Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 26 avril 2011

Boîte à gifles

“Par Gascogne”


Il est un rapport qui est passé tellement inaperçu qu’il a même fallu une insistance syndicale particulière pour qu’il soit publié : il s’agit du rapport du Conseil Supérieur de la Magistrature[1] rendu le 21 mars 2011 dans le cadre de l’affaire de Pornic, suite à sa saisine par le Garde des Sceaux, conformément à l’article 65 de la constitution de 1958, tel que modifié par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008. En effet, il était auparavant arrivé que la Conseil Supérieur de la Magistrature donne spontanément son avis sur le fonctionnement de l’institution judiciaire, et particulièrement des entraves qui pouvaient voir le jour suite à des interventions politiques. Cette liberté a paru si démocratiquement honteuse que la réforme constitutionnelle de 2008 a estimé nécessaire de ne plus permettre au CSM d’intervenir hors saisine du Garde des Sceaux.

Suite au mouvement des fonctionnaires et magistrats du ministère de la Justice, après les propos du Président de la République sur les dysfonctionnements judiciaires ayant selon lui conduit au meurtre de Laëtitia Perrais, le Ministre de la Justice s’était engagé à saisir le CSM d’une demande d’avis portant sur deux questions principales :

- la qualité du suivi des personnes condamnées, élément fondamental de la lutte contre la récidive.

- l’exercice par les chefs de juridiction et de Cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci.[2].

Le rapport du CSM ne traitera pas la seconde question, précisant que la question de la répartition des compétences entre Premier Président de Cour d’Appel et Président de TGI est d’une telle importance qu’elle mérite à elle seule un rapport annuel.

Quant au traitement de la première question, le Conseil n’a pas attendu la deuxième page de son rapport pour ouvrir la boîte à gifles. Je ne sais pas si les membres du CSM renouvelé suite à la réforme constitutionnelle de 2008, et sur la nomination desquels des critiques ont pu être faites, ont voulu immédiatement marquer leur indépendance, mais je dois reconnaître que la lecture de leur avis est plus que réjouissante.

A titre préliminaire, le Conseil rappelle en effet que “le respect du principe de la présomption d’innocence, garanti par la Déclaration de droits de l’Homme et du Citoyen et le code de procédure pénale, s’impose à l’égard de toute personne mise en cause dans une affaire criminelle tant qu’elle n’a pas été jugée”. Si ça, ce n’est pas un message directement adressé au garant de l’indépendance de la Justice, je ne sais pas ce que c’est. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’il parlait d’un présumé coupable



Concernant le fonctionnement des juridictions, le CSM débute par un rappel salutaire : en matière de récidive, d’exécution et d’application des peines, 11 rapports se sont succédé entre 2002 et 2011. On a beau savoir depuis Clémenceau que lorsque l’on veut enterrer un problème, on créé une commission, qui pondra un rapport, cela commence à faire beaucoup. Et ce d’autant plus que selon le Conseil, une des rares dispositions reprise dans une loi a consisté à “inclure la prévention de la récidive dans la définition des missions des services pénitentiaires d’insertion et de probation”. De l’aspect magique de la loi… Et le Conseil de proposer qu’il soit établi une liste des recommandations déjà formulées et d’assurer la mise en œuvre de celles qui le méritent. Ou comment expliquer calmement qu’un énième rapport ne présente qu’un intérêt plus que relatif, et qu’appliquer les précédents serait déjà une bonne chose.

Le Conseil souligne ensuite que pour une lutte efficace contre la récidive, il conviendrait qu’existe une réelle stabilité législative, ce qui n’est plus le cas depuis quelques années, pointant la “succession trop rapide des textes”. On ne saurait mieux dire.

Une fois ces critiques faites (et bien faites), le rapport reprend à son compte différentes propositions qui avaient déjà pu être formulées, concernant la lutte contre la récidive. Il y souligne particulièrement une “recherche en criminologie” accrue, afin de mieux détecter la dangerosité criminologique des condamnés, qui ne peut se réduire à la dangerosité psychiatrique, concept plus restreint, puisque reposant essentiellement sur la recherche d’une pathologie mentale. Le Conseil ne met cependant en exergue que le manque de formation des conseillers d’insertion et de probation, ce qui me paraît trop limité. En effet, sauf changement intervenu depuis ma propre formation, l’ENM ne forme pas les futurs magistrats à la criminologie, ce qui est regrettable. Pas même une formation du Cesare Beccaria, que tout magistrat pénaliste se doit cependant d’étudier. La formation à la criminologie devrait également être proposée à tous les personnels pénitentiaires, et notamment aux directeurs et chefs de service, appelés à donner leur avis sur les aménagements de peine des personnes incarcérées. Sauf erreur de ma part, je ne crois pas que cela soit actuellement le cas à l’ENAP.

Suivent quatre propositions portant sur la nécessité de suivis pluridisciplinaires des condamnés, l’augmentation des moyens humains et matériels afin d’assurer efficacement ce suivi, et le nombre de médecins coordonnateurs, notoirement insuffisants en matière de suivi des délinquants et criminels sexuels. Bref, la reprise quasi intégrale des demandes portées par les syndicats depuis des années, et à nouveau malheureusement remise à l’ordre du jour suite au drame de Pornic.

Face à cette mise en cause claire et précise que la Chancellerie a tenté de camoufler, voici la réponse du Ministère, qui se passe de commentaire :

Communiqué de la Chancellerie

07 avril 2011 Avis du CSM relatif au fonctionnement de la Justice La qualité du suivi des personnes condamnées et l’exercice par les chefs de juridiction et de cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci.

Après avoir pris connaissance des rapports des inspections diligentées à Nantes à la suite du meurtre de Laëtitia Perrais, et en vertu de l’article 65 de la Constitution, Michel Mercier, Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés, a saisi le 22 février 2011 la formation plénière du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) d’une demande d’avis relative au fonctionnement de la Justice.

Les deux rapports d’inspection, celui de l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) concernant le service de l’application des peines du tribunal de grande instance de Nantes, et celui de l’Inspection des services pénitentiaires relatif aux conditions de prise en charge de Tony Meilhon par le service d’insertion et de probation de Loire-Atlantique, ont été communiqués au CSM.

Dans sa saisine, le Garde des Sceaux rappelait en particulier les éléments mis en lumière par le rapport de l’IGSJ : difficultés quant à la prise en compte et au relais par les chefs de juridiction et de cour des demandes de renfort en effectifs exprimées par les magistrats du service de l’application des peines, délégation par le président du tribunal de grande instance de Nantes de ses responsabilités d’administration de la juridiction à sa principale collaboratrice, carences dans la validation des orientations définies par ce service, insuffisante coordination entre les juges de l’application des peines et le service pénitentiaire d’insertion et de probation.

Dans son avis rendu le 21 mars 2011, le CSM a souhaité distinguer deux aspects :

- la qualité du suivi des personnes condamnées, - l’exercice par les chefs de juridiction et de cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci.

Sur la qualité du suivi des personnes condamnées :

- Le CSM établit la liste des différents rapports établis depuis 2002 sur la récidive et préconise un suivi des recommandations qui en sont issues. Il relève 5 thématiques ayant fait l’objet de développements et de préconisations dans les deux rapports d’inspection, qui lui paraissent intéresser et impacter le fonctionnement des juridictions :

* la formation à la recherche en criminologie,

* la nature du suivi par une équipe pluridisciplinaire,

* les moyens humains du suivi des personnes condamnées,

* le nombre des médecins coordonnateurs,

* les moyens matériels.

Sur l’exercice par les chefs de juridiction et de cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci :

Le Garde des Sceaux souhaitait connaître les préconisations du CSM afin d’améliorer l’exercice par les chefs de juridiction et de cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci et sollicitait particulièrement son avis :

* sur la possibilité, pour le président d’une juridiction de déléguer ses attributions en la matière,

* sur le rôle des chefs de cour au regard de leur faculté de recourir à l’emploi de vacataires, à l’affectation de magistrats placés ou à la délégation de magistrats de leur cour,

* sur les obligations incombant aux chefs de juridiction et de cour en matière de contrôle des modalités d’organisation décidées par les services de leur ressort.

En vertu de l’article 65 de la Constitution, le pouvoir de nomination des premiers présidents et des présidents de tribunaux de grande instance appartient en effet au CSM, dans sa formation compétente à l’égard des magistrats du siège. Cette même formation statue également comme conseil de discipline des magistrats du siège.

Le CSM relève que l’ensemble de ces questions porte sur le rôle et les missions de premiers présidents des cours d’appel ainsi que sur les compétences respectives du premier président et du président.

Il a toutefois estimé que l’importance de ces questions justifiait qu’elles soient traitées dans un futur rapport annuel qui leur serait consacré.

On mesure à la lecture du communiqué la parfaite analyse de la Chancellerie des critiques émises par la plus haute instance de régulation de la Magistrature. Qui s’en étonnera ?

Notes

[1] N’y cherchez pas le rapport, il ne s’y trouve pas

[2] Il était notamment reproché dans le rapport de l’inspection générale des services judiciaires au président du TGI de Nantes d’avoir trop délégué à sa première vice-présidente

jeudi 17 février 2011

Les rapports dans l'affaire Meilhon

À la suite de la mort de la jeune Lætitia le 19 janvier dernier à Pornic (Loire-Atlantique), mort dont est soupçonné Tony Meilhon, la Chancellerie a ordonné deux enquêtes administratives sur le fonctionnement global du service assurant le suivi des condamnés (qu’on appelle le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation, SPIP) et de l’application des peines au sein du tribunal de grande instance de Nantes et plus spécifiquement le traitement du dossier de Tony Meilhon.

Pourquoi deux enquêtes ? Parce que l’exécution des peines relève à la fois de l’administration pénitentiaire (qui gère les SPIP) et de la Justice (Parquet de l’exécution des peines, Service d’Application des Peines (SAP) composé de juges de l’application des peines (JAP), qui relèvent de deux Directions Générales différentes au sein du ministère, souvenir du temps où la Pénitentiaire relevait du ministère de l’intérieur.

Ces deux rapports, que vous trouverez reproduits intégralement en annexe au grand dam de ma bande passante, sont riches d’enseignement.

Je vais d’abord vous en faire une synthèse, avant de vous faire part, pour ceux que cela intéressera, de mes commentaires.

Un petit mot néanmoins avant cette plongée dans les rouages de la justice. Je vous rappelle que je suis avocat. C’est à dire que je suis indépendant, farouchement indépendant ajouterais-je même. J’exerce en profession libérale. Je ne vis que des honoraires que veulent bien me verser mes clients. Je n’ai rien dans mon bureau que je n’aie payé de ma poche (hormis quelques cadeaux faits par des clients satisfaits, qu’ils en soient remerciés), ce qui inclut les murs l’entourant. Je ne dois rien au ministère de la justice (j’aimerais pouvoir en dire autant de celui du Budget), je suis extérieur à l’administration de la justice, et en aucun cas les magistrats et les Conseillers d’Insertion et de Probation ne me considèreront comme l’un des leurs. Je suis là pour les aider à décider, étant auxiliaire de justice, mais je suis en tout premier lieu solliciteur au nom de mes clients. Inutile donc pour certains esprits chagrins qui voudront faire coller les faits à leurs préjugés sur cette affaire de tenter de disqualifier les propos que je pourrais tenir semblant défendre les services concernés face à des anomalies constatées en les affublant du cliché commode de « corporatisme ». Pour qu’il y ait corporatisme, il faut qu’il y ait identité de corps, et le fait que nous portions tous une robe noire (similaire pas point identique) ne suffit pas à créer une quelconque connivence. Nous passons plus de temps à nous engueuler qu’à boire ensemble, sauf sur ce blog bien sûr.

Néanmoins, nous partageons une haine commune pour l’injustice. C’est elle seule qui m’animera dans mes commentaires.

La triste histoire judiciaire de Tony Meilhon

Les deux rapports ayant été écrits séparément reviennent tous deux sur la trajectoire judiciaire de Tony Meilhon. Beaucoup d’informations, parfois contradictoires ayant circulé là-dessus, un rappel des faits sera éclairant. Et déprimant, surtout pour les lecteurs extérieurs au monde judiciaire, car des trajectoires comme celle-là, on en a tous vu, et même des pires.

Tony Meilhon est né le 14 août 1979. Son casier judiciaire mentionne 13 condamnations. Les voici, étant précisé que je n’ai que la date des condamnations et non celle des faits, qui peut expliquer que des condamnations postérieures à des faits identiques ne soient pas en récidive.

1. Le 15 mai 1996 (à l’âge de 16 ans), 3 mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve pendant 3 ans pour vol aggravé et conduite sous l’empire d’un état alcoolique. Ce sursis a été totalement révoqué le 4 décembre 1996.

2. Le 29 avril 1997 (17 ans), 4 mois d’emprisonnement avec sursis pour vols aggravés. Ce sursis simple n’aurait pas dû être prononcé du fait de la condamnation précédente.

On passe ensuite, sauf mention contraire, aux juridictions pour majeurs.

3. Le 13 mars 1998 (18 ans), 6 mois fermes pour vol aggravé. J’ignore pourquoi la récidive n’a pas été visée.

Le 8 août 1999 (18 ans), il est incarcéré en détention provisoire pour des faits de viol, agression sexuelle et violences avec armes (cf. condamnation n°5).

4. Le 22 juin 2000 (20 ans), 6 mois fermes pour évasion par violence.

5. Le 9 mars 2001 (21 ans), la cour d’assises des mineurs l’a condamné à 5 ans dont 1 an avec sursis et mise à l’épreuve d’une durée de 3 ans pour des faits de viol, violences aggravées, agression sexuelle. Ces faits ont été commis en détention dans un établissement pour mineurs, sur la personne d’un détenu pour des faits de viol. Tony Meilhon a expliqué les avoir commis pour « punir » ce détenu, ces faits là le dégoûtant. Il estimera du coup avoir été injustement condamné et en concevra une profonde colère. Détail important : cette condamnation apparaît de manière erronée au casier comme « réputée non avenue », c’est à dire comme si le délai d’épreuve était terminé. Or la détention suspend le délai de mise à l’épreuve. J’y reviendrai, c’est un élément essentiel du dossier.

6. Le 30 avril 2002 (22 ans), 6 mois fermes pour vols aggravés en récidive, violences aggravées en récidive et dégradations volontaires. Il s’agit de sa première condamnation en récidive.

Le 3 avril 2003, la cour d’appel de Rennes rejette sa demande de confusion de cette peine avec sa condamnation criminelle : il devra les purger successivement.

Il est libéré le 31 mai 2003, en fin de peine. Il a alors purgé ses condamnations à du ferme, et doit rester suivi dans le cadre de la mise à l’épreuve de la condamnation n°5. Ils est bien reçu par le juge d’application des peines dans les 5 jours, comme la loi le prévoit, mais celui-ci n’a pas pu retrouver les obligations auxquelles Tony Meilhon était tenu (il n’y avait pas d’obligation de soins, ce qui est rare pour des faits de viol). Le juge lui a dit qu’un CIP prendrait contact avec lui, mais ça n’a pas eu lieu, puisque dès le 31 août 2009, Tony Meilhon était à nouveau incarcéré pour des faits criminels (un braquage, cf. condamnation n°7). Vous allez voir qu’il n’est pas resté inactif en liberté.

7. Le 22 juin 2005 (25 ans), la cour d’assises le condamne à 6 ans de prison pour vol avec arme et recel de vol. C’est sa seconde et dernière condamnation criminelle à son casier.

8. Le 27 janvier 2006 (26 ans), 7 jours de prison pour outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique (un surveillant de prison).

9. Le 11 décembre 2007 (28 ans), 6 mois de prison ferme pour refus d’obtempérer (c’est un délit routier : la police vous fait signe de vous arrêter, vous continuez nonobstant).

10. Le 20 décembre 2007, 2 mois de prison pour menaces envers un magistrat (faits commis en détention).

11. Le 22 janvier 2008, 6 mois de prison et 150 euros d’amende pour refus d’obtempérer, conduite sans permis, défaut d’assurance, violences légères (moins de 8 jours d’incapacité temporaire de travail).

12. Le 26 mars 2008, 8 mois de prison pour évasion (faits commis en détention, par définition).

13. Enfin, le 30 juin 2009, 1 an de prison dont 6 mois avec sursis et mise à l’épreuve pendant 2 ans pour outrage à magistrat en récidive (un juge des enfants). Faits commis en détention. C’est sa deuxième et dernière condamnation en récidive légale.

Il a été libéré en fin de peine le 24 février 2010, son temps de détention ayant été rallongé de 6 mois et 15 jours en raison de problèmes disciplinaires (retraits de crédits de réduction de peine, pour les techniciens).

Du fait de sa condamnation pour des faits de viol, il a été inscrit au Fichier Judiciaire des Auteurs d’Infraction Sexuelle (FIJAIS), ce qui l’obligeait à déclarer son adresse à la sortie. Comme il ne l’a pas fait, une alerte est lancée le 9 septembre 2010 et transmise au commissariat de Nantes, qui l’ recherché recherche en vain. Le parquet de Nantes, informé de ces vaines recherches, le fait inscrire au fichier des personnes recherchées en émettant un mandat de recherche le 4 janvier 2011. Ce n’est donc pas sa mise à l’épreuve qui est à l’origine de ces recherches, je vais y revenir.

Le 19 janvier 2011, sa route croisait celle de Lætitia Perrais.

Premier commentaire sur ce point.

On ne peut pas soutenir sérieusement que la justice a été laxiste ici. Sur les 11 dernières années, Tony Meilhon a été libre 3 mois, du 31 mai au 31 août 2003, outre deux brèves périodes d’évasion, du 16 décembre 1999 à début 2000 et du 11 janvier 2007 au 18 avril 2007, qui ont rallongé sa détention de 14 mois. Il a été condamné à de la prison ferme et incarcéré dès sa minorité, ses sursis ont tous été révoqués, toutes ses peines de prison ont été mises à exécution, les confusions de peine refusées, et les condamnations sont objectivement sévères, particulièrement la dernière pour outrage à magistrat : un an de prison pour outrage, c’est le maximum encouru pour le délit simple. Il est d’ailleurs intéressant de relever que les deux cours d’assises, avec jurés populaires, sont loin d’avoir fait preuve de sévérité : 5 ans sur 15 encourus, et 6 ans sur 20 encourus. Un beau thème de réflexion pour un projet de réforme récent.

Les assoiffés d’enfermement pourront constater que la prison n’a pas empêché plusieurs passages à l’acte.

Tony Meilhon en prison

Le rapport de la Pénitentiaire s’est intéressé au déroulement des deux dernières périodes de détention.

On apprend ainsi qu’il a toujours été demandeur d’un suivi psychiatrique, et que chaque fois qu’il a été mis en place, ce suivi a donné des résultats.

Ainsi, lors de sa première incarcération, Tony Meilhon a demandé ce suivi car « j’avais la haine en moi par rapport à ma condamnation en cour d’assises qui est une erreur de justice. » Il admet que ce suivi a été efficace « en ce sens que je n’ai pas été me venger de quoi que ce soit à ma sortie ». Ce sont ses mots, recueillis en septembre 2003 dans le cadre de l’instruction pour braquage. Pour comprendre le travail à accomplir, il convient de préciser qu’il reconnaît parfaitement avoir forcé son co-détenu à lui pratiquer une fellation. Et pourtant, dit-il « J’étais innocent de ces faits d’agressions sexuelles sur mineur. (…) Ça se fait souvent des choses comme ça en prison. J’étais mineur en prison avec un mineur qui avait fait un viol et moi je ne supporte pas ces gens là. Je ne suis pas un violeur, je suis un voleur ». Voilà l’échelle des valeurs en prison : les criminels sexuels sont des « pointeurs », des moins que rien, des souffre-douleurs qui n’ont que le droit de subir. Les violer n’est pas un viol mais une juste vengeance. Je me demande ce qu’on pouvait espérer de cette éducation républicaine.

Au cours de sa deuxième incarcération, Tony Meilhon a demandé un suivi psychiatrique, qui a d’abord été effectué par un infirmier psychiatrique d’octobre 2003 à mi 2005, sans résultat probant (6 sanctions disciplinaires, dont 4 violences sur co-détenu, et une menace à surveillant). En février 2006, un psychiatre le prend en charge, effet immédiat. Comportement satisfaisant en détention, il travaille et n’a plus d’incident disciplinaire sauf un en parloir avec sa compagne, mais l’enquête conclura que l’agresseur était la compagne et l’incident sera sans suites. Face à cette évolution positive, le Conseiller d’Insertion et de Probation qui le suit émet même un avis favorable à une semi-liberté pour préparer sa sortie prévue alors un an plus tard en décembre 2007. Tony Meilhon a d’ailleurs demandé à plusieurs reprises que son suivi psychologique continue à l’extérieur, et a exprimé le souhait que ce soit le même praticien qui le suive.

Mais au cours d’une permission de sortie en janvier 2007, il ne regagne pas son établissement, à la suite d’un incident avec son fils, incident qui n’est pas détaillé dans le rapport. Il est rattrapé en avril et tout le projet de préparation de sortie est abandonné, 6 nouvelles peines venant par la suite s’ajouter à celles qu’il effectue. Son suivi psychiatrique a continué, sur la base d’une consultation par mois, jusqu’à sa libération. D’ailleurs, le jugement n°13 qui l’a condamné à 6 mois fermes et 6 mois avec sursis mise à l’épreuve avait prévu une obligation de soin visant expressément la poursuite de ce traitement.

Les dysfonctionnements

Les deux rapports vont analyser, chacun en ce qui les concerne, les deux services qui ont été, légalement du moins, en charge du dossier de Tony Meilhon après sa libération. En effet, les deux rapports coïncident pour estimer que la prise en charge de Tony Meilhon en détention a été satisfaisante.

Voyons d’abord ce qui aurait dû se passer, avant de voir pourquoi ça ne s’est pas passé du tout.

Tout détenu libéré ayant une mise à l’épreuve à effectuer est affecté à un juge d’application des peines chargé du suivi de cette mesure, mesure qu’on appelle « en milieu ouvert » par opposition au « milieu fermé », la détention. Il peut déléguer ce suivi au SPIP. Alors qu’avant 2005, cette convocation était obligatoire (Tony Meilhon a bien été convoqué par le juge d’application des peines lors de sa libération en 2003), elle est devenue facultative, la notification des obligations se faisant désormais lors de la condamnation. Ce qui est une économie stupide de bouts de chandelles : certes, on allège la charge de travail des juges d’application des peines, ce qui dispense d’en nommer d’autres, mais espérer qu’un condamné, souvent peu ou pas instruit, se souviendra d’une phrase compliquée prononcée par le président après la seule information qui l’intéressait (le nombre de mois de prison) tient de la fiction. Pour le dossier de Tony Meilhon, le juge d’application des peines a bien été saisi, et comme vous allez voir, il a bien saisi l’urgence du dossier et a donné des instructions en ce sens au SPIP. C’est au niveau de la courroie de transmission que ça n’a pas fonctionné.

Premier problème : les milieux fermés et ouverts au sein du SPIP ne communiquent pas. Les dossiers sont transmis, et c’est tout. Le Conseiller d’Insertion et de Probation de la prison n’a pas signalé à son collègue du milieu ouvert que le dossier Meilhon était à surveiller comme le lait sur le feu. Il y avait des annotations au dossier ; encore fallait-il qu’il fût lu. Un logiciel, APPI, a été mis en place depuis 2004, est censé permettre un suivi en réseau, le dossier informatique étant accessible par les Conseiller d’Insertion et de Probation des milieux fermés et ouverts et par le juge d’application des peines. Le rapport se contente de constater que ce logiciel n’est pas utilisé « de manière optimale » sans s’étendre sur ces raisons. Mon esprit mal tourné me conduit à penser que tout ce que l’Inspection Générale préfère passer pudiquement sous silence met plus en cause la Chancellerie que les services locaux. Genre logiciel inadapté ou buggé, ou pas d’ordinateurs capables de le faire tourner…

Deuxième problème : Le sous-effectif du SPIP – milieu ouvert. Les affectations de Conseiller d’Insertion et de Probation ont clairement favorisé le milieu fermé. Ainsi, les 3 Conseiller d’Insertion et de Probation nommés à Nantes en 2010 ont été affectés au milieu fermé, et deux agents du milieu fermé ont été affectés au milieu ouvert : un à temps partiel de 80% et un élu syndical bénéficiant d’un détachement syndical de 70% de son temps de travail. Résultat : le SPIP milieu ouvert de Nantes avait 16,5 agents en comptant les temps partiels, alors qu’il était censé en avoir 21, chiffre qui était déjà en deçà des besoins réels. À cela s’ajoute les absences des agents pour maladie (522,5 jours de congé maladie ordinaire, 238 jours de congé longue maladie, 3 agents cumulant à eux seuls 616 de ces 760 journées, 81 jours de congé longue durée, 8 jours d’absence pour garde d’enfant et 245 jours de congé maternité). Ce qui fait sauter 1094,5 jours de travail sur l’année 2010, ce qui est considérable : cela fait presque un tiers de la capacité de travail du service (31% contre 6,8% en moyenne nationale). Le service ne pouvant faire face à sa charge de travail, on en aboutit au troisième problème.

Troisième problème : le stock de dossier non affecté. Le directeur du SPIP en poste de 2007 à 2009 a pris l’initiative de créer un stock de dossiers non affectés à un Conseiller d’Insertion et de Probation pour alléger d’autant la charge de travail de ceux-ci. Il s’agissait dans son esprit d’une solution temporaire pour rattraper le retard du service. Ses successeurs n’ont pas réussi à le résorber. Ce stock de Sursis avec Mise à l’Épreuve non affectés, de 611 dossiers en janvier 2011 contre 357 un an plus tôt) était constitué sur des critères assez précis, tenant en compte la nature de l’infraction, l’existence d’une ou de deux mises à l’épreuve (la loi ne permet pas plus de deux mises à l’épreuve), et le comportement en détention. Le directeur du SPIP a donc eu en main le dossier Meilhon, et a rapidement (l’examen a été très bref) décidé de le non-affecter car la détention était pour des faits d’outrage, il avait un domicile et une couverture sociale, ainsi qu’un projet professionnel, et son évolution en détention était positive, et surtout son casier ne mentionnait qu’un seul Sursis avec Mise à l’Épreuve. Ce qui nous amène au quatrième problème.

Quatrième problème : le sursis réputé à tort non avenu. La condamnation criminelle pour viol incluait un sursis avec mise à l’épreuve de 3 ans, j’attire tout particulièrement l’attention de Philippe Meyer sur ce point, qui dans l’Esprit Public de ce dimanche manifestait sa surprise qu’une condamnation pour viol n’ait pas donné lieu à une telle mesure alors qu’un simple outrage à magistrat, si. Il y a bien eu mise à l’épreuve, mais parmi ses obligations, toutefois, pas d’obligation de soin. La Cour a probablement estimé (ses arrêts ne sont pas motivés) que s’agissant d’un viol punitif, cela ne révélait pas de perversion sexuelle nécessitant des soins. Le suivi socio-judiciaire n’était pas possible, les faits remontant à 1997, donc avant la loi de 1998 l’ayant instauré. Mais la détention suspend de plein droit le délai d’épreuve. Or Tony Meilhon était détenu lors de cette condamnation et n’a été libre que trois mois jusqu’à sa libération en février 2010. Le délai d’épreuve de 3 ans n’a pas pu courir. Mais le casier judiciaire national n’ayant pas été informé de cette cause de suspension (obligation qui sauf erreur de ma part incombe au parquet) a naturellement computé le délai et en 2004 a réputé la peine non avenue. Or si le SPIP de Nantes avait su qu’en réalité, il y avait 2 Sursis avec Mise à l’Épreuve en cours, le dossier de Tony Meilhon aurait été « priorisé » selon les critères de tri des dossiers.

Du côté des juges d’application des peines de Nantes, le rapport de l’IGSJ souligne aussi le sous effectif ancien (3 juges au lieu de 4, qui ont en outre d’autres fonctions à exercer) et ses conséquences sur les dossiers en retard. Je vous fais grâce des pages et des pages de jargon bureaucratique où on apprend, merveilles de la gestion des ressources humaines, que le tribunal de grande instance de Nantes était considéré sur le papier comme en sureffectif de 2 magistrats (50 magistrats pour 48 postes) alors qu’en réalité il en manquait 3 (2,25, mais j’ai pas trouvé la virgule du magistrat).

Cependant, dans le cas de Tony Meilhon, cet état de fait n’a pas eu de conséquences, son dossier ayant été très vite repéré comme prioritaire. Ainsi, il a été condamné en juin 2009 pour outrage. Le jugement est transmis le 20 août 2009 par l’exécution des peines (le parquet) au juge d’application des peines qui le reçoit le 3 septembre. Le 18 septembre, le juge d’application des peines, qui connait parfaitement la politique de non affectation de certains dossiers, note sur le jugement « saisir SPIP urgent ». Tony Meilhon étant détenu, c’est le service « milieu fermé » qui reçoit cette instruction en novembre 2009. Mais lors de la libération de Tony Meilhon en février, comme on l’a vu, le service Milieu Fermé s’est contenté de transmettre le dossier au service milieu ouvert, sans attirer son attention sur l’urgence. Ainsi, la décision de mise en stock du dossier sera prise un mois après la sortie de Tony Meilhon alors qu’un traitement prioritaire supposait une convocation par le SPIP dans les 3 jours de la sortie. En outre, la fiche informatique du logiciel APPI est renseignée pour indiquer que le dossier a été affecté à un Conseiller d’Insertion et de Probation, ce qui était inexact, mais a pu laisser croire au juge d’application des peines que Tony Meilhon bénéficiait bien d’un suivi effectif. En outre, la fiche avait été créée le 24 novembre 2004 ce qui était largement en dessous des délais d’enregistrement habituel vu le retard du service. Cela laissait à penser que le dossier était bien traité comme prioritaire. Pas de raison de s’alarmer donc.

Conclusion

Désolé de ce pavé, mais je vous ai résumé 63 pages de rapport technique. Vous trouverez les originaux ci-dessous. J’ai tenu à faire ce résumé pour que vous sachiez exactement de quoi on parle, avec des faits et des dates.

Pour ma part, j’en tire les conclusions suivantes.

Quand on veut trouver un dysfonctionnement, on le trouve toujours, et quand on le cherche dans des services qui sont dans un état d’anémie budgétaire depuis des décennies, on n’a jamais à chercher longtemps. On peut reprocher au juge d’application des peines de Nantes de ne pas s’être assuré plus avant de l’effectivité du suivi de Tony Meilhon, malgré tous les signaux rassurants qu’il avait. On peut reprocher au SPIP de Nantes sa politique de stock de dossiers non suivis, qui à mon avis existe dans la plupart des services départementaux (amis Conseiller d’Insertion et de Probation qui me lisez, confirmez-vous ?). Mais quand on dit à des services « débrouillez-vous avec ce que vous avez », peut-on leur reprocher de faire de la débrouille faute des moyens de pouvoir faire leur travail ? Ces rapports ont le mérite de pointer des aspects qui peuvent être rapidement améliorés : la communication entre les services, notamment le milieu fermé et le milieu ouvert, autrement que par annotations manuscrites sur le dossier. Je ne sais pas si APPI est l’outil adéquat pour ça, s’il y a un problème de matériel informatique ou de formation, mais il est clair qu’en l’état, ça ne marche pas (le rapport relève qu’il y a une inexplicable différences de 200 dossiers informatiques qui n’ont pas de dossier physique correspondant). Il me paraît difficile de reprocher cet absentéisme aux agents du SPIP faute de plus de renseignements. Le congé maternité est un droit, les problèmes de santé, une fatalité, que des conditions de travail stressantes n’arrangent pas. La souffrance au travail n’est pas l’apanage du privé.

Mais surtout, nous devons nous demander une chose : et si le dossier de Tony Meilhon avait bien été priorisé, s’il avait fait l’objet d’un suivi effectif, qu’est-ce qui nous permet d’affirmer que Lætitia Perrais serait encore en vie ? Quel lien de causalité établir entre ce défaut de suivi et ce qui s’est passé — surtout qu’à ce stade on ignore encore ce qui s’est passé. Regardons les antécédents de Tony Meilhon. Un viol quand il était mineur, mais qu’il décrit comme étant punitif. Aucun autre cas d’agression sexuelle, même au cours de ses évasions ou de sa courte libération où in n’est pas resté inactif point de vue délinquance. Il est plus condamné pour des délits routiers que pour des violences, ses récidives concernent des vols et des outrages. Il n’a objectivement pas le profil d’un meurtrier. Quel signal aurait dû alerter la justice sur le fait qu’il pouvait tuer ? Rappelons que sa version des faits serait celle d’un accident mortel, suivi de la dissimulation du cadavre. On peut naturellement prendre ce récit avec méfiance, mais il n’est pas incohérent avec ses antécédents.

La Justice doit rendre compte de son action. Jamais aucun magistrat n’a prétendu à l’impunité pour ses fautes, et le Conseil Supérieur de la Magistrature ne chôme pas. Mais l’État aussi est comptable de ses choix, et celui de tenir depuis des décennies la Justice dans une insuffisance totale de moyens en est un que nous validons à chaque élection. Les augmentations généreuses qu’agit Éric Ciotti sont largement surévaluées (72% au lieu de 50% sur 10 ans), et surtout ne tiennent pas compte des transferts de charges, nombreux depuis l’adoption de la LOLF (on augmente les crédits et on met à sa charge de nouvelles dépenses, l’effet est au final nul). Il demeure que ce budget augmente effectivement, mais à un rythme tel qu’il peine à combler le retard.

Mais tout comme il serait injuste d’imputer à l’État la responsabilité de la mort de Lætitia pour faillir à doter la Justice des moyens décents, car il ne peut être tenu responsable de comportements individuels, il serait injuste d’imputer à la Justice la responsabilité de ce fait en prenant prétexte de son fonctionnement devenu anormal par nécessité.

Addendum : Au moment où je mets ce billet sous presse, j’apprends que le directeur interrégional du SPIP va être relevé de ses fonctions. Il n’est à aucun moment mis en cause dans les rapports. Le Président a promis des têtes, il y en a toujours une qui dépasse.

PS : petit problème avec le rapport de la Pénitentiaire, scanné dans un format trop gourmand en mémoire. Je le mettrai en ligne plus tard.

mardi 8 février 2011

Éléments de langage

Alors que la colère de la Basoche ne retombe toujours pas, bien au contraire (Plus de la moitié des tribunaux et cours d’appel soit 115 sur un total de 195, ont voté un renvoi des audiences non urgentes, dont Paris, qui de par sa taille gigantesque a le plus de mal à se mettre en branle ; d’ailleurs, 300 magistrats étaient présents à l’AG selon la presse), le Gouvernement fourbit ses armes.

Ses armes, c’est ce qu’on appelle les éléments de langage. Des argumentaires distribués aux élus de la majorité pour qu’ils puissent les réciter, le sourcil froncé et l’index tendus vers la caméra, comme s’ils maitrisaient le sujet.

Pour vous épargner du temps et la douleur d’écouter Christian Estrosi, mes Taupes, qui font l’envie de Moubarak comme de Facebook, m’ont communiqué ces argumentaires. Je vous les livres tels quels. Je pense que mes lecteurs magistrats apprécieront à leur juste valeur. Ils émanent directement de l’Élysée et ont été distribués aux parlementaires UMP.

Premier argumentaire, sur les dysfonctionnement de la justice. Il date du 4 février. Les mises en page (gras, italiques et soulignés) sont d’origine.


4 février 2011

ARGUMENTAIRE

Affaire Laëtitia et dysfonctionnement dans la chaîne pénale

Contexte :

Le 3 février, à l’occasion d’un déplacement à Orléans consacré à la sécurité, le Chef de l’Etat a réaffirmé son intention que toute la lumière soit faite sur les circonstances ayant conduit à la remise en liberté de Tony MEILHON, principal suspect du meurtre ignoble de la jeune Laëtitia à Pornic. « Le risque zéro n’existe pas, mais tout expliquer par la fatalité, c’est se condamner à l’impuissance » a-t-il ajouté. En diligentant des enquêtes d’inspection, Michel MERCIER et Brice HORTEFEUX ont précisé que « s’il y a eu des dysfonctionnements, ils ne peuvent pas rester sans réponse ». Pour protester contre ces déclarations, les magistrats du TGI de Nantes ont décidé une grève des audiences jusqu’au 10 février et exigé qu’aucune procédure disciplinaire ne soit mise en œuvre.

Éclairage :

1) Devant un tel drame, nous devons aux Français de rechercher ce qui n’a pas

fonctionné

- En rappelant cette exigence avec fermeté, le Président de la République est dans son rôle de garant du « fonctionnement régulier des pouvoirs publics » (article 5 de la Constitution). Il est de son devoir d’exiger que soient précisées les responsabilités des uns et des autres. En l’espèce, le devoir de nos institutions, c’est « de protéger la société de ces monstres » et de tout comprendre, tout entreprendre pour qu’un tel drame ne se reproduise pas ;

- Il est tout à fait normal que des rapports d’inspection aient été demandés dès lors qu’il est d’ores et déjà avéré que le suivi des obligations de Tony MEILHON n’avait pas été correctement mis en œuvre. Il n’y a alors rien d’exceptionnel à ce que le gouvernement mobilise, selon les procédures habituelles, les différents services d’inspection compétents (pénitentiaires, judiciaires, police nationale). C’est bien le contraire qui serait choquant ! Ces rapports d’inspection, qui devraient être rendus dans quelques jours, permettront d’analyser objectivement le fonctionnement de la chaîne pénale dans cette horrible affaire. S’ils font apparaître des dysfonctionnements manifestes, des procédures disciplinaires seront alors engagées.

- Sans attendre, le gouvernement veut apporter de nouvelles réponses au fléau de la délinquance sexuelle et violente : création imminente d’un Office opérationnel de suivi des délinquants sexuels ; mise en place dans chaque département d’une Cellule de synthèse et de recoupement concentrant ses efforts sur le suivi des multirécidivistes ; renforcement des Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Ces réponses passent certes par un renforcement des moyens mais ne s’y résument pas. Ainsi, dans le cadre de la LOPPSI, le recours au bracelet électronique sera facilité de même que les rapprochements judiciaires entre des affaires traitées par différents services.

2) Dans un État de droit, indépendance de la justice ne veut pas dire irresponsabilité

- Dans cette affaire comme dans d’autres, le principe de responsabilité de l’autorité judiciaire peut être légitimement posé. Qui pourrait accepter que ce grand service public régalien se dédouane de toute responsabilité au prétexte de l’indépendance que la constitution lui confère (article 64) ? Comme dans l’affaire Outreau, certains magistrats ont l’audace d’exiger qu’aucune procédure disciplinaire ne soit engagée et qu’aucune responsabilité ne leur soit imputée ! Ce n’est pas notre conception de la république et de la démocratie. Car la justice repose sur la confiance et il n’y a pas de confiance sans responsabilité.

- En refusant « d’exercer les fonctions de magistrat en Sarkozie » (Matthieu BONDUELLE, SG du syndicat de la magistrature), les magistrats grévistes manquent à leur devoir. Et au final ce sont les victimes et les justiciables qui font les frais de cette réaction, illégitime et disproportionnée.


Quelques commentaires :

Penser que cet argumentaire émane de l’Élysée est accablant. Le Président de la République est le garant du fonctionnement des Institutions et de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Et là, il se retourne contre l’autorité judiciaire, et via une présentation des faits tronqués. Ce n’est bien sûr pas la phrase citée qui a mis le feu aux poudres. C’est cette phrase là, non citée, et pourtant reprise en boucle dans les médias :

Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés, c’est la règle.

L’argumentaire laisse entendre que c’est la saisine de l’Inspection Générale des Services Judiciaires (IGSJ) qui a provoqué l’ire des magistrats, qui exigeraient avant de connaître les résultats qu’aucune sanction ne soit prise. L’Élysée ment. Purement et simplement. Car la vérité est que c’est tout le contraire : depuis le début, les magistrats fustigent le fait que par cette phrase ci-dessus rappelée, le Président, sans attendre les résultats de l’enquête de l’IGSJ, affirme qu’il y a eu faute et qu’elle sera sanctionnée, alors même que les magistrats nantais, sachant comment fonctionne leur service en sous effectif criant, savaient bien qu’aucune faute ne pourra être retenue à leur encontre pour avoir considéré comme non prioritaire un dossier de mise à l’épreuve pour outrage à magistrat.

Les lecteurs apprécieront en outre la rétrogradation de la justice, déjà non reconnue comme pouvoir au même titre que l’exécutif et le législatif par la Constitution, qui parle de simple “autorité”, au rang de simple “service public régalien”. On retrouve ici la vision du président de la République, exposée dans son discours d’Épinal de juillet 2007.

Et bien sûr le couplet démagogique sur les magistrats qui refusent de voir leur responsabilité mise en cause. L’Élysée rédige ses argumentaire au zinc, maintenant.

Deuxième argumentaire, sur les moyens et l’organisation de la justice (la célèbre antienne, « C’est pas une question de moyens, c’est une question de méthode », popularisée par Coluche sous la forme « Dites-vous de quoi vous avez besoin, on vous expliquera comment vous en passer ». Il est daté d’aujourd’hui 8 février.


8 février 2011

ARGUMENTAIRE

Grève des tribunaux et moyens de la justice

Contexte :

La polémique autour des dysfonctionnements survenus dans l’affaire Laëtitia a servi de prétexte à une « fronde » des magistrats, largement orchestrée par certains syndicats qui se réclament ouvertement de gauche. A leur initiative, le report d’audiences a déjà été voté par une cinquantaine de juridictions. Réfutant toute éventualité de mise en cause de leur responsabilité, les magistrats grévistes concentrent leurs attaques sur le manque de moyens de la Justice en France.

Éclairage :

1) Jamais aucun gouvernement n’a consenti un si grand effort pour le budget de la

Justice

- La Justice n’est pas un budget sacrifié, bien au contraire ! Depuis 2007 (6,27 Mds€), le budget de la justice a augmenté de près de 900 millions d’euros pour dépasser en 2011 le seuil jamais atteint des 7 Mds (7,1Mds exactement). Rien que pour 2011, ce sont 550 emplois nouveaux dont 399 de greffiers. Cette progression continue traduit la détermination du gouvernement à replacer la Justice au cœur de la société ;

- Cet effort est d’autant plus symbolique au regard du mouvement de maîtrise des dépenses publiques engagé par ailleurs. Il convient en effet de rappeler que, dans le même temps que le budget de la Justice progressait significativement, l’Etat réduisait son déficit de 40% entre 2010 et 2011 ;

- On ne peut pas dire que les gouvernements précédents en avaient fait autant. Les grévistes qui pointent le mauvais classement du budget français en Europe (0,19% du PIB, 37ème rang européen) oublient de rappeler que cette situation à laquelle nous tentons de remédier est le fruit d’un long héritage…Elisabeth GUIGOU, qui fort opportunément joint son éternelle « indignation » à la « colère des magistrats » devrait avoir l’honnêteté de rappeler l’état dans lequel elle a laissé le budget de la Justice en 2002. Il est vrai qu’avec les 35 heures et les emplois aidés, le Gouvernement auquel elle appartenait avait fait d’autres choix pour partager les fruits de la croissance de l’époque…Depuis que la droite est au pouvoir, nous avons redressé la situation : le budget de la Justice a augmenté de 40%.

2) L’efficacité de notre système judiciaire ne saurait se réduire à la sempiternelle question des moyens

- N’en déplaise aux grévistes et aux polémistes, c’est bien à la modernisation de la Justice française que nous nous sommes attelés depuis 2007. C’est ce que nous avons fait en réformant la carte judiciaire. Réforme à laquelle aucun gouvernement n’avait eu le courage de s’atteler depuis 1958. Était-il efficace de garder, comme c’était parfois le cas, deux TGI à 18 kilomètres de distance ? En même temps que nous réformions la carte, nous avons augmenté les effectifs de la justice de 2300 agents et investi massivement dans la construction de nouvelles cités judiciaires, modernes et cohérentes ;

- Le monde évolue, la Justice doit s’adapter. C’est le sens des différentes lois adoptées depuis 2007 (récidive, rétention de sûreté, loi pénitentiaire…) et des projets actuellement débattus au Parlement (garde à vue, introduction des jurys populaires, PJL « Guinchard » relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement des procédures). Ce mouvement de réformes, que certains qualifient d’ « empilement », nous l’assumons tout à fait : l’immobilisme, c’est le meilleur moyen de détourner les citoyens de la Justice.


Bon, passons rapidement sur les chiffres, notamment ces fameux 40% qui ne tiennent pas compte de l’inflation (16,5% sur cette même période), que le budget de la Justice inclut aussi le budget de la Pénitentiaire, et le fait que la 37e place de la France a été mesuré postérieurement à cette augmentation, qui montre bien d’où on vient.

Le couplet sur la réforme de la carte judiciaire est indécent, quand on voit que les suppressions se sont faites sans transfert de moyens (ainsi en région parisienne, le tribunal d’instance de Nogent Sur marne, qui a récupéré le ressort de celui de Vincennes, supprimé, n’a pas eu un magistrat ou un greffier supplémentaire. Résultat : impossible d’avoir une date d’audience avant la fin de l’année. Oui, nous sommes en février). L’argument des 18 km entre deux tribunaux de grande instance (TGI) ne veut rien dire. Le plus gros TGI de France, celui de Paris, est distant de 13km du second, Nanterre. Personne ne propose de supprimer l’un des deux.

Il demeure qu’à Nantes, le ministère a doté 17 postes de Conseiller d’Insertion et de Probation sur les 42 qu’il a instaurés. Que les lois empilées avec fierté par le Gouvernement, notamment la loi pénitentiaire de novembre 2009, va faire exploser cette charge de travail, alors que PAS UN SEUL POSTE n’a été créé. Alors le gouvernement peut dire que tout ça, c’est la faute des méchants socialistes. Les socialistes ont été au pouvoir 5 ans. Cette majorité est aux affaires depuis 9 ans. Il y a un moment où l’excuse du bilan devient simplement indécente pour se défausser de ses responsabilités. Et ça donne des leçons de responsabilité aux magistrats.

Le stade de l’autisme politique est dépassé. Là, l’exécutif sombre dans la bouffée délirante. C’est dramatique.

lundi 7 février 2011

La Basoche se fâche

Cette semaine, la Justice est en colère. Et grâce à l’habileté de notre président bien-aimé, ce sont même les deux justices, celles qui ne se parlent jamais, qui vont manifester leur mécontentement. C’est du jamais vu, mais nous étions prévenu dès 2007 : tout devient possible.

La révolution du petit pois

Mercredi 9, ce sont les juges administratifs qui font une journée d’action.

La raison en est double : d’abord, la loi Immigration, actuellement débattue au Sénat, visant à rétablir les audiences délocalisées au sein des Centres de Rétention, et la loi “simplification du droit”, qui bien évidemment ne simplifie rien du tout) qui prévoit la suppression de l’intervention du rapporteur public dans les contentieux dits de masse, essentiellement le droit des étrangers.

Nous touchons là du doigt la malédiction des juges administratifs (de leur vrai nom corps des conseillers des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel, conseillers TA-CAA pour faire court) : leurs revendications ont beau être toujours d’une importance fondamentale, elles ne sont jamais “sexy” médiatiquement.

Cour après moi que je t’attrape

Les audiences délocalisées, d’abord. La logique est comme toujours purement comptable. Le Gouvernement s’étant lancé depuis des années dans une politique hystérique d’expulsions se voulant massives (que mes confrères et moi faisons de notre mieux pour contrarier, avec quelque succès semble-t-il, puisque cette majorité en est à la quatrième loi sur ce thème depuis 2003), il réalise avec le temps que cela fait cher la voix gagnée. D’où une politique d’économies de bouts de chandelles. Ainsi, le transfert, quotidien, des retenus des centres vers les tribunaux administratif coûte cher ? C’est le juge qui se déplacera, ainsi que les avocats. Des salles d’audience vont donc — ont donc pour certaines, puisque ce projet traîne depuis longtemps dans les cartons du ministère de l’intérieur, venant aux droits du défunt ministère de l’immigration— être construites dans l’enceinte des centres de rétention.

Et c’est inacceptable.

Non pas parce que se déplacer leur paraît au-dessus de leur condition. J’ai un scoop : les conseillers TA-CAA ne vivent pas dans le tribunal, ils s’y rendent chaque matin et rentrent chez eux chaque soir. Le concept de se déplacer leur est familier.

Mais d’abord parce que les Centres de Rétention appartiennent au ministère de l’intérieur. Qui est, à travers son bras séculier qu’est le préfet, l’adversaire de l’étranger à la procédure. Le terrain n’est pas neutre. Accepteriez-vous qu’on plaide votre procès chez votre adversaire, qui aura pris la peine de construire un prétoire à côté de son salon ? En tant qu’avocat, je ne peux l’accepter.

Ensuite, parce que c’est une mauvaise gestion des moyens : le temps de transport subi par le conseiller (il siège à juge unique, ça fait longtemps que la garantie que constitue la collégialité a disparu) est du temps perdu pour se consacrer aux autres dossiers. On échange de l’heure de travail d’un magistrat contre un plein d’essence. C’est absurde.

Enfin, parce que rien ne garantit que le magistrat administratif aura sur place accès aux outils de travail qu’il a à sa disposition au tribunal. Notamment l’accès à la base de données des tribunaux administratifs, qui se situe sur un intranet. Il est même certain que ce ne sera pas le cas, puisque le seul but de cette réforme est de faire des économies.

Trois bonnes raisons, et qui rejoignent pleinement les intérêts de la défense. C’est peu dire que je les approuve sans réserve.

A pu le rapu

La suppression du rapporteur public (le rapu en jargon administratif), ensuite. La rapporteur public, anciennement le commissaire du gouvernement (qui n’était ni commissaire ni du gouvernement, d’où son changement de titre) est une originalité du système judiciaire administratif, et une des meilleurs. C’est un conseiller indépendant des parties qui étudie le dossier de son côté et va donner au tribunal un avis (qu’on appelle des conclusions) sur la décision qu’il devrait prendre. Il n’est pas là pour défendre l’administration, il défend l’application de la loi. C’est une originalité car c’est un expert du droit administratif (il est magistrat lui-même) qui va donner un avis en toute indépendance. Quand on sait que le contentieux principal que connaît le juge administratif, celui dit de l’excès de pouvoir, qui vise à faire annuler une décision illégale prise par l’administration, est dispensé du ministère d’avocat, on en comprend tout l’intérêt : un citoyen ordinaire n’est pas armé pour lutter avec les juristes de l’administration alors même que sa situation peut mettre en jeu des principes essentiels menacés par la puissance de l’État. Il a la garantie qu’un juriste encore plus pointu que celui à l’origine de la mesure qu’il conteste examinera le dossier et au besoin, appuiera sa position. Aucune juridiction judiciaire n’apporte cette garantie, le procureur de la République ne jouissant pas de cette indépendance, et son indépendance d’esprit ne pouvant être considéré comme une garantie équivalente, car lui est partie à l’audience. La seule réserve que j’émets, car il en faut bien une, est que le respect du contradictoire n’est pas son fort. Jusqu’à il y a peu, nous découvrions les conclusions du rapporteur public à l’audience, c’est-à-dire trop tard dans une procédure écrite. Désormais, il nous communique le sens de ses conclusions (favorable à notre requête, ou défavorable), mais sans que l’on sache pourquoi, il nous faut attendre l’audience là encore. Il n’y a pas de mal à les transmettre par écrit aux parties dans un délai permettant d’y répondre, fut-ce brièvement. Mais c’est comme pour l’avocat en garde à vue : on y viendra, et après, on se demandera comment on faisait avant.

C’est donc une garantie de bonne justice de manière générale, et une garantie pour le citoyen en particulier. Il est donc urgent de la supprimer, les garanties étant un luxe que notre République ne peut plus se permettre.

Bref, amis petit pois sans robe (il s’agit d’ailleurs d’une revendication personnelle que j’ajoute à la liste : donnons des robes à tous les juges, administratifs et non professionnels comme les conseillers prud’hommes et les juges de proximité, ce sont des juges avant tout), j’appuie de tout cœur ces revendications, et vous le savez, vous êtes ici chez vous pour vous exprimer.

Il faut faire payer ceux qui n’ont pas d’argent

Chez la justice d’en face, ça ne va pas mieux. Une journée d’action nationale est prévue jeudi, et plusieurs tribunaux (Nantes, Bayonne, Besançon, Brest, et j’en oublie, signalez-les en commentaires) ont suspendu toutes les audiences jusque là. C’est à ma connaissance du jamais vu. Les juges en robe sont furieux de la mise en cause de leur responsabilité (ainsi que de tous ceux qui les assistent) par le président de la République dans la terrible affaire Laëtitia, à Pornic (Loire Atlantique).

Là encore, chers amis docteur ès-zinc, ce n’est pas le principe de leur responsabilité qui leur pose problème. Les magistrats judiciaire, procureurs et juges, SONT responsables, à de multiple niveaux. Simplement, le régime de leur mise en cause obéit à des règles spécifiques visant à garantir leur indépendance.

Outre le fait que Tartuffe rougirait de honte d’entendre parler de responsabilité un homme qui jouit d’une irresponsabilité absolue de par l’article 67 de la Constitution (ne me parlez pas de la Haute Cour, c’est une aimable plaisanterie, un sacrifice aux apparences), soutenu par des ministres devenus eux aussi irresponsables (ainsi telle ministre de l’Outre Mer qui fait campagne en promettant à sa circonscription natale d’utiliser ses fonctions pour la favoriser reste en poste et y est même reconduite, tel ministre de l’intérieur condamné pour injure raciale prétend donner des leçons de vertus aux repris de justice, et telle ministre des affaires étrangères qui propose de voler—ce terme lui va bien— au secours d’un dictateur menacé par son peuple n’est-elle pas menacée, elle, de perdre son poste), sur le fond, il y a à redire.

Ainsi, le président, désemparé face à l’ampleur du drame, à la douleur des proches de la victime, et au mécontentement de l’opinion publique, a-t-il cru devoir déclarer tout de gob :

“Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés, c’est la règle.”

On l’a déjà dit, on ne le redira jamais assez : le directeur d’établissement qui a « laissé sortir » le principal suspect (qu’on dit “présumé innocent”, monsieur le président, demandez à votre ministre de l’intérieur, il a été sensibilisé à la question) n’avait pas d’autre choix, sauf à commettre une séquestration arbitraire, puisque l’intéressé avait purgé sa peine. Initialement présenté comme “multirécidiviste”, il s’avère qu’il sera tout juste récidiviste simple s’il devait être condamné pour avoir violé sa victime, puisqu’il n’a jamais commis de meurtre, et s’il a bien été condamné une fois pour viol, c’était en 1997, alors qu’il était détenu mineur, pour avoir enfoncé un objet dans le fondement d’un codétenu désigné comme “pointeur”, c’est à dire délinquant sexuel, qui sont les souffre-douleurs universels en prison. Il y a 13 ans, donc. Voilà le multirécidiviste qu’on veut vous vendre. Il a outragé un magistrat, et violé un codétenu il y a 13 ans ? Mais voyons, il était évident qu’il allait tuer une jeune fille !

Il était effectivement censé être suivi dans le cadre d’une mise à l’épreuve consécutive à… un outrage à magistrat. Ce suivi ne consiste pas en avoir un policier sur le dos 24h/24, mais à rendre compte à un conseiller d’insertion et de probation (CIP) du respect de ses obligations (avoir un domicile, un travail ou en chercher un, se soigner le cas échéant). Eût-il été convoqué, ce qu’il ne fut point, en quoi justifier d’un domicile et de sa recherche d’un travail eût-il permis de prévenir le drame de Pornic, sauf à ce que la convocation tombât le jour et l’heure du crime ? Et le fait de ne pas avoir provoqué cette coïncidence est-il fautif ?

En effet, le principal suspect n’a jamais été convoqué. On peut se demander pourquoi. Des éléments ont été fournis en commentaires sous le billet de Gascogne, je les reprends ici. Le tribunal de grande instance de Nantes est censé avoir 42 CIP en charge du suivi des dossiers. Seuls 17 ont été dotés par la Chancellerie. 4 juges d’applications des peines sont censés chapeauter le suivi des probationnaires. Seuls 3 sont en poste. Alors que les propres normes de la Chancellerie estiment qu’il faut qu’un CIP soit chargé de 80 dossiers, à Nantes, ils en ont entre 135 et 180. Pour faire face à cette indigence de moyens, 800 dossiers ont été classés non prioritaires et n’ont fait l’objet d’aucun suivi effectif. Parmi eux, le principal suspect dans l’affaire de Pornic. Ça marche comme ça dans tous les tribunaux, ne vous faites aucune illusion. Il faut être aveugle ou ministre pour croire que refuser à la justice les moyens de fonctionner n’aura pas de conséquence.

Vous aller m’accuser d’exagérer, n’est-ce pas ?

Si seulement. Lisons ensemble le JO, édition compte rendu des débats parlementaires. Merci à Marie, chez maître Mô, d’avoir signalé cette perle. Nous sommes le 2 novembre dernier. Michèle Aliot-Marie est encore ministre de la justice, et se dit qu’elle irait bien passer Noël en Tunisie, c’est si tranquille là bas. Laëtitia se porte bien. À l’assemblée, on discute du budget de la justice. Laurence Dumont, député (SRC) du Calvados, fait part de son inquiétude face à la dotation insuffisante des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (les SPIP, où travaillent les CIP), ce d’autant que la loi pénitentiaire votée un an plus tôt prévoit d’alourdir leur charge de travail. Voici la réponse de la Garde des Sceaux. Elle glace le sang.

« Vous estimez le nombre supplémentaire de SPIP insuffisant. Ce n’est pas notre analyse au ministère où plusieurs réunions de travail ont eu lieu sur ce sujet : ce que nous avons prévu semble correspondre aux besoins. Donnons-nous rendez-vous dans le courant de l’année et nous verrons ce qu’il en est. J’essaie en la matière d’être extrêmement pragmatique et de répondre aux besoins tels qu’ils me sont transmis par l’administration pénitentiaire.»

Donnons-nous rendez-vous dans l’année… Comme c’est commode, de renvoyer le problème à plus tard, quand on sait que dans 10 jours, un autre aura pris le poste.

Bon, alors, monsieur le Garde des Sceaux, on se le fait ce rendez-vous ? Pour ce qui est de voir ce qu’il en est des besoins, je crois que c’est tout vu.

La justice est en colère. Vous avez bien sûr le droit de vous en moquer. Mais je vous dénie le droit de dire qu’elle a tort.

mercredi 2 février 2011

Drame de Pornic : où sont les défaillances ?

Par Gascogne, intérimaire


Comme je n’aurais su dire mieux, je me permets de reproduire ici une lettre ouverte adressée par la CGT Pénitentiaire au Président de la République suite au meurtre de la jeune Laëtitia à Pornic. Cette lettre est consultable sur le site du syndicat, ainsi d’ailleurs que d’autres interventions de la CGT Pénitentiaire dans le cadre de la polémique qui a suivi l’arrestation et la mise en examen de Tony Meilhon.


LETTRE OUVERTE

A



Monsieur Nicolas Sarkozy, Président de la République Palais de l’Elysée 55, rue du faubourg Saint Honoré 75008 PARIS



Monsieur le Président,



J’ai pris connaissance du courrier que vous avez envoyé à monsieur le Garde des Sceaux. Je reviens vers vous après vous avoir déjà fait parvenir notre communiqué du mercredi 26 janvier 2011 par l’intermédiaire de votre attachée de presse.

Comme vous, je suis choquée et anéantie, monsieur le Président !



Premièrement, je suis consternée par l’utilisation populiste que vous faites de ce drame, terrible … la mort tragique d’une jeune fille dans des circonstances encore non élucidées et a priori ignobles !



Deuxièmement, je suis vraiment surprise que vous vous intéressiez enfin au crédit ou au discrédit de l’institution judiciaire : « Il me paraît en conséquence indispensable de faire toute la lumière sur ces dysfonctionnements qui portent atteinte au crédit de l’institution judiciaire. » Surprise, car vous-même avez souvent raillé l’institution judiciaire. Vos déclarations ont souvent remis en cause le professionnalisme des magistrats et des fonctionnaires.



Troisièmement, je suis choquée ensuite par la détermination dont vous faites preuve afin de trouver des coupables : « Vous m’avez indiqué avoir ordonné une enquête administrative interne afin de déterminer avec précision les conditions dans lesquelles cette procédure relative à la mise à exécution d’une peine correctionnelle s’est déroulée et les éventuelles responsabilités qui pourraient être mises en évidence. »



Des coupables, il n’y en a pas chez les fonctionnaires professionnels de la Justice. L’enquête administrative diligentée auprès des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et du tribunal de Nantes ne doit pas faire peser la responsabilité sur des agents qui n’ont pas à la porter … Ce que vous semblez vouloir, monsieur le Président, c’est un responsable à tout prix !



Vous n’êtes pourtant pas sans ignorer, monsieur le Président, que depuis des années, les politiques de casse du service public que vous menez, et plus particulièrement celui de la Justice qui nous concerne ici, sont les vrais responsables. L’inspection générale des services pénitentiaires était venue au SPIP de Nantes, il y a quelques mois. Le manque de moyens conduisant à la mise en place, en concertation avec les autorités compétentes, de la mise au placard des dossiers que le service ne pouvait prendre en charge faute de moyens, était connu ! Cette situation, qui existe dans de nombreux services, a été dénoncée à de multiples reprises.

En novembre 2010, la CGT Pénitentiaire, en mouvement, demandait entre autres, le recrutement de 1000 travailleurs sociaux, conformément à l’étude de l’impact de la loi pénitentiaire ! Madame Michèle Alliot-Marie, Garde des Sceaux, nous avait gentiment dit que le ministère de la justice et l’administration pénitentiaire étaient des privilégiés : pas d’emplois supplémentaires, hormis les 40 recrutements de travailleurs sociaux pénitentiaires pour l’année 2011 !



Sur votre invitation, l’inspection générale des services pénitentiaires a interrogé, à plusieurs reprises, des collègues. Plutôt que de demander des comptes à des agents, faites interroger les responsables de cette politique qui conduit les services à l’asphyxie !



Je peux comprendre votre trouble, lorsqu’en conseil des ministres vous dites : « Que puis-je dire à la famille de Laëtitia ? » … Que pouvez-vous leur dire ?

Tout d’abord, raconter comment vous avez, à cause de votre politique, anéanti les services publics en supprimant des fonctionnaires.



Ensuite, leur expliquer que la politique pénale menée par les ministres obéissant à vos ordres, a engendré une surpopulation carcérale, sans recruter des fonctionnaires supplémentaires tant à l’administration pénitentiaire qu’à la Justice en général. Expliquer comment les juges sont surchargés de dossiers ….



Vous éclairerez la famille sur l’état de la protection judiciaire de la jeunesse où le nombre de fonctionnaires ne cesse de diminuer. Vous pourrez aussi leur dire que les juges pour enfants sont débordés, parfois sans greffier, et que l’Etat ne reverse pas assez d’argent aux collectivités pour qu’elles recrutent des éducateurs pour le suivi des enfants et des jeunes en danger ou en difficultés !



Il n’y aura pas de boucs émissaires !



Alors, après analyse des responsabilités, vous pourrez vous excuser car la famille de la victime doit savoir que les dysfonctionnements de la Justice ne sont pas le fait d’un fonctionnaire d’un SPIP ou d’ailleurs, d’un magistrat, mais que c’est le fait de la défaillance d’un système, celui de l’Etat qui s’est désengagé de ses obligations depuis de longues années, et plus particulièrement depuis votre élection !



Comme vous êtes chef de cet Etat défaillant, vous pourrez leur signifier, que vous portez l’entière responsabilité de la déficience et du dysfonctionnement ! Avec la CGT pénitentiaire, je n’accepterai pas que des professionnels de la Justice paient à la place du pouvoir exécutif, donc du système !

Recevez, monsieur le Président, l’expression de mon attachement à l’ensemble des services publics, bastions et remparts de la démocratie donc de la République française !

Céline Verzeletti, Secrétaire Générale de la CGT pénitentiaire



Montreuil, le 31 janvier 2011


A titre personnel, je rajouterai ceci :

S’il ne saurait y avoir de hiérarchie dans la douleur de la perte d’un être cher, sans doute en existe-t-il une, très subjective, dans la manière dont cet être vous a été enlevé. Et le drame qui vient de se dérouler en Bretagne fait partie des pires choses qui peuvent être infligées à des parents, frères et sœurs d’une personne que l’on assassine.

Les premiers moments de douleur passés, abrutissants et irréels, la colère prend souvent le dessus, pour tenter de faire face, à défaut de comprendre. Et la recherche de responsabilité est un mécanisme normal du long apprentissage du deuil. Encore faut-il que ce mécanisme ne soit pas dévoyé en vengeance, qui n’est jamais bonne conseillère. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’État moderne a substitué l’institution judiciaire à la vengeance privée.

Si défaillance il y a eu, et s’il faut donc demander des comptes, ne nous trompons pas d’interlocuteur. La récente déclaration interministérielle vantant les mérites d’une inspection qui n’était même pas terminée pendant que l’encre du communiqué séchait déjà ne doit pas faire illusion. Cette déclaration est en tout état de cause proprement étonnante lorsque l’on sait que le Ministère était avisé depuis très longtemps de l’état déplorable des services de l’application des peines, tant au Palais de Justice de Nantes où il manquait un JAP depuis un an, qu’au service pénitentiaire d’insertion et de probation où la surcharge de travail des CIP ne leur permettait pas de traiter l’ensemble des dossiers. Le Ministère savait, et a laissé faire. Donner l’ordre aujourd’hui de ne pas prioriser les dossier est dès lors un revirement qui ne pourra de toute manière pas être mis en œuvre.

La récidive existera toujours. Le genre humain est ainsi fait que l’on ne peut contrôler vingt quatre heures sur vingt quatre un individu décidé à passer à l’acte, même porteur d’un bracelet électronique, qui n’a jamais rien empêché (il suffit d’assister à un débat de révocation d’une mesure de placement sous surveillance électronique pour s’en convaincre). Ceci ne pourra évidemment jamais consoler les proches des victimes, pour qui la perte d’un être cher ne peut évidemment pas se ranger parmi des statistiques, mais nos concitoyens ne doivent pas être dupés par de fausses promesses de risque zéro.

La récidive doit être limitée au maximum. Et ce n’est pas une énième loi qui y parviendra. Pas plus que profiter de la douleur de l’opinion publique ne résoudra le problème. Tout au plus cela rapportera-t-il quelques voix. Mais n’est-ce pas là le sommet du cynisme face à la mort d’une jeune femme ?

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