liquidation des entreprises), et les conseillers prud’hommes (litiges individuels du travail). L’abstention y connaît des records impressionnants. 74% aux prud’hommales de 2008, malgré la mobilisation des syndicats pour qui cette élection est très importante ; quant aux élections des tribunaux de commerce, les juges élus n’ont généralement même pas de liste concurrente face à eux. On ne manque pas d’électeurs, on manque de candidats (il faut dire que les fonctions sont bénévoles…).

Oh oui, oh oui, confions des questions de sécurité publique à des juges élus ainsi, quelle bonne idée.

Troisième proposition : suppression de l’aménagement des peines de moins de deux ans.

Le Code de procédure pénale prévoit qu’une personne condamnée à une peine de prison ferme n’est en principe pas incarcérée immédiatement. Il y a trois exceptions : en comparution immédiate, le condamné peut être incarcéré sur ordre du tribunal quel que soit le quantum de la peine prononcée ; si la peine est au moins égale à un an, sur décision spéciale et motivée du tribunal (on dit décerner mandat de dépôt à la barre) ; et si le condamné est en état de récidive, quel que soit le quantum de la peine prononcée, sur décision spéciale du tribunal qui n’a pas à être motivée (c’est même le fait de ne pas recourir au mandat dépôt qui doit parfois être motivé…).

Si le condamné est laissé libre et que sa peine ne dépasse pas deux ans, il doit être reçu par le juge d’application des peines (en principe, on lui remet une convocation dès le prononcé de la condamnation) pour envisager un aménagement de peine qui évitera l’incarcération sèche. Cela peut être un placement sous bracelet électronique, une semi détention (il sort la journée pour aller travailler et passe ses soirées et nuits en détention), un fractionnement de la peine (pour la purger en plusieurs fois), etc. La palette est vaste. Cela évite le caractère désocialisant de la détention (surtout si le condamné a un travail), et lutte aussi contre la surpopulation carcérale (rappel : au 1er janvier 2010, il y avait 54 988 places pour 60 978 détenus). 

Le ministre de l’intérieur n’a pas de mots assez durs pour critiquer cet état de fait : “Avoir quasiment l’assurance de ne pas effectuer sa peine de prison, quand on est condamné à moins de deux ans, est un dispositif parfaitement inadmissible pour les citoyens et totalement incompréhensible pour les policiers et les gendarmes” (cité par LePoint.fr).

Juste un petit problème : cette limite de deux ans pour l’aménagement a été mise en place par ce même gouvernement, il y a moins d’un an (avant, c’était seulement les peines inférieures ou égales à un an) : Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 dite loi pénitentiaire, article 84.

Rappelons à Brice Hortefeux que quand cette loi était encore devant le parlement, le ministre de l’intérieur s’appelait Brice Hortefeux, et que c’est donc à lui qu’il faut s’en prendre si une loi parfaitement inadmissible pour les citoyens et totalement incompréhensible pour les policiers et les gendarmes a été votée.

Sur ce point, je serai d’accord avec Brice Hortefeux : c’est inadmissible, la démission s’impose.

Car pour ce qui est de se moquer du peuple, visiblement, l’impunité est de rigueur.

vendredi 17 septembre 2010

L'arrêt de la chambre de l'instruction de Grenoble (Affaire du casino d'Uriage)

La cour d’appel de Grenoble a rendu ce jour un arrêt confirmant le maintien en liberté sous contrôle judiciaire de Moncif G., mis en examen dans l’affaire du braquage du casino d’Uriage.

Je laisserai aboyer le ministre de l’intérieur, que j’ai connu plus discret sur certaines décisions de justice, et vous propose de vous faire une opinion. Voici le texte de cet arrêt, la partie expliquant le raisonnement de la cour. Je l’aurais bien publié en intégralité (anonymisé bien sûr) mais l’arrêt fait 17 pages. Fort intéressantes au demeurant puisque tous les faits sont décortiqués, c’est un vrai roman policier. Mais 17 pages quand même.

Ne manquez pas le paragraphe sur le trouble à l’ordre public, en toute fin d’arrêt. Il vaut son pesant de Codes de procédure pénale.

Vous constaterez en tout cas, que vous approuviez ou non sa décision, que la cour a statué en droit, en s’appuyant sur les faits, et que l’idéologie est absente de son propos, contrairement à tous ceux qui précisément dénoncent, c’est amusant, l’idéologie chez autrui. Les esprits serviles ont du mal à concevoir qu’il en existe des libres.

Ai-je besoin de dire que j’approuve pleinement cet arrêt, que j’invite les magistrats de la chambre de l’instruction de ma cour d’appel à lire avec intérêt, et, si possible, profit. Vous pouvez aussi lire le commentaire de Pascale Robert-Diard sur son blog.



COUR D’APPEL DE GRENOBLE
Chambre de l’Instruction
2010/00361
N° 2010/00
Audience de la cour d’Appel de GRENOBLE, chambre de l’Instruction, tenue en audience publique le NEUF SEPTEMBRE DEUX MIL DIX, délibéré du SEIZE SEPTEMBRE DEUX MIL DIX

(…)

SUR QUOI, LA COUR : 

Attendu que l’appel a été formé dans les conditions de temps et de forme prescrites à l’article 186 du code de procédure pénale ; qu’il est donc recevable ;

Attendu que l’article 137 du code de procédure pénale pose le principe de la présomption d’innocence de toute personne mise en examen, qui, à ce titre, reste libre ; que le contrôle judiciaire peut toutefois être ordonné en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté ; que lorsque les obligations du contrôle judiciaire se révèlent insuffisantes au regard de ces objectifs, il est permis d’envisager, à titre exceptionnel, un placement en détention provisoire ;

Que dans ce cas la détention ne peut être ordonnée, ou prolongée, que par référence aux seules dispositions des articles 143-1 et 144 du même code ;

Que l’article 144 du code de procédure pénale dispose en outre que la détention ne peut être ordonnée ou prolongée que s’il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu’elle constitue l’unique moyen de parvenir à sept objectifs qu’elle définit limitativement, et qui ne pourraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ;

Que cependant, l’appréciation du caractère insuffisant des obligations du contrôle judiciaire ainsi que des objectifs que seule la détention provisoire permettrait d’atteindre, ne peut se faire sans référence aux éléments objectifs du dossier ; qu’il convient d’ailleurs de relever à cet égard que lors de l’audience, tant le ministère public que la défense ont longuement évoqué ces éléments ;

Qu’il importe donc, au vu de ces considérations, d’examiner les différents objectifs spécifiés par l’article 144, étant précisé que ces critères doivent être appréciés, non au jour des faits ni au jour auquel le juge des libertés et de la détention a statué, mais au jour de la présente décision :

► conserver les preuves et indices :

Attendu que les enquêteurs ont pris le soin, tant au moment des constatations que par la suite, lors de l’accomplissement des différents actes de la procédure, de recueillir scrupuleusement tous les indices matériels pouvant être utiles à la manifestation de la vérité ; qu’ils ont notamment, dès le début de l’enquête, saisi et placé sous scellés les armes utilisées, le véhicule des malfaiteurs, le produit du vol ; qu’ils ont, à l’occasion des interrogatoires de plusieurs personnes pouvant intéresser l’enquête, procédé à des prélèvements ;

 

Que la situation est donc figée à cet égard ; que ce critère sera écarté ;

► empêcher les pressions sur les témoins et les victimes :

Attendu qu’au terme d’une enquête judiciaire sérieuse, approfondie et minutieuse, mais handicapée par le manque de temps et les pressantes incitations à interpeller rapidement le complice en fuite, les policiers n’ont pu recueillir aucune mise en cause expresse de Moncif G. ; que les témoins directs des différentes scènes relatives aux faits ont été entendus (employés et clients du Casino d’URIAGE LES BAINS, policiers) ; que leurs versions concordent et sont par ailleurs corroborées par d’autres éléments de l’enquête (enregistrements de vidéo-surveillance, constatations matérielles) ;

Que les différentes personnes entendues au cours de la procédure, soit “spontanément”, soit sur initiative des enquêteurs, ont pour la plupart réitéré leurs déclarations, même si des petites divergences subsistent ;

Que si les magistrats instructeurs doivent procéder à des auditions, voire des confrontations, pour vérifier les alibis fournis par certains témoins, le risque de pression peut être sérieusement écarté dans la mesure où, entre la date des faits et l’interpellation du mis en examen, plus de six semaines se sont écoulées pendant lesquelles, ce dernier, pratiquement toujours dans la région, a eu la possibilité d’entrer en contact avec les témoins, sans qu’il soit allégué ou qu’il ait été observé qu’il l’ait fait ;

► empêcher une concertation frauduleuse :

Attendu que tous les éléments de l’enquête permettent d’établir que le vol à main armée et les tentatives d’homicide sur les forces de l’ordre ont été commis par deux personnes, aucune complicité n’ayant été évoquée ; que dans la mesure où l’un des auteurs est décédé, il ne peut y avoir risque de concertation ;

► protéger la personne mise en examen :

Attendu que cet objectif n’a jamais été évoqué et que, de toute évidence, il n’est absolument pas pertinent en l’espèce ;

► garantir le maintien du mis en examen à la disposition de la justice :

Attendu que les documents produits par le conseil de Moncif G. permettent d’établir qu’il s’est présenté à une convocation du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation de GRENOBLE le 22 juillet 2010, ainsi qu’à une consultation auprès de son médecin pour renouveler son traitement le 18 août 2010, ce qui n’est pas l’attitude d’un délinquant “en cavale” ;

Que depuis son placement sous contrôle judiciaire, il n’a pas cherché à fuir et qu’il s’est effectivement présenté à l’audience de la chambre d’instruction à laquelle il était convoqué ;

Que sa représentation en justice paraît dès lors suffisamment garantie par une mesure de contrôle judiciaire ;

► prévenir le renouvellement de l’infraction :

Attendu que le casier judiciaire de Moncif G. fait état de 7 condamnations antérieures, dont une prononcée le 18 juin 2008 par une Cour d’assises pour des faits de vols avec arme commis début 2006 ; que dans le cadre de cette dernière condamnation, il se trouve sous le régime de la mise à l’épreuve depuis le jour de sa libération, soit le 12 septembre 2009 ;

Qu’il a régulièrement répondu aux convocations du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation ; qu’un incident a été cependant noté puisqu’il a été intercepté à l’aéroport de ROISSY, en mars 2010, alors qu’il partait pour un séjour de vacances au Mexique sans avoir sollicité l’autorisation de sortir du territoire national ; que cet incident a donné lieu à une convocation devant le Juge de l’Application des Peines le 13 avril 2010 ; que lors de cet entretien, le contenu de ses obligations lui était rappelé, ainsi que le risque de révocation du sursis en cas de nouvel incident ; qu’aucun incident ultérieur à ce rappel à l’ordre n’apparaît au dossier ;

Que le soutien mis en place par sa famille dont il bénéficie, renforcé encore depuis son interpellation et par la pression que représentent les accusations portées sur lui, paraît suffisant en l’état pour prévenir le renouvellement de l’infraction ;

► mettre fin au trouble exceptionnel à l’ordre public :

Attendu que, comme le précise l’article 144 7° du code de procédure pénale, le trouble à l’ordre public ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l’affaire, quand bien même aurait-il, comme en l’espèce, été largement entretenu, voire même amplifié, par les différentes prises de position rapportées dans les médias ;

Qu’il ne peut être contesté en l’espèce que les faits, ayant été commis à l’aide d’armes de guerre, utilisées contre des policiers, personnes dépositaires de l’autorité publique, ont, par leur nature, gravement porté atteinte à l’ordre public ; que ce trouble a persisté puisque de véritables émeutes ont soulevé le quartier de la Villeneuve au cours des trois jours qui ont suivi, nécessitant l’intervention de nombreuses forces de police pour rétablir l’ordre ;

Attendu toutefois qu’il convient, par ailleurs, d’observer que les éléments matériels réunis lors de l’enquête approfondie ne permettent pas d’identifier indiscutablement le co-auteur de Karim BOUDOUDA, les expertises réalisées par le LIPSADON ne pouvant être considérées comme des preuves scientifiques absolument fiables et déterminantes ; que si un faisceau de coïncidences troublantes permet de penser que Moncif G. pourrait avoir commis les faits pour lesquels il a été mis en examen, il ne peut, en l’état du dossier, donner lieu à une certitude ou à une quasi-certitude quant à sa participation aux faits ; que dès lors, et compte tenu des incertitudes qui demeurent au dossier, le placement en détention de Moncif G. n’apparaît pas de nature à apaiser le trouble à l’ordre public qui résulte des faits ;Attendu qu’ainsi, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, les critères légaux permettant le recours à la détention provisoire ne sont pas suffisamment établis et que le contrôle judiciaire strict, tel que mis en place par le juge des libertés et de la détention, s’avère toujours suffisant au regard des nécessités de l’instruction et à titre de mesure de sûreté ;

Attendu par conséquent que les ordonnances frappées d’appel seront confirmées ;

 

PAR CES MOTIFS :

La Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de GRENOBLE, siégeant en audience publique, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu les articles 186, 194, 197, 198, 199, 200, 207, 216 et 217 du Code de procédure pénale,

En la forme, reçoit le Ministère Public en son appel,

 

Au fond, confirme les ordonnances déférées (…).

samedi 28 août 2010

Roms, uniques objets de mon ressentiment… (Acte I)

Le Gouvernement a donc décidé, pour des motifs d’opportunité politique assez évidents sur lesquels je ne m’étendrai pas, ayant assez de choses à dire par ailleurs, de mettre en œuvre une politique d’expulsion, au sens premier du terme : « pousser dehors », les Roms étrangers vivant en France.

Ils sont fous, ces Roms, hein ?

Avant d’aller plus loin, qu’est-ce qu’un Rom ? Rom vient du mot Rrom, en langue romani (l’orthographe a été amputé d’une lettre en français, la double consonne initiale n’existant pas dans cette langue), qui signifie « homme » au sens d’être humain (féminin : Roma ; pluriel : Romané). Il s’agit d’un peuple parti, semble-t-il (la transmission de la culture étant orale chez les Roms, il n’existe pas de source historique fiable, mais tant la langue romani parlée par les Roms que la génétique confirme l’origine géographique indienne), du Nord de l’Inde (Région du Sindh, dans l’actuel Pakistan, et du Penjab pakistanais et indien) aux alentours de l’an 1000 après Jésus-Christ, sans doute pour fuir la société brahmanique de l’Inde qui les rejetait comme intouchables (c’est donc une vieille tradition pour eux que d’être regardés de travers par leur voisin).

Ils sont arrivés en Europe via la Turquie au XIVe siècle, suivant les invasions des Tatars et de Tamerlan, et s’installèrent dans l’Empire byzantin (qui les appelle Ατσίγγανος , Atsinganos, « non touchés », du nom d’une secte pré-islamique disparue, dont les zélotes refusaient le contact physique ; quand les Roms arrivèrent, les byzantins, qu’on a connu plus rigoureux dans leur réflexion, les prirent pour des membres de cette secte), ce qui donnera tsigane, Zigeuner en allemand et Zingaro en italien. Ceci explique que leur foyer historique se situe dans les actuelles Turquie, Roumanie, Bulgarie, pays qui restent les trois principales populations de Roms, et dans les Balkans (ex-Yougoslavie).

Outre des professions liées au spectacle ambulant, les Roms se sont spécialisés dans des professions comme ferronniers et chaudronniers, Γύφτοs, Gyftos, ce qui donnera Gypsies en anglais, Gitano en espagnol, et Gitan et Égyptien en Français (dans Notre Dame de Paris, la Recluse appelle Esmeralda « Égyptienne » ; et Scapin appelle Zerbinette « crue d’Égypte »).

Le roi de Bohême (actuelle république Tchèque) leur accordera au XVe siècle un passeport facilitant leur circulation en Europe, d’où leur nom de Bohémiens. De même, le Pape leur accordera sa protection (Benoît XVI est donc une fois de plus un grand conservateur) Leur arrivée en France est attestée à Paris en 1427 par le Journal d’un Bourgeois de Paris (qui leur fit très bon accueil) — C’est d’ailleurs à cette époque que se situe l’action du roman d’Hugo Notre Dame de Paris.

Pour en finir avec les différents noms qu’on leur donne, Romanichel vient du romani Romani Çel, « groupe d’hommes », Manouche semble venir du sanskrit manusha, « homme », soit le mot Rrom en romani, et Sinti semble venir du mot Sind, la rivière qui a donné son nom à la province du Sindh dont sont originaires les Roms. Sinti et Manouche désignent la même population rom établie dans les pays germanophones et presque intégralement exterminés lors de la Seconde guerre mondiale C’est pourquoi le mot Tsigane, évoquant l’allemand Zigeuner, d’où le Z tatoué sur les prisonniers roms, est considéré comme blessant aujourd’hui .

Il convient ici de rappeler que les Roms ont été, aux côtés des Juifs, les cibles prioritaires de la politique d’extermination nazie. Le nombre de victimes du génocide, que les Roms appellent Samudaripen (« meurtre collectif total »), se situe aux alentours de 500 000, avec pour les Sinti allemands entre 90 et 95% de morts.

Ces mots peuvent être utilisés indifféremment pour désigner les Roms, encore que les siècles d’installation dans des pays différents ont fait apparaître des différences culturelles profondes. Même la langue romani n’est plus un dénominateur commun, puisque les Roms d’Espagne et du sud de la France, les Gitans, parlent le kalo, un sabir mâtiné d’espagnol, depuis qu’une loi espagnole punissait de la mutilation de la langue le fait de parler romani (les espagnols ont un atavisme profond avec les langues, mais c’est un autre sujet).

En 1971 s’est tenu à Londres le Congrès de l’Union Rom Internationale (IRU) qui a adopté le terme de « Rom » pour désigner toutes les populations du peuple rom, d’où l’usage de ce terme dans ce billet (ce que les gitans refusent, eux se disent kalé). Le mot rom ne vient donc absolument pas de Roumanie, ni de Rome, bien que ce peuple se soit installé en Roumanie et auparavant dans l’Empire romain d’Orient.

Je ne puis conclure ce paragraphe sans vous inviter à lire les commentaires de cet article, où je ne doute pas que des lecteurs plus érudits que moi apporteront de précieuses précisions ou, le cas échéant, rectifications.

Tous les chemins mènent aux Roms

Les Gens du voyage sont-ils des Roms ? En un mot, non. Le nomadisme n’est pas une tradition chez les Roms, mais une nécessité historique. Aujourd’hui , entre 2 et 4% des Roms sont du voyage, c’est-à-dire ont fait le choix d’une vie nomade. Et beaucoup de gens du voyage ne sont pas roms, comme les Yéniches, que l’on prend souvent pour des Roms. Les forains sont aussi nomades, mais du fait de leur profession, et pour la plupart ne sont pas Roms. Et si demain, il vous prenait la fantaisie de vivre une vie nomade, vous deviendriez aussitôt Gens du Voyage, sans pour autant devenir Rom (sauf aux yeux des lecteurs du Figaro). Un abus de langage est apparu du fait que la Constitution française interdit toute distinction sur une base ethnique. Le terme de Gens du Voyage, neutre de ce point de vue, est souvent employé aux lieu et place du mot Rom. Or ce ne sont pas des synonymes.

Ce qui d’emblée montre que le problème des occupations illégales de terrains, publics ou privés, par des Roms ne vient pas uniquement du fait que la loi Besson (pas Éric, non, celui qui est resté de gauche, Louis) du 5 juillet 2000, qui oblige les communes de plus de 5000 habitants à prévoir des aires d’accueil, est allègrement ignorée par la majorité des maires.

Quand un Rom viole la loi, c’est mal. Quand l’État viole la loi, c’est la France. Laissez tomber, c’est de l’identité nationale, vous ne pouvez pas comprendre.

La majorité des Roms en France sont Français, et leur famille l’est même depuis plusieurs siècles. Les Roms ont de tout temps adopté le style de vie des pays où ils se sont installés, jusqu’à la religion (ils sont catholiques en France, protestants en Allemagne, musulmans en Turquie et dans les Balkans), et il ne viendrait pas à l’idée d’un Rom de donner à ses enfants un prénom qui ne soit pas du pays où il nait (lire les prénoms des enfants d’une famille rom permet parfois de retracer leur pérégrination ; exemple : Dragan, Mikos, Giuseppe, Jean-Pierre). Cela ne les empêche pas de garder vivace la tradition rom, à commencer par la langue romani, et l’importance primordiale de la famille élargie (la solidarité n’est pas un vain mot chez les Roms). Il est d’ailleurs parfaitement possible qu’un de vos collègues de travail soit Rom et que vous ne l’ayez jamais soupçonné.

Naturellement, ces Roms ne sont pas personnellement menacés par la politique actuelle, même s’il est probable qu’ils la vivent assez mal.

Les Roms étrangers sont donc quant à eux des migrants qui veulent une maison qui ne bouge pas, et habitent des habitations de fortune, triste résurgence des bidonvilles. Ils viennent de pays qui ont toujours refusé l’intégration des Roms, en faisant des parias dans leur propre pays. Même si l’intégration à l’UE de ces pays a conduit à un changement total de politique, les états d’esprit, eux n’ont pas changé, et le rejet répond hélas souvent au rejet. Certains Roms se sont sédentarisés et tant bien que mal intégrés, comme les Kalderashs (du roumain Căldăraşi, chaudronniers, habiles travailleurs du métal, en particulier du cuivre) ; d’autres, comme les nomades, forment une société fermée et hostile aux gadjé — aux non-Roms. La plupart des Roms de Roumanie qui viennent en France sont des kalderashs, et non des nomades, fuyant la misère et le rejet dont ils font l’objet dans leur pays. Donc, pas des gens du voyage.

Les roms des Balkans (ils sont nombreux en Serbie et au Kosovo) fuient eux aussi la misère, même si certains demandent l’asile (très peu l’obtiennent) prétendant faire l’objet de persécutions. Il faut reconnaître que lors de la guerre du Kosovo en 1999, des Roms ont été recrutés par les troupes serbes pour se livrer à des opérations militaires de nature à intéresser le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), et se sont acquittés de cette tâche avec un zèle qui n’a pas laissé de très bons souvenirs auprès des populations kosovares (j’entends par là : albanais du Kosovo).

Des Roms, des stats et de la bière nom de Dieu

Une question se pose, et je ne tiens pas à l’éluder : celle des Roms et de la délinquance. Le lien est certain, les chiffres ne mentent pas. Partout en Europe, les Roms sont bien plus victimes de la délinquance que les autres populations. Destructions de biens, agressions racistes, sur lesquelles les autorités ferment bien volontiers les yeux, d’autant plus que les Roms, on se demande pourquoi, ont développé à leur encontre une certaine méfiance, quand ce ne sont pas des pogroms. Sans compter les crimes contre l’humanité subis par ce peuple, que ce soit le génocide nazi ou la réduction en esclavage en Valachie et en Moldavie —oui, des esclaves en Europe— jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle.

Ce n’est pas une boutade, c’est une réalité : la délinquance, les Roms en sont d’abord victimes. On a déjà vu que même en France, État de droit imparfait mais État de droit, l’État ne respecte pas la loi Besson. Vous verrez dans la suite de ce billet qu’au moment où je vous parle, il fait encore pire à leur encontre puisque la politique d’expulsion mise en œuvre est illégale. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les juges administratifs. L’Union européenne l’a remarqué. Le Conseil de l’Europe l’a remarqué. L’ONU l’a remarqué. Le Pape l’a remarqué. L’UMP n’a rien remarqué.

Mais n’esquivons pas la question de la délinquance de Roms. De Roms, pas DES Roms. Elle existe, c’est indéniable, ne serait-ce du fait qu’aucun groupe humain n’est épargné. Est-elle plus élevée que dans les autres groupes sociaux ? C’est probable.

Évacuons rapidement une question sur laquelle je reviendrai dans le prochain billet : l’occupation sans droit ni titres de terrains publics ou privés. Il ne s’agit pas de délinquance, puisqu’au pire (occupation d’un terrain public), ces faits sont punis d’une contravention de grande voirie.

Les causes premières de la délinquance, au-delà du mécanisme intime et personnel du passage à l’acte, qui fonde la personnalisation de la peine, sont la pauvreté (liée au chômage ou à la précarité de l’emploi ; un CDD est aussi rare dans une audience correctionnelle que la vérité dans la bouche d’Éric Besson), l’exclusion (qu’entraîne mécaniquement le fait d’être sans-papier, notamment), le faible niveau d’instruction (qui empêche d’accéder aux professions rémunératrices), outre le fait que la délinquance concerne surtout des populations jeunes (le premier enfant a un effet remarquable sur la récidive).

Vous avez remarqué ? Je ne viens pas de vous dresser un portrait du jeune versaillais. Plutôt celui du jeune Rom des terrains vagues. Ou du jeune des cités, soit dit en passant pour la prochaine fois ou on tapera sur eux. À vous de voir avec votre conscience si vous voulez y ajouter une composante génétique.

Parce qu’aucune statistique n’existe sur la délinquance des Roms. Aucune. Tout simplement parce que ce serait interdit : Rom est une origine ethnique, or la loi prohibe la constitution de fichier sur des bases ethniques ou raciales — suite à un précédent quelque peu fâcheux.

Donc quand le ministre de l’intérieur Brice Hortefeux, que l’on a connu plus méticuleux en matière d’arithmétique ethnique, prétend présenter des statistiques de la délinquance des Roms pour justifier la politique du Gouvernement, il ment. Je sais, ça devient une tradition de ce Gouvernement, mais que voulez-vous, je n’arrive pas à m’y faire. Quelqu’un, je ne sais plus qui, m’a mis dans la tête l’idée saugrenue de République exemplaire, du coup, je fais un blocage.

Le ministre de l’intérieur a cru devoir présenter publiquement (sur RTL) le 25 août des statistiques fondées sur « une étude des services de police », non sur l’origine ethnique, interdite, mais sur la nationalité du délinquant, roumaine en l’occurrence.

Mes lecteurs ayant suivi jusqu’ici ont déjà compris l’inanité de l’affirmation. Rom ne veut pas dire Roumain, et le ministre joue ici sur la ressemblance des termes, et l’inculture de son auditoire. Mes lecteurs sachant faire la différence entre un mot sanskrit et un mot latin, je ne m’attarderai pas sur ce stratagème grossier, qui ne trompera que qui veut être trompé.

De plus, les services de police, même si on leur fait perdre un temps précieux depuis des années à collectionner des statistiques inutiles hormis à la communication gouvernementale, ne sont pas un service de statistique. La méthode de récolement des données n’a rien de scientifique et n’a jamais eu la prétention de l’être. Elle repose sur les délits constatés ou dénoncés, ayant donné lieu à élucidation. Donc préalablement à enquête. Or la distribution des effectifs et des moyens (limités, et de plus en plus du fait de ce même Gouvernement) dépend pour l’essentiel des directives données par ce même Gouvernement.

Je m’explique. Le Gouvernement estime que l’opinion publique, qu’il confond hélas trop volontiers avec le peuple souverain, est particulièrement remontée contre les vols à la tire (les pickpockets) ou à l’arraché (qui en est une variante un peu plus bourrin) dans les transports en commun. Le ministre de l’intérieur va demander aux forces de police de mettre la pression contre cette délinquance. Le commissaire de police va recevoir cette instruction et va redistribuer ses effectifs, qui préalablement luttaient contre les violences faites aux personnes, sur les voleurs du métro. Mécaniquement, le nombre d’interpellation pour des faits de violence va baisser. Les policiers interviendront toujours lors d’une bagarre, mais n’arrêteront personne pour des faits de violences légères, puisque leur mission est de surveiller les voleurs à la tire. Un délit constaté de moins = baisse de la statistique correspondante, sans que la réalité n’ait changé en quoi que ce soit. En revanche, plus de voleurs à la tire seront arrêtés (car la police reste malgré tout plutôt efficace dans son boulot). Augmentation de la statistique, sans lien avec l’évolution de la réalité. Voilà la méthodologie qui préside à la confection de ces statistiques.

C’est pourquoi le ministre peut proclamer des chiffres aussi aberrants, et sans hélas faire tiquer qui que ce soit, qu’une augmentation de 138% en un an de la délinquance roumaine. Personne ne fait le lien avec une autre donnée, qui indique que 13,65% des auteurs de ces vols seraient Roumains (sous-entendu : Roms). C’est-à-dire que 13,65% des délinquants sont responsables d’une augmentation de 138% des délits. Qui a dit que les Roms étaient des feignants ?

D’autant plus que pour fréquenter un peu les prétoires parisiens, je suis assez bien placé pour savoir qu’il existe aussi une délinquance roumaine non-rom, assez active ces derniers mois, dite de l’escroquerie aux « Yes-card ». Une Yes-card est une fausse carte de crédit qui, quel que soit le code que vous tapez, renvoie toujours une réponse positive au lecteur, faisant croire que la banque a accepté la transaction. Des Roumains achètent ainsi des vêtements de marque et des parfums, et vont les revendre à Bucarest. C’est une atteinte aux biens, commise par des Roumains, mais pas par des Roms. Sauf dans les statistiques de M. Hortefeux.

Brisons là, ce billet mérite je pense d’être soumis à vos commentaires. Le deuxième volet sera centré sur le droit des étrangers et portera sur les mesures actuelles d’expulsion, pour lesquelles le Gouvernement use selon les cas de deux méthodes : soit violer la loi, soit se payer votre tête.

Et fort cher, si ça peut vous consoler.

mardi 3 août 2010

Cadeau Bonus

Il n’y a pas que la décision du Conseil constitutionnel dont la lecture nous donne un sourire d’une oreille à l’autre. La victoire à des à-côtés plaisants. En voici un.

Communiqué de presse du syndicat Synergie Officier (avec mes commentaires en italique).

NB : ce n’est pas un fake, ce communiqué est absolument authentique(pdf). Y compris les majuscules et le logo fait avec WordArt.


Oh le beau logo fait avec le tuto de Word Art ; demain, je t'apprends à utiliser Inkscape

Paris, le 30 juillet 2010

GAV INCONSTITUTIONNELLE : ET APRÈS ?

SYNERGIE OFFICIERS, prend acte de la décision du Conseil Constitutionnel d’annulation du régime « généraliste » de la garde à vue tout en maintenant les régimes dérogatoires (terrorisme, stupéfiants…) et en s’abstenant de prescriptions précises quant à la refonte des textes en vigueur.

Il y en a qui ont séché le cours sur la séparation des pouvoirs…

SYNERGIE OFFICIERS s’étonne que cette décision nébuleuse intervienne alors que le Chef de l’État fixe dans le même temps des objectifs ambitieux de lutte contre la délinquance dans un contexte d’explosion de la violence.

Nébuleux, se : adj. : trop compliqué pour un syndiqué. syn. : Droits de la défense.

SYNERGIE OFFICIERS voit toutefois en cette décision une conformation hâtive et aveuglément servile à une jurisprudence de la CEDH[1] qui prête encore aujourd’hui à confusion quant au rôle de l’avocat dans la garde à vue.

CEDH qui n’est pas visée dans la décision, qui n’applique que des principes constitutionnels. Effectivement, cette décision était nébuleuse.

SYNERGIE OFFICIERS déplore que l’activisme du lobby des avocats s’exerce au mépris du droit à la sécurité des plus faibles pour la satisfaction commerciale d’une profession libérale, dont le travail ne consiste pas en la manifestation de la vérité mais en l’exonération de la responsabilité de leurs clients, fussent-ils coupables !

Tiens, il y en a qui ont déjà oublié leur condamnation pour injure pour avoir tenu des propos similaires ? Je croyais Synergie Officiers plus remontée contre la récidive.

SYNERGIE OFFICIERS exige que les professionnels de l’enquête judiciaire que sont les Officiers de Police soient associés de plein droit aux réflexions de fond qui présideront à la mise en place de la future politique pénale de notre pays, afin que soit préservé le nécessaire équilibre entre droits des victimes, nécessité de l’enquête et droits de la défense.

Sur ce point, rien à redire. Il me paraîtrait aberrant de ne point consulter les OPJ. De terrain, s’entend.

SYNERGIE OFFICIERS redoute, une fois de plus, que l’intérêt collectif soit sacrifié sur l’autel de principes éthérés au mépris des réalités criminelles contemporaines et des difficultés insupportables qui entravent le travail des policiers pour la manifestation de la vérité.

Éthéré : adj. Syn. : Constitutionnel.
Difficultés insupportables : loc. Droits de la défense. v. Nébuleux.

SYNERGIE OFFICIERS met en garde nos décideurs sur les conséquences fâcheuses de décisions précipitées et coupées du réel qu’ils devront assumer quand il s’agira d’affronter les scandales judiciaires à venir (compromission d’enquête, disparition de preuves, pression sur les victimes, représailles sur les témoins…)

Car les pièces ne disparaissent jamais des dossiers quand les avocats ne sont pas là. Demandez aux familles des disparus de l’Isère. Et jamais on n’obtient de faux aveux en garde à vue loin de l’avocat. Demandez à Patrick Dils ou aux mânes de Richard Roman.

Signé : Le Bureau National

Bureau. n.m. Syn. : Front.


NB : Synergie officier est le deuxième des deux syndicats d’officiers de police ; affilié à la CFE-CGC, il a obtenu 44,8% des voix aux élections professionnelles de 2006 et 44,5% aux élections professionnelles de janvier 2010, derrière le Syndicat National des Officiers de Police (SNOP), affilié à l’UNSA, nettement plus modéré. La participation est de l’ordre de 87% chez les officiers. Même minoritaire, il est indiscutablement représentatif. Son pendant dans le corps des gardiens de la paix est Alliance Police Nationale, lui aussi second avec 37,61% des voix (82,79% de participation).

Il me tarde de faire leur connaissance lors des gardes à vue.

Notes

[1] Cour Européenne des Droits de l’Homme.

dimanche 25 juillet 2010

Bon débarras

Le nettoyage du Code de procédure pénale au Kärcher® par le Conseil constitutionnel a commencé. En attendant le gros morceau de la garde à vue (délibéré le 30 juillet).

Par une décision n°2010-15/23 QPC du 23 juillet 2010 (Région Languedoc-Roussilon et autres), le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article 575 du Code de procédure pénale (CPP).

Cet article défunt (puisque cette décision vaut abrogation dès sa publication au JO) limitait la possibilité pour la partie civile, donc celui qui se prétend directement victime d’une infraction, de former un pourvoi en cassation contre un arrêt de la chambre de l’instruction sans qu’il fût besoin que le ministère public se pourvût lui-même préalablement, aux seuls cas qu’il prévoyait[1].

Le problème n’est pas évident, je le reconnais, parce qu’il apparaît en creux.

Le mis en examen, c’est à dire la personne fortement soupçonnée, et le ministère public peuvent se pourvoir en cassation, donc exercer la seule voie de recours possible, contre tous les arrêts de la chambre de l’instruction. Pas la partie civile, c’est à dire la victime (même si ce terme est prématuré, tant qu’un jugement ne dit pas les faits établis). Et ce sont les éléments absents de cette liste qui posaient problème, un tout particulièrement.

En effet, la partie civile ne pouvait former un pourvoi en cassation contre un arrêt de non lieu, qui pourtant met fin aux poursuites, pas plus qu’elle ne le pouvait en cas de violation de la loi par les arrêts de la chambre de l’instruction statuant sur la constitution d’une infraction, la qualification des faits poursuivis et la régularité de la procédure. Si le ministère public le faisait, elle pouvait se joindre à l’action et présenter ses arguments. Mais si le ministère public ne bougeait pas, la partie civile se trouvait Gros Jean comme devant. Cela mettait une partie dans une situation de dépendance à l’égard d’une autre sans que rien ne vînt le justifier, et portait une atteinte au principe d’égalité devant la justice.

Le Conseil constitutionnel y a mis bon ordre, puisque sa décision, publiée au JO d’hier, a abrogé cet article ce matin à zéro heure (je salue mes lecteurs avocats aux Conseils et ai comme eux biffé de rouge mon code le sourire aux lèvres).

C’est sans une des plus grandes avancées du droit des victimes de ces dix dernières années. Il est amusant de noter qu’elle ne provient nullement d’une initiative gouvernementale, mais du pouvoir judiciaire. Ça valait bien un billet un dimanche.

Notes

[1] Au nombre de sept : 1° Lorsque l’arrêt de la chambre de l’instruction a dit n’y avoir lieu à informer ; 2° Lorsque l’arrêt a déclaré l’irrecevabilité de l’action de la partie civile ; 3° Lorsque l’arrêt a admis une exception mettant fin à l’action publique ; 4° Lorsque l’arrêt a, d’office ou sur déclinatoire des parties, prononcé l’incompétence de la juridiction saisie ; 5° Lorsque l’arrêt a omis de statuer sur un chef de mise en examen ; 6° Lorsque l’arrêt ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale ; 7° En matière d’atteintes aux droits individuels telles que définies aux articles 224-1 à 224-5 (enlèvement et séquestration) et 432-4 à 432-6 (atteintes à la liberté individuelle par l’administration) du code pénal.

samedi 12 juin 2010

Le jugement condamnant Brice Hortefeux pour injure raciale

Voici le texte, commenté par votre serviteur, du jugement rendu par la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris le 4 juin 2010 condamnant Brice Hortefeux pour injure raciale, en la requalifiant d’injure raciale non publique (qui n’est pas un délit mais une simple contravention).

Il commence tout d’abord la synthèse des arguments des parties.

On apprend ainsi que l’action a été lancée par le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP), et que se sont jointes à son action (on appelle cela intervenir) les associations Soutien Ô Sans-papiers (SOS), l’association AVER “Centre de Recherche et d’Action sur toutes les Formes de Racisme” (AVER), et l’association Les Indigènes de la Républiques (LIR).

La loi permet en effet aux victimes directes d’une infraction de mettre elle-même en mouvement l’action publique concurremment au Parquet, ainsi que, pour toute une série de délit, à des associations dont c’est l’objet social et qui ont au moins cinq années d’ancienneté. S’agissant des délits de diffamation, d’injure et d’incitation à la haine raciale, c’est l’article 2-1 du Code de procédure pénale (CPP). La partie civile qui met en mouvement l’action publique doit préalablement verser une consignation, une somme fixée par le juge saisi pour garantir le paiement d’une éventuelle amende civile pour action abusive. Faute de quoi, son action est irrecevable. Art. 392-1 du CPP. Les parties civiles intervenantes, elles, n’ont pas à consigner.

Les demandes du MRAP

…Le tribunal a entendu :

Le conseil du MRAP qui, développant ses conclusions écrites, a sollicité la condamnation du prévenu à payer au MRAP une somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec versement provisoire, outre la publication intégrale du dispositif du jugement à intervenir dans trois quotidiens ou périodiques de son choix aux frais de Brice Hortefeux, et une somme de 3 588 euros sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale,

La position du parquet

Le ministère public en ses réquisitions, d’avis que l’un des deux propos visés à la prévention relevait de l’incrimination d’injure à raison de l’origine, mais que la responsabilité pénale de Brice Hortefeux ne saurait être engagée, faute que soient établis, compte tenu notamment de la valeur probante incertaine des documents vidéos dont se prévaut la partie civile et des circonstances dans lesquels l’échange entre personnalités de l’UMP et militants a été capté puis diffusé, l’élément de publicité qui caractérise le délit et, en tout état de cause, l’intention de leur auteur que les propos reprochés soient entendus au-delà du cercle restreint et amical de sympathisants liés entre eux par une communauté d’intérêts,

La position de la défense

la défense qui a souligné l’insuffisante valeur probante des documents audiovisuels versés aux débats au soutien de la prévention, l’absence de caractérisation du délit, compte tenu notamment de l’aspect décousu de l’échange tel qu’il peut être perçu et dans lequel Brice Hortefeux n’évoque à aucun moment un groupe de personnes déterminées par leur origine, l’absence de toute publicité, les propos ayant été tenus entre militants d’un même mouvement politique qu’une caméra dissimulée a subrepticement surpris, l’absence, en tout état de cause, de toute intention de publicité, eu égard au “comportement trouble et déontologiquement tendancieux” du cameraman, et qui s’est prévalue de nombreux témoignages ou déclarations récusant toute tendance ou tentation raciste de Brice Hortefeux et faisant état de nombreuses initiatives de sa part aux fins de lutter contre toute forme de racisme ou de discrimination, pour solliciter la relaxe.

La défense de M. Hortefeux estime que les preuves sont insuffisantes, ce qui ne mange pas de pain, tout l’objet de l’audience est précisément d’apprécier les preuves produites ; qu’en tout état de cause, les propos litigieux sont décousus et en somme ne voudraient rien dire, ce qui n’est pas un délit ; que les propos n’ont pas été tenus publiquement au sens de la loi de 1881 sur la presse (j’attire votre attention sur ce point, car la défense va l’emporter sur cet argument), et que M. Hortefeux ne serait pas raciste comme en témoignerait ses amis et actions. Ce dernier argument est inopérant juridiquement mais peut être important pour le prévenu. La loi ne sanctionne aucune idée ou opinion, aussi abjecte fût-elle. C’est l’expression de cette opinion qui est sanctionnée. Un raciste authentique peut échapper à la condamnation en pesant ses mots, tandis qu’un anti-raciste tout aussi authentique peut malgré tout être condamné, comme l’a découvert à ses dépens l’humoriste Patrick Sébastien, condamné en 1995 pour un sketch où il imitait Jean-Marie Le Pen chantant un pastiche de la chanson de Patrick Bruel “Casser la voix”, rebaptisée “casser du noir”.

En outre, elle soulève deux arguments de procédure que nous allons voir tout de suite.

Sur l’exception de nullité

La défense excipe de la nullité de la citation directe au motif qu’elle a été délivrée au ministère de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des Collectivités territoriales, place Beauvau à Paris et non, comme l’exigent les dispositions des articles 550 à 558 du code de procédure pénale, au domicile personnel du prévenu situé dans le Puy-de- Dôme.

La loi de 1881 sur la liberté de la presse pose des règles de procédure très strictes qui sont autant de protection à a liberté d’expression. L’une d’entre elle est que l’auteur des propos poursuivis soit cité, c’est à dire reçoive la convocation par huissier à son domicile personnel et non en un autre lieu, par exemple sur son lieu de travail. Or le MRAP a fait délivrer sa citation Place Beauvau, au ministère de l’intérieur. La défense ajoute que cela créerait une ambigüité sur le point de savoir si Brice Hortefeux était cité en tant que ministre ou en tant que personne privée, ce qui nuirait à sa défense. Réponse du tribunal, qui écarte l’argumentation :

C’est à juste titre cependant que la partie civile poursuivante, qui justifie au demeurant par une note en délibéré -qui n’a pas été factuellement contestée- que Brice Hortefeux dispose d’un logement de fonction au sein du ministère de l’Intérieur, où il réside habituellement, soutient que ce dernier pouvait régulièrement être cité à cette adresse, laquelle, compte tenu des fonctions qui sont les siennes, constitue une résidence revêtant les caractères de certitude et de stabilité qui lui confèrent, durant tout le temps d’exercice de ses fonctions ministérielles, la qualité de domicile, au sens de l’article 556 du code de procédure pénale.

Il sera au demeurant relevé que l’article 555 du même code fait obligation à l’huissier de “faire toutes diligences pour parvenir à la délivrance de son exploit à la personne même de son destinataire”, ce qui pouvait naturellement justifier, s’agissant d’un ministre en fonctions, que l’acte fût délivré à l’adresse du lieu d’exercice de la charge publique qui lui a été confiée -où il a été remis à son chef de cabinet-, le prévenu ayant d’ailleurs établi le pouvoir, appelé à être remis au tribunal, autorisant son conseil à le représenter aux audiences sur papier en-tête du ministère de l’Intérieur, place Beauvau à Paris, attestant ainsi la réalité de cette domiciliation.

Ça, c’est un beau #FAIL, comme on dit sur Twitter. Quand on prétend que son domicile n’est pas le ministère de l’intérieur (ce qui est possible, on sait qu’aujourd’hui, le domicile réel est distinct du logement de fonction, qui n’est pas forcément occupé par le titulaire de la fonction), on évite d’utiliser du papier à en-tête du ministère de l’intérieur pour sa correspondance privée.

Enfin, le grief allégué en défense tenant à l’ambiguïté, qu’aurait suscitée la délivrance de l’acte au ministère de l’Intérieur, sur la qualité en laquelle Brice Hortefeux était poursuivi devant le tribunal correctionnel est inopérant, cette juridiction étant dépourvue de compétence pour statuer sur des poursuites engagées contre des ministres à raison de faits commis en cette qualité dans l’exercice de leurs fonctions.

Aussi, le moyen de nullité sera-t-il rejeté.

Le tribunal rappelle que la Constitution a crée la Cour de Justice de la République pour juger les ministres pour les faits commis dans l’exercice de leurs fonctions. Donc le fait que M. Hortefeux soit cité devant un tribunal de droit commun lève toute ambigüité : c’était forcément en qualité de personne privée. L’auteur approuve.

Sur le moyen d’irrecevabilité opposée à la partie civile poursuivante :

La défense soulève un deuxième argument : l’article 48-1 al. 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse impose aux associations anti-racistes exerçant les droits de la partie civile dans le cadre d’une infraction visant un individu isolément de justifier avoir reçu l’accord de ce dernier. Or, Amine, le militant UMP un peu trop auvergnat, n’a pas donné son accord pour de telles poursuites.

Réponse du tribunal :

C’est vainement que la défense se prévaut des dispositions de l’article 48-1, deuxième alinéa, qui subordonnent la recevabilité des associations légalement habilitées à exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne, notamment, l’infraction d’injures publiques envers des personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, à la justification de l’accord des personnes concernées, alors qu’une telle condition n’est faite que lorsque ” l’infraction poursuivie a été commise envers des personnes considérées individuellement” et non lorsque l’injure alléguée est poursuivie, comme en l’espèce, pour avoir été commise à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur origine.

Les arguments procéduraux étant écartés, le tribunal est valablement saisi et doit statuer sur la prévention. Place aux arguments de fond, tels qu’annoncés.

Sur la valeur probante des enregistrement audiovisuels produits au soutien des poursuites et la matérialité des propos poursuivis

L’argumentation du tribunal est longue mais se passe de tout commentaire. C’est le tribunal qui graisse.

Deux extraits vidéos ont été versés aux débats de la scène litigieuse, d’une durée inégale, mais manifestement tous deux issus de la même source et provenant des mêmes prises de vues et de son.

Le MRAP a, par ailleurs, fait constater par huissier, le 15 avril 2010, la présence sur le site internet “le monde.fr” de la vidéo dont la chaîne télévisée Public Sénat a revendiqué la paternité en la diffusant dans son intégralité le 11 septembre 2009, laquelle, intitulée “18h00: Hortefeux, la vidéo de Public Sénat”, a été gravée par l’huissier sur CD Rom, versée aux débats et visionnée à l’audience.

On y voit la présentatrice du journal de la chaîne Public Sénat annoncer la diffusion de ce document en ces termes : “Public Sénat a été témoin de cette scène. Nos équipes l’ont enregistrée Nous vous proposons ce soir de voir la scène en intégralité” avant de préciser : ” D’après nos journalistes qui ont assisté à la scène, Brice Hortefeux vient d’arriver à Seignosse sur le site du Campus de l’UMP pour le cocktail qui lance la traditionnelle soirée du samedi soir Il est aux environs de 20h” et d’ajouter, en commentant les images où l’on voit Brice Hortefeux deviser avec Jean-François Copé : “Une discussion inaudible par notre caméra”.

L’authenticité de ce document, il est vrai de qualité d’image et de son médiocre, n’est pas sérieusement contestable, compte tenu de la nature et de la qualité de la source et des précisons livrées par la chaîne Public Sénat aux téléspectateurs sur les circonstances du tournage par ses propres journalistes.

Il sera relevé, en outre, que la chaîne Public Sénat n’a jamais contesté l’authenticité des copies de son reportage disponibles en ligne sur plusieurs sites internet, parmi lesquels “lemonde.fr” -depuis lequel la version produite à l’audience a été gravée par huissier, à la diligence du MRAP-, excluant ainsi l’hypothèse, évoquée en défense et plus allusivement par le ministère public, d’une manipulation du son ou des images qui rendrait incertaine la matérialité des propos tenus.

La scène filmée a lieu lors de la rencontre annuelle organisée par les “Jeunes du Mouvement Populaire”, dénommée “Le Campus de l’UMP”, le samedi 5 septembre 2009, à Seignosse dans les Landes.

Brice Hortefeux bavarde, sur le campus, avec Jean-François Copé, sans que la conversation entre les deux hommes ne soit audible. Quelques personnes s’approchent de ces derniers et un jeune homme se détache d’un groupe pour demander au ministre s’il accepterait de poser à son côté pour une photographie.

Brice Hortefeux répond plaisamment “Non, parce que passé vingt heures, je ne suis plus payé”, ce qui provoque cette réflexion amusée de >Jean-François Copé : “N’oubliez jamais un truc, il est Auvergnat”, qui est suivie par l’échange suivant :
Brice Hortefeux : Je suis Auvergnat.
Jean-François Copé : Il est Auvergnat, c’est un drame. C’est un drame.
Brice Hortefeux : Enfin, bon, je vais faire une exception!

Le jeune homme prend alors place entre les deux hauts responsables de l’UMP, tandis que son prénom, ” Amine” , fuse à plusieurs reprises au sein du groupe, plusieurs personnes, munies d’appareils photos, profitant manifestement de l’instant pour prendre elles-mêmes un cliché de la scène.

C’est alors qu’un des participants s’exclame “Ah, ça Amine, c’est l’intégration, ça, c’est l’intégration” tandis qu’on entend une voix d’homme féliciter le jeune homme “Oh, Amine, bravo !” et une voix de femme dire “Amine, franchement …

Le ministre, de dos à la camera, fait une remarque sur la taille du militant (“Il est beaucoup plus grand que nous en plus”), puis un homme précise “Lui, il parle arabe, hein”, déclenchant quelques rires qui font dire à Jean-François Copé, blagueur, “Ne vous laissez pas impressionner, ce sont des socialistes infiltrés”.

La caméra contourne le groupe qui paraît se disloquer, une fois les photographies prises, et dorme à voir très distinctement, en un plan plus rapproché, une main de femme qui caresse affectueusement la joue du jeune hommes tandis qu’une autre, qui se trouve immédiatement à côté du ministre, ce dernier à cet instant de trois quarts dos à la caméra, précise : “Il est catholique, il mange du cochon et il boit de la bière”, à quoi Amine B… (c’est le nom du militant en question) réplique : “Ben oui”, avant que Brice Hortefeux lance à la cantonade: “Ah mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype alors. C’est pas du tout ça”, déclenchant à nouveau des rires.

Passons pudiquement sur l’injure à la langue française, le ministre confondant prototype et archétype.

La même militante, qui se trouve face au ministre, celui-ci toujours de trois quarts dos à la caméra, lui dit en le regardant : “C’est notre… c’est notre petit arabe”, ce à quoi Brice Hortefeux réplique, en regardant son interlocutrice : “Il en faut toujours un. Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes”, avant de prendre congé du groupe par ces mots “Allez, bon, courage, hein”.

Seuls les propos ci-dessus reproduits en caractères gras sont poursuivis.

En dépit de la médiocre qualité de cet enregistrement, où Brice Hortefeux se trouve toujours de trois quarts dos, ignorant manifestement la caméra, l’enchaînement des propos échangés, comme la teneur de ceux qui sont proférés par les différents acteurs de la scène, ne sont susceptibles de contestation ni sur leur matérialité ni sur leur imputabilité.

Le tribunal porte ici une appréciation catégorique : tout argument visant à prétendre que ces propos n’ont pas été réellement tenus est sans fondement, car ils ne font aucun doute dans leur teneur et dans leur contexte. Demeure une question : sont-ils injurieux en raison de l’origine des personnes visées ? Voilà le cœur de la décision, et l’analyse est minutieuse.

Sur le caractère injurieux à raison de l’origine des propos poursuivis

Il sera rappelé que l’injure est définie, par l’article 29 , alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881, comme “toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait” et qu’elle est plus sévèrement punie lorsqu’elle est commise envers une personne ou un groupe de personnes “à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ou encore, dans un autre registre, à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap.

La vidéo diffusée par la chaîne Public Sénat établit à l’évidence qu’en s’exclamant “Ah mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype alors. C’est pas du tout ça”, Brice Hortefeux réplique à une militante qui venait de préciser que le jeune Amine, dont il avait été précédemment indiqué qu’il parlait arabe, était catholique, mangeait du cochon et buvait de la bière.

L’emploi du mot “prototype” appliqué à une personne - en l’espèce le jeune militant de l’UMP dont le groupe qui entoure Brice Hortefeux souligne l’origine arabe supposée-, déjà malheureux et incongru en lui-même [Ah, merci de relever d’office - NdEolas], laisse entendre que tous les Arabes de France seraient semblables, nécessairement musulmans et qu’ils se conformeraient tous aux prescriptions de l’Islam, seul le jeune Amine faisant exception.

Le propos peut surprendre par la généralisation à laquelle il procède et choquer, au regard du principe républicain de laïcité, par l’assignation qu’il opère entre un groupe de personnes défini par leur origine et telle religion ou telles pratiques religieuses déterminées, supposées constituer un élément d’identification du groupe en tant que tel et, nécessairement quoique implicitement, de différenciation de ce groupe du reste de la communauté nationale.

De nature à flatter le préjugé ou à favoriser les idées reçues, il est à tous égards contestable. Mais il ne saurait être regardé comme outrageant ou traduisant du mépris à l’égard des personnes d’origine arabe, auxquelles seule une pratique religieuse, de libre exercice, est imputée, le serait-elle abusivement ou inexactement.

S’agissant du second propos reproché, il n’est pas douteux, en dépit des premiers éléments d’explication qui ont pu être donnés tant par Brice Hortefeux que par le jeune militant de l’UMP, Amine B…, le premier ayant un temps soutenu qu’il évoquait les Auvergnats, le second que seuls les photographes de presse étaient visés, que la phrase “Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes” se rapporte aux personnes d’origine arabe.

L’enregistrement de Public Sénat est sans ambiguïté sur ce point : l’échange provoqué par l’initiative du jeune Amine qui souhaite poser pour une photo aux côtés du ministre suscite depuis quelques instants les exclamations du groupe qui hèle son prénom, précise qu’il parle arabe, qu’il n’est pas comme les autres, jusqu’à ce qu’une militante s’adressant à Brice Hortefeux lui glisse la phrase “C’est notre… c’est notre petit arabe”, laquelle suscite aussitôt la réplique du ministre, qui ne se rapporte à rien d’autre.

L’affirmation ainsi proférée, sous une forme lapidaire qui lui confère un caractère d’aphorisme, est incontestablement outrageante, sinon méprisante, pour les personnes concernées, qui -à la différence du propos précédent- ne se voient pas seulement exclusivement définies par leur origine, indépendamment de ce que postule le libre arbitre ou de ce qui fait une individualité, la singularité d’un parcours, les qualités ou les défauts d’un caractère, mais sont présentées comme facteur de “problèmes”, soit négativement, du seul fait de leur origine, laquelle révélerait une essence commune dans les limites de laquelle il conviendrait de les enfermer.

Ainsi exprimé, le propos ne se réfère à aucun fait précis, il souligne sinon une menace, du moins une difficulté ou une préoccupation d’ordre général, en ne l’imputant à rien d’autre qu’à l’origine réelle ou supposée des personnes, et à leur nombre.

Il est punissable aux termes de la loi, dès lors qu’il vise indistinctement un groupe de personnes non autrement identifiées que par un des éléments énoncés par l’article 33, alinéas 3 ou 4, de la loi du 29 juillet 1881 : origine, appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ou encore sexe, orientation sexuelle, handicap. Il le serait, sous cette forme (“Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes”), pour tout autre groupe de personnes défini par un quelconque des critères, énoncés par la loi, de détermination du groupe des personnes à protéger (les juifs, les noirs, les catholiques, les femmes, les homosexuels, les non-voyants, etc.). Il l’est, en l’espèce, pour toutes les personnes d’origine arabe,

Je ne pense pas que cette partie du jugement appelle de commentaire. Elle est aussi claire que solidement étayée.

Point suivant, où la défense va enfin remporter une victoire ; la question de la publicité. Le tribunal l’explique fort bien lui même. Laissons-lui la parole.

Sur le caractère public ou non public du propos en cause

Il n’est d’injures publiques, aux termes de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, que si les propos ont été “proférés dans des lieux ou réunions publics“et si la preuve est rapportée de l’intention de leur auteur qu’ils soient entendus au-delà d’un cercle de personnes unies entre elles par une communauté d’intérêts, laquelle est exclusive de toute publicité.

À défaut, la loi punit les injures non publiques de peines contraventionnelles. Enfin, les propos revêtant un caractère confidentiel ne sont pas punissables.

Voilà la règle rappelée, le tribunal va à présent l’appliquer aux faits.

Il sera relevé, en l’espèce, que le propos reproché a été tenu lors d’un échange informel de Brice Hortefeux et Jean-François Copé, au ton badin et décontracté, avec des militants, seuls invités au Campus de l’UMP, lequel était toutefois ouvert à des équipes de journalistes manifestement autorisées par les organisateurs à œuvrer à leur guise pour rendre compte de ces rencontres. La scène se déroule dès lors en un lieu “privatisé” mais ouvert à la presse.

Les images témoignent d’une atmosphère manifestement à la détente, et le groupe d’une quinzaine de personnes qui fait cercle autour du ministre, lorsque le jeune militant UMP sollicite d’être pris en photo à ses côtés, est manifestement un groupe de connaissances : plusieurs d’entre elles se munissent d’appareils photos pour immortaliser l’événement, nombreuses sont celles qui appellent Amine par son prénom, ou évoquent tel ou tel aspect de sa personnalité.

Aucun élément résultant de ces images - seules produites au soutien des poursuites- n’atteste la présence d’un tiers étranger à la communauté d’intérêts que constitue à cet instant ce regroupement de militants qui partagent les mêmes convictions et témoignent de leur sympathie pour le ministre, hors la caméra, que manifestement ce dernier ne voit pas, l’ensemble de la scène le montrant de dos ou de trois quarts dos à l’objectif.

Au demeurant, ce dernier s’exprime sur le ton de la conversation et, s’agissant en particulier du propos retenu comme injurieux, à une militante à laquelle il répond en se tournant vers elle. Ni le niveau de la voix, ni l’attitude de Brice Hortefeux ne révèlent alors l’intention d’être entendu par d’autres que ce cercle de proches, ce dont témoigne d’ailleurs le fait que les auteurs du reportage ont dû incruster la transcription littérale du propos en bas d’image pour qu’il soit parfaitement compréhensible.

En cet état, l’élément de publicité qui caractérise le délit d’injure publique à raison de l’origine ne saurait être regardé comme établi.

Pour autant, l’échange était exclusif de tout caractère confidentiel, et sa révélation dépourvue de toute immixtion fautive dans un domaine protégé, s’agissant du propos d’un responsable politique de premier plan, tenu lors d’un échange avec des militants, dans une enceinte où des journalistes peuvent être présents.

Il sera relevé à cet égard, compte tenu des commentaires dont ce point a fait l’objet à l’audience, qu’il ne saurait être reproché à un journaliste invité à suivre une rencontre de nature politique de faire son travail et de souhaiter informer le public de la teneur des propos échangés en une telle occasion par l’un des principaux responsables d’un parti avec des sympathisants, dès lors que, par leur nature ou par leur tonalité, leur relation contribue à la légitime information du public sur ce dirigeant, exempte de toute immixtion attentatoire à ses droits de personne privée.

La meilleure défense, c’est l’attaque, disent les mauvais stratèges. La défense de Brice Hortefeux a donc tenté de faire le procès des journalistes suivant le ministre et ayant rapporté les propos tenus. Cela dit, elle n’a pas tort : tout le problème vient du fait, non pas que les propos aient été tenus, mais que les journalistes les aient rapporté. Fichue presse libre.

Le prévenu ne saurait cependant, en un tel cas, être pénalement comptable de la publicité faite à un propos non destiné à être rendu public.

Là aussi, rien à redire. Il est certain que le ministre ne voulait pas que ces propos fussent rapportés au public

Par conséquent, le délit reproché d’injure publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine sera requalifié en contravention d’injure non publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine, incriminée par l’article R 624-5 du code pénal qui la punit de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe.

Le tribunal ayant qualité pour requalifier l’infraction poursuivie et disposant de la compétence territoriale pour le faire, compte tenu de ce qui a été dit de la “résidence”, au sens de l’article 522 du code de procédure pénale, de Brice Hortefeux à Paris, ce dernier sera retenu dans les liens de la prévention et condamné à la peine d’amende de 750 euros.

C’est à dire au maximum, ce qui n’est pas innocent, sans jeu de mot. D’ailleurs, le tribunal a gardé un clou pour enfoncer dans le cercueil, vous allez voir.

Place aux parties civiles.

Sur l’action civile

L’article 48-1 de la loi sur la liberté de la presse réserve les droits reconnus à la partie civile, s’agissant des infractions d’injures envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, aux seules associations qui se proposent par leurs statuts d’assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse” régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits.

Le MRAP [Fondé en 1949 - NdEolas] est dès lors recevable en sa constitution de partie civile.

C’est vainement que les parties civiles intervenantes font valoir que la condition d’ancienneté exigée des associations pouvant se constituer partie civile serait contraire à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme en ce qu’elle limiterait leur accès au juge, alors que ce dernier se trouve au contraire facilité par la reconnaissance à certaines associations, aux côtés du ministère public et des victimes directes de l’infraction, du droit de mettre en mouvement l’action publique et d’intervenir au procès alors même qu’elles ne justifieraient d’aucun préjudice personnel autre qu’une atteinte à l’intérêt collectif qu’elles représentent, la condition d’ancienneté contestée n’ayant d’autre objet, compte tenu de la nature de telles prérogatives, que de s’assurer de la réalité et du sérieux de leur objet social.

Il en résulte que les associations “Soutien ô sans papiers”, déclarée en préfecture le 17 octobre 2007, et “Les Indigènes de la République”, déclarée en préfecture le 20 décembre 2005, soit moins de cinq ans avant les faits poursuivis, sont irrecevables.

L’objet social du “Centre de Recherche et d’Action sur toutes les Formes de racisme”, déclaré en préfecture le 19 juin 2000 et satisfaisant donc à la condition d’ancienneté de 5 ans exigée par la loi, est insuffisamment précis et univoque (“observer, répertorier, documenter et analyser les manifestations de discrimination fondée sur l ‘appartenance ethnique, sociale ou autre ceci afin d ‘établir les fondements d’une recherche systématique sur les mécanismes en jeu et de tenter de dégager des contre-mécanismes de défense et de prévention à l’intention des personnes susceptibles d’être victimes de ces diverses formes de racisme”) pour satisfaire aux prescriptions de l’article 48-1 de la loi, lequel exige seulement que l’association ait, notamment, pour objet statutaire d’assister les victimes de discrimination, ce que ces statuts ne prévoient pas explicitement. Aussi sera-t-elle déclarée irrecevable.

Faites rédiger vos statuts par un avocat. Ça vaut les honoraires, je vous assure. Là, c’est moi qui graisse.

Voici le dernier clou dans le cercueil dont je vous parlais. Lisez bien ce paragraphe, et demandez vous dans combien de pays démocratiques un ministre en exercice qui se verrait condamné en ces termes pour des faits commis alors qu’il était déjà en fonction pourrait rester en fonction.

Compte tenu de la nature du propos en cause qui instille l’idée auprès de militants politiques que le seul fait d’être “arabe” constitue un problème tout au moins quand “il y en a beaucoup, contrevient directement à l’objet social d’une association telle que le MRAP, et eu égard à l’autorité susceptible de s’y attacher, au vu de la qualité de responsable politique de premier plan de son auteur, par ailleurs en charge d’éminentes fonctions ministérielles, Brice Hortefeux sera condamné à payer à la partie civile une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts.

L’effet délétère sur le lien social d’un tel propos, quand il est tenu par un responsable de si haut niveau, justifie qu’il soit fait droit à une mesure de publication judiciaire dans les termes retenus au dispositif.

Il sera fait droit, en outre, à la demande d’indemnité pour frais de procédure présentée par le MRAP.

La messe est dite.

Un petit mot car visiblement, des éléments de langage ont été distillés aux militants UMP pour rappeler sans cesse qu’il a été fait appel de cette décision et de rappeler l’existence de la présomption d’innocence du ministre.

La présomption d’innocence est avant tout une règle de preuve en matière pénale : ce n’était pas à Brice Hortefeux de démontrer son innocence, mais au MRAP de démontrer la culpabilité de celui-là. Point. L’appel de M. Hortefeux empêche ce jugement de devenir définitif, et cette même règle de preuve s’appliquera en appel, mais à ceci près que pour espérer triompher, il devra également combattre l’argumentation du tribunal qui sera au cœur des débats. Ce n’est pas gagné. Le meilleur terrain est celui de la publicité, mais politiquement, c’est une bien piètre défense : “Oui, je l’ai dit, mais vous n’étiez pas censé l’entendre”. Un peu comme “Oui, j’ai piqué dans la caisse, mais ça ne compte pas, vous n’étiez pas censé le découvrir”…

L’article 9-1 du Code civil protège la réputation des personnes en invoquant la présomption d’innocence, et interdit de présenter une personne faisant l’objet d’une enquête ou de poursuites comme étant coupable, mais seulement avant toute condamnation. Je ne sais pas par quel perversion du raisonnement (même si c’est un peu la définition du militantisme) certains en arrivent à affirmer doctement qu’il serait interdit de dire qu’un condamné serait coupable, la présomption d’innocence devenant ainsi une présomption d’erreur judiciaire, et interdirait de faire état des éléments, ici accablants, ayant mené à cette condamnation. Épargnez-vous le ridicule, l’anonymat sur internet n’a jamais empêché quiconque de passer pour un idiot.

Laissez-ça aux ministres.

vendredi 30 avril 2010

L'interdiction de la burqa dans l'espace public

Semaine burqa, désolé pour mes lecteurs, car j’ai parfaitement conscience de rentrer dans le jeu d’une opération de com’ gouvernementale. Mais le débat a lieu, et j’ai la faiblesse de penser que ma contribution, heureusement améliorée par les commentaires éclairés de mes lecteurs, peut y contribuer de façon modératrice.

Le gouvernement a fait connaître la teneur du futur projet de loi, qui sera très court (deux articles, vous voyez, quand il veut, il peut), et pénal.

L’article premier disposerait (et non stipulerait, lu dans un dépêche Reuters, terme réservé aux contrats et traités internationaux) que nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage, sous peine d’une amende de deuxième classe (150 euros max, 35 euros si on lui rend applicable la procédure d’amende forfaitaire). La peine complémentaire du stage de citoyenneté (131-16, 8°) est prévue pour cette contravention.

L’article 2 punirait celui qui impose le port d’un tel vêtement (je n’ai pas hélas la partie de l’article qui définit le vêtement, c’est pourtant une partie intéressante) par la «violence, la menace, l’abus de pouvoir ou d’autorité», d’une peine de prison jusqu’à un an et 15 000 euros d’amende.

Le Figaro rapporte les propos suivants du rédacteur du projet de loi. Je crois qu’ils se passent de tout commentaire. Mais ce n’est pas une raison pour que je me retienne.

«Au nom des principes, nous avons opté pour une interdiction totale, explique un des rédacteurs du projet. Mais nous avons décidé des peines légères, car ces femmes sont souvent victimes.»

C’est une nouveauté : désormais, on punit les victimes. Mais d’une peine modérée, hein, on n’est pas des barbares non plus.

Sur la peine d’emprisonnement prévue pour le délit de port imposé du niqab :

[c’est une peine] «qui clarifie notre intention: cette loi n’est pas faite pour protéger la société française de l’islamisme mais bien les femmes et leurs droits».

Autre nouveauté : on peut mettre des gens en prison pour clarifier l’intention du gouvernement. Tant il n’est rien de pire en République qu’un malentendu.

Et là, un prix Busiris qui se perd, puisqu’on ne peut le décerner à un anonyme :

Le gouvernement n’a pas souhaité clarifier plus avant les bases de l’interdiction, qui repose implicitement sur la dignité ou encore ce que le Conseil d’État dans son étude avait appelé l’«ordre public immatériel», qui intègre la protection des valeurs de notre société.

«De toute façon, le Conseil d’État n’a trouvé aucun motif qui permette, selon lui, l’interdiction totale. Donc nous ne sommes pas étendus sur les fondements», résume un des auteurs du projet de loi.

Les bras m’en tombent. “C’était trop compliqué de rendre légal notre projet, alors on s’est dit : on s’en fout”.

Décidément, la politique est un monde qui m’est par trop étranger. Retournons vite faire du droit.

Sur ce projet de loi, tout d’abord.

Dès l’article premier se pose un problème constitutionnel. Ce n’est pas à la loi de prévoir des contraventions, qui relèvent du domaine réglementaire, c’est à dire du décret. On ne respecte pas la hiérarchie des normes. Dans ce cas, ce n’est pas trop grave, la constitution prévoit une procédure pour que le Conseil constitutionnel requalifie les dispositions législatives en dispositions réglementaires, qui peuvent dès lors être abrogées ou modifiées par un décret (art. 37 al. 2 de la Constitution). C’est comme ça que l’article de loi vantant le rôle positif de la colonisation avait été enterré sans fleur ni couronne. Mais qu’on en appelle la voix vibrante aux valeurs de la République et que dès l’article premier, on s’essuie les semelles sur la Constitution me paraît peu cohérent.

Ensuite, cet article premier crée un nouveau concept, qui va donner lieu à controverse : celui “d’espace public”. Qu’est-ce que c’est, où commence-t-il, ou finit-il ? Il exclut le domicile familial, c’est à peu près la seule certitude qu’on peut avoir. Ça tombe bien, c’est le seul lieu ou le port du niqab ne s’impose pas, sauf visite d’un homme extérieur à la famille proche.

L’article punit toute tenue “destinée à dissimuler le visage”. Donc une tenue qui dissimule le visage sans que cela soit sa destination, mais une conséquence accessoire, n’est pas concernée. Cela va donner lieu à des controverses byzantines. Les casques intégraux des motards ne sont pas concernés, de même que les masques anti-viraux, que Mme Bachelot se rassure. Ils dissimulent certes le visage, mais ce n’est pas leur destination. En revanche, tombent sous le coup de la loi les femmes portant le niqab ou la burqa, ainsi que les touaregs portant le chèche, les clowns et Lady Gaga.

L’article 2 instaure un délit. Nous sommes bien dans le domaine de la loi. Ça ne veut pas dire qu’il ne pose pas de problème, vous allez voir.

Il punit celui (ou celle, mais on se comprend, hein) qui impose le port d’un vêtement destiné à dissimuler le visage par “la violence, la menace, l’abus de pouvoir ou d’autorité”.

Je voudrais dissiper un malentendu, tant le gouvernement a l’air pointilleux sur ce point. Le fait d’user de violence ou de menace à l’encontre d’autrui, surtout si c’est sa compagne ou son épouse, est déjà puni par la loi. Et plus sévèrement.

La loi punit ainsi les violences commises sur son conjoint (ou sa maîtresse si on habite à Nantes) même si elle n’ont pas causé d’incapacité totale de travail (des violences verbales suffisent) de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende : article 222-13, 4bis° du code pénal.

De même, la menace de commettre des violences est punie des mêmes peines quand elle est faite avec l’ordre de remplir une condition (“porte le niqab” -condition- “ou je t’en colle une” -menace de violence), peines portées à 5 ans et 75 000 euros quand il s’agit d’une menace de mort. Article 222-18 du code pénal.

Vous vous souvenez de la règle “les lois spéciales dérogent aux lois générales” ? Mais si, c’est la règle qu’invoquent les parquetiers pour expliquer que la détention provisoire est possible en cas de comparution immédiate même pour des peines encourues inférieures à trois ans. Eh bien en appliquant la même logique, le fait de battre sa femme ou de la menacer de mort pour qu’elle porte la burqa sera moins sévèrement réprimé que si c’était parce que le couscous a été fait avec du poulet (ce qui convenons-en est une abomination).

Le législateur n’a rien appris de la loi sur l’inceste.

Restent deux hypothèses, l’abus de pouvoir ou d’autorité.

Nouveau problème. Depuis 1965, l’époux n’a plus ni pouvoir ni autorité sur son épouse. Les époux sont strictement égaux en droit. Donc l’époux n’a ni pouvoir ni autorité dont il pourrait abuser. L’autorité morale qui lui reconnaitrait son épouse en vertu de ses croyances religieuses ne constitue pas l’autorité prévue par la loi, les croyances religieuses ne pouvant pas avoir de conséquences, positives ou négatives, sur l’application de la loi pénale. Laïcité oblige.

On a donc un article qui allège la répression dans deux cas, et en crée deux inapplicables. De la bien belle ouvrage. On se prend à rêver de ce qu’aurait été un article 3.

mercredi 21 avril 2010

JLD

Suite du billet précédent.

Vous retrouvez votre client quelques temps plus tard au cabinet du juge des libertés et de la détention (JLD), pour ce qu’on appelle le “débat contradictoire”, étant rappelé que contradictoire, pour les juristes, signifie que les positions antagonistes ont toutes pu s’exprimer et répliquer à leur adversaire (bref, se contredire entre elles), la défense ayant toujours la parole en dernier.

Sur la forme, le débat est censé être public depuis la loi du 5 mars 2007, le JLD pouvant décider que l’audience se tiendra en audience de cabinet (c’est à dire dans son bureau, hors la présence du public) à la demande du ministère public si les faits sont visés à l’article 706-73 du Code de procédure pénale (CPP), ou si cette publicité est de nature à entraver les investigations spécifiques nécessitées par l’instruction, à porter atteinte à la présomption d’innocence ou à la sérénité des débats ou à nuire à la dignité de la personne ou aux intérêts d’un tiers (art. 145 al. 6 du CPP). Autant dire que l’exception peut facilement devenir le principe, et c’est le cas à Paris, où les audiences du JLD se tiennent quasiment systématiquement en audience de cabinet. Je sais que les autres tribunaux appliquent cette règle de la publicité beaucoup plus volontiers. Je me console en écoutant le procureur demander la publicité restreinte en invoquant le respect de la présomption d’innocence de mon client, juste avant de demander son placement en détention, qui est la pire atteinte à la présomption d’innocence qu’on puisse commettre.

Le mis en examen est introduit et démenotté (alors qu’il est censé entrer sans les menottes, mais c’est souvent le juge qui demande à l’escorte d’ôter les entraves), pour respecter la présomption d’innocence. L’escorte reste toutefois juste derrière lui, prête à bondir.

La première chose que fait le JLD est de constater l’identité du mis en examen, de rappeler la nature des faits qui l’amènent ici, et de s’assurer que le type en robe assis à côté de lui est bien son avocat. Ensuite, il demande si le mis en examen est d’accord pour que le débat ait lieu immédiatement ou demande un débat différé, pour pouvoir préparer sa défense. Ce délai est de droit, le débat doit avoir lieu dans les quatre jours ouvrables, mais implique à coup sûr ou presque que ces quatre jours sont passés en détention provisoire (je dis presque sûr car la loi dit bien que le JLD peut remettre en liberté dans l’intervalle - art. 145 al.8 du CPP- ; vous vous doutez que c’est rare). Ce délai est utile quand des pièces justificatives doivent être réunies. Souvent, on a découvert le dossier quelques heures plus tôt, on n’arrive pas à joindre la famille . A ce sujet, j’ai de plus en plus de cas où les mis en examen ne peuvent que me dire les profils Facebook de leurs proches pour entrer en contact avec eux. Le problème étant qu’une épouse morte d’inquiétude pour son époux ne pense pas à aller sur Facebook.

Puis le JLD pose la question de la publicité de l’audience, qui donne lieu à un premier débat (non public) le cas échéant.

Une fois cette question réglée, et après éventuellement transport dans la salle d’audience publique (ou simplement ouverture de la porte du cabinet), a lieu le débat sur la détention.

C’est le procureur, qui doit être physiquement présent, qui prend la parole le premier.

Les termes du débat sont posés par l’article 144 du Code de procédure pénale.

La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s’il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu’elle constitue l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs suivants et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence avec surveillance électronique :

1° Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ;

2° Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;

3° Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ;

4° Protéger la personne mise en examen ;

5° Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ;

6° Mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ;

7° Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé. Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l’affaire. Toutefois, le présent alinéa n’est pas applicable en matière correctionnelle.

Théoriquement, on n’est censé débattre que de ces 7 critères, ou des six premiers si on est en présence d’un délit. En pratique, si la question de la culpabilité est vraiment douteuse, il ne faut pas hésiter à porter le débat sur ce terrain. Étant entendu que les seules dénégations du mis en examen ne seront jamais suffisantes. Mais des contradictions, des actes d’enquête bâclés par la police, des éléments matériels de l’infraction qui ne sont pas caractérisés sont des arguments à faire valoir. Parce qu’un JLD sera toujours réticent à envoyer un mis en examen en détention s’il a un doute sérieux sur sa culpabilité. D’ailleurs, le procureur ne se gêne généralement pas pour souligner la probabilité de la culpabilité, quand il requiert sur les risques de renouvellement de l’infraction (car pour qu’il y ait renouvellement, il faut qu’il y ait eu nouvellement).

Je me souviens ainsi d’une audience du JLD où le prévenu (c’était non pas une mise en examen mais une comparution préalable pour placement en détention jusqu’à la prochaine audience de comparution immédiate) était poursuivi pour quatre chefs de prévention (quatre délits). SDF, un casier, pas de garanties de représentation, le parfait client pour la Santé. Mais en démontrant qu’en l’état du dossier, ces chefs de prévention ne tenaient pas (dont un superbe séjour irrégulier alors que la citation mentionnait “nationalité : française), j’ai obtenu la remise en liberté. Si je m’étais contenté de l’article 144, j’étais cuit car mon client qui criait son innocence n’était pas cru.

Pendant les réquisitions, on note à la va-vite les arguments du procureur sur ces points, et les arguments qui nous viennent à l’esprit pour y répliquer. C’est sur ce canevas que se bâtit la plaidoirie, qui se prononce assis si on est dans le cabinet (le juge n’étant pas sur une estrade, rester assis fait qu’on a le visage à la hauteur du sien, ce qui est plus courtois que de le toiser).

Le mis en examen a la parole en dernier, ce qui lui donne parfois une excellente occasion d’abîmer l’argumentation de son avocat. Ah, combien de fois un client épuisé (ils en ont parfois à trois jours sans sommeil digne de ce nom), déboussolé, terrifié à l’idée d’aller en prison se lance dans une logorrhée où il va contester tous les faits, même ceux qu’il a déjà admis, bâtir des théories du complot qui feraient rire les conspirationnistes du 11 septembre, quand ce n’est pas insulter et menacer la victime. Quand je vous dis que le droit de se taire est le premier des droits de la défense. Les magistrats ne me croient pas, mais mes clients non plus.

Puis le juge invite les parties et l’avocat à sortir le temps de délibérer.

Le procureur s’en va et ne reviendra pas, il sera informé du délibéré par le greffe.

Alors commence l’attente.

Car c’est long, un délibéré de JLD, même si la décision est déjà prise dans sa tête à la fin de la plaidoirie de l’avocat (ou avant la plaidoirie à Paris).

Car il faut rédiger le procès verbal d’interrogatoire, où les déclarations du mis en examen seront consignées (surtout s’il a fait son show à la fin), et l’ordonnance du juge. Soit il s’agit d’un contrôle judiciaire, et il va falloir motiver l’ordonnance, car le parquet peut être tenté d’en faire appel, et déterminer les obligations les plus adéquates (et la liste de l’article 138 du CPP est longue). Soit c’est un placement en détention provisoire, et il va falloir motiver l’ordonnance car l’avocat va en faire appel.

En outre, il faut préparer dans ce dernier cas un questionnaire de santé pour informer le chef d’établissement si le détenu est suicidaire, toxicomane, malade, etc.

C’est ordonner une détention provisoire qui prend le plus de temps. Plus le délibéré dure, et plus l’avocat stresse. Le pire est que chez le mis en examen, c’est le contraire. Il ne se sent plus stressé pour la première fois depuis trois jours puisque les dés sont jetés, et il devient plus volubile, reprend l’espoir, parfois plaisante avec l’escorte. C’est terrible, car on se doute que cette durée n’est pas bon signe. Alors, prudemment, on lui dit que rien n’est jamais sûr, on essaye de le préparer à une éventuelle détention, sans vouloir casser ce premier moment où il se sent mieux depuis des jours. Parfois, on finit par se convaincre soi-même que le juge prend autant de temps pour blinder son ordonnance de contrôle provisoire pour éviter un appel du parquet, qu’il prend le temps de vérifier dans le dossier les points qu’on a soulevé. Péché d’orgueil, mais si on n’y croit plus soi-même, il faut arrêter de défendre.

Puis la porte s’ouvre, le greffier nous prie de revenir. On entre le premier, et du premier coup d’oeil, on sait.

Il suffit de regarder le bureau du JLD. Le titre de l’ordonnance est écrit en gros caractères, les substantifs et adjectifs étant qui plus est en majuscule, seuls les articles étant en minuscule, ne me demandez pas pourquoi (ORDONNANCE de PLACEMENT en DÉTENTION PROVISOIRE, ORDONNANCE de REMISE en LIBERTÉ sous CONTRÔLE JUDICIAIRE). Ou tout simplement, c’est le questionnaire, dont le président a commencé à cocher les cases, qui trône sur le bureau et qui nous gifle en pleine face. Ah, tu y as cru, cette fois, hein, pauvre imbécile. Comme à chaque fois, hein. Prends ça.

A côté, le client ne se doute de rien. Il tend ses poignets à l’escorte qui lui ôte les menottes, et espère qu’on n’aura pas à les lui remettre. Quand c’est une détention, je n’ai jamais le courage de leur dire. Lâchement, je me tais, et je laisse le JLD faire le sale boulot. Si c’est une remise en liberté, je leur glisse à l’oreille un “c’est bon, vous ressortez”.

Le JLD indique donc quelle est sa décision. Par un curieux paradoxe, son ton est généralement plus sévère quand c’est un contrôle judiciaire que quand c’est une détention, qui demande plus de diplomatie pour l’annonce. C’est un peu “Je vous mets sous contrôle judiciaire, mais c’est pas passé loin, hein, gare à vous si vous ne le respectez pas !” contre “J’ai décidé, après avoir mûrement réfléchi, de vous placer en détention provisoire, pour les raisons suivantes…”.

Quand c’est un contrôle judiciaire, la suite n’est qu’une formalité (là encore, le code de procédure pénale interdit d’embrasser le JLD).

Quand c’est une détention, c’est plus difficile à gérer. On est soi-même accablé, et il faut pourtant aussitôt réconforter le client, voire le contrôler : il peut perdre ses nerfs, ou tenter de négocier à nouveau. Alors que c’est trop tard, la décision est rendue et elle est irrévocable : la seule voie de recours est l’appel. C’est dur et difficile d’expliquer cela, et de dire que le juge a rendu sa décision, en donne les raisons et que c’est fini, vous allez va dormir en cellule ce soir, alors que l’accablement laisse place en nous à la colère face à ce juge qui, forcément, n’a rien compris. Le moment n’est pas propice à la lucidité et au recul. L’objectivité, n’en parlons pas, elle est restée dans le couloir.

D’ailleurs, on a une façon légale d’exprimer son mécontentement face au juge. C’est un cas assez unique, qui peut entraîner un climat glacial dans le cabinet, mais comme on bouillonne intérieurement, on ne sent rien passer.

En effet, l’article 187-1 du CPP nous permet de former immédiatement appel auprès du greffier du JLD. C’est le seul cas à ma connaissance où on forme appel en présence du juge qui vient de rendre sa décision, sous son nez puisqu’on est dans son bureau. On peut même à cette occasion former en plus ce qu’on appelle un référé liberté, c’est-à-dire demander à ce que le président de la chambre de l’instruction examine rapidement (dans les trois jours ouvrables) cet appel et décide de la remise en liberté ou de ne rien décider et de renvoyer l’examen de l’appel devant la formation collégiale de la chambre de l’instruction.

Des JLD le prennent assez mal, ça se ressent dans leur comportement ; cela a même été pour moi jusqu’à un incident assez grave avec un JLD qui refusait d’enregistrer ma demande, même quand je lui mettais l’article 187-1 sous le nez, jusqu’à ce que sa greffière dise timidement que si, c’était possible, et qu’elle avait même le modèle d’acte pour ça. Un autre JLD a ostensiblement quitté son bureau sans me saluer le temps que je formalise l’appel et n’est pas revenu avant mon départ. Il est vrai que c’est une entorse à la courtoisie judiciaire que de contester une décision d’un juge sous son nez et à peine l’a-t-il rendu. Mais quand il est tard le soir et que le greffe correctionnel est fermé, cela fait gagner un jour ouvrable au client si on n’attend pas le lendemain. Ce droit existe, il est fait pour être usé, et je ne doute pas que bien des JLD le comprennent et ne s’en offusquent pas. D’autant que le taux de confirmation des détentions provisoires par les chambres de l’instruction leur assure d’avoir très probablement le dernier mot.

Une fois la tempête passée, on a le temps de dire quelques mots à notre client, de recevoir ses dernières instructions sur qui prévenir, et on regarde notre client s’éloigner, remplis d’une frustration que les mots peinent à exprimer.

C’est que les clients qui partent en détention emmènent toujours un petit bout de nous avec eux. Quoi qu’ils aient fait, ils ont demandé notre aide, nous avons accepté de la leur apporter et ils comptent sur nous. Nous sommes leur bouée de sauvetage dans ce naufrage qu’est devenu leur vie, et ils n’ont parfois que nous pour ne pas se noyer.

Si nous sommes commis d’office, notre mission dure jusqu’à l’examen de l’appel, pour lequel nous ne sommes pas indemnisés. C’est pour notre pomme. A titre d’information, une audience JLD prend au moins deux heures, attente comprise (ma dernière m’a pris cinq heures après l’IPC). Un référé liberté, une demi heure à une heure et demie. Une audience devant la chambre de l’instruction, une demi-journée.

Et c’est payé en tout et pour tout 2 unités de valeur, soit 48 euros. Que vous fassiez appel ou pas. Après ça, on vient nous dire qu’on fait ce métier pour l’argent.

La suite est une autre histoire. Celle de quelqu’un d’autre si vous étiez commis d’office, car à Paris, on ne garde pas ses dossiers de permanence, sauf exception, ou si ça reste la vôtre, une visite au juge d’instruction pour tâter le terrain afin de voir quand une remise en liberté serait envisageable, et solliciter son avis de libre communication, sésame qui nous permet d’aller voir notre client en prison (chers confrères, ne parlez jamais de “permis de visite”, terme réservé à la famille et aux proches du client, vous concernant : on ne vous permet d’aller le voir, c’est un droit absolu auquel nul ne peut s’opposer). C’est le temps des visites du samedi matin, des courriers désespérés et bourrés de fautes écrits sur une page de cahier d’écolier.

C’est le temps où le temps n’avance plus. Le temps où un de vos clients est en prison.

mercredi 14 avril 2010

Vous reprendrez bien un peu de mille-feuilles ?

Par Gascogne


Non, je ne concours pas à une quelconque émission culinaire…Pas plus que je ne suis capable de procéder à la fabrication du gâteau dont il s’agit…(mais vous avez un large choix de recettes ici, si le cœur vous en dit, du plus classique au plus original).

Je me fais simplement l’écho du dernier billet du Maître des lieux concernant les accumulations de réformes diverses et variées, sans aucune cohérence entre elles.

La qualité du travail législatif et réglementaire étant aujourd’hui ce qu’elle est[1], il ne se passe quasiment plus une journée sans que nous ayons dans les tribunaux et les cabinets d’avocats la surprise de voir apparaître un nouveau texte, le plus souvent en fonction de l’actualité médiatique du moment. Et parfois, la rapidité avec laquelle ces textes sortent peut laisser quelque peu pantois.

Dernier exemple en date, le décret n° 2010-355 du 1er avril 2010 relatif à l’assignation à résidence avec surveillance électronique et à la protection des victimes de violences au sein du couple. La date semblait propice à la boutade, nous voilà servis.

Anticipant sans aucun doute les désirs du Ministre, pour qui la réforme se poursuit, malgré, selon le Canard Enchaîné de ce jour, quelques doutes sérieux émis du côté cette fois-ci de la Cour de Cassation, l’exécutif a d’ores et déjà mis en place le “Juge de l’enquête et des libertés”. Je n’invente rien :

Art. D 32-26 du code de procédure pénale :

En cas d’assignation à résidence avec surveillance électronique au domicile des représentants légaux du mineur, le juge d’instruction spécialement chargé des affaires concernant les mineurs, le juge de l’enquête ou des libertés ou le juge des enfants compétent pour ordonner la mesure recueille préalablement l’accord écrit de ces derniers.

Après les décrets d’application, voici venu le temps des décrets d’anticipation.

A noter également qu’un nouveau “juge de l’instruction”, si cher au cœur de l’ex-député Fenech sous l’appellation de “juge de l’enquête”, a également été institué par ce même décret, dans le cadre des nouveaux article D 32-19 et D 32-20 du CPP. On n’est plus à ça près…

Remarquez bien que l’avant-projet-de-futur-code-de-procédure-pénale-soumis-à-concertation[2] (à consulter pour ceux qui en ont le courage ici), qui veut voir supprimer le juge d’instruction, et remplacer nos actuels “mis en examen” par des “parties pénales” (je trouve ce terme très laid, mais bon, ça n’engage que moi), réussit le tour de force de parler dans certains de ses articles de … mis en examen. (Cf. les art. 422-4, 432-9, 433-28, qui parle à la fois de partie pénale et de mis en examen sur seulement deux alinéas).

A force de mélanger tous nos concepts pénaux, la Chancellerie va-t-elle finir par aboutir à un système cohérent ? Peut-être. On est tout de même en droit de se demander si à la place du mille-feuilles, ce n’est pas un gloubi-boulga procédural que l’on est en train de nous servir…

Notes

[1] Merci à Georges Moréas d’avoir soulevé le poisson, et aux collègues des différentes listes de discussion d’avoir cuisiné la bouillabaisse.

[2] si la Chancellerie dit dans le titre même du texte qu’il y a concertation, ça ne peut-être que vrai

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