Le journaliste et écrivain Bruno Roger-Petit me fait l’honneur de s’interroger sur ma personne et fait part d’un malaise qu’il ressent sur un aspect de mon choix de bloguer anonymement : selon lui, cet “anonymat” (les guillemets sont de moi et je vais m’en expliquer) poserait problème quand je suis cité dans les médias pour commenter des événements de la vie publique. Et de citer deux exemples récents qui sont à l’origine de cette réflexion : un commentaire sur l’affaire DSK/Banon et l’audition du premier comme témoin, et le second sur une application iPhone depuis retirée, “Juif ou pas juif ?”.
Voici un extrait de son billet, dont la lecture intégrale s’impose pour bien saisir son point de vue :
En revanche, l’anonymat de Maître Eolas ne devrait-il pas être apprécié différemment lorsque son avis, expertise, jugement et/ou pronostic est sollicité par des journalistes de médias généralistes afin de les faire partager à leurs lecteurs ?
Je pose cette question (qui n’engage que moi, “as usual”) car lorsque j’ai lu son avis sur l’audition de DSK en tant que témoin dans l’affaire Banon, je me suis senti pris en otage. De même lorsque j’ai lu son opinion sur la fameuse application iPhone qui est au centre des débats depuis hier. On présente un avis qui fait autorité, mais on cache qui en est l’émetteur. Et il ne s’agit pas ici du propos d’une source désireuse de ne pas être identifiée parce qu’acteur ou témoin de l’affaire en question, mais d’un avis présenté comme celui d’un expert authentique et incontestable. Maître Eolas n’intervient plus sur un espace personnel qui lui appartient et que j’ai le droit de fréquenter ou non si cela me chante, il intervient inopinément dans un débat public en tant qu’expert, au détour d’une phrase, dans un article d’information générale, et il m’est interdit de savoir qui il est.
Cette situation parait problématique. En tant que lecteur, n’ai-je point le droit de savoir quelle est la personne qui me parle dès lors quelle s’exprime hors de son territoire et que son avis, d’une certain façon, imposé au nom du principe d’autorité ? D’où cette personne me parle-t-elle ? Pourquoi elle et pas une autre ? Si son avis est celui d’un expert pourquoi maintenir l’anonymat ?
L’interrogation est légitime, et c’est pourquoi j’y réponds, nonobstant le caractère récurent de ce débat, sur lequel j’ai déjà écrit en 2006.
Tout d’abord, je récuse le terme d’anonymat, qui ne me semble pas adéquat. Je ne suis pas anonyme, j’ai un nom, et d’ailleurs, il l’utilise : Eolas. Ce nom est un pseudonyme, un nom de plume, et bien d’autres personnes plus talentueuses que moi ont écrit des œuvres bien plus intéressantes que les miennes sous pseudonyme : Montesquieu, Rabelais, Amantine Dupin, mais en aucun cas mes billets ne sont anonymes : ils sont signés, et j’en assume le contenu, erreurs comprises. Je préfère donc parler de pseudonymat.
D’ailleurs, quand je suis cité dans les médias, c’est sous ce nom, et à ma demande quand on me laisse le choix. En effet, si des journalistes me contactent pour avoir un éclairage ou une opinion sur une question juridique, c’est parce que je suis Eolas, avocat et blogueur, non parce que je suis un avocat au barreau de Paris parmi 20.000 autres. C’est ce blog, et son succès depuis 7 ans et demi que je l’ai ouvert, qui me donne ma légitimité. Au demeurant, si je devais m’exprimer sous mon vrai nom, le lecteur ou auditeur se dirait “mais qui c’est ce type, pourquoi est-il consulté sur cette question ?” Car la vérité est terrible pour moi : c’est sous mon vrai nom que je suis anonyme…
En outre, une partie du succès de mon blog repose sur ce choix du pseudonyme, qui exclut tout soupçon de démarche commerciale de ma part, et garantit que j’exprime une opinion personnelle (il va de soi que je ne l’exprimerai jamais sous ce pseudonyme sur un dossier concernant un de mes clients ou pour lequel j’ai été consulté par une des parties).
Dès lors, mon pseudonymat, loin de poser problème, est le fondement de mes interventions publiques.
Mon véritable nom n’apporterait de plus rien au débat. Je suis réellement avocat, les journalistes qui me contactent l’ont vérifié ou tiennent mes coordonnées de confrères qui l’ont vérifié. De plus, je tâche depuis l’ouverture de ce blog de distinguer les faits de mon opinion. Quand j’invoque un texte de loi, je donne un lien vers le contenu de ce texte pour que chacun puisse vérifier par lui-même. Quant à mon opinion, la simple lecture des commentaires de ce blog montrera qu’elle n’est pas prise comme la parole d’un gourou du droit, mais au contraire soumise à la discussion, mes lecteurs ayant un esprit critique aiguisé, et je ne les en aime que plus.
Évidemment, la concision que suppose une intervention à la radio, ou la simplification qui accompagne une citation de mes propos recueillis verbalement m’empêche de faire comme sur ce blog : des explications interminables mais à peu près complètes. Mes interventions médiatiques ont moins de qualité que mes billet, à cause de la loi du genre. Dois-je pour autant cesser de répondre aux questions de la presse ? Je m’y refuse, par équité : je n’hésite pas à esquinter la presse quand j’estime qu’elle fait mal son travail en rapportant de manière incorrecte des informations juridiques. Le moins que je puisse faire est ne pas refuser de donner des explications techniques à un journaliste qui me contacte.
Pour finir, afin que Bruno Roger-Petit ne se sente plus “pris en otage” tel un Hervé Ghesquière ou une Florence Aubenas, revenons sur les deux interventions qui ont motivé son billet.
Sur l’affaire DSK : voici comment les choses se sont passées. Lundi matin, je sortais de France Inter où j’avais participé à l’émission Service Public (vis ma vie de star des médias…) quand je reçois une alerte sur mon téléphone : DSK entendu comme témoin dans l’affaire Banon. Mon sang de pénaliste ne fait qu’un tour : comment peut-on entendre comme témoin celui qui est visé par une plainte. Tristane Banon ne dit pas “quelqu’un a tenté de me violer et DSK a tout vu”, elle dit que c’est lui qui a tenté de la violer. L’entendre comme témoin n’a qu’un effet juridique : cela exclut le placement en garde à vue et par ricochet, la possibilité d’être assisté d’un avocat puisque la police refuse qu’une personne entendue librement soit assistée de son conseil (expérience vécue). Ce qui m’agace, comme mes lecteurs le savent bien, ce d’autant plus que cette pratique est née d’une forfaiture il y a plus d’un siècle.
Je rappelle brièvement. Sous le Code d’instruction criminelle, TOUS les dossiers pénaux relevant d’un délit ou d’un crime devaient obligatoirement passer par un juge d’instruction. L’instruction était à l’époque écrite et secrète : l’inculpé n’avait pas accès au dossier ni à un avocat, et était placé en détention par le juge d’instruction, sans limitation de durée ; mais avec une telle procédure, les instructions ne trainaient pas. En 1897, une grande loi est votée : désormais, l’inculpé peut être assisté d’un avocat qui a accès au dossier. Il ne peut rien faire et doit se taire, mais c’est un début. Ce début n’a pas plu aux juges d’instruction de l’époque qui ont aussitôt trouvé la parade : ne pas inculper immédiatement, mais faire entendre le suspect par la police, en qualité de témoin. Dès lors, pas d’avocat, le futur inculpé se retrouve comme avant : livré à lui-même et au secret. Quand il est inculpé, il a déjà passé des aveux complets, l’avocat ne peut qu’en prendre acte. Le Code de procédure pénale (CPP) qui en 1958 a remplacé le Code d’instruction criminelle a validé cette pratique : tout en maintenant l’interdiction faite au juge d’instruction de faire entendre le suspect par la police (art. 105 du CPP), il consacre la pratique de la garde à vue, en donnant ce temps de huis clos à la police pour faire parler le suspect. Et ce procédé a tellement bien marché par le passé qu’il a donné lieu à des procédures sans instruction, que le CPP valide lui aussi : c’est la procédure de flagrance et l’enquête préliminaire, qui amène un dossier directement devant le tribunal, sans passer par le cabinet du juge d’instruction, infesté d’avocats. C’est pour ça qu’il y a une certaine ironie quand en 2008 le président de la République a annoncé que puisque les procédures sans juge d’instruction (et donc sans avocats) marchent si bien au point de traiter 95% du contentieux, autant supprimer le juge d’instruction.
Je suis donc étonné de cette audition en qualité de témoin, sans avocat, d’autant plus que le témoin prête serment et a l’obligation de déposer. Après une procédure américaine si respectueuse des droits de la défense, je suis agacé de voir que la France reste dans ses pratiques archaïques. Je tweete donc mon ire. Quelques minutes plus tard, mon téléphone sonne : une journaliste web de l’express.fr a lu mon tweet et me demande en quoi cette nouvelle me choque. je lui explique ce que je viens de dire, tout en tirant la langue à la mort, c’est à dire en circulant à vélo dans Paris. Elle en fait un article publié sur le site. Par la suite, une précision a été apportée par les (excellents) conseils de DSK : cette audition a eu lieu “à sa demande”, pour “solder” cette affaire. Fort bien, mais à mon sens, cet accord visait surtout à éviter à DSK l’infamant statut de garde à vue, condition sine qua non en France pour avoir des droits face à la police. Ce d’autant que la police sait entendre un ancien ministre sans le placer en garde à vue et en présence de son avocat, pour peu que le ministre fasse partie de l’actuelle majorité. Il n’y a donc aucun obstacle juridique à cette assistance en audition libre. Je reste donc pour le moins réservé face à cette audition en qualité de témoin.
Voilà donc de quoi rassurer Bruno Roger-Petit : il n’y a pas eu d’avis d’experts radicalement opposés, mais un avis plus éclairé donné par un avocat mieux informé, et sans nul doute plus compétent que moi.
Sur l’appli “Juif ou pas juif”. Dès le lendemain, j’ai été contacté par le nouvelobs.com au sujet d’une application pour iPhone permettant de savoir si plusieurs milliers de personnalités du monde entier étaient juives ou non. Là encore, quand j’ai découvert l’existence de cette application, j’ai tweeté que ce programme violait manifestement la loi française et pouvait engager la responsabilité pénale d’Apple, en tant que complice ou receleur. Le journaliste voulait plus de détails sur mon affirmation et en a fait un article.
Je ne comprends pas ce qui gêne Bruno Roger-Petit : cet article ne cache pas qui est l’émetteur (c’est votre serviteur) et surtout donne l’article de loi concerné : l’article 226-19 du Code pénal, que tout le monde peut consulter. Ce n’est pas une information qui repose sur mon autorité, mais sur le Journal Officiel.
Pour conclure, rappelons une évidence : sur l’internet, ce n’est pas qui vous êtes qui compte, mais ce que vous dites. Le pseudonymat est quelque chose de naturel sur les réseaux, et même une prudence élémentaire face à un support hypermnésique. Il est temps que l’on cesse de le trouver suspect, et cela commencera en cessant de le confondre avec l’anonymat.
Ce billet, écrit à 17:16 par Eolas dans la catégorie General
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11 septembre 2001. Depuis quelques jours, je suis un jeune juge d’instruction. J’étais juge de l’application des peines, juste avant. A peine deux ans de fonction. Je sors de l’Ecole Nationale de la Magistrature, et je prends mon premier poste loin de chez moi, dans le Nord. J’ai beaucoup de chance, après deux ans, délai minimum imposé par le Conseil Supérieur de la Magistrature (de manière prétorienne), je m’en reviens chez moi.
Je stresse. Une fonction complexe (Outreau viendra le démontrer au grand jour), une fonction technique, juridique. J’ai bien bûché pendant tout l’été. Et pourtant. Changement de fonction en juin, je ne comprends même pas les questions qui sont posées lors de mon stage de changement de fonction. J’ai encore beaucoup de boulot.
Je connais très peu la technique juridique. Je connais encore moins bien les gens avec qui je vais travailler, collègues, mais surtout greffiers en premier lieu : je suis effectivement le seul juge d’instruction, mais j’ai la chance d’avoir deux greffiers pour m’aider, avec les 160 dossiers que compte mon cabinet. Et je ne vous parle même pas des avocats du barreau, que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam.
Depuis quelques jours que je suis là et que j’angoisse des erreurs que je peux commettre, je demande de l’aide. Quel dossier est prioritaire ? Les détenus, d’accord. Mais après ? Dans quel ordre doit-on les prendre ?
Une semaine que je suis là. Quelques jours. Une éternité. Mes deux greffiers n’ont pas encore eu le temps d’évaluer le magistrat instructeur que je vais être. Les avocats pénalistes savent particulièrement bien qu’il ne faut pas se mettre à dos les greffiers des services judiciaires. Pire que les juges. Les décisions de ceux-là, ils les redoutent. Mais l’absence de coopération des premiers, ils les abhorrent. Les juges passent. Les greffiers restent. Malgré cela, les greffiers sont souvent en retrait avec “leur” juge, ils attendent de l’évaluer. Dans l’attente, le juge est vraiment seul.
Comme tout jeune magistrat, ou presque, je compense mon manque d’assurance par un brin d’autoritarisme. Ou de suffisance, je ne sais pas. Je sors de mon cabinet, pour la ixième fois de la journée, pour parler à mes greffiers d’un des dossiers urgents sur le moment, mais dont je suis bien incapable de me souvenir aujourd’hui. J’ai la chance d’avoir un greffier et une catégorie C faisant fonction, aussi compétent l’un que l’autre. Je dois bien reconnaître un léger avantage à la greffière, avec qui le courant passe mieux. Il passe toujours autant aujourd’hui, bien que j’ai pu professionnellement apprécier celui-là, décédé entre temps, paix à son âme.
Babeth ne me dit rien. Elle semble tétanisée. Voyant bien qu’elle n’est pas d’un naturel exubérant, cela ne me choque en rien.
Roland, par contre, est bien plus expressif. Il m’appelle : “Monsieur le juge, venez voir, c’est hallucinant…”. Moi, du haut de mes vingt huit ans, je le toise : “Quoi donc, Roland ?”. Je me demande ce qui peut bien me sortir de mes dossiers, si nombreux, si complexes, si forcément mal traités par mon prédécesseur, puisque je suis bien évidemment le seul magistrat pouvant correctement traiter des dossiers d’instruction.
Et là, Roland, vieux greffier d’instruction, qui a connu durant la quasi totalité de sa vie professionnelle la machine à écrire, la marguerite et le ruban carbone, me montre son écran d’ordinateur. A moi. Le jeune magistrat plein de vie, plus proche de la naissance que lui ne l’est de la retraite. Moi qui ai appris l’informatique pendant mon service militaire. Moi qui connais bien mieux les ordinateurs que mon vieux greffier. Oh, bien sûr, je l’apprécie, mon greffier, malgré ses carences (qui n’en n’a pas ?), pour ses connaissances du droit, des services judiciaires, du fonctionnement de l’instruction.
Mais j’ai beau l’apprécier, lorsqu’il me montre les images sur son écran d’ordi, sur internet, en cours de développement à cette époque, les images de ce symbole de l’Amérique, en flamme, figurez-vous qu’il me fait rire, mon greffier. Mon pauvre Roland, moi qui connais internet, bien que fort peu développé à cette époque, je le sais déjà que les images transformées, piratées, détournées, ça existe.
Roland, j’ai beau vous apprécier, avec votre mauvais caractère, si proche du mien, vous me faîtes pitié, à croire tout ce que vous voyez sur votre écran. Et encore heureux, les réseaux sociaux ne sont pas encore développés en septembre 2001.
Je ne connais pas encore internet comme je le connais aujourd’hui, je ne crois pas aux photos que je vois sur l’écran de mon greffier. C’est trop gros. C’est trop énorme. C’est trop horrible. C’est tellement incroyable. C’est tellement bouleversant. C’est encore une de ces conneries que l’on voit sur le net, encore qu’en septembre 2001, l’on n’a pas la conscience des dérives du net.
On m’appelle sur ma ligne directe. Le téléphone portable existe, bien sûr, mais les réseaux ne sont pas aussi développés qu’aujourd’hui. La nouvelle se répand, tant bien que mal. Les Etats-Unis ont subi la pire attaque terroriste de leur histoire. Pearl-Harbour était une attaque militaire. Le 11 septembre 2001 sera cataloguée par les historiens comme la pire attaque contre des civils qui aura lieu.
J’ai mis quelques temps à me rendre compte. J’ai mis quelques mois à comprendre l’ampleur des morts, des conséquences, de la riposte. Et même encore aujourd’hui, je ne suis pas sûr de comprendre ce que tout cela implique. Je ne vois que l’horreur, que les cendres, que les morts, que le traumatisme occidental. Je crois que je n’arrive pas encore à analyser ce que les populations afghanes ont pu comprendre de ce qui leur est tombé dessus ensuite. La chanson de Renaud et Axel Red a peut-être montré ce qu’il en était des deux côtés.
J’étais un jeune juge. J’étais un magistrat plein de ses angoisses, de ses doutes, de sa suffisance. J’étais un homme confronté à ses peurs professionnelles, et projeté sans le vouloir dans une guerre de civilisation.
Et que je l’ai voulu ou non, en ce 11 septembre 2001, I was american. Et l’athée que je suis ne peut devant l’horreur extrémiste que clamer : God bless America.
Et vous : vous faisiez quoi, ce 11 septembre 2001 ?
Ce billet, écrit à 22:44 par Gascogne dans la catégorie Commensaux
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Pour fêter la rentrée, je cède un instant la plume à un élève d’une école. Pas n’importe quel élève, pas n’importe quelle école. Citou, pseudonyme du signataire de ce billet, est un élève magistrat, le terme officiel étant auditeur de justice. Citou m’a fait l’honneur d’être mon stagiaire au cours de sa formation qui prévoit l’exercice de la profession d’avocat pendant 6 mois. Il en a passé une partie à mes côtés, sachant que j’étais également Maitre Eolas (les raisons pour lesquelles il le savait ne vous regardent pas).
Au cours de son stage, j’ai eu une exigence dont j’assume seul la responsabilité. J’ai convenu avec Citou que quand il m’accompagnerait en garde à vue, il n’indiquerait pas aux policiers sa qualité d’auditeur de justice, afin qu’il soit considéré comme un élève avocat. Je l’ai voulu afin que Citou voie comment les policiers se comportent vraiment en présence d’avocats. Je ne voulais pas que s qualité de futur magistrat, possiblement au parquet donc amené à les diriger, fausse leur comportement. Je ne voulais m’offrir des gardes à vue idéales grâce à Citou, mais qu’il voie des vraies gardes à vue, pour qu’il s’en souvienne le jour où il aura à connaître des dossiers en tant que magistrat, notamment des cas où quelque chose se passe mal. Comme vous le verrez, je n’ai pas été déçu.
Son stage terminé, je lui ai demandé un devoir de vacances : écrire un billet pour ce blog racontant ses impressions sur le cas des gardes à vue, puisque son stage a coïncidé avec l’entrée en vigueur de l’intervention de l’avocat. Je le publie tel quel, avec ses petites imperfections (écrire un billet de blog est un exercice de style particulier) et ses compliments immérités à mon égard qui froissent ma légendaire modestie, qui font partie de sa sincérité et de sa spontanéité. Je suis ravi et remercie Citou d’avoir été un témoin crédible de ce que je raconte et qui est parfois mis sur le compte d’affabulations ou d’exagérations.
Je dois à l’honnêteté, qui est une dame que je fréquente plus que je n’ose l’avouer pour tenir ma réputation, que dans la plupart des cas, les gardes à vue se sont passées correctement, sans tension, avec une application rigoureuse de la loi, et même courtoisement. Ce qui n’a pas empêché Citou d’être marqué par la violence qui leur est consubstantielle, car il y a coercition et le gardé à vue est entre les mains de l’officier de police judiciaire. Un peu moins maintenant, même s’il reste du travail.
Je n’ai pas bourré le crâne de Citou, qui a de toutes façons la tête dure comme tout magistrat, je me suis contenté de lui montrer la vérité. Il n’a pas fini anti-flic, pas plus que je ne le suis, il a réalisé les conditions déplorables de travail des policiers qui ont des répercussions sur la dureté de la garde à vue, et je pense que globalement son respect à leur égard s’en est sorti accru. Ce qui n’a pas empêché sa saine colère quand il a assisté à des anecdotes qu’il raconte, dont je confirme la parfaite authenticité, et qui relèveraient a minima d’une procédure disciplinaire. Elles sont minoritaires. J’aurais préféré pouvoir écrire le mot rare à la place, mais hélas…
En tout cas, je me réjouis que quelqu’un comme Citou soit bientôt magistrat. Je ne doute pas qu’il fera honneur à ses fonctions et sera un excellent magistrat. Et ma vanité me fera croire que j’y suis un peu pour quelque chose.
Une fois n’est pas coutume, l’avocat se tait, et cède la parole en dernier au (futur) magistrat.
Eolas
Gardé à vue, je le serai tout au long de ma carrière désormais. Par l’œil invisible de Maître Eolas, par sa voix, future Conscience de mes décisions : « N’oubliez jamais ce que vous avez vu ce soir», « Rappelez-vous toujours de cela quand vous serez juge ou substitut ».
En tout cas, je l’espère.
Je l’espère car cette garde-à-vue, contrairement à celles auxquelles j’ai pu assister à ses côtés, sera saine, protectrice et réconfortante.
Je suis Auditeur de justice, c’est-à-dire élève de l’École Nationale de la Magistrature et, à ce titre, membre du corps judiciaire. Ma formation se déroule en 31 mois, dont les 6 premiers s’effectuent en stage en cabinet d’avocats.
C’est à cette occasion que j’ai pu effectuer des journées de permanence auprès de mon Maître. Des « gardes-à-vue ». Expression que l’on rabâche en cours de procédure pénale tout au long de nos études. « Durée de 24h, renouvelable une fois », c’est ainsi que la règle apparait dans nos gribouillis d’étudiants, sans mesurer la réalité qu’elle recouvre.
Or, cette réalité, je l’ai approchée très rapidement. Et dans une période mouvementée puisque concomitante à l’entrée en vigueur du nouveau régime de la garde-à-vue.
Sur son invitation, je me permets de vous retranscrire mon expérience.
Premier jour de permanence : appel à 19h. Nous sommes attendus au Commissariat du 17ème arrondissement de Paris pour assister un dénommé Monsieur A. Rendu sur place rapidement, je pénètre pour la première fois l’enceinte d’un commissariat accompagné d’un avocat. Comment va-t-il être accueilli ? Comment lui se positionne-t-il par rapport à eux ?
Je suis imprégné de clichés en tous genres, et la réalité me rattrape : nous arrivons au moment des changements d’équipes et une impression de désordre général se dégage. À cela, s’ajoute le constat de conditions matérielles de travail déplorables.
Le PV de notification des droits nous est présenté. Toutes les informations doivent être étudiées minutieusement. Identité du mis en cause, heure de placement, faits reprochés, droits notifiés, avocat demandé (curieusement, il apparaitra parfois que la personne réclame un avocat pour l’entretien confidentiel mais ne souhaite pas en bénéficier pour les auditions. Après explications par l’avocat sur l’assistance à laquelle elle a droit, celle-ci changera toujours d’avis)… Puis, nous suivons le policier pour rencontrer « notre » client, à qui il est reproché des faits d’enlèvement, séquestration et violences volontaires.
C’est alors qu’en passant devant une cellule, je suis témoin d’une scène qui restera comme l’une des plus marquantes de mon stage. Un policier est en train de pratiquer une clé d’étranglement sur un homme, torse nu, rouge et respirant avec difficulté (par la force des choses).
Maître Eolas me fait remarquer que cela apparaîtra dans un PV sous la formule suivante : « Faisons application des gestes et techniques de sécurité en usant de la force strictement nécessaire pour maitriser l’individu ». Certes.
Voir cela est très choquant. J’ignore ce qui a justifié l’utilisation de cette mesure de contrainte, mais je sais simplement qu’elle ne devrait pouvoir être pratiquée. Je saurai m’en rappeler lorsque cette petite phrase anodine figurera dans mes dossiers.
L’entretien avec le client aura lieu dans une cellule vide, faute de local avocat en état (le commissariat est en travaux). Vive la confidentialité. Les policiers font avec les moyens du bord.
Les explications du gardé à vue sur les faits sont embrouillées, la conclusion étant qu’il n’a rien fait et qu’il ne comprend pas sa présence en garde-à-vue. Une nouvelle idée reçue s’effondre : moi qui pensais que l’avocat était le premier confident de ses clients, à qui ils révélaient la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Loin de là, et cela me sera confirmé par la suite.
Or, en l’absence d’accès au dossier, comment confronter le client aux éléments de l’enquête pour préparer au mieux sa défense et la rendre effective ?
Toute la difficulté de l’exercice s’impose à moi. Les incohérences législatives également.
Tant mieux, c’est le but. Je vois les choses d’un œil différent.
Et puis il y a l’empathie ressentie pour la personne, la peur ou la colère qui se dégage d’elle, son visage lorsqu’on lui annonce que la mesure pourrait être renouvelée à nouveau durant 24h, le bruit, la chaleur, l’odeur…
Voilà ce qu’il y a derrière l’expression « 24h de garde-à-vue, renouvelable une fois ». Je la ressens cette durée. Là encore, ne pas oublier.
Pour des raisons de compétence, Monsieur A sera finalement transféré dans un commissariat de la région parisienne. Nous ne l’assisterons donc pas pour ses auditions, un autre avocat prendra le relai.
Des observations sont rédigées par Maître Eolas sur les conditions de la garde-à-vue, et notamment sur le refus d’accès au dossier.
Autre conseil, autre note intérieure : me faire communiquer les éventuelles observations de l’avocat quand je serai substitut de permanence.
Voici venue la fin de cette première garde-à-vue. Je rentre chez moi, je dors. Pendant ce temps Monsieur A est toujours dans sa petite cellule puante.
J’ai assisté à de nombreuses autres gardes-à-vue par la suite, et ai donc été présent aux auditions.
La plupart se sont déroulées de manière très convenable, les policiers n’étant visiblement pas hostiles à la présence de l’avocat et respectant en tout point son rôle, en tout cas tel que défini restrictivement par la loi.
D’autres au contraire m’ont profondément marqué. Il y a notamment cette audition au cours de laquelle on reproche à Monsieur B des faits de filouterie de taxi et d’outrage.
L’infraction de filouterie ne peut être constituée que si la personne se « sait être dans l’impossibilité absolue de payer » ou « est déterminée à ne pas payer » (Article 313-5 du code pénal). Sans cet élément intentionnel, l’infraction ne peut être caractérisée et la garde-à-vue est infondée (les faits supposés d’outrage ayant été commis au cours de la garde à vue, ils ne la justifieraient pas - NdEolas).
Or, au cours de l’entretien confidentiel, Monsieur B nous avait apporté des précisions laissant figurer qu’il n’avait aucunement été animé d’une telle intention. Cela ressortait notamment d’un appel téléphonique qu’il aurait passé à un proche durant le trajet.
A la fin de l’audition, très tendue de par les interventions incessantes et provocatrices d’un officier de police présent dans le bureau, Maître Eolas informe le policier de cet élément, et demande à ce que le téléphone de Monsieur B soit extrait de sa fouille pour vérifier qu’un appel avait bien été passé.
Malgré l’hostilité du commandant présent, le téléphone est apporté. iPhone flambant neuf dont la caractéristique est une faible durée d’autonomie. « Vous voyez, plus de batterie » fait remarquer le commandant avec fierté. Maître Eolas suggère qu’un chargeur de batterie soit prêté, étant donné que sur les trois policiers présents dans le bureau, deux étaient en possession d’un téléphone de marque similaire. Ils répondent tous ne pas en avoir sur place. Étrange. C’est alors que j’ai vu le commandant, qui était dans mon angle de vision sans qu’il ne le sache, dissimuler ce qui m’a semblé être un chargeur d’iPhone. En douce. (NdEolas : je confirme, je l’avais vu sur le bureau en entrant).
J’en suis ressorti révolté. Pourquoi nuire ainsi à la manifestation de la vérité ? Pourquoi vouloir éviter la levée d’une garde-à-vue infondée ? Un sentiment d’injustice s’est emparé de moi, mais il devait être faible à côté de ce qu’a vraisemblablement ressenti Monsieur B. Et l’on ne peut prédire les conséquences d’une telle sensation sur ce dernier.
Bien sûr, un tel comportement de la part d’un policier (haut gradé qui plus est) semble, du haut de ma petite expérience en commissariat, exceptionnel. Mais il a quand même eu lieu.
Note : S’en souvenir lorsqu’un avocat le plaidera devant moi.
Outre cette expérience très gênante, d’autres détails m’ont interpelé au cours de certaines des auditions auxquelles j’ai pu assister. Cette sensation de « rien à voir » entre la façon dont se déroule l’audition et la manière dont elle transparait à la lecture du PV. Également, cette facilité avec laquelle certains policiers soufflent les réponses au gardé-à-vue sans que cela ne figure dans le PV.
Exemple auquel j’ai assisté :
- « A quelle heure es-tu sorti de chez toi aujourd’hui ? » (le tutoiement est souvent de rigueur)
- « je ne sais pas »
- « Eh oh, on le sait hein, ton téléphone a activé telle borne à 10h05. Alors ? »
-« bah, je suis sorti vers 10h05 alors »…
La retranscription sera celle-ci :
« Question : A quelle heure avez-vous quitté votre domicile aujourd’hui ?
Réponse : Vers 10h05. »
Cela semble anodin mais pourrait revêtir une certaine importance selon l’affaire.
Enfin, et cela a déjà été abordé par mon Maître, j’ai été parfois frappé par la mise à l’écart physique de l’avocat. Positionné bien à l’arrière de son client, même dans des bureaux très exigus, de façon à ce que celui-ci en oublie jusqu’à sa présence.
Je ne fais aucune généralité sur les policiers, et ce stage m’a, la plupart du temps, permis de rencontrer des personnes scrupuleuses – parfois trop - tout en me faisant réaliser leurs difficiles conditions de travail. Notre formation prévoit d’ailleurs également un stage aux côtés des services de police et de gendarmerie. Mais il m’a également révélé un certain nombre de situations très regrettables et dont dans tous les cas, je me souviendrai.
Les magistrats ne sont pas en reste à cet égard. Comme ce Président d’audience qui peste contre Maître Eolas ayant déposé des conclusions en nullité de garde-à-vue, et l’incite à les retirer pour gagner du temps.
Ou comme moi-même, face à la lecture d’un dossier dont le mis en cause est renvoyé pour outrage, violences et rébellion. Je n’ai jamais vu le client et j’en ai malheureusement une image toute faite, celle de la « petite frappe de banlieue ». La claque quand celui-ci arrive au cabinet, poli, intimidé, confiant son angoisse, absorbant les conseils…J’ai honte.
Note : Se départir de ses propres clichés + derrière chaque dossier il y a une personne, une vraie.
Ce stage s’est ainsi révélé capital sur bien des plans. Je n’en ai ici abordé qu’une infime partie, axée sur la garde-à-vue, et n’ai pas décrit la difficulté, au quotidien, du métier d’avocat. Cette indescriptible attente, en permanence, partout. Ces heures de préparation anéanties en quelques secondes à l’audience par le client ou pour un renvoi. Les appels à 5h du matin. Ce client sous crack très agressif. Les conseils non suivis, notamment le très prudent « Taisez-vous ou dites la vérité, mais ne mentez jamais ». Le paiement des permanences, des honoraires. La déception du délibéré. La gestion des absurdités législatives… Cela devrait faire l’objet d’un article distinct.
J’ai avant tout souhaité décrire mon ressenti en tant que futur magistrat. Le bilan du stage est, me semble-t-il, très positif. Il l’a été pour nombre d’auditeurs de justice de ma promotion. Le fonctionnement de la justice vu d’un autre œil. L’œil qui, je l’espère, nous gardera tous à vue. A perpétuité.
Citou
Ce billet, écrit à 02:54 par Eolas dans la catégorie Commensaux
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Le Journal Officiel Figaro, sous la plume de Laurence de Charette, nous gratifie encore d’un grand moment de journalisme (comprendre l’art de signer de son nom les communiqués de presse rédigés par le gouvernement), qui me fournit l’occasion rêvée pour faire un nouveau point sur la garde à vue, deux mois, à une semaine près, après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.
L’article de Laurence de Charette, intitulé L’Intérieur s’alarme de la baisse des gardes à vue, expose unilatéralement un point de vue présenté comme celui de la police et du ministère de l’intérieur. Que ce soit celui de l’Intérieur, je veux bien le croire, cela fait longtemps que la Place Beauvau est chez elle boulevard Haussmann. Que ce soit celui de la police, cela suppose déjà que les policiers n’aient qu’une opinion unique, et est contredit par mon expérience. Que des policiers n’apprécient pas la réforme et le fassent sentir, je confirme. Mais cela reste une exception, la majorité oscillant entre faire contre mauvaise fortune bon cœur et une opinion plutôt favorable à l’usage.
L’angle de l’article est simple et de nature à caresser l’électorat du Figaro dans le sens du poil : la réforme a fait baisser le nombre de gardes à vue et moins de gardes à vue entraîne une baisse des élucidations. C’est du bon sens n’est-ce pas ? Donc c’est faux, comme 9 fois sur 10 avec le bon sens.
Ce n’est pas la réforme qui a fait baisser le nombre de gardes à vue. Juridiquement, il n’y a aucune différence entre l’avant et l’après : les mêmes faits peuvent vous mener en garde à vue (tout délit passible d’une peine d’emprisonnement). Rappelons que le problème n’était pas la garde à vue en elle-même (quand bien même il en était fait un usage abusif, leur nombre ayant doublé en dix ans, soit depuis leur prise en compte dans la politique du chiffre), mais le fait qu’elle se déroule sans l’assistance d’un avocat.
C’est un choix politique qui a abouti à cette baisse : le coût de l’intervention d’un avocat (358 euros par garde à vue, 538 en cas de prolongation) rendait le même rythme trop coûteux, et des instructions ont été données pour privilégier les procédures sur convocation, la fameuse audition libre qui ne dit pas son nom mais existe bel et bien.
Donc le ministère de l’intérieur vient pleurer sur l’épaule accueillante du Figaro sur les conséquences de sa propre décision. Et le Figaro, ayant le choix entre l’analyse et tendre un mouchoir, opte pour la boîte de Kleenex.
Deuxième approximation, le taux d’élucidation. Il faut savoir que c’est la police ou la gendarmerie elle-même qui décide si une affaire est ou non élucidée. Ils ont arrêté un suspect, qui nie ou garde le silence mais pensent que c’est lui : élucidé. De fait, tous les dossiers qui parviennent sur mon bureau sont considérés comme élucidés (c’est écrit sur la première page, le Compte-Rendu d’Infraction qui résume le dossier en une page), quand bien même les prévenus ne sont pas encore jugés. Y compris les dossiers où j’obtiens la relaxe de mon client, donc où personne n’est reconnu coupable. Donc merveille des statistiques : envoyer un innocent devant le tribunal compte pour une affaire élucidée. Il n’y a aucun retour auprès des forces de police sur les suites données au dossier. Vous voyez à ce compte là que la baisse du taux d’élucidation n’est pas forcément une mauvaise nouvelle…
Dans la série rions un peu avec les chiffres bidons, on apprend que les gardés à vue gardent le silence dans 40% des cas. Remercions-les d’abord de veiller à assurer un chiffre parfaitement rond, pas-la-moitié-mais-presque. C’est gentil, ça facilite le calcul de tête. Ce chiffre est bidon, tout simplement parce qu’aucun récollement de données n’a lieu sur ce sujet, qu’aurait-il lieu, ce n’est pas en deux mois qu’on aurait des données fiables, et que la majorité des gardés à vue à qui je conseille de garder le silence déclarent garder le silence… avant de répondre aux questions que les policiers leurs posent quand même, “pour le principe”. Ces statistiques sont donc certifiées par l’INP, l’Institut National de Pifométrie.
Je souris aussi à l’anecdote de l’avocat se sauvant au moment où son client va faire des aveux. Vieille ruse d’avocat, en effet : nous laissons toujours un cheval sellé sous la fenêtre du tribunal pour nous enfuir en sautant par là si on sent que notre client va reconnaître les faits. C’est très difficile à réaliser lors des procès de bandes organisées, où 10 accusés peuvent avouer en même temps un braquage : dix avocats sautant en robe par la fenêtre, ça demande de la coordination. À Lille, la foule se presse toujours sous les fenêtres de la cour d’assises les jours où Maître Mô défend un accusé n’ayant pas encore avoué, son saut de l’ange étant réputé de Marcq-en-Barœul à Sainghin-En-Mélantois, des touristes venant en bus de Mouscron pour y assister.
Plus sérieusement, nous ne saurons rien de cette anecdote. Il faudrait inventer un métier qui consisterait à vérifier des informations et à expliquer les faits avant de les publier : ça se fait bien dans d’autres pays. Toujours est-il que ce confrère fend-la-bise ignorait visiblement que l’article préliminaire du CPP rend inefficaces les aveux reçus sans que l’intéressé ait pu s’entretenir avec un avocat et être assisté par lui. S’il a eu cette possibilité, mais que son ineffectivité est due à l’avocat qui arrive trop tard ou part trop tôt, les aveux sont valables et Strasbourg n’y trouvera rien à redire.
L’article bascule dans le saumâtre quand l’auteur rend hommage à l’imagination des enquêteurs pour faire échec à la présence de l’avocat, c’est à dire… à la loi.
D’où l’imagination dont font preuve certains enquêteurs pour tenter de se débarrasser de l’avocat pendant le fil de la garde à vue, en peaufinant des stratégies d’«épuisement» de l’intrus. «L’une des techniques consiste à commencer par une première audition en milieu d’après-midi, et à la faire traîner en longueur en multipliant les questions périphériques. Puis on fait une pause et on explique à l’avocat que l’on reprendra en début de soirée, raconte un policier. Il n’est pas rare qu’il nous appelle plus tard en disant que finalement, il ne reviendra pas.»
Je confirme la réalité du procédé. J’ai déjà été convoqué à 3h du matin, après une audition s’étant terminée à 21h00, pour que mon client s’entende poser trois questions sans intérêt pour le dossier. 5 allers et retour au commissariat en 3 jours, et une comparution immédiate dans la foulée. J’ai fini lessivé, mais je suis toujours venu. Je peux vous confirmer à la tête de l’OPJ qu’il ne s’y attendait pas. Ces pratiques devraient avoir disparu, le parquet de paris en ayant eu vent et ayant demandé aux policiers de fixer un calendrier des auditions avec l’avocat. Devinez quel syndicat de policier a gueulé ?
La parade est simple : donner pour instruction ferme au client de ne faire aucune déclaration en notre absence. Rien, pas un mot.
La liste des doléances du ministère de l’intérieur continue : les policiers ne savent pas quelles pièces il faut donner aux avocats (la réponse étant à l’article 63-4-1 du CPP, qui n’est pas bien compliqué, mais le plus simple, face à la compatibilité douteuse de ce texte avec la CEDH étant de donner à l’avocat toutes les pièces qu’il réclame puisqu’il n’y aucune bonne raison de le lui refuser) ; ils ne savent pas s’il faut attendre et combien de temps l’avocat pour les auditions suivantes (alors qu’il suffit de le prévenir suffisamment à l’avance pour qu’il prenne ses dispositions et le problème est réglé, même si c’est incompatible avec l’astuce policière de l’épuisement de l’avocat qu’on a déjà vue) ; enfin la charge procédurale s’alourdit avec “10 PV de formes supplémentaires” dans chaque procédure. 10, notez le chiffre rond, là aussi. Le Président n’est pas réputé aimer les virgules.
Là encore, un journaliste aurait vérifié, mais au Figaro, visiblement, on photocopie les fax reçus de la place Beauvau et c’est bouclé.
La réforme de la procédure ne fait pas dresser de PV de forme supplémentaire. L’ancienne procédure prévoyait : un PV de notification de la mesure et des droits associés ; si un avocat était demandé, un PV mentionnant l’envoi de la demande d’avocat, puis un PV mentionnant l’entretien avec l’avocat, avec en annexe les observations éventuelles de celui-ci, qu’il a rédigées lui-même. Point. Soit 3 PV.
La nouvelle procédure exige un PV de notification de la mesure et des droits associés ; si un avocat était demandé, un PV mentionnant l’envoi de la demande d’avocat, puis un PV mentionnant l’entretien avec l’avocat, avec en annexe les observations éventuelles de celui-ci, qu’il a rédigées lui-même. Point. Soit 3 PV. Notez la différence.
La présence de l’avocat au cours des auditions fait l’objet d’une mention d’une ligne dans le PV d’audition, les questions que nous posons éventuellement sont mentionnées dans le PV lui même. Où sont les 10 PV supplémentaires par procédure ? Je les cherche encore. Si quelqu’un a des infos, qu’il les faxe au ministère de l’intérieur, qui transmettra au Figaro.
S’il y a une inflation de paperasse, c’est dû au Gouvernement lui-même, qui a créé un nouveau formulaire de garde à vue de 7 pages (WARNING : Comic Sans inside), contre 1 pour l’ancien. Je me demande si ces 7 pages + les 3 PV ordinaires ne font pas les mystérieuses 10 nouvelles pages, mais les 7 pages ne sont utilisées qu’en cas de prolongation exceptionnelle de la mesure pour terrorisme, donc l’hypothèse la moins courante.
À ce propos cher confrères, embellissons un peu les procédures. Vous trouverez ci-dessous deux fichiers pdf des formulaires de garde à vue modifiés, où l’ignoble police Comic Sans a été remplacée par Arial, la police utilisée pour les reste du document. Ces formulaires, sans prétendre à ravir l’esthète, éviteront de mettre cette verrue qu’est le Comic Sans dans les dossiers où vous interviendrez.
Alors, comment ça se passe, concrètement ?
Globalement, de mieux en mieux. La présence de l’avocat est devenue une partie normale de la procédure. Parlons donc des cas où ça se passe mal, les plus intéressants.
Certains policiers continuent à faire de la résistance. Dans certains cas, cela confine à l’hostilité. Les signes de cette hostilité sont généralement les suivants :
- Un collègue du policier est présent, généralement debout, sans rien dire, à observer ostensiblement l’avocat. Il est là pour témoigner en cas d’incident, ne prenant aucune part à la procédure. Sa présence n’est bien sûr jamais mentionnée sur le PV. J’ai même eu un cas où un officier était présent, intervenait et provoquait mon client, exigeant que les réponses à ses provocations soient mentionnées au procès verbal (mais pas ses propres propos, naturellement). La parade est simple : j’ai noté avec la fidélité d’une sténo tous les propos tenus par ce commandant, et je les ai versés dans mes observations écrites annexées au PV, que j’ai interdit à mon client de signer naturellement. Les policiers n’ont rien pu dire, j’étais accompagné d’une stagiaire qui a assisté à toute la scène et a beaucoup appris du métier ce jour là.
- La chaise de l’avocat est installée le plus loin possible du gardé à vue et hors de son champ de vision. Record : 3m, dans un petit bureau, c’était un exploit. Là dessus, je suis désormais intraitable. Ma place est à côté du gardé à vue, et si le policier n’est pas content, qu’il fasse un incident et appelle le procureur de permanence, qui sera ravi-ravi de traiter ces problèmes d’intendance. N’oubliez pas chers confrères que si la 48e heure approche, la menace des policiers de suspendre l’audition pour en référer au parquet est du vent : ils sont pris à la gorge par les délais. Si nous nous laissons faire, la prochaine étape sera de nous installer dans le couloir.
- L’avocat se voit notifier l’interdiction d’intervenir au cours de l’interrogatoire, ses observations étant réservées pour la fin. Là encore, chers confrères, c’est illégal et inacceptable. L’article 63-4-3 du CPP est très clair :
L’audition ou la confrontation est menée sous la direction de l’officier ou de l’agent de police judiciaire qui peut à tout moment, en cas de difficulté, y mettre un terme et en aviser immédiatement le procureur de la République qui informe, s’il y a lieu, le bâtonnier aux fins de désignation d’un autre avocat.
À l’issue de chaque audition ou confrontation à laquelle il assiste, l’avocat peut poser des questions. L’officier ou l’agent de police judiciaire ne peut s’opposer aux questions que si celles-ci sont de nature à nuire au bon déroulement de l’enquête. Mention de ce refus est portée au procès-verbal.
À l’issue de chaque entretien avec la personne gardée à vue et de chaque audition ou confrontation à laquelle il a assisté, l’avocat peut présenter des observations écrites dans lesquelles il peut consigner les questions refusées en application du deuxième alinéa. Celles-ci sont jointes à la procédure. L’avocat peut adresser ses observations, ou copie de celles-ci, au procureur de la République pendant la durée de la garde à vue.
C’est en vain que vous chercherez où la loi interdit à l’avocat d’ouvrir la bouche s’il le juge nécessaire. Et pour cause, ce serait contraire à la CEDH. La seule obligation est d’attendre la fin pour poser nos questions (obligation dont je fais un usage plutôt libéral, une question demandant des précisions ayant un sens à un moment donné). D’ailleurs, certains policiers refusent que nous posions des questions à quelqu’un d’autre que notre client. Illégal, là encore.
Seule une question de nature à nuire au bon déroulement de l’enquête peut être refusée (mais elle doit être mentionnée). Il faut donc le faire, et noter dans nos observations la question que nous avons voulu poser et les motifs du refus. Le procureur de Paris s’est cru autorisé, après les arrêts du 15 avril, à prendre une circulaire d’instructions (n°CSG/2011/923/JCM/ALMPC du 15 avril 2011) indiquant que l’avocat devait rester taisant au cours de l’audition. En réponse, j’ai moi-même pris une circulaire (EOLAS/2011/WTF/LOL du 15 avril 2011) indiquant que le procureur devait rester taisant à l’audience. J’appliquerai la circulaire du parquet quand il appliquera la mienne.
L’avocat doit intervenir chaque fois qu’il l’estime nécessaire pour la défense. En fait, exactement comme dans un cabinet de juge d’instruction. Ses interventions doivent être mentionnées au procès verbal, naturellement. Si l’OPJ estime que par son attitude, l’avocat perturbe illicitement le déroulement de l’audition(j’entends que dire à son client de ne pas répondre à une question n’est pas illicite puisqu’il s’agit d’un conseil portant sur l’exercice d’une droit de la défense considéré comme absolu) voire tente de saboter l’audition, c’est le moment pour lui de faire usage de la procédure prévue à l’article 63-4-3 al.1 : il interrompt l’interrogatoire, téléphone au procureur de la République ou au juge d’instruction si la garde à vue a lieu sur commission rogatoire, qui décide… s’il y a lieu ou non de saisir le bâtonnier. En effet, seul le bâtonnier a ici autorité pour rappeler son confrère à l’ordre, ou le rappeler à l’Ordre en envoyant un autre avocat. Le fait qu’un OPJ vous menace de demander un autre avocat est du vent : il n’en a pas le pouvoir, il y a un double filtre. À Paris, un membre du Conseil de l’Ordre est de permanence 24h24, 7j/7 pour traiter ces difficultés (demandez le numéro de portable au bureau pénal).
Robe ou pas robe ?
La tendance est à pas la robe, surtout pour des raisons pratiques (c’est à ça de moins à transporter). Je suis de l’école avec : j’estime être dans l’exercice de mes fonctions judiciaires. Les policiers apprécient l’effort et la marque de respect, les clients aussi, et quand vous tombez en confrontation face à un confrère de l’école avec, vous vous épargnerez une remarque de votre propre client). Et ça évite d’être confondu avec le client à la fin de l’audition.
Le décret sur la rémunération de l’avocat est paru le 6 juillet dernier, et j’ai effectivement été payé de mes interventions depuis le 15 avril. Attention aux nouvelles règles : le formulaire reste avec la procédure jusqu’à la fin de la GAV, puis sera envoyée à l’Ordre pour le règlement. À Paris, une navette va être mise en place pour faire le tour des commissariats, en attendant, il nous faut emporter le formulaire à l’issue de la dernière audition ; mais le plus simple serait que le formulaire accompagnât la procédure et que le magistrat qui la réceptionne le transmette à l’Ordre par le courrier interne. Attention, si plusieurs avocats se succèdent (remplacement sur ordre du bâtonnier, ou avocat ne répondant pas remplacé d’office), seul le dernier avocat est rémunéré (à charge pour les avocats d’appliquer les règles de partage d’honoraires le cas échéant).
Si les policiers qui me lisent veulent narrer comment ça se passe pour eux et surtout, parlons des trains qui arrivent en retard, les problèmes et difficultés qu’ils rencontrent avec certains confrères, je les lirai avec intérêt. En tout cas, plus d’intérêt que le Figaro.
Ce billet, écrit à 16:38 par Eolas dans la catégorie Mon amie la presse
a suscité :
Qui commencera par rendre hommage au travail de Gascogne et à travers lui du procureur général Robert, qui fait régner le désespoir sur les bancs de la défense dans tout le ressort de la cour d’appel de Riom[1] qui m’ont fourni pour la première fois en deux ans de bataille judiciaire une argumentation étayée sur la garde à vue. Jusqu’à présent, l’argumentation la plus juridique que j’aie eue était “la procédure respecte le Code de procédure pénale donc les conclusions de Maître Eolas doivent être rejetées”, ce qui revenait à assassiner la hiérarchie des normes (je me plaignais précisément qu’on ait appliqué le code de procédure pénale alors que j’invoquais la Constitution et la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui lui sont supérieurs) et je n’aime pas les assassinats sauf quand c’est moi qui suis en défense.
Merci, monsieur le procureur, merci mon général, donc.
Mais vous avez tort.
L’erreur commis par les tenants du “pas d’accès au dossier en garde à vue” repose essentiellement à mon sens sur un malentendu sur la portée exacte de l’accès au dossier. C’est en quelque sorte le tout ou rien : cet accès devrait être intégral ou inexistant, et comme il ne peut être intégral pour tous, que ce soit pour des raisons matérielles (le dossier n’est pas physiquement constitué, ou il est trop gros) ou juridiques (des éléments doivent être cachés pour ne pas gêner l’enquête), il doit donc être refusé pour tous, CQFD.
Et de citer des jurisprudences de la CEDH qui admettent des refus d’accès au dossier pour démontrer que ce refus peut être conforme à la Convention, ce que je ne conteste pas, mais il doit être l’exception, et ne peut être opposé en cas d’incarcération.
Dissipons donc d’entrée ce malentendu.
Rappelons la règle édictée par la Cour, dans l’arrêt Dayanan c. Turquie, cité par Gascogne, notamment son §32.
“l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir tout la vaste gamme d’intervention qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer”.
La Cour a même poussé la gentillesse jusqu’à donner la clef pour interpréter cet arrêt et tous ceux qu’elle a rendu sur le sujet, dans un arrêt très ancien, Artico c. Italie de 1980 (§33), auquel elle renvoie expressément dans l’arrêt Imbroscio c. Italie, arrêt cité par Gascogne, mais pas sur ce point là (il se trouve au §38) :
La Cour rappelle que le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs; la remarque vaut spécialement pour ceux de la défense eu égard au rôle éminent que le droit à un procès équitable, dont ils dérivent, joue dans une société démocratique.
Voilà la règle d’interprétation : face à un choix, il faut privilégier celui permettant un exercice concret et effectif que celui aboutissant à des droits symboliques et imparfaits. C’est simple, clair et limpide. Or je mets a udéfi quiconque de m’expliquer comment je puis, conrètement et effectivement, et non de manière illusoire, préparer un interrogatoire, et organiser la défense, si on m’interdit l’accès au dossier. Le procureur général Robert ne répond pas à cette question : il se contente de dire : c’est possible, des arrêts l’admettent.
La Cour de cassation, dans ses arrêts d’assemblée plénière du 15 avril 2011, reprend à son tour cette règle, précisant ainsi que c’est elle qui l’a poussée à exiger une présence immédiate de l’avocat, renversant la jurisprudence de la chambre criminelle du 19 octobre 2010 :
Attendu que les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ; que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ;
Si on perd de vue cette règle de la recherche de l’effectivité et du concret, on s’égare. C’est, je le crains, la première erreur du procureur général Robert. La seconde étant sur la portée de l’accès au dossier, j’y reviendrai.
D’abord, quand l’avocat doit-il avoir accès au dossier ?
Ce droit d’accès ne s’impose qu’en cas de privation de liberté, donc de garde à vue. C’est le sens de l’arrêt Horomidis c. Grèce cité par Gascogne. Une personne entendue librement ne peut revendiquer cet accès au nom de la CEDH, mais elle peut, et à mon sens doit, revendiquer son droit de garder le silence, au nom de cette même CEDH. La règle est simple : pas de déclaration à la police sans possibilité d’assistance par un avocat et accès au dossier. Donnant donnant. Notons que rien, absolument rien n’interdit de laisser une personne entendue librement d’être assistée d’un avocat et que celui-ci ait accès au dossier. C’est le prix que nous devons exiger pour accepter que nos clients se prêtent à un interrogatoire qui peut aboutir à les incriminer dans des faits graves. C’est folie de la part d’un avocat de laisser son client parler, même en sa présence, sans savoir ce qu’on lui reproche et quels sont les éléments à charge contre lui. Sauf à considérer que le rôle d’un avocat est d’être le témoin muet du naufrage de son client, son rôle n’étant de prendre la parole que quand il est trop tard. En somme, un retour à l’avocat du XIXe siècle.
Je vois déjà mes lecteurs magistrats, et surtout les parquetiers, bondir sur le formulaire de commentaires. Un petit mot d’explication pour eux, et pour les curieux.
Se taire n’est pas un aveu de culpabilité. Tant que des policiers et des magistrats français raisonneront ainsi, les erreurs judiciaires auront de beaux jours devant elles. Se taire est une mesure de prudence, tant que l’on ne sait pas avec certitude ce qui nous est reproché et sur quels fondements. Faire des déclarations à l’aveugle, en toute bonne foi, pour disisper les soupçons peut être le meilleur moyen de creuser sa propre tombe, même quand on n’a rien fait. Surtout quand on n’a rien fait.
Je cite Michel Huyette, magistrat, qui tient le très bon blog “paroles de juges”, qui cite l’hypothèse d’aveux obtenus sur un bluff d’un policier, qui a dit au gardé à vue qu’un mis en cause avait avoué les faits, ce qui était faux :
Le policier, même s’il a dit quelque chose de mensonger, n’a utilisé aucune violence ni physique ni psychologique. Il n’a aucunement malmené le gardé à vue, assisté rappelons le de son avocat. Il a seulement utilisé un petit truc, pas vraiment méchant, qui a eu pour conséquence que l’auteur d’un braquage a reconnu sa participation. Si c’est la vérité, elle a émergé d’un interrogatoire qui a été conduit sans pression malsaine contre l’intéressé, sinon l’avocat aurait aussitôt réagi et exigé une mention au dossier. Et l’on peut penser que, rassuré par la présence de son avocat, si le second gardé à vue est innocent il sait que le policier ment et il n’a aucune raison d’admettre sa participation.
Un petit truc pas vraiment méchant. Mais le magistrat continue aussitôt par “si c’est la vérité”, admettant que cet aveu peut être faux. Et le seul garde-fou qu’il oppose à ce risque d’erreur, c’est la seule présence physique de l’avocat, censé rassurer assez le gardé à vue pour le mettre à l’abri des pressions psychologiques. Sauf que l’avocat est censé se taire tout le long de l’interrogatoire, et quand il s’avise de prononcer un mot, l’OPJ menace de le faire remplacer par le parquet, comme la loi l’autorise. Ça, ce ne sont pas des droits effectifs et concrets. C’est de la pensée magique :what could possibly go wrong?.
Mais persévereront certains, croire que quand on est en garde à vue pour des faits qu’on n’a pas commis, on peut dire des choses qui vont nous enfoncer est absurde. À ceux là, je conseille la lecture de ce billet de Maitre Mô, sur la garde à vue d’un enseignant accusé de viol par une élève. Le récit date de l’époque d’avant la présence de l’avocat. Mais reprenez ce récit en imaginant que Me Mussipont puisse rester mais sans pouvoir parler sous peine d’être viré de la procédure. Cela change quelque chose ? Puis imaginez que Me Mussipont puisse, avant d’aller parler à son client, lire le PV de plainte de Dalila, et en communiquer la teneur à son client. Dans quels cas les droits de la défense seront-ils concrets et effectifs, dans quel cas la fausseté de l’accusation serait le plus aisément révélé ? Et n’aurait-il pas mieux fait, ce gardé à vue, de se taire jusqu’à ce qu’il ait enfin accès à ces informations avec son avocat ?
Et pour conclure sur ce point, je vais citer un magistrat américain, le Justice Robert H. Jackson (1941-1954), qui fut juge au tribunal de Nuremberg, et qui écrivit dans un arrêt Watts v. Indiana, 338 U.S. 49 (1949) que
Tout avocat digne de ses honoraires dira au suspect, dans des termes dépourvus de toute ambigüité, de ne pas faire de déclaration à la police quelles ques soient les circonstances[2].
Les anglophones parmi vous pourront se régaler de cette passionnante conférence de James Duane, professeur de droit et ancien avocat pénaliste, où il démontre avec brio et humour pourquoi il faut faire sienne cette devise. Vous pourrez également écouter l’intervention d’un policier qui lui répond… qu’il a raison.
Mais nous nous égarons. Revenons à la garde à vue.
La revendication d’accès au dossier ne doit pas s’entendre d’un accès intégral à toutes les informations. Certaines sont cachées, et ce jusqu’au bout, à la défense, avec la bénédiction de la Cour de cassation. Par exemple, les informateurs, qui préviennent par des coups de fil anonymes qu’un délit va se commettre à tel endroit. Belle hypocrisie, les policiers savent généralement très bien qui est l’auteur de ce coup de fil, qui est souvent un informateur. Mais cette information est cachée, pour des raisons de sécurité, et aucun juge n’a jamais fait preuve devant moi de curiosité à cet égard, puisque de toutes façons par définition, le tuyau était bon.
De même, les actes en cours, et ceux à venir, n’ont pas à figurer au dossier, qui par nature ne contient que des pièces constatant des actes déjà accomplis. Donc en aucun cas nous n’exigeons de tout savoir. Juste les éléments pertinents concernant notre client, ce qui peut se résumer par : tous les éléments à charge contre lui justifiant la mesure de garde à vue.
S’il apparaît, au cours de l’audition de la personne, qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle ne peut être maintenue sous la contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue. Son placement en garde à vue lui est alors notifié dans les conditions prévues à l’article 63.,
[La garde à vue] doit constituer l’unique moyen de parvenir à l’un au moins des objectifs suivants :
1° Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;
2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête ;
3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;
4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;
5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ;
6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit.
Ce sont des conditions de légalité de la mesure : raisons plausibles et nécessités légales. L’avocat doit être en mesure, et dès ce stade, d’en contrôler la réalité et le bien fondé (et, mais c’est une autre histoire, de les contester sans délai devant un juge). Les droits de la défense doivent être concrets et effectifs, vous vous souvenez ? Or dire à l’avocat “vous pouvez rester, mais primo vous vous taisez, secundo, vous ne saurez pas pourquoi on a placé votre client en garde à vue, ce sera la surprise pour lui et vous lors de l’audition”, ce n’est pas permettre un exercice concret et effectif de ces droits.
À quelles pièces l’avocat doit-il avoir accès ?
Cela dépend des hypothèses.
La plus simple et la plus fréquente est l’enquête de flagrance : le suspect est en garde à vue pour un délit qui vient de se commettre. Les actes pertinents sont le procès verbal de saisine-interpellation quand les policiers ont constaté eux-même des faits, la plainte de la victime supposée, et les éventuelles auditions de témoins quand il y en a, naturellement dans la mesure où ces auditions ont déjà eu lieu et que les policiers sont susceptibles de les opposer au gardé à vue. Étant précisé que si entre l’entretien de début de garde à vue et l’audition plusieurs heures ont passé qui ont permis ces auditions, il faut laisser à l’avocat le temps d’en prendre connaissance et d’en parler avec son client. Et ne venez pas me chercher des poux dans le tête (ils sont tous morts de froid depuis longtemps) avec les questions d’organisation : le gardé à vue passe la plupart de la garde à vue seul en cellule, il peut au besoin nous y recevoir, ce n’est pas le temps qui manque.
L’enquête préliminaire, qui est une enquête menée par la police sous la direction du parquet, sans ou avec très peu de mesures coercitives possibles (la garde à vue en fait partie). Là, on peut se trouver face à un dossier très volumineux, dont il est matériellement impossible de prendre connaissance en 30 minutes ni même en plusieurs heures. Eh bien laissez-nous nous débrouiller. On sait nous aussi repérer les PV intéressants, les rapports de synthèse, les auditions pertinentes. On fait ça tous les jours lors des permanences mises en examen. Et si le dossier est beaucoup trop complexe, c’est le signe qu’il ne relève pas d’une garde à vue dans le cadre d’une enquête de flagrance mais d’une instruction, où les droits de la défense sont mieux garantis, et ce depuis 115 ans. Donc qu’il faut faire un usage généreux du droit de garder le silence jusqu’à ce qu’enfin on ait pu prendre connaissance de ce dossier.
L’instruction enfin. Ici, on est dans une hypothèse différente, puisque c’est un juge d’instruction qui contrôle, et de fait autorise la garde à vue. Il y a eu une enquête approfondie en amont, et on en est au “coup de filet”, les suspects, parfois surveillés depuis longtemps, sont interpellés. Leur mise en examen est probable, et la détention provisoire n’est pas une hypothèse absurde. Et surtout, le dossier d’instruction n’est pas matériellement présent, il est au cabinet du juge d’instruction et n’a pas le droit d’en sortir. Il existe un double qui peut se ballader mais il n’est pas censé aller plus loin que le service reprographie. En outre, il peut y avoir des milliers de pages d’écoutes téléhoniques absconses et des actes par centaines. Cet accès est souvent matériellement impossible, je l’admets. Dans ce cas, je vois deux solutions. La douce : le juge d’instruction, qui est juge impartial, prévoit une copie des pièces pertinentes à communiquer à l’avocat et les envoie au commissariat. La forte : pas un mot en garde à vue. Cette dernière a ma préférence car elle est facile à mettre en place et plus conforme à l’esprit de la loi de 1897, qui a posé l’interdiction de faire entendre un mis en examen par un policier (art. 105 du CPP), l’usage de la garde à vue pré-inculpation étant apparu pour faire échec à cette règle (v. François Saint-Pierre, le Guide de la défense pénale, Ed. Dalloz, n°112.41).
Enfin, laissons de côté la théorie juridique, aussi passionnante soit-elle. Pour achever de démontrer l’absurdité du système actuel, qui plus encore que sa non conformité signe son décès rapide, voici les scènes auxquelles on peut assister dans les commissariats. Ces trois scènes sont réelles.
Scène 1 : je suis appelé pour assister un gardé à vue soupçonné de violences conjugales. Il va être confronté à la plaignante. Je demande à relire le PV de notifcation des droits, le certificat médical de mon client confirmant que son état de santé est compatible avec cette mesure, et les PV d’audition de mon client pour me raffraichir la mémoire. Je vois l’OPJ sortir le dossier, qui est une pile de feuilles format A4 glissées dans une chemise format A3, l’ouvrir, et feuilleter les PV un par un pour sortir ceux auxquels j’ai accès, et pas les autres. Il y passe une à deux minutes. S’il me passait le dossier, je ne lui ferais pas perdre son temps et je me débrouillerais avec. Je ne sais pas ce que raconte la plaignante, et ne peux en discuter avec mon client pour qu’il m’apporte des précisions me permettant le cas échéant de souligner les incohérences et contradictions de son récit, ce qui serait pourtant bon pour la recherche de la vérité, qui n’est pas forcément l’ennemi de l’avocat, loin de là. Les droits de la défense concrets et effectifs, je ne les vois pas ici.
Scène 2 : Je suis appelé pour assister une plaignante dans une affaire de violences conjugales. Elle va être confrontée au gardé à vue. Je peux demander cette fois à lire la plainte de ma cliente, mais pas les auditions du gardé à vue (son avocat peut les lire, mais il ne peut pas lire la plainte de ma cliente ; je vous assure que pour nous, avocats habitués au contradictoire, c’est une aberration). L’OPJ va donc soigneusement sortir les PV que nous pouvons chacun lire, et s’assurer que nous ne nous les échangeons pas, ce que nous avons fortement envie de faire (et on s’en dira le contenu dans le couloir de toutes façons). Les droits de la défense des victimes sont eux aussi bafoués, ce qui est paradoxal quand on entend les discours victimaires de l’actuel majorité ; mais c’est le prix à payer pour faire obstacle aux droits de la défense : il faut aussi en dépouiller les victimes.
Scène 3 : la confrontation commence. Que ce soit dans le 1er ou la 2e affaire, savez-vous par quoi commence TOUJOURS une confrontation ? Par la lecture de la plainte de la plaignante et de la déposition du gardé à vue. Ces mêmes PV pour lesquels on a pris toutes les précautions pour nous interdire de les lire, on nous les lit à présent : dame ! bien obligé, puisqu’il faut que nos clients y réagissent. On marche sur la tête.
Vous voyez l’absurdité du système, au-delà de sa non conformité à la Convention. Les policiers à qui je le fais remarquer en conviennent, mais ils obéissent aux instructions reçues, et ne doutent pas que ça changera bientôt. En attendant, on a réussi à repousser encore un peu un exercice concret et effectif des droits de la défense, et cela, dans notre République, est considéré comme une victoire.
Ce système est intenable. Que ce soit sous la pression de la CEDH, de la Cour de cassation à présent qu’elle a adopté une position plus conventionnelle, ou peut-être des juridictions du fond qui vont en avoir assez d’être les dernières à appliquer le droit alors qu’elles sont en première ligne, cet accès au dossier, fut-il limité et encadré, mais concret et effectif pour ce dont la défense a besoin dans le cadre de la garde à vue, est inéluctable.
Et en attendant, nos seuls armes sont des observations au dossier, des conclusions ou requêtes en nullité, et surtout le droit au silence, qui est un moyen de pression très efficace, pour peu que nos clients suivent nos conseils sur ce point.
La question n’est pas allons-nous gagner, mais quand ? Le plus tôt sera le mieux. Amis magistrats, à vous de jouer.
Notes
[1] C’est à dire des barreaux de Riom, Clermont-Ferrand, Cusset, Montluçon, Moulins, Aurillac et du Puy-En-Velay.
[2] any lawyer worth his salt will tell the suspect in no uncertain terms to make no statement to police under any circumstances.
Ce billet, écrit à 16:04 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit
a suscité :
La Cour de cassation a rendu le 31 mai quatre arrêts (un, deux, trois, quatre) qui apportent la dernière pierre à l’édifice, difficile à mettre en place, de la réforme de la garde à vue. Non pas que l’édifice soit terminé, puisque dès aujourd’hui, date d’entrée en vigueur de la réforme de la garde à vue, les avocats, et votre serviteur ne sera pas le dernier, vont faire en sorte de le démolir tant il est rempli de malfaçons. Les premières Questions Prioritaires de Constitutionnalité sont déjà transmises.
Beaucoup de choses approximatives ayant été dites sur ces arrêts (je ne parle même pas de la désormais traditionnelle, pour ne pas dire pavlovienne, saillie de mes amis de Synergie Officers (la bise, Fab’, je sais que tu me lis), une explication s’impose.
Qu’a dit la Cour de cassation ?
L’évidence.
Oui, je développe.
Un rappel chronologique vous éclairera.
Rappel chronologique éclairant
L’adoption de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’Europe a réalisé que les années précédentes, elle n’avait pas été tout à fait au point sur la question des droits de l’homme. Plus sérieusement, elle a réalisé une vérité que nous nous devons de ne pas oublier : il ne peut y avoir de pire tyran que l’État lui-même, qui a à sa disposition une puissante et docile administration qui exécutera toujours sans trop rechigner ses directives, même les plus révoltantes. Les proclamations à la “plus jamais ça” avaient été essayées au lendemain de la première guerre mondiale. C’est d’ailleurs l’invention officielle du #FAIL. L’ONU planchait sur une nouvelle déclaration sans réelle portée juridique, qui deviendra la Déclaration Universelle des droits de l’homme, adoptée en 1948.
Une autre méthode a été choisie en Europe, et il convient de signaler qu’à cette époque, la France a été en pointe sur la question. Le 5 mai 1949, le Conseil de l’Europe est créé, dont le rôle est de protéger les droits de l’homme en Europe. Le Conseil de l’Europe est distinct de l’Union Européenne : il a 47 États membres, dont la Turquie (et oui), la Russie et l’Azerbaïdjan, et siège à Strasbourg. Le Conseil de l’Europe est un cadre de négociation de traités et le premier véritable traité qui a été négocié dans ce cadre est la fameuse Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (rebaptisée en pratique Convention Européenne des Droits de l’Homme). C’est un traité qui est l’œuvre d’un juriste plus que d’un diplomate, même si son rédacteur, René Cassin, était les deux. Les juristes y retrouveront la division classique principe/exceptions. C’est un texte qui se veut concret, et qui a été conçu pour être applicable en droit interne (il peut être invoqué devant le juge interne qui peut s’y référer pour appliquer la loi française, puisqu’il a une valeur supérieure). Son originalité principale se trouve ailleurs : elle peut faire l’objet d’un recours judiciaire devant une juridiction internationale pouvant condamner les États qui manquerait aux obligations prévues par la Convention : c’est la création de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), qui siège à Strasbourg. La Convention a été signée le 4 novembre 1950, est entrée en vigueur en 1953, mais n’a été ratifiée en France que le 3 mai 1974, car si en France nous aimons fort les droits de l’homme, nous sommes moins enthousiastes à l’idée de les appliquer. Nous sommes à ma connaissance le seul pays d’Europe qui a pris les mots “droits de l’homme” pour en faire une injure : droitdelhommiste. Et encore n’est-ce qu’en 1981 que le droit de saisir la CEDH a été accordé aux citoyens, car assurément nous n’étions pas prêts à être libres et avoir des droits.
Cette Cour est une cour en dernier ressort : il faut impérativement épuiser les recours internes avant de pouvoir la saisir. Concrètement, si j’estime que les droits reconnus par la Convention à mon client ont été bafoués, je dois demander au tribunal d’en tirer les conséquences, puis en cas de rejet de mes demandes, je dois faire appel, puis me pourvoir en cassation. Si la Cour de cassation rejette mon pourvoi en disant que la Convention Européenne des Droits de l’Homme a été parfaitement respectée, je peux alors me rendre sur les bords de l’Ill et demander que la France soit condamnée à indemniser mon client du fait de cette violation, ce qui en outre m’ouvre une possibilité de révision du procès.
C’est exactement ce qui s’est passé pour la garde à vue.
De Salduz à Brusco en passant par Dayanan
En 2008, la CEDH a condamné la Turquie pour violation de l’article 6§3 de la Convention$$Tout accusé a droit notamment à: être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui;
disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense; se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent; interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge; se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience.$$, car sa procédure pénale ne permettait pas l’assistance d’un avocat au cours de la garde à vue. C’est l’arrêt Salduz c. Turquie, dont je vous avais entretenu il y a deux ans, me méprenant sur la portée réelle de cet arrêt, que je croyais limité aux seules procédures dérogatoires. Pour me détromper sans doute, le 13 octobre 2009, la CEDH a remis le couvert en rendant un nouvel arrêt, Dayanan c. Turquie où là, elle est on ne peut plus claire :
Comme le souligne les normes internationales généralement reconnues, que la Cour accepte et qui encadrent sa jurisprudence, un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit (…). En effet, l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer.
La messe était dite, et d’ailleurs la Turquie avait vu le boulet arriver, puisque dès 2005, sans attendre les condamnations inévitables de la CEDH, elle avait réformé son code de procédure pénale et ouvert les portes de ses commissariats aux avocats. Ce qui n’était toujours pas le cas en France. La France devait donc accepter sans délai que nous assistions les personnes placées en garde à vue, puisqu’elles sont privées de liberté. Et que croyez-vous qu’il arriva ?
Soudain, il ne se passa rien
Oui, rien. Le Gouvernement a choisi courageusement la politique du déni. Tous les juristes de France médusés ont entendu le garde des Sceaux et son inénarrable porte parole de l’époque expliquer doctement que ces arrêts ne concernaient que la Turquie et pas la France, dont la justice était à ce point excellente qu’elle pouvait se passer d’avocat. Comme si chaque minute gagnée sur les droits de l’homme était une victoire. Difficile de le blâmer, puisqu’à de rares exceptions près, les juridictions ont emboité le pas du Gouvernement et rendu des jugements affirmant que l’entretien de 30 mn gracieusement accordé au début de la garde à vue, sans aucun accès au dossier, était plus que suffisant pour satisfaire à laConvention Européenne des Droits de l’Homme et constituait une assistance effective en garde à vue. J’en ai une belle collection que je relis régulièrement en riant, pour ne pas avoir à en pleurer, mais ce fut une période pénible que de voir tous ces juges nier l’évidence avec un tel entêtement. La majorité de mes confrères ont d’ailleurs vite renoncé à soutenir ces nullités, et je les comprends.
D’ailleurs, cette période n’est pas tout à fait terminée. La CEDH a déjà expliqué très clairement en quoi le parquet n’est pas une autorité apte selon les normes de la Convention Européenne des Droits de l’Homme à veiller à la régularité et à la nécessité des gardes à vue, faute d’indépendance à l’égard de l’exécutif, et du fait qu’il est partie au procès). Et avec le même entêtement à nier l’évidence, les mêmes juridictions, qu’on aurait pu croire échaudées par l’affaire de la garde à vue, continuent à dire que si, tout va très bien, le parquet fait ça très bien et est conforme aux exigences de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Et pour comprendre qu’on n’est pas sorti de l’auberge, il suffit de lire les propos, très représentatifs, du procureur général près la cour d’appel de Saint Denis (de la réunion, pas du 9-3), qui réaffirme que le parquet est gardien des libertés individuelles, ce que je ne conteste pas plus que le fait qu’on confie le harem à l’eunuque, mais je conteste qu’il soit le seul à jouer ce rôle au niveau de la garde à vue, et surtout qu’il continue à prétendre jouer ce rôle à l’audience, où après s’être présenté comme gardien de la liberté de mon client, il demande au tribunal de l’envoyer au prison. La suite est déjà écrite, et vous vous souviendrez de ce billet quand un beau jour, la Cour de cassation ou le Conseil constitutionnel, je ne sais qui le dira en premier, reconnaîtra enfin cette évidence, que les politiques feindront la surprise et crieront au gouvernement des juges, tandis que Synergie grillera quelques fusibles. Puis on créera enfin un habeas corpus à la française, c’est à dire pas encore conforme, et les avocats obtiendront à coups de condamnations de la France une mise en conformité totale, et on se demandera ensuite comment on faisait avant.
Je n’ai rien contre les batailles gagnées d’avance, mais ce ne sont vraiment pas les plus belles.
Revenons-en aux gardes à vue.
Alors vint le 15 avril 2011
Après cette période de déni du Gouvernement, la vérité a fini par lui éclater à la figure. Le 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel constate l’inconstitutionnalité de la garde à vue et impose au législatif de se mettre en conformité avant le 1er juillet 2011. Fort bien, disent les avocats, mais la Convention Européenne des Droits de l’Homme, elle, est toujours en vigueur et ne prévoit pas de droits de l’homme à retardement. Nous continuons donc à contester les gardes à vue sur le fondement de l’article 6. J’ai donc pu constater que du jour au lendemain, les juridictions qui me donnaient tort sur la garde à vue me donnent raison mais, invoquant l’effet différé de la décision du Conseil constitutionnel, continuaient à rejeter mes conclusions. En somme, j’avais raison, mais peu importe, c’est toujours non.
Le 19 octobre 2010, la Cour de cassation, saisie de la question de la conformité à l’article 6§3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, a rendu trois arrêts stupéfiants, reconnaissant enfin que oui, la garde à vue n’est pas du tout conforme, mais peu importe, puisque grâce au Conseil constitutionnel, on va régler ça avant l’été. Donc on continue à appliquer des textes violant la Convention Européenne des Droits de l’Hommejusqu’au 1er juillet 2011. La Cour de cassation dit en somme que les droits de l’homme peuvent attendre, le calendrier du Parlement est plus important.
Le conflit entre les deux décisions était manifeste, et rien ne pouvait défendre la position de la Cour de cassation. Cela n’a pas échappé au Premier président de la Cour de cassation, qui a réuni la formation la plus solennelle de la Cour, l’assemblée plénière, composée de conseillers de toutes les chambres, notamment les chambres civiles, réputées plus favorables au respect du droit que de la défense de l’ordre public, et mettant de fait les pénalistes de la chambre criminelle en minorité. C’est cette assemblée plénière qui a rendu les fameux arrêts du 15 avril 2011 se rendant enfin à l’évidence :
Attendu que les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ; que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ;…
Voilà pourquoi dès le 15 avril, nous avons pu, enfin, assister nos clients en garde à vue. Afin d’avoir un cadre juridique à ces interventions, les parquets, appliquant les consignes de la Chancellerie, ont décidé de se référer à la loi promulguée la veille sur la garde à vue, quand bien même elle n’entrait en vigueur que le 1er juin. Victoire des droits de l’homme ? Allons. On est en France. Dès l’après midi du 15 avril (car des signaux d’alarme avaient été émis du Quai de l’Horloge, où siège la Cour de cassation), des instructions ont été adressées aux services de police et de gendarmerie, visant à limiter au maximum les effets des arrêts du 15 avril et faire en sorte que les exigences de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ne soient toujours pas respectées. Je vous rappelle que ces instructions émanent de la même autorité qui se prétend apte à assurer seule le contrôle des mesures de garde à vue. Ainsi, à Paris, c’est par une note signée Jean-Claude Marin, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, que le parquet a décidé, sans aucune base légale et en contradiction flagrante avec les exigences de la CEDH exprimées dans l’arrêt Dayanan, que l’avocat devait, au cours des auditions et confrontations de garde à vue, demeurer taisant (c’est le langage juridique pour dire “fermer sa gueule”) et ne devait en aucun cas s’adresser au témoin ou au plaignant en cas de confrontation. Oui, mesdames et messieurs les juges, sachez-le, car je doute que ces instructions données à la police aient été portées à votre connaissance : le parquet cède sur la présence de l’avocat, mais à la condition de revenir à la procédure de 1897, avec des avocats cois.
Cela a donné lieu à des incidents, bien sûr, dont certains que j’ai vécus moi-même. Ainsi, on m’a une fois “notifié”, avec mention au procès verbal, la note du procureur Marin. Quand j’ai répliqué en substance que cette note, je m’en cognais comme de mon premier Code civil, car le parquet n’est pas source de droit, n’a aucune autorité sur moi, n’a aucun pouvoir pour limiter les droits de la défense, d’autant plus qu’il est mon adversaire à la procédure, j’ai été regardé comme un dangereux anarcho-autonome. Alors que je suis pire que ça : je suis un avocat.
Je suis donc intervenu dans des auditions quand je l’estimais nécessaire (essentiellement pour conseiller à mon client de ne pas répondre à une question, parfois pour reformuler une question que mon client ne comprenait pas quand je pensais voir où se situait la cause de l’incompréhension, ou apporter une précision juridique au rédacteur. La plupart du temps, ça se passe très bien, et mes interventions sont mentionnées au procès verbal, ce qui est normal et même indispensable pour la sincérité de celui-ci : je veux que le magistrat qui lira ce document sache si mon client se tait de sa propre initiative ou sur mon conseil, c’est important. Parfois, ça se passe mal. La scène peut juste être ridicule (ainsi, quand j’ai demandé à un plaignant s’il était droitier ou gaucher, l’agent de police judiciaire a suspendu l’audition et est allé demander à son capitaine s’il pouvait poser la question ; signalons qu’ainsi, il m’a laissé seul dans le bureau avec mon client et le plaignant pendant cinq bonnes minutes…), parfois très tendue (on m’a ainsi menacé sur un ton discourtois de demander la désignation d’un autre avocat si je disais un seul mot au cours de l’audition), et parfois très tendue et ridicule (ainsi cette confrontation avec dix policiers en arme autour de moi - j’entends par là que les plus proches étaient à 30cm de moi- alors que seuls deux d’entre eux étaient concernés par la confrontation, où on m’a indiqué que je n’avais même pas à adresser la parole auxdits policiers ; eh oui, mesdames et messieurs les magistrats, c’est ce que la police appelle une confrontation, où on ne peut pas parler aux témoins, au nom je le rappelle de… la recherche de la vérité).
Je dois cependant à l’honnêteté de rendre hommage au parquet, qui vient de donner de nouvelles instructions liées à l’entrée en vigueur de la loi sur la garde à vue, prévoyant la mise en place d’un planning des auditions et confrontations et prescrivant aux policiers d’attendre une heure l’arrivée de l’avocat avant de passer outre à son absence et commencer l’audition. Ces instructions ont été reçues par mes amis de Synergie Officiers et ses cousins Alliance Police Nationale chez les Gardiens de la Paix et SICP chez les commissaires avec leur enthousiasme habituel. Elles s’imposaient, car j’ai été confronté à des auditions inutiles organisées à 3h du matin dans un bureau avec un joli poster Alliance Police Nationale.
Retour vers le futur
La cause était donc entendue : la CEDH exigeait immédiatement la présence de l’avocat, pas question d’attendre le 1er juillet ni même le 1er juin, date d’entrée en vigueur de la loi sur la garde à vue, car le législateur a eu l’idée extraordinaire de prévoir une entrée en vigueur différée d’une loi mettant la France en conformité avec les droits de l’homme. Je vous le dis : chaque seconde de gagnée sur l’application des droits de l’homme est une victoire pour nos dirigeants bien aimés.
Mais se posait la question des auditions de garde à vue antérieures au 15 avril 2011. Les propos ont été recueillis sans présence de l’avocat, car c’était la procédure en vigueur. Demeuraient-elles valables ?
La réponse était évidemment non. Et pour qui a lu les arrêts du 15 avril, il ne pouvait en être autrement, puisque ces arrêts sanctionnaient des gardes à vue intervenues respectivement le 19 janvier 2010, le 22 janvier 2010, le 14 décembre 2009 et le 1er mars 2010. Il faut garder à l’esprit que la Cour de cassation est une juridiction, qu’elle ne fait pas la loi, ni ne décide de hâter son entrée en vigueur, mais juge des affaires. Par définition, elle ne pouvait statuer le 15 avril 2011 que sur des affaires antérieures au 15 avril 2011. Il n’y avait donc nulle raison de penser que sa jurisprudence ne s’appliquait qu’à compter du 15 avril 2011.
J’ai reçu beaucoup de questions sur l’annonce des arrêts du 31 mai 2011, me demandant comment cette jurisprudence pouvait être rétroactive. La réponse est simple : elle ne l’est pas. La Cour de cassation ne fait jamais qu’appliquer des textes en vigueur, les interpréter et résoudre des conflits de textes en vigueur. Ici, elle ouvre son arrêt en visant la Convention Européenne des Droits de l’Homme :
Vu l’article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ;
puis en livre son interprétation, qui est sans surprise au regard de ce qui a été rappelé :
Attendu qu’il se déduit de ce texte que toute personne, placée en retenue douanière ou en garde à vue, doit, dès le début de ces mesures, être informée de son droit de se taire et, sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, pouvoir bénéficier, en l’absence de renonciation non équivoque, de l’assistance d’un avocat ;
Et ainsi qu’on l’a vu, la Convention Européenne des Droits de l’Homme est en vigueur en France depuis 1974, et son contenu connu depuis le 4 novembre 1950. C’est ce texte là qu’elle a appliqué. Pas rétroactivement : elle a au contraire réalisé tardivement que ce texte n’était pas appliqué.
“Passant, va dire à Strasbourg que nous sommes mortes ici pour respecter ses lois”
Quelles sont les conséquences concrètes de ces arrêts ?
Elles sont limitées, à mon sens. Ces auditions sont des actes de procédure. Leur nullité doit être constatée selon des règles très rigoureuses, et est enfermé dans des délais très stricts, à peine de forclusion, c’est à dire de perte du droit de les contester. Ces délais sont, si un juge d’instruction est saisi, de six mois à compter de chaque interrogatoire (art. 173-1 du Code de procédure pénale) ou en cas d’avis de fin d’instruction, dans un délai d’un mois si un mis en examen est détenu et trois mois dans le cas contraire (art. 175 du CPP). L’ordonnance de règlement mettant fin à l’instruction purge les nullités qui ne peuvent plus être soulevées par la suite.
S’il n’y a pas eu d’instruction, il faut soulever ces nullités devant le tribunal avant l’examen du fond de l’affaire, à peine de forclusion là aussi (art. 385 du CPP). Si aucune nullité n’a été soulevée devant le tribunal, on ne peut le faire pour la première fois en appel.
Comme vous le voyez, le nombre d’affaires où il est encore possible de soulever cette nullité est limité. Ce qui n’empêche qu’il peut y avoir quelques cas où ce sera spectaculaire. Pour une fois, je suis d’accord avec la Chancellerie.
Mais ça ne se limite pas à cela. La loi du 14 avril, entrée en vigueur le 1er juin, pose un principe général dans l’article préliminaire du CPP qui interdit de fonder une condamnation sur des propos de la personne accusée recueillies sans qu’elle ait pu être assistée d’un avocat. Donc quand bien même ces auditions ne sont pas nulles, elle sont privées en grande partie de leur force probante. Et cet article s’applique à toutes les procédures encore en cours, quel que soit leur stade procédural…
Est-ce la fin du combat pour la garde à vue ?
Certainement pas. Ce n’est que le début. En effet, la loi du 14 avril n’est pas conforme à la CSDH, en interdisant à l’avocat l’accès à l’intégralité de la procédure (c’est le nouvel article 63-4-1 du CPP). Ce qui n’a aucune justification, si ce n’est entraver encore un peu l’exercice de la défense. Qu’on m’explique pourquoi je peux m’entretenir 30 mn avec mon client avant une confrontation sans qu’on me communique la teneur des déclarations des témoins auxquels il va être confronté, puis aussitôt après, dès le début de la confrontation, on m’en donne connaissance en les lisant à haute voix pour que mon client puisse y réagir, sans que je puisse désormais lui demander des explications, répondre à ses questions ou lui donner des conseils en toute confidentialité ? Il n’y a aucune justification, sauf une : on ne veut pas que je puisse préparer cet interrogatoire avec mon client, ce qui est précisément un des droits reconnus par l’arrêt Dayanan.
Cet attitude est honteuse et stupide, car loin de régler le problème, elle laisse perdurer une violation de la CSDH, qui inévitablement va entraîner de nouvelles nullités de procédure. Plutôt des procédures nulles que des droits de la défense respectés, tel est le credo du législateur. Affligeant. Encore plus quand on sait que bien sûr les avocats ne vont pas laisser passer ça, et que c’est voué à l’échec. Mais chaque seconde gagnée sur les droits de l’homme est une victoire, dans notre pays.
Alors mes conclusions sont prêtes, et elles s’ouvriront sur cette citation biblique :
The path of the righteous man is beset on all sides with the iniquities of the selfish and the tyranny of evil men. Blessed is he who in the name of charity and good will shepherds the weak through the valley of darkness, for he is truly his brother’s keeper and the finder of lost children. And I will strike down upon those with great vengeance and with furious anger those who attempt to poison and destroy my brothers. And you will know that my name is Maitre Eolas when I lay my vengeance upon thee.
Ezechiel selon Tarantino, 25:17.
Ce billet, écrit à 11:57 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit
a suscité :
Après une semaine haletante de ce qui restera comme une des plus spectaculaires affaires de la vie politique française, avec des audiences filmées, du suspense, des images choc, des théories du complot (mais ce siècle connaîtra-t-il un événement notable sans sa théorie du complot ?) et bien sûr, du sexe, ce qui fait toujours vendre, l’excitation va retomber, si j’ose dire, et une accalmie médiatique va s’imposer par la force des choses.
Or le juriste n’aime rien plus que le calme et la sérénité, qui sont propices à la réflexion.
Avec une semaine de recul, voici quelques commentaires que le traitement de cette affaire a suscités dans mon for intérieur.
Tout d’abord, la prédominance de cette affaire dans l’actualité va marquer une pause, par la force des choses. Enfin, diront certains masochistes qui en ont soupé de cette affaire mais lisent quand même cet article qui lui est consacré.
Dominique Strauss-Kahn a été remis en liberté (très) surveillée, ce dont je me réjouis au-delà de toute considération sur sa culpabilité éventuelle. Toute personne devrait en principe pouvoir attendre son procès en liberté, la détention devant être vraiment exceptionnelle, ce qu’elle n’est pas en France. Ce principe est mieux appliqué aux États-Unis qu’en France, particulièrement pour les affaires criminelles. Rappelons qu’avant 2000, l’accusé devant une cour d’assises qui était libre devait obligatoirement se constituer prisonnier la veille de l’audience.
Les conditions auxquelles cette liberté a été accordée (dépôt d’une caution d’un million de dollars, outre une garantie de 5 millions qui sera exigée si Dominique Strauss-Kahn ne se présentait pas à l’audience, interdiction de quitter la ville de New York, où il vivra dans un appartement vidéosurveillé, avec un garde armé devant la porte, payé par l’accusé lui-même, et portera en permanence un bracelet électronique, à ses frais là aussi) ont suscité des commentaires sur une justice de riches (l’accusé a dû mobiliser 6 millions de dollars et dépenserait environ 200.000$ par mois pour assurer sa propre surveillance. Une chose doit être bien comprise.
Si bien sûr, et aux États-Unis sans doute plus qu’ailleurs parmi les pays démocratiques ayant un système judiciaire indépendant, une personne qui pourra mettre les moyens nécessaires à sa défense sera forcément bien mieux défendue qu’une personne ne le pouvant point, ici, ce n’est pas la justice new yorkaise qui a imposé des conditions draconiennes à la libération de DSK. C’est la défense de DSK qui a proposé ce qu’on appelle un bail package en béton armé : elle est venue avec cette liberté surveillée clefs en main, en disant : “voilà ce qu’on vous propose”. Le juge s’est pour l’essentiel contenté de dire “D’accord, ça me va”. La défense a sorti l’artillerie lourde, très lourde, car elle savait que le bureau du procureur (District Attorney, DA) ferait tout son possible pour garder ce gros poisson très médiatique dans son vivier de Rikers Island. Le procureur étant élu à New York (contrairement aux juges, qui sont nommés, si quelqu’un pouvait le signaler à Alain Duhamel, merci), il a tout à gagner en montrant qu’il était sévère avec les puissants, surtout si ce puissant est étranger. Le bureau du procureur a joué à fond la carte Polanski : le flight risk, le risque de fuite (en droit français, on parle “d’absence de garanties de représentation”), en soulignant que l’accusé a été arrêté dans un avion au moment où il se préparait à quitter le territoire. La défense avait prévu cela et bien anticipé : elle a démontré que le billet avait été acheté bien avant les faits, et est arrivée avec une proposition qu’aucun juge n’aurait sans doute osé exiger tant elle est coûteuse et contraignante. Ajoutez à cela l’argument soulignant que le Directeur général du FMI peut être considéré comme un homme honorable, et la décision a été emportée.
On m’a souvent posé la question, alors je l’anticipe : cette somme sera rendue à DSK s’il est présent à l’audience jusqu’au jour du délibéré, peu importe qu’il soit déclaré coupable ou reconnu innocent.
À présent s’ouvre une phase qu’en droit français on appellerait “mise en état”, comprendre “mise de l’affaire en état d’être jugée”. En effet, le droit américain de manière générale et new yorkais en particulier ignore l’instruction criminelle menée par un juge, propre au système inquisitoire, c’est un système accusatoire, où le juge reste en retrait et a un rôle d’arbitre.
Ah, oui, une précision de vocabulaire : le système accusatoire anglo saxon n’a jamais voulu dire que c’était à l’accusé de prouver son innocence. Il ne s’oppose pas au système innocentoire, mais au système inquisitoire, où c’est le juge qui mène l’enquête et prend l’essentiel des inititiatives. Les systèmes ne sont pas incompatibles : en France, la procédure civile est accusatoire, et la procédure pénale, inquisitoire, avec des parties accusatoires (la procédure devant la chambre de l’instruction par exemple).
Les deux parties — je dis bien deux parties, car en droit américain, la plaignante n’est pas partie au procès pénal — vont présenter leurs motions au juge qui tranchera, essentiellement sur l’admissibilité de telle preuve qu’une partie veut produire et dont l’autre ne veut pas entendre parler (par exemple, si un test ADN désigne l’accusé, mais que la chain of custody a été brisée, c’est à dire qu’à un moment, l’intégrité de l’échantillon n’a pas été préservée avec certitude, s’il a été oublié une nuit dans la voiture de l’officier de police, ce qui a pu permettre sa contamination ou sa substitution, le juge écartera cette preuve, et l’accusation ne pourra en faire état). Ils ont 45 jours pour ce faire. Les audiences auront lieu dans le cabinet du juge, sans aucune publicité, pour que le jury n’ait pas connaissance de ces éléments. Si le DA faisait fuiter l’information qu’un test ADN a été écarté, la défense pourrait demander un mistrial, c’est-à-dire considérer que le droit de l’accusé à un procès équitable a été irrémédiablement compromis et que l’affaire doit être définitivement classée (dismissed). Et pour ceux qui se poseraient la question, si c’était la défense qui était à l’origine de cette fuite, cela permettrait au DA d’en faire état devant le jury. Ça rigole pas.
En somme, jusqu’à l’ouverture du procès, l’affaire va se préparer en secret, sans plus d’audience filmées ni de suspense haletant. Au revoir donc, ces scènes désopilantes d’envoyés spéciaux devant le palais de justice live from New York moins bien informés de ce qui se passe que les journalistes à Paris qui ont accès à Twitter. Ça me manquera.
À ce propos, un mot de déontologie journalistique, qui peut et doit s’appliquer aussi aux amateurs publiant sur l’internet. Mener une enquête sur un crime se justifie à mon sens dans deux cas seulement. Soit la justice se désintéresse de faits qu’elle estime non établis ou subit des pressions pour s’en désintéresser. Le journaliste fait alors éclater la vérité, prenant l’opinion publique à témoin, ce qui contraint la justice à agir. Soit la justice a statué mais s’est trompée ou a volontairement mal jugé. C’est la contre-enquête. Mais vouloir se livrer à une enquête parallèle quand l’affaire est en cours et que rien ne semble indiquer que la procédure soit dévoyée est dangereux : cela peut interférer avec le bon déroulement de l’enquête officielle, nuire à la défense ou à l’accusation, et expose au risque de manipulation par une des parties, quand ce n’est pas les deux. Les lecteurs sont intelligents, ils peuvent comprendre qu’on ne peut pas encore savoir si Untel est coupable et qu’on ne le saura pas avant plusieurs mois. L’explication du déroulement de la procédure est une information utile et suffisante. Il n’est que voir dans cette affaire le nombre de rumeurs, de fausses informations ensuite démenties, et d’approximations publiées pour se rendre compte que la course au scoop fait toujours des ravages dans le camp de la vérité. La sagesse s’impose.
J’ai entendu les déclarations optimistes d’un des avocats de DSK. J’avoue ma surprise. Ce type de déclarations, même prudentes, n’est pas fréquent de manière générale, et est une première pour cet avocat, qui a désormais beaucoup à perdre en cas de plaider coupable ou de condamnation. Je ne puis que supposer qu’il a dans la manche de quoi être aussi affirmatif.
Ce qui m’amène naturellement à la présomption d’innocence. J’ai tout entendu cette semaine, et cette affaire a d’ores et déjà fait une victime identifiée : la langue française.
J’ai déjà parlé ici de la présomption d’innocence. En résumé : c’est avant tout une règle de preuve (c’est à l’accusation de démontrer la culpabilité), auquel nous avons, en France, ajouté un aspect protection de la réputation : il est interdit de présenter une personne faisant l’objet d’une enquête ou de poursuites comme coupable tant qu’elle n’a pas été définitivement condamnée. Ce n’est pas facile, même un avocat comme l’actuel président de la République se plante régulièrement.
Le respect de la présomption d’innocence est donc à la fois un principe fondamental du procès, un pilier de notre république (il est posé par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, article 9, car ce principe, en 1789 n’avait rien d’évident) et une règle limitant la liberté d’expression.
Alors pour éviter de torturer la langue française et d’employer ce pauvre mot de “présumé” à toutes les sauces, mettons les choses au point.
Parler de Dominique Strauss-Kahn comme d’un suspect, d’un inculpé ou d’un accusé est tout à fait correct. Juridiquement, le terme le plus exact à ce stade est accusé, puisque l’indictment a été prononcé par le Grand Jury. Le désigner comme “violeur” serait une atteinte à la présomption d’innocence. Mais le désigner comme “violeur présumé” est lourd, inélégant et imprécis, le terme présumé, sans doute inspiré par présomption d’innocence, ayant le sens de “Qui est supposé par hypothèse, par conjecture”. Soit l’inverse de ce qu’on veut dire, en somme. Un violeur présumé n’est pas un innocent présumé.
Là où l’auditeur risque la migraine, c’est quand la victime devient à son tour présumée. Diable ! Si le violeur est présumé innocent, la victime est-elle présumée menteuse ? Non, bien sûr, mais on la rétrograde au rang de victime présumée. Ce qui fait beaucoup de présumés.
Le mot français pour “victime présumée” est “plaignante”. Le terme de “victime”, qui étymologiquement renvoie au religieux, puisqu’il désigne ce qui est offert en sacrifice aux dieux (victima en latin), n’est juridiquement adéquat qu’une fois que le crime est établi, soit après la condamnation. Bref, le terme de victime est incompatible avec la présomption d’innocence. Vous comprendrez pourquoi l’usage intensif qui est fait de ce terme par les gouvernements successifs pose problème.
Ce qui m’amène à ma remarque finale.
Dominique Strauss-Kahn est une personnalité de premier plan, qui a des amis qui peuvent être sincères dans l’affection qu’ils lui portent, peu importe qu’elle soit parfois mâtinée d’arrières pensées politiques. À chaque fois qu’une personne est accusée de quelque chose d’incroyablement grave, ses proches ont le réflexe naturel de refuser de croire que c’est seulement possible. Le premier réflexe est de protéger, de voler au secours, parfois maladroitement, telle cette épouse croyant voler au secours de son mari accusé de braquage et qui ne trouva rien de mieux à dire à la barre de la cour d’assises : “Assassin, peut-être, mais voleur, sûrement pas !”
Des réactions maladroites, voire complètement idiotes ont eu lieu. La plupart de ceux qui les ont tenues se sont rétractés ou ont exprimé leurs regrets en réalisant l’absuridté de leurs propos. Mais il y a une réaction à la réaction qui me paraît totalement déplacée et qui fleure bon son Tartuffe. C’est le refrain du “vous n’avez pas eu un mot pour la victime”. La palme revient sans doute à Laurent Joffrin, opportunément soutenu par Franz-Olivier Gisbert s’en prenant à Robert Badinter jeudi soir sur France 2. On sent les éditorialistes qui savaient que DSK avait un problème relationnel avec les femmes et qui tentent de se racheter une virginité en jouant les sycophantes.
Le terme de ‘politiquement correct” est souvent galvaudé, mais là on est plein dedans.
Oui, il est permis, quand on a des sentiments d’amitié pour quelqu’un qui est accusé d’un crime, de se soucier de lui, de rappeler qu’il est présumé innocent, et par conséquent de ne pas verser des larmes de crocodile sur la personne qui l’accuse. On peut être convaincu, irrationnellement puisque sans se reposer sur des éléments objectifs dont on ignore tout, de l’innocence d’un ami. Ce qui implique de penser que la plaignante n’est pas et ne sera jamais une victime. La décence invite uniquement à ne pas accabler cette personne dont on ne sait rien, parce qu’on peut se tromper sur un ami, et le mieux à faire pour cela est de ne pas parler d’elle. Cette attitude est tout à fait morale et même recommandable. Et le fait d’interpréter ce silence comme la preuve irréfutable d’un mépris ne mérite que ce dernier sentiment en retour.
Quand j’appelle une mère pour lui annoncer que son fils est à Fleury, elle n’a jamais un mot pour le plaignant éventuel. Elle ne se soucie que de son fils. Dois-je donc l’engueuler, monsieur Joffrin ?
Les avocats sont souvent confrontés à ce type de situation, on est même en première ligne, quand on plaide la relaxe ou l’acquittement de faits contestés qui supposent forcément que l’accusé ou la victime mente (faits de violences ou sexuels, essentiellement). J’ai obtenu des relaxes dans des affaires de violences conjugales, ce qui supposait de laisser entendre que la plaignante mentait. Je l’ai même démontré à plusieurs reprises. Heureusement que la pudeur ne m’a pas interdit de me lancer sur ce chemin difficile, j’aurais laissé condamner des innocents, et en matière de violences conjugales, les peines sont sévères. Je ne vous parle même pas des affaires de viol où il faut, devant une cour d’assises, confronter la plaignante avec ses contradictions, avec les incohérences du récit, avec la trouille au ventre de se tromper et d’accuser une femme violée de mentir.
Prendre position, c’est prendre le risque de se tromper, et cela implique d’être cohérent. Que penseriez-vous d’un avocat qui clamerait “mon client est innocent, mais toutes mes pensées vont bien sûr à la victime ?” Sans doute la même chose que j’ai pensé de ceux offrant ce désolant spectacle sur le plateau de France 2.
Nota : le titre de ce billet est tiré du titre du film éponyme de Brigitte Roüan (1996), lui même tiré d’une citation d’Ovide : post coitum anima tristis : “après le coït, l’ame est triste”.
Ce billet, écrit à 11:16 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit
a suscité :
Michel Mercier, Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, était ce 13 avril l’invité de France Inter pour présenter un peu plus en détail la réforme annoncée des jurés correctionnels. Des nouveautés sont apparues à cette occasion, le tout lié dans un argumentaire que le ministre a eu un peu la flemme d’apprendre par cœur d’où certaines imprécisions.
Je me propose de commenter ses propos, avec une méthode qui aura le mérite de la simplicité mais qui tord le cou à un millénaire de tradition universitaire : l’ordre chronologique dans lequel les propos ont été tenus. Les propos du ministre sont graissés. Je laisse intentionnellement de côté les propos purement politiques ou de communication, comme l’affirmation purement gratuite que les Français veulent cette réforme au point qu’ils ne parlent que de ça. Quand un ministre affirme entendre ce que disent les Français, c’est qu’il a discuté avec son chauffeur.
Tout d’abord, le ministre a été interrogé en tête à tête par le présentateur par intérim de la matinale, Bruno Duvic.
Les jugements rendus par ces tribunaux renforcés ne seront pas plus sévères.
C’est en effet probable, tous les magistrats ayant siégé aux assises confirment qu’ils n’ont pas constaté d’unanimité répressive chez les jurés, qui aux assises auraient d’ailleurs les moyens d’imposer leurs vues. J’y reviendrai.
Aux assises, les jurés siègent avec les magistrats depuis 1932.
Non, depuis la loi du 25 novembre 1941 (Journal Officiel du 12 décembre). Vous comprendrez vu la date que cette précision n’est pas anodine. Auparavant, le jury criminel français était le même qu’en Angleterre et aux États-Unis : douze hommes délibérant seuls sur la culpabilité, la cour composée de trois juges délibérant seule sur la peine. Mais la crainte de voir des peines sévères frapper des coupables ne méritant pas la sévérité (l’ancien Code pénal prévoyant, voyez-vous ça, des peines plancher), on assistait de plus en plus à des acquittements d’opportunité. La loi avait déjà été modifiée pour permettre au jury de voter les circonstances atténuantes (dont le seul vote sauvait le condamné du risque de la guillotine), mais le régime de Vichy, qui ne se caractérisait pas par sa confiance démesurée dans le peuple a fondu cour et jury en une entité unique, de neuf jurés et trois juges pour garder le nombre douze, dont l’origine est biblique (allusion à la Pentecôte : quand douze hommes de bonne volonté sont réunis, l’Esprit Saint est avec eux).
Cette loi sur le jury de 1941 fait partie des rares lois de l’État Français sauvées de la nullité à la libération. Elle est de fait encore en vigueur aujourd’hui.
Sur le ralentissement du rythme des jugements
En effet, Jean-Paul Garraud fait dans la démesure dans sa critique, mais on a l’habitude de son caractère histrionique. Une audience ordinaire en collégiale (3 juges) peut espérer juger une dizaine d’affaires simples dans des conditions à peu près satisfaisantes, une quinzaine dans des mauvaises conditions (comme les comparutions immédiates), au-delà risque de sombrer dans le sordide et les juges décident généralement de renvoyer d’office les affaires surnuméraires avec une remarque glaciale au parquet qui décide du nombre d’affaires à juger par audience. Je n’imagine pas qu’en une après midi, le tribunal correctionnel renforcé puisse juger plus de 5-6 affaires.
Les moyens nécessaires seront affectés à cette réforme
Le ministre finira par s’agacer du caractère répétitif de cette question et des réactions dubitatives que ses affirmations réitérées provoqueront. Mais le manque dramatique de moyens de la justice est désormais bien connu, je comprends donc cette réticence et la partage pleinement. Notamment la centaine de magistrats recrutés annoncée aura pour effet d’équilibrer le nombre de magistrats recrutés en tout et ceux partant à la retraite. J’ai donc du mal à les considérer comme des magistrats supplémentaires pouvant sans dommages être affectés à cette tâche nouvelle.
Les questions techniques, comme les nullités de procédure, resteront réservées aux magistrats professionnels.
C’est le cas devant la cour d’assises, pour des raisons évidentes de technicité mais aussi parce que les jurés ne s’expriment aux assises que par un vote à bulletin secret, qui suppose une réponse binaire incompatible avec un débat sur, au hasard, la conformité du contrôle de la garde à vue par le seul parquet avec la convention européenne des droits de l’homme. Néanmoins, le projet de loi prévoit des assesseurs pour l’application des peines, ce qui est un peu contradictoire, car la matière est très technique.
L’entrée en vigueur sera progressive et commencera par une phase d’expérimentation dans le ressort de deux cours d’appel de taille différente.
Je vais solliciter mes taupes pour savoir lesquelles sont les heureuses élues. Je note en tout cas qu’une superbe porte de sortie est aménagée, puisque l’entrée en vigueur généralisée est reportée au delà de la fin du monde les élections présidentielles de 2012 — on nous avait promis des jurés « avant l’été »— ce qui en cas de changement de majorité veut dire enterrement de première classe et en cas de stabilité politique permet de changer d’avis sans perdre la face. Une réforme qu’on lance une patte en avant et l’autre déjà sur le recul ne paraît pas promise à une espérance de vie bien longue.
On va créer des tribunaux correctionnels pour mineurs de 16 à 18 ans récidivistes.
Une vieille lune de ce gouvernement, qui partage avec certains de mes clients une certaine obsession morbide pour la jeunesse. Actuellement, les mineurs —le droit pénal parle d’enfants— sont jugés par deux juridictions : le juge des enfants statuant seul en audience de cabinet (comprendre : dans son bureau) quand il s’agit de prononcer des mesures éducatives, qui sont des sanctions pénales pouvant être très contraignantes, mais où la finalité éducative est dominante, ou le tribunal pour enfants quand le prononcé d’une peine comme de la prison est envisagé. Le tribunal pour enfants est présidé par un juge pour enfants assisté de deux assesseurs non juges, choisis parmi des personnalités qualifiées ayant démontré leur intérêt pour les affaires de l’enfance. Les mineurs de 16 à 18 ans ayant commis un crime relèvent de la cour d’assises des mineurs, qui a pour particularité de siéger à huis clos, et d’avoir des juges assesseurs pris parmi les juges pour enfants.
Là, je ne comprends pas. Cette nouvelle juridiction spéciale aurait pour seule spécificité d’écarter les assesseurs du tribunal pour enfants pour les remplacer par des juges professionnels. je soupçonne aussi que ce tribunal pourra statuer dans une sorte de comparution immédiate pour mineurs, qui est une obsession récurrente de ce gouvernement depuis des années. J’aimerais qu’on m’explique la cohérence de vouloir adjoindre aux juges professionnels des citoyens assesseurs en correctionnelle pour les majeurs et dans la même loi virer les citoyens assesseurs du tribunal pour enfants dès lors que les faits sont graves. C’est donc qu’on craint leur trop grande clémence ? Mais on nous assure que les citoyens assesseurs en correctionnelle ne seront pas plus sévères ! Ajoutons à cela que les peines plancher créées en août 2007 s’appliquent aux mineurs, donc que la loi impose déjà une sévérité minimale en cas de récidive. Si quelqu’un trouve la logique interne, ses parents l’attendent à l’entrée du magasin.
C’est la loi du 12 avril 1906, et non l’ordonnance du 2 février 1945, qui a créé la spécificité du droit pénal des mineurs.
L’histoire du droit est une matière très noble. Mais on ne déchoit pas à la travailler. La loi du 12 avril 1906 fait 3 articles et n’a eu qu’un seul effet, certes notable : passer la majorité pénale fixée à 16 ans sous la révolution (Code pénal de 1791, repris dans le Code pénal de 1810 à 18 ans (la majorité civile n’a été fixée à 18 ans qu’en 1974). Elle n’a rien changé au régime pénal applicable aux mineurs, qui a essentiellement été fixé par la loi du 5 août 1850.
Cette loi créait les maisons de correction qui accueillaient les mineurs punis de six mois de prison au plus ou enfermés au titre de la correction paternelle. Le père avait en effet le pouvoir de faire enfermer ses enfants mineurs : un mois s’ils avaient moins de 16 ans, sans que le juge puisse y redire quoi que ce soit, et jusqu’à 6 mois de 16 à 21 ans, mais le juge pouvait refuser ou raccourcir cette période : art. 376 et suivants du Code Napoléon.
Outre les établissement pénitentiaires, se trouvaient les colonies pénitentiaires, les tristement célèbres “bagnes pour enfants”, comme la fameuse colonie de Mettray fondée en 1834, ou celle de Belle-Île-En-Mer, qui accueillent les mineurs dont la peine est comprise entre six mois et deux ans. En 1934, une révolte des enfants détenus suite au passage à tabac de l’un d’eux par les gardiens a donné lieu à une prime de 20 francs à quiconque capturerait un fugitif. Jacques Prévert, bouleversé par ce spectacle de battues, composa à cette occasion son célèbre poème La Chasse à l’Enfant.
Enfin, les colonies correctionnelles accueillent, si j’ose dire, les mineurs condamnés à plus de deux ans de prison.
Les conditions abominables dans lesquelles étaient traitées les enfants, et le grand nombre d’orphelins livrés à eux même dans un pays en ruine où les autorités étaient inexistantes a poussé un dangereux gauchiste bobo droitdelhommiste à prendre en février 1945 une ordonnance créant les juges pour enfants et les tribunaux pour enfants et posant le principe que toute sanction frappant un mineur devait avant tout viser à l’éduquer. Ce crypto-marxiste-léniniste s’appelait Charles de Gaulle.
Cette ordonnance est encore en vigueur aujourd’hui, même si elle a été modifiée 68 fois depuis. Oui, plus d’une fois par an.
L’excuse de minorité est graduée, elle a plus d’effets quand on a 13 ans que quand on en a 18.
Oui, il a dit ça. Comment vous dire, monsieur le Garde des Sceaux… Vous savez, depuis la loi du 12 avril 1906 (celle là même que vous avez amenée à Bruno Duvic), la majorité pénale est fixée à 18 ans. Il n’y a plus d’excuse de minorité à cet âge là.
L’excuse de minorité est une règle qui divise par deux les peines encourues par un mineur. Un vol simple est passible de 3 ans de prison. Commis par un mineur, l’excuse de minorité abaisse cette peine encourue à 18 mois. Elle s’applique à partir de 13 ans, qui est l,âge à partir duquel on peut prononcer une peine. Elle est impérative jusqu’à 16 ans. De 16 à 18 ans, le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs peut écarter l’excuse de minorité par une décision spécialement motivée et prononcer alors une peine comprise entre la moitié et le maximum légal.
Les délinquants mineurs de 1945 ne sont pas les mêmes qu’aujourd’hui.
Argument régulièrement ressorti pour justifier des textes très répressifs contre les mineurs. Et qui est un pur sophisme.
Naturellement, ce ne sont pas les mêmes : 65 ans ont passé, soit toute une vie. Le monde a changé pendant ces 6 décennies, et sans doute plus qu’il n’a jamais changé en aussi peu de temps dans l’Histoire. On est pour le moment dans le domaine de l’évidence. Là où on bascule dans l’affirmation contestable, c’est quand on laisse entendre qu’ils ont changé en pire.
Les mineurs de 1945, ceux qui s’occupaient d’eux goûtent désormais aux félicités éternelles, et lesdits mineurs ne sont plus très frais (il doit en rester quelques uns au Sénat). Donc on ne risque pas trop la contradiction. Pour ma part, j’ai tendance à penser que des gamins de 12 à 21 ans, orphelins, SDF, livrés à eux mêmes dans un pays en guerre où l’occupant se livrait à la terreur avec la complicité des autorités administratives n’avaient aucune raison d’être plus doux, honnêtes et obéissants que les caïds de banlieue qui font les délices des documentaires de la première chaîne. En tout cas, l’affirmation selon laquelle nos doux bambins d’aujourd’hui seraient plus enclins au crime et à la violence qu’à l’époque mériterait d’être un tant soit peu étayée par des arguments scientifiques. Tout comme le fait que les conditions de vie exécrables dans les maisons de correction et les colonies pénitentiaires n’aient en rien assagi les enfants délinquants de l’époque peut nourrir une réflexion sur l’efficacité autre qu’électorale de la méthode. Ajoutons à cela les progrès pédagogiques, comme le fait par exemple qu’on ait supprimé de l’enseignement des établissements pour mineur l’entraînement au tir et à la manipulation des armes enseigné dans les années 30
Et en admettant un instant que les mineurs délinquants aujourd’hui soient en effet pires que ceux de 1945, en quoi sera-ce une solution de changer la composition du tribunal chargé de les juger ? Qui peut croire que nos Rapetout en culottes courtes trembleront d’effroi en lisant le Code de l’Organisation Judiciaire et aussitôt décideront d’employer leur vie à des travaux des champs ?
On ne le saura pas. On en reste à la gesticulation, et on écarte les assesseurs des tribunaux pour enfants en disant qu’ils sont nocifs, et on en fait entrer dans les tribunaux correctionnels en disant qu’ils sont indispensables. Dans la même loi.
Vient à présent la deuxième partie de l’émission, baptisée Inter Active. Jean-Philippe Deniau, le chef du service police-justice (dit aussi le service partout-nulle part) de France Inter et Jean-François Achilli, chef du service politique, se joignent à la ronde, même si, ce qui est un peu vexant pour ces journalistes de talent, ce sont des auditeurs qui sont amenés à poser des questions, avec le risque, pas toujours évité, du syndrome du café du commerce.
Premier thème abordé, qui me fait frétiller : la garde à vue.
Le texte sur la garde à vue est un texte d’équilibre
Ça commence mal. Rappelons que le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme ont constaté l’évidence que les avocats, dont modestement votre serviteur, répétaient jusque là en vain depuis deux ans : la garde à vue ne répondait pas aux exigences minimales des droits de l’homme. Le Conseil a donné dans sa décision de juillet dernier le mode d’emploi pour se mettre en conformité : assistance effective d’un avocat, donc présence aux interrogatoires, accès au dossier, possibilité de poser des questions, de s’entretenir confidentiellement avec son avocat, bref tout ce qu’il faut pour commencer à exercer la défense dès le moment de l’arrestation.
Ce sont là des exigences minimales : en deçà, on n’est pas en conformité avec les droits de l’homme.
Quand le Garde des Sceaux nous dit donc fièrement qu’il s’agit d’un texte “d’équilibre” entre les droits de la défense et les nécessités de l’enquête, vous l’aurez compris, et la lecture de la petite loi (c’est ainsi qu’on appelle un texte de loi voté par le parlement mais pas encore promulgué car pouvant être soumis au Conseil constitutionnel) le confirme : le législateur n’a pas été fichu de se conformer à ces exigences minimales (notamment sur le point crucial de l’accès au dossier). Citoyens français, vos droits font peur.
Je note au passage que, invité à commenter les propos de Claude Guéant sur les incidents que notre présence ne manquerait pas de provoquer, le ministre assure de son entière confiance les policiers et les gendarmes. Je vous laisse trouver qui il a oublié.
Les avocats seront indemnisés 300 euros pour une garde à vue outre 150 euros en cas de prolongation
Dont acte.Sous réserve de la sujétion réelle qu’imposera la garde à vue nouvelle formule, et qui nécessite d’être confronté à la réalité, le niveau d’indemnisation semble correct pour une mission d’AJ. Il faudrait préciser s’il y a majoration pour déplacement ; la question ne se pose pas à Paris, mais chez nos voisins de Versailles, où la plupart des cabinets sont à Versailles même, où siègent le tribunal, la cour d’appel, le tribunal administratif et la cour administrative d’appel, il y a 50 km entre cette ville et Saint Arnoult, au fin fond du département. Il faut en tenir compte.
Cette loi sur la garde à vue sera appliquée
Cela ne fait aucun doute. Au 1er juillet, tous les articles du code de procédure pénale sur la garde à vue seront définitivement abrogés. Le Gouvernement n’a pas le choix. Il ne le fait pas de gaîté de cœur, mais il doit le faire.
On va définir les cas dans lesquels ont pourra recourir à la garde à vue
« Cette mesure doit constituer l’unique moyen de parvenir à l’un au moins des objectifs suivants :
« 1° Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;
« 2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête ;
« 3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;
« 4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;
« 5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ;
« 6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit.
Maintenant, je ne me fais aucune illusion. D’abord, la garde à vue actuelle était aussi soumise à conditions (il faut que ce soit pour les nécessités de l’enquête,et qu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction.
Ensuite, l’article 144 du même Code prévoit une liste de ce genre restreignant le recours à la détention provisoire, qui doit être “exceptionnelle” et “l’unique moyen” de parvenir à ces buts. On sait ce que ça donne en pratique.
Viennent à présent les auditeurs.
Ariane de Lorient
Ariane va nous proposer un formidable condensé synthétique de tous les clichés sur le jury populaire, avec en prime l’argument d’autorité : “Moi, j’ai assisté à des procès d’assises”, comprendre dans le public.
Le jury arrive et il ne sait pas de quoi il s’agit : c’est un peu le principe du jury populaire. Mais le début de l’audience est consacré à la lecture de l’ordonnance de mise en accusation qui est un résumé complet des faits et de l’enquête, et les débats durent généralement au moins deux jours pour leur permettre de s’imprégner du dossier et de connaître les parties en présence. S’ils sont ignorants au début, ce qui est une garantie de leur impartialité, à la fin du procès, il y a peu de gens qu’ils connaissent aussi bien que l’accusé. Même dans leur entourage familial proche.
Les jurés s’endorment : le coup de barre d’après le repas du midi est une malédiction, et pour peu que ce soit un expert au ton monotone qui vienne témoigner, c’est radical. Mais le coup de barre n’est pas le sommeil. La loi prévoit qu’un juré qui se serait endormi doit être remercié et remplacé par un juré supplémentaire, car il n’a pas assisté à l’intégralité des débats. Il en va de même d’ailleurs quand c’est l’avocat. En aucun cas la cour ne continue ses travaux en chuchotant pour ne pas réveiller les 9 jurés renversés sur leurs fauteuils.
Les jurés ne comprennent rien à ce qui se passait, car c’est souvent compliqué aux assises : chère Ariane, si vous avez compris ce qui se passait à chaque fois, ce que je veux croire puisque vous y retourniez, faites donc le même crédit à vos concitoyens.
Les jurés n’ont aucune notion de droit : C’est en effet le cas la majorité des fois. Mais avant d’aller délibérer, ils vont avoir trois éminents juristes qui vont chacun leur tout leur exposer l’état du droit et la solution que selon eux il préconise dans l’intérêt de la victime, de la société et de l’accusé. Pendant le délibéré, ils ont sous la main trois juristes au moins aussi bons qui peuvent répondre à toutes leurs questions. Et si malgré cela ils ne savent toujours pas, la loi leur indique la voie : cela doit profiter à l’accusé.
Les jurés jugent par rapport à leur affectif et non par rapport à des preuves : Chère Ariane, de quoi parlons-nous donc pendant les deux jours d’audience ? Croyez-vous que l’expert balistique et le médecin légiste, son rapport d’autopsie sous le bras, viennent inviter les jurés à laisser parler leur Moi psychanalytique ?
L’impression que m’a donné Ariane est qu’elle n’a pas assisté à des procès d’assises, mais à un procès d’assises, concernant un de ses proches, et que le résultat ne l’a pas satisfaite.
Néanmoins, rebondissons sur ces remarques pour faire un examen comparé de la cour d’assises et du tribunal correctionnel renforcé. On a vu que depuis 1941, juges et jurés délibèrent ensemble. Mais d’une part, le jury est majoritaire, et peut emporter une décision contre l’avis des magistrats. D’autre part, le secret du vote garantit sa sincérité. Non que les présidents manipulent ou veulent imposer leurs vues au jury — il y en a, mais ils sont rares — mais cette garantie assure à ceux qui ne sont pas au délibéré, l’accusé en premier, que ce délibéré a lieu dans des conditions optimales d’indépendance d’esprit. Devant le tribunal correctionnel renforcé, il n’en sera rien. Les jurés seront minoritaires, et leur vote sera connu des magistrats. Cette différence est fondamentale et suffit à réfuter tout argument comparatif avec la cour d’assises. La loi ne parle d’ailleurs pas de jurés correctionnels, mais de citoyens assesseurs. C’est exactement cela. Et rien de plus. Cet aspect mérite d’être au centre de la réflexion sur les modalités de cette réforme.
Les citoyens assesseurs pourront poser directement des questions au prévenu, à la partie civile, aux témoins et pourquoi pas aux avocats
C’est expressément prévu par le projet de loi. Et c’est une bombe à retardement.
Aux assises, si un juré exprime au cours de l’audience son opinion sur la culpabilité, il doit être excusé et remplacé par un juré supplémentaire. Il n’y aura rien de tel devant le tribunal correctionnel renforcé. Qu’un juré laisse échapper un “Mais vous croyez qu’on va gober vos mensonges ?” et le procès ne sera plus équitable faute d’impartialité du juge. Je sens que les présidents de correctionnelle retiendront leur respiration en donnant la parole aux citoyens assesseurs.
La rémunération des jurés
Le ministre n’a pas compris ou n’a pas voulu comprendre la question de l’auditeur à 8 euros par dossier. Il ne s’agissait pas d’un juré mais d’un délégué du procureur, une de ces petites mains de la justice qui contribue à faire du chiffre dans l’indifférence. Le délégué du procureur reçoit l’auteur de faits délictuels dans le cadre des alternatives aux poursuites. Il propose à l’auteur des faits d’accepter des mesures qui s’apparentent à des peines sans en être (pas d’inscription au casier) et à indemniser la victime en échange d’un classement sans suite. Il peut traiter plusieurs dizaines de dossiers par jour, qui comptent comme une réponse pénale. Ils sont payés 8 euros par dossier, avec parfois un an de retard. Les juges de proximité, créés par le président précédent, ne sont plus payés et devraient bientôt être supprimés. Les experts ne sont plus payés qu’avec deux ans de retard.
Et le ministre annonce que les citoyens assesseurs seront rémunérés aussi bien voire mieux que des magistrats professionnels. Vous comprendrez les réactions dubitatives, surtout quant à la pérennité de ce financement.
Ce sujet n’est pas épuisé, mais je crains que mes lecteurs ne le soient ; certains aspects de la loi n’ayant pas été abordés. Le texte du projet en est publié, je vais en prendre connaissance, et il y aura lieu de revenir notamment sur la cour d’assises light.
Mais vous savez que je suis un citoyen se voulant exemplaire, et je me devais de rectifier certains propos du ministre. Voilà qui est fait.
Ce billet, écrit à 13:54 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit
a suscité :
On dit que deux défis se dressent devant l’humanité : maîtriser la fusion à froid et juger un ancien président de la République en France. C’est très exagéré. La fusion à froid, on finira par y arriver.
Ainsi doit s’ouvrir cet après-midi au tribunal de grande instance de Paris (♥) un procès concernant les emplois fictifs de la ville de Paris. Parmi les prévenus, le Président le mieux élu de l’Histoire de la République, ès qualité de maire de Paris à l’époque des faits, qui est accusé d’avoir fait salarier par la ville de Paris des personnes qui en réalité travaillaient à plein temps pour son parti, le RPR.
Les faits sont très anciens (Jacques Chirac a cessé d’être maire de Paris en 1995), mais les deux mandats de celui-ci ont contraint la justice à suspendre son cours, immunité du Président de la république oblige.
Jacques Chirac étant redevenu simple citoyen, encore que des esprits républicains pourraient objecter qu’il n’avait en fait jamais cessé de l’être, l’affaire pouvait enfin être jugée.
Quoique.
En effet, cette première audience va être consacrée, sauf si le renvoi demandé par la défense de Jacques Chirac est accordé (ce dont je doute), à l’examen d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) déposée, non par la défense de Jacques Chirac, mais par celle d’un autre prévenu, Rémy Chardon, défendu par mon VBBA (Vice-Bâtonnier Bien-Aimé) jean-Yves Le Borgne.
Qu’est-ce qu’une QPC ?
C’est une procédure issue d’une réforme entrée en vigueur il y a tout juste un an. Je la détaille dans ce billet. Elle vise, préalablement aux débats, à faire déclarer contraire à la Constitution, et donc abrogée, une disposition législative (cela a son importance) en vigueur. S’il est fait droit à cette demande, les débats reprennent, mais en tenant compte de cette abrogation. L’efficacité du recours impose donc que le procès soit suspendu en attendant que le Conseil constitutionnel ait tranché. Ce qui imposerait de renvoyer sine die le procès, sine die, du latin “sans jour (fixé)”, (et non de l’anglais comme l’a cru ce Conseiller prud’homme qui a renvoyé un jour un procès “saïne daille” à la plus grande joie des avocats présents)
Elle prend la forme d’une requête écrite dont le seul objet est de poser cette question. Elle va être plaidée, c’est à dire que le Bâtonnier Le Borgne aura la parole en premier pour soutenir sa QPC. A ce stade, il doit démontrer au tribunal que la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; qu’elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; et qu’enfin, la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux. Le tribunal n’a en effet pas le pouvoir de trancher cette QPC : seul le Conseil Constitutionnel le peut, et encore, il faut que la Cour de cassation y passe. Les avocats des autres parties pourront à leur tour exprimer leur position sur cette question (vu ses effets potentiels, gageons qu’il seront unanimement favorables à cette Question) puis le parquet exprimera à son tour sa position.
Le tribunal se retirera pour délibérer et rendra alors un jugement ordonnant la transmission de la Question à la Cour de cassation et sursoyant à statuer d’ici là, ou au contraire disant n’y avoir lieu à transmettre la Question. Il ne sera possible au Bâtonnier Le Borgne de faire appel d’un éventuel rejet de sa QPC qu’en même temps que l’appel du jugement final (Art. 23-2 de l’Ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel).
Et que dit-elle cette QPC ?
Je n’ai pas pu lire une copie de la QPC déposée par M. Chardon. D’après cet article du Monde, des toujours très bien informés Franck Johannès et Pascale Robert-Diard, la QPC porte sur les règles de prescription des abus de biens sociaux et infractions assimilées.
Je sens que je n’ai pas vraiment répondu à votre interrogation.
Je reprends donc.
La prescription est une règle d’ordre public qui veut qu’on ne puisse plus poursuivre une infraction après l’écoulement d’un certain délai (trois mois en matière de presse, un an pour une contravention et certains délits de presse comme l’injure raciale, trois ans pour un délit, dix ans pour un crime ou un délit sexuel sur mineur, vingt ans pour un crime sexuel sur mineur et le délit de trafic de stupéfiants, trente ans pour le crime de trafic de stupéfiants, les crimes contre l’humanité étant imprescriptibles) pendant lequel la justice a été inactive (tout acte de poursuite fait repartir le compteur à zéro),
Le point de départ de ce délai est naturellement la commission de l’infraction. Mais la Cour de cassation a jugé, et de manière très constante, que dans le cas de délits dits clandestins, comme l’abus de biens sociaux, l’abus de confiance et la corruption, le point de départ de ce délai était non pas la commission de l’infraction, mais le jour de sa découverte dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique.
Rappelons que le délit d’abus de biens sociaux consiste à faire un usage des biens d’une société commerciale avec une finalité autre que son activité commerciale (le PDG qui paye des bijoux à sa femme avec la carte bancaire de la boîte), et que l’abus de confiance consiste à faire d’un bien qu’on a reçu en vertu d’un contrat un usage autre que celui prévu par le contrat (le président d’une association qui utilise les fonds de l’association à des fins personnelles commet un abus de confiance, pas un abus de biens sociaux puisque l’association loi 1901 n’est pas une société commerciale).
Cette jurisprudence est redoutable puisqu’elle a rendu de fait quasiment imprescriptibles ces délits économiques et financiers. Et précisément, c’est elle qui a permis au procès des emplois fictifs de se tenir (puisque le pot aux roses n’a été découvert qu’en 2001, quand la mairie de Paris a basculé à gauche, le successeur de Jacques Chirac n’ayant pour sa part mystérieusement rien remarqué de suspect dans les comptes). Certes, son principe ne peut que réjouir les amateurs de morale publique, dont je suis, mais il est vrai qu’elle navre les amateurs d’égalité devant la loi, dont je suis aussi, qui ont du mal à comprendre que le gérant d’une épicerie qui oublie de payer la canette de coca qu’il boit quand la soif le saisit soit traité plus durement que celui qui aura frappé son conjoint (prescription du délit de violence de trois ans à compter de l’impact).
Et si j’en crois l’article du Monde précité, c’est à cette règle que s’attaque la QPC du Bâtonnier Le Borgne.
Auquel cas j’avoue être dubitatif sur ses chances de succès. Non pas que je mette en doute le talent du Bâtonnier Le Borgne. Je l’ai ouï plaider et en demeure à jamais impressionné. Non, l’obstacle est extérieur et me paraît double.
Tout d’abord, la QPC, si le tribunal estime qu’elle est pertinente, nouvelle et sérieuse, ira subir l’examen sourcilleux de la Cour de cassation. Or il n’échappera point à la Cour du Quai de l’Horloge que cette QPC est une attaque frontale et directe de sa jurisprudence aussi ancienne que constante. Au-delà de sa susceptibilité naturelle, elle pourrait être encline à penser qu’un assaut sur cette redoute manque du caractère sérieux exigé par la loi, et la bouter hors céans (désolé, dès que je parle de la Cour de cassation, je ne puis m’empêcher d’user de terme de vieux français).
Mais surtout, le problème majeur est que cette jurisprudence, comme son nom l’indique, n’est que cela : une jurisprudence. C’est-à-dire une interprétation de la loi. Or la QPC ne permet que d’attaquer une disposition législative, visant à son abrogation. Certes, le Conseil, au cours de sa première année d’examen de jurisprudence, a déjà pris en compte à trois reprises l’interprétation d’un texte de loi par la jurisprudence pour en juger de la constitutionnalité (c’est ce qu’on appelle la doctrine du droit vivant, je vous renvoie à l’excellente thèse de Catérina Severino de 2003, publiée aux éditions Economica, qui portent mal leur nom vu le prix de leurs ouvrages).
Mais ici, aucun texte de loi ne dit que le point de départ de la prescription des délits clandestins (concept qui ne figure dans aucun texte de loi non plus, s’agissant là aussi d’une invention jurisprudentielle, que l’on peut aussi appeler prétorienne) est repoussée au moment de la découverte du délit. Il s’agit d’une exception jurisprudentielle à un texte de portée générale, l’article 8 du Code de procédure pénale, qui pose la règle de prescription triennale en matière de délits.
Or une jurisprudence judiciaire ne s’attaque pas devant le Conseil constitutionnel, mais devant la Cour de cassation, qui peut se laisser convaincre de changer d’avis (cela s’appelle un revirement de jurisprudence, et cela arrive, non pas fréquemment, mais régulièrement, et met les juristes dans un état d’excitation à la limite de l’indécence). J’ai du mal à imaginer une décision décidant d’abroger l’article 8 du Code de procédure pénale parce que la Cour de cassation en a une interprétation discutable sur un point précis.
Comme vous le voyez, le débat juridique s’annonce passionnant, les deux positions ayant de solides arguments, et ses conséquences peuvent être considérables (en cas de succès, ce sera la plus grande amnistie en matière de délits économiques et financiers de l’histoire).
Je vous tiens au courant.
Mise à jour 23h00 : sur ce billet, vous trouverez la reproduction intégrale des deux QPC déposées par mon VBBA.
Le peuple de Berryer, entré librement sans réservation possible, inconscient de la tragédie qui va se jouer, devise gaiment en se demandant combien de retard aura la Conférence ce soir. Une voix s’exclame : « Faites entrer l’invité ! »
Soudain, 13 personnes, 7 hommes, 5 femmes et un roux font irruption dans la salle des Criées.
Le Quatrième s’exclame avec une mâle assurance “Peuple de Berryer, voici monsieur Christophe Hondelate !” déclenchant aussitôt un tonnerre d’exclamation.
Ils prennent place sur la tribune qui fait face au public. L’invité d’honneur ôte sa veste en cuir.
Matthieu Hy, Quatrième Secrétaire, et d’après plusieurs témoins l’instigateur de cette étrange cérémonie, gratifie le public d’un portrait cocasse de l’invité, goguenard sous les bons mots et saillies du 4e secrétaire.
Deux candidats se lèvent chacun leur tour pour traiter les sujets suivants :
- Faut-il faire entrer la cousine ?
- Peut-on sortir debout des Assises ?
Quand soudain…
c’est le drame.
Tous les deux vont être sau-va-ge-ment et impitoyablement mis en pièces par les 12 psychopathes, sous les yeux impuissants. De l’invité et les cris de joie. Du public.
Et l’horreur ne s’arrête pas là.
À peine la scène d’horreur vient-elle de se terminer qu’une personne dans le public se lève et va froidement, méthodiquement, massacrer à son tour les 12 Secrétaires, tandis que le public, coup de théâtre, va se retourner contre eux et acclamer leur bourreau.
Les enquêteurs, arrivés sur les lieux, déclareront horrifiés avoir retrouvé des fragments d’ego coincés jusque dans les lustres. L’instruction révélera que les victimes étaient, détail incroyable, volontaires, et ont pu à cette fin contacter monsieur Matthieu Hy, Quatrième secrétaire, en lui écrivant un mail à hy.avocat\(at]gmail.com.
À bientôt pour un nouveau numéro de Faites entrer la Berryer.
Ce billet, écrit à 18:55 par Eolas dans la catégorie La vie du palais
a suscité :
Les vacances scolaires sont toujours propices à lire un peu plus que la moyenne. Ajoutez à cela un abonnement en salle de sport qu’il convient de rentabiliser, malgré un corps déjà sculpté à l’image de celui d’un dieu grec, et vous aurez une occasion supplémentaire de dévorer quelques ouvrages en plus (j’adore faire du vélo en lisant, mais d’un pur point de vue sécuritaire, il vaut mieux pratiquer en salle…).
Je viens d’enchaîner un essai et un roman, dont les rapports avec ce blog ne vont pas vous échapper. Le premier d’entre eux s’appelle “Le Justicier”. Ecrit par Dorothée Moisan, journaliste, il rapporte l’histoire des rapports difficiles[1] entre le président de la République et l’institution judiciaire. Je pensais ne pas y trouver grand chose que je ne sache déjà, et j’ai été agréablement surpris. Encore qu’agréablement ne soit pas vraiment le terme lorsque l’on se rend compte :
1°/ que le mépris du chef de l’Etat, censé être le garant de l’indépendance de la magistrature, pour cette dernière, ne date pas d’hier, et est encore bien pire que ce que j’imaginais. Il est d’ailleurs entouré de magistrats qui eux-mêmes estiment que le reste de la magistrature de vaut pas tripette. Venant pour certains de “collègues” qui n’ont quasiment jamais exercé en juridiction, cela me laisse assez indifférent. Par contre, lorsqu’il s’agit de personnage de la trempe d’un Philippe Courroye, je dois avouer que cela me perturbe. Comment quelqu’un qui s’est forgé une réputation de magistrat intègre lorsqu’il était au siège a-t-il pu à ce point tomber dans les travers d’éventuels conflits d’intérêts multiples (remise de médaille par l’exécutif, dîners à domicile avec des parties potentielles à une enquête en cours, mainmise sur de multiples affaires politico-financières sans saisine d’un juge d’instruction…) une fois passé au parquet, contre l’avis du Conseil Supérieur de la Magistrature, soit dit en passant ?
Le mépris du président de la République semble d’ailleurs porter sur l’ensemble des corps dits “intermédiaires”. Le Canard Enchaîné de cette semaine rapporte ainsi les propos présidentiels tenus le 21 février suite à la crise au Maghreb. Selon le bien informé palmipède, Nicolas Sarkozy se serait allé à cette belle envolée : “C’est vrai, les diplomates n’ont rien vu venir. Ce n’est pas la première fois. Je n’ai d’ailleurs jamais aimé les diplomates ni les magistrats (il faudra que quelqu’un m’explique le rapport…), ce n’est pas ma culture. Moi, j’aime les préfets et le flics (sic). Les magistrats et les diplomates vivent comme leur corps, repliés sur eux-même et pas assez en phase avec la société qu’ils cotoient.”
N’habitant dans aucun palais de la République, mais dans une modeste maison individuelle avec femme, enfants, chien et poisson rouge, dans une petite ville où j’ai effectué l’essentiel de mon cursus scolaire, le reste s’étant fait à la faculté la plus proche, fréquentant cinéma, clubs de sport, et associations sportives, et d’autres activités encore dans ma ville, participant comme tout un chacun aux réunions parents-professeurs, vous comprendrez que je vois difficilement comment être plus en “phase avec la société”. Ceci étant, je suis tout prêt à apprendre de la part de quelqu’un qui n’est jamais sorti des Hauts de Seine que pour se rendre à Paris, au Fouquet’s ou encore sur des Yachts pour les vacances, quand je dois me contenter d’une petite location saisonnière…
2°/ que le garant de l’indépendance de la magistrature a su mettre en place un véritable réseau d’affidés dans la haute magistrature, qui a pu lui rendre quelques menus services ces derniers temps. Je ne doute pas qu’en cas de changement de majorité, le “spoil system” reprendra ses droits, mais tout cela resta tout de même assez inquiétant.
Une nuance, malgré tout. Les critiques du livre sur la mainmise élyséenne sur l’institution judiciaire souffre une seule atténuation, mais de taille. Cette mainmise, réelle à mon sens, n’existe que pour quelques juridictions, et dans le cadre de leur fonctionnement, pour quelques dossiers. C’est déjà beaucoup trop dans une société démocratique, mais cela ne doit pas faire oublier que dans l’immense majorité des autres tribunaux, et pour l’immense majorité des autres dossiers, dont le pouvoir se moque comme de l’an 40, l’institution fonctionne hors de toute intervention politique. En quelques années de fonction, n’ayant quasiment jamais eu à traiter de dossiers dit “sensibles”, je n’ai jamais eu a sentir le poids d’une quelconque intervention politique, et je pense avoir toujours pu faire mon travail en mon âme et conscience.
Le deuxième livre dont je voulais parler est un roman sans grand rapport. Il s’agit de “Faute de preuve”, d’Harlan Coben. Les amateurs de polar ne peuvent que le connaître, particulièrement sa série des Mayron Bolitar, que personnellement, j’adore. Harlan Coben a l’art et la manière de construire des intrigues à tiroir, assez complexes, ce qui peut parfois d’ailleurs faire sa faiblesse, en terme de crédibilité.
Ce livre, dont je ne vous narrerai bien sûr pas la fin (sauf vengeance anti-troll), porte globalement sur des accusations portées contre trois personnes, dont une est accusée de pédophilie. Or, l’homme qui supporte cette accusation, relaxé suite à un problème procédural, finit par subir les foudres du père d’une victime, par ailleurs Marshall à la retraite. Du moins semble-t-il.
Un passage dans le livre m’a particulièrement intéressé. Le mis en cause du meurtre du “présumé pédophile”, dont soit dit en passant on ne retrouve pas le cadavre, est interrogé par la police, sur la base d’un témoignage direct (je vous passe les détails, ce serait trop complexe, et sans intérêt pour la suite). Outre le fait qu’il est assisté d’une avocate genre Pittbull, qui parle intégralement à sa place lors de sa “garde à vue”, c’est surtout la suite qui m’a intéressé. En effet, malgré le témoignage direct du témoin indiquant l’avoir vu faire feu à bout portant sur la victime, et après la brillante démonstration du ténor du barreau sur la légèreté des charges contre son client (c’est vrai, quoi, on ne retrouve que le sang de la victime dans son véhicule, un témoin le voit tirer sur la victime, contre laquelle il éprouve une légère rancoeur dont nul ne pourrait le blâmer), le mis en cause est relâché sans aucune autre procédure d’ordre judiciaire.
Ce qui m’a particulièrement interpellé, c’est que des histoires de meurtre sans cadavre, avec des charges que l’on peut discuter, nous en avons connu un certain nombre en France, la dernière d’entre elles étant celle de ce professeur toulousain, finalement acquitté. Et je me suis fait la réflexion que dans notre système, notre bon vieux Marshall à la retraite aurait terminé en détention provisoire, malgré ses (molles) dénégations.
Je ne pense pas que ce soit un problème de procédure, mais plus de mentalité. Les américains, de par leur histoire, privilégient la liberté de l’individu sur la défense de la société. Notre société tend plutôt vers l’inverse, et les déclarations intempestives visant la recherche de coupable avant tout ne fait rien pour arranger les choses. Je ne pense pas que toutes les procédures du monde pourront chez nous suffisamment limiter la détention provisoire, tant que le public n’acceptera pas qu’un “présumé coupable” puisse attendre son jugement en étant libre, comme cela est pourtant le principe.
Deux livres en plus des affaires de ski, ça n’est quand même pas grand chose, surtout lorsqu’ils font réfléchir en plus de vous distraire. Alors bonne lecture !
À la suite de la mort de la jeune
Lætitia le 19 janvier dernier à Pornic (Loire-Atlantique), mort
dont est soupçonné Tony Meilhon, la Chancellerie a ordonné deux
enquêtes administratives sur le fonctionnement global du service
assurant le suivi des condamnés (qu’on appelle le Service
Pénitentiaire d’Insertion et de Probation, SPIP) et de
l’application des peines au sein du tribunal de grande instance de
Nantes et plus spécifiquement le traitement du dossier de Tony
Meilhon.
Pourquoi deux enquêtes ? Parce que
l’exécution des peines relève à la fois de l’administration
pénitentiaire (qui gère les SPIP) et de la Justice (Parquet de
l’exécution des peines, Service d’Application des Peines (SAP)
composé de juges de l’application des peines (JAP), qui relèvent
de deux Directions Générales différentes au sein du ministère,
souvenir du temps où la Pénitentiaire relevait du ministère de
l’intérieur.
Ces deux rapports, que vous trouverez
reproduits intégralement en annexe au grand dam de ma bande
passante, sont riches d’enseignement.
Je vais d’abord vous en faire une
synthèse, avant de vous faire part, pour ceux que cela intéressera,
de mes commentaires.
Un petit mot néanmoins avant cette
plongée dans les rouages de la justice. Je vous rappelle que je suis
avocat. C’est à dire que je suis indépendant, farouchement
indépendant ajouterais-je même. J’exerce en profession libérale.
Je ne vis que des honoraires que veulent bien me verser mes clients.
Je n’ai rien dans mon bureau que je n’aie payé de ma poche
(hormis quelques cadeaux faits par des clients satisfaits, qu’ils
en soient remerciés), ce qui inclut les murs l’entourant. Je ne
dois rien au ministère de la justice (j’aimerais pouvoir en dire
autant de celui du Budget), je suis extérieur à l’administration
de la justice, et en aucun cas les magistrats et les Conseillers
d’Insertion et de Probation ne me considèreront comme l’un des
leurs. Je suis là pour les aider à décider, étant auxiliaire de
justice, mais je suis en tout premier lieu solliciteur au nom de mes
clients. Inutile donc pour certains esprits chagrins qui voudront
faire coller les faits à leurs préjugés sur cette affaire de
tenter de disqualifier les propos que je pourrais tenir semblant
défendre les services concernés face à des anomalies constatées
en les affublant du cliché commode de « corporatisme ».
Pour qu’il y ait corporatisme, il faut qu’il y ait identité de
corps, et le fait que nous portions tous une robe noire (similaire
pas point identique) ne suffit pas à créer une quelconque
connivence. Nous passons plus de temps à nous engueuler qu’à
boire ensemble, sauf sur ce blog bien sûr.
Néanmoins, nous partageons une haine
commune pour l’injustice. C’est elle seule qui m’animera dans
mes commentaires.
La triste histoire judiciaire de Tony Meilhon
Les deux rapports ayant été écrits
séparément reviennent tous deux sur la trajectoire judiciaire de
Tony Meilhon. Beaucoup d’informations, parfois contradictoires
ayant circulé là-dessus, un rappel des faits sera éclairant. Et
déprimant, surtout pour les lecteurs extérieurs au monde
judiciaire, car des trajectoires comme celle-là, on en a tous vu, et
même des pires.
Tony Meilhon est né le 14 août 1979.
Son casier judiciaire mentionne 13 condamnations. Les voici, étant
précisé que je n’ai que la date des condamnations et non celle
des faits, qui peut expliquer que des condamnations postérieures à
des faits identiques ne soient pas en récidive.
1. Le 15 mai 1996 (à l’âge de 16
ans), 3 mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve pendant 3
ans pour vol aggravé et conduite sous l’empire d’un état
alcoolique. Ce sursis a été totalement révoqué le 4 décembre
1996.
2. Le 29 avril 1997 (17 ans), 4 mois
d’emprisonnement avec sursis pour vols aggravés. Ce sursis simple
n’aurait pas dû être prononcé du fait de la condamnation
précédente.
On passe ensuite, sauf mention
contraire, aux juridictions pour majeurs.
3. Le 13 mars 1998 (18 ans), 6 mois
fermes pour vol aggravé. J’ignore pourquoi la récidive n’a pas
été visée.
Le 8 août 1999 (18 ans), il est
incarcéré en détention provisoire pour des faits de viol,
agression sexuelle et violences avec armes (cf. condamnation n°5).
4. Le 22 juin 2000 (20 ans), 6 mois
fermes pour évasion par violence.
5. Le 9 mars 2001 (21 ans), la cour
d’assises des mineurs l’a condamné à 5 ans dont 1 an avec
sursis et mise à l’épreuve d’une durée de 3 ans pour des faits
de viol, violences aggravées, agression sexuelle. Ces faits ont été
commis en détention dans un établissement pour mineurs, sur la
personne d’un détenu pour des faits de viol. Tony Meilhon a
expliqué les avoir commis pour « punir » ce détenu, ces
faits là le dégoûtant. Il estimera du coup avoir été injustement
condamné et en concevra une profonde colère. Détail important :
cette condamnation apparaît de manière erronée au casier comme
« réputée non avenue », c’est à dire comme si le
délai d’épreuve était terminé. Or la détention suspend le
délai de mise à l’épreuve. J’y reviendrai, c’est un élément
essentiel du dossier.
6. Le 30 avril 2002 (22 ans), 6 mois
fermes pour vols aggravés en récidive, violences aggravées en
récidive et dégradations volontaires. Il s’agit de sa première
condamnation en récidive.
Le 3 avril 2003, la cour d’appel de
Rennes rejette sa demande de confusion de cette peine avec sa
condamnation criminelle : il devra les purger successivement.
Il est libéré le 31 mai 2003, en fin
de peine. Il a alors purgé ses condamnations à du ferme, et doit
rester suivi dans le cadre de la mise à l’épreuve de la
condamnation n°5. Ils est bien reçu par le juge d’application des
peines dans les 5 jours, comme la loi le prévoit, mais celui-ci n’a
pas pu retrouver les obligations auxquelles Tony Meilhon était tenu
(il n’y avait pas d’obligation de soins, ce qui est rare pour des
faits de viol). Le juge lui a dit qu’un CIP prendrait contact avec
lui, mais ça n’a pas eu lieu, puisque dès le 31 août 2009, Tony
Meilhon était à nouveau incarcéré pour des faits criminels (un
braquage, cf. condamnation n°7). Vous allez voir qu’il n’est pas
resté inactif en liberté.
7. Le 22 juin 2005 (25 ans), la cour
d’assises le condamne à 6 ans de prison pour vol avec arme et
recel de vol. C’est sa seconde et dernière condamnation criminelle
à son casier.
8. Le 27 janvier 2006 (26 ans), 7 jours
de prison pour outrage à une personne dépositaire de l’autorité
publique (un surveillant de prison).
9. Le 11 décembre 2007 (28 ans), 6
mois de prison ferme pour refus d’obtempérer (c’est un délit
routier : la police vous fait signe de vous arrêter, vous continuez
nonobstant).
10. Le 20 décembre 2007, 2 mois de
prison pour menaces envers un magistrat (faits commis en détention).
11. Le 22 janvier 2008, 6 mois de
prison et 150 euros d’amende pour refus d’obtempérer, conduite
sans permis, défaut d’assurance, violences légères (moins de 8
jours d’incapacité temporaire de travail).
12. Le 26 mars 2008, 8 mois de prison
pour évasion (faits commis en détention, par définition).
13. Enfin, le 30 juin 2009, 1 an de
prison dont 6 mois avec sursis et mise à l’épreuve pendant 2 ans
pour outrage à magistrat en récidive (un juge des enfants). Faits
commis en détention. C’est sa deuxième et dernière condamnation
en récidive légale.
Il a été libéré en fin de peine le
24 février 2010, son temps de détention ayant été rallongé de 6
mois et 15 jours en raison de problèmes disciplinaires (retraits de
crédits de réduction de peine, pour les techniciens).
Du fait de sa condamnation pour des
faits de viol, il a été inscrit au Fichier Judiciaire des Auteurs
d’Infraction Sexuelle (FIJAIS), ce qui l’obligeait à déclarer
son adresse à la sortie. Comme il ne l’a pas fait, une alerte est
lancée le 9 septembre 2010 et transmise au commissariat de Nantes,
qui l’ recherché recherche en vain. Le parquet de Nantes, informé
de ces vaines recherches, le fait inscrire au fichier des personnes
recherchées en émettant un mandat de recherche le 4 janvier 2011.
Ce n’est donc pas sa mise à l’épreuve qui est à l’origine de
ces recherches, je vais y revenir.
Le 19 janvier 2011, sa route croisait
celle de Lætitia Perrais.
Premier commentaire sur ce point.
On ne peut pas soutenir sérieusement
que la justice a été laxiste ici. Sur les 11 dernières années,
Tony Meilhon a été libre 3 mois, du 31 mai au 31 août 2003, outre
deux brèves périodes d’évasion, du 16 décembre 1999 à début
2000 et du 11 janvier 2007 au 18 avril 2007, qui ont rallongé sa
détention de 14 mois. Il a été condamné à de la prison ferme et
incarcéré dès sa minorité, ses sursis ont tous été révoqués,
toutes ses peines de prison ont été mises à exécution, les
confusions de peine refusées, et les condamnations sont
objectivement sévères, particulièrement la dernière pour outrage
à magistrat : un an de prison pour outrage, c’est le maximum
encouru pour le délit simple. Il est d’ailleurs intéressant de
relever que les deux cours d’assises, avec jurés populaires, sont
loin d’avoir fait preuve de sévérité : 5 ans sur 15 encourus, et
6 ans sur 20 encourus. Un beau thème de réflexion pour un projet de
réforme récent.
Les assoiffés d’enfermement pourront
constater que la prison n’a pas empêché plusieurs passages à
l’acte.
Tony Meilhon en prison
Le rapport de la Pénitentiaire s’est
intéressé au déroulement des deux dernières périodes de
détention.
On apprend ainsi qu’il a toujours été
demandeur d’un suivi psychiatrique, et que chaque fois qu’il a
été mis en place, ce suivi a donné des résultats.
Ainsi, lors de sa première
incarcération, Tony Meilhon a demandé ce suivi car « j’avais
la haine en moi par rapport à ma condamnation en cour d’assises
qui est une erreur de justice. » Il admet que ce suivi a
été efficace « en ce sens que je n’ai pas été me
venger de quoi que ce soit à ma sortie ». Ce sont ses
mots, recueillis en septembre 2003 dans le cadre de l’instruction
pour braquage. Pour comprendre le travail à accomplir, il convient
de préciser qu’il reconnaît parfaitement avoir forcé son
co-détenu à lui pratiquer une fellation. Et pourtant, dit-il
« J’étais innocent de ces faits d’agressions sexuelles
sur mineur. (…) Ça se fait souvent des choses comme ça en prison.
J’étais mineur en prison avec un mineur qui avait fait un viol et
moi je ne supporte pas ces gens là. Je ne suis pas un violeur, je
suis un voleur ». Voilà
l’échelle des valeurs en prison : les criminels sexuels sont des
« pointeurs », des moins que rien, des souffre-douleurs
qui n’ont que le droit de subir. Les violer n’est pas un viol
mais une juste vengeance. Je me demande ce qu’on pouvait espérer
de cette éducation républicaine.
Au cours de sa
deuxième incarcération, Tony Meilhon a demandé un suivi
psychiatrique, qui a d’abord été effectué par un infirmier
psychiatrique d’octobre 2003 à mi 2005, sans résultat probant (6
sanctions disciplinaires, dont 4 violences sur co-détenu, et une
menace à surveillant). En février 2006, un psychiatre le prend en
charge, effet immédiat. Comportement satisfaisant en détention, il
travaille et n’a plus d’incident disciplinaire sauf un en parloir
avec sa compagne, mais l’enquête conclura que l’agresseur était
la compagne et l’incident sera sans suites. Face à cette évolution
positive, le Conseiller d’Insertion et de Probation qui le suit émet
même un avis favorable à une semi-liberté pour préparer sa sortie
prévue alors un an plus tard en décembre 2007. Tony Meilhon a
d’ailleurs demandé à plusieurs reprises que son suivi
psychologique continue à l’extérieur, et a exprimé le souhait
que ce soit le même praticien qui le suive.
Mais au cours d’une
permission de sortie en janvier 2007, il ne regagne pas son
établissement, à la suite d’un incident avec son fils, incident
qui n’est pas détaillé dans le rapport. Il est rattrapé en avril
et tout le projet de préparation de sortie est abandonné, 6
nouvelles peines venant par la suite s’ajouter à celles qu’il
effectue. Son suivi psychiatrique a continué, sur la base d’une
consultation par mois, jusqu’à sa libération. D’ailleurs, le
jugement n°13 qui l’a condamné à 6 mois fermes et 6 mois avec
sursis mise à l’épreuve avait prévu une obligation de soin
visant expressément la poursuite de ce traitement.
Les dysfonctionnements
Les deux rapports
vont analyser, chacun en ce qui les concerne, les deux services qui
ont été, légalement du moins, en charge du dossier de Tony Meilhon
après sa libération. En effet, les deux rapports coïncident pour
estimer que la prise en charge de Tony Meilhon en détention a été
satisfaisante.
Voyons d’abord ce
qui aurait dû se passer, avant de voir pourquoi ça ne s’est pas
passé du tout.
Tout détenu libéré
ayant une mise à l’épreuve à effectuer est affecté à un juge
d’application des peines chargé du suivi de cette mesure, mesure
qu’on appelle « en milieu ouvert » par opposition au
« milieu fermé », la détention. Il peut déléguer ce
suivi au SPIP. Alors qu’avant 2005, cette convocation était
obligatoire (Tony Meilhon a bien été convoqué par le juge
d’application des peines lors de sa libération en 2003), elle est
devenue facultative, la notification des obligations se faisant
désormais lors de la condamnation. Ce qui est une économie stupide
de bouts de chandelles : certes, on allège la charge de travail des
juges d’application des peines, ce qui dispense d’en nommer
d’autres, mais espérer qu’un condamné, souvent peu ou pas
instruit, se souviendra d’une phrase compliquée prononcée par le
président après la seule information qui l’intéressait (le
nombre de mois de prison) tient de la fiction. Pour le dossier de
Tony Meilhon, le juge d’application des peines a bien été saisi, et
comme vous allez voir, il a bien saisi l’urgence du dossier et a
donné des instructions en ce sens au SPIP. C’est au niveau de la
courroie de transmission que ça n’a pas fonctionné.
Premier problème : les milieux fermés
et ouverts au sein du SPIP ne communiquent pas. Les dossiers sont
transmis, et c’est tout. Le Conseiller d’Insertion et de Probation
de la prison n’a pas signalé à son collègue du milieu ouvert que
le dossier Meilhon était à surveiller comme le lait sur le feu. Il
y avait des annotations au dossier ; encore fallait-il qu’il fût
lu. Un logiciel, APPI, a été mis en place depuis 2004, est censé
permettre un suivi en réseau, le dossier informatique étant
accessible par les Conseiller d’Insertion et de Probation des milieux
fermés et ouverts et par le juge d’application des peines. Le
rapport se contente de constater que ce logiciel n’est pas utilisé
« de manière optimale » sans s’étendre sur ces
raisons. Mon esprit mal tourné me conduit à penser que tout ce que
l’Inspection Générale préfère passer pudiquement sous silence
met plus en cause la Chancellerie que les services locaux. Genre
logiciel inadapté ou buggé, ou pas d’ordinateurs capables de le
faire tourner…
Deuxième problème : Le sous-effectif
du SPIP – milieu ouvert. Les affectations de Conseiller d’Insertion
et de Probation ont clairement favorisé le milieu fermé. Ainsi, les
3 Conseiller d’Insertion et de Probation nommés à Nantes en 2010
ont été affectés au milieu fermé, et deux agents du milieu fermé
ont été affectés au milieu ouvert : un à temps partiel de 80% et
un élu syndical bénéficiant d’un détachement syndical de 70% de
son temps de travail. Résultat : le SPIP milieu ouvert de Nantes
avait 16,5 agents en comptant les temps partiels, alors qu’il était
censé en avoir 21, chiffre qui était déjà en deçà des besoins
réels. À cela s’ajoute les absences des agents pour maladie
(522,5 jours de congé maladie ordinaire, 238 jours de congé longue
maladie, 3 agents cumulant à eux seuls 616 de ces 760 journées, 81
jours de congé longue durée, 8 jours d’absence pour garde
d’enfant et 245 jours de congé maternité). Ce qui fait sauter
1094,5 jours de travail sur l’année 2010, ce qui est considérable
: cela fait presque un tiers de la capacité de travail du service
(31% contre 6,8% en moyenne nationale). Le service ne pouvant faire
face à sa charge de travail, on en aboutit au troisième problème.
Troisième problème : le stock de
dossier non affecté. Le directeur du SPIP en poste de 2007 à 2009 a
pris l’initiative de créer un stock de dossiers non affectés à
un Conseiller d’Insertion et de Probation pour alléger d’autant la
charge de travail de ceux-ci. Il s’agissait dans son esprit d’une
solution temporaire pour rattraper le retard du service. Ses
successeurs n’ont pas réussi à le résorber. Ce stock de Sursis
avec Mise à l’Épreuve non affectés, de 611 dossiers en janvier
2011 contre 357 un an plus tôt) était constitué sur des critères
assez précis, tenant en compte la nature de l’infraction,
l’existence d’une ou de deux mises à l’épreuve (la loi ne
permet pas plus de deux mises à l’épreuve), et le comportement en
détention. Le directeur du SPIP a donc eu en main le dossier
Meilhon, et a rapidement (l’examen a été très bref) décidé de
le non-affecter car la détention était pour des faits d’outrage,
il avait un domicile et une couverture sociale, ainsi qu’un projet
professionnel, et son évolution en détention était positive, et
surtout son casier ne mentionnait qu’un seul Sursis avec Mise à
l’Épreuve. Ce qui nous amène au quatrième problème.
Quatrième problème : le sursis réputé
à tort non avenu. La condamnation criminelle pour viol incluait un
sursis avec mise à l’épreuve de 3 ans, j’attire tout
particulièrement l’attention de Philippe Meyer sur ce point, qui
dans l’Esprit Public de ce dimanche manifestait sa surprise qu’une
condamnation pour viol n’ait pas donné lieu à une telle mesure
alors qu’un simple outrage à magistrat, si. Il y a bien eu mise à
l’épreuve, mais parmi ses obligations, toutefois, pas d’obligation
de soin. La Cour a probablement estimé (ses arrêts ne sont pas
motivés) que s’agissant d’un viol punitif, cela ne révélait
pas de perversion sexuelle nécessitant des soins. Le suivi
socio-judiciaire n’était pas possible, les faits remontant à
1997, donc avant la loi de 1998 l’ayant instauré. Mais la détention
suspend de plein droit le délai d’épreuve. Or Tony Meilhon était
détenu lors de cette condamnation et n’a été libre que trois
mois jusqu’à sa libération en février 2010. Le délai d’épreuve
de 3 ans n’a pas pu courir. Mais le casier judiciaire national
n’ayant pas été informé de cette cause de suspension (obligation
qui sauf erreur de ma part incombe au parquet) a naturellement
computé le délai et en 2004 a réputé la peine non avenue. Or si
le SPIP de Nantes avait su qu’en réalité, il y avait 2 Sursis
avec Mise à l’Épreuve en cours, le dossier de Tony Meilhon aurait
été « priorisé » selon les critères de tri des
dossiers.
Du côté des juges d’application des
peines de Nantes, le rapport de l’IGSJ souligne aussi le sous
effectif ancien (3 juges au lieu de 4, qui ont en outre d’autres
fonctions à exercer) et ses conséquences sur les dossiers en
retard. Je vous fais grâce des pages et des pages de jargon
bureaucratique où on apprend, merveilles de la gestion des
ressources humaines, que le tribunal de grande instance de Nantes
était considéré sur le papier comme en sureffectif de 2
magistrats (50 magistrats pour 48 postes) alors qu’en réalité il
en manquait 3 (2,25, mais j’ai pas trouvé la virgule du
magistrat).
Cependant, dans le cas de Tony Meilhon,
cet état de fait n’a pas eu de conséquences, son dossier ayant
été très vite repéré comme prioritaire. Ainsi, il a été
condamné en juin 2009 pour outrage. Le jugement est transmis le 20
août 2009 par l’exécution des peines (le parquet) au juge
d’application des peines qui le reçoit le 3 septembre. Le 18
septembre, le juge d’application des peines, qui connait parfaitement
la politique de non affectation de certains dossiers, note sur le
jugement « saisir SPIP urgent ». Tony Meilhon étant
détenu, c’est le service « milieu fermé » qui reçoit
cette instruction en novembre 2009. Mais lors de la libération de
Tony Meilhon en février, comme on l’a vu, le service Milieu Fermé
s’est contenté de transmettre le dossier au service milieu ouvert,
sans attirer son attention sur l’urgence. Ainsi, la décision de
mise en stock du dossier sera prise un mois après la sortie de Tony
Meilhon alors qu’un traitement prioritaire supposait une
convocation par le SPIP dans les 3 jours de la sortie. En outre, la
fiche informatique du logiciel APPI est renseignée pour indiquer que
le dossier a été affecté à un Conseiller d’Insertion et de
Probation, ce qui était inexact, mais a pu laisser croire au juge
d’application des peines que Tony Meilhon bénéficiait bien d’un
suivi effectif. En outre, la fiche avait été créée le 24 novembre
2004 ce qui était largement en dessous des délais d’enregistrement
habituel vu le retard du service. Cela laissait à penser que le
dossier était bien traité comme prioritaire. Pas de raison de
s’alarmer donc.
Conclusion
Désolé de ce pavé, mais je vous ai résumé 63 pages de rapport
technique. Vous trouverez les originaux ci-dessous. J’ai tenu à
faire ce résumé pour que vous sachiez exactement de quoi on parle,
avec des faits et des dates.
Pour ma part, j’en tire les conclusions suivantes.
Quand on veut trouver un dysfonctionnement, on le trouve toujours,
et quand on le cherche dans des services qui sont dans un état
d’anémie budgétaire depuis des décennies, on n’a jamais à
chercher longtemps. On peut reprocher au juge d’application des
peines de Nantes de ne pas s’être assuré plus avant de
l’effectivité du suivi de Tony Meilhon, malgré tous les signaux
rassurants qu’il avait. On peut reprocher au SPIP de Nantes sa
politique de stock de dossiers non suivis, qui à mon avis existe
dans la plupart des services départementaux (amis Conseiller
d’Insertion et de Probation qui me lisez, confirmez-vous ?). Mais
quand on dit à des services « débrouillez-vous avec ce que
vous avez », peut-on leur reprocher de faire de la débrouille
faute des moyens de pouvoir faire leur travail ? Ces rapports ont le
mérite de pointer des aspects qui peuvent être rapidement améliorés
: la communication entre les services, notamment le milieu fermé et
le milieu ouvert, autrement que par annotations manuscrites sur le
dossier. Je ne sais pas si APPI est l’outil adéquat pour ça, s’il
y a un problème de matériel informatique ou de formation, mais il
est clair qu’en l’état, ça ne marche pas (le rapport relève
qu’il y a une inexplicable différences de 200 dossiers
informatiques qui n’ont pas de dossier physique correspondant). Il
me paraît difficile de reprocher cet absentéisme aux agents du SPIP
faute de plus de renseignements. Le congé maternité est un droit,
les problèmes de santé, une fatalité, que des conditions de
travail stressantes n’arrangent pas. La souffrance au travail n’est
pas l’apanage du privé.
Mais surtout, nous devons nous demander une chose : et si le
dossier de Tony Meilhon avait bien été priorisé, s’il avait fait
l’objet d’un suivi effectif, qu’est-ce qui nous permet
d’affirmer que Lætitia Perrais serait encore en vie ? Quel lien de
causalité établir entre ce défaut de suivi et ce qui s’est passé
— surtout qu’à ce stade on ignore encore ce qui s’est passé.
Regardons les antécédents de Tony Meilhon. Un viol quand il était
mineur, mais qu’il décrit comme étant punitif. Aucun autre cas
d’agression sexuelle, même au cours de ses évasions ou de sa
courte libération où in n’est pas resté inactif point de vue
délinquance. Il est plus condamné pour des délits routiers que
pour des violences, ses récidives concernent des vols et des
outrages. Il n’a objectivement pas le profil d’un meurtrier. Quel
signal aurait dû alerter la justice sur le fait qu’il pouvait tuer
? Rappelons que sa version des faits serait celle d’un accident
mortel, suivi de la dissimulation du cadavre. On peut naturellement
prendre ce récit avec méfiance, mais il n’est pas incohérent
avec ses antécédents.
La Justice doit rendre compte de son action. Jamais aucun
magistrat n’a prétendu à l’impunité pour ses fautes, et le
Conseil Supérieur de la Magistrature ne chôme pas. Mais l’État aussi est comptable de ses choix, et celui de
tenir depuis des décennies la Justice dans une insuffisance totale
de moyens en est un que nous validons à chaque élection. Les
augmentations généreuses qu’agit Éric Ciotti sont largement
surévaluées (72% au lieu de 50% sur 10 ans), et surtout ne tiennent
pas compte des transferts de charges, nombreux depuis l’adoption de
la LOLF (on augmente les crédits et on met à sa charge de nouvelles
dépenses, l’effet est au final nul). Il demeure que ce budget
augmente effectivement, mais à un rythme tel qu’il peine à
combler le retard.
Mais tout comme il serait injuste d’imputer à l’État la
responsabilité de la mort de Lætitia pour faillir à doter la
Justice des moyens décents, car il ne peut être tenu responsable de
comportements individuels, il serait injuste d’imputer à la
Justice la responsabilité de ce fait en prenant prétexte de son
fonctionnement devenu anormal par nécessité.
Addendum : Au moment où je mets ce billet sous presse, j’apprends que le directeur interrégional du SPIP va être relevé de ses fonctions. Il n’est à aucun moment mis en cause dans les rapports. Le Président a promis des têtes, il y en a toujours une qui dépasse.
PS : petit problème avec le rapport de la Pénitentiaire, scanné dans un format trop gourmand en mémoire. Je le mettrai en ligne plus tard.
Ce billet, écrit à 15:20 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit
a suscité :
Comme je n’aurais su dire mieux, je me permets de reproduire ici une lettre ouverte adressée par la CGT Pénitentiaire au Président de la République suite au meurtre de la jeune Laëtitia à Pornic. Cette lettre est consultable sur le site du syndicat, ainsi d’ailleurs que d’autres interventions de la CGT Pénitentiaire dans le cadre de la polémique qui a suivi l’arrestation et la mise en examen de Tony Meilhon.
LETTRE OUVERTE
A
Monsieur Nicolas Sarkozy,
Président de la République
Palais de l’Elysée
55, rue du faubourg Saint Honoré
75008 PARIS
Monsieur le Président,
J’ai pris connaissance du courrier que vous avez envoyé à monsieur le Garde des Sceaux. Je reviens vers vous après vous avoir déjà fait parvenir notre communiqué du mercredi 26 janvier 2011 par l’intermédiaire de votre attachée de presse.
Comme vous, je suis choquée et anéantie, monsieur le Président !
Premièrement, je suis consternée par l’utilisation populiste que vous faites de ce drame, terrible … la mort tragique d’une jeune fille dans des circonstances encore non élucidées et a priori ignobles !
Deuxièmement, je suis vraiment surprise que vous vous intéressiez enfin au crédit ou au discrédit de l’institution judiciaire : « Il me paraît en conséquence indispensable de faire toute la lumière sur ces dysfonctionnements qui portent atteinte au crédit de l’institution judiciaire. »
Surprise, car vous-même avez souvent raillé l’institution judiciaire. Vos déclarations ont souvent remis en cause le professionnalisme des magistrats et des fonctionnaires.
Troisièmement, je suis choquée ensuite par la détermination dont vous faites preuve afin de trouver des coupables : « Vous m’avez indiqué avoir ordonné une enquête administrative interne afin de déterminer avec précision les conditions dans lesquelles cette procédure relative à la mise à exécution d’une peine correctionnelle s’est déroulée et les éventuelles responsabilités qui pourraient être mises en évidence. »
Des coupables, il n’y en a pas chez les fonctionnaires professionnels de la Justice. L’enquête administrative diligentée auprès des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et du tribunal de Nantes ne doit pas faire peser la responsabilité sur des agents qui n’ont pas à la porter … Ce que vous semblez vouloir, monsieur le Président, c’est un responsable à tout prix !
Vous n’êtes pourtant pas sans ignorer, monsieur le Président, que depuis des années, les politiques de casse du service public que vous menez, et plus particulièrement celui de la Justice qui nous concerne ici, sont les vrais responsables. L’inspection générale des services pénitentiaires était venue au SPIP de Nantes, il y a quelques mois. Le manque de moyens conduisant à la mise en place, en concertation avec les autorités compétentes, de la mise au placard des dossiers que le service ne pouvait prendre en charge faute de moyens, était connu ! Cette situation, qui existe dans de nombreux services, a été dénoncée à de multiples reprises.
En novembre 2010, la CGT Pénitentiaire, en mouvement, demandait entre autres, le recrutement de 1000 travailleurs sociaux, conformément à l’étude de l’impact de la loi pénitentiaire ! Madame Michèle Alliot-Marie, Garde des Sceaux, nous avait gentiment dit que le ministère de la justice et l’administration pénitentiaire étaient des privilégiés : pas d’emplois supplémentaires, hormis les 40 recrutements de travailleurs sociaux pénitentiaires pour l’année 2011 !
Sur votre invitation, l’inspection générale des services pénitentiaires a interrogé, à plusieurs reprises, des collègues. Plutôt que de demander des comptes à des agents, faites interroger les responsables de cette politique qui conduit les services à l’asphyxie !
Je peux comprendre votre trouble, lorsqu’en conseil des ministres vous dites : « Que puis-je dire à la famille de Laëtitia ? » … Que pouvez-vous leur dire ?
Tout d’abord, raconter comment vous avez, à cause de votre politique, anéanti les services publics en supprimant des fonctionnaires.
Ensuite, leur expliquer que la politique pénale menée par les ministres obéissant à vos ordres, a engendré une surpopulation carcérale, sans recruter des fonctionnaires supplémentaires tant à l’administration pénitentiaire qu’à la Justice en général. Expliquer comment les juges sont surchargés de dossiers ….
Vous éclairerez la famille sur l’état de la protection judiciaire de la jeunesse où le nombre de fonctionnaires ne cesse de diminuer. Vous pourrez aussi leur dire que les juges pour enfants sont débordés, parfois sans greffier, et que l’Etat ne reverse pas assez d’argent aux collectivités pour qu’elles recrutent des éducateurs pour le suivi des enfants et des jeunes en danger ou en difficultés !
Il n’y aura pas de boucs émissaires !
Alors, après analyse des responsabilités, vous pourrez vous excuser car la famille de la victime doit savoir que les dysfonctionnements de la Justice ne sont pas le fait d’un fonctionnaire d’un SPIP ou d’ailleurs, d’un magistrat, mais que c’est le fait de la défaillance d’un système, celui de l’Etat qui s’est désengagé de ses obligations depuis de longues années, et plus particulièrement depuis votre élection !
Comme vous êtes chef de cet Etat défaillant, vous pourrez leur signifier, que vous portez l’entière responsabilité de la déficience et du dysfonctionnement !
Avec la CGT pénitentiaire, je n’accepterai pas que des professionnels de la Justice paient à la place du pouvoir exécutif, donc du système !
Recevez, monsieur le Président, l’expression de mon attachement à l’ensemble des services publics, bastions et remparts de la démocratie donc de la République française !
Céline Verzeletti,
Secrétaire Générale de la CGT pénitentiaire
Montreuil, le 31 janvier 2011
A titre personnel, je rajouterai ceci :
S’il ne saurait y avoir de hiérarchie dans la douleur de la perte d’un être cher, sans doute en existe-t-il une, très subjective, dans la manière dont cet être vous a été enlevé. Et le drame qui vient de se dérouler en Bretagne fait partie des pires choses qui peuvent être infligées à des parents, frères et sœurs d’une personne que l’on assassine.
Les premiers moments de douleur passés, abrutissants et irréels, la colère prend souvent le dessus, pour tenter de faire face, à défaut de comprendre. Et la recherche de responsabilité est un mécanisme normal du long apprentissage du deuil. Encore faut-il que ce mécanisme ne soit pas dévoyé en vengeance, qui n’est jamais bonne conseillère. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’État moderne a substitué l’institution judiciaire à la vengeance privée.
Si défaillance il y a eu, et s’il faut donc demander des comptes, ne nous trompons pas d’interlocuteur. La récente déclaration interministérielle vantant les mérites d’une inspection qui n’était même pas terminée pendant que l’encre du communiqué séchait déjà ne doit pas faire illusion. Cette déclaration est en tout état de cause proprement étonnante lorsque l’on sait que le Ministère était avisé depuis très longtemps de l’état déplorable des services de l’application des peines, tant au Palais de Justice de Nantes où il manquait un JAP depuis un an, qu’au service pénitentiaire d’insertion et de probation où la surcharge de travail des CIP ne leur permettait pas de traiter l’ensemble des dossiers. Le Ministère savait, et a laissé faire. Donner l’ordre aujourd’hui de ne pas prioriser les dossier est dès lors un revirement qui ne pourra de toute manière pas être mis en œuvre.
La récidive existera toujours. Le genre humain est ainsi fait que l’on ne peut contrôler vingt quatre heures sur vingt quatre un individu décidé à passer à l’acte, même porteur d’un bracelet électronique, qui n’a jamais rien empêché (il suffit d’assister à un débat de révocation d’une mesure de placement sous surveillance électronique pour s’en convaincre). Ceci ne pourra évidemment jamais consoler les proches des victimes, pour qui la perte d’un être cher ne peut évidemment pas se ranger parmi des statistiques, mais nos concitoyens ne doivent pas être dupés par de fausses promesses de risque zéro.
La récidive doit être limitée au maximum. Et ce n’est pas une énième loi qui y parviendra. Pas plus que profiter de la douleur de l’opinion publique ne résoudra le problème. Tout au plus cela rapportera-t-il quelques voix. Mais n’est-ce pas là le sommet du cynisme face à la mort d’une jeune femme ?
cUn petit mot à titre de prolégomènes : je suis actuellement occupé tant par mon cabinet que par ma famille. Tout va bien, mais le rythme de publication des prochaines semaines s’en ressortira forcément. Merci de votre patience, merci à Gascogne d’assurer l’intérim, et ne vous en faites pas, mes autres colocataires sont à l’échauffement mais je sens qu’ils vont bientôt nous écrire des billets formidables.
L’Assemblée nationale a terminé l’examen du projet de loi relatif à la garde à vue. Le scrutin public, sans surprise, aura lieu mardi et le projet (pdf) sera adopté et envoyé au Sénat.
Nous ne sommes pas dispensés de vigilance car il est certain que le législateur facétieux va tout faire pour vider cette réforme de sa substance, ou à tout le moins de s’assurer qu’elle n’ira pas un millimètre plus loin que le strict minimum nécessaire, et encore s’il pouvait revenir quelques centimètres en arrière ce serait encore mieux.
Et ça n’a pas manqué.
La comm’ des anti-droits de l’homme a été la dénonciation du lobby des avocats, dont la seule motivation serait pécuniaire, cette réforme ne visant qu’à nous permettre de nous engraisser sur le dos du contribuable. Bien sûr. Alors rappelons ici que le pénal est l’une des spécialités les moins rémunératrices ; que cette réforme va nous obliger à être disponibles de jour comme de nuit, 365 jours par an, 366 les années bissextiles, y compris les jours fériés. Pour une indemnité qui sera, vous pouvez compter sur l’État, misérable. Franchement, comme lobby, on est plutôt nul.
Alors, comment vos représentant ont-ils considéré vos droits fondamentaux face à l’arbitraire de l’État ? Voilà où on en est.
D’entrée, l’Assemblée, sous couvert du respect des droits de la défense, leur a porté un sale coup. L’article préliminaire du Code de procédure pénale, qui depuis 2000 résume les principes essentiels du procès pénal, disposera que
En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat ou être assistée par lui.
Les avocats devraient applaudir, me direz-vous ?
Non, ils devraient pleurer. Cet article 1er suffit quasiment à lui seul à vider cette réforme de sa substance.
Il a été ajouté in extremis par un amendement du Gouvernement, et reprend la solution d’un arrêt de la chambre criminelle de la cour de cassation du 4 janvier dernier. Dans cet arrêt, la Cour estime que la cour d’appel de Grenoble a eu tort d’annuler des procès-verbaux contenant des déclarations faites en garde à vue sans la possibilité d’être assisté d’un avocat, MAIS ne casse pas l’arrêt puisqu’il a malgré tout déclaré le prévenu coupable : la Cour de cassation estime que cette erreur de la cour d’appel (erreur qui soulignons-le consiste à appliquer les droits de l’homme) a été sans conséquence puisqu’elle a pu s’appuyer sur d’autres éléments que ces déclarations pour prononcer la culpabilité.
L’idée a paru géniale au Gouvernement. Voilà comment sauver toutes les procédures de la nullité, qui devrait être la seule sanction admissible de la violation d’une règle aussi substantielle que les droits fondamentaux reconnus par la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CSDH) : un acte qui les violerait ne devrait pouvoir avoir aucune existence légale, il doit être juridiquement anéanti. Mais non, il suffira que le juge précise dans son jugement que ces déclarations, qu’il aura lues avec le plus grand intérêt, ce qu’une nullité lui aurait interdit, n’ont pas été le seul fondement de son jugement de culpabilité. Michel Vaxès, député (GDR) de la 13e circonscription des Bouches-du-Rhône avait bien déposé un sous-amendement visant à ce que l’adjectif seul fût supprimé, mais ce sous-amendement a été rejeté (40 voix à 22, 2 votes blancs et 514 absents).
Et voilà désormais que la loi a prévu la sanction de l’absence de l’avocat : les déclarations reçues en violation du droit à l’assistance d’un avocat ne pourront être le seul fondement de la déclaration de culpabilité. Dès lors qu’une sanction est prévue et appliquée, le prévenu ne pourra plus dire que ces déclarations reçues en violation des droits de l’homme lui ont causé un grief, et ne pourra en obtenir la nullité. Et quand on sait que la plupart des jugements correctionnels sont ainsi rédigés : « Attendu qu’il ressort des éléments du dossier et des débats à l’audience qu’il y a lieu d’entrer en voie de condamnation », vous verrez qu’il n’y aura même pas besoin de modifier les modèles utilisés par le greffe : les déclarations reçues sans avocat font partie des éléments du dossier ; or le jugement mentionne aussi les débats à l’audience. Donc les déclarations du prévenu n’auront pas été le seul fondement de sa condamnation. CQFD.
Naturellement, la CEDH ne sera pas dupe. Naturellement, cette ruse méprisable entraînera une nouvelle condamnation de la France (Maître Patrice Spinosi, qui est à l’origine de toutes ces condamnations est encore jeune), mais cela prendra du temps, facilement une dizaine d’années. Vous, je ne sais pas, mais moi, j’aime mes droits de l’homme à consommer sur place, pas à emporter pour déguster plus tard.
Entrons à présent dans le détail de cette réforme. Nous ne sommes pas au bout de nos déconvenues.
L’art. 1er donne une nouvelle définition de la garde à vue, qui se veut plus restrictive que l’ancienne. En effet, si l’ancienne est conservée dans sa substance («La garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs»), s’y ajoute les conditions suivantes :
dès lors que cette mesure constitue l’unique moyen de parvenir à au moins un des objectifs suivants : « 1° Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ; « 2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête ; « 3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ; « 4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ; « 5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ; « 6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit.
Là encore, pure poudre aux yeux. Lisez bien. Lisez mieux. Par exemple en ôtant les scories.
La garde à vue peut être décidée dès lors qu’il existe UNE raison plausible de soupçonner qu’une personne a commis un crime ou un délit, dès lors qu’UNE des 6 conditions est remplie, et franchement, rien que la 2° suffit à justifier toutes les gardes à vue, puisqu’elles visent forcément à ce que la personne gardée à vue soit maintenue à disposition du procureur de la République le temps qu’il décide qu’en faire. Soyons clairs : cet article n’apporte RIEN, hormis une clarification des définitions qui de toutes façons figuraient déjà dans tous les manuels de procédure pénale.
Vous avez encore des doutes ? Vous croyez que c’est l’avocat de la défense qui parle, le regard dévié par un prisme déformant ? C’est de bonne guerre, je n’ai jamais caché mon parti pris pour les droits de la défense. Lisons donc la suite : voici venir les garanties du gardé à vue.
Futur art. 62-5. – «La garde à vue s’exécute sous le contrôle du procureur de la République, sans préjudice des prérogatives du juge des libertés et de la détention prévues aux articles 63-4-2, 706-88, 706-88-1 et 706-88-2 en matière de prolongation de la mesure au-delà de la quarante-huitième heure et de report de l’intervention de l’avocat. Le procureur de la République compétent est celui sous la direction duquel l’enquête est menée ou celui du lieu d’exécution de la garde à vue. »
Pardon, comment, que dites-vous ? La CSDH dit «Toute personne arrêtée (…) doit être aussitôt traduite devant un juge» ? Ouvrez un dictionnaire : aussitôt veut dire 4 jours. Quoi encore ? La Cour, dans le célèbre arrêt Medvedyev, a dit que « Le magistrat [qui contrôle la légalité de la privation de liberté] doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public (§124)» ? Bande d’illettrés. Cela veut dire que le procureur de la République est tout à fait apte à contrôler ces privations de liberté. Donc nous nous sommes mis en conformité en ne changeant rien à l’état du droit. CQFD. Hâtons-nous d’en rire, mes amis. Car le meilleur reste à venir.
« Ce magistrat apprécie si le maintien de la personne en garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette mesure sont nécessaires à l’enquête et proportionnés à la gravité des faits que la personne est soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre.
« Il assure la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue.
« Il peut ordonner à tout moment que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou remise en liberté.»
Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier d’alu.
Eh oui, l’Assemblée a, sans rire ni même rougir, confié la sauvegarde de l’intégralité des droits de mon client à son adversaire dans la procédure. Dans un souci d’égalité des armes, je demande à être chargé de la sauvegarde des droits de l’accusation et de ceux de la victime de mon client, y’a pas de raison qu’il n’y ait que les autres qui aient le droit de rigoler.
Notons plus sérieusement que ces proclamations ne sont assorties d’aucun mécanisme concret : l’avocat de la défense, qui vous allez le voir reste un intrus, n’a pas le droit de saisir un magistrat, ou même le procureur, pourquoi pas, il reste un magistrat, d’une demande, ni ne peut exercer le moindre recours contre les décisions du procureur de maintenir une garde à vue. Non seulement on confie la sauvegarde de vos droits à votre adversaire, mais votre avocat ne dispose d’aucun recours. Puisqu’on vous dit que c’est un progrès des droits de l’homme !
Vous allez voir, le festival du rire ne s’arrête pas là. En effet, l’article suivant commence ainsi :
Futur article 63 : I- Seul un officier de police judiciaire peut, d’office ou sur instruction du procureur de la République, placer une personne en garde à vue.
Oui, mes amis, le procureur peut donner l’ordre de vous placer en garde à vue, et aussitôt contrôlera lui-même sa propre décision pour sauvegarder vos droits.On comprend désormais la raison des tests psychologiques à l’entrée à l’école nationale de la magistrature : la schizophrénie est hautement recommandée pour exercer la magistrature debout.
Bon, tout n’est pas à jeter dans cette réforme et ici un petit mais véritable progrès vient se nicher. L’OPJ devra communiquer au procureur de la République la qualification des faits (c’est à dire la nature du délit soupçonné) et si le procureur estime qu’elle n’est pas approprié, la nouvelle qualification qu’il retient devra être aussitôt notifiée au gardé à vue. C’est heureux, car souvent en entretien de garde à vue je réalise que les faits sont incorrectement qualifiés, ou incomplètement, par l’OPJ (un vol est en fait un recel, une escroquerie est en fait un abus de confiance) et je me retrouve face au dilemme d’expliquer à mon client le délit qui lui est reproché au moment où je lui parle, quasi certain que ce délit changera par la suite, ou le briefer sur cette qualification plus exacte mais qui n’est à ce stade que virtuelle, ou le briefer pour les deux au risque de le noyer sous les explications (30 minutes pour devenir pénaliste,c’est court, croyez moi).
De même, la personne gardée à vue se verra désormais proposer le même triptyque que lors de la première comparution devant le juge d’instruction : faire des déclarations, accepter de répondre aux questions ou se taire.
Enfin, l’avis famille devient “fromage et dessert” : le gardé à vue n’aura plus à choisir entre prévenir sa famille ou son employeur, désormais, il pourra faire prévenir les deux.
Reste le meilleur pour la fin, l’intervention de l’avocat.
Le gardé à vue pourra demander à être assisté d’un avocat, choisi ou commis d’office par le bâtonnier.
Et d’entrée, on vire dans le n’importe quoi. Si plusieurs gardés à vue ont choisi le même avocat, le procureur de la République, c’est-à-dire l’adversaire de cet avocat, peut décider de demander au Bâtonnier de désigner un autre avocat pour prendre la place de l’avocat choisi: il suffit que cela empêche une audition simultanée. Et moi, vous croyez que je peux demander un autre procureur sur ce dossier ? Bien sûr que non, voyons. Et ça ne s’arrête pas là.
L’avocat garde droit à un entretien confidentiel de 30 minutes max. UN entretien, la loi est claire (art. 63-4 nouveau). Si vous n’avez pas utilisé vos 30 minutes, vous ne pouvez pas les garder pour plus tard.
Là où on vire à la non conformité pure et simple à la CSDH, c’est quand on lit (art. 63-4-1 nouveau) que l’avocat aura accès aux seuls procès verbaux des déclarations de son client. Vous me direz qu’il était censé être assis juste à côté de lui, mais on ne pense jamais assez aux avocats atteints d’Alzheimer. Par contre, pas droit d’en prendre copie, et pas d’accès aux constatations effectuées par les policiers ou aux dépositions des témoins. Dame ! Si on donne à la défense accès aux éléments à charge, elle pourrait, je ne sais pas, moi, assurer la défense du gardé à vue ? Ce serait la fin d’une tradition nationale remontant à la Sainte Inquisition, et on ne plaisante pas avec l’identité nationale.
Je me permets ici de rappeler ce que dit l’arrêt Dayanan c. Turquie, cité dans l’arrêt Brusco c. France qui a consacré la non conformité du droit français à la CSDH : «la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer.»(§32) Que le législateur m’explique comment je suis censé discuter l’affaire, organiser la défense, rechercher des preuves favorables à mon client et préparer les interrogatoires si on me cache tous les éléments que je ne connais pas et qu’on ne me laisse accéder qu’à ce qui a été dit en ma présence ?
Mais c’était déjà trop m’accorder. Ainsi, si on m’appelle et que je suis en chemin le plus vite que me le permet mon vélo, le procureur de la République (soit, je le rappelle, mon adversaire dans la procédure) peut autoriser l’OPJ à passer outre mon absence et à débuter l’interrogatoire immédiatement.
Damned. Je vais vraiment très vite sur mon vélo. Et si j’arrivais tout de suite ? Pas de problème. Le même procureur de la République (mon adversaire, vous l’avais-je déjà dit ?) peut décider de passer outre le droit à un avocat et dire que décidément, mon client sera bien mieux privé d’un conseil pendant douze heures. Tout en étant garant de la sauvegarde de ses droits, hein, puisqu’on vous dit qu’on est conforme, c’est bordé au cordeau. Cette décision doit être écrite et motivée. On se demande pourquoi, puisqu’elle ne peut faire l’objet d’aucun recours (on se demande par qui, d’ailleurs, puisqu’il n’y a pas d’avocat ; au moins, c’est cohérent). Et si on veut tenir éloigné l’avocat plus de 12 heures ? On peut, mais il faut l’autorisation d’un juge des libertés et de la détention. Autorisation accordée naturellement sans que l’avocat ait pu s’exprimer. À quoi bon, puisque le procureur est le garant des droits de son client ?
Et puis d’ailleurs, parce qu’il n’y a pas de mesquinerie trop petite pour le législateur, le procureur peut aussi décider que l’avocat tenu éloigné 12 heures ne pourra pas non plus consulter les PV d’audition de son client pour prendre connaissance de ce qu’il a dit en son absence (art. 63-4-2 nouveau). Nananèreuh, bisque bisque rage, t’avais qu’à être télépathe.
Bon,voyons à présent le cas où on aura bien voulu permettre à l’avocat d’assister son client (ce devrait être la majorité des cas, mais je trouve proprement insultant qu’on ait prévu tous les moyens à la discrétion du procureur pour nous tenir éloignés).
Eh bien ce ne sera pas encore la joie.
Nos questions seront réservées pour la fin de l’audition ou de la confrontation. Tant pis si on avait quelque chose d’intelligent à dire: dans un commissariat, l’intelligence peut toujours attendre. L’OPJ peut en outre refuser notre question, s’il estime qu’elle nuit “au bon déroulement de l’enquête ou à la dignité de la personne”, ce qui lui laisse une large marge d’appréciation, et de toutes façons, il n’y a pas de recours. Tout au plus nous sera-t-il permis de déposer des observations écrites où nous pourrons faire figurer nos questions refusées, pour avoir un souvenir, sans doute. On retrouve là les conclusions en donner acte de désaccord prévues à l’instruction (art. 120 du CPP).
Mais ce n’était pas encore assez de garanties données aux syndicats de policiers. L’OPJ pourra donc, s’il estime que l’avocat perturbe gravement le bon déroulement d’une audition ou d’une confrontation, demander au procureur de la République (vous ai-je précisé qu’il s’agit de son adversaire ?) de demander au Bâtonnier d’en désigner un autre (art.63-4-3 nouveau). La loi n’a pas encore autorisé l’OPJ a donner un coup de Taser à l’avocat qui souhaiterait poser une question, mais le Sénat y pourvoira surement.
La loi prévoit enfin le droit pour le plaignant de demander l’assistance d’un avocat en cas de confrontation. Fort bien, mais pourquoi pas lors des interrogatoires ? Ah,ça, les victimes, dès qu’il s’agit de mettre la main au portefeuille, l’État les trouve soudain beaucoup moins sympathiques.
Accessoirement, la loi étend la compétence territoriale des OPJ qui pourront agir dans les ressorts des tribunaux limitrophes sans autorisation du procureur même dans les enquêtes de flagrance.
Voilà,vous saurez désormais quoi penser quand vous entendrez déblatérer sur le “lobby des avocats”, et surtout, quand le Gouvernement paradera sous les applaudissements du Parlement en vous disant qu’il veille sur vos droits.
Une fois de plus, il les utilise comme paillasson.
Ce billet, écrit à 01:49 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit
a suscité :
Pour ce qui sera sans doute le dernier prix Busiris de l’année, l’Académie couronne encore un récidiviste, puisque M. Ciotti est honoré de son deuxième trophée.
Et comme pour son premier prix, le récipiendaire montre qu’il a du talent et qu’il est promis aux plus hautes marches du podium. C’est en effet un prix académique, et quasiment auto-suffisant qu’il signe.
Les propos récompensés ont été tenus sur l’antenne de RMC-Info le 22 décembre dernier. Le sujet abordé était celui du projet de loi LOPPSI 2, pour Loi d’Organisation et de Programmation Pour la Sécurité Intérieure 2, puisqu’une première LOPPSI a été votée en 2003 pour nous débarrasser de la délinquance. Avec le succès que l’on sait.
Plus particulièrement, c’était le sujet du funeste article 4 qui était abordé.
Cet article 4 a pour effet d’insérer un alinéa supplémentaire dans le célèbre et imbitable article 6 de la Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique, qui en effet n’en avait sûrement pas assez, alinéa qui disposera, s’il survit au Conseil Constitutionnel (croisons les doigts, chers concitoyens, qu’il y périsse !) :
« Lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs relevant de l’article 227-23 du code pénal le justifient, l’autorité administrative notifie aux personnes mentionnées au 1 du présent I [i.e. les fournisseurs d’accès internet] les adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l’accès sans délai.
« Un décret fixe les modalités d’application de l’alinéa précédent, notamment celles selon lesquelles sont compensés, s’il y a lieu, les surcoûts résultant des obligations mises à la charge des opérateurs. »
Ce que permet cet article, chers amis, est que l’autorité administrative, qui semble devoir être le ministre de l’intérieur, puisse rayer d’un trait de plume un site web “lorsque les nécessités (…) le justifient”.
— Non point me direz-vous, déjà soupçonneux, et c’est ainsi que je vous aime. La loi dit bien “les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs relevant de l’article 227-23 du code pénal le justifient”. C’est donc de la lutte contre la pédophilie dont nous parlons, Sainte Cause justifiant une Sainte Croisade et que diantre, personne ne va aller pleurer sur le sort de webmestres de tels sites.
Certainement pas, en effet. Ce qui me chiffonne et devrait chiffonner tout républicain est que la cause n’est ici invoquée que comme mesure marketing. Car si vous lisez bien le texte, c’est l’autorité administrative et elle seule qui décide de bloquer l’accès à un site qu’elle juge elle même comme contraire à la loi. Et en l’espèce, à la loi pénale. Les FAI ne peuvent qu’obtempérer à l’ordre de bloquer telle adresse. Aucune procédure préalable n’est prévue (et notamment pas d’intervention d’un juge pour s’assurer que le site relève bien d’un délit pénal), aucun recours non plus, si ce n’est le recours en excès de pouvoir de droit commun (qui se juge actuellement en 4 ans à Paris). J’ajoute qu’en outre, cette mesure sera inefficace, puisque le commerce de ces images passe en grande partie par des canaux bien plus discrets qu’un site accessible en tapant une URL (en supposant que l’autorité administrative pense à faire bloquer aussi l’adresse IP du site).
On se souvient que des sites aussi innocents que Wikipedia se sont déjà vus catalogués comme pédophile pour héberger des dessins du domaine public, vieilles d’un siècle.
Par principe, je n’aime pas mettre dans les mains d’un ministre un pistolet chargé avec comme seule garantie la promesse qu’il ne me tirera pas dessus. On s’est assez battu contre les ciseaux d’Anastasie pour les laisser revenir sous un prétexte se voulant vertueux, tellement vertueux qu’il ne serait pas nécessaire de l’assortir de garanties.
Mais revenons-en à notre prix.
À la grande surprise des députés du tout-sécuritaire, l’épouvantail du pédophile n’a marché que modérément, voire pas du tout. C’est le mot censure d’État qui semble avoir retenu l’attention. Et le pauvre Éric Ciotti a dû prendre son bâton de pèlerin pour aller expliquer que non, ce n’est pas de la censure.
Sauf que forcément, comme c’est de la censure (pardon, du filtrage, comme Louis XIV filtrait les livres qu’on pouvait imprimer), il a un peu de mal. Ce qui crée un terrain favorable au Busiris. Il suffisait d’attendre.
C’est donc chose faite avec cette magnifique démonstration. Elle est formidable. Ramassée en moins de trente secondes, l’aberration juridique est manifeste, et a qui plus est le caractère contradictoire qui révèle si souvent le Busiris.
Écoutez vous-même (attention, le son est un peu fort).
Transcription :
Et puis je voudrais dire à M. Zimmermann [Jérémie Zimmermann, Fondateur et porte-parole de la Quadrature du Net, invité ce matin là de RMC - NdA] aussi que consulter des images pédopornographiques relève d’un délit ; c’est un délit pénal. Télécharger des images pédopornographiques, c’est un délit pénal. Émettre des images pédopornographiques, c’est un délit. Donc c’est pour cela qu’on n’a pas mobilisé un juge ; parce qu’on nous fait la critique que le filtrage il sera par une autorité administrative.
Eh oui. Puisqu’il s’agit d’un délit, pourquoi diable mobiliser un juge ? Si on avait besoin d’un juge en matière pénale, ça se saurait. Il y aurait même des tribunaux pour ça.
Rappelons que c’est l’office du juge, et de lui seul, de dire le droit, de qualifier juridiquement, de dire si tel acte est ou non un délit. Seul un jugement peut mettre fin à la présomption d’innocence en disant un délit constitué. C’est là le rôle du pouvoir judiciaire.
Éric Ciotti réussit ainsi, sans échauffement (mais on me dit qu’en fait, il serait toujours chaud), à prendre la raison d’être du juge pour justifier qu’on se passe de lui, piétinant au passage la séparation des pouvoirs. Quand on sait qu’en l’espèce, c’est un député, membre du législatif, qui justifie que l’exécutif empiète sur le judiciaire, on se dit que ce prix Busiris mérite la mention Haute Trahison.
L’opportunité politique est caractérisée par le fait qu’Éric Ciotti est rapporteur du texte à l’assemblée nationale et qu’il a tout à perdre d’un revers, et tout à gagner en associant son image à la politique sécuritaire du Gouvernement. La mauvaise foi est signée par la contradiction du propos, qui vu l’heure matinale a dû être tenu à jeun.
L’Académie pleurant les outrages subis par la liberté, aucune festivité n’accompagnera ce prix. Fleurs et couronnes acceptées.
Ce billet, écrit à 01:18 par Eolas dans la catégorie Prix Busiris
a suscité :
Lucy n'a pas deux fois dix-huit ans, ni même une fois. Lucy est pourtant deux fois mère, déjà. Mère ? Lucy aimerait se dire telle, mais Lucy ne se dit rien de bon de sa vie, ni d'elle. Lucy se dit qu'à douze ans, elle devint femme sous le toit de sa mère qui l'hébergeait, elle et les vingt ans passés de Bruno qui la fit femme et mère en un soir, enfin neuf mois plus tard. Sa mère était contente d'avoir un nouvel enfant, sa petite-fille comme elle ne l'appelait pas.
Lucy crut qu'elle serait à treize ans mieux la mère de sa fille, si elle quittait la sienne et Bruno. Lucy crut qu'elle serait à treize ans mieux la mère de son enfant, quand elle suivit Joris et ses vingt-cinq ans de désoeuvrement embrumé de cannabis et de houblon, les jours où le malt faisait défaut, moins souvent que le lait maternisé. Lucy offrait son sein aux coups de Joris, et sa fille finit par en recevoir d'elle et de lui. Lucy devait « la crier » comme le disait Joris, qui lui reprochait de ne pas savoir l'élever, cette fille qui mange salement à deux ans, cette fille qui crie indistinctement à deux ans, cette fille qui ne marche pas à deux ans.
Lucy avait beau pincer, fesser, frapper, rien n'y faisait, elle n'était pas obéie. Lucy crut Joris ; elle était une mauvaise mère, elle pinça, fessa, frappa, plus fort comme lui faisait. Lucy crut sa mère ; elle était une mauvaise mère, elle pinçait, fessait, frappait, trop fort comme elle le lui reprochait. Lucy se brouilla avec Joris qui la renvoya chez sa mère. Lucy se brouilla avec sa mère qui l'envoya au commissariat de police.
Lucy se dit qu'à seize ans, elle devint adolescente sous le toit d'un foyer qui la recueillit, elle sans sa fille qui, placée chez une nourrice, évita l'emprise des bras trop intéressés de sa grand-mère, soudain si prompte à dénoncer les coups subis, espérant le retour de l'enfant en son giron. Lucy, vierge d'enfance, se prend à rêver de jeunesse, d'amour. Aimée de Johann, elle croit que le fruit nouveau de ses entrailles sera la bénédiction de sa vie neuve de grande fille arrivant à l'âge adulte, à l'âge de devenir mère, non seulement de l'être.
Lucy n'a pas deux fois dix-huit ans, ni même une fois. Mineure, Lucy est donc devant le tribunal pour enfants. Enfant, Lucy aimerait se dire tel simplement, mais Lucy doit aussi se dire mère, cette mère poursuivie pour violences volontaires sur mineure de quinze ans par ascendant. Lucy aimerait sans doute comprendre ce qu'on lui reproche, mais Lucy, enfant-mère à treize ans, n'a pas su retenir ses leçons d'écriture et ne lit qu'à peine. Lucy quitta la salle de sa classe primaire pour celle de travail de la maternité.
Lucy sent bien qu'elle devrait dire des choses. D'autres choses ou les choses autrement. Peut-être, le sent-elle. Mais le sens des mots du tribunal lui reste obscur ou incertain, angoissant même : violence, volonté, intention, discernement, obligation, affection... Le juge, ses assesseurs, le procureur, les avocats questionnent, reformulent les questions ; Lucy ne leur répond qu'avec son absence de mot et l'ignorance des leurs.
Ce billet ne s’adresse qu’à mes confrères du barreau de Paris. Il sera bref.
Pour ceux d’entre vous qui n’ont pas relevé leurs e-mails depuis un mois et ont un fax en panne, je vous informe que demain et jeudi, ce sont les élections au Conseil de l’Ordre. Les autres sont au courant.
Comme je sais que sur les 13 voix que nous avons à donner, on finit toujours par se demander pour qui voter, voire voter au hasard ou voter blanc, je vous saurais gré de porter une de vos voix sur la candidature de notre confrère Abderrazak Boudjelti.
Pourquoi le soutiens-je ? D’abord, parce qu’il ne me l’a pas demandé, mais c’est le cas de l’ensemble des candidats, et je les en remercie, ça m’épargne la peine de refuser. J’ajoute que ce n’est ni un ami, ni un associé, ni même un co-défenseur dans un de mes dossiers. Je l’ai juste rencontré un soir et ai eu le plaisir de discuter avec lui, c’est tout.
Ensuite, parce qu’en tant que président, et je crois[1] membre fondateur de l’association des Avocats pour la Défense en Droit des Étrangers (ADDE), il est impliqué dans une voie du droit qui m’est chère et pour laquelle il y a un vrai, un beau combat d’avocat qui est engagé depuis des années, et dans lequel je suis modestement partie prenante. C’est une association d’entraide et d’échange d’informations et de jurisprudence pertinente entre tous les barreaux de France, pour faire échec au pire ennemi de l’avocat en la matière : l’isolement.
L’ADDE a filé des cauchemars au défunt ministère de l’immigration et de l’identité nationale, notamment en coordonnant au niveau national une riposte judiciaire lors de la tentative de reconduite à la frontière expresse des Kurdes syriens découverts sur une plage corse. Le taux d’annulation a été de 100%, malgré le choix du ministère d’éparpiller lesdits Kurdes dans toutes la France pour tenter de dissimuler une tentative d’expulsion collective, prohibée par le droit international. Pour la petite histoire, je sais que plusieurs de ces familles se sont vues reconnaître le statut de réfugiés par l’OFPRA. C’était vraiment des gens qui fuyaient la persécution que l’administration tentait de renvoyer à leurs bourreaux. Voilà un exemple parmi tant d’autres, sans doute le plus spectaculaire, mais pas la seule victoire, remportée grâce à l’ADDE.
Or il serait bon à mon sens qu’un membre du Conseil de l’Ordre soit aussi impliqué dans les problématiques de la défense d’urgence en droit des étrangers. Dieu sait que les choses peuvent être améliorées, et que des compétences techniques doublées d’une pratique active seraient appréciées. Surtout à la veille d’une nouvelle réforme du droit des étrangers qui nous promet bien des hauts-le-cœur.
Je n’hésite pas à vous demander ce service car je n’en tirerai aucun bénéfice personnel, hormis peut-être une plus grande implication de l’Ordre en la matière.
Voilà, j’arrête de vous emm… avec ces élections qui, courage, sont bientôt passées.
NB : Abderrazak Boudjelti est également candidat mandaté par le Syndicat des Avocats de France. Si vous êtes de droite, encanaillez-vous avec la gauche le temps d’une voix. Personne n’en saura rien.
PS : Inutile de me solliciter pour le 2e tour ou pour l’année prochaine. Je ne compte pas faire de ce type de soutien une habitude.
PPS : Oui, vraiment inutile de me solliciter. Abderrazak Boudjelti a été battu en arrivant 19e pour 13 postes. Punaise, chers confrères, vous déconnez. Vous élisez un membre du COSAL et vous écartez Abderrazak Boudjelti. Tsss…
Notes
[1] Au temps pour moi, le président de l’ADDE est mon confrère Vanina Rochiccioli.
Dernière fusée présidentielle (j’emprunte cette expression à Philippe Bilger, elle est parfaite pour désigner ce genre de fulgurances jaillies de nulle part, qui font dire “hooo” à tout le monde et finissent toujours en fumée) : la création de jurys populaires aux côtés des tribunaux correctionnels mais aussi, là est la nouveauté, au niveau de l’application des peines.
Le sujet a beau être complexe, pour une fois, je vais faire assez court. Cette proposition se heurte à tellement de difficultés concrètes qu’elle a encore moins de chances de voir le jour que la suppression du juge d’instruction, que le changement de garde des Sceaux achève d’enterrer.
Entendons-nous bien. Sur le principe, je n’ai rien contre le jury populaire. Je le pratique assez pour savoir qu’il ne se confond pas avec l’opinion publique, que la quasi totalité des citoyens tirés au sort prend son rôle très au sérieux, et que prendre une décision après une audience judiciaire n’a rien à voir avec écrire un commentaire sur le figaro.fr. Les dérives ne sont pas impossibles, mais elles sont rares, et j’ai moins peur de neuf citoyens tirés au sort que d’un juge unique en matière correctionnelle, car si je tombe sur un exalté, il n’y aura personne pour le tempérer. Qu’on ne me fasse pas le procès d’intention de me méfier du peuple. Si je tiens un blog sur le justice depuis plus de 6 ans, c’est précisément pour rapprocher mes concitoyens de leurs juges.
Ceci étant réglé, matériellement, la réforme sera impossible à mettre en place, pour des raisons pratiques, car elle va à contresens de toute l’orientation de la politique pénale.
Un jury populaire a besoin de temps. Pour comprendre le dossier, pour comprendre les enjeux, pour délibérer à plusieurs, pour voter (car seul un vote secret garantit la sincérité de son opinion). Plaider devant un juge professionnel peut se faire en 5 à 15 minutes sur la plupart des dossiers. Un technicien du droit s’adresse à des techniciens du droit, le vocabulaire est technique et précis, on peut se contenter de citer un numéro d’article pour appuyer un argument de droit. Une plaidoirie d’assises ne peut faire moins de 30 minutes, la durée ordinaire étant plutôt autour de l’heure. Pas tant à cause de la complexité de l’affaire (une cavalerie bancaire est bien plus compliquée qu’un meurtre) mais parce qu’on s’adresse à des Mékéskidis. C’est exactement la même raison qui fait la longueur légendaire de certains de mes billets. Face à des magistrats, un avocat peut sprinter ; face à des jurés, il faut aller les prendre par la main et marcher à côté d’eux tout le long du chemin. C’est très enrichissant ; mais c’est mauvais pour les stats.
C’est antinomique avec la politique actuelle de traitement en temps réel, qui fait des audiences de comparution immédiate surchargées traitant parfois 25 dossiers en un après-midi. Et cette contradiction est irréconciliable. Elle suffit à condamner la réforme.
Mais il y en a d’autres.
La procédure correctionnelle se fonde sur un dossier. Il faut lire les procès verbaux reprenant les constatations des policiers, les déclaration des témoins et plaignant, et bien sûr ne pas lire les déclarations du suspect puisqu’elles sont nulles faute d’assistance d’un avocat. La procédure d’assises, elle, bien que précédée d’une instruction, est orale. Les jurés n’ont pas accès au dossier, seules certaines pièces sont lues, à la demande des parties ou au choix du président. Cela contribue encore plus à la durée des débats. Une telle réforme impose donc de bouleverser la procédure correctionnelle pour en faire une procédure orale. Ce qui implique l’obligation absolue pour le prévenu de comparaître en personne, ce qui n’est pas le cas actuellement, le prévenu peut se faire représenter par un avocat, et surtout implique la comparution en personne des policiers et témoins. En somme, une procédure anglo-saxonne.
Ce n’est pas impossible, puisque ça existe aux Etats-Unis et en Angleterre. Mais ces systèmes reposent sur le fait que seule une minorité des affaires sont effectivement jugées, la plupart étant traitées en plaider coupable, c’est-à-dire par des audiences de distribution de peines très encadrées par la loi.
Bon nombre d’audiences correctionnelles font l’objet de renvois faute de pouvoir être jugées. Déranger des jurés (NB : Partie mise à jour) qui coûtent de l’ordre de 150 euros par jour, pour que l’affaire soit renvoyée va rapidement rendre la mesure impopulaire. Mais ces renvois sont parfois inévitables, car imposés par le droit à un procès équitable (article 6 de la célèbre Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales – CSDH).
Le jury populaire a un coût important. Outre l’indemnisation des jurés, il faut mettre en place le système de tirage au sort, les envois et le suivi des convocations, traiter, au besoin pénalement, le cas des jurés ne répondant pas, et le suivi administratif des indemnités. Les tribunaux accueillant une cour d’assises auront moins de difficultés, mais le nombre de jurés à suivre va sans doute être multiplié par vingt ou trente ; quant aux tribunaux sans cour d’assises (une majorité), ils ne sont tout simplement pas équipés.
Bref, une fois de plus, notre président bien-aimé-sauf-dans-les-sondages risque de se casser le nez face à sa pire ennemie : la réalité.
S’agissant du jury d’application des peines, s’ajoute la technicité aigüe de la matière, peu, trop peu pratiquée par les avocats hélas (il faut dire qu’elle n’est pas rentable financièrement). Il y a d’ailleurs une dizaine d’année encore, c’était une matière purement administrative, à tel point que les décisions de libération conditionnelle des criminels lourdement condamnés relevaient du Garde des Sceaux en personne. Plusieurs réformes ont profondément changé la matière en 2000, 2004 et 2009, il y a un an tout juste, avec la loi pénitentiaire. Vous voyez d’ailleurs la politique de gribouille à l’œuvre une fois de plus. La matière s’est profondément judiciarisée. Un juge d’application des peines ne se contente pas de dire si oui ou non il y a lieu à libération. La décision suit un long processus de préparation d’un projet de sortie : où le condamné habitera-t-il ? Que fera-t-il une fois dehors ? Il y a des expertises médico-psychologiques faisant appel à des notions médicales précises : une personnalité narcissique n’est pas une personne qui aime se recoiffer devant un miroir. Et elle s’accompagne d’obligations liées à sa situation. La loi offre une très vaste panel de mesures possibles. Il faudra que les jurés les connaissent pour statuer en connaissance de cause et puissent le cas échéant les modifier ou en proposer d’autres. Bref, qu’ils soient plus compétents que des avocats. Tenez, allez lire le Code de procédure pénale sur l’application des peines. Ca commence là. Juste la partie législative. Vous en avez dix fois plus dans la partie décrets.
En outre, le critère retenu des criminels condamnés est absurde. La loi répartit actuellement l’application des peines entre deux juridictions, le juge d’application des peines (JAP), statuant à juge unique, et le Tribunal d’application des peines (TAP), composé de trois JAP et siégeant au niveau de la cour d’appel (la plupart des tribunaux de grande d’instance n’ont qu’un seul JAP). La répartition se fait sur le critère de la peine restant à exécuter : le TAP est compétent pour les peines prononcées supérieures à dix ans et dont la durée restant à subir dépasse 3 ans. En dessous, le JAP est compétent, sachant que tout JAP peut décider , face à un dossier délicat, de le renvoyer au TAP pour bénéficier d’une prise de décision collégiale. Déranger des jurés pour savoir si un condamné pour meurtre dans les années 90 devant sortir dans 1 an va bénéficier ou non d’une libération conditionnelle me paraît quelque peu démesuré.
En outre, les praticiens de la matière savent que l’aménagement des peines, et notamment la libération conditionnelle, préparée et encadrée, est le meilleur moyen de lutter contre la récidive (le taux est beaucoup plus élevé pour les libérations “sèches”, en fin de peine et sans encadrement possible, que pour les libérations conditionnelles qui sont suivies et encadrées par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, sous la surveillance des JAP), et qu’il y a pour chaque condamné une fenêtre de tir, un moment optimal où le condamné est prêt pour se réinsérer. La rater en refusant une mesure adaptée peut tout gâcher, car la détention sera dès lors vécue comme injuste et disproportionnée. Or une société injuste ne donne pas envie de s’y insérer. Faire comprendre cela à un jury et le convaincre qu’on y est, que c’est maintenant qu’il faut tenter le coup suppose de lui transmettre une expérience qu’il n’a pas. Le risque de réinsertions gâchées par un jury trop prudent est grand, avec comme conséquence une forte augmentation de la récidive, ce qui n’est pas l’effet recherché.
J’attire d’ailleurs votre attention sur la plus grande erreur commise ces dernières années par le législateur en la matière : le traitement de la récidive au niveau de l’application des peines. C’est l’infâme loi Clément du 12 décembre 2005, dite “Récidive I” principalement, qui devrait faire mourir de honte son auteur. Qu’on prenne ne compte la récidive au niveau de la peine prononcée, c’est compréhensible, tant que c’est une prise en compte intelligente et non automatique à coup de peines plancher. Le renouvellement d’un comportement ayant déjà conduit à une condamnation appelle une plus grande sévérité, j’en conviens. Mais limiter les possibilités d’aménagement des peines pour les récidivistes comme l’a fait la loi Clément, en augmentant les délais avant de bénéficier d’une telle mesure, voire en interdisant purement et simplement les libérations conditionnelles parentales (possibles sans condition de délai) pour les récidivistes est une imbécilité profonde et une erreur gravissime. Les récidivistes sont précisément ceux qui ont le plus besoin des aménagements de peine permettant un retour à la liberté progressif et encadré pour une réinsertion définitive. Et la fenêtre de tir dont je parlais est trop souvent manquée pour des conditions de délai. Où on voit que la loi anti-récidive de M. Clément favorise de fait la récidive. On l’applaudit bien fort. Il est urgent d’abroger ces limitations au niveau de l’application des peines (les peines plancher, j’arrive encore à me débrouiller avec, car elles n’ont rien d’automatique). Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont des directeurs d’établissement pénitentiaires.
Cette idée de réforme présente toutefois un avantage immédiat : le président ne pourra plus sauter à la gorge du juge quand un libéré sous conditionnelle repassera à l’acte. La démagogie interdit en effet de promettre de faire payer le peuple. Comme quoi il devrait y réfléchir à deux fois.
Ce billet, écrit à 10:29 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit
a suscité :
Une mésaventure venant d’arriver à un couple isérois ferait sourire le juriste s’il n’avait eu pour conséquence de gâcher une noce.
Elle est Chinoise, de Hong Kong, et belle ; il est Français, donc beau, et de Grenoble, ce qui ne gâche rien.
Ils s’aiment et ont décidé de convoler. Une cinquantaine de personnes ont été invitées pour célébrer l’hymen, dont certains ont fait le voyage depuis le Port Aux Parfums.
Mais patatras : la fête fut gâchée, et comme toujours, par un huissier. Les parents du fiancé formèrent une opposition à mariage en vertu de l’article 173 du Code civil, à la stupéfaction générale, y compris, et cela m’étonne, de mes confrères isérois interrogés par le journal le Dauphiné :
Aucun des nombreux avocats qu’ils contactent ne connaît cet article 173. « De ma vie professionnelle, je ne l’ai jamais croisé, confirme Jean-Luc Medina, bâtonnier de Grenoble. Ce texte est tombé en désuétude, il n’a jamais été abrogé ».
Je veux croire qu’ils se seront mal exprimés. L’article 173 du Code civil n’est pas tombé en désuétude, et est toujours en vigueur, bien qu’il ne soit que fort peu utilisé (j’ai trouvé trace d’une telle opposition formée à paris en 1983).
Mais prenons les choses dans l’ordre, voulez-vous.
Le mariage est une union à la fois publique et privée. Privée, car elle est une union consentie entre deux êtres et fait naître des obligations respectives, et tient de ce point de vue du contrat. Publique, car elle ne se forme que par une célébration, c’est à dire une formalité publique, et quiconque peut savoir si Untel ou Unetelle sont mariés, et avec qui, en demandant, sans frais, un extrait d’acte de naissance ou de mariage des intéressés.
Cette publicité est un élément fondamental du mariage. Le mariage clandestin est nul : article 191 du Code civil (ce qui me fait m’interroger sur la validité de l’hymen présidentiel, célébré en catimini à l’Elysée, qui n’est pas la Maison Commune et certainement pas accessible au public).
La loi exige donc préalablement à la célébration une formalité de publicité : la publication des bans, affichettes placardées à la mairie (le Code civil emploie une délicieuse expression surannée, la Maison Commune) où la célébration aura lieu, mentionnant les prénoms, nom, professions domiciles et résidence des futurs époux, ainsi que le lieu où le mariage devra être célébré. Cette publication doit avoir lieu au moins dix jours avant le mariage, faute de quoi la célébration ne peut avoir lieu, sous peine de voir les foudres de la loi s’abattre sur l’officier d’état civil, le frappant d’une terrible amende de 3 à 30 euros, le mariage restant valable. Cette publication vise à permettre à quiconque connaissant l’existence d’une cause d’empêchement du mariage de se manifester à temps. Ces causes étant principalement une trop forte parenté entre les époux (qu’ils pouvaient parfois ignorer eux-même dans la France du XIXe siècle), où l’existence d’un mariage non dissous (l’état civil étant rigoureusement tenu depuis deux siècles, il faut que le dit mariage ait été célébré l’étranger et non transcrit pour que ce soit possible), ou une éventuelle fraude.
Cette formalité quelque peu folklorique (qui va lire les bans affichés dans les panneaux de publicité administrative à l’extérieur de toutes les mairies, alors qu’il peut lire mon blog ?), l’est un peu moins depuis 2003 et 2007 où le législateur, qui a cru nécessaire de venir glisser son nez jusque dans la couche nuptiale, a posé de multiples conditions préalables à cette formalité. Ainsi, désormais, le maire est censé recevoir les époux, au besoin séparément, pour s’assurer de la réalité de leur intention matrimoniale. Vous l’aurez deviné, cette formalité a été introduite (en 2003) et modifiée (en 2007) par des lois portant sur l’immigration ; car l’étranger est censé venir jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes, et pas donner des fils à nos femmes. Heureusement pour mon maire bien aimé que je me suis marié à l’étranger et avant ces lois scélérates. Je redoute qu’un tel interrogatoire de police se serait déroulé dans une ambiance peu républicaine.
Rassurez-vous, le président de la République, lorsqu’il a épousé une étrangère, n’a pas eu à subir cette humiliation, qui n’est bonne que pour les gueux citoyens ordinaires. Et je suis prêt à parier que l’ancien ministre de l’immigration n’a pas eu non plus à passer par ces fourches caudines lorsqu’il a épousé sa ravissante épouse, pourtant native du mauvais côté de la Méditerranée. C’est l’article 63 du Code civil.
Une fois cette formalité respectée, la célébration a lieu selon les formes prévues par l’article 75 du Code civil, qui emprunte beaucoup au cérémonial liturgique, notamment par la lecture du Livre. Non point la Bible, laïcité obligé, mais le Code civil, dont certains articles sont lus aux époux, qu’il ne sont pourtant pas censés ignorer.
Cependant, la célébration ne peut avoir lieu en cas d’opposition à mariage.
Cette opposition se fait très simplement, par signification par huissier. Vous téléphonez à un huissier territorialement compétent pour la commune où le mariage va avoir lieu (actuellement, c’est le ressort du tribunal d’instance qui détermine cette compétence ; cela doit bientôt passer à l’échelle départementale, mais je ne sais plus où en est cette réforme ; je compte sur mes gentils lecteurs pour m’éclairer). Celui-ci va se rendre au domicile des époux et leur remettre en main propre un acte d’opposition à mariage, qui est également signifié à la mairie où la célébration doit avoir lieu.
Qui peut former opposition ?
À tout seigneur, tout honneur : le ministère public, gardien de l’ordre public, qui a des compétences peu connues mais très importantes en matière civile, notamment pour tout ce qui concerne l’état des personnes. N’oubliez pas que c’est le ministère public qui a fait appel du jugement de Lille annulant un mariage car la mariée avait menti sur son état virginal. Son droit d’opposition s’exerce chaque fois qu’il décèle une cause qui entraînerait la nullité du mariage ; c’est une opposition préventive (art. 175-1 du Code civil). Ainsi, le parquet de Bordeaux avait formé opposition au mariage que l’ancien maire de Bègles se proposait de célébrer entre deux hommes – ce qui n’empêcha pas le maire de passer outre.
L’époux ou l’épouse d’un des futurs conjoints, pour des raisons qui me semblent assez évidentes (art. 172 du Code civil).
Enfin, les parents des deux époux (art. 173 du Code civil), et si les deux sont décédés, les aïeux vivants. Si l’un des mariés n’a ni père et mère, ni aucun ascendant en vie, le frère ou la sœur, l’oncle ou la tante, le cousin ou la cousine germains majeurs, mais seulement si l’un des époux est dément, ou sous tutelle et que le consentement du Conseil de famille n’a pas été obtenu (art. 174 du Code civil).
Pour nos presque mariés isérois, nous sommes dans le cadre de l’article 173 du Code civil, opposition des parents.
Est-ce à dire que les parents peuvent, par un simple caprice, s’opposer au bonheur conjugal de leurs enfants ? Bien que cela soit la définition légale de la belle-mère, la réponse est quand même non.
L’acte d’opposition doit comporter certaines mentions, à peine de nullité et de sanction de l’huissier ayant prêté son concours, dont une capitale : le motif de l’opposition. La Cour de cassation a jugé qu’une opposition fondée sur le seul rejet par les parents du futur conjoint est nulle.
Que faire en cas d’opposition ?
L’opposition peut d’abord être levée par celui qui l’a formée, par signification par huissier d’un acte qu’on appelle mainlevée.
L’opposition est valable un an, puis devient caduque. Mais dans ce cas, une nouvelle opposition peut être formée en cas de nouveau projet de mariage, retour au point de départ.
Enfin, le tribunal de grande instance peut être saisi de l’opposition. Il doit statuer dans les dix jours, de même que la cour d’appel en cas d’appel. Soit il ordonne la mainlevée de l’opposition, soit il la confirme, et dans ce cas, l’union matrimoniale est impossible, car l’opposition a révélé une vraie cause d’empêchement.
Le Code civil prévoit qu’en cas de mainlevée d’une opposition, une nouvelle opposition, même pour d’autres motifs, est irrecevable (sauf si la première opposition était nulle pour des raisons de forme, le fond n’ayant pas été abordé).
Pourquoi ces parents ont-ils fait opposition ?
Je l’ignore, les articles de presse étant muets là-dessus. Je ne vois guère que deux possibilités. Soit l’un des deux, si ce n’est les deux, ne supporte pas l’idée que leur fils épouse une fille de Confucius, soit le grand-père de l’époux ayant servi dans sa jeunesse dans la Coloniale a été envoyé en Indochine, et un soir de permission où il se rendit avec ses compagnons d’arme au tripot de madame Feng pour jouer sa solde au Mah-Jong, et la chance lui ayant souri, dans les vapeurs d’alcool de riz et d’opium, il fit la rencontre de la belle Feuille de Saule qui y vendait ses charmes pour aider sa famille souffrant de la famine dans un village perdu des sommets du Yunnan, et là, alors que sous leur fenêtre, la lune se reflétait dans le Mékong, il conçut par un accident voulu par les Dieux la mère de la mariée, faisant des futurs mariés des cousins germains tante et neveu, et donc rendant leur union impossible (phrase mise à jour). C’est cette dernière hypothèse que je juge la plus crédible, car je ne veux pas croire que des Français puissent être xénophobes. Des lecteurs soupçonneux pourraient se demander s’il n’y avait pas fraude, ce mariage ne visant qu’à donner des papiers à la mariée. Je leur ferais remarquer que si de tels mariages blancs existent, ils ne s’accompagnent généralement pas d’un banquet pour 50 personnes et la famille de la mariée ne fait pas 11000 km en avion pour venir assister à une fraude.
Faut-il abroger l’article 173 ?
Méfions-nous des décisions rapides et simplistes. Ça fait trente ans que la France est gouvernée ainsi, et l’expérience n’est pas concluante. Cet article est peu utilisé, mais conserve un intérêt. Le fait que ces époux attirent une sympathie naturelle pour leur malheur ne justifie par qu’on modifie la loi : on ne touche pas à la règle générale pour un intérêt particulier. Les parents n’ont pas un pouvoir discrétionnaire et arbitraire d’interdire à leur enfant de se marier (et accessoirement ils sont impuissants à empêcher un concubinage ou un PaCS), et ce sont les mieux placés pour connaître des causes s’opposant à un mariage, et parfois seuls eux les connaissent. Une opposition est désagréable, mais moins qu’une action en nullité postérieurement au mariage. De même que le fait qu’on abuse d’une loi ne rend pas la loi mauvaise. C’est l’abus qui l’est.
Que les époux acceptent néanmoins tous mes vœux de bonheur.
Ce billet, écrit à 11:00 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit
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C’est dimanche, c’est rugby. Laissons un bref instant la polémique sur les gardes à vue – j’y reviendrai- pour nous laisser emporter par un moment de jeu de toute beauté.
Match ASM Clermont-Auvergne contre Stade Français, le 30 octobre au Stade Marcel Michelin, à Clermont-Ferrand. Le premier, champion de France en titre, a étrillé le second. 20 à 3 à la fin du temps réglementaire. Il va donc empocher les trois (Edit:) quatre points au classement que donne une victoire. Mais à quelques secondes du coup de sifflet final, alors que les deux équipes sont à 5 mètres de l’en but auvergnat, le Stade Français commet une faute donnant une pénalité à l’ASM.
L’ASM pourrait botter en touche, mettant fin au match, et à la douche.
Mais voilà. Depuis 2007, une règle prévoit qu’une équipe qui met 3 essais de plus que son adversaire empoche un point de bonus dit offensif (une équipe qui perd avec moins de sept point d’écart a quant à elle un point de bonus défensif). L’ASM a marqué deux essais, le Stade Français, aucun. Et à la fin de la saison, ces points de bonus sont précieux.
Alors, l’ASM va décider de tenter de marquer l’essai du bonus. Pour cela, elle doit remonter 90m de terrain, sans jamais perdre la balle ni commettre de faute.
La suite, la voici.
Ça ne vaut pas bien sûr le vrai essai du bout du monde (Nouvelle-Zélande-France, 1994), mais c’est quand même du rugby comme on l’aime.
Bon dimanche à tous.
Ce billet, écrit à 11:44 par Eolas dans la catégorie Le billet du dimanche
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