Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 14 octobre 2009

Ante judicandum


par Sub lege libertas



Un père, une mère. Un mort âgé de pas même un mois, leur fille. Deux accusés, une absente. Deux vies de peu avant, une vie brève en moins, quelle vie demain ?

Demain, c’est les assises. Douzième année que j’y monte, bientôt ma centième affaire environ. Un choix ? Un goût, repéré par ma hiérarchie qui m’octroie par délégation les fonctions d’avocat général.[1]

Un goût pour quoi ? Ni le sang, ni le stupre non plus que le lucre, ce lot commun de meurtres, viols et vols criminels qui s’enrôlent aux assises. J’ai passé l’âge des curiosités malsaines ou je connais mes vices. Non un goût du luxe.

Luxe des assises : le temps et la parole, plutôt le silence qu’on prend le temps de laisser avant ou après une parole. Un président, un avocat ou un avocat général, qui accorde au témoin, à la partie civile ou à l’accusé le délai pour que les mots viennent, timidement ou violemment, souvent dans le désordre. Désordre des idées, des souvenirs, des émotions, des douleurs, désordre de la vie, du vrai de l’existence qui ne se livre pas dans la romance.

Violence du silence qui précède pour celui qui doit faire l’effort de parler, violence du silence qui suit pour l’auditoire dérangé, abasourdi, ébranlé dans ses pauvres certitudes. Grâce du silence : tendre l’oreille, prêter attention même à l’insignifiant, au vil, au pire. Poids du silence : entendre résonner des mots qui heurtent, raisonner sur les maux plutôt que s’emporter. Ne pas pouvoir crier, devoir méditer.

Un père, une mère, un enfant mort. Des qualifications pénales pour assigner des rôles :

  • - violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner sur une mineur de quinze ans ;
  • - violences sur une mineure de quinze ans par ascendante, omission de porter secours à une personne en péril et omission d’empêcher un crime.

À venir onze témoins, cinq experts, trois jours d’audience coupés par le week-end. Aujourd’hui un tome de mille pages de papier.

Du papier : de l’humain. Pas de distinction artificielle faite par confort, il faut maintenant cesser de lire, relire, ressasser pour ne pas se figer dans une certitude préalable. Laisser la place à l’inouï : la cause n’est pas encore entendue. J’accuse certes, ce n’est pas maudire. Laisser les mots dire sans craindre qu’ils bousculent les rôles.

Il y a des aveux tout de même, entends-je. Mais quels aveux ? Le pauvre acquiescement aux constats de la médecine légale ; les reproches mutuels entre parents inaptes à cet état au moment où l’enfant parut ; la retranscription d’explications maladroites de deux presque rien, un déficient intellectuel reconnu handicapé invalide à 80% comme on le chiffre, une débile légère ainsi qualifiée par les sachants requis. Les accuser sur ce seul fondement ?

Accuser, c’est amener en la cause, mettre en cause. Il faudra les questionner non pour leur faire réciter les réponses antérieures, mais pour espérer - vainement peut-être - sentir leur rapport aux faits. Dans cet écart entre notre perception raisonnée des faits et le récit qu’ils en ont, on pourra peut-être commencer à mesurer l’ampleur de leur responsabilité pénale, leur faculté d’amendement, comprendre leur vie d’après demain.

Comprendre, les prendre avec nous. Ils ne nous quitteront plus vraiment comme beaucoup d’autres de la centaine d’accusés passés devant moi, devant nous, leur accusateur et leurs avocats. Moments étranges de proximité du lointain que l’audience d’assises. Ils viendront libres encore avec le souvenir tragique de leur absente, s’extirpant de leur univers quotidien qu’on ne partage pas : ils fumeront dehors à nos cotés aux suspensions d’audience. Avec leurs avocats, leur avocat général. Des regards, des mots anodins, les jurés un peu plus loin...

Leur rendre justice, c’est les ramener à hauteur d’homme, eux qui ont chu : assomption improbable, incertaine, inquiétante. Ils ont peur ce soir, demain encore. Leurs avocats aussi sont inquiets. Sous la foi du Palais, ils partagent la veille leur intranquillité avec leur contradicteur, l’accusateur. Nous nous connaissons, nous estimons. Les débats seront exigeants, notre président d’assises, respecté par nous tous pour sa pratique, saura veiller à leur garder ou leur ramener la sérénité. Et cela ne suffit pas à nous rassurer par avance. Sans calcul, je ne sais prédire ni l’issue, ni mes mots. L’expérience n’y peut mais.

Ante judicandum, avant ce qui est à juger comme devant qui doit être jugé, je redoute les paroles à prononcer. Je redoute qu’elles oublient l’humanité du criminel par fascination pour la monstruosité du crime ; tout autant qu’elles sombrent dans l’empathie pour une absente privant de toute mesure à l’égard du criminel. Or c’est la mesure dont il me faudra, dont il faudra aussi à mes contradicteurs, pour convaincre la cour et le jury d’une juste réponse. Ce soir débute pour nous tous, une nuit du doute.

Notes

[1] L’article 241 du Code de procédure pénale autorise le procureur général de la cour d’appel, qui normalement occupe avec l’aide des magistrats du parquet général de la cour d’appel le siège du ministère public aux assises, à déléguer pour remplir cette fonction n’importe quel magistrat d’un parquet du ressort de la cour d’appel. Voilà comment dans ma robe noire, je m’agrège à la cour en robe rouge.

mardi 13 octobre 2009

Assez français pour se faire tirer dessus : l’affaire Guissé

Je vais vous parler aujourd’hui d’Ounoussou Guissé.

Celui que je traiterai dans ce billet comme mon compatriote, car au-delà de la controverse juridique que je vais vous expliquer, quiconque s’expose au feu parce qu’il porte l’uniforme de l’armée française est irréfragablement réputé français à mes yeux, ce brigadier au 1er régiment de hussard parachutiste, qui a servi en Afghanistan a eu la désagréable surprise de se voir assigner par le parquet de Rouen afin de voir constater son extranéité, c’est-à-dire le fait qu’il n’était pas français mais sénégalais.

J’avais déjà abordé le droit de la nationalité dans un précédent billet, où déjà plusieurs de nos concitoyens qui avaient des racines juives et algériennes se voyaient tracassés par l’administration, droit de la nationalité qui est un droit d’une particulière complexité du fait de la succession des lois sur ce sujet, succession qui traduit notre rapport passionnel, et donc irrationnel, à cet état. 

En effet, on acquiert la nationalité française une fois pour toute, en vertu de la loi en vigueur au jour où se produit l’événement donnant la nationalité, qui se transmet ensuite de parent à enfant. C’est donc un droit où on est amené à exhumer des textes forts anciens et depuis longtemps abrogés pour voir si en leur temps, ils n’avaient pas eu à s’appliquer à l’ancêtre d’une personne dont la nationalité française fait débat.

Tel est ici aussi le cas.

Bondissons tel le saumon à rebours du courant du temps pour frayer avec le droit. Jusqu’en 1960, si vous le voulez bien. Cette année là, le 20 juin 1960 (c’était un lundi), le soleil s’est levé sur un Sénégal libre et indépendant. Mais il ne s’est pas levé sur Daouda Guissé, futur père de notre futur hussard, qui se trouvait en France depuis le mois de mars de cette même année, sur le territoire métropolitain s’entend. Et c’est très important pour la suite.

En effet, le code de la nationalité alors en vigueur (ordonnance du 19 octobre 1945 dans sa rédaction issue de la loi du 28 juillet 1960) disposait en son article 13 que (je simplifie) les personnes domicilié ce lundi 20 juin sur le territoire du Sénégal étaient sénégalaises sauf :
- les personnes nées sur ce qui serait encore le territoire français le 28 juillet 1960 (qu’on appelle les originaires) et leurs enfants ;
- les personnes nées sur le territoire désormais sénégalais mais ayant leur domicile sur le territoire Français (tel qu’il se présentait le 28 juillet 1960, date de référence), j’attire votre attention sur cette catégorie, j’y reviens ;
- les personnes nées sur le territoire sénégalais mais ayant souscrit une reconnaissance de nationalité française.
- Tous ceux qui par la force des choses ne pouvaient acquérir une autre nationalité ce matin-là (règle de la voiture-balai). 

Et ce lundi matin là, le soleil de l’indépendance ne se lève pas sur Daouda, puisqu’il est en Normandie (il pleut donc) et s’en va travailler comme chaque jour. Ce matin-là, étant en France, il se réveille français.

Ce n’est pas moi qui le dis, mais le tribunal d’instance de Rouen le 6 août 1962 qui lui délivre un certificat de nationalité française.

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, et Daouda est un français comblé, et plusieurs fois comblé puisque, tel un président de la République, il a plusieurs épouses (sauf que Daouda, lui, les a simultanément). Et je crois que son trop grand bonheur conjugal sera à l’origine des malheurs de son fils.

Car si Daouda est l’heureux époux de toutes ces magnifiques sénégalaises, elles vivent sous le soleil du pays tandis que lui affronte la rigueur basse-normande. C’est ainsi qu’Ounoussou Guissé naquit des œuvres de son père le 13 octobre 1982 (c’était un mercredi) — joyeux anniversaire, cher compatriote— au Sénégal. 

La fée du droit qui se pencha sur son berceau récita la formule magique : « Tu es français car né d’un père français, in nomine article 17 du Code de la nationalité, en sa rédaction issue de la loi du 9 janvier 1973, ton père étant français le jour de ta naissance non plus en vertu de l’article 13 désormais abrogé mais de l’article 153 dudit code, interprété a contrario[1].(Mes lecteurs auront reconnu Sub Lege Libertas dans le rôle de la fée du droit).

Son père, pour s’en assurer, va solliciter et obtenir pour son fils un certificat de nationalité française du tribunal d’instance de Rouen le 20 février 1990, s’appuyant sur un nouveau certificat de nationalité qu’il avait obtenu en avril 1989, après avis positif de la Chancellerie. 

Il en obtiendra même un deuxième le 15 novembre 1999 du même tribunal. Bref, l’administration a dit par deux fois à Daouda Guissé qu’il était français, et par deux fois à son fils qu’il l’était. Et la République n’a qu’une parole. C’est pourquoi elle bien obligée de la reprendre.

En 2002, notre ami et encore compatriote Ounoussou s’engage sous les drapeaux du premier régiment de Hussards Parachutistes, basé à Tarbes, dont les ancêtres, pas encore parachutistes, ont combattu à Valmy, Jemmapes, Castiglione, Sebastopol, entre autres faits d’arme, et dont la devise est : Omnia si perdas, famam servare memento (Si tu as tout perdu, souviens toi qu’il te reste l’honneur).

Il va servir en Afghanistan en 2007-2008 où son comportement ne lui vaudra que des louanges. Il atteindra le grade de Brigadier.

Mais voilà. Depuis 1993 et le tournant des lois Pasqua, la République fait la chasse aux faux français. La décolonisation a été un tel foutoir que des gens sont devenus français sans vraiment en remplir les conditions (ce qu’eux même ignoraient d’ailleurs). Et le parquet de Rouen, suivant en cela les instructions générales de la Chancellerie, je tiens à le préciser (un procureur de la République aujourd’hui est autant capable d’initiative individuelle que l’attaque de l’équipe de France de football sous Domenech, c’est dire), va contester la nationalité d’Ounoussou Guissé. 

Le raisonnement est le suivant.

Ounoussou est né au Sénégal d’un père né en Afrique Occidentale Française devenue le Sénégal pour cette portion. Pour qu’il soit français, il faut donc que son père Daouda ait été français à sa naissance ou ait acquis la nationalité avant ses 18 ans.

Pour que Daouda ait été français en 1989, il fallait qu’il eût son domicile en France le 20 juin 1960, date de l’indépendance. Or la jurisprudence de la cour de cassation, inspirée sur ce point par un vent mauvais, a créé le concept de domicile de nationalité distinct du domicile civil au sens des articles 102 et suivants du Code civil. Par des décisions répétées des 20 décembre 1955, 9 janvier 1957, 25 juin 1974 et en dernier lieu du 28 janvier 1992, la cour définit le domicile de nationalité comme d’une résidence effective présentant un caractère stable et permanent et coïncidant avec le centre des attaches familiales et des occupations professionnelles.

Vous avez compris. Le parquet constatant que Daouda Guissé avait non pas une mais plusieurs épouses et que celles-ci vivaient semble-t-il au Sénégal puisque tous les enfants de l’intéressé y étaient nés, il estime que son domicile de nationalité était en fait au Sénégal, et que l’article 13 du Code de la nationalité devenu l’article 153 modifié a contrario n’avait pu jouer. 49 ans après, le parquet estime que Daouda Guissé n’avait jamais été français et que par voie de conséquence son fils ne l’avait jamais été non plus. Cachez moi cet uniforme que vous ne sauriez porter, brigadier. Et comme on dit chez vous, Nationalitas si perdas, famam servare memento.

Mais on n’abat pas comme ça le hussard sur le droit.

Le procureur de la République s’est, comme on dit en termes juridiques, fait bananer en première instance. Le tribunal de grande instance lui a dit qu’il est bien gentil de se réveiller en 2006, mais que la prescription, c’était trente ans à l’époque. Il aurait dû se réveiller dans les 30 ans qui ont suivi la délivrance du certificat de nationalité de 1962, soit en 1992 au plus tard. 

Que croyez-vous qu’il arriva ? Le parquet fit appel, et c’est cet appel qui a été examiné par la cour d’appel de Rouen. Le délibéré sera rendu une semaine après la commémoration de l’Armistice de 1918 (tiens, le régiment du brigadier Guissé s’est illustré à la bataille de la trouée de Charmes et à la deuxième bataille de l’Aisne pendant la Grande Guerre), le 18 novembre prochain.

À ce stade du récit, je dois confesser mon impuissance à comprendre cet acharnement du parquet à vouloir dépouiller de sa nationalité un de nos soldats, au comportement exemplaire, et qui est allé à un endroit ou porter un drapeau cousu sur l’épaule vous expose aux balles, aux bombes et aux couteaux. 

D’autant plus que le bien fondé de l’action du parquet m’apparaît assez douteux. Nul ne conteste que le père d’Ounoussou Guissé a résidé en France de mars 1960 à 1975. Ce qui semble indiquer qu’il y avait bien son domicile. 

Il y avait pourtant une issue élégante : ne pas faire appel. Il y en d’autres, moins élégantes. L’article 21-13 du Code civil lui permettra, en cas de perte de la nationalité, de la récupérer aussitôt par la possession d’état. Il peut aussi bénéficier d’une naturalisation-éclair selon la procédure dite Carla Bruni. 

Donc Ounoussou Guissé restera français ou au pire le redeviendra. Alors pourquoi le faire passer par cette humiliante procédure ? 

Et comme la République ne fait jamais les choses à moitié, non seulement elle lui conteste sa qualité de français sur le plan judiciaire, mais sur le plan administratif, cela fait un an qu’il demande à faire venir sa fiancée en France pour pouvoir l’épouser. En vain, le consulat général de France à Dakar refuse le visa à sa fiancée, et ce malgré les interventions de Jean Glavany, député SRC de Tarbes. 

Ounoussou Guissé est juste assez français pour se faire tirer dessus. Pour pouvoir voter ou épouser celle qu’il aime, la République qu’il sert le prie gentiment d’aller se faire voir.  

Contrairement à son président, la République est bien ingrate envers ses enfants. 

Notes

[1] L’article 153 disposait que les personnes non originaires domiciliées sur un territoire accédant à l’indépendance pouvait recouvrer par déclaration la nationalité française si elles établissaient préalablement leur domicile en France. A contrario, on en déduisait que les personnes non originaires domiciliées en France avaient gardé leur nationalité et n’avaient donc pas à souscrire de déclaration.

mardi 6 octobre 2009

Pour en finir (peut-être) avec un oui

Depuis le résultat du référendum irlandais, salué par Gascogne, un unique argument est répété en boucle par les adversaires de la construction européenne (que j’appelle nonistes sans rien y mettre péjoratif, j’accepte volontiers le titre de ouiste, et me refuse à voir quoi que ce soit de péjoratif quand certains d’entre eux me qualifient de oui-ouiste ou de ouistiti, je les sais trop susceptibles sur la question du nécessaire respect dans le débat public). 

Cet argument consiste à dire que ce referendum doit être regardé comme illégitime quel que soit son résultat (ou plutôt à cause de son résultat) car il y en avait déjà eu un premier il y a un an. Cela reviendrait à vouloir répéter la question jusqu’à ce que le peuple dise oui, ou alors, il n’y aurait qu’à en organiser un autre dans un an pour “faire la belle”, voire un tous les ans. C’est en fait à une violation de la démocratie et de la souveraineté irlandaise à laquelle on aurait assisté (vous verrez que ce dernier argument est contradictoire, en fait).

Il est vrai que face au triomphe du oui (participation en forte hausse, raz-de-marée en faveur du oui), la seule solution viable est de nier le résultat. C’est en quelque sorte la méthode Éric Besson appliquée au referendum : ce referendum n’existe pas, je nie votre victoire.

Apparemment frappé au coin du bon sens, cet argument ne résiste pas à l’examen. Bien que j’ai parfaitement conscience que cet argument ne prétend pas être juridique, je commencerai par examiner ce que dit le droit sur la question, car il a vocation à apporter quelque lumière, et puis c’est mon blog, on y parle droit. L’argument étant à la fois politique et moral, je finirai par répondre sur ce terrain-là.

Rassurez-vous, amis nonistes, depuis 5 ans qu’on se connaît, je ne prétends pas vous convaincre. Je sais que 5 ans après, vous continuez à véhiculer l’accusation que les traités européens visent à rétablir la peine de mort et permettre à la police de tirer sur la foule des manifestants. Je m’adresse uniquement à ceux qui pourraient se demander si votre argument n’est pas quelque peu fondé. Je ne voudrais pas qu’ils pensassent que la construction européenne soit entachée d’un péché originel.

Juridiquement, d’abord.

L’argument repose sur la prémisse que l’on aurait demandé aux Irlandais en 2008 “Êtes vous d’accord pour ratifier le Traité de Lisbonne ?” puis en 2009 : “Êtes-vous sûr que vous n’êtes pas d’accord, en fait ?”. L’erreur est facile à faire puisque c’est cette première formulation qui a été posée lors des référendums de 1992 et 2005 en France (en parlant de Maatricht et du TECE, bien sûr).

Mais ce ne fut absolument pas le cas en Irlande. 

Les Traités européens, allant toujours plus loin sur la voie fédéraliste, nécessitent chez la plupart des pays signataires une mise en conformité préalable de la Constitution pour permettre la ratification. C’est ainsi que la France s’est mise en conformité avec le Traité de Maastricht par la Loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 (JO du 26 juin 1992), du Traité de Rome II dit Traité établissant une Constitution pour l’Europe par la Loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1er mars 2005 (caduque à la suite du referendum du 29 mai 2005), et du Traité de Lisbonne par la Loi constitutionnelle n° 2008-103 du 4 février 2008. Toutes adoptées par la voie parlementaire, les referendum de 1992 et 2005 soumettant au vote la loi de ratification (il était tout à fait envisageable de soumettre au vote la loi constitutionnelle, puis laisser le parlement ratifier le traité).

La Constitution irlandaise prévoit (art. 46) que tout amendement à la Constitution doit être soumise à referendum. L’Irlande était donc obligée d’organiser cette consultation, non sur le texte du Traité, mais sur la révision de sa Constitution, préalable nécessaire à la ratification du Traité. 

C’est ainsi le 28e amendement à la Constitution qui a été soumis à referendum (deux fois, puisqu’un amendement ne prend définitivement son numéro qu’une fois adopté). Ce qui bat déjà en brèche l’argument du deuxième vote contraire à la souveraineté du peuple irlandais. S’il est une expression incontestable de la souveraineté d’un peuple, c’est celui de modifier sa Constitution. 

De plus, la lecture des deux propositions d’Amendement constitutionnel montre que ce n’est pas le même texte qui a été soumis à referendum. Jugez vous-même : lien vers la proposition de 2008, lien vers la proposition de 2009 (pdf). Peu importe, m’objecteront des voix nonistes, puisque c’est bien le même Traité qui était en jeu. Je n’en disconviens pas. Mais que l’on cesse de dire que c’est la même question qui a été posée deux fois, c’est totalement inexact. Les anglophones pourront constater que les textes sont fort différents, et que l’on est passé d’un texte purement technique et abscons en 2008 à un texte plus clair en 2009, la Constitution prenant le soin d’expliciter les transferts de souveraineté et les points sur lesquels l’État reste libre de déléguer ou non ses compétences, et ajoutant des prises de positions sur le sens de l’engagement européen du pays (nouvel article 29.4.4). Belle leçon de pédagogie politique, à méditer chez nous, soit dit en passant. 

Autre argument : “et on refait un referendum l’année prochaine ?” C’est possible, mais c’est aux Irlandais de décider, et ce serait une toute autre question qu’il faudrait poser. Il faut garder à l’esprit qu’un Traité, qu’il soit européen ou que ce soit la Charte de l’ONU ou les Conventions de Genève est un contrat. Un contrat entre États souverains, mais essentiellement un contrat. La qualité des parties contractantes, qu’on désigne toujours en langage diplomatique comme Hautes Parties Contractantes même si personne n’a jamais vu de basse partie contracter (le premier qui fait un jeu de mot graveleux en commentaires a un gage) suppose des dérogations au droit commun des contrats, que les étudiants en droit découvrent avec émerveillement en cours de droit international public. Mais le point commun est qu’un contrat se forme par la rencontre d’une offre et d’un consentement. Tant que le contractant n’a pas dit oui, pas de contrat. À la seconde où il a dit oui, il est lié par le contrat, la situation n’est plus la même. On peut dire mille fois non à un contrat, on peut dire une fois non à mille contrats, mais on ne peut dire mille fois oui à un contrat, même si on peut dire une fois oui à mille contrats. C’est clair ?

Prenons un exemple tiré du droit des contrats. Vous achetez un ordinateur PC neuf. Quand vous l’allumez, la première chose qu’on va vous demander est si vous acceptez les conditions contractuelles d’utilisation du système d’exploitation. Si vous refusez, votre ordinateur ne marchera pas. Mais vous aurez la satisfaction d’être libre face à votre écran noir. Si le lendemain, vous rallumez votre ordinateur, il vous posera la même question. Ne vous fâchez pas contre cette atteinte à votre souveraineté. Vous pouvez toujours cliquer non et contempler avec émotion votre écran noir. Le jour où vous cliquerez oui, le système d’exploitation s’installera et votre ordinateur fonctionnera. Mais vous constaterez qu’il ne vous demandera plus à chaque allumage si vous acceptez les conditions contractuelles. Inutile : vous les avez acceptées et êtes lié par elles. 

Par contre, supposons qu’un jour, le programme connaisse un tel changement que les conditions contractuelles en sont modifiées (c’est le cas lors de la mise à jour d’un service pack, par exemple). Vous devrez accepter cette modification pour l’installation du service pack, sinon, rien ne se fera. 

Loin de moi l’idée de dire que l’UE s’apparente à Windows (de fait, le pragmatisme, l’esprit communautaire, et la nécessité d’être soi même technicien pour comprendre comment ça marche sans jamais y arriver tout à fait l’apparente plutôt à Linux). Et pour ceux qui pourraient m’objecter que refuser d’installer un service pack n’a jamais empêché de continuer à utiliser son ordinateur comme si de rien n’était, je précise qu’il y a une différence essentielle : le contrat de mon exemple est un contrat bilatéral, liant l’utilisateur à l’éditeur du logiciel. Un traité européen, c’est un contrat à 27 parties, et il faut 27 oui pour que tout changement entre en vigueur. Un peu comme si même après avoir cliqué oui, il fallait que votre voisin du dessus accepte lui aussi le service pack pour qu’il s’installe sur votre ordinateur. Il n’est pas possible d’appliquer Lisbonne à 26 et laisser l’Irlande appliquer le traité de Nice puisque le nombre de commissaires, de députés et les règles de prise de décision collectives ne sont pas les mêmes. 

Donc un referendum l’an prochain ne viserait pas à savoir s’il faut ratifier Lisbonne : cela revient à demander s’il faut promulguer à nouveau une loi en vigueur. Il poserait uniquement la question du retrait de l’Irlande de l’Union Européenne, mais ne saurait abroger le traité de Lisbonne à l’égard des 27 ou même de la seule Irlande. Si on me demande mon avis, je n’ai aucune objection. Les résultats de vendredi dernier me laissent serein sur la réponse qui serait apportée. 

Voilà pour la partie juridique.

Politiquement et moralement, maintenant. 

Je laisse de côté le fait que, comme en France en 2005, les débats n’ont pas porté sur le sens des réformes proposées dans le Traité dont la ratification était ainsi rendue possible mais entre autres sur la crise, l’avortement, la neutralité et le mariage homosexuel (pour avoir suivi la campagne dans la presse irlandaise, je vous assure que le nouveau système de majorité qualifiée, un point pourtant essentiel du traité de Lisbonne, n’a jamais été abordé dans le débat public). C’est le travers de ce genre de referendum sur des textes techniques. 

Je laisse également de côté le fait qu’il y a eu des précédents qui à l’époque n’ont pas provoqué tant d’indignation vertueuse : le Danemark a revoté sur Maastricht le 18 mai 1993 (oui à 56,7%, participation 86,5%) après un rejet le 2 juin 1992 (non à 50,7%, participation 83,1%) et, déjà, l’Irlande avait rejeté Nice le 7 juin 2001 (53,87% de non, participation 34,79%) avant de l’approuver le 19 octobre 2002 (oui à 62,89%, participation 49,47%). 

Il s’agit simplement de se demander ce qui interdirait à un peuple de s’exprimer à nouveau conformément à sa Constitution ; pourquoi quand il donne une réponse, il lui serait interdit de s’exprimer à nouveau sur la question, et tout changement d’avis forcément illégitime, au nom de la démocratie, ce qui serait pour le moins paradoxal.

C’est là que je vais expliquer pourquoi invoquer simultanément la démocratie et la souveraineté est contradictoire. Cette confrontation est actuellement au cœur du débat européen. 

À ce jour, tous les pays européens sauf l’Irlande ont ratifié le Traité1. Un pays de 6 millions d’habitants bloque un processus approuvé par un ensemble de 500 millions2. On ne peut qualifier cette situation de démocratique : la démocratie n’est pas la dictature de la majorité, mais c’est encore moins celle de la minorité. Par contre, elle respecte la souveraineté des peuples : rien en se fait si tout le monde n’est pas d’accord. Lisbonne vise à basculer dans un fonctionnement où la majorité qualifiée au Conseil devient la règle, majorité qualifiée qui est fixée non plus en nombres de voix par État (ce qui devait être négocié à chaque Traité) mais par une règle proportionnelle s’adaptant automatiquement en cas d’élargissement (double majorité d’au moins 55% des États membres, représentant 65% des citoyens). Imposer à un État une décision prise à la majorité, c’est démocratique, mais c’est contraire à sa souveraineté. Mais invoquer les deux simultanément est contradictoire. Ajoutons qu’une procédure de révision des traités est institué pour simplifier et alléger.

— Le peuple ne sera plus consulté ?

Si. C’est la négociation des changements qui est simplifiée mais chaque État membre restant souverain, ces changements devront être approuvés par eux selon leurs règles internes. Mais les révisions des constitutions des États membres seront plus rares, Lisbonne ayant nécessité une mise en conformité durable, et seule une telle révision imposant un referendum en Irlande. 

— Nous sommes donc pieds et poings liés face à l’Europe dominatrice ?

Non, il y a des clubs spécialisés pour ça. L’article 50 du futur TUE tel que modifié par Lisbonne prévoit également une procédure de retrait d’un État de l’Union. Elle est extrêmement simple puisqu’elle est mise en route par la notification de sa décision par l’État concerné au Conseil Européen, décision qui doit être prise conformément à ses règles constitutionnelles internes (en France, cela supposerait une révision de la Constitution). Un bon argument pour les nonistes d’être favorables à Lisbonne, soit dit en passant. 

— Pourquoi n’a-t-on pas fait un referendum le même jour dans toute l’Europe pour approuver Lisbonne ?

Ça aurait eu de la gueule, mais cela posait un problème. La Constitution allemande ne permet pas le referendum. Un précédent démocratique malheureux. Je crois que la Constitution belge non plus. De plus, quid si tous les pays votaient oui sauf Malte ? Au nom de la démocratie, les 400.000 maltais l’emportent sur les 500.000.000 d’européens ? 

Les nonistes ont en effet un avantage décisif : il leur suffit d’un non pour l’emporter, quand il faut 27 oui aux ouistes. Je comprends leur goût pour la situation actuelle, et leur regret qu’elle prenne fin ; je leur demande juste de cesser d’appeler cet avantage démocratie

Notes

1 : La Pologne et la République Tchèque n’ont pas encore déposé les instruments de ratification du fait du refus de leurs présidents. le président polonais invoquait le referendum irlandais et devrait les déposer dans les semaines qui viennent. Le président Tchèque invoque un recours déposé devant la cour suprême tchèque par des sénateurs libéraux (oui, contrairement à ce qu’on croit en France, les libéraux n’aiment pas trop l’UE et pas du tout Lisbonne). David Cameron affirme que s’il est élu au printemps prochain et que Lisbonne n’est pas entré en vigueur, le Royaume Uni reviendra sur son dépôt des instruments pour organiser un referendum, mais le sérieux de cette promesse est sujet à caution.

2 : Rappelons qu’en fait, le non irlandais en 2008 avait réuni en tout et pour tout 862 415 voix.

mardi 22 septembre 2009

Souci de cohérence

Les députés, c’est comme les enfants : on ne peut pas les laisser tranquille cinq minutes sans qu’ils fassent des bêtises.

Les députés, c’est comme les enfants : quand ils sont pris la main dans le pot de confiture, ils feignent de ne pas savoir que ce n’est pas bien.

Et cette fois, dans le rôle du pot de confiture, l’article L.7 du Code électoral.

Flashback.

La fin des années 80 et le début des années 90 ont été marqués par ce qu’on a appelé “les affaires”. La France n’a pas été la seule concernée : c’était l’époque de mani pulite en Italie. Mais alors que l’Italie se débattait contre des affaires de corruption, en France, il s’agissait de financement occulte des partis.

Le financement des partis était censé se faire exclusivement avec les cotisations des adhérents. Autant dire que pour financer des campagnes modernes (la France était tapissée d’affiches électorales en 1981 et 1988), c’était insuffisant. Alors c’était la débrouille. Le parti au pouvoir puisait dans les fonds spéciaux mis à la disposition discrétionnaire du premier ministre (supprimés par le Gouvernement Jospin) et tous demandaient des rétrocommissions, c’est à dire que les entreprises qui se voyaient attribuer un marché public devait en reverser une part au parti gérant la collectivité territoriale attribuant le marché (le RPR s’étant fait une spécialité des marchés de construction des HLM, je vous laisse calculer combien de logements sociaux auraient pu être construits avec les fonds détournés). L’affaire Urba (qui concerne le PS) va révéler que ces rérocommissions se montaient à pas moins de 30% du marché. Sans parler du PCF qui percevait des subsides de puissances étrangères (il prétendait que c’était la vente du muguet du 1er mai qui lui a permis de financer la construction de son siège, place du Colonel Fabien à Paris). 

Bref, c’était le contribuable qui payait in fine. Russe, dans le cas du PCF.

À la suite de l’affaire Luchaire en 1988 (une affaire de ventes d’armes à l’Iran pendant sa guerre avec notre allié l’Irak, la cessation des livraisons d’arme va entraîner une vague d’attentats de décembre 1985 à septembre 1986 qui feront 13 morts et 300 blessés), une première loi sur le financement des partis va être votée à la va-vite le 11 mars 1988. Elle pose le principe du financement public des partis représentés à l’Assemblée (cette loi permettra à jean-Marie Le Pen de financer sa campagne de 1988 alors qu’il n’avait pas pu être candidat en 1981) et autorise ceux-ci à recevoir des dons. 

Une deuxième loi du 15 janvier 1990 étend ce financement aux partis non représentés au parlement et plafonne les dons des personnes morales à 500.000 francs (ce qui ferait aujourd’hui un plafond de l’ordre de 100.000 euros actualisés). Surtout, cette loi portera une amnistie très controversée de tous les faits délictuels liés au financement des partis, votés malgré l’hostilité de l’opinion publique dans des conditions peu glorieuses (les députés socialistes étaient peu nombreux mais les absents avaient “oublié” leur clef de vote à leur pupitre).

Une loi du 29 janvier 1993 tentera d’interdire les dons des personnes morales (car des entreprises attributaires de marchés publics faisaient des dons spontanés aux partis des élus attribuant ces marchés, outre le fait que le financement de la vie publique ne faisant pas partie de l’objet de ces personnes morales, on tombait dans l’abus de biens sociaux) mais les députés se contenterotn de baisser les plafonds et de prévoir la publication des comptes de campagne.

Enfin, une loi Séguin du 19 janvier 1995, votée par la droite de retour aux affaires (c’est le cas de le dire) après la démission de trois ministres impliqués dans des affaires de financement (Gérard Longuet bénéficiera toutefois d’une relaxe), va interdire le financement par les personnes morales et fixer les règles encore en vigueur actuellement : plafonnement des dépenses, collecte des dons par un mandataire ou une association de financement qui règle les factures sans que le candidat ait accès à ces fonds, tenue d’une comptabilité qui doit être déposée et vérifiée par une commission, sous peine d’inéligibilité pendant un an (et donc perte du mandat en cas d’élection. Même au bout de 12 ans, certains se font encore avoir comme des bleus. Dans un élan d’ivresse vertueuse, le législateur va même voter l’article L.7 du Code électoral, nous y voilà, qui interdit pendant cinq ans l’inscription sur les listes électorales d’une personne condamnée pour certains délits (concussion, corruption, trafic d’influence, menace et intimidation sur fonctionnaire, détournement de bien public , et leur recel), tous liés au financement des partis.

Or c’est cet article L.7 qu’après 14 ans de réflexion que les députés se proposent d’abroger, par un amendement à la loi pénitentiaire, déposé en commission par le député SRC Jean-Jacques Urvoas, député dont mon ami Authueil, qu’on ne peut suspecter de sympathie pour le PS, salue la probité, que je ne mets pas en doute en ce qui me concerne. Ce député se désole sur son blog d’être au cœur d’une tempête médiatique qu’il estime injuste.

Il s’agit de l’amendement CL (pour Commission des Lois) 185. cet amendement est ainsi motivé : 

L’article L. 7 du code électoral prévoit, pour les personnes condamnées pour l’une des infractions visées aux articles 432-10 à 432-16, 433-1, 433-2, 433-3 et 433-4 du code pénal, une peine automatique de radiation des listes électorales pour une durée de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive. Cette peine dite accessoire déroge au principe posé par l’article 132-21 du code pénal, qui dispose que « l’interdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille mentionnés à l’article 131-26 ne peut, nonobstant toute disposition contraire, résulter de plein droit d’une condamnation pénale ».

Il apparaît nécessaire de mettre fin à cette incohérence entre deux textes législatifs.

Je m’en voudrais de pinailler. Ou alors, il faut que vous insistiez.

(La foule des lecteurs : Nous insistons, maître ! Pinaillez ! Pinaillez !)

Vraiment ?

Bon, si ça vous fait plaisir.

L’argument ne tient pas une seconde.

En effet, l’article 131-26 du Code pénal a été adopté en juillet 1992, dans le cadre de la réforme du code pénal. Soit deux ans et demi avant l’article L.7 du Code électoral (loi du 15 janvier 1995). Cette prétendue incohérence a été voulue et se règle aisément pour les juristes (vous allez voir qu’elle est de fait déjà réglée) puisque l’article L.7 dérogeait à l’article 131-26 qui lui était antérieur. L’article 131-26 a abrogé toute disposition antérieure prévoyant une privation des droits civils automatique. L’article L.7 en a réintroduit une. Cas pratique d’application de la loi dans le temps, programme de 1e année de droit. 

D’autant que la jurisprudence a clairement encadré la conjugaison de ces articles, grâce à Alain Juppé. Je vais y revenir tout de suite.

Car pour en finir avec ce souci de cohérence, un détail semble avoir, comment dirais-je ? échappé au législateur. Il y a un autre article dans le code électoral, l’article LO. 130 (L. signifie un article relevant d’une loi ordinaire, R. du pouvoir réglementaire, donc d’un décret en Conseil d’État, et LO d’une loi organique) prévoyant que 

Les individus dont la condamnation empêche temporairement l’inscription sur une liste électorale sont inéligibles pendant une période double de celle durant laquelle ils ne peuvent être inscrits sur la liste électorale.

Bref, toute personne frappée par l’article L.7 est non seulement privée du droit de vote (sauf à Secret Story) pendant 5 ans mais inéligible pendant 10 ans. C’est la peine de mort pour les politiques. 

Et Alain Juppé a senti passer le vent du boulet. C’était dans l’affaire des HLM des Hauts-de-Seine. En première instance, Alain Juppé, s’était vu appliquer le funeste article L.7 et par ricochet le LO 130. La République était menacée d’être privée du meilleur d’entre nous pendant dix ans. 

Heureusement, la cour d’appel de Versailles, dans un de ses rares accès de clémence, a écarté cette inéligibilité de dix ans en la réduisant à une inéligibilité de droit commun, en appliquant un article du code pénal (l’article 132-21 du code pénal) permettant au juge d’écarter toute peine d’interdiction automatique s’il l’estime opportun. Les plus cacochymes expérimentés de mes lecteurs se souviendront que j’avais traité de la question à l’époque (et hop, deux billets pour le prix d’un). Vous le voyez, le code pénal permet déjà en l’état au juge d’écarter l’inéligibilité de dix ans ou d’en relever le condamné s’il en fait la demande justifiée. Le droit actuel est donc parfaitement cohérent. Principe, exceptions. Si le législateur veut rétablir la cohérence, il peut aussi rajouter la mention “sans préjudice des dispositions de l’article L.7 du code électoral” à l’article 131-26 du Code pénal.

Par contre, l’abrogation de l’article L.7 aura pour effet automatique de relever de leur inéligibilité tous les élus frappés de cette sanction en application de cet article : application rétroactive de la loi pénale plus douce (rétroactivité in mitius disent les latinistes). D’où le reproche de loi d’amnistie déguisée : ça en aurait les mêmes effets.

En conclusion, la cohérence a bon dos. Et quand on est député, qu’on vote la loi et qu’on est en première ligne pour se voir appliquer l’article L.7, il ne faut pas s’étonner que la manœuvre ne passe pas inaperçue. Quant à trouver un député d’opposition à l’intégrité au-dessus de tout soupçon pour porter l’amendement, c’est là aussi une manœuvre classique. Sans réduire les qualités personnelles de cet élu, il est d’ailleurs assez facile d’avoir une réputation sans tâche quand on a été conseiller régional de Bretagne pendant 4 ans puis député pendant deux ans, sans jamais exercer de fonctions de direction dans un parti politique.

Et quand on se souvient que c’est cette même assemblée a voté les peines plancher, c’est-à-dire le principe d’une peine de prison minimale automatique, on voit qu’en effet, sa volonté d’abroger une peine d’inéligibilité automatique montre bien que la cohérence n’a jamais été le souci premier de l’assemblée nationale.

Mise à jour : 

Jean-Jacque Urvoas semble avoir réalisé qu’il s’est embarqué dans une mauvaise affaire et finalement souhaite le rejet de son amendement en commission mixte paritaire.

Authueil revient sur cette affaire dans un deuxième billet rédigé avant la publication du mien.

vendredi 18 septembre 2009

Dissolution de la dissolution : réaction en commission des lois

Les députés de la commission des lois ont abordé au cours de la réunion de la commission du 16 septembre dernier l’affaire de la suppression de la peine de dissolution des personnes morales coupables d’escroquerie.

Il ressort des explications du président de la commission, Jean-Luc Warsmann que c’est bien lui qui a introduit cette disposition, qui n’a pas été voulue par la Chancellerie. Au passage, on se demande naïvement de ce que la Chancellerie ait son mot à dire dans une proposition de loi qui est purement parlementaire, la Chancellerie pouvant déposer des projets de loi, et elle ne s’en prive pas. Évidemment, il faut y lire l’aveu de ce que cette proposition de loi a été pour l’essentiel rédigée par les services du Gouvernement.

Le président Warsmann réfute toute influence de l’Église de Scientologie dans cette affaire, et je veux bien le croire. Il explique avoir voulu rétablir une échelle des peines cohérente, ayant relevé huit infractions plus sévèrement punies que l’escroquerie pour lesquelles la dissolution était écartée par la loi. Sauf que la rédaction choisie écarte la dissolution pour l’escroquerie en bande organisée, qui est punie du maximum délictuel (10 ans de prison pour une personne physique). En fait, cette phrase trahit à mon sens ce qu’a été son erreur d’appréciation : après avoir rappelé que personne n’avait parlé de la Scientologie lors des débats (il faut dire que personne n’a parlé de cet article lors des débats), il ajoute

D’autre part, l’incrimination d’escroquerie porte généralement sur des affaires concernant le droit commercial ; quand il s’agit de personnes morales, ce sont plutôt des entreprises qui sont concernées, pas des associations.

Où l’on voit que la droite a toujours pour les entreprises commerciales les yeux de Chimène et pour la justice les yeux de Stevie Wonder.

Le président Warsmann a donc tremblé à l’idée qu’une entreprise condamnée pour une petite escroquerie puisse être dissoute, jetant à la rue des employés innocents. Où l’on voit que l’on peut faire la loi sans avoir une bonne idée de son application. Et que le législateur n’a décidément aucune confiance dans les juges.

La peine de dissolution est la peine de mort des personnes morales. Les juges savent parfaitement tout ce que cela implique. Liquidation du patrimoine qui est dévolu à l’État, licenciement économique du personnel, etc. C’est donc la peine la plus élevée applicable aux personnes morales. Et comme le principe de personnalisation des peines (chaque peine doit être adaptée entre autres à la personnalité et la situation personnelle du condamnée) s’applique aussi aux personnes morales, elle n’est prononcée que dans des cas extrêmes (8 fois ces 10 dernières années). Et qu’est-ce qu’un cas extrême ? C’est une personne morale qui n’a été constituée QUE dans l’objet de réaliser une ou des escroqueries, ou dont la seule activité consiste à réaliser ces escroqueries, qui n’ont aucune utilité sociale (étant entendu qu’une société commerciale a une utilité sociale). Aucun juge n’envisagera un seul moment de dissoudre une société commerciale florissante qui emploie de nombreux salariés parce que son PDG a fait des fausses fiches de paie pour permettre à sa nièce enceinte de bénéficier des indemnités journalières du congé maternité.

Voilà la conséquence tragique de cette défiance du législatif et de l’exécutif envers les juges. En voulant retirer une arme dangereuse aux juges, dont ils n’ont jamais fait un mauvais usage en 15 ans mais on sait jamais, on provoque des conséquences inattendues.

Heureusement, nos parlementaires croient à la vertu de l’exemple et assument courageusement leur responsabilité.

Vous avez deviné, je plaisante. Non seulement Jean-Luc Warsmann va dire que ce n’est pas sa faute, mais en plus il va dire que celui qui a fait une bourde, en fait, c’est le magistrat du parquet.

Vous ne me croyez pas ?

Chapitre un : ce n’est pas ma faute.

D’abord, la vertu outragée, ou, “j’ai peut-être merdé mais ce n’est pas une raison pour me parler comme ça”.

Pourriez-vous faire savoir à M. Ayrault, de ma part, qu’il a dépassé toutes les limites acceptables lors de la conférence de presse qu’il a donnée : suggérer que le président de la Commission des lois que je suis ait pu faire preuve de « complaisance » à l’égard de l’Église de scientologique est proprement écœurant.

Bon, on peut avoir ses susceptibilités, et je veux bien admettre que la violence de l’indignation causée par cette affaire a été disproportionnée à l’égard de Jean-Luc Warsmann, qui a dû en prendre plein la figure. Tout le monde, à commencer par un avocat, et même un député, peut commettre une erreur, ou faire quelque chose sans envisager toutes les conséquences, Que je sache, Jean-Luc Warsmann a une excellente réputation à l’assemblée : c’est un député honorable, actif et bosseur, respectueux de l’opposition et ouvert ; je ne pleurerais pas si l’Assemblée était composée de 577 Jean-Luc Warsmann. Mais commencer par se plaindre quand on est pris en faute n’est pas forcément ce qu’on peut attendre à ce niveau de responsabilité.

Ensuite : c’est pas vraiment moi, c’est plutôt tout le monde.

Comme je l’ai indiqué, la rédaction qui a été adoptée est celle de la proposition de loi que j’avais déposée – je l’assume totalement. Et je le répète : cette disposition n’a jamais fait l’objet de la moindre observation ou de la moindre remarque au cours du processus législatif. Étienne Blanc peut en attester, et c’est également ce que montrent les mails que j’ai de nouveau consultés depuis que cette polémique a été lancée par certaines personnes avant tout préoccupées de se faire de la publicité.

Arrêtez-moi ou je fais un malheur et ce sera votre faute, en somme.

Il est vrai que dans cette affaire, aucun garde-fou n’a fonctionné. Comme on l’a vu, personne n’a eu l’idée de démanteler l’article en question pour réaliser que le 33° pouvait avoir des conséquences sur cette affaire en cours, mais aussi mettre à l’abri tous les mouvements sectaires s’étant rendus coupables d’escroquerie. Mais l’absence de garde-fou effectif n’autorise pas à se comporter comme un fou. Et le fait que tout le monde soit fou à l’assemblée n’est pas non plus une excuse.

Bref, conclut le président Warsmann :

je voudrais remercier ceux qui ont évoqué la notion d’erreur collective et la nécessité d’être solidaire.

Tant il est vrai qu’en politique, on aime assumer les erreurs des autres.

Mais la meilleure défense, c’est l’attaque. Haro sur le baudet. En fait, c’est le procureur qui a fait n’importe quoi.

Chapitre II : Blâmez le procureur

Là, je m’insurge : c’est une atteinte au monopole de la profession d’avocat.

Le problème, vont dire les députés, ce n’est pas que la dissolution ait été supprimé comme un seul homme (un Monsieur Jourdain en l’occurrence), mais que le procureur l’ait requis ! Dame ! S’il avait requis autre chose, personne n’aurait relevé la disparition de la peine.

La première salve vient de Dominique Perben (UMP), ancien garde des sceaux :

Ne simplifions pas à l’extrême : si le Parquet n’a pas suivi l’évolution de la loi, ce n’est pas la faute de la Commission. Il aurait été tout à fait été possible de requérir une mesure d’interdiction. Notre commission n’a pas à endosser une responsabilité qui n’est pas la sienne.

Le Parlement a exercé sa responsabilité ; c’est maintenant à la chancellerie qu’il revient d’expliquer comment le Parquet a pu être conduit à requérir une sanction qui n’existait plus.

Et pourquoi pas saisir le CSM au disciplinaire, pendant qu’on y est ?

Ce n’est plus haro sur le baudet, c’est le coup de pied de l’âne. L’assemblée connaît ses classiques.

Jean-Luc Warsmann n’a plus qu’à jouer les grands seigneurs en volant au secours du parquetier, sans oublier quand même de froncer les sourcils : il a en effet horreur des erreurs des autres.

S’agissant des réquisitions du Parquet, on peut penser que le magistrat concerné s’est servi d’une version « papier » du code, qui n’était pas à jour, au lieu de consulter la version électronique. Sans cela, le Parquet aurait pu requérir une interdiction d’exercer directement ou indirectement toute activité en France à l’encontre de l’Église de scientologie. L’intérêt de cette mesure est qu’elle permet de viser les activités localisées dans d’autres pays que le nôtre, contrairement à la peine de dissolution. Si le Parquet avait requis cette mesure, aucune polémique n’aurait vu le jour ; la presse aurait sans doute trouvé, au contraire, que le Parquet y allait fort.

Comme Dominique Perben, je souhaiterais que la chancellerie nous explique ce qui s’est passé au Parquet de Paris : comment se fait-il qu’une peine n’existant plus ait été requise ?

Mais il n’y a qu’à demander, monsieur le président. Parce que les magistrats ne lisent pas mieux le JO que les députés ne lisent les propositions de loi. Les parquetiers n’ont pas le temps de prendre leur stylo et de griffonner en marge de leurs codes tous les changements géniaux que vous votez sans réfléchir. Le seul article 124, celui qui contenait la disposition funeste, modifie 53 articles du code pénal (et deux du code de procédure pénale). Et la version électronique met quelques semaines à être mise à jour. Enfin, vu que personne n’a réalisé ce qu’il votait, qui donc était censé avertir le procureur qu’une peine avait disparu à quinze jours de l’audience ? Rappelons que même l’avocat de la Scientologie n’avait pas soulevé dans sa plaidoirie que la peine requise était juridiquement impossible.

Là, je trouve Jean-Luc Warsmann gonflé, et je pèse mes mots.

Non seulement il n’assume pas sa responsabilité bien qu’il affirme le contraire puisque pour lui, c’est une responsabilité collective (et quand c’est la faute à tout le monde, c’est la faute à personne), mais en plus, il se scandalise que le parquet ne réalise pas immédiatement ce que lui même ne réalisera que quand la MIVILUDES sortira l’affaire.

C’est un peu comme l’affaire Hortefeux : la faute est lamentable mais excusable ; ce qui est pire que tout, ce sont les excuses invoquées. Un épisode qui ne grandit pas ceux qui y sont mêlés.

Et pour les fines bouches, il y a un chapitre 3.

Chapitre 3 : de toutes façons, il y a pire : il y a une peine moindre.

Plusieurs intervenants vont se rassurer en disant que de toutes façons, il reste la possibilité de prononcer la peine d’interdiction d’exercice, qui à la limite serait même mieux que la dissolution (on se demande alors pourquoi cet empressement à la rétablir).

Jean-Paul Garraud (UMP) :

Que le Parquet ait commis une erreur dans ses réquisitions, comme cela arrive parfois, cela n’empêchera nullement la juridiction de jugement de prononcer des peines d’interdiction à l’encontre de l’association en cause, ce qui aura à peu près le même effet.

“À peu près”. On appréciera la rigueur juridique du législateur en action.

Daniel Vaillant (SRC) :

Mais force est de reconnaître qu’il existe un véritable problème, lequel ne résume pas à une défaillance de vigilance sur ce texte. Le Parquet n’a pas fait les réquisitions qui convenaient. Nous devons également nous demander, sur le fond, si la dissolution est un meilleur instrument de lutte contre les sectes que l’interdiction.

Heureusement, toute raison n’a pas encore déserté le Palais-Bourbon :

Alain Vidalies (SRC) :

D’un point de vue juridique, on ne peut pas prétendre, comme l’a suggéré Jean-Paul Garraud, que l’interdiction emporte des effets identiques à ceux d’une dissolution. Si la loi faisait mention de deux peines distinctes, c’est qu’il y avait une différence de degré. J’aimerais savoir ce qu’en pensent les membres de l’UMP ici présents : sont-ils d’accord avec la garde des sceaux, qui affirmait hier la nécessité de réintroduire la dissolution dans l’arsenal pénal ? Il me semble que c’est notre devoir de le faire.

François Bayrou (non inscrit) :

Il me vient toutefois une question de Béotien : la dissolution n’emporte-t-elle pas une conséquence différente en matière patrimoniale ? Si tel est le cas, on voit quel est l’intérêt pour les entités relevant de la scientologie d’échapper à la dissolution.

Les critiques sont pertinentes. La dissolution et l’interdiction ne sont pas du tout la même chose.

C’est pourtant ce que vont tenter de démontrer Jean-Luc Warsmann et Étienne Blanc, les Laurel et Hardy de la séance :

Jean-Luc Warsmann :

Le Parquet aurait pu requérir une interdiction d’exercer directement ou indirectement toute activité en France à l’encontre de l’Église de scientologie.

Amusant d’ouïr le président fustiger ce procureur qui requiert des peines illégales avant de lui suggérer de requérir une peine illégale.

L’article 131-39, 2° du code pénal prévoit la peine d’interdiction, ainsi définie. le tribunal peut prononcer

2° L’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales ;

Une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales. La loi ne permet pas de prononcer une interdiction de toute activité. Seulement de certaines, celles qui ont permis la commission de l’infraction. Et comment définit-on une activité sectaire ? Un tribunal ne peut pas interdire à l’Église d’enseigner la dianétique, l’enseignement de la parole de L. Ron Hubbard ou la fascinante vie et œuvre de Xenu, dictateur de la Confédération galactique qui a commis un génocide sur notre planète à coups de bombes nucléaires dans les volcans de Hawaï (je n’invente rien). Ce ne sont pas des activités professionnelles ou sociales, et la liberté de conscience s’y oppose.

Étienne Blanc : 

Les faits reprochés à l’Église de scientologie sont susceptibles de recevoir plusieurs qualifications juridiques. Elle est poursuivie pour escroquerie, mais elle pourrait également l’être pour abus de biens sociaux et pour vol.

Heu… Non. D’abord, la qualification des faits a fait l’objet d’un débat au cours de l’instruction, et si d’autres qualifications étaient possibles, elles auraient pu être relevées jusquà la clôture des débats. Ensuite, l’Église de scientologie étant une association, elle ne peut commettre d’abus de biens sociaux, réservé aux dirigeants de droit et de fait de sociétés commerciales de capitaux (S.A., SARL, SAS). Et ça donne des leçons aux parquetiers. 

S’agissant de l’Église de scientologie, organisation qui dispose de ramifications partout dans le monde – au Danemark, en Suisse ou encore en Belgique –, l’arme de la dissolution ne serait qu’un sabre de bois : nous ne pouvons pas dissoudre des associations ayant leur siège dans des pays étrangers. L’outil le plus opérant, c’est l’interdiction d’exercer ses activités.

Eh oui : on ne peut pas dissoudre des assocations situées à l’étranger mais on peut leur interdire toute activité. Magie vaudou. 

Argument à côté de la plaque : l’Église de Scientologie est composée en France d’associations loi 1901 toutes domiciliées sur le territoire de la République. Il suffit de lire le JO

Mais laissons travailler les députés. Ils doivent encore adopter définitivement la loi HADOPI 2, pour nous montrer que quand ils veulent, ils peuvent faire du bon travail. 

Heu, non, oubliez ce que je viens de dire.

samedi 12 septembre 2009

Oh, la douce saveur de l'ironie

«Si vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’avez pas à avoir peur d’être filmé. Lorsque vous faites vos courses au supermarché, lorsque vous retirez de l’argent au guichet ou que vous utilisez les transports en commun, vous êtes déjà filmés. Qui cela dérange-t-il ?»

Brice Hortefeux, lors de son déplacement à Sartrouville, le 9 septembre 2009,

Monsieur le ministre, vous êtes vraiment sûr que la vidéo ne peut pas déranger ceux qui n’ont rien à se reprocher ?

[Via Versac Meilcour]

L’arroseur arrosé, Louis Lumière, 1895. On n’a pas fait plus drôle depuis.

jeudi 10 septembre 2009

Khartoum plein de décence en panne

par Sub lege libertas


Il fut un temps sur les terres nubiennes où les femmes furent maîtresse de leur destin comme du royaume. Héritières des candaces qui arrêtèrent Auguste et imposèrent aux romains la paix et le respect de leur indépendance, qui se battirent pour vénérer jusqu’en 543 à Philaé Isis, la déesse des mystères, les soudanaises ne sont pas femmes à abdiquer leur fierté. L’Agence France Presse nous le narre : Loubna Ahmed al-Hussein écrivait des billets pour le journal al-Sahafa (La Presse) et travaillait à la section médias de la mission des Nations unies au Soudan (Unmis) au moment où elle avait été arrêtée. Comme treize autre femmes également interpellées, son humaine indignité était de porter comme une reine le pantalon.

Pour tous ceux qui se gaussent légèrement en petit comité sur les réformes de la justice pénale française en pensant qu’à ce sujet au moins, aucun débat ne s’instaure chez les fils et filles de sans-culottes, je me dois d’indiquer que le 7[1]novembre 1800, une ordonnance [2] a interdit aux femmes le port du pantalon. C’est l'ordonnance du 16 Brumaire an IX[3] de la République, non abrogée. Elle dispose que toute femme désirant s’habiller en homme doit se présenter à la Préfecture de police pour en obtenir l’autorisation. Celle ci ne peut être donnée qu’au vu d’un certificat d’un officier de santé. Cette réglementation[4] a fait l’objet de deux circulaires en 1892 et 1909 autorisant le port féminin du pantalon, si la femme tient par la main un guidon de bicyclette ou les rênes d'un cheval ![5]

Certes la France est un un pays obscurantiste où “les droits fondamentaux de la personne humaine dans les affaires simples ou compliquées sont souvent mis à mal ; les textes applicables sont confus ou enchevêtrés” (page 5 sur 59 du Léger rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale). Seulement, au Soudan où les textes applicables ne sont ni confus ni enchevêtrés, l'article 152 du code pénal de 1991, entré en vigueur deux ans après le coup d'Etat de l'actuel président Omar el-Béchir, prévoit une peine maximale de 40 coups de fouet pour quiconque «commet un acte indécent, un acte qui viole la moralité publique ou porte des vêtements indécents».

Alors qu’elle peut invoquer l’immunité diplomatique que lui confère son poste aux Nations Unies, Loubna Ahmed al-Hussein en démissionne et décide alors de mener un combat contre l'article 152 du code pénal soudanais... en allant devant ses juges. Son attitude est méritoire à deux titres : d’une part, elle croit possible un état de droit et une justice libre en son pays, ce qui constitue dans le Soudan d’Omar el-Bechir une pétition de citoyenneté remarquable ; d’autre part, loin de se contenter d’une protestation d’égalité féministe de salon occidental(isé), notre journaliste devenue activiste soutient selon l’AFP que cet article viole la Constitution soudanaise et l'esprit de la loi islamique (charia) en vigueur dans le Nord du Soudan, majoritairement musulman. «Cette loi est mauvaise. Il n'est pas dans nos traditions et notre comportement à nous, peuple soudanais, de flageller les femmes», a soutenu une autre opposante.

Une telle défense mérite d’être applaudie. Il eût été facile de débiner la loi soudanaise au regard des conventions internationales dont le Soudan est signataire, pire de suspecter la justice soudanaise d’archaïsme. Mais c’est risqué de ne pas être entendu par ses juges nationaux que de parler d’universalité toujours trop occidentale aux yeux de qui voit l’univers s’aliter soit dans l’impérialisme des moeurs des anciens colonisateurs, soit dans le particularisme culturel pour respecter les différences plutôt que la dignité des personnes. Loubna me plaît car elle prend ses procureurs au mot et à leur maux. Ils rêvent à haute voix (cela s'appelle requérir, Eolas D.R.) de la déculotter, elle veut les mettre à nu dans leur argumentation fragile.

Pourtant Loubna Ahmed al-Hussein a été reconnue coupable lundi 7 septembre 2009 d'avoir porté un "pantalon indécent", mais le juge moins philistin que jésuite lui avait donné le choix entre une amende de 500 livres soudanaises (environ 140 euros) ou un mois de prison. Refusant de payer l'amende, elle était donc été incarcérée. Notons au passage avec le porte-parole du Haut Commissariat aux Réfugiés, Rupert Colville, que "les 13 autres femmes arrêtées avec Loubna al-Hussein n'ont pas du tout bénéficié d'une représentation juridique et n'ont pas eu le temps adéquat pour préparer leur défense, contrairement à Loubna al-Hussein qui a été défendue par des avocats de la mission soudanaise de l'ONU. Par ailleurs, dans une sorte de plaidé coupable soudanais, certaines de ces 13 femmes ont subi immédiatement une flagellation de 10 coups, pour éviter de risquer l’application d’une sentence plus lourde.

L'union des journalistes soudanais dit avoir payé l'amende infligée à Loubna Ahmed al-Hussein qui a aussitôt été libérée. "J'avais demandé à ma famille et à mes amis de ne pas la payer", a-t-elle affirmé, ne sachant pas pour le moment si elle allait interjeter appel du verdict de culpabilité prononcé par la cour de Khartoum-Nord. "Nous allons continuer le combat pour changer cette loi, la police de l'ordre public et les tribunaux de l'ordre public".

Je salue votre décence Madame, non celle de votre pantalon, qui ne vous libère pas de l’état du droit, mais celle de votre volonté de justice et de légalisme dont procédera vraiment votre liberté au Soudan. Vous êtes fille de Rousseau dont on aimerait que les soudanais récitent librement les mots :

Un peuple libre obéit aux lois, mais il n'obéit qu'aux lois et c'est par la force des lois qu'il n'obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu'on donne dans les républiques au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l'enceinte sacrée des lois : ils en sont les ministres, non les arbitres, ils doivent les garder, non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu'ait son gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l'homme, mais l'organe de la loi. En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles. (Jean Jacques Rousseau, Lettres écrites de la montagne, Lettre VIII, édité à Amsterdam, chez Marc Michel, en 1764)

Notes

[1] Et non le 17 ; je corrige grâce à la pertinence de ce commentaire qui me rappelant le cas de Rosa Bonheur, me fournit la date exacte de ce texte.

[2] Et non une loi ; le même commentateur m'a permis de voir qu'il s'agit en fait d'une ordonnance du Préfet de police de Paris. On dirait aujourd'hui grosso modo un arrêté préfectoral.

[3] Et non donc, la loi du 26 Brumaire an IX ;voir notes 1 et 2 pour les corrections apportées le 10 septembre à 16 heures 40.

[4] dont le non respect était à l'époque sanctionné par l'article 259 de l'ancien code pénal.

[5] Dans la mesure où le code pénal actuel en son article 433-14 dispose qu'est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait par toute personne, publiquement et sans droit, de porter un costume réglementé par l'autorité publique, je peux rêver à voix haute (cela s'appelle requérir, Eolas D.R.) de poursuites contre une femme en pantalon, puisque le texte réglementaire du 16 brumaire an IX n'est pas abrogé et que manifestement, il constitue une réglementation par l'autorité publique du port public d'un costume, en l'espèce celui d'homme par une femme. Je ne disconviens pas qu'il y a des textes fondammentaux sur l'égalité des sexes qui permettraient de rendre vaines mes poursuites.

mercredi 9 septembre 2009

Vous avez dit grippée ?

par Dadouche



Je n’ai pas la voix de stentor de Gascogne.

Ni le lyrisme de Sub Lege Libertas

Et je n’ai vraiment pas beaucoup d’humour en ce moment, contrairement à Eolas.

Juste l’incrédulité narquoise de celle qui apprend qu’il est indispensable, si les magistrats et greffiers venaient à tomber malades en trop grand nombre pour assurer le fonctionnement des juridictions, de prendre des mesures d’exception qui permettraient, par la simple grâce d’une série d’ordonnance, de voyager gratis en Corée du Nord.
Un genre de téléportation juridique.

Quatre magistrats absents en même temps sur un effectif de vingt ? J’ai connu. Et les prolongations de détention, les audiences collégiales etc.. on se les est tapées.
C’est tellement “normal” que ça n’est venu à l’idée de personne de nous en remercier.

Pas suffisamment de greffiers pour tenir les audiences ? C’est mon quotidien de juge des enfants.

Des dossiers renvoyés parce qu’on ne peut pas les juger ? Ca arrive tous les jours dans beaucoup de juridictions. Pas parce que les magistrats ou les greffiers sont malades. Parce qu’il est 22 heures et que vraiment, avec la meilleure volonté du monde, on n’arrivera pas à passer trois dossiers de plus.

Du retard dans le traitement des procédures ? Je connais plusieurs juridictions où le délai d’enregistrement d’une procédure au bureau d’ordre se chiffre en mois. Avant même qu’un magistrat du parquet jette un coup d’oeil dessus.

Des piles de jugements à taper qui ne sont pas exécutés ? Allez faire un tour dans un greffe correctionnel.

Des sursis avec mise à l’épreuve “mis en oeuvre plus”[1] de six mois après leur prononcé ? Bienvenue au SPIP.

La Justice française est grippée du 1er janvier au 31 décembre, et depuis longtemps. Le diagnostic est posé par tous les praticiens.

Certes, il était temps que ça affole quelqu’un.

Mais c’est plutôt la loi de finances qui a besoin d’un plan pandémie.

Notes

[1] enfin, mis en oeuvre, au rythme d’un rendez-vous tous les 4 mois hein

vendredi 4 septembre 2009

Je disconviens respectueusement

Décidément, c’est un atavisme chez les procs que de me porter la contradiction. Jusque sur mon blog,

Ainsi, Sub Lege Libertas propose une contre-argumentation à mon analyse de l’affaire Anastase contre Balthazar prédisant la confirmation de la victoire du premier. Et le bougre va chercher jusque dans l’arsenal de l’ancien droit et des brocards en latin, connaissant ma vulnérabilité à tout argument proféré dans la langue de Cicéron.

Mais il ne sera pas dit que je me rendrai sans combattre, surtout quand j’ai raison.

Mon premier réflexe de juriste est d’invoquer le respect des domaines. Nemo auditur (l’usage en droit veut qu’on cite un brocard avec ses deux premiers mots sauf si l’un d’eux est un adjectif auquel cas on ajoute le mot suivant : Nemo auditur, Nemo plus juris) est effectivement un adage qui s’applique au droit des obligations (plutôt que le droit des contrats, qui est une sous-division du droit des obligations), et non au droit des successions, qui ne dédaigne pas son latin (le droit des successions adore les langues mortes).

L’argument est valide, mais il est contré par la production par le parquet d’un arrêt de la cour de cassation qui applique cet adage à une hypothèse de droit des successions. Attendez… Vraiment ?

Le parquet a une tendance naturelle, empruntée au Barreau, de voir midi à sa porte. Mais comment reprocher à un procureur né dans le Nord Pas de Calais de vouloir voir le Midi ?

Comme le dit Sub Lege Libertas en commentaire, la Cour de cassation ne commet jamais d’erreur de droit puisque c’est elle qui dit le droit. Donc, c’est Sub Lege Libertas qui a dû se tromper en le lisant. Lisons-le donc nous-même.

Que dit la cour pour casser l’arrêt ayant donné à Micheline les fonds du mineur ?

«…en statuant ainsi, alors que Mme X… se trouvait exclue de la prestation considérée pour une cause qui lui était propre, le décès de son mari étant le résultat de l’acte fautif lui ayant valu sa condamnation, la cour d’appel a violé la règle susvisée [Nemo auditur]…»

Les mots importants sont les mots prestation et cause qui lui était propre

Qu’est-ce qu’une prestation ? Appelons à la rescousse le dictionnaire du droit privé.

Le mot “prestation” désigne l’acte par lequel une personne dite “le prestataire” fournit un objet matériel ou s’acquitte d’une créance envers le ” bénéficiaire de la prestation”. Ainsi le vendeur s’acquitte d’une prestation au moment où il livre à l’acquéreur ce qui a fait l’objet de la vente, le prêteur qui verse la somme empruntée réalise la prestation qui a été prévue par l’emprunt.

Première constatation : une prestation, c’est du droit des obligations. Corollaire : un héritage n’est pas une prestation. Le mort n’a aucune dette envers le vivant, et ce n’est pas en exécution d’un contrat que les biens du défunt vont à ses héritiers.

Le mot “prestation” est largement employé dans le droit de la Sécurité sociale. Le remboursement par l’organisme de sécurité sociale, à l’assuré, des frais médicaux que ce dernier a avancés, est une prestation. Le salaire de remplacement que verse l’Assedic à une personne en recherche d’emploi, est une prestation. On parle alors de “prestations sociales”.

Nous y voilà. Une pension de retraite relève du droit de la sécurité sociale (qui couvre l’assurance maladie, l’assurance chômage, les allocations familiales et l’assurance vieillesse, dite prévoyance). Et une pension (il est plus exact de dire rente mais le mot a pris une connotation négative) est une prestation. C’est l’exécution d’une obligation par la caisse, ici la société de secours minière, contrepartie de l’obligation assumée sa vie durant par le défunt houilleur de cotiser à la société de secours. C’est une forme de contrat d’assurance, mais dont la loi fixe les clauses et rend l’adhésion obligatoire. Il demeure, c’est un contrat, qui relève du droit privé (la preuve : c’est la cour de cassation qui statue dans cette affaire).

Ergo, la cour de cassation a bien appliqué l’adage nemo auditur non pas à une affaire de droit des successions mais de droit des obligations. Le litige opposait la veuve d’un assuré à la société de secours minière, veuve qui agissait non en héritière (ce qu’elle n’était pas) mais en tant que créancière : le contrat lui donne droit à toucher la pension de son mari pendant un an après le décès ou jusqu’aux trois ans du plus jeune de ses enfants. 

En outre, la cour exclut la veuve par ses propres mains pour une cause qui lui était propre (le fait d’avoir estourbi son mari). La cour insiste sur cette cause qui est la turpitude qu’invoque la veuve contre l’adage nemo auditur. Or, Anastase a certes fauté, mais était-ce pour une cause qui lui était propre ? Non, disent de conserve un chœur d’experts ayant conclu à l’irresponsabilité, c’est-à-dire à l’abolissement du discernement. Dès lors, pas de turpitude à reprocher à Anastase, sauf à le rendre responsable de sa folie, ce qui serait à tout le moins une nouveauté. 

Pour conclure, Sub Lege Libertas rêve à voix haute (cela s’appelle requérir) une extension de cette jurisprudence à une hypothèse éloignée de celle d’origine, pour rétablir de l’équité dans cette affaire. J’aime l’équité. Si, si. Elle est très gentille. Mais l’égalité entre héritiers, c’est d’ordre public. 

Je terminerai en disant que je ne vois pas en quoi l’équité permettrait d’interdire à Anastase, poursuivi par Balthazar pour le dédommager de ces décès, et condamné à le payer, à faire valoir ses droits sur la succession pour payer son frère, ne serait-ce que par compensation. Cette condamnation, c’est un transfert d’un patrimoine à l’autre. Balthazar l’a demandé et obtenu. Mais si Anastase renonçait à cette succession, cela reviendrait à payer deux fois son frère. Il n’est pas interdit d’être aussi équitable avec les fous. 

Par ces motifs, plaise à la cour confirmer mon billet. 

Sous toutes réserves, et ce sera justice, n’oubliez pas mon article 700, bande de radins. 

Rentrée des classes : cours de latin ou pourquoi ne pas tuer son mari pour toucher sa retraite de veuve.

par Sub lege libertas


Oui, on peut tuer ses parents et toucher l’héritage. Est-ce si sûr ? Le Maître de ces lieux a démontré juridiquement la béance entre le droit successoral (les indignités) et la morale, voire -j’y ajoute - le droit naturel ou divin (tu ne tueras point). Evidemment, le procureur - qui peut toujours au nom de l’ordre public ou dans l’intérêt de la loi venir donner son avis aux civilistes - ne peut totalement rester taisant. Et que pourrait-il répondre juridiquement pour exhéréder le fils qui a causé la mort de son père dans un geste de démence reconnue pénalement ?

Et bien, il ne parlera pas chinois mais latin ! Et vous vous en doutez ça me plaît bien… Depuis 1948 (selon le Professeur Morvan qui s’est penché sur la question), la Cour de cassation qui contrôle l’usage des règles de droit a recours à des principes de droit qui viennent lui servir de fondement à son analyse quand la référence à un texte législatif n’y suffit pas. Ces principes sont très divers, mais pour nombre d’entre eux, ce sont des adages latins, de vieilles maximes de droit romain qui pour certaines ont parfois été traduites en articles de loi. Mais souvent elles demeurent non écrites, sauf à être visées par un tribunal ou une cour de justice comme référence : vu le principe…

Dans notre beau système judiciaire, cette pratique peut étonner : les jacobins hurleront contre au nom de la prohibition des “arrêts de règlement”, ces jugements par lesquels les cours souveraines de l’Ancien Régime face à la maigreur des textes légaux cuisinaient une règle de droit à leur propre sauce et décidaient qu’elle réglait pour l’avenir (d’où le nom d’arrêt de règlement) la question posée par le litige. Je ne trancherai pas le débat entre les jacobins, les positivistes, les jus-naturalistes et autres oiseaux interprètes des sources du droit pour savoir si le recours à des principes non écrits comme fondement d’une décision judiciaire est une hérésie systémique, un scandale politique (gouvernement des juges) ou l’expression de la normativité de la jurisprudence même sans ”stare decisis”, preuve de l’adaptation permanente du droit à l’évolution de la société. Mékeskidi ? Rien d’autre en français que ce que dit un juge dans son jugement peut servir de référence pour un autre jugement dans un cas similaire, même si ce n’est pas obligatoire, et qu’ainsi sans que la loi ait changé, son interprétation par les juges permet de l’adapter à la réalité de la société.

Je me contenterai de cette pratique établie pour tenter de débouter Anastase de sa demande de part d’héritage de feu son papa qu’il a follement occis. Et voilà donc qu’avec Balthazar le frérot orphelin, le procureur que je suis s’écrie : “Nemo auditur propriam turpitudinem allegans”. Comme l’article 111 de l’ordonnance royale donnée à Villers-Cotterêts le 15 août 1539, insinué au Parlement de Paris le 5 septembre de la même année, toujours en vigueur dans notre pays, m’interdit l’usage d’une autre langue dans les actes judiciaires que la langue françoise, je me reprends et derechef je m’écrie : Nul ne peut alléguer ses propres méfaits pour en tirer profit.

Ah ! Mais ne serait-ce pas de la morale qui sous couvert d’adage latin s’insinue dans le droit pour mettre en échec l’application des textes en vigueur au profit d’Anastase ? J’ose un glissement de terrain sémantique : morale peut-être, équité certainement. Et là, je reste juriste car jus est ars boni et aequi, le droit est le moyen d’être bon et équitable. Le droit anglo-saxon, que je maîtrise certes aussi bien que la langue de Shakespeare parlée par une betizu, use me semble-t-il très bien de cette notion d’équité comme fondement notamment du droit des obligations, là où notre bon vieux législateur post-révolutionnaire nous fait privilégier l’égalité. Mais comme le juge et pas seulement celui de Château-Thierry aime naturellement l’équité quand l’égalité de la loi semble injuste, il trouve refuge dans cet adage “nemo auditur” pour prohiber que l’on tire avantage d’un méfait que l’on a causé.

Bien. Mais cet adage a-t-il déjà été utilisé dans un cas comme celui de nos Abel et Caïn de l’héritage ? Et c’est là où je vais vous parler de mon pays natal, le bassin minier du Nord-Pas de Calais. En ces contrées, Micheline - on l’appellera comme cela - vivait auprès de son Robert retraité des mines, sans doute silicosé, sirotant son café bistoule du matin au soir. Or un jour ou peut-être était-ce une nuit, lassée de la vie que lui faisait mener son Robert, voilà que la Micheline le cogne tant avec tout ce qui lui tombe sous la main que Robert quitte le bas monde de son coron pour l’éternité. Micheline est condamnée pour coups mortels avec arme à cinq années de réclusion criminelle par la cour d’assises de Saint-Omer ou de Douai, peu importe.

Mais bientôt Micheline quitte les murs de sa prison et s’avise que désormais veuve de feu son mineur de fond, elle peut revendiquer la pension de reversion d’ouvrier mineur conformément au décret du 27 novembre 1946, portant organisation de la sécurité sociale dans les mines. C’est la veuve joyeuse version ch’ti! La Cour d’appel de Douai, le 19 février 1993, donne raison à Micheline qui se réjouissait déjà, après voir touché le fond, de le faire désormais au pluriel. Las, la Cour de cassation s’en mêle et sans remettre en cause la réalité du droit à pension ouvert par les textes au profit de Micheline, vise uniquement en tête de son arrêt (et en latin !) la règle “nemo auditur” pour dire à Micheline qu’elle “se trouvait exclue de la prestation considérée pour une cause qui lui était propre, le décès de son mari étant le résultat de l’acte fautif lui ayant valu sa condamnation”.

J’en entends déjà qui disent : “D’accord, mais à la différence de Micheline, Anastase n’a pas été condamné puisqu’il était irresponsable pénalement. Donc, pique nique douille c’est Sub lege libertas l’andouille ” Que nenni ! Car au visa de la règle “nemo audititur” je conclue civilement ainsi : Attendu que Anastase a causé le décès de son père, qu’il a d’ailleurs été tenu de réparer au profit de son frère Balthazar les conséquences de son geste fautif au plan civil, Attendu que Anastase ne peut se prévaloir de son comportement fautif pour revendiquer la qualité d’ayant-droit à la succession de son père, laquelle n’a été ouverte qu’à raison de ce comportement, que dès lors en application de la règle sus-visée, il doit se voir débouter de sa demande…

Attendons donc tous de voir comment la cour d’appel de Nîmes, peut-être sur conclusion de l’avocat général inspiré par la lecture de ce billet, statuera, avant de se soumettre à la tentation d’estourbir ses géniteurs par un fol appât du lucre.

lundi 31 août 2009

Oui, on peut tuer ses parents et toucher l'héritage

La presse (Le Midi Libre du moins) se fait l’écho d’une affaire assez extraordinaire qui se déroule actuellement dans le Gard, avec un formidable conflit entre le droit et la morale, cette dernière, comme d’habitude, allant sortir vaincue. 

Le résumé a de quoi faire bondir : un homme qui a tué ses deux parents, dans des conditions assez horribles qui plus est, a saisi la justice contre son frère pour demander sa part d’héritage, et il l’a obtenue (devant le tribunal de grande instance : l’affaire est en appel, mais je doute que la cour juge autrement, vous allez voir pourquoi). Cet héritage va d’ailleurs lui servir en partie à payer les dommages-intérêts qu’il doit à son frère pour avoir tué… ses parents. 

Et oui, c’est tout à fait légal. 

Comme, pour des raisons que j’ignore, les sites de presse en ligne (et Le Post, que je me refuse à mettre dans cette catégorie) adorent visiblement avoir des dizaines de commentaires de gens indignés, les explications juridiques font défaut dans l’article. Comme j’aime le Midi et que j’aime être libre, j’aime le Midi Libre et vais donc voler au secours de ses lecteurs égarés, en édifiant les miens au passage. 

La question ici n’est pas de droit pénal mais de droit des successions. Le droit des successions prévoit comment le patrimoine d’un mort passe à celui d’un vivant, et détermine qui est ce vivant. Cette opération juridique est instantanée et automatique, au moment du décès. En ancien droit, on disait le mort saisit le vif. Vous voyez que Resident Evil n’a rien inventé que les juristes ne connaissaient déjà. 

Le droit des successions, cauchemar des étudiants de M1, définit des ordres de successeurs, sachant que dès qu’un ordre est représenté, c’est à dire qu’une personne y figure, les ordres suivants sont exclus de la succession. Les représentants d’un même ordre sont en revanche traités sur un pied d’égalité. Ces ordres sont fixés à l’article 734 du Code civil : il s’agit

1° des enfants et de leurs descendants ;
2° des père et mère ; les frères et soeurs et les descendants de ces derniers ;
3° Les ascendants autres que les père et mère ;
4° Les collatéraux autres que les frères et soeurs et les descendants de ces derniers. 

Notons que le 2e ordre est une révolution pour les juristes, puisque depuis Napoléon, les ascendants constituaient un ordre supplantant les collatéraux. Ou en français moderne, les frères et soeurs ne touchaient rien si un des parents ou grand-parents au moins était encore en vie. La grande réforme des successions de 2001 a créé cet ordre mélangeant les père et mère (et eux seuls) et les frères et soeurs. 

Dans notre affaire, les deux parents décédés laissaient deux fils : le premier ordre étant représenté, les suivants sont donc exclus. Les deux frères sont en principe traités sur un pied dégalité. Le Code civil a mis fin définitivement au droit d’aînesse, qui donnait la succession au mâle premier né, excluant les soeurs et les frères puînés, qui cherchaient leur salut dans les Ordres religieux ou dans le métier militaire (les fameux régiments de cadets), le second permettant d’arriver au paradis plus vite mais moins sûrement que le premier. Les parents pouvaient altérer quelque peu cette égalité par testament, mais certainement pas déshériter (on dit plutôt exhéréder) un de leurs fils. 

Dans notre affaire, aucun testament n’a porté atteinte à ce principe d’égalité. Donc, au décès de leurs parents, les deux frères avaient vocation à receillir chacun pour moitié la succession de leurs parents. 

Néanmoins un problème se pose ici. Un des héritiers n’est autre que celui qui est la cause de la succession. Le code civil prévoit cette hypothèse par la règle de l’indignité successorale. 

L’article 726 du Code civil dispose en effet que : 

Sont indignes de succéder et, comme tels, exclus de la succession :
1° Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ;
2° Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.

Vous voyez que le Code civil pose des conditions strictes. Il doit y avoir condamnation d’une part, et d’autre part elle doit être criminelle, c’est à dire prononcée par une cour d’assises ET dépasser les dix ans de prison (sinon, c’est une peine correctionnelle). Donc seuls deux crimes entraînent automatiquement l’indignité successorale : le meurtre (et l’assassinat, auxquels la jurisprudence ajoute l’empoisonnement), et les violences ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner, à condition que la peine soit d’au moins onze ans de réclusion criminelle. 

À ces hypothèses s’ajoutent des indignités facultatives, qui sont prononcés par le juge, à la demande d’un des cohéritiers (ou du ministère public si l’indigne est seul héritier), sachant que le juge peut, au regard des faits, refuser l’indignité (mais pas la prononcer partiellement). 

Ces hypothèses figurent à l’article 727 du Code civil : 

Peuvent être déclarés indignes de succéder :
1° Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ;
2° Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle pour avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner ;
3° Celui qui est condamné pour témoignage mensonger porté contre le défunt dans une procédure criminelle ;
4° Celui qui est condamné pour s’être volontairement abstenu d’empêcher soit un crime soit un délit contre l’intégrité corporelle du défunt d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers ;
5° Celui qui est condamné pour dénonciation calomnieuse contre le défunt lorsque, pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue.
Peuvent également être déclarés indignes de succéder ceux qui ont commis les actes mentionnés aux 1° et 2° et à l’égard desquels, en raison de leur décès, l’action publique n’a pas pu être exercée ou s’est éteinte. 

Les deux premiers cas sont la suite logique de l’indignité obligatoire : si la peine est correctionnelle, il faut que le juge y passe. 

Pourquoi me demanderez-vous, chers lecteurs qui ne commentez pas sur les sites de journaux (Dieu vous bénisse) et faites précéder vos opinions de questions pertinentes ? Simplement parce que quand un parricide est condamné à une peine relativement légère, c’est qu’il y a une raison. Et que cette raison peut conduire à écarter l’indignité. Et que le législateur a décidé (c’était sous le Consulat, en des temps plus humanistes qu’aujourd’hui, et ça me poigne de l’écrire) que dans ce cas, le juge devait vérifier les faits. 

Je me souviens d’une affaire d’assises où un fils, mineur âgé de 17 ans, battu et violé par un père alcoolique a tué d’un coup de fusil son père le jour où il s’est rendu compte que ses visites nocturnes allaient désormais dans la chambre de son petit frère de 11 ans. Mérite-t-il d’être indigne ? Non, a dit la cour, qui a prononcé une peine de 5 ans, la partie ferme couvrant la détention provisoire : il a été libéré le soir même. 

Les autres cas d’indignité facultatives concernent des atteintes graves à l’honneur du défunt, qui sont hors sujet ici. 

Revenons-en à notre affaire. Tout se joue sur un détail essentiel hélas absent du titre de l’article : le fils, appelons le Anastase, qui a tué ses parents était dément au moment des faits. Il était atteint de schizophrénie et a eu une bouffée délirante. Des experts psychiatres ont tous estimé qu’il a effectivement agi lors d’une telle bouffée et que dès lors, son discernement était aboli. Cela est confirmé par un détail significatif : les meurtres commis par un dément lors d’une telle bouffée sont d’une violence et d’une horreur extrême. Un malade mental qui décompense n’a plus la moindre inhibition, il est incapable de compassion, et peut faire montre d’un acharnement effrayant. Et c’est le cas ici, ce qui ne facilite pas la compréhension. 

En conséquence, après une courte détention provisoire, le fils en question a été hospitalisé en hôpital psychiatrique, où il est encore. Anastase a bénéficié d’un non lieu pour irresponsbilité pénale, mais, sur demande de son frère, appelons-le Balthazar, il a été condamné au civil (les déments sont civilement responsables : article 414-3 du Code civil) à lui payer 40 000 euros de dommages-intérêts. 

Vous avez deviné : non lieu, donc pas de condamnation pour meurtre, fût-elle correctionnelle. Anastase ne peut en aucun cas être considéré comme indigne. Il a donc droit à la moitié de la succession. C’est la loi. Et il l’a donc demandée. 

Mais une autre question jaillit : comment peut-on être fou au point d’être irresponsable d’un meurtre mais pouvoir agir en réclamation d’une succession ? N’est-ce pas contradictoire ? La réponse est simple. Un fou n’est pas irresponsable. Il est irresponsable pénalement. Il ne relève pas de la sanction pénale, qui a pour objet de punir, de dissuader et de réinsérer. 

Le punir n’a aucun sens : il n’était pas lui même quand il a agi. Cela reviendrait à punir un innocent. Dissuader est ici absurde : on ne dissuade pas une bouffée délirante. Enfin, résinsérer… Par pudeur, je passerai sur la qualité des soins susceptibles d’être donnés en prison. Disons pour faire un élégant euphémisme que la prison n’est pas l’endroit idéal pour soigner une maladie mentale.

Mais il reste responsable civilement. Et si on l’a jugé responsable à hauteur de 40 000 euros à l’égard de son frère, encore faut-il luigarantir le plein accès à son patrimoine afin de payer ses dettes. Balthazar est particulièrement malvenu à faire un procès en dommages-intérêts à Anastase puis à lui dénier par la suite une action visant à lui permettre de payer ce qu’il lui doit. Ce même si de fait, il avait recueilli (illégalement) l’intégralité de l’héritage et que du coup, il va devoir donner à son frère ce que son frère lui doit. 

J’ajoute qu’un schizophrène n’est pas en bouffée délirante continuelle. Beaucoup de schizophrènes mènent une vie à peu près normale, pour peu qu’ils aient un traitement adéquat qvec le suivi nécessaire. Le juge des tutelle d’Uzès a d’ailleurs refusé le placement sous tutelle d’Anastase. Et eût-il été placé sous une telle mesure que son représentant légal aurait pu lui même faire valoir les droits de son pupille. 

Je n’accuse pas Balthazar d’être malhonnête. Il s’est fourvoyé en se laissant guider par son bon sens et sa morale sur les terres du droit, qui n’est pas un châtelain très tolérant. J’en veux pour preuve la solution qu’il propose : le fils ayant dépêché ses parents ayant deux enfants, il est d’accord pour que ceux-ci reçoivent la succession, mais il se refuse à l’idée que ce soit son frère. Et là, il joue de malchance. La loi en vigueur aujourd’hui propose une solution : celui qui renonce à une succession n’en exclut plus ses descendants. Elle passe à la géneration suivante sans jamais être entrée dans son patrimoine. Mais la succession des malheureux parents s’est ouverte en 2000. À l’époque, renoncer à une succession excluait les descendants du renonçant. Ce jusqu’au 1er janvier 2007. Et comme je vous l’ai dit au début, une succession est instantanée. Le patrimoine quitte le mort avec son dernier soupir et entre aussitôt dans celui des héritiers avant même qu’ils n’apprennent la nouvelle. Donc, si son frère renonçait à la succession, il excluerait ses neveux, ce qu’il ne souhaite pas. Terrible impasse juridique. Une solution possible serait qu’Anastase fît immédiatement une donation à ses enfants, contre renonciation de Balthazar à demander ses 40 000 euros. 

Las, je redoute que la situation ne vire ici au tragi-comique. Il y a gros à parier que Balthazar, face à l’insolvabilité supposée de son frère hospitalisé pour une durée indéterminée, ne se soit fait payer ces 40 000 euros par le Fonds de Garantie des Victimes d’Infraction, qui est tenu d’indemmniser les actes commis même par des irresponsable pénaux (article 706-3 du CPP qui dit que les faits doivent avoir le caractère matériel d’une infraction). Aujourd’hui, c’est le Fonds qui doit probablement demander à Anastase de rembourser cette somme, par son action dite récursoire. Anastase n’ayant pas de fortune, il a donc demandé à toucher son héritage pour payer cette dette. Et il doit demander sa part… à son frère Balthazar, qui était son créancier et est devenu son débiteur. Corneille, réveille-toi, tu as un autre chef-d’oeuvre à écrire. 

Je ne vois donc pas comment la cour d’appel de Nîmes pourrait juger différemment que le tribunal de grande instance et faire autrement que droit à l’action d’Anastase. 

Cela dit, je confesse ne pas connaître tous les tenants et aboutissants du dossier, et sur le plan du droit, alors que je n’imaginais pas un renversement du jugement de la mariée non vierge de Lille, la cour d’appel de Douai m’a donné une leçon, non pas de droit mais de realpolitik

Si après ça, il y en a encore qui doutent que droit et morale soient distincts, je ne peux plus rien faire pour vous.

samedi 22 août 2009

Prix Busiris pour Franck Louvrier

Décidément, pour être récipiendaire du prestigeux prix, il y a mieux qu’être ministre, il y a conseiller du président. Franck Louvrier, rosissant de l'honneur qui lui est fait, prend la pose, après avoir, pour se faire remarquer, mis une cravate à pois avec un costume à rayures. Le photographe a été admis à l'Hôtel Dieu pour d'importants saignements oculaires.

Et aujourd’hui, c’est le conseiller à la présidence de la République pour la communication et la presse qui est récompensé, pour cette tribune dans Le Monde, intitulée Internet et son potentiel démocratique

Le conseiller commence son propos par une présentation de l’importance prise par l’internet dans le débat démocratique. Dans les démocraties d’abord, comme aux États-Unis, où le président Obama a mené une formidable campagne sur le net qui a été déterminante dans son succès lors des primaires démocrates, et dans les dictatures ensuite, où Twitter a été l’outil avec lequel les opposants à Ahmadinedjad ont dénoncé les fraudes et raconté ce qui se passait malgré le blocus médiatique de l’État (avec moins de succès, hélas). 

Jusque là, on ne sort pas du niveau de la banalité : le conseiller dit ce que tout le monde sait déjà. Au moins peut-on se réjouir de ce que la nouvelle semble arrivée à l’Élysée. 

Le conseiller va ajouter deux arguments : d’une part, le niveau de contrôle de l’État sur le contenu et l’accès de l’internet est un étalon de son niveau démocratique (retenez bien cet argument, il va devenir particulièrement savoureux et a été déterminant pour l’attribution du Busiris). D’autre part, le danger principal contre ce phénomène de communication libre et directe est la manipuation, le mensonge, et la désinformation. Que des séides des États dictatorieux se fassent passer pour des citoyens de leur pays et fassent circuler des fausses informations.  

Sur ce dernier point, si en effet l’impossibilité de vérifier la source peut donner libre cours à des rumeurs, il y a des limites : si un compte twitter ThanShweRules publie un tweet disant qu’Aung San Suu Kyi est très contente d’être assignée à résidence et que la vie au Myanmar, c’est trop LOL, personne ne le prendra au sérieux. Mais bon, pointer les faiblesses d’un service qui peut provoquer un enthousiasme excessif est toujours très sain. Jusque là, tout va bien. 

Et puis brutalement, on bascule. Et on comprend que le conseiller de l’Élysée n’est pas venu nous faire partager ses réflexions sur l’internet mais faire l’article pour un produit avarié qu’on veut à toute force nous faire avaler. 

Ce qui menace Twitter, c’est moins la censure que la contrefaçon, la copie, en somme, le faux. Ainsi,  face à l’émergence de ces nouveaux outils de communication, l’enjeu central pour nos démocraties est de savoir protéger l’authenticité de ce lien numérique entre les citoyens du monde. L’enjeu est la vérification des sources, dont la responsabilité repose sur la vigilance des professionnels de l’information.  

Admirez le glissement sémantique en jouant sur le double sens du mot faux. Est faux le mensonge, et est faux le tableau qui n’est que la copie de l’original. Faux témoignage, faux Picasso : même combat. Et plus dangereux encore que la censure, arme de l’État - et en France l’État est votre ami-, il y a la contrefaçon, la copie, qui est synonyme du faux.  

On devine la suite : puisqu’il y a plus dangereux encore que la censure par l’État, qui est tout désigné pour vous protéger ? Réponse : l’État, avec comme arme… la censure. 

Cette grande menace nous concerne tous. Et si c’est grâce aux actualités américaine et iranienne que nous sommes sensibilisés au potentiel démocratique de ces nouveaux médias, c’est bien la France qui est à l’avant-garde. Plus que tout autre débat sur la planète, c’est le cas Hadopi qui pose aujourd’hui les questions auxquelles nos sociétés devront répondre demain sur le terrain de la démocratie. 

Là, le lecteur ne peut que se dire qu’HADOPI et la démocratie sur l’internet n’ont aucun rapport. La parade de Franck Louvrier est rudimentaire mais efficace : puisqu’il n’y a aucun rapport, il faut affirmer qu’il y en a bien un, mais c’est juste qu’il est bizarre. 

Le parallélisme des deux débats fait apparaître de curieuses similarités. Sur le pouvoir multiplicateur d’Internet, il en est de même pour la viralité des contenus sur Twitter que pour la circulation des oeuvres musicales : les mécanismes de la censure sont incomplets.  

On sent une pointe de regret sur ce dernier point : l’État a ceci de commun avec les acheteurs de viagra qu’il redoute plus que tout l’impuissance. Mais admirez surtout l’assimilation de la viralité des contenus de Twitter au piratage. Qui retwitte télecharge un film. 

Telle l’éclaircie dans la tempête arrive un moment de lucidité :

Aucune solution technologique ne peut vraiment mettre fin à la copie, et le Conseil constitutionnel a reconnu définitivement l’accès à Internet comme un droit fondamental des Français.

Mais cent fois sur le métier Louvrier remet remet son ouvrage, et c’est reparti  pour le délire :  

La question de la protection des oeuvres se joue donc ailleurs, dans la nécessité de protéger le caractère personnel des messages : l’oeuvre d’art a cela de commun avec le témoignage sur Twitter  qu’elle exprime le point de vue sur le monde d’une individualité originale.  

Je pense que Franck Louvrier devait penser à ce tweet en écrivant cela.  

Son sens et sa valeur reposent sur le caractère singulier et inaliénable d’un témoignage personnel mis à la disposition de tous. Ainsi il en va de même pour l’étudiant révolté des rues de Téhéran que pour l’artiste qui enregistre sa chanson à Paris : l’enjeu est de s’assurer que la vaste diffusion de son message n’étouffe jamais le lien qui l’unit à chacun de ses destinataires.  

Bon, là, on bascule juste dans l’indécence. Si Franck Louvrier demandait à son collègue Jen-David Lévitte ce qui se passe à Téhéran, il réaliserait que les préoccupations des étudiants iraniens ne sont pas exactement les mêmes que celles de René la Taupe.  

Et au cas où une personne arriverait à suivre et réalise que c’est du grand n’importe quoi, arrive la conclusion-mystère pour clouer le bec :  

Que la reconnaissance de la source soit partie intégrante de la construction du sens. 

Et toc. Même Frédéric Mitterrand ne l’a pas comprise celle-là.  

La conclusion se veut lyrique :  

Notre société doit reconnaître la dette que nous avons tous envers celui qui a la générosité de partager avec nous son témoignage le plus précieux - quel que soit son support. Faire comme si celui-ci n’existait pas reviendrait à briser le sens du partage, qui est au coeur de l’expérience artistique comme de la vie démocratique. Reconnaître le caractère inaliénable d’un témoignage personnel, tel est le sens profond de la réflexion en cours dans Hadopi, qui rayonne bien au-delà de l’industrie du disque, jusqu’au sens de notre vie en commun dans une démocratie. 

Ce qui au passage nous livre un scoop : la HADOPI sera compétente pour la contrefaçon des tweets. Et ça, c’est une bonne nouvelle. 

Mais redevenons sérieux un moment, l’heure est grave. J’ai annoncé un prix Busiris ; il faut y mettre les formes. 

L’affirmation juridiquement aberrante consiste à assimiler le mensonge à la contrefaçon en jouant sur l’ambiguïté du mot faux. La contrefaçon est une copie ou une représentation d’une oeuvre ou d’une marque sans l’accord du titulaire des droits. On ne parle de faux en propriété intelectuelle que quand l’oeuvre a un seul original ou un nombre déterminé de copies officielles (un faux Picasso, un faux Chanel). De fait, si un morceau protégé récupéré illégalement sur internet est une contrefaçon, ce n’est certainement pas un faux. C’est une copie, exactement comme le fichier qu’on télécharge légalement sur un site payant. Le morceau est le même. Il y aurait faux et mensonge au sens où le dénonce Franck Louvrier si un site proposait en télechargement un fichier RenéLaTaupe.mp3 qui s’avérait en fait être le Dardanus de Rameau. Mais je ne crois pas que Franck Louvrier milite pour la transparence des noms de fichiers sur les réseaux P2P.  

La mauvaise foi consiste d’une part dans l’assimilation du combat des opposants iraniens à la protection des intérêts pécuniaires des artistes français. Non que cette cause soit méprisable ; mais ce n’est décidément pas la même. Et d’autre part dans le rappel grandiloquent de l’importance de l’internet dans la vie démocratique et de la protection que le Conseil constitutionnel lui a donné en oubliant que c’est précisément contrele projet HADOPI que ce droit a été proclamé. Lire dans cet article que le niveau de contrôle de l’accès à l’internet est un étalon du niveau démocratique pour promouvoir un projet de loi visant à priver en masse de l’accès à l’internet pour protéger des intérêts privés expose au lumbago intelelctuel, tant le lecteur n’a pas l’habitude de tordre la logique avec cette rapidité.

L’opportunité politique est caractérisée par l’objet de cet article, qui est de faire une nouvelle tentative de promotion d’un projet de loi voulu à toute force par le gouvernement, à portée purement interne, et qui porte atteinte à tous les principes vantés par cet article.  

L’Académie en formation restreinte décerne donc ce prix avec mention très déshonorable et adresse ses félicitations au récipiendaire.  

mardi 18 août 2009

La saison des palmes

Alors que votre serviteur a chaussé les siennes à la plage, c’est celles de martyr que revendique Olivier Bonnet sur son blog.

Quitte à gâcher un peu ses effets, je me dois de relever un certain nombre d’erreurs qui profiteront ainsi à mes lecteurs qui réviseront ainsi leur droit de la presse et éviteront de commettre la même le jour venu.

Olivier Bonnet se plaint d’être “trainé devant un tribunal” par un magistrat, Marc Bourrague, pour des faits d’injure publique.

Bon, passons rapidement sur ce cliché de traîner devant les tribunaux. Toutes les parties que j’ai vu entrer dans un tribunal étaient debout sur leurs deux pieds, sauf les culs-de-jatte, ça va de soi. Quand bien même Olivier Bonnet serait réticent à comparaître, ce n’est pas le président Bourrague qui le fera entrer dans le prétoire en le tirant par les pieds tandis que ses ongles rayeront le parquet.

Le blogueur ouvre sur une formule péremptoire sur laquelle je reviendrai à la fin : Nouvelle attaque contre la liberté d’expression sur Internet : le magistrat Marc Bourragué me traîne devant le tribunal pour soi-disant “injure publique”. Mais la lecture de l’article révèle que l’attaque n’a rien de nouveau, puisque la plainte remonte à 2007. En fait, c’est l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel qui a été rendue il y a peu : l’instruction judiciaire est terminée, la procédure suit son cours, tout simplement. J’ajoute que le magistrat plaignant n’est pour rien dans cette mesure, qui découle logiquement de sa plainte d’il y a deux ans.

Notre mis en examen s’indigne ensuite de l’état du droit. Après avoir rappelé que l’injure est “Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ” (Art. 29 de la loi du 29 juillet 1881, il expose que :

C’est pourquoi on ne dispose pas pour se défendre de l’offre de la preuve. Inutile d’expliquer pourquoi on a écrit ce qu’on a écrit puisqu’il s’agit d’une “injure”, donc n’imputant aucun fait. Cette incrimination, dont nous allons voir qu’elle ne tient pas une seconde, m’interdit concrètement de me défendre ! 

Tout d’abord, on peut se dire que si Olivier Bonnet se prépare à nous démontrer que l’accusation dont il fait l’objet ne tient pas une seconde, c’est que la loi doit quand même un peu lui permettre concrètement de se défendre. Un vide juridique, peut-être…

Ensuite, mes lecteurs devenus experts en droit de la presse auront compris l’erreur du journaliste, qui n’est pas juridique mais logique. L’injure, par définition, ne renfermant l’imputation d’aucun fait (puisque si on impute un fait, c’est une diffamation), l’offre de preuve des faits n’est pas admissible, faute de faits à prouver. 

Mais la personne poursuivie pour injure dispose là d’un puissant moyen de défense : qu’elle établisse que le propos imputait un fait, et donc était une diffamation, et la poursuite tombe, irrémédiablement.

En effet, en droit de la presse, les règles sont strictes. Toute erreur dans la citation est sanctionnée de nullité (art. 53 de la loi du 29 juillet 1881), et une citation nulle n’a pu interromptre le délai spécial de prescription de trois mois. Autant dire que quand la nullité est prononcée, le délit est prescrit depuis longtemps. 

Olivier Bonnet introduit le rappel des propos qu’il admet avoir tenus en disant que ceux-ci auraient provoqué les foudres du plaignant, du procureur de la république et du juge d’instruction. C’est vouloir faire d’une averse un ouragan. 

Ses propos ont sans nul doute provoqué les foudres de la personne visée. Il n’est pas interdit de penser que c’était d’ailleurs leur but. Mais ça s’arrête là. 

Le droit de la presse a cette particularité de rester essentiellement privé. Seule la plainte de l’injurié, et s’il est agent public, de son ministre, fait vivre l’action (art. 48 de la loi de 1881). Qu’il la retire, et l’action prend fin, le procureur n’ayant pas le pouvoir de reprendre l’action à son compte. La loi fournit donc à Olivier Bonnet un paratonnerre juridique contre les foudres du procureur. 

Enfin, le juge d’instruction est tenu d’instruire ce dont il est saisi. Quoi qu’il pense des faits. La loi lui interdit d’avoir des foudres, puisqu’à force de charges et de décharges, il serait bien en peine de produire de l’électricité. Et en matière de délit de presse, le juge d’instruction a des pouvoirs limités : il se contente d’établir si les propos ont été tenus, par qui, et qui est la personne responsable de la publication (qui n’est pas toujorus l’auteur des propos). Il interrompt la prescription après avoir vérifié qu’elle n’était pas déjà acquise au moment de la plainte. Et c’est tout. Il n’a pas le pouvoir de se prononcer sur la qualification des faits, qui relève du seul tribunal.

Ainsi, en rendant cette ordonnance de renvoi, le juge d’instruction constate, sous le regard placide du procureur, que les propos figurant dans la plainte ont bien été tenus, et qu’Olivier Bonnet est responsable de leur publication. C’est tout. En matière de foudres, j’ai connu plus virulent. 

Quels sont les propos en question ?

Il s’agit de deux citations de son blog publiées le 13 novembre 2007. Dans la première, il parle de Marc Bourrague en l’appelant “l’inénarrable ancien substitut du procureur de Toulouse”. Le fait d’être un substitut, fût-il ancien, fût-il de Toulouse, ne pouvant être considéré comme outrageant, c’est le mot inénarrable qui a dû chiffonner le plaignant. Le dictionnaire nous donne deux sens. le premier, vieilli, est Qu’on ne peut raconter; qu’il est impossible de décrire ou d’exprimer. Comme on ne saurait exprimer un substitut sauf à user d’un pressoir géant, c’est donc vers le second sens qu’il faut se tourner : D’une extrême cocasserie. Synonime :  burlesque, cocasse, comique, extravagant, impayable (fam.),ineffable (fam.). Le caractère outrageant est ici plus visible. L’expression n’impute aucun fait. Le choix de la qualification d’injure semble pertinent, sans se prononcer sur le caracère effectivement outrageant. 

Sur ce propos, Olivier Bonnet se défend en déroulant l’argumentation suivante : 

La belle affaire. 

Sans vouloir me mêler de ce procès, j’espère qu’il sera plus prolixe à l’audience.

La seconde citation est la suivante : On peut donc légitimement s’interroger, connaissant le CV de ce magistrat, sur son «indépendance » dans le cadre d’un tel procès [le procès Colonna, où Marc Bourrague siégeait comme assesseur dans la cour d’assises spéciale. NdEolas] tant il est évident qu’il est en “coma professionnel avancé”. Les guillemets sont d’origine.

Le propos contient deux imputations : d’une part, une absence d’indépendance, et d’autre part, un coma professionnel avancé. 

Le premier point peut, selon le contexte, constituer une diffamation ou une injure. C’est l’argumentation que développe Olivier Bonnet. Ce défaut d’indépendance serait dû à l’existence supposée d’un rapport tenu secret mettant en cause le magistrat dans le cadre de l’affaire Patrice Alègre, qui serait du coup menacé à tout moment d’une sanction disciplinaire, au bon vouloir de sa hiérarchie. Si c’est bien là ce qui ressort du billet en cause (qui semble ne plus être en ligne), on serait effectivement dans le domaine de la diffamation. 

Olivier Bonnet met en cause le choix de la qualification d’injure, qui lui interdirait de lancer le débat sur ce point. Mais l’argumentation ne tient pas. D’une part, comme on l’a vu, ce choix inadéquat entraînerait immanquablement la relaxe d’Olivier Bonnet. C’est donc moins une ruse qu’un cadeau. En outre, Olivier Bonnet ne serait pas recevable à présenter une offre de preuve. En effet, à supposer que ces faits fussent établis, ce que je me garderai bien d’affirmer, ils remonteraient aux années 1990 et sont couverts par l’amnistie (en dernier lieu, celle de mai 2002). or l’article 35 de la loi de 1881 interdit l’offre de preuve de faits amnistiés. J’ajoute que du coup, l’accusation d’être sous la menace permanente de sanctions ne tient plus non plus, puisque ces faits amnisitiés ne peuvent non plus fonder une sanction. 

Reste enfin le “coma professionnel avancé”. On peut comprendre de ces propos que nonobstant l’absence de sanctions disciplinaires, la carrière du magistrat aurait pris une voie de garage révélant une disgrâce dissimulée. Le seul argument avancé à l’appui de cette affirmation est que c’est “évident”. C’est un peu léger pour constituer une diffamation, la jurisprudence exigeant des faits articulés susceptibles d’un débat. Ce d’autant que ce magistrat a entre-temps été nommé vice-procureur à Montauban, puis cinq ans plus tard vice-président à Paris, où il siège dans deux chambres correctionnelle. Le coma professionnel avancé ne me paraît pas si évident, sauf à considérer que risquer de m’entendre plaider est considéré comme un châtiment dans la magistrature. Le choix de l’injure n’est pas manifestement infondé. On verra ce qu’en dira le tribunal. 

Enfin, je voudrais épargner à Olivier Bonnet la perte inutile d’un jour de congé. Il ne sera pas jugé le 4 septembre, c’est une audience de fixation de la date définitive du jugement, une audience d’agenda en somme, avec au besoin fixation des audiences-relais visant à interrompre la prescription tous les trois mois. Sa présence n’est pas nécessaire, bien que le parquet de la 17e a toujours besoin d’être lustré par le ventre d’un justiciable. Son avocat s’en tirera très bien tout seul. 

Pour conclure, une remarque plus générale sur l’affirmation “une nouvelle attaque contre la liberté d’expression sur Internet” qui ouvre le billet d’Olivier Bonnet. On me sait chatouilleux sur la question. J’ai pour elle les yeux de Chimène, non pas parce que ce serait la première des libertés (celles de conscience et d’aller et venir pour ne citer qu’elles ont également ma plus haute estime) mais parce que c’est toujours la plus vulnérable. Tout le monde a une excellente raison de vouloir en priver ses adversaires. 

C’est pourquoi je tique quand elle est galvaudée.

La liberté d’expression de M. Bonnet n’est pas en cause ici. Il a pu écrire ces propos, et les publier librement, sans demander l’autorisation de quiconque. Son blog n’a pas été fermé à cause de ces propos, et nul ne menace de représailles Jean-Louis Bianco qui lui a apporté officiellement son soutien. 

La liberté ne veut pas dire l’irresponsabilité. Chacun doit pouvoir tenir les propos qu’il veut, la contrepartie étant de devoir en rendre compte quand ces propos sont fautifs aux yeux de la loi. Et autant je suis réservé quand la loi prétend protéger un groupe (je n’aime pas, pour faire un euphémisme, les concepts de diffamation “envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués et les administrations publiques”, ou tous les délits prétendant protéger telle ethnie, nation, race ou religion), autant quand elle donne une voie de droit à un individu à la suite des propos tenus par un autre (notez bien le à la suite, qui suppose que les propos ont pu être tenus ; la presse chinoise, par exemple, ne commet jamais de diffamation), je ne trouve rien à redire. D’autant que comme vous l’avez vu, la loi ne laisse pas la personne poursuivie sans protection, c’est le moins qu’on puisse dire. 

En attaquant pour injure Olivier Bonnet, Marc Bourrague n’attaque pas la liberté d’expression. Il se défend contre ce qu’il estime être une agression verbale. Le juge dira s’il a raison ou pas. Mais il demeure qu’Olivier Bonnet aurait pu exprimer les mêmes réserves et critiques, fussent-elles infondées, à l’égard de ce magistrat sans encourir de poursuites. Quand on fait un métier de plume, on sait comment chatouiller les limites sans les franchir.

Il est toujours tentant, quand on fait de la politique comme Olivier Bonnet (qui se présente comme “un journaliste engagé” et qui ai-je cru comprendre exprime une certaine réserve à l’égard du président de la République) de se prétendre victime, l’époque s’y prête. Pourtant, si j’ai bien suivi, personne, à commencer par monsieur Bourrague, ne l’a qualifié d’inénarrable blogueur ou de journaliste en coma professionnel dépassé. 

Je ne signerai donc pas la pétition ouverte sur son blog, et attire l’attention des éventuels signataires qu’en signant ce texte qui qualifie de fallacieuses les accusations du magistrat et d’abusive sa plainte, ce qui est une imputation de faits précis, ils se rendent, eux, bel et bien auteurs du délit de diffamation. 

samedi 1 août 2009

Francis Szpiner et moi devons-nous être poursuivis disciplinairement ?

C’est cette bonne ques­tion que relève mon excel­lent con­frère Fran­cis Szpi­ner, qui me donne l’occa­sion de vous faire un billet sur la pro­cé­dure dis­ci­pli­naire des avo­cats.

D’abord un peu de théo­rie, avant de voir un exem­ple pra­ti­que.

Les avo­cats dont Fran­cis Szpi­ner et moi fai­sons par­tie, prê­tons ser­ment au tout début de notre exer­cice, (Prê­tons seu­le­ment, car selon le mot de Tal­ley­rand, nous n’avons qu’une parole, c’est pour ça que nous som­mes obli­gés de la repren­dre), devant la cour d’appel (À Paris, c’est devant la 1e cham­bre, tous les mer­credi à 1 heu­res, au pied de l’esca­lier Z)..

Le texte de notre ser­ment est :

Je jure, comme avo­cat, d’exer­cer mes fonc­tions avec dignité, cons­cience, indé­pen­dance, pro­bité et huma­nité.

Arti­cle 3 de la loi n°71-1130 du 31 décem­bre 1971 por­tant réforme de cer­tai­nes pro­fes­sions judi­ciai­res et juri­di­ques.

Les avo­cats l’aiment, ce ser­ment, C’est notre devise, et il est rude­ment bien tourné. Il figure sur les pages d’accueil de pas mal de bar­reaux ; par exem­ple : Tours, Mont­pel­lier, Gap, Poi­tiers

Il est quand même plus classe que celui des magis­trats, sans vou­loir les vexer :

“Je jure de bien et fidè­le­ment rem­plir mes fonc­tions, de gar­der reli­gieu­se­ment le secret des déli­bé­ra­tions et de me con­duire en tout comme un digne et loyal magis­trat.”

Arti­cle 6 de l’ordon­nance n°58-1270 du 22 décem­bre 1958 por­tant loi orga­ni­que rela­tive au sta­tut de la magis­tra­ture.

Nous jurons d’être indé­pen­dants, ils jurent d’être fidè­les et loyaux. Tout un sym­bole de cette indes­truc­ti­ble méfiance des deux autres pou­voirs à l’égard du troi­sième qui fait tant de mal à la Répu­bli­que.

Nos obli­ga­tions déon­to­lo­gi­ques ne se résu­ment pas au “DCIPH”[1] de notre ser­ment. D’autres se trou­vent au décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 rela­tif aux règles de déon­to­lo­gie de la pro­fes­sion d’avo­cat qui fixe ce que nous appe­lons “les prin­ci­pes essen­tiels” de la pro­fes­sion.

L’avo­cat exerce ses fonc­tions avec dignité, cons­cience, indé­pen­dance, pro­bité et huma­nité, dans le res­pect des ter­mes de son ser­ment. Il res­pecte en outre, dans cet exer­cice, les prin­ci­pes d’hon­neur, de loyauté, de désin­té­res­se­ment, de con­fra­ter­nité, de déli­ca­tesse, de modé­ra­tion et de cour­toi­sie. Il fait preuve, à l’égard de ses clients, de com­pé­tence, de dévoue­ment, de dili­gence et de pru­dence.

L’arti­cle 4 et 5 rap­pel­lent en outre que nous som­mes tenus au secret, sous réserve des droits de la défense (Le secret pro­fes­sion­nel ne peut nous inter­dire de révé­ler des élé­ments favo­ra­bles à notre client).

 ces règles s’en ajou­tent une pro­fu­sion d’autres, plus tech­ni­ques, sur la con­fi­den­tia­lité des cor­res­pon­dan­ces entre avo­cats, la prise de con­tact avec la par­tie adverse, les suc­ces­sions d’avo­cats, les con­flits d’inté­rêts, les hono­rai­res, les com­mis­sions d’office, etc. C’est une dis­ci­pline juri­di­que à part entière sur laquelle on écrit des codes et même des trai­tés.

Ces règles, sur­tout, sont sanc­tion­nées. L’avo­cat vio­lant une de ces règles peut être pour­suivi devant la juri­dic­tion dis­ci­pli­naire, sur laquelle je vais reve­nir, et être frappé d’une sanc­tion dis­ci­pli­naire. Ces sanc­tions sont, selon la gra­vité : 1° L’aver­tis­se­ment ; 2° Le blâme ; 3° L’inter­dic­tion tem­po­raire, qui ne peut excé­der trois années ; 4° La radia­tion du tableau des avo­cats, ou le retrait de l’hono­ra­riat (art. 184 du décret n°91-1197 du 27 novem­bre 1991 orga­ni­sant la pro­fes­sion d’avo­cat). L’aver­tis­se­ment, le blâme et l’inter­dic­tion tem­po­raire peu­vent com­por­ter la pri­va­tion, par la déci­sion qui pro­nonce la peine dis­ci­pli­naire, du droit de faire par­tie du con­seil de l’ordre, du Con­seil natio­nal des bar­reaux, des autres orga­nis­mes ou con­seils pro­fes­sion­nels ainsi que des fonc­tions de bâton­nier pen­dant une durée n’excé­dant pas dix ans. L’ins­tance dis­ci­pli­naire peut en outre, à titre de sanc­tion acces­soire, ordon­ner la publi­cité de toute peine dis­ci­pli­naire (même arti­cle).

À Paris, cette peine com­plé­men­taire de pri­va­tion du droit de faire par­tie du Con­seil de l’Ordre est qua­si­ment sys­té­ma­ti­que­ment pro­non­cée avec les sanc­tions autres que la radia­tion.

La pro­cé­dure dis­ci­pli­naire com­mence par une plainte auprès du Bâton­nier[2] dont relève l’avo­cat, qui est auto­rité de pour­suite. Il peut aussi de lui-même enga­ger des pour­sui­tes, sans plainte de qui­con­que. Le pro­cu­reur géné­ral peut sai­sir direc­te­ment le Con­seil de dis­ci­pline, mais l’usage est pour lui de pas­ser par une plainte auprès du bâton­nier, pour que celui-ci pro­cède à une enquête déon­to­lo­gi­que (art. 187 du décret n°91-1197 du 27 novem­bre 1991 orga­ni­sant la pro­fes­sion d’avo­cat). Cette enquête infor­melle vise á éta­blir les faits et à écar­ter les plain­tes infon­dées ou fan­tai­sis­tes (clas­se­ment sans suite), ou voir si une sim­ple admo­nes­ta­tion pater­nelle peut suf­fire si l’avo­cat répare promp­te­ment une erreur vénielle (art P72-2 du règle­ment inté­rieur du bar­reau de Paris). Si l’enquête éta­blit des faits sus­cep­ti­bles de cons­ti­tuer une faute carac­té­ri­sée, le con­seil de dis­ci­pline est saisi par le Bâton­nier. Si le bâton­nier ne sai­sit pas le con­seil de dis­ci­pline, le pro­cu­reur géné­ral peut pas­ser outre et le sai­sir lui-même. Pas de pro­tec­tion cor­po­ra­tiste donc. C’est pré­ci­sé­ment ce qui vient de se pas­ser pour les qua­tre défen­seurs d’Yvan Colonna et les six d’Anto­nio Fer­rara, qui avaient quitté le pro­cès en appel et refusé d’être com­mis d’office par le pré­si­dent de la cour. Les bâton­niers de Paris et de Bas­tia n’ayant pas donné suite, les pro­cu­reurs géné­raux de ces deux cours d’appel ont saisi le Con­seil de dis­ci­pline (J’en pro­fite pour signa­ler au Figaro que le Con­seil de dis­ci­pline de Paris n’est pas com­pé­tent pour tous “les avo­cats du con­ti­nent” mais seu­le­ment ceux de Paris, en l’espèce Patrick Casa­nova Mai­son­neuve et Pas­cal Gar­ba­rini, mes con­frè­res Antoine Sol­la­caro et Gil­les Simeoni étant avo­cats aux Bar­reaux d’Ajac­cio et Bas­tia res­pec­ti­ve­ment et rele­vant du Con­seil de dis­ci­pline de Bas­tia )

La juri­dic­tion dis­ci­pli­naire est le Con­seil de dis­ci­pline, sié­geant au niveau de la cour d’appel (Il doit sié­ger dans la même ville, mais pas for­cé­ment dans les locaux de la cour : art. 193 du décret du 27 novem­bre 1991 ; géné­ra­le­ment, c’est dans les locaux de l’Ordre), com­posé de repré­sen­tant des Con­seils de l’Ordre du res­sort de la cour (Sauf à Paris, vous allez voir), devant lequel le bâton­nier sou­tient l’accu­sa­tion. C’est notre pro­cu­reur, en somme, Il ne par­ti­cipe bien évi­dem­ment pas aux déli­bé­ra­tions. À Paris, les règles sont un peu dif­fé­ren­tes, pour tenir compte de la taille hors norme du bar­reau (la moi­tié des avo­cats fran­çais sont pari­siens). Nous avons notre pro­pre con­seil de dis­ci­pline, divisé en trois for­ma­tions, exclu­si­ve­ment com­po­sés d’avo­cats pari­siens (art. 22-2 de la loi du 31 décem­bre 1971).

L’avo­cat pour­suivi reçoit aus­si­tôt copie de la plainte, des piè­ces qui l’appuient, et du rap­port d’enquête déon­to­lo­gi­que s’il y en a eu une. Il peut se faire assis­ter d’un avo­cat et a accès à une copie du dos­sier,

Dans un pre­mier temps, le Con­seil dési­gne un de ses mem­bres pour ins­truire l’affaire : le rap­por­teur. Il a qua­tre mois pour ce faire, pou­vant être repoussé à six mois en cas de besoin, mais les par­ties doi­vent en être infor­mées.

Car le Con­seil de dis­ci­pline doit sta­tuer dans les 8 mois de sa sai­sine, délai pou­vant être repoussé à un an en cas de besoin. Passé ce délai, la plainte est répu­tée reje­tée, c’est à dire que l’avo­cat est auto­ma­ti­que­ment relaxé. Mais le pro­cu­reur peut faire appel, et c’est même dans le but de lui ouvrir ce droit d’appel que ce méca­nisme existe, pour évi­ter la ten­ta­tion de faire traî­ner un dos­sier embê­tant pour un con­frère (art. 195 du décret du 27 novem­bre 1991).

Il existe un cas de pro­cé­dure accé­lé­rée : lors­que la faute est com­mise à une audience et que le pro­cu­reur sai­sit le Con­seil de dis­ci­pline à la demande de la juri­dic­tion con­cer­née, le Con­seil doit sta­tuer dans les quinze jours (art. 25 de la loi de 1971 modi­fié par la loi du 15 juin 1982). C’est la pro­cé­dure qui a rem­placé les délits d’audience, Avant 1982, la juri­dic­tion pou­vait elle même sta­tuer sur le champ, étant à la fois juge et vic­time. Pour l’anec­dote, un avo­cat pari­sien a été vic­time de cette loi à une audience où il défen­dait un cient con­tre lequel la mort était requise. Il s’appe­lait Robert Badin­ter, et devenu Garde des Sceaux, il fit voter cette loi de 1982.

L’audience est publi­que, et le pro­cu­reur géné­ral peut y par­ti­ci­per s’il est le plai­gnant. La déci­sion est écrite.

Le droit d’appel d’une déci­sion du con­seil de dis­ci­pline appar­tient à l’avo­cat con­damné, au bâton­nier, et au pro­cu­reur géné­ral, qui est tenu informé de tou­tes les pour­sui­tes enga­gées et de la déci­sion ren­due (art. 196 du décret pré­cité).

Alors que l’audience du Con­seil de dis­ci­pline est en prin­cipe publi­que (art. 194 du décret), l’audience d’appel est en prin­cipe à huis clos (art. 16 du décret). Je n’ai pas d’expli­ca­tion de cette dis­po­si­tion qui fait le bon­heur des exa­mi­na­teurs de l’oral de déon­to­lo­gie du Cer­ti­fi­cat d’Apti­tude à la Pro­fes­sion d’Avo­cat (à bon enten­deur, votre bien dévoué).

L’audience d’appel se tient en audience solen­nelle : c’est le pre­mier pré­si­dent qui pré­side, les con­seillers vien­nent de deux cham­bres dif­fé­ren­tes et sont au nom­bre de qua­tre (art. R.312-9 du code de l’orga­ni­sa­tion judi­ciaire) et c’est la robe rouge qui est de rigueur, et à Paris l’épi­toge her­mi­née pour les avo­cats. La pres­ta­tion de ser­ment a d’ailleurs lieu en audience solen­nelle.


Main­te­nant, la pra­ti­que : reve­nons en à Fran­cis et moi.

À tout sei­gneur, tout hon­neur : Fran­cis. Mon excel­lent con­frère, à la suite d’un ver­dict déce­vant à ses yeux, a étalé son blues dans la presse et a tenu des pro­pos déso­bli­geants con­tre, ma foi, un peu tout le monde, votre ser­vi­teur y com­pris, qui ne méri­tait pas cet hon­neur.

Fran­cis Szpi­ner recon­naît avoir usé dans le Nou­vel Obser­va­teur, du doux voca­ble de “con­nards” con­tre des blo­gueurs tenant des pro­pos qu’il a esti­més “effrayants” au cours du pro­cès (ce qui ne me vise mani­fes­te­ment pas puis­que je n’ai parlé de ce pro­cès qu’une fois le ver­dict connu), et ses con­tra­dic­teurs de “bobos de gau­che”, le choix du Nou­vel Obs’ visant sans doute à s’assu­rer que ses cibles le liraient.

La prin­ci­pale cible de l’acri­mo­nie de mon con­frère a été l’avo­cat géné­ral, à qui il repro­che d’avoir “failli à sa mis­sion”, ce qui est mani­fes­te­ment un malen­tendu puis­que cette mis­sion serait, aux yeux de mon con­frère, de sui­vre aveu­glé­ment la posi­tion de la par­tie civile et de requé­rir le maxi­mum pour tout le monde, alors qu’il n’en est rien puis­que la mis­sion de l’avo­cat géné­ral était de requé­rir libre­ment ce que sa cons­cience lui dic­tait après avoir étu­dié le dos­sier et assisté à l’audience. Ce que Phi­lippe Bil­ger fait depuis plus de dix ans à la cour d’assi­ses de Paris.

Emporté par son erreur, mon con­frère a qua­li­fié cet avo­cat géné­ral de “traî­tre géné­ti­que”, pro­pos qu’il a con­fir­més, en pré­ci­sant tou­te­fois qu’ils ne fai­saient nul­le­ment allu­sion à un dou­lou­reux épi­sode fami­lial dont le magis­trat avait déjà parlé, ce que tout le monde avait cru com­pren­dre, mais aux “tra­hi­sons à répé­ti­tion” de ce magis­trat, qui aurait trahi dns un pre­mier temps la par­tie civile, puis son pro­cu­reur géné­ral en décla­rant ce ver­dict “satis­fai­sant” à ses yeux, ce qui aurait mis son supé­rieur en dif­fi­culté lorsqu’il a décidé de faire appel. À ceci près que ce n’est pas son supé­rieur qui a décidé de faire appel, et je doute que cela ait pu échap­per à mon con­frère.

À la suite de ces décla­ra­tions (du moins de leur pre­mière mou­ture, celle du Nou­vel Obs’), le pro­cu­reur géné­ral de Paris a décidé de don­ner à mon con­frère une leçon de loyauté en dépo­sant une plainte con­tre lui auprès du bâton­nier de Paris. Celui-ci a aus­si­tôt fait savoir qu’il avait déjà décidé de l’ouver­ture d’une enquête déon­to­lo­gi­que du fait de ces pro­pos, qui pou­vaient de prime abord sem­bler dif­fi­ci­le­ment con­for­mes aux prin­ci­pes essen­tiels de dignité, de con­fra­ter­nité, de déli­ca­tesse, de modé­ra­tion et de cour­toi­sie.

Nous en som­mes au stade de cette enquête (qui sera essen­tiel­le­ment une audi­tion de mon con­frère pour savoir ce qu’il recon­naît voir dit). Vous savez désor­mais la suite : le bâton­nier ren­dra un rap­port com­mu­ni­qué au pro­cu­reur géné­ral puisqu’il est plai­gnant. Si le bâton­nier devait déci­der de clas­ser sans suite ou d’admo­nes­ter pater­nel­le­ment mon con­frère, le pro­cu­reur géné­ral pourra sai­sir direc­te­ment le con­seil de dis­ci­pline. Ce ne sera pas avant sep­tem­bre. Le Con­seil serait-il saisi qu’un rap­por­teur sera nommé et devra ren­dre son rap­port sous qua­tre mois, pro­lon­gea­bles à six, le Con­seil devant sta­tuer sous huit mois, pro­lon­gea­bles à douze. Ce qui fait qu’une éven­tuelle déci­sion tom­bera à peu près au moment du pro­cès en appel.

Pour ma part, je sou­haite à mon con­frère que cette pro­cé­dure dis­ci­pli­naire n’aille pas jusqu’à une sanc­tion. L’amer­tume de la défaite est une épreuve dou­lou­reuse, sur­tout quand elle est média­ti­sée. En effet, mon con­frère espé­rait des pei­nes très sévè­res pour tous les accu­sés, pro­ches du maxi­mum ; ce ne fut pas le cas. L’avo­cat géné­ral a obtenu les pei­nes qu’il avait requi­ses dans la moi­tié des cas, et des pei­nes à peine infé­rieu­res pour l’autre moi­tié, cet écart s’expli­quant notam­ment par le tra­vail de fond des avo­cats de la défense. Qui donc a failli à sa mis­sion, en l’espèce ?

Avoir le sen­ti­ment de ne pas avoir été entendu, alors que le par­quet a eu l’oreille du juge, est hor­ri­pi­lant, je le sais, même quand in fine c’est le par­quet qui avait rai­son. Cela excuse beau­coup à mes yeux les excès ver­baux de mon con­frère à qui j’exprime ma soli­da­rité. D’ailleurs, lui même le dit :

Non, je n’ai rien à me repro­cher. Je regrette en revan­che l’inter­pré­ta­tion qui en a été faite.

C’est déjà assez vexant pour un avo­cat de ne pas être com­pris par qui que ce soit quand il s’exprime pour en plus lui rajou­ter des sou­cis déon­to­lo­gi­ques.

Enfin, quid de votre ser­vi­teur ?

Mon excel­lent con­frère Szpi­ner me fait l’hon­neur de s’inté­res­ser à mon cas. Sou­cieux de l’éga­lité devant la jus­tice dis­ci­pli­naire, il se demande si je ne devrais pas moi-même faire l’objet des mêmes tra­cas du fait de mes pro­pos où je par­lais de “valet des vic­ti­mes” s’agis­sant du Garde des Sceaux et de “lar­bins” pour deux dépu­tés.

En droit, rien ne s’y oppose. Je m’exprime ici en tant qu’avo­cat, et je ne con­teste abso­lu­ment pas être tenu de ce fait à mes obli­ga­tions déon­to­lo­gi­ques, qui me sui­vent jus­que dans ma vie pri­vée.

C’est en fait que l’accu­sa­tion ne tient pas.

Je n’ai pas traité le garde des sceaux de valet des vic­ti­mes. Mes lec­teurs savent qu’en ces lieux, la plus pro­fonde défé­rence envers le garde des Sceaux en exer­cice est de mise. J’ai dit qu’en agis­sant comme elle l’a fait, c’est à dire en s’empres­sant de défé­rer à l’injonc­tion de l’avo­cat de la vic­time d’ordon­ner un appel sans réflé­chir aux con­sé­quen­ces poten­tiel­les, elle s’est com­por­tée en valet des vic­ti­mes. Ce repro­che n’a de sens que si on sai­sit le corol­laire : c’est que pré­ci­sé­ment, le garde des sceaux n’est PAS le valet des vic­ti­mes et ne doit pas l’être.

Quant aux dépu­tés Baroin et Lang, je ne les ai pas traité de lar­bins : j’ai dit : “Si le légis­la­tif aussi se met à jouer les lar­bins des vic­ti­mes, il ne reste que le judi­ciaire pour gar­der la tête froide.”

Cela étant, la lec­ture du Nou­vel Obs m’appre­nant que

Dès le début du pro­cès, Fran­cis Szpi­ner a demandé à son ami[3] le député UMP Fran­çois Baroin de rédi­ger une pro­po­si­tion de loi pour modi­fier la pro­cé­dure (voir enca­dré). «Il me fal­lait une per­son­na­lité de gau­che esti­ma­ble pour que cela n’appa­raisse pas comme une opé­ra­tion par­ti­sane, j’ai pensé à Jack Lang» Ce der­nier a con­senti ;

je cons­tate que si c’était eux que j’avais effec­ti­ve­ment traité de lar­bins, je n’aurais pas for­cé­ment mis à côté.

Je réa­lise cepen­dant avec hor­reur que mes pro­pos à moi aussi peu­vent être mal inter­pré­tés, même par un grand esprit comme mon con­frère. ce qui est signe de grande fati­gue.

Selon la for­mule con­sa­crée, je ne regrette pas ce que j’ai dit mais je regrette l’inter­pré­ta­tion qui en a été faite par mon con­frère, et je retourne vite à mes vacan­ces.

Notes

[1] C’est notre moyen mné­mo­tech­ni­que pour appren­dre la for­mule du ser­ment.

[2] Rap­pe­lons que le bâton­nier est le pré­si­dent du Con­seil de l’Ordre des avo­cats, élu par ses pairs pour une durée de deux ans.

[3] Et ancien col­la­bo­ra­teur.NdA.

mercredi 29 juillet 2009

HADOPI 2 : malfaçon législative

Pour me déten­dre sur mon yacht voguant vers les Sey­chel­les, je me mets à jour sur les débats sur la loi HADOPI 2, qui s’appel­lera loi rela­tive à la pro­tec­tion pénale de la pro­priété lit­té­raire et artis­ti­que sur inter­net (PPPLAI, ou “tri­ple plaie”).

Les tra­vaux légis­la­tifs ont été inter­rom­pus pour lais­ser la place aux tra­vaux de réfec­tion de la ver­rière de l’hémi­cy­cle. En vérité, un peu de clarté ne fera pas de mal à la repré­sen­ta­tion natio­nale.

Pro­fi­tons de cette trève pour faire un point d’étape. Que pré­voit cette nou­velle loi, en l’état ?

Elle tente de redon­ner quel­que pou­voir à la Com­mis­sion de Pro­tec­tion des Droits (CPD), le bras armé de la HADOPI, amputé par la déci­sion du Con­seil cons­ti­tu­tion­nel.

Je vous rap­pelle briè­ve­ment les épi­so­des pré­cé­dents : la loi HADOPI 1 vou­lait créer une machine admi­nis­tra­tive à sus­pen­dre les abon­ne­ments par paquets de 1000 (après deux aver­tis­se­ments), en créant une obli­ga­tion de sur­veillance de son abon­ne­ment qui rend fau­tif le titu­laire de tout abon­ne­ment ser­vant à télé­char­ger illé­ga­le­ment, peu importe que l’abonné ne soit pas l’auteur dudit télé­char­ge­ment. Le but étant de s’évi­ter de rap­por­ter une preuve trop lourde à four­nir de l’iden­tité rélle du télé­char­geur. La répres­sion mas­sive au nom de la péda­go­gie.

Le Con­seil Cons­ti­tu­tion­nel a sorti son car­ton rouge : il faut qu’une telle mesure, atten­ta­toire aux liber­tés d’expres­sion et de com­mu­ni­ca­tion (et non de con­som­ma­tion comme beau­coup, dont Alain Fin­kel­kraut, l’ont répété d’abon­dance) soit pro­non­cée par un juge et res­pecte la pré­somp­tion d’inno­cence.

Résul­tat : la CPD se retrouve ampu­tée de tous ses pou­voirs de sanc­tion.

La loi HADOPI 1 a été pro­mul­guée mais ce dis­po­si­tif n’est pas encore entré en vigueur faute des décrets d’appli­ca­tion. C’est volon­taire, la loi-patch étant en cours de codage au par­le­ment. Le gou­ver­ne­ment a jusqu’au 1er novem­bre pour cela, date d’entrée en vigueur de la loi HADOPI 1.

La CPD devien­dra une machine à réu­nir les preu­ves : ses agents, asser­men­tés, pour­ront se faire com­mu­ni­quer par les FAI tous les ren­sei­gne­ments uti­les et cons­ta­ter les télé­char­ge­ments par des pro­cès-ver­baux fai­sant foi jusqu’à preuve con­traire ne pou­vant être rap­por­tée que par écrit ou par témoin, pro­cès-ver­baux ser­vant de sup­port à une pro­cé­dure d’ordon­nance pénale, c’est à dire une con­dam­na­tion pénale pro­non­cée sans audience (le con­damné ayant un délai de 45 jours pour faire oppo­si­tion, ce qui annule auto­ma­ti­que­ment l’ordon­nance et donne lieu à sa con­vo­ca­tion en jus­tice pour une audience), la loi HADOPI 2 créant enfin une peine com­plé­men­taire de sus­pen­sion de l’abon­ne­ment inter­net que l’ordon­nance pénale pourra pres­crire. Le décret d’appli­ca­tion créera quant à lui une con­tra­ven­tion de négli­gence dans la sur­veillance de son accès à inter­net pas­si­ble elle aussi d’une peine com­plé­men­taire de sus­pen­sion d’accès à inter­net (mais par une pro­cé­dure de droit com­mun).

Nous voilà retom­bés sur nos pieds : c’est bien un juge qui pro­nonce la sus­pen­sion, et les droits de la défense sont res­pec­tés puis­que le Con­seil a jugé con­forme à la Cons­ti­tu­tion l’ordon­nance pénale, embal­lez, c’est pesé. Vous avez suivi ?

Un exem­ple pour vous mon­trer l’usine à gaz.

Les agents de la CPD cons­ta­tent que l’adresse IP 127.0.0.1 télé­charge un fichier pirate de l’immor­tel chef d’oeu­vre de Robert Tho­mas de 1982 Mon curé chez les nudis­tes. Ils en dres­sent pro­cès ver­bal. L’adresse IP en ques­tion cor­res­pond au FAI dev/null Tele­com. La CPD se fait com­mu­ni­quer par ce FAI quel abonné uti­li­sait cette adresse IP tel jour à telle heure. L’incons­cient est mon­sieur Übe­rich, un Alsa­cien. Or ce mon­sieur a déjà fait l’objet d’un envoi d’e-mail et d’un envoi de let­tre recom­man­dée (peu importe qu’il l’ait reçue : le légis­la­teur me lit assu­ré­ment et a con­tourné le pro­blème de la let­tre recom­man­dée qu’on ne va pas cher­cher en rem­pla­çant par un amen­de­ment à cette loi la récep­tion de la let­tre par sa sim­ple pré­sen­ta­tion). Le dos­sier est trans­mis au minis­tère public pour qu’il requière une ordon­nance pénale con­dam­nant mon­sieur Übe­rich soit pour con­tre­fa­çon soit pour négli­gence dans la sur­veillance de son accès selon les preu­ves réu­nies à une peine de sus­pen­sion de l’abon­ne­ment. Mon­sieur Übe­rich pourra faire oppo­si­tion pour con­tes­ter cette con­dam­na­tion et faire valoir sa défense.

Et croyez-moi, je sim­pli­fie beau­coup.

Heu­reu­se­ment, on peut rire dans cette affaire, en lisant le rap­port de M. Ries­ter, rap­por­teur de la com­mis­sion des affai­res cul­tu­rel­les.

Le rap­port jus­ti­fie ainsi le fait que les agents asser­men­tés de la Com­mis­sion de Pro­tec­tion des Droits (CPD) puis­sent dres­ser des pro­cès ver­baux fai­sant foi jusqu’à preuve con­traire.

Le der­nier ali­néa (de l’arti­cle 1er, NdA) pré­voit que les PV dres­sés à cette occa­sion font foi jusqu’à preuve con­traire. Il s’agit ici sim­ple­ment de l’appli­ca­tion du droit com­mun de la pro­cé­dure pénale, notam­ment de l’arti­cle 431 du code de pro­cé­dure pénale.



Rap­pe­lons que cette pré­ci­sion est pré­vue dans les mêmes ter­mes au deuxième ali­néa de l’arti­cle 450-2 du code du com­merce pour l’Auto­rité de la con­cur­rence ou à l’arti­cle L. 8113-7 du code du tra­vail pour les ins­pec­teurs du tra­vail.

Les Gen­dar­mes de Saint-Tro­pez décou­vrent la pro­cé­dure pénale.

Tout d’abord, l’arti­cle 431 n’est pas le droit com­mun en la matière puisqu’il est l’excep­tion.

Le prin­cipe, c’est l’arti­cle 430 , il n’était pas loin pour­tant.

Je graisse :

Sauf dans le cas où la loi en dis­pose autre­ment, les pro­cès-ver­baux et les rap­ports cons­ta­tant les délits ne valent qu’à titre de sim­ples ren­sei­gne­ments.

Et c’est ce sauf dans le cas où la loi en dis­pose autre­ment que vise l’arti­cle 431 :

Dans les cas où les offi­ciers de police judi­ciaire, les agents de police judi­ciaire ou les fonc­tion­nai­res et agents char­gés de cer­tai­nes fonc­tions de police judi­ciaire ont reçu d’une dis­po­si­tion spé­ciale de la loi le pou­voir de cons­ta­ter des délits par des pro­cès-ver­baux ou des rap­ports, la preuve con­traire ne peut être rap­por­tée que par écrit ou par témoins.

La loi HADOPI 2 vise donc à don­ner excep­tion­nel­le­ment cette force pro­bante excep­tion­nelle aux agents de la CPD, simi­laire à celle recon­nue aux ins­pec­teurs du tra­vail ou aux agents de l’Auto­rité de la Con­cur­rence cités par le rap­por­teur. Il aurait pu ajou­ter aux poli­ciers en matiè­res de con­tra­ven­tion rou­tière (art. 537 du CPP), ça par­le­rait plus aux Fran­çais en vacan­ces..

Vient ensuite le meilleur moment : Frank Ries­ter nous expli­que ce que cela signi­fie.

Cela signi­fie que la preuve de l’inexac­ti­tude des faits cons­ta­tés ne pourra pas résul­ter uni­que­ment d’une déné­ga­tion ulté­rieure de la per­sonne con­cer­née. Il fau­dra, aux ter­mes de l’arti­cle 431 pré­cité, que la per­sonne con­cer­née four­nisse une con­tre preuve par écrit ou par témoins – elle était par exem­ple hos­pi­ta­li­sée et dis­pose d’un cer­ti­fi­cat médi­cal ou était à l’étran­ger et quelqu’un peut en attes­ter.

J’adore “la preuve de l’inexac­ti­tude” résul­tant “uni­que­ment” d’une “déné­ga­tion ulté­rieure de la per­sonne con­cer­née”. Il faut dire à la décharge de M. Ries­ter qu’il y a en effet des pré­cé­dents fâcheux de déné­ga­tions ulté­rieu­res ayant abouti. Sans par­ler de ceux qui n’ont jamais avoué.

Comme quoi le gou­ver­ne­ment (et l’assem­blée natio­nale quand elle est ser­vie par un rap­por­teur trop empressé à jouer les sup­plé­tifs du Gou­ver­ne­ment) a du mal avec la pré­somp­tion d’inno­cence. Une déné­ga­tion ulté­rieure n’est pas une preuve de l’inexac­ti­tude mais un sim­ple refus de s’incri­mi­ner soi-même, ce qui est un droit de l’homme ardem­ment défendu par la Cour euro­péenne des droits de l’homme, et par­fois un sim­ple cri d’inno­cence. C’est aux auto­ri­tés d’appor­ter la preuve de la cul­pa­bi­lité, et non de faire par­ler le sus­pect pour lui dénier le droit de se rétrac­ter ensuite.

En fait, le Gou­ver­ne­ment tente une nou­velle fois de con­tour­ner la pré­somp­tion d’inno­cence, ce qui avait valu au pre­mier texte les déboi­res que l’on sait. La loi HADOPI 1 ne per­met­tait à l’abonné de con­tes­ter sa sanc­tion que de trois façons : démon­trer que son abon­ne­ment a été uti­lisé frau­du­leu­se­ment, ins­tal­ler un logi­ciel de sécu­ri­sa­tion (qui prou­vait que seul l’abonné pou­vait être le pirate) ou la force majeure. Niet a dit le Con­seil cons­ti­tu­tion­nel. Et ajoute-t-il, il faut que le juge y passe.

Parade du Gou­ver­ne­ment : aller cher­cher l’exis­tant, puis­que cela a déjà été validé par le Con­seil cons­ti­tu­tion­nel. Soit l’ordon­nance pénale et les PV fai­sant foi. Vous voyez le méca­nisme : obte­nir des con­dam­na­tions péna­les par un juge, sans audience puis­que de tou­tes façons le juge est lié par les pro­cès ver­baux des agents de la CPD. L’abonné ne pourra que démon­trer (sur oppo­si­tion à l’ordon­nance pénale) qu’il est impos­si­ble que ce soit lui qui ait télé­chargé illé­ga­le­ment tel fichier[1].

Ce qui est exac­te­ment ce que le Con­seil cons­ti­tu­tion­nel a déjà cen­suré. Pas pour défaut d’inter­ven­tion du juge mais pour atteinte à la pré­somp­tion d’inno­cence. Je ne vois pas com­ment le Con­seil pour­rait ne pas cen­su­rer à nou­veau.

Mais me direz-vous, le Con­seil n’a-t-il pas déjà validé ces pro­cès ver­baux fai­sant foi et l’ordon­nance pénale ?

À ma con­nais­sance, il n’a jamais eu à sta­tuer sur les pro­cès ver­baux fai­sant foi jusqu’à preuve con­traire en matière pénale (les PV fai­sant foi ont été votés en 1957, un an avant la créa­tion du Con­seil). Voici qui lui en four­nira l’occ­ca­sion. Oh, il vali­dera le prin­cipe, mais en l’enca­drant, comme il a fait pour l’ordon­nance pénale. J’ y revien­drai. Car Frank Ries­ter nous régale d’une cerise sur son gâteau.

Selon les infor­ma­tions com­mu­ni­quées au rap­por­teur par le Gou­ver­ne­ment, aucun for­ma­lisme spé­ci­fi­que n’est appli­ca­ble à ces PV. S’appli­quent sim­ple­ment les dis­po­si­tions géné­ra­les de l’arti­cle 429 du code de pro­cé­dure pénale qui pré­voient un for­ma­lisme mini­mal : date, iden­tité de l’agent, signa­ture de l’agent et, si elle est enten­due, signa­ture de la per­sonne con­cer­née par la pro­cé­dure.

C’est bien d’écou­ter ce que dit le Gou­ver­ne­ment. C’est mieux d’aller lire soi-même ce que dit l’arti­cle 429 du CPP.

Tout pro­cès-ver­bal ou rap­port n’a de valeur pro­bante que s’il est régu­lier en la forme, si son auteur a agi dans l’exer­cice de ses fonc­tions et a rap­porté sur une matière de sa com­pé­tence ce qu’il a vu, entendu ou cons­taté per­son­nel­le­ment.

Bref, est fait dans les for­mes un pro­cès-ver­bal fait dans les for­mes. Voilà l’Assem­blée bien infor­mée. Et sur­tout, le rap­por­teur man­que le prin­ci­pal. Le pro­cès ver­bal ne se carac­té­rise pas par sa date, sa signa­ture et l’iden­tité du scrip­teur, mais par ce qu’il rap­porte, qui doit être ce qu’il a cons­taté per­son­nel­le­ment et qui relève de sa com­pé­tence. Ce qui se résume à : tel jour à telle heure , telle adresse IP a télé­chargé tel fichier. À ce PV s’ajoute les infor­ma­tions four­nies par le FAI sur l’iden­tité de l’abonné, qui elles ne font pas foi puis­que l’agent de la CPD ne l’aura pas cons­taté per­son­nel­le­ment, pas plus que le carac­tère d’oeu­vre pro­té­gée du fichier, point sur lequel la CPD est incom­pé­tente. C’est sur cette base là que le juge est censé pro­non­cer une peine délic­tuelle pour con­tre­fa­çon. En toute ami­tié, je sou­haite bon cou­rage aux pro­cu­reurs char­gés des ordon­nan­ces HADOPI.

Cela à sup­po­ser qu’HADOPI 2 fran­chisse sans encom­bre la rue Mont­pen­sier ce qui me paraît dou­teux.

Tout d’abord, comme je l’ai déjà dit, la loi tente mala­droi­te­ment de réta­blir une pré­somp­tion de cul­pa­bi­lité expres­sé­ment refu­sée par le Con­seil. Il devrait n’appré­cier que modé­ré­ment qu’on tente de lui repas­ser le plat.

De plus, le Con­seil a cer­tes accepté le prin­cipe de l’ordon­nance pénale, mais il a posé des con­di­tions. C’était lors de l’exten­sion de cette pro­cé­dure aux délits, lors de la loi Per­ben 1. Déci­sion n° 2002-461 DC du 29 août 2002. À la décharge du Gou­ver­ne­ment, l’aver­tis­se­ment ne se trouve pas dans la déci­sion elle même mais dans le com­men­taire aux Cahiers de juris­pru­dence du Con­seil Cons­ti­tu­tion­nel (pdf) :

Comme il a été dit à pro­pos de la pos­si­bi­lité don­née au juge de proxi­mité, par l’arti­cle 7 de la loi défé­rée, de ren­voyer une affaire au juge d’ins­tance en cas de dif­fi­culté sérieuse, l’éga­lité devant la jus­tice ne s’oppose pas à ce que le juge­ment de cer­tai­nes affai­res fasse l’objet d’une pro­cé­dure spé­ci­fi­que, à con­di­tion que cette pro­cé­dure soit défi­nie pré­ci­sé­ment, que le choix de cette pro­cé­dure repose sur des cri­tè­res objec­tifs et ration­nels ins­pi­rés par un souci de bonne admi­nis­tra­tion de la jus­tice et que cette pro­cé­dure ne lèse pas les droits des par­ties.

En l’espèce, le souci d’une bonne admi­nis­tra­tion de la jus­tice est tota­le­ment absent, seul le souci de la défense des inté­rêts patri­mo­niaux des artis­tes étant invo­qué. Quant aux cri­tè­res objec­tifs et ration­nels, eh bien, com­ment dire ça poli­ment… ?

Et sur­tout, car j’ai gardé le plus beau pour la fin :

Par ailleurs, le minis­tère public aura recours à la pro­cé­dure de juge­ment sim­pli­fiée non de façon sub­jec­tive et dis­cré­tion­naire, comme le sou­te­nait la sai­sine séna­to­riale, mais en fonc­tion de cri­tè­res objec­tifs et ration­nels : - Il s’agit des délits les plus sim­ples et les plus cou­rants pré­vus par le code de la route. Ainsi, la pro­cé­dure sim­pli­fiée ne peut être uti­li­sée si le pré­venu était mineur le jour de l’infrac­tion, ou si la vic­time a formé une demande de dom­ma­ges-inté­rêts…

Pas­sons sur le fait que la con­tre­fa­çon est un délit plus com­plexe à éta­blir qu’une vitesse ou un taux d’alcoo­lé­mie. Rete­nons que le fait que la vic­time ne puisse pas être par­tie était un cri­tère retenu par le Con­seil pour vali­der l’ordon­nance pénale.

Or, comme je l’avais dit lors­que l’idée de l’ordon­nance pénale a com­mencé à cir­cu­ler :

…cette loi est con­traire à l’inté­rêt des artis­tes, ce qui est un amu­sant para­doxe. En effet, l’ordon­nance pénale sup­pose que la vic­time ne demande pas de dom­ma­ges-inté­rêts (arti­cle 495 du CPP, al. 9). Donc les ayant droits ne pour­ront pas deman­der répa­ra­tion de leur pré­ju­dice. Ils doi­vent sacri­fier leur rému­né­ra­tion à leur soif de répres­sion. Quand on sait que leur moti­va­tion dans ce com­bat est de lut­ter con­tre un man­que à gagner, on cons­tate qu’il y a pire ennemi des artis­tes que les pira­tes : c’est l’État qui veut les pro­té­ger.

Or on sait main­te­nant qu’on me lit au Palais Bour­bon. Que croyez-vous qu’il arriva ? Rus­tine !

Arti­cle 2 du pro­jet de loi adopté par la Com­mis­sion :

II. - Après l’arti­cle 495-6 du même code, il est inséré un arti­cle 495-6-1 ainsi rédigé :

« Art. 495-6-1. – Les délits pré­vus aux arti­cles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 du code de la pro­priété intel­lec­tuelle, lorsqu’ils sont com­mis au moyen d’un ser­vice de com­mu­ni­ca­tion au public en ligne, peu­vent éga­le­ment faire l’objet de la pro­cé­dure sim­pli­fiée de l’ordon­nance pénale pré­vue par la pré­sente sec­tion.

« Dans ce cas, la vic­time peut deman­der au pré­si­dent de sta­tuer, par la même ordon­nance se pro­non­çant sur l’action publi­que, sur sa cons­ti­tu­tion de par­tie civile. L’ordon­nance est alors noti­fiée à la par­tie civile et peut faire l’objet d’une oppo­si­tion selon les moda­li­tés pré­vues par l’arti­cle 495-3. »

Le rap­por­teur en per­sonne a intro­duit (amen­de­ment 126 AC) la pos­si­bi­lité pour la vic­time de se cons­ti­tuer par­tie civile dans la pro­cé­dure sur ordon­nance pénale. Pas­sons sur le fait qu’il a oublié de pré­ci­ser com­ment la vic­time sera infor­mée de la pro­cé­dure d’ordon­nance pénale et mise à même de pré­sen­ter sa demande (pourra-t-elle envoyer son avo­cat plai­der ?). On a une pro­cé­dure où inter­vient le par­quet qui demande la con­dam­na­tion, la vic­time qui demande répa­ra­tion… mais pas le prin­ci­pal inté­ressé : l’éven­tuel con­damné (je ne peux décem­ment l’appe­ler le pré­venu puis­que pré­ci­sé­ment c’est le seul à ne pas être pré­venu de ce qui se passe).

Le Con­seil cons­ti­tu­tion­nel va avoir un malaise vagal en lisant ça. Com­ment disait-il, déjà ? Ah, oui, c’est valide à con­di­tion que le choix de cette pro­cé­dure repose sur des cri­tè­res objec­tifs et ration­nels ins­pi­rés par un souci de bonne admi­nis­tra­tion de la jus­tice et que cette pro­cé­dure ne lèse pas les droits des par­ties. Je crois que là, on a un sans faute dans l’incons­ti­tu­tion­na­lité.

De la mal­fa­çon légis­la­tive comme on aime­rait en voir moins sou­vent.


Mise à jour : l’assem­blée a retiré cette force pro­bante aux PV des agents de la CPD. Merci à Authueil, et sur­tout au député Lio­nel Tardy, à l’ori­gine de l’amen­de­ment.

Notes

[1] Encore que tech­ni­que­ment, le fait d’être hos­pi­ta­lisé ou à l’étran­ger, ou même d’être hos­pi­ta­lisé à l’étran­ger n’est pas en soi un obs­ta­cle au télé­charg­ment illé­gal depuis chez soi ; un ordi­na­teur se con­trôle très bien à dis­tance.

mardi 21 juillet 2009

Quelques mots sur l'affaire Orelsan

Ça me déman­­geait depuis quel­­ques mois de par­­ler de cette affaire. Sa nou­­velle jeu­­nesse cha­­ren­­taise m’en four­­nit l’occa­­sion.

Ainsi, les Tar­­tuf­­fes sont lâchés de nou­­veau, et encore une fois, une liberté fon­­da­­men­­tale est fou­­lée du pied au nom des meilleu­­res cau­­ses. Et vous êtes priés d’applau­­dir.

Vous ne con­­nais­­sez pro­­ba­­ble­­ment pas Auré­­lien Coten­­tin. C’est un chan­­teur de rap, qui a pris le nom de scène d’Orel­­san. Il a sorti au début de l’année son pre­­mier album, Perdu d’avance.

Le rap est une forme d’expres­­sion artis­­ti­­que appa­­rue aux États-Unis au début des années 80, même si ses raci­­nes remon­­tent au blues. Il a évo­­lué avec le temps mais aujourd’hui pri­­vi­­lé­­gie un style décla­­ma­­toire plus que chanté, mais sur un rythme mar­­telé se mariant à une musi­­que où la part belle est faite aux per­­cus­­sions. La musi­­que est véri­­ta­­ble­­ment un sim­­ple sup­­port du texte qui est l’élé­­ment cen­­tral. L’impro­­vi­­sa­­tion est une tech­­ni­­que que se doit de maî­­tri­­ser tout rap­­peur qui se res­­pecte. C’est une musi­­que popu­­laire au sens pre­mier du terme car elle ne néces­­site pas de savoir par­­ti­­cu­­liè­­re­­ment bien chan­­ter ni jouer d’un ins­­tru­­ment (le rap uti­­lise abon­­dam­­ment des musi­­ques déjà exis­­tan­­tes dont cer­­tai­­nes phra­­ses sont extrai­­tes pour être sam­­plées c’est-à-dire tour­­ner en bou­­cle sur le fond ryth­­mi­­que pour don­­ner à la chan­­son un cachet uni­que.

Voici trois exem­­ples de chan­­sons repri­­ses dans des chan­­sons de rap, ladite chan­­son la sui­­vant immé­­dia­­te­­ment. Mon­­tez le son, c’est les vacan­­ces. Notez comme les per­cus­sions pren­nent le des­sus dans Walk This Way, par rap­port aux gui­ta­res de la ver­sion rock.

L’aspect musi­cal étant secon­daire, ce qui en veut pas dire qu’il est négligé, le rap se con­cen­tre donc sur les paro­les. Oui, le rap, ce sont des chan­sons à texte : cha­que chan­son raconte une his­toire.

S’agis­sant d’une forme popu­laire très à la mode dans ce qu’on appelle « les ban­lieues » pour ne pas se deman­der ce que c’est exac­te­ment, ces chan­sons racon­tent des his­toi­res de ces quar­tiers dif­fi­ci­les où il fait bon ne pas vivre, avec les mots des per­son­nes y ayant grandi. Et dans les ver­sions se vou­lant les plus dures, on y parle en mots crus dro­gue et vio­lence, on n’y aime pas la police, et on est obsédé par le sexe. Mais tout y est rap­port de force, comme dans la vie quo­ti­dienne de ces vil­les, y com­pris l’amour. Con­fes­ser ses sen­ti­ments, c’est con­fes­ser sa fai­blesse. Alors l’amour y est com­bat, et ven­geance quand il prend fin. Le rap est sexiste, sans nul doute. Mais il n’est, comme tout art, que le reflet de la vie. Et sur­tout, sur­tout, le rap repose sur de la pro­vo­ca­tion. Il faut être le pre­mier à dire les pires cho­ses pour se faire cette répu­ta­tion de mau­vais gar­çon qui seul assu­rera le res­pect et le suc­cès du groupe auprès des “vrais” fans. MC Solaar, s’il fait dan­ser aux Plan­ches, fait rica­ner à Gri­gny.

Reve­nons-en à Orel­san. Son album con­tient une chan­son qui va faire scan­dale, vous allez aisé­ment com­pren­dre pour­quoi. Elle est inti­tu­lée “Sale Pute”. Le thème est sim­ple : un gar­çon qui aimait une fille décou­vre acci­den­tel­le­ment qu’elle le trompe et l’amour se trans­forme en haine. Sha­kes­peare a traité ce thème dans Othello, sauf que la trom­pe­rie était ima­gi­naire, mais elle abou­tit à la mort. 

Rien de tel ici, le chan­teur débite une logor­rhée d’impré­ca­tions à l’encon­tre de la belle volage. Les paro­les sont crues, bru­ta­les et vio­len­tes. Vous pou­vez écou­ter ici, vous êtes pré­ve­nus.

Je recon­nais que ce n’est pas du Ron­sard. Cela dit, une rap­peuse se pré­ten­dant celle visée par la chan­son a mon­tré qu’elle pou­vait répon­dre sur le même regis­tre, ce qui cette fois fait applau­dir les Chien­nes de gar­des. Comme quoi ce n’est pas un pro­blème de mots, mais de camp.

Je ne sais com­ment un dis­que de rap a atterri sur les pla­ti­nes d’âmes aussi bon­nes que sen­si­bles, mais ce texte a déchaîné des pas­sions. Sur inter­net, chez nom­bre de blogs fémi­nis­tes, avec appel à péti­tion auprès du Prin­temps de Bour­ges, ou Orel­san devait se pro­duire, polé­mi­que reprise par des poli­ti­ques, Chris­tine Alba­nel, minis­tre de la cul­ture, dont on sait l’amour pour la liberté d’expres­sion, Marie-Geor­ges Buf­fet, pre­mier secré­taire du Parti Com­mu­niste qui lui aussi s’est illus­tré sur ce front, et Valé­rie Létard, secré­taire d’État à la soli­da­rité, qui a appelé les plate-for­mes de vidéo en ligne à la « res­pon­sa­bi­lité », façon de dire qu’elle ne pren­drait pas les sien­nes, en leur deman­dant d’ôter ce clip. Dieu merci, elle n’a pas été écou­tée.

Orel­san a tenté de désa­mor­cer la polé­mi­que, en publiant un com­mu­ni­qué apai­sant :

cette œuvre de fic­tion a été créée dans des con­di­tions très spé­ci­fi­ques rela­ti­ves à une rup­ture sen­ti­men­tale” : “En aucun cas ce texte n’est une let­tre de mena­ces, une pro­messe de vio­lence ou une apo­lo­gie du pas­sage à l’acte, pour­suit le com­mu­ni­qué. Cons­cient que cette chan­son puisse heur­ter, Orel­san a décidé il y a quel­ques mois de ne pas la faire figu­rer dans son album ni dans ses con­certs, ne sou­hai­tant l’impo­ser à per­sonne”.

Hélas, il en va en poli­ti­que comme dans les ban­lieues, un aveu de fai­blesse déclen­che la curée. On pou­vait faire ployer ce jeune homme mal élevé ? Nul besoin d’enga­ger une hasar­deuse action en jus­tice, tous les moyens sont bons pour par­ti­ci­per au triom­phe du poli­ti­que­ment cor­rect. Ultime épi­sode : Ségo­lène Royal qui fait pres­sion sur le fes­ti­val des Fran­co­fo­lies de la Rochelle, avec sem­ble-t-il un chan­tage aux sub­ven­tions sur la direc­tion, la pré­si­dente de la région mena­çant de remet­tre en cause les 400.000 euros de sub­ven­tions annuel­les que la région verse au fes­ti­val si le rap­peur s’y pro­dui­sait. Vous aurez noté qu’Orel­san avait d’ores et déjà retiré cette chan­son de son réper­toire : il était donc hors de ques­tion que le chan­teur chan­tât cette chan­son. Peu importe, tout comme il importe peu que ce chan­tage aux sub­ven­tion excède les pou­voirs de la pré­si­dente en ce que le pou­voir bud­gé­taire appar­tient au Con­seil Régio­nal. Quand on veut cen­su­rer, qu’importe le res­pect dû à la loi.

Et la polé­mi­que entre pro- et anti-Orel­san fait rage.

Alors que les cho­ses soient clai­res. Cette polé­mi­que, je me refuse à y par­ti­ci­per.

Parce qu’il n’y en a pas. Ce qui s’est passé porte un nom : la cen­sure. C’est inac­cep­ta­ble, et je ne vois pas quel argu­ment par­vien­drait à me con­vain­cre que la liberté d’expres­sion serait réservé à un art approuvé, un art offi­ciel. Dès lors, ce qu’il chante m’est indif­fé­rent.

Orel­san est un chan­teur. Qu’il chante ce qu’il sou­haite. Ça ne vous plaît pas ? À moi non plus. Per­sonne ne vous oblige à l’écou­ter. Rien ne vous auto­rise à le con­train­dre à se taire.

Inter­dire un chan­teur, ça s’est déjà vu. On trouve tou­jours d’excel­len­tes rai­sons pour le faire. Boris Vian s’est vu empê­cher de chan­ter sa chan­son le Déser­teur. Bras­sens a scan­da­lisé avec son gorille qui sodo­mise un juge. Aujourd’hui, tous les magis­trats chan­ton­nent cette chan­son en pouf­fant en ima­gi­nant leur pre­mier pré­si­dent ou leur pro­cu­reur géné­ral entre les pat­tes du pri­mate.

— Mais Orel­san n’est pas Vian ou Bras­sens, me dira-t-on.

Je ne le crois pas non plus, mais la ques­tion n’est pas là. La liberté d’expres­sion n’est pas sou­mise à une con­di­tion de mérite de l’œuvre. Mérite qui était nié à Bras­sens et à Vian en leur temps, d’ailleurs. La nou­veauté est que cette fois, c’est l’État décen­tra­lisé qui est inter­venu pour obte­nir cette cen­sure alors que Vian, c’était des anciens com­bat­tants agis­sants de leur pro­pre chef, avec une pas­si­vité com­plice des auto­ri­tés. En ce sens, ce qui se passe est pire encore.

— Mais ses paro­les sont dis­cri­mi­na­toi­res et appel­lent à la vio­lence con­tre les fem­mes, ajou­tera-t-on.

Ah ? Mais alors, por­tez plainte, c’est un délit. Allez en jus­tice, obte­nez sa con­dam­na­tion. Mais non, per­sonne ne le fera, car la vérité est que ces paro­les ne tom­bent pas sous le coup de la loi. Il ne dit pas que tou­tes les fem­mes sont des sales putes, mais que la copine ima­gi­naire du per­son­nage tout aussi ima­gi­naire qui chante en est une car elle le trompe. Et tout le monde se sou­vient des déboi­res de l’ancien minis­tre de l’inté­rieur qui a tenté de faire con­dam­ner Hamé, chan­teur du groupe La Rumeur qui avait accusé la police de se livrer à des vio­len­ces. Un fiasco : relaxe, con­fir­mée en appel, sous les applau­dis­se­ments de la cour de cas­sa­tion. Les poli­ti­ques ont com­pris qu’il ne fal­lait pas comt­per sur les juges pour se prê­ter à ces bas­ses-œuvres.

— Eh bien pour légal que ce soit, ça n’en est pas moins scan­da­leux.

Oui, c’est le but. Et d’ailleurs, en cher­chant un peu, vous trou­ve­rez pire (à tout point de vue). Le groupe TTC par exem­ple. Les chan­teu­ses de rap ne sont pas en reste, Yelle ayant connu un grand suc­cès en répon­dant à Cui­zi­nier, chan­teur du groupe TTC sus-nommé. Un grand moment de poé­sie.

Cui­zi­nier avec ton petit sexe entoure de poils roux
Je n’arrive pas a croire que tu puis­ses croire qu’on veuille de toi
Je n’y crois pas même dans le noir, même si tu gar­des ton pyjama
  Mêmesi tu gar­des ton pei­gnoir, en forme de tee-shirt rin­gard
Garde ta che­mise ça limi­tera les dégâts bataaaaaaaard


Je veux te voir
Dans un film por­no­gra­phi­que
En action avec ta bite
Forme pota­toes ou bien fri­tes
Pour tout savoir
Sur ton ana­to­mie
Sur ton cou­sin Teki
Et vos acces­soi­res feti­ches

Rin­gard, bataaaaaaard, bite, frite : les rimes sont pau­vres.

Le rap, c’est ça aussi. Pas seu­le­ment ça, mais ça en fait par­tie. Et je prie pour que ceux qu’Orel­san épou­vante ne décou­vrent jamais l’exis­tence du Death Metal.

Per­sonne n’est obligé d’écou­ter, nul n’a à inter­dire.

Car c’est quel­que chose qu’on ne répé­tera jamais assez. La liberté d’expres­sion est tou­jours la pre­mière atta­quée, parce que c’est la plus fra­gile. Il y a tou­jours une bonne cause qui jus­ti­fie que ÇA, non, déci­dé­ment, on ne peut pas le lais­ser dire. Le res­pect dû aux morts tués à l’ennemi, le res­pect dû à la jus­tice, le res­pect dû à la femme. Tout ça, ça l’emporte sur le res­pect dû à la liberté, cette sale pute. Et les attein­tes qu’elle a d’ores et déjà subies, au nom de cau­ses infi­ni­ment nobles (comme la lutte con­tre le néga­tio­nisme), me parais­sent déjà exces­si­ves.

Lais­sez tom­ber Orel­san, et un jour, c’est votre dis­cours qui déran­gera.

Les Révo­lu­tion­nai­res l’ont dit il y a pres­que 220 ans jour pour jour :

La libre com­mu­ni­ca­tion des pen­sées et des opi­nions est un des droits les plus pré­cieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc par­ler, écrire, impri­mer libre­ment, sauf à répon­dre de l’abus de cette liberté, dans les cas déter­mi­nés par la Loi.

Ils l’ont écrit à une épo­que où tout texte, pour paraî­tre et être repré­senté publi­que­ment, devait au préa­la­ble être approuvé par le Roi. C’est cette auto­ri­sa­tion qui s’appe­lait la Cen­sure. Et c’est exac­te­ment cela que ce com­por­te­ment vise à réta­blir. Alors peut-être que des fémi­nis­tes, des mili­tants des droits des fem­mes trou­ve­ront que leur cause, qui est bonne, est tel­le­ment bonne qu’elle jus­ti­fie ce réta­blis­se­ment.

Qu’ils sachent qu’ils me trou­ve­ront tou­jours sur leur che­min pour leur bar­rer la route. Aux côtés d’Orel­san.

À con­di­tion qu’il ne chante pas.

mercredi 15 juillet 2009

Appel dans l'affaire Halimi : la faute de MAM

Ainsi, à la demande de la famille d'Ilan Halimi, le Garde des Sceaux a demandé au parquet de faire appel du verdict dans l'affaire Fofana. Cela a surpris plusieurs de mes lecteurs qui m'ont écrit pour me dire leur étonnement face à cette ingérence du pouvoir politique dans les affaires de la Justice.

C'est qu'évidemment, à force d'entendre les politiques esquiver toute question qui les dérangent ayant trait avec la justice en invoquant la séparation des pouvoirs et une mystérieuse prohibition de commenter l'action de la justice, on est surpris quand, l'opportunité politique l'exigeant, ils s'en affranchissent avec la même vigueur qu'ils l'invoquaient la veille.

Le Garde des Sceaux est tout à fait dans son droit. Ce qui ne veut pas dire qu'elle a raison.

Rappelons donc les règles de l'appel en matière criminel.



Première règle : l'appel n'est possible qu'une fois.

La loi prévoit qu'une cour d'assises d'appel statue alors, la différence étant qu'elle est composée d'un jury de 12 jurés au lieu de 9, les règles de majorité pour les votes de culpabilité changeant aussi (8 voix en première instance, 10 voix en appel, mais le seuil reste strictement le même : deux tiers des voix). Le verdict de la cour d'assises d'appel ne peut faire l'objet que d'un pourvoi en cassation. Ça aura son importance dans notre affaire, vous allez voir.



Deuxième règle : chacun fait appel pour ce qui le concerne.


Il y a trois parties (au sens de partie prenante, acteur) au procès : deux obligatoires et une facultative.

À tout seigneur tout honneur, le ministère public, sans qui on ne serait pas là. C'est lui qui est à l'origine des poursuites, et si l'affaire vient pour être jugée, c'est que l'instruction a renforcé sa conviction de la culpabilité de l'accusé. À l'audience, il est l'avocat de la société, qui seule a le droit de punir, doit se protéger des individus dangereux et sanctionner les comportements contraires à la loi. D'où son titre d'avocat général, par opposition à l'avocat particulier qu'est celui de la défense. Son rôle est de démontrer la culpabilité et de requérir la peine qui lui semble adaptée à la gravité du crime. Ce dernier point relève de sa totale liberté de parole. Là aussi, cela aura son importance. Évidemment, si les débats révèlent l'innocence de l'accusé, rien n'interdit à l'avocat général de requérir l'acquittement, et il est même de son devoir de le faire (Ce fut le cas lors du procès de Richard Roman en 1992, qui a vu un avocat général, Michel Legrand, qui porte bien son nom, initialement convaincu de la culpabilité de Roman, requérir l'acquittement après le spectaculaire effondrement du dossier à l'audience).

La défense ensuite, incarnée d'abord par l'accusé, et ensuite par son avocat. L'avocat de la défense est le contradicteur de l'avocat général. Selon les affaires, sa stratégie peut être soit de viser l'acquittement, en démontrant l'innocence ou du moins en instillant le doute dans l'esprit de la Cour, soit, si les faits sont établis et reconnus, de proposer une peine qui naturellement mettra en avant la réinsertion de l'accusé sur les considérations purement répressives.

Enfin, éventuellement, la partie civile, qui est la victime ou, dans le cas où celle-ci est décédée, ses héritiers (c'est le cas ici : Ilan Halimi étant décédé sans enfants, ce sont ses parents qui sont ses héritiers). Elle demande l'indemnisation de son préjudice, et pour cela doit comme indispensable préalable démontrer la culpabilité. Il n'est pas d'usage que la partie civile s'aventure sur le terrain de la peine à prononcer, prérogative du parquet, mais ce n'est pas formellement interdit.

Je dis que la partie civile est une partie éventuelle car rien ne l'oblige à se constituer partie civile, et parfois, il n'y en a tout simplement pas (ex : trafic de stupéfiant criminel).

Le parquet peut faire appel sur la culpabilité et la peine (article 380-2 du CPP). Son appel ne vise qu'à renverser un acquittement ou à l'aggravation de la condamnation. Si seul le parquet est appelant, le mieux que puisse espérer la défense est la confirmation pure et simple. C'est un appel a maxima.

Le condamné peut faire appel (un acquitté ne peut pas faire appel de son acquittement). Cet appel vise à la diminution de la peine voire à l'acquittement. Si seul le condamné fait appel, le pire qu'il puisse lui arriver est la confirmation pure et simple; C'est un appel a minima. (article 380-6 du CPP)

La partie civile peut faire appel des dommages-intérêts qui lui ont été accordés. Si seule la partie civile fait appel, l'appel est jugé par la chambre des appels correctionnels (art. 380-5 du CPP). La partie civile peut faire appel d'un acquittement, mais si le parquet ne fait pas appel, l'accusé est définitivement acquitté, il ne peut faire l'objet d'une peine. La chambre des appels correctionnels peut toutefois constater que l'infraction était constituée et prononcer des dommages-intérêts.

L'usage veut que le parquet fasse systématiquement appel quand le condamné fait appel, afin de donner à la cour d'assises d'appel les plein-pouvoirs : aller de l'acquittement jusqu'à la peine maximale. De même, quand le parquet fait appel, l'accusé se dépêche de faire un appel incident afin de pouvoir espérer voir sa peine réduite en appel.

Cet appel provoqué par l'appel de l'autre partie s'appelle un appel incident, par opposition à l'appel principal. L'appel principal doit être formé dans les 10 jours de la condamnation (art.380-9 du CPP), l'appel incident, dans un délai de cinq jours à compter de l'appel principal (art.380-10 du CPP). Ce délai de cinq jours est indépendant et peut expirer au-delà des dix jours de l'appel principal ; exemple : j'ai un client condamné le 1er du mois — C'est un exemple bien sûr, dans la vraie vie, il aurait été acquitté—, je peux faire appel principal jusqu'au 11, comme le parquet. Si je fais appel le 11, le parquet a jusqu'au 16 pour faire appel incident.

La décision du parquet de faire appel se prend en interne. Elle est toujours concertée car ce n'est pas une décision à prendre à la légère : l'avocat général, mécontent du verdict, ne peut aller former un appel ab irato, sous peine de se retrouver convoqué chez son chef le procureur général qui va lui chanter pouilles. De manière générale, les appels d'une condamnation sont très rares. Le parquet a tendance à considérer que la Cour savait ce qu'elle faisait en prononçant telle peine, et qu'il n'a pas à imposer sa vision des choses au jury populaire qui n'est autre que le peuple souverain. Il n'en va autrement que si un acquittement a été prononcé alors que le parquet est convaincu de la culpabilité (le parquet n'aime pas les erreurs judiciaires...) ou qu'il y a une disproportion telle entre la gravité des faits et la légèreté de la peine qu'il estime qu'un appel est nécessaire.

Autant dire que dans cette affaire, les probabilités d'un appel spontané du parquet étaient nulles.

MAM avait-elle le droit de demander au parquet de faire appel ?

Oui. Elle tire ce pouvoir de l'article 5 de l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.   

Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la justice. A l'audience, leur parole est libre.

C'est à dire qu'on peut tout à fait imaginer que dans cette affaire, l'avocat général conclure l'audience d'appel en disant que les peines prononcées en première instance lui paraissent satisfaisantes et demander à la cour de les confirmer.

Alors, si tout cela est conforme au droit, d'où vient mon chagrin ?

Il se situe sur le terrain non pas du droit mais politique, ce qui réjouira mon ami Authueil, dévoré d'angoisse à l'idée que je ne pense qu'en juriste.

C'est qu'en agissant ainsi, MAM ne s'est pas comportée en garde des sceaux, mais en valet des victimes, s'inscrivant dans la droite ligne de sa prédécesseuse, les robes Dior en moins.

L'action publique ne doit pas être inféodée aux déceptions des victimes. Elle en est autonome, et ce n'est pas pour rien. Ce n'est pas la victime qui demande la punition, c'est la société. La victime est dépouillée de son droit de vengeance depuis que tout citoyen a renoncé à son droit de se faire justice à lui même, et plus largement de recourir à la violence, en confiant le monopole de la justice à l'État, en charge de la protection des citoyens. Et la société doit garder son droit de dire à la victime : non, ça suffit. Ce n'est pas lui faire violence, et je crois même que c'est le plus souvent pour son bien. Car il est des cadeaux faits avec la meilleure volonté du monde qui sont en fait des cadeaux empoisonnés. Et ici, nous risquons d'en avoir un triste exemple.

Ainsi, l'instruction donnée au parquet est de faire appel des condamnations inférieures aux réquisitions du parquet. Philippe Bilger, dont mes lecteurs savent l'estime non feinte que je lui porte, rougira de la confiance qui lui est ainsi portée, puique ses réquisitions sont pour la Chancellerie l'Alpha et l'Oméga, en ce qu'elle estime que la Cour s'est nécessairement trompée chaque fois qu'elle ne les a pas suivies. Passons cependant sur l'incohérence consistant à ne pas tenir compte du fait que le même avocat général s'estime satisfait du verdict. Il serait bon de se tenir à jour, place Vendôme.

Mais personne ne semble s'être interrogé sur les conséquences de ce choix.

Il signifie que, sauf à ce qu'il fasse appel, Youssouf Fofana ne sera pas présent en appel (enfin, si : il viendra comme témoin), de même qu'une bonne moitié des accusés (13 sur 27). C'est donc l'ombre du premier procès qui sera rejouée.

De plus, les 13 accusés concernés vont tous faire appel incident (ils n'ont rien à perdre et tout à gagner à le faire). Et les absents ayant toujours tort, ils vont pouvoir à l'envi charger Fofana pour se décharger de leur fardeau de la culpabilité. Et un accusé provocateur comme Fofana ayant tendance à enfoncer ses co-accusés, il est parfaitement possible que les peines soient réduites en appel. La défense a un coup à jouer et elle le jouera. Je ne dis pas que cette tactique sera mensongère ou trompeuse : si ça se trouve, certains accusés ont réellement été enfoncés par Fofana, dont l'absence leur permettra d'être jugés plus équitablement, et condamnés plus légèrement.

La mère de la victime semble considérer comme une évidence qu'un procès en appel lui donnera satisfaction, considération qui semble chez certain l'emporter sur toute autre. Croyez-vous qu'un échec en appel allégera sa douleur ? Car ce nouveau verdict sera définitif : pas de nouvel appel, pas de désistement pour revenir à la première décision. Il ne restera que le pourvoi en cassation pour faire annuler le verdict, mais uniquement si le droit n'a pas été respecté (or le quantum de la peine est une question de pur fait que la cour de cassation se refuse à examiner). Et c'est MAM qui en portera la responsabilité.

Demeure ensuite la question du huis clos. Deux des accusés étant mineurs au moment des faits, le huis clos était de droit à leur demande (art. 306 du CPP) . Et l'un d'entre eux est concerné par l'appel (il a été condamné à 9 ans quand le parquet en requérait... 10 à 12) : donc l'appel aura lieu à huis-clos, alors qu'il aurait suffit de ne pas faire appel de sa condamnation pour obtenir la publicité des débats. Pour un an de différence entre les réquisitions et la peine. Voilà ce qui se passe quand un ministre agit dans la précipitation médiatique.

Là où l'affaire tourne à la farce, c'est quand l'avocat de la partie civile rêve à voix haute d'une modification de la loi pour permettre la publicité des débats (encore une fois, voyez à quoi elle tient ici...). Voici que la victime demande qu'on fasse appel pour elle et qu'on change la loi par la même occasion. Je passerai sur le fait que l'avocat en question était l'avocat du RPR dont le garde des sceaux fut la dernière présidente, car je me refuse à croire qu'en République, des choix publics tinssent à ce genre de considération. Mais je tremble quand même que ce souhait soit suivi d'effet, deux députés qu'on ne peut soupçonner d'être indifférents à l'opinion publique ayant déposé une proposition de loi dans ce sens (Messieurs Barouin et Lang). Si le législatif aussi se met à jouer les larbins des victimes, il ne reste que le judiciaire pour garder la tête froide.

Je me contenterai donc de regretter que ce ministre ait raté sa première occasion de se comporter en vrai Garde des Sceaux plutôt qu'en valet des victimes, ait manqué de réfléchir avant d'agir, et que visiblement personne dans cette affaire ne se soit interrogé à la Chancellerie pour savoir ce qu'on avait à reprocher à ce procès, remarquablement conduit de l'avis général par une formidable présidente, Nadia Ajjan, et ce qui leur permettait d'estimer que leur opinion valait mieux que celle de neuf jurés et trois juges qui ont assistés aux 29 jours de débat et ont délibéré trois jours durant pour fixer ces peines, très légèrement inférieures aux réquisitions du parquet (à croire que les plaidoiries de la défense servent à quelque chose...).

La mémoire d'Ilan Halimi méritait mieux que ce cirque.

mercredi 8 juillet 2009

Ces gens sont des menteurs

À écouter, à podcaster (iTunes, Lien RSS), l'émission Les Pieds Sur Terre du 6 juillet 2009, diffusée sur France Culture, qui revient sur le fameux délit de solidarité, celui dont le ministre qui ne devrait pas exister nie l'existence. Pauline Maucort et Olivier Minot sont allés interviewer des gens qu'on a arrêté, placé en garde à vue, et oui, pour certains poursuivis et condamnés pour avoir aidé un étranger en situation irrégulière. Des acteurs, sans doute.

Écoutez leurs élucubrations, c'est drôlement bien inventé et joué, tous ces détails : ils sont forts ces menteurs.

Car bien sûr qu'Éric Besson dit vrai.

JAMAIS en France la police aux frontières ne viendrait embarquer à 7 heures 45 du matin une dame qui recharge des téléphones portables en l'accusant d'un délit qui n'existe pas commis en bande organisée. AUCUN policier n'aurait la désarmante naïveté de lui dire avoir été gentil d'attendre 7 heures du matin, la procédure ouverte selon la loi Perben II pour délinquance organisée permettant une perquisition à toute heure de la nuit —art. 706-89 du code de procédure pénale (CPP), sur autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD)—, et écartant l'avocat, ce gêneur qui rassure les dames en garde à vue : art. 706-88 du CPP al. 6 : l'avocat n'est autorisé qu'à partir de 48 heures de garde à vue, soit bien plus que le nécessaire pour boucler une procédure pour trois portables, même si le policier tape les PV avec deux doigts), et d'en rajouter une louche en disant que vraiment, ils sont super sympas de ne pas lui avoir défoncé sa porte ni de ne pas l'avoir menotté (Oui, c'est à 15'10). C'est qu'elle a oublié de dire merci, cette ingrate.

EN AUCUN CAS en France un religieux de 78 ans ne serait placé en garde à vue pour avoir transporté dans le coffre de sa voiture les bagages d'une famille qu'il accompagnait… acheter des billets de train. Jamais un policier n'aurait l'idée saugrenue de demander à un frère rédemptoriste pourquoi il vient en aide à des démunis[1].

COMMENT IMAGINER qu'en France, un citoyen soit arrêté pour avoir hébergé chez lui l'homme dont il était amoureux, et soit pour un soupçon de ces faits attaché à un mur pendant 17 heures ? C'est dangereux, un homo amoureux, mais quand même… Qui oserait croire qu'un procureur général fasse appel de la relaxe qui va suivre, et qu'une cour d'appel, fût-ce celle de Nîmes, même si celle de Douai l'a déjà fait, le condamne effectivement à 1000 euros d'amende, croyant utile d'ajouter que cet hébergement se faisait manifestement en contrepartie de faveurs sexuelles ? Au fait, monsieur le juge, votre femme, elle vous paye un loyer ?

Non, c'est trop gros.

Heureusement que le ministre du fifre et du pipeau est là pour rétablir la vérité, la Pravda ayant depuis longtemps failli à cette mission d'édification du peuple.

Une superbe fiction, donc, mise en scène par Véronique Samouiloff.

Mais pourquoi donc n'arrivè-je pas à applaudir ?

Notes

[1] La réponse se trouve à l'article premier des Constitutions de la Congrégation du Très-Saint-Rédempteur : “ Son but est de continuer le Christ Sauveur en annonçant la Parole de Dieu aux pauvres, selon ce qu'il a dit de lui-même: «Il m'a envoyé évangéliser les pauvre» ” ; “Elle s'acquitte de cette tâche avec un élan missionnaire qui la porte vers les urgences pastorales en faveur des plus délaissés, surtout des pauvres, à qui elle s'efforce d'apporter la Bonne Nouvelle.” Ça signe la bande organisée.

mardi 7 juillet 2009

De l'art délicat de donner des leçons à qui n'a pas appris les siennes

Un fait divers a fait quelque peu ricaner sur le web, une forme d'arroseur arrosé, internet tenant parfois d'une cour de récréation où on aime à rire aux dépens d'autrui (c'est toujours mieux comme métaphore que la plomberie).

Même si vous pourrez facilement retrouver le nom des protagonistes, puisqu'il est sans intérêt pour ma démonstration et que je ne souhaite pas exposer plus avant le dindon de la farce, je vais utiliser des pseudonymes.

Géronte est un étudiant en informatique. Ce jour là, il doit passer un contrôle de connaissance (il ne s'agit pas d'un examen visant à la délivrance d'un diplôme, la chose a son importance) portant sur sa maîtrise d'un logiciel très (trop ?) utilisé sur internet. Le sujet tombe, et là, c'est le blanc. Chaque exercice noté implique l'utilisation d'une technique dont il n'arrive pas à se souvenir.

Mais il découvre qu'il peut se connecter à internet depuis sa salle d'examen (l'examen a forcément lieu sur un ordinateur), quand bien même l'école avait dit avoir pris ses précaution pour que ce soit impossible.

Il lance donc un appel au secours demandant de l'aide et promettant une récompense.

Scapin, spécialiste de ce programme du fait de sa profession de graphiste indépendant, lui répond et lui propose son assistance. Géronte lui expose sa difficulté et lui propose de faire les exercices à sa place, contre une rémunération de 100 euros.

Scapin tombe alors le masque et exposant qu'il n'a ni besoin d'argent, ni peur du paradoxe, lui demande 300 euros faute de quoi il téléphonera à son école pour révéler la triche en cours, capture d'écran de leurs échanges à l'appui. Géronte croit à une plaisanterie de quelqu'un ayant changé d'avis, et conclut l'échange par le sommet de la péroraison cicéronienne en rhétorique contemporaine : un ;-) .

Mais Scapin était sérieux. Il a appelé l'école, qui se dispose à prendre des sanctions contre cet élève.

Internet est un théâtre, et le poulailler s'esclaffe de la Farce de Scapin sur ce pauvre Maître Géronte.

Un seul ne rit pas à l'orchestre : votre serviteur. Il ne peut s'empêcher d'être amer dans cette saynète, où Scapin mérite peut-être plus les coups de bâton que Géronte.

Géronte a voulu tricher, c'est certain. La fraude à un examen est un délit depuis la loi, toujours en vigueur, du 23 décembre 1901, puni de 3 ans de prison et 9000 euros d'amende ; mais seulement si l'examen est un concours d'accès à la fonction publique ou vise la délivrance d'un diplôme délivré par l'État, outre des sanctions disciplinaires d'interdiction provisoire de se présenter aux examens et concours (je n'ai pas retrouvé la référence des textes, si quelqu'un peut m'éclairer, je mettrai à jour). En dehors de ces cas, la fraude expose l'élève a des sanctions disciplinaires prononcées par son établissement pouvant aller jusqu'au renvoi.

Ici, il s'agissait d'un contrôle de connaissance, interne à l'établissement. Le délit n'était donc pas constitué, mais la faute disciplinaire, oui.

Foulant au pied tous mes principes, je mets un instant ma robe pour plaider gratuitement (Argh ! Je brûle ! Je brûle !) que ce que Géronte a fait est EXACTEMENT ce qu'un professionnel aurait fait à sa place : chercher de l'aide sur internet. Internet est un paradis pour informaticien (il y a même des femmes nues, d'ailleurs, c'est dire si la ressemblance est poussée), et quiconque a un souci peut trouver promptement du secours dans les forums spécialisés. La solidarité existe, et le mot de communauté prend ici tout son sens. J'en sais quelque chose y ayant eu assez recours pour rustiner mon blog (au fait, Rémi, ça avance, cet upgrade ?). Professionnellement, ce n'est pas tricher : c'est aller chercher l'information, disponible gratuitement, à charge de revanche. De fait, si Géronte n'avait pas voulu frimer en précisant qu'il était en examen, mais avait simplement demandé de l'aide, il l'aurait très probablement trouvée, sans qu'on lui pose de questions. Cela n'annule pas la triche mais en atténue la gravité. D'autant que face à cet échec, il a finalement rendu copie blanche, ou son équivalent en informatique (disque dur formaté ?). Géronte mérite une sanction, mais plutôt de l'ordre de l'avertissement.

Tournons nos yeux vers Scapin.

Qu'a-t-il fait ? Dénoncer un tricheur n'est pas répréhensible en soi. La dénonciation fut un sport national avant d'avoir mauvaise presse mais reste légale (bon, de là à la qualifier d'acte républicain, il faut pas exagérer, sauf à être un spécialiste de la chose).

Mais auparavant, il y a eu cette parole malheureuse : “ ce qui serait encore mieux, ce serait 300 euros pour que je ne téléphone pas tout de suite à l'école en leur balançant les photos et le résumé du chat qu'on vient d'avoir.

Et là, le juriste ne peut s'empêcher de s'exclamer : « 312-10 ! »

Code pénal, article 312-10 : Le chantage est le fait d'obtenir, en menaçant de révéler ou d'imputer des faits de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération, soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque.

Le chantage est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende.

Le fait de tricher à un contrôle est bien de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération du tricheur. Peu importe que le fait soit illicite et avéré : le chantage n'a pas à porter sur des faits licites ou mensongers : on peut parler de jurisprudence ancienne puisqu'il en a déjà été jugé par la chambre criminelle de la cour de cassation le 4 juillet 1874.

Et, découvrant que Scapin a bel et bien prévenu l'école, le juriste s'écrie derechef : « 312-11 ! »

Code pénal, article 312-11 : Lorsque l'auteur du chantage a mis sa menace à exécution, la peine est portée à sept ans d'emprisonnement et à 100.000 euros d'amende.

Le poulailler ne rit plus, et interpellant l'orchestre, lui objecte : mais la loi sanctionne le fait d'obtenir les fonds, et là, Géronte n'a pas voulu payer, Scapin n'a rien obtenu !

Ce à quoi le juriste, décidément imperméable à l'humour, rétorque : « 312-12. »

Code pénal, article 312-12 : La tentative des délits prévus par la présente section est punie des mêmes peines.

La tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d'exécution, elle n'a été suspendue ou n'a manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur (article 121-5 du Code pénal). Ici, la circonstance indépendante de la volonté du maître chanteur est que la victime du chantage n'a pas payé, qu'elle ait préféré subir les conséquences de sa fraude ou n'ait pas pris la menace au sérieux.

Tourner en ridicule les tricheurs, pourquoi pas ? Encore qu'avec l'internet, donner le nom de la personne est le condamner à une infamie perpétuelle, ce qui est disproportionné, surtout pour une simple interrogation écrite.

Mais commettre un délit à cette occasion me semble être une curieuse façon de se poser en donneur de leçon.


(PS : Merci de ne pas citer les noms des protagonistes de cette affaire, le message serait immédiatement supprimé dans son intégralité, je ne vais pas m'amuser à faire de la correction).

lundi 29 juin 2009

A l’ombre de la justice en pleurs

par Sub lege libertas


Comme un poverello de bronze voûté dans les plis d’airain d’une bure cardinalice vert-de-grisée, son visage surgissait esquissé, marqué des douleurs du monde, les yeux creux protégeant le regard intérieur illuminé de sa foi, un sourire ébauché. Jean Roulland avait pétri son Cardinal Liénart dans la force du bronze comme un serviteur du Christ s’arrachant à la glèbe d’Adam.

Il n’offrait pas un piédestal au buste de ce prélat couvert d’honneur qu’il était, ce chevalier de la Légion d’honneur sur le champ de bataille des mains de Pétain en 1917, grand officier en 1962 des mains de De Gaulle, l’autre lillois immense. Qu'elle fut honnie cette statue du Cardinal Liénart, sculptée par Jean Roulland et érigée en 1988 à Lille près de l’Hospice Comtesse, à deux pas du Tribunal ! Le fut-elle seulement par le modernisme de sa représentation ou à cause de la modernité de cette figure essentielle du Lille, de la France, du XXe siècle ?

Dérangeant ce prince d’Eglise à 46 ans qui allait, geste alors incroyable, saluer Roger Salengro, maire franc-maçon et socialiste de Lille après son sacre d’évêque du lieu. Surprenant ce pasteur qui encouragea les prêtres-ouvriers, l’action sociale des catholiques. Déconcertant ce docte moderne qui lors du Concile de Vatican II oeuvra pour faire entendre - en latin tout de même - les réformateurs.

Il faut croire que 36 ans après sa mort, il déplaît encore pour qu’un jour en 2007, on ait retiré sa statue du square de l’Hospice Comtesse, parce que son socle s’érodait. Et pour qu'il disparaisse des mémoires, sa statue ne parut plus nulle part, remisée loin des regards,[1] le socle arasé. Pas une rue ne le célèbre comme les abbés Aerts, Bonpain et Cousin, dont je ne diminue pas le mérite et la mort héroïque. Mais enfin pourquoi cet ecclésiastique qui fréquentait Roger Salengro, est-il en effigie personna non grata dans la ville de Martine Aubry ? Pourtant, on n’est pas à ce point laïcard à Lille comme on le rappelle par ici.

Est-ce parce qu’aujourd’hui, il est inaudible de l’entendre dire :

Dans le monde des affaires, qu'est devenue l'honnêteté ? la justice ? Il n'y a plus que le succès qui compte. On poursuit la fortune par tous les moyens, fût-ce au prix de la misère des autres. (1935)

La Sagesse chrétienne rappelle que le profit doit servir au bien commun. Aussi considère-t-elle comme mal faite une société dans laquelle le capital se réserve tous les bénéfices du travail et condamne l'ouvrier à vivre dans des conditions de logement, de subsistance ou d'organisation du travail qui rendent précaire ou même impossible la dignité de sa vie personnelle et familiale. Elle ne peut approuver un état de choses où, selon le mot de Pie XI, "la matière sort ennoblie de l'atelier, tandis que les hommes s'y corrompent et s'y dégradent". (1945)

Composée de chefs, de cadres et d'ouvriers, la société professionnelle doit s'organiser de manière à ce que chacun de ses membres ait vraiment sa place en son sein, non pas une place de machine, mais une place d'homme, non pas une place précaire et instable, comme celle d'un étranger de passage, mais une place de membre actif et considéré comme tel. Chacun concourant pour une part au bien commun de l'entreprise a, par le fait même, son mot à dire, sans qu'on puisse y voir une atteinte à l'autorité du chef d'entreprise. Il est juste que chacun de ceux qui coopèrent à la production par leur travail bénéficient de ses fruits à proportion de leurs services. Tant que l'ouvrier n'aura pas obtenu sa place d'homme libre dans la société professionnelle, la justice ne sera pas satisfaite. Le jour où il l'obtiendra, la paix sociale renaîtra. (1955)

Être juste, c'est un devoir aussi, mais sans la charité la justice oppose les droits beaucoup plus qu'elle ne les concilie. Être prudent, c'est bien, mais sans la charité, de quels calculs intéressés ou mesquins ne s'embarrasse pas la prudence humaine ? Être fort contre le mal est nécessaire, mais dans l'exercice de cette force, si l'on ne fait pas intervenir la charité, comme on risque d'être dur. (1937)

Voilà pourquoi et les magistrats, et les justiciables, et tout à chacun, peuvent pleurer de ne plus passer devant la statue du Cardinal Liénart, quand elle se dressait square Comtesse à l’ombre du Palais de Justice lillois. Voilà pourquoi on veut se souvenir d'Achille Liénart, mais en dehors de Lille. Craignait-on pour l’en bannir, qu’il évoquât trop une certaine idée de la justice ?

Notes

[1] Ce Cardinal errant sans édicule municipal semble, aux dires d'un journaliste perspicace de la Voix du Nord, bizarrement pour un monument public, séquestré par l'autorité ecclésiale.(actualisation du 2 juillet 2009)

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