Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 3 juin 2011

La Cour de cassation enterre (enfin) les gardes à vue du passé

La Cour de cassation a rendu le 31 mai quatre arrêts (un, deux, trois, quatre) qui apportent la dernière pierre à l’édifice, difficile à mettre en place, de la réforme de la garde à vue. Non pas que l’édifice soit terminé, puisque dès aujourd’hui, date d’entrée en vigueur de la réforme de la garde à vue, les avocats, et votre serviteur ne sera pas le dernier, vont faire en sorte de le démolir tant il est rempli de malfaçons. Les premières Questions Prioritaires de Constitutionnalité sont déjà transmises.

Beaucoup de choses approximatives ayant été dites sur ces arrêts (je ne parle même pas de la désormais traditionnelle, pour ne pas dire pavlovienne, saillie de mes amis de Synergie Officers (la bise, Fab’, je sais que tu me lis), une explication s’impose.

Qu’a dit la Cour de cassation ?

L’évidence.

Oui, je développe.

Un rappel chronologique vous éclairera.

Rappel chronologique éclairant

L’adoption de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’Europe a réalisé que les années précédentes, elle n’avait pas été tout à fait au point sur la question des droits de l’homme. Plus sérieusement, elle a réalisé une vérité que nous nous devons de ne pas oublier : il ne peut y avoir de pire tyran que l’État lui-même, qui a à sa disposition une puissante et docile administration qui exécutera toujours sans trop rechigner ses directives, même les plus révoltantes. Les proclamations à la “plus jamais ça” avaient été essayées au lendemain de la première guerre mondiale. C’est d’ailleurs l’invention officielle du #FAIL. L’ONU planchait sur une nouvelle déclaration sans réelle portée juridique, qui deviendra la Déclaration Universelle des droits de l’homme, adoptée en 1948.

Une autre méthode a été choisie en Europe, et il convient de signaler qu’à cette époque, la France a été en pointe sur la question. Le 5 mai 1949, le Conseil de l’Europe est créé, dont le rôle est de protéger les droits de l’homme en Europe. Le Conseil de l’Europe est distinct de l’Union Européenne : il a 47 États membres, dont la Turquie (et oui), la Russie et l’Azerbaïdjan, et siège à Strasbourg. Le Conseil de l’Europe est un cadre de négociation de traités et le premier véritable traité qui a été négocié dans ce cadre est la fameuse Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (rebaptisée en pratique Convention Européenne des Droits de l’Homme). C’est un traité qui est l’œuvre d’un juriste plus que d’un diplomate, même si son rédacteur, René Cassin, était les deux. Les juristes y retrouveront la division classique principe/exceptions. C’est un texte qui se veut concret, et qui a été conçu pour être applicable en droit interne (il peut être invoqué devant le juge interne qui peut s’y référer pour appliquer la loi française, puisqu’il a une valeur supérieure). Son originalité principale se trouve ailleurs : elle peut faire l’objet d’un recours judiciaire devant une juridiction internationale pouvant condamner les États qui manquerait aux obligations prévues par la Convention : c’est la création de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), qui siège à Strasbourg. La Convention a été signée le 4 novembre 1950, est entrée en vigueur en 1953, mais n’a été ratifiée en France que le 3 mai 1974, car si en France nous aimons fort les droits de l’homme, nous sommes moins enthousiastes à l’idée de les appliquer. Nous sommes à ma connaissance le seul pays d’Europe qui a pris les mots “droits de l’homme” pour en faire une injure : droitdelhommiste. Et encore n’est-ce qu’en 1981 que le droit de saisir la CEDH a été accordé aux citoyens, car assurément nous n’étions pas prêts à être libres et avoir des droits.

Cette Cour est une cour en dernier ressort : il faut impérativement épuiser les recours internes avant de pouvoir la saisir. Concrètement, si j’estime que les droits reconnus par la Convention à mon client ont été bafoués, je dois demander au tribunal d’en tirer les conséquences, puis en cas de rejet de mes demandes, je dois faire appel, puis me pourvoir en cassation. Si la Cour de cassation rejette mon pourvoi en disant que la Convention Européenne des Droits de l’Homme a été parfaitement respectée, je peux alors me rendre sur les bords de l’Ill et demander que la France soit condamnée à indemniser mon client du fait de cette violation, ce qui en outre m’ouvre une possibilité de révision du procès.

C’est exactement ce qui s’est passé pour la garde à vue.

De Salduz à Brusco en passant par Dayanan

En 2008, la CEDH a condamné la Turquie pour violation de l’article 6§3 de la Convention$$Tout accusé a droit notamment à: être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui; disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense; se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent; interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge; se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience.$$, car sa procédure pénale ne permettait pas l’assistance d’un avocat au cours de la garde à vue. C’est l’arrêt Salduz c. Turquie, dont je vous avais entretenu il y a deux ans, me méprenant sur la portée réelle de cet arrêt, que je croyais limité aux seules procédures dérogatoires. Pour me détromper sans doute, le 13 octobre 2009, la CEDH a remis le couvert en rendant un nouvel arrêt, Dayanan c. Turquie où là, elle est on ne peut plus claire :

Comme le souligne les normes internationales généralement reconnues, que la Cour accepte et qui encadrent sa jurisprudence, un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit (…). En effet, l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer.

La messe était dite, et d’ailleurs la Turquie avait vu le boulet arriver, puisque dès 2005, sans attendre les condamnations inévitables de la CEDH, elle avait réformé son code de procédure pénale et ouvert les portes de ses commissariats aux avocats. Ce qui n’était toujours pas le cas en France. La France devait donc accepter sans délai que nous assistions les personnes placées en garde à vue, puisqu’elles sont privées de liberté. Et que croyez-vous qu’il arriva ?

Soudain, il ne se passa rien

Oui, rien. Le Gouvernement a choisi courageusement la politique du déni. Tous les juristes de France médusés ont entendu le garde des Sceaux et son inénarrable porte parole de l’époque expliquer doctement que ces arrêts ne concernaient que la Turquie et pas la France, dont la justice était à ce point excellente qu’elle pouvait se passer d’avocat. Comme si chaque minute gagnée sur les droits de l’homme était une victoire. Difficile de le blâmer, puisqu’à de rares exceptions près, les juridictions ont emboité le pas du Gouvernement et rendu des jugements affirmant que l’entretien de 30 mn gracieusement accordé au début de la garde à vue, sans aucun accès au dossier, était plus que suffisant pour satisfaire à laConvention Européenne des Droits de l’Homme et constituait une assistance effective en garde à vue. J’en ai une belle collection que je relis régulièrement en riant, pour ne pas avoir à en pleurer, mais ce fut une période pénible que de voir tous ces juges nier l’évidence avec un tel entêtement. La majorité de mes confrères ont d’ailleurs vite renoncé à soutenir ces nullités, et je les comprends.

D’ailleurs, cette période n’est pas tout à fait terminée. La CEDH a déjà expliqué très clairement en quoi le parquet n’est pas une autorité apte selon les normes de la Convention Européenne des Droits de l’Homme à veiller à la régularité et à la nécessité des gardes à vue, faute d’indépendance à l’égard de l’exécutif, et du fait qu’il est partie au procès). Et avec le même entêtement à nier l’évidence, les mêmes juridictions, qu’on aurait pu croire échaudées par l’affaire de la garde à vue, continuent à dire que si, tout va très bien, le parquet fait ça très bien et est conforme aux exigences de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Et pour comprendre qu’on n’est pas sorti de l’auberge, il suffit de lire les propos, très représentatifs, du procureur général près la cour d’appel de Saint Denis (de la réunion, pas du 9-3), qui réaffirme que le parquet est gardien des libertés individuelles, ce que je ne conteste pas plus que le fait qu’on confie le harem à l’eunuque, mais je conteste qu’il soit le seul à jouer ce rôle au niveau de la garde à vue, et surtout qu’il continue à prétendre jouer ce rôle à l’audience, où après s’être présenté comme gardien de la liberté de mon client, il demande au tribunal de l’envoyer au prison. La suite est déjà écrite, et vous vous souviendrez de ce billet quand un beau jour, la Cour de cassation ou le Conseil constitutionnel, je ne sais qui le dira en premier, reconnaîtra enfin cette évidence, que les politiques feindront la surprise et crieront au gouvernement des juges, tandis que Synergie grillera quelques fusibles. Puis on créera enfin un habeas corpus à la française, c’est à dire pas encore conforme, et les avocats obtiendront à coups de condamnations de la France une mise en conformité totale, et on se demandera ensuite comment on faisait avant.

Je n’ai rien contre les batailles gagnées d’avance, mais ce ne sont vraiment pas les plus belles.

Revenons-en aux gardes à vue.

Alors vint le 15 avril 2011

Après cette période de déni du Gouvernement, la vérité a fini par lui éclater à la figure. Le 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel constate l’inconstitutionnalité de la garde à vue et impose au législatif de se mettre en conformité avant le 1er juillet 2011. Fort bien, disent les avocats, mais la Convention Européenne des Droits de l’Homme, elle, est toujours en vigueur et ne prévoit pas de droits de l’homme à retardement. Nous continuons donc à contester les gardes à vue sur le fondement de l’article 6. J’ai donc pu constater que du jour au lendemain, les juridictions qui me donnaient tort sur la garde à vue me donnent raison mais, invoquant l’effet différé de la décision du Conseil constitutionnel, continuaient à rejeter mes conclusions. En somme, j’avais raison, mais peu importe, c’est toujours non.

Le 19 octobre 2010, la Cour de cassation, saisie de la question de la conformité à l’article 6§3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, a rendu trois arrêts stupéfiants, reconnaissant enfin que oui, la garde à vue n’est pas du tout conforme, mais peu importe, puisque grâce au Conseil constitutionnel, on va régler ça avant l’été. Donc on continue à appliquer des textes violant la Convention Européenne des Droits de l’Hommejusqu’au 1er juillet 2011. La Cour de cassation dit en somme que les droits de l’homme peuvent attendre, le calendrier du Parlement est plus important.

Seulement voilà. Cinq jours plus tôt, la CEDH avait condamné la France pour l’absence de droit à un avocat au cours de la garde à vue. Et cet arrêt Brusco c. France ne disait nulle part que la présence de l’avocat s’imposait le 1er juillet 2011, au contraire il condamnait la France pour une garde à vue sans avocat intervenue… le 8 juin 1999.

Le conflit entre les deux décisions était manifeste, et rien ne pouvait défendre la position de la Cour de cassation. Cela n’a pas échappé au Premier président de la Cour de cassation, qui a réuni la formation la plus solennelle de la Cour, l’assemblée plénière, composée de conseillers de toutes les chambres, notamment les chambres civiles, réputées plus favorables au respect du droit que de la défense de l’ordre public, et mettant de fait les pénalistes de la chambre criminelle en minorité. C’est cette assemblée plénière qui a rendu les fameux arrêts du 15 avril 2011 se rendant enfin à l’évidence :

Attendu que les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ; que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ;…

Voilà pourquoi dès le 15 avril, nous avons pu, enfin, assister nos clients en garde à vue. Afin d’avoir un cadre juridique à ces interventions, les parquets, appliquant les consignes de la Chancellerie, ont décidé de se référer à la loi promulguée la veille sur la garde à vue, quand bien même elle n’entrait en vigueur que le 1er juin. Victoire des droits de l’homme ? Allons. On est en France. Dès l’après midi du 15 avril (car des signaux d’alarme avaient été émis du Quai de l’Horloge, où siège la Cour de cassation), des instructions ont été adressées aux services de police et de gendarmerie, visant à limiter au maximum les effets des arrêts du 15 avril et faire en sorte que les exigences de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ne soient toujours pas respectées. Je vous rappelle que ces instructions émanent de la même autorité qui se prétend apte à assurer seule le contrôle des mesures de garde à vue. Ainsi, à Paris, c’est par une note signée Jean-Claude Marin, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, que le parquet a décidé, sans aucune base légale et en contradiction flagrante avec les exigences de la CEDH exprimées dans l’arrêt Dayanan, que l’avocat devait, au cours des auditions et confrontations de garde à vue, demeurer taisant (c’est le langage juridique pour dire “fermer sa gueule”) et ne devait en aucun cas s’adresser au témoin ou au plaignant en cas de confrontation. Oui, mesdames et messieurs les juges, sachez-le, car je doute que ces instructions données à la police aient été portées à votre connaissance : le parquet cède sur la présence de l’avocat, mais à la condition de revenir à la procédure de 1897, avec des avocats cois.

Cela a donné lieu à des incidents, bien sûr, dont certains que j’ai vécus moi-même. Ainsi, on m’a une fois “notifié”, avec mention au procès verbal, la note du procureur Marin. Quand j’ai répliqué en substance que cette note, je m’en cognais comme de mon premier Code civil, car le parquet n’est pas source de droit, n’a aucune autorité sur moi, n’a aucun pouvoir pour limiter les droits de la défense, d’autant plus qu’il est mon adversaire à la procédure, j’ai été regardé comme un dangereux anarcho-autonome. Alors que je suis pire que ça : je suis un avocat.

Je suis donc intervenu dans des auditions quand je l’estimais nécessaire (essentiellement pour conseiller à mon client de ne pas répondre à une question, parfois pour reformuler une question que mon client ne comprenait pas quand je pensais voir où se situait la cause de l’incompréhension, ou apporter une précision juridique au rédacteur. La plupart du temps, ça se passe très bien, et mes interventions sont mentionnées au procès verbal, ce qui est normal et même indispensable pour la sincérité de celui-ci : je veux que le magistrat qui lira ce document sache si mon client se tait de sa propre initiative ou sur mon conseil, c’est important. Parfois, ça se passe mal. La scène peut juste être ridicule (ainsi, quand j’ai demandé à un plaignant s’il était droitier ou gaucher, l’agent de police judiciaire a suspendu l’audition et est allé demander à son capitaine s’il pouvait poser la question ; signalons qu’ainsi, il m’a laissé seul dans le bureau avec mon client et le plaignant pendant cinq bonnes minutes…), parfois très tendue (on m’a ainsi menacé sur un ton discourtois de demander la désignation d’un autre avocat si je disais un seul mot au cours de l’audition), et parfois très tendue et ridicule (ainsi cette confrontation avec dix policiers en arme autour de moi - j’entends par là que les plus proches étaient à 30cm de moi- alors que seuls deux d’entre eux étaient concernés par la confrontation, où on m’a indiqué que je n’avais même pas à adresser la parole auxdits policiers ; eh oui, mesdames et messieurs les magistrats, c’est ce que la police appelle une confrontation, où on ne peut pas parler aux témoins, au nom je le rappelle de… la recherche de la vérité).

Je dois cependant à l’honnêteté de rendre hommage au parquet, qui vient de donner de nouvelles instructions liées à l’entrée en vigueur de la loi sur la garde à vue, prévoyant la mise en place d’un planning des auditions et confrontations et prescrivant aux policiers d’attendre une heure l’arrivée de l’avocat avant de passer outre à son absence et commencer l’audition. Ces instructions ont été reçues par mes amis de Synergie Officiers et ses cousins Alliance Police Nationale chez les Gardiens de la Paix et SICP chez les commissaires avec leur enthousiasme habituel. Elles s’imposaient, car j’ai été confronté à des auditions inutiles organisées à 3h du matin dans un bureau avec un joli poster Alliance Police Nationale.

Retour vers le futur

La cause était donc entendue : la CEDH exigeait immédiatement la présence de l’avocat, pas question d’attendre le 1er juillet ni même le 1er juin, date d’entrée en vigueur de la loi sur la garde à vue, car le législateur a eu l’idée extraordinaire de prévoir une entrée en vigueur différée d’une loi mettant la France en conformité avec les droits de l’homme. Je vous le dis : chaque seconde de gagnée sur l’application des droits de l’homme est une victoire pour nos dirigeants bien aimés.

Mais se posait la question des auditions de garde à vue antérieures au 15 avril 2011. Les propos ont été recueillis sans présence de l’avocat, car c’était la procédure en vigueur. Demeuraient-elles valables ?

La réponse était évidemment non. Et pour qui a lu les arrêts du 15 avril, il ne pouvait en être autrement, puisque ces arrêts sanctionnaient des gardes à vue intervenues respectivement le 19 janvier 2010, le 22 janvier 2010, le 14 décembre 2009 et le 1er mars 2010. Il faut garder à l’esprit que la Cour de cassation est une juridiction, qu’elle ne fait pas la loi, ni ne décide de hâter son entrée en vigueur, mais juge des affaires. Par définition, elle ne pouvait statuer le 15 avril 2011 que sur des affaires antérieures au 15 avril 2011. Il n’y avait donc nulle raison de penser que sa jurisprudence ne s’appliquait qu’à compter du 15 avril 2011.

J’ai reçu beaucoup de questions sur l’annonce des arrêts du 31 mai 2011, me demandant comment cette jurisprudence pouvait être rétroactive. La réponse est simple : elle ne l’est pas. La Cour de cassation ne fait jamais qu’appliquer des textes en vigueur, les interpréter et résoudre des conflits de textes en vigueur. Ici, elle ouvre son arrêt en visant la Convention Européenne des Droits de l’Homme :

Vu l’article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

puis en livre son interprétation, qui est sans surprise au regard de ce qui a été rappelé :

Attendu qu’il se déduit de ce texte que toute personne, placée en retenue douanière ou en garde à vue, doit, dès le début de ces mesures, être informée de son droit de se taire et, sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, pouvoir bénéficier, en l’absence de renonciation non équivoque, de l’assistance d’un avocat ;

Et ainsi qu’on l’a vu, la Convention Européenne des Droits de l’Homme est en vigueur en France depuis 1974, et son contenu connu depuis le 4 novembre 1950. C’est ce texte là qu’elle a appliqué. Pas rétroactivement : elle a au contraire réalisé tardivement que ce texte n’était pas appliqué.

“Passant, va dire à Strasbourg que nous sommes mortes ici pour respecter ses lois”

Quelles sont les conséquences concrètes de ces arrêts ?

Elles sont limitées, à mon sens. Ces auditions sont des actes de procédure. Leur nullité doit être constatée selon des règles très rigoureuses, et est enfermé dans des délais très stricts, à peine de forclusion, c’est à dire de perte du droit de les contester. Ces délais sont, si un juge d’instruction est saisi, de six mois à compter de chaque interrogatoire (art. 173-1 du Code de procédure pénale) ou en cas d’avis de fin d’instruction, dans un délai d’un mois si un mis en examen est détenu et trois mois dans le cas contraire (art. 175 du CPP). L’ordonnance de règlement mettant fin à l’instruction purge les nullités qui ne peuvent plus être soulevées par la suite.

S’il n’y a pas eu d’instruction, il faut soulever ces nullités devant le tribunal avant l’examen du fond de l’affaire, à peine de forclusion là aussi (art. 385 du CPP). Si aucune nullité n’a été soulevée devant le tribunal, on ne peut le faire pour la première fois en appel.

Comme vous le voyez, le nombre d’affaires où il est encore possible de soulever cette nullité est limité. Ce qui n’empêche qu’il peut y avoir quelques cas où ce sera spectaculaire. Pour une fois, je suis d’accord avec la Chancellerie.

Mais ça ne se limite pas à cela. La loi du 14 avril, entrée en vigueur le 1er juin, pose un principe général dans l’article préliminaire du CPP qui interdit de fonder une condamnation sur des propos de la personne accusée recueillies sans qu’elle ait pu être assistée d’un avocat. Donc quand bien même ces auditions ne sont pas nulles, elle sont privées en grande partie de leur force probante. Et cet article s’applique à toutes les procédures encore en cours, quel que soit leur stade procédural…

Est-ce la fin du combat pour la garde à vue ?

Certainement pas. Ce n’est que le début. En effet, la loi du 14 avril n’est pas conforme à la CSDH, en interdisant à l’avocat l’accès à l’intégralité de la procédure (c’est le nouvel article 63-4-1 du CPP). Ce qui n’a aucune justification, si ce n’est entraver encore un peu l’exercice de la défense. Qu’on m’explique pourquoi je peux m’entretenir 30 mn avec mon client avant une confrontation sans qu’on me communique la teneur des déclarations des témoins auxquels il va être confronté, puis aussitôt après, dès le début de la confrontation, on m’en donne connaissance en les lisant à haute voix pour que mon client puisse y réagir, sans que je puisse désormais lui demander des explications, répondre à ses questions ou lui donner des conseils en toute confidentialité ? Il n’y a aucune justification, sauf une : on ne veut pas que je puisse préparer cet interrogatoire avec mon client, ce qui est précisément un des droits reconnus par l’arrêt Dayanan.

Cet attitude est honteuse et stupide, car loin de régler le problème, elle laisse perdurer une violation de la CSDH, qui inévitablement va entraîner de nouvelles nullités de procédure. Plutôt des procédures nulles que des droits de la défense respectés, tel est le credo du législateur. Affligeant. Encore plus quand on sait que bien sûr les avocats ne vont pas laisser passer ça, et que c’est voué à l’échec. Mais chaque seconde gagnée sur les droits de l’homme est une victoire, dans notre pays.

Alors mes conclusions sont prêtes, et elles s’ouvriront sur cette citation biblique :

The path of the righteous man is beset on all sides with the iniquities of the selfish and the tyranny of evil men. Blessed is he who in the name of charity and good will shepherds the weak through the valley of darkness, for he is truly his brother’s keeper and the finder of lost children. And I will strike down upon those with great vengeance and with furious anger those who attempt to poison and destroy my brothers. And you will know that my name is Maitre Eolas when I lay my vengeance upon thee.

Ezechiel selon Tarantino, 25:17.

samedi 11 décembre 2010

Cas pratique

Après avoir lu les deux textes ci-dessous, vous vous demanderez ce que doit faire un procureur indépendant d’esprit.

Premier texte :

Article 434-25 du Code pénal :

Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende.

Second texte :

Communiqué de l’ineffable syndicat Synergie Officiers(pdf) :


Paris, le 10 décembre 2010 

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

SYNERGIE­ OFFICIERS est écœuré par la décision ahurissante du Tribunal Correctionnel de Bobigny (93) de condamner les sept policiers impliqués dans une affaire de faux témoignage à des peines allant de six mois à un an de prison ferme, toutes peines supérieures à celles requises initialement par le Parquet.

SYNERGIE­ OFFICIERS réaffirme son intransigeance quand (sic.) aux actes délictueux commis par des représentants des forces de l’ordre, mais…

SYNERGIE­ OFFICERS ne peut pas feindre d’ignorer que dans ce département, il y a indéniablement deux poids et deux mesures.

Ce tribunal est connu pour receler les pires idéologues de la culture de l’excuse quand il s’agit de remettre dehors à tour de bras les trafiquants de stupéfiants, braqueurs, auteurs de tentatives d’homicide, etc… comme en témoignent pléthore d’exemples récents. La peine prononcée à l’encontre de nos collègues est donc avant tout une décision syndicale (pour ne pas dire politique…) déguisée en acte juridictionnel. Ceux là même qui sont les premiers responsables de la situation catastrophique de la criminalité sur le 93 par des décisions angélistes ont décidé de briser toute une profession dont les membres risquent leur vie au quotidien pour nos concitoyens.

SYNERGIE­ OFFICIERS regrette que l’extraordinaire dureté d’une telle décision rende la sanction totalement inintelligible. Au ­delà des sept policiers de Bobigny qui ont fauté, ce sont bel et bien tous les policiers de France qui prendront ce verdit incroyable comme un camouflet à leur encontre et un nouvel appel à la haine venant de magistrats qui, une fois de plus, ont choisi d’affirmer que pour eux, l’ennemi à combattre par tous les moyens (y compris les plus vils…) est bel et bien le « flic » et non pas le criminel !

Le Bureau National


Rappelons que dans cette affaire, des policiers ont, au cours d’une poursuite en voiture, renversé un collègue. D’un commun accord, ils ont décidé de tous déclarer à l’unisson que le conducteur du véhicule en fuite avait volontairement renversé ce policier, l’accusant donc d’homicide volontaire aggravé puni de la réclusion criminelle à perpétuité. Le conducteur en question a de plus été roué de coup au sol par trois des policiers lors de son arrestation. À l’audience, le parquet avait requis de 3 à 6 mois de prison avec sursis. Le tribunal est allé au-delà, prononçant de 6 mois à un an ferme, et refusant la non inscription au casier judiciaire de cette condamnation pour cinq d’entre eux, qui seront donc très probablement révoqués de la police.

Les policiers et le parquet ont fait appel de ces condamnations jugées trop sévères. La cour ne pourra donc que confirmer ou diminuer la peine.

Je suis naturellement solidaire de ces policiers face à l’acharnement de la justice à leur encontre. Si on ne peut plus accuser un innocent d’un crime passible de la perpétuité pour couvrir les conneries d’un collègue, où va la République ? En plus, si j’en crois ce communiqué, ils étaient sincèrement convaincu que cet innocent accusé par eux allait être remis dehors à tour de bras. Comme quoi ils étaient de bonne foi.

samedi 30 octobre 2010

Vous avez du courrier

Je ne suis pas le seul à avoir réagi au communiqué de Synergie Officiers sur la décision de la Cour de cassation. Mon bâtonnier bien-aimé, Jean Castelain, DavidGoliaths’appuyant comme il se doit sur le vice, j’entends par là le vice-bâtonnier Jean-Yves Le Borgne, a pris sa plume pour faire connaître à ce syndicat ce que lui inspirait son brûlot. La missive en question, co-signée, étant publiée dans le Bulletin du barreau, version électronique disponible ici, je crains que les responsables de ce syndicat n’en aient pas connaissance.

Je me fais donc un devoir, peut-être doublé d’un certain plaisir, d’en reprendre ici le texte, afin d’être sûr qu’il touche son destinataire et que je ne plante pas le serveur de l’ordre en envoyant plus de visiteurs qu’il n’en a l’habitude. Au passage, tous mes lecteurs pourront avoir une démonstration du fait qu’on peut régler son compte à un adversaire sans jamais verser ni dans l’injure ni dans la diffamation. Les hyperliens ont été rajoutés par votre serviteur.

Mesdames, Messieurs : les bâtonniers.

En réponse à Synergie Officiers qui injurie le barreau

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Le syndicat Synergie Officiers a rendu public, le 19 octobre 2010, un communiqué où il se dit « stupéfait et écœuré » des arrêts de la Cour de cassation imposant l’avocat dès le début de la garde à vue pour les cas de criminalité organisée que ne visait pas la décision du Conseil constitutionnel.

Ce syndicat de fonctionnaires de police voit dans la réforme de la garde à vue le résultat du « lobby des avocats » qui n’y chercheront qu’une « satisfaction commerciale ».

Continuant à décliner l’injure, le même communiqué regrette qu’on « impose la présence des avocats tout au long de l’enquête, sans que ces derniers aient l’obligation de se plier à la moindre contrepartie de moralité, de déontologie et de transparence de rémunération ».

De tels propos ne pouvaient demeurer sans réponse.

La violence n’est souvent que le paravent de l’inanité. Une pensée un peu faible, une argumentation indigente ont besoin de trouver appui sur autre chose que le maniement virtuose des concepts. C’est ainsi que l’injure s’offre, comme une planche de salut, à celui que la dialectique déconcerte. Le cri prend la place du mot et la vocifération celle de l’idée.

Cette panique élémentaire et agressive devrait conduire à un haussement d’épaule où dominerait la commisération, à ce sourire désabusé que suscite ce qui est dérisoire. Qu’on nous pardonne de ne pas avoir cette sérénité vertueuse.

Depuis des siècles, le barreau, partenaire de justice, s’enorgueillit de sa morale et de sa déontologie. C’est pour que les juges retrouvent des interlocuteurs fiables que Napoléon, il y a tout juste deux siècles, rétablit les Ordres d’avocats que la Révolution avait abolis.

Synergie Officiers n’en est pas à sa première incartade. Injurier le barreau lui tient lieu de raisonnement. Son discours véhicule une curieuse haine pour la modernité de la justice, une allergie pour l’équilibre procédural qui partout impose la présence d’un avocat aux côtés du suspect.

Vous rendez-vous compte, Mesdames et Messieurs de Synergie, qu’en tenant à l’endroit du barreau des propos scandaleux, c’est la Cour européenne des droits de l’Homme, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation que vous insultez ?

Vous êtes, paraît-il, farouchement hostiles aux délinquants. Rappelez-vous qu’un discours, mal maîtrisé, peut devenir un délit. A titre de pénitence, à dimension pédagogique, relisez donc les propos du président de la République, que vous hésiterez peut-être à insulter à son tour : « c’est parce qu’ils sont auxiliaires de justice et qu’ils ont une déontologie forte qu’il ne faut pas craindre la présence des avocats dès les débuts de la procédure ».

La modération fait partie de nos principes essentiels ; nous ne vous la souhaitons pas, car nous ne sommes pas adeptes des vaines espérances. Souvenez-vous seulement qu’un peu de retenue permet d’accéder à l’élégance et, pour ceux qu’un tel défi décourage, que cette discrétion protège au moins d’une grave déconsidération.

Jean-Yves Le Borgne
Vice-bâtonnier du barreau de Paris

Jean Castelain
Bâtonnier de l’Ordre

mardi 19 octobre 2010

Verbatims

…sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l’assistance d’un avocat ;



Assemblée plénière Formation plénière de la chambre criminelle de la Cour de cassation, 19 octobre 2010 (3 espèces).

La Cour de cassation a enterré aujourd’hui la garde à vue, en ajoutant dans le cercueil les régimes spéciaux de garde à vue sans avocat (terrorisme, stupéfiant, délinquance organisée), ce que le Conseil constitutionnel n’avait pas voulu faire en juillet. Ma prophétie s’est donc réalisée.

Je reviendrai plus longuement là dessus dans un billet à venir ce soir plus tard, je suis épuisé. Souffrez que je n’ouvre pas les commentaires sous cette brève en l’attendant. J’ouvre du coup les commentaires, pour vous permettre d’échanger.

Même si certains aspects étranges de cette décision me froissent un peu, c’est un beau, un grand jour pour les droits de l’Homme. En attendant, pour vous distraire, voici un commentaire éclairé de cette décision (j’ai corrigé les fautes et inséré des commentaires en italique).











Paris, le 19 octobre 2010 

GARDE A VUE : La mort de l’Investigation !


SYNERGIE­ OFFICIERS est stupéfait et écœuré par la décision prise ce jour par la Cour de
Cassation qui fait voler en éclat un pan complet de la procédure pénale française au seul bénéfice
des voyous.

Car si des innocents se retrouvaient en garde à vue, ça se saurait.

SYNERGIE­ OFFICIERS regrette que, pour des raisons idéologiques et corporatistes, on impose la
présence des avocats tout au long du processus de l’enquête, sans que ces derniers aient l’obligation
de se plier à la moindre contrepartie de moralité, de déontologie et de transparence de
rémunération comme c’est le cas par tout ailleurs en Europe. Dans les affaires de criminalité
organisée, de stupéfiant ou encore de terrorisme, l’isolement des protagonistes était une condition
sine qua non de réussite d’enquête.

Sans la moindre contrepartie de moralité ou de déontologie. Absolument. D’ailleurs, j’ai reçu aujourd’hui même un truc bizarre, le Code de déontologie 2011 envoyé par mon Ordre. J’en fais quoi ? Transparence de la rémunération ? Ils ont raison. Je suis payé 63,34 euros HT pour un entretien de garde à vue.

SYNERGIE­ OFFICIERS déplore que l’activisme du lobby des avocats s’exerce au mépris du droit
à la sécurité des plus faibles pour la satisfaction commerciale d’une profession libérale, dont le travail ne consiste pas en la manifestation de la vérité mais en l’exonération de la responsabilité de leurs clients, fussent-­ils coupables !

C’est aimable à Synergie d’envisager que nous exonérions nos clients innocents de leur responsabilité.

SYNERGIE­ OFFICIERS dénonce toutes les sirènes dégoulinantes de prétendue bonne conscience
qui ont réussi aujourd’hui à ériger un système où seuls les délinquants bénéficient de l’assistance
obligatoire d’un avocat sans jamais avoir songé au sort des victimes qui ne sont pas suffisamment
fortunées pour que l’on s’y intéresse ! Pour mémoire, si le voyou bénéficiera désormais de
l’assistance gratuite d’un avocat, la victime, même SMICARDE, devra en être de sa poche !

D’un autre côté, les victimes sont rarement mises en garde à vue, il faut le reconnaître. Mais cela dit, Synergie connaît mal le Code de procédure pénale (ça ne surprendra personne). Les gardés à vue ont à ce jour 4 droits, dont 3 notifiés : faire prévenir sa famille, voir un médecin, voir un avocat, et se taire. Les victimes se voient notifier 6 droits. En outre, un smicard a toujours droit à l’aide juridictionnelle, puisqu’il est nécessairement en dessous du plafond de 1372 euros mensuels. Enfin, les victimes mineures ou celles de certains faits graves ont droit à l’aide juridictionnelle sans condition.

SYNERGIE­ OFFICIERS demandait en vain depuis des mois que TOUS les professionnels de
l’enquête judiciaire soient associés pour réformer intelligemment la procédure pénale de notre pays, afin que soit préservé le nécessaire équilibre entre droits des victimes, nécessité de l’enquête et droits de la défense.

Reconnaissons que quand on a besoin d’intelligence, ce n’est pas à Synergie qu’on pense en premier.

SYNERGIE­ OFFICIERS prévient que les policiers français refusent désormais d’être comptables
d’une quelconque manière de l’explosion programmée de la délinquance et de l’effondrement du
taux d’élucidation. SYNERGIE­ OFFICIERS met en garde nos décideurs sur les conséquences
funestes de décisions précipitées et coupées du réel qu’ils devront assumer quand il s’agira
d’affronter les scandales judiciaires à venir (compromission d’enquête, disparition de preuves, pression sur les victimes, représailles sur les témoins…)

Précipitées, ça fait un an qu’on en parle. Et vous verrez que le cataclysme annoncé ne se produira pas.

SYNERGIE­ OFFICIERS en appelle à tous les policiers exerçant leur mission en investigation pour
qu’ ils fassent une application stricte des textes, ce qui aboutira rapidement à saturer l’appareil
judiciaire. En effet, les policiers ne doivent plus tenter de ” jouer” avec les failles de textes absurdes
pour que la Justice de notre pays fonctionne malgré tout, sans le soutien de la classe politique et
encore moins celui des magistrats qui viennent de les lâcher en rase campagne !

Que lis-je ? Les policiers jusqu’ici tentaient de jouer avec les failles des textes ? Parce que quand un avocat le fait, c’est mâââl, mais quand un policier le fait, c’est de l’investigation ?

Le Bureau National

Que j’embrasse au passage.

NB : Billet mis à jour à 23h14.

mercredi 4 août 2010

Et maintenant ?

Après avoir commenté la décision du 30 juillet et moqué comme il se doit Synergie-Officiers, place aux choses sérieuses. Quelle procédure pénale nous attend demain, et que faire dès aujourd’hui ?

Que faire aujourd’hui ?

Il faut dès à présent tirer les conséquences de cette décision, comme je le disais sous mon billet consacrée à la décision historique du Conseil constitutionnel. Ce serait une erreur que de faire comme si de rien n’était jusqu’à la loi que le parlement votera dans la précipitation et qui, je ne suis pas dupe, déterminera le minimum minimorum des droits à accorder à la défense, et tracera la ligne un peu en deçà, pour rogner tout ce qu’il pourra sans provoquer l’ire du Conseil. Vous verrez.

La première conséquence est à mon sens la nullité des PV d’audition, de confrontation et de toute déclaration sur les faits du gardé à vue. Et j’y inclus les déclarations recueillies par le procureur en cas de déferrement (article 393 du CPP), puisque ces déclarations sont reçues sans avocat (cette nullité n’entache pas le PV lui-même, qui en est intellectuellement indépendant, et saisit le tribunal). Le Conseil exclut toute nullité des mesures prises avant cette date, or une audition n’est pas une mesure que l’on prend mais un acte dont il est dressé procès verbal (art. 62 du CPP tel que provisoirement en vigueur). La décision du 30 juillet sauve les gardes à vue comme outil de l’action pénale ET protège les policiers et procureurs de poursuites pour atteinte à la liberté et séquestration arbitraire ; c’est tout et c’est déjà pas mal.

La deuxième est de taille et semble avoir échappé aux commentateurs.

L’article 63-4 du CPP est déclaré contraire à la Constitution. C’est celui qui prévoit que notre entretien ne peut excéder 30 minutes et, en creux, nous interdit un accès à la procédure faute de l’avoir expressément prévu. Mais surtout c’est celui qui nous interdit de faire état auprès de quiconque de cet entretien.

Que les choses soient claires : pour moi, cette interdiction est dès à présent nulle et non avenue car contraire à la Constitution. Je n’imagine pas un bâtonnier engager des poursuites, ni un conseil de discipline condamner pour violation d’une interdiction déclarée contraire à la Constitution parce qu’elle porte atteinte aux droits de la défense. Les deux limites qui restent sont celles plus générales du secret professionnel, du délit de divulgation d’information, et de notre conscience.

Il n’y a pas violation du secret professionnel tant que nous restons dans les limites de l’exercice des droits de la défense, qui n’ont jamais interdit à un avocat de révéler ce qu’il estime devoir l’être dans l’intérêt de son client, de même que le délit de divulgation d’information (art. 434-7-2 du Code pénal) précise bien “sans préjudice aux droits de la défense”. Donc tant que cette communication est conforme aux intérêts de la défense, chers confrères en garde à vue, usez si nécessaire de votre téléphone.

Mais avec la prudence qui nous caractérise.

Ces appels doivent être limités strictement à ce que le la défense exige. Pas de problème pour contacter l’avocat habituel du gardé à vue que la police n’aurait pas réussi à joindre (je ne vous cache pas que je ne me suis jamais gêné, art. 63-4 ou pas). N’hésitez pas non plus à contacter la famille proche dans les affaires où vous êtes certain qu’il n’y a pas de risque de complicité (ex : la mère du mari violent) pour qu’en cas de défèrement, elle soit au Palais avant l’audience avec à la main un bon gros tas de justificatifs de travail et de domicile qui vont permettre d’obtenir une remise en liberté.

Par contre, jamais le copain ou le cousin, qui risque fort d’être celui chez qui les policiers se préparent à se rendre pour une perquisition. De même, dites-en le moins possible sur les faits : ça, c’est du secret professionnel. Rassurez les familles, ça fait partie de votre travail, et les policiers seront ravis de ne plus se faire assaillir de coups de fils de la famille et de vous refiler le fardeau.

Dans le même ordre d’idée, c’est vous et vous seul qui passerez le coup de fil. Vous ne donnez pas le téléphone au gardé à vue. Les phrases codées, ça existe. Je vous conseille d’attendre d’être sorti de l’entretien pour passer le coup de fil. Et dans le doute, abstenez-vous, vous n’êtes pas là pour entraver une enquête. Évidemment, vous ne donnez pas le nom de témoins ou de la victime, pas la peine de vous retrouver soupçonné de complicité de subornation de témoins. Par contre, vous pouvez contacter un témoin de la défense que vous aura indiqué le gardé à vue : je vous rappelle qu’en cas de citation directe, les témoins peuvent être cités sans forme (art. 397-5 du CPP), la seule condition étant qu’ils soient à l’audience. Ça marche mieux quand ils sont prévenus la veille de l’audience plutôt qu’une heure avant.

Et là, je m’adresse à tous mes concitoyens, dans lesquels sommeille un gardé à vue. Les répertoires de vos mobiles sont vos pires ennemis. Apprenez par cœur les numéros essentiels : au minimum, le portable de votre chère et tendre, d’un de vos parents et celui de votre avocat. Nous n’avons pas accès à la mémoire de votre mobile, en garde à vue.

Enfin, la troisième conséquence est que la nullité des gardes à vue du fait d’absence de contrôle par une autorité judiciaire au sens de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales doit continuer à être soulevée, et jusqu’à Strasbourg au besoin (Tramway ligne E, descendre à Droits de l’Homme). Medvedyev nous donne raison pour l’ habeas corpus. Sus, sus !.

Et demain ?

C’est sur nous que va peser le gros du fardeau de cette réforme. Bienheureux secrétaires de la Conférence de la promo 2011 : vous ne savez pas encore que vous l’êtes, mais c’est vous qui serez en première ligne à Paris. Vous allez faire l’Histoire.

Je ne doute pas un instant que la profession sera prête. Elle le fut en 1993, elle le fut en 2000, elle le sera en 2011.

En fait, cela devrait ressembler à ce que nous faisons aux permanences mise en examen. Prendre vite connaissance du dossier (après tout, le temps que nous prenons rallonge d’autant la garde à vue), ce qui sera rapide pour les procédures en flagrance, qui seront très courtes à ce stade, et plus long pour des grosses préliminaires (du genre une affaire d’escroquerie à la cavalerie bancaire en préliminaire depuis un an…) et sur les commissions rogatoires. Pour les instructions, ça va être prolématique : comment le dossier de l’instruction pourrait-il attendre l’avocat au commissariat ?

Eh bien voilà une excellente occasion de mettre fin à une pratique illégale généralisée depuis un siècle chez les juges d’instruction : ce que mon confrère lyonnais François Saint-Pierre appelle la sous-traitance de l’instruction.

Le CPP interdit à tout juge d’instruction d’adresser la parole à un mis en examen sans que son avocat n’ait été préalablement convoqué au plus tard cinq jours ouvrables avant. C’est une règle posée depuis 1897. Les juges d’instruction ont fait de la résistance et ont décidé qu’avant d’être mis en examen (on disait alors inculpé), le suspect était témoin des faits qu’il a commis. D’où l’idée géniale de les faire entendre par la police en qualité de témoin. Sans avocat. C’est la naissance de la garde à vue, fille bâtarde de l’illégalité et du mépris de la défense. C’est d’ailleurs cette idée qui aboutira un siècle plus tard à la menace de la disparition des juges d’instructions, qui ont ainsi expliqué comment se passer d’eux. Superbe ironie de l’histoire : cette décision du Conseil constitutionnel rendant la garde à vue aux avocats prive désormais de tout intérêt la suppression du juge d’instruction. Le combat des avocats contre la garde à vue va sans doute sauver les créateurs de celle-ci. Une chance que nous ne soyons pas rancuniers.

La consultation du dossier sera nécessairement suivie par un entretien - confidentiel - avec le gardé à vue pour lui expliquer la situation et faire avec lui les grands choix tactiques. Moment essentiel.

Au cours des interrogatoires et confrontations, le port de la robe sera de mise : nous serons dans l’exercice de nos fonctions. Les règles pourront s’inspirer de celles de l’instruction. L’OPJ (ou l’APJ[1] dirige l’interrogatoire, l’avocat peut poser des questions à la fin, et ses interventions éventuelles sont consignées dans le procès verbal. Un texte qui nous imposerait le silence serait inacceptable. Ce silence imposé a pris fin dans les cabinets d’instruction en 1993, ce n’est pas pour qu’il renaisse dans les commissariats. Ne comptez pas sur moi pour rester coi, même si mon intervention la plus fréquente consistera probablement à dire à mon client de ne pas répondre à la question (et je n’ai aucun problème pour qu’on consigne au procès-verbal que je le lui ai dit). Il faudra prévoir la possibilité pour l’avocat de déposer des observations qui seront annexées au procès-verbal, à l’instar des conclusions en désaccord de l’article 120 du CPP.

Le droit de demander un acte à la police ne me paraît pas indispensable et pratiquement impossible à mettre en œuvre. La police n’est pas le juge d’instruction, elle est le bras séculier du parquet, partie adverse, et au surplus, aucune procédure d’appel d’un refus d’acte n’est envisageable. La CEDH dit d’ailleurs que l’avocat a le droit de rechercher des preuves, mais n’a jamais reconnu de droit à la défense de demander qu’une telle recherche soit faite pour elle. On pourra naturellement faire des suggestions à l’OPJ, voire formaliser cette suggestion par écrit sous formes d’observations, et critiquer en opportunité un refus, mais aller jusqu’à en faire un droit de la défense serait irréaliste - ou serais-je déjà trop blasé ?

C’est au niveau de l’organisation matérielle qu’il va falloir tout remettre à plat.

L’assistance effective de l’avocat ne suppose pas que nous soyons présents du début à la fin de la garde à vue : c’est notre client qui est en garde à vue, pas nous. Elle suppose deux choses : que nous soyons mis en mesure d’assister notre client chaque fois que ses déclarations seront reçues (donc avertis suffisamment à l’avance pour foncer au commissariat) (ajout : avec accès au dossier de la procédure, bien sûr) et que nous puissions avoir en principe accès à notre client à tout moment, sauf impossibilité matérielle provisoire (perquisition en cours). Ces conditions remplies, les droits de la défense seront considérés comme respectés.

Pour la police, cela supposera d’anticiper l’interrogatoire. À Paris, prévenir l’avocat une heure avant devrait suffire. En province, ce sera plus délicat (les routes aveyronaises en hiver, c’est pas tout à fait ça). Pour l’avocat, cela supposera de se tenir disponible tout au long de la garde à vue. Même de nuit. C’est notre profession, et notre honneur (phrase à se répéter trois fois quand on essaiera de garder les yeux ouverts à trois heures du matin).

L’obstacle ne paraît pas insurmontable : il suffit de lire les PV de fin de garde à vue pour voir que les moments d’activité de la procédure nécessitant l’audition du gardé à vue sont une portion infime de la mesure elle même. Il y aura une période d’adaptation ; à nous de la rendre la plus facile possible.

Surtout, cela suppose une révolution du système de permanence, et là, je ne cache pas ma joie. Le système actuel à Paris, le seul que je pratique, m’a toujours paru insatisfaisant. 12-15 avocats, de permanence de jour (appelables de 6h à 21h) et 12-15 autres de nuit (21h-6h), qui arrivent, font un cours de procédure pénale accéléré au gardé à vue, en espérant qu’ils ne commettent pas l’erreur d’aborder la défense au fond, ce qui est une perte de temps, et sortent à jamais du dossier, puisque l’Ordre refuse le droit de suite : l’avocat intervenu en garde à vue ne peut pas être désigné au titre de la commission d’office. Ce système est stupide et injuste.

Celui qui a un avocat choisi (donc payant) aura le même avocat en garde à vue et devant le tribunal. Lui peut préparer sa défense au fond dès le début. Celui qui demande un avocat commis d’office se contentera d’un inconnu de passage qui ne sortira pas des généralités (“vous avez le droit de garder le silence ; vous avez bien mangé ? On vous a tapé ?”). Le but initial était d’éviter que des avocats peu scrupuleux profitassent des gardes à vue pour faire du racolage de clientèle. L’Ordre va jusqu’à exiger que l’avocat ne donne pas son nom au gardé à vue ! Voilà bien une injonction saugrenue à laquelle je me suis toujours gardé d’obéir (Monsieur le bâtonnier, si vous voulez engager des poursuites disciplinaires à mon encontre, je me tiens à votre disposition). La moindre des choses est que le gardé à vue connaisse le nom de l’avocat qui l’assiste, et dont le nom figure d’ailleurs à la procédure. Et si le client veut le recontacter par la suite pour qu’il l’assiste, cela relève du libre choix de l’avocat. On s’est assez battu pour ce droit dans le cadre de l’assurance de protection juridique pour le jeter aux orties dans le cas du traitement en temps réel.

La seule solution acceptable est de faire un système de permanence à dossier unique. Je m’explique : le Bâtonnier m’informe que je serai de permanence le 1er avril. À charge pour moi de me libérer de toute audience ce jour là. Le 1er avril, quand un gardé à vue demandera l’assistance d’un avocat d’office, les avocats commis du jour seront apelés à tour de rôle. Ainsi, je serai contacté pour assister monsieur Machin, aux bons soins du Commandant de police Simone, commissariat du 21e arrondissement. Ce sera mon seul dossier. J’avertis le commandant Simone que je me tiens à sa disposition, et je vois avec elle à quelle plage horaire elle pense effectuer les interrogatoires. Je me présente en avance au commissariat pour prendre connaissance des PVs déjà prêts, faire un brin de causette à Monsieur Machin et lui expliquer ce qu’on lui reproche, les preuves qu’il y a contre lui, et qu’on mette au point sa position.

Et en cas de déferement, l’avocat doit rester saisi du dossier pour l’audience. Ce n’est qu’ainsi qu’on mettra fin à cette injustice que nous avons laissé créer : la différence de traitement entre l’indigent qui relève de la commission d’office, et l’aisé qui a son avocat dès le début. Une défense de qualité pour tous.

Cela suppose aussi une refonte des permanences de comparution immédiate (et mises en examen, puisque visiblement, on va garder les juges d’instruction). Finies les équipes d’avocats galériens survolant à hauteur stratosphérique deux, trois ou quatre dossiers pendant que l’huissier tape frénétiquement à la porte pour dire que le président les attend. L’avantage pour les audiences de comparution immédiate est évident : plus d’attente, les avocats seront prêts à plaider depuis la veille, ils auront déjà eu le temps de réunir leurs pièces et même, et là ça fera plaisir aux procureurs et à leurs ophtalmos, de dactylographier leurs conclusions. Il faudra sans doute prévoir une voiture-balai, un avocat de permanence prêt à substituer au pied levé l’avocat en charge qui serait confronté à une difficulté pour être présent, mais qui pourrait être utilement briefé par son confrère, selon la formule de la substitution que nous pratiquons au quotidien.

Autre avantage de ce système pour l’État, qui devra mettre la main à la poche : un avocat unique, qui doit juste se rendre disponible mais n’est pas pris à plein temps, n’a pas à être rémunéré à la même hauteur qu’un avocat à temps plein. Je suis sûr avec cet argument de capter son attention.

J’ai bien conscience que ces réflexions prospectives ne valent que pour Paris, qui est mon barreau et le seul que je connaisse en profondeur. Paris sera une terre bénie pour la mise en vigueur de cette réforme : un ressort limité à une ville, certes grande, mais une ville, où se trouve la moitié des avocats de France, et où plus d’un millier d’avocats sont volontaires pour les commissions d’office. Les barreaux des grandes villes comme Lyon, Lille, Marseille, Strasbourg, pourront aussi assez facilement s’organiser. Je sais que cela sera autrement plus difficile pour mes confrères de Versailles, dont le ressort est immense et qui en outre sont pour la plupart concentrés à l’est du département, où siègent le tribunal et la cour d’appel, ou pour les 17 avocats du barreau de Guéret, qui devront couvrir toute la Creuse (encore que les gardes à vue y sont plus rares). Le morcellement de notre profession est parfois une faiblesse.

Rappelons enfin que la présence de l’avocat est un droit, pas une obligation. Le gardé à vue peut y renoncer, et le fait qu’un avocat convoqué ne puisse venir ou ne réponde pas à sa convocation n’entachera pas de nullité la procédure, du moment que les diligences nécessaires ont été effectuées (et cela engagera sa responsabilité civile et disciplinaire). À ce propos, il faudra que la permanence de Paris cesse d’envoyer les convocations aux avocats choisis par fax. Les gardés à vue du samedi soir lui en sauront gré (pourquoi pas une permanence nationale dotée des numéros de portable des tous les avocats et gérée par le Conseil National des Barreaux -CNB- ?). Tous les avocats ne reçoivent pas leur fax sur leur iPhone (même si c’est en fait très simple).

Les points sur lequel il faudra se battre sont, d’une part, le refus de toute création d’un régime nouveau, excluant l’avocat au prétexte de sa brièveté. Dès lors que des déclarations pouvant fonder une condamnation sont reçues, l’avocat doit pouvoir être là.
D’autre part, toute prolongation de la garde à vue au prétexte de l’intervention de l’avocat. Dire à un gardé à vue qu’il est là pour 24h et 30h s’il demande un avocat, c’est faire pression sur lui pour qu’il renonce à son droit.
De troisième part, la rémunération décente de l’avocat commis d’office. D’ailleurs, ça fait longtemps qu’on n’a pas manifesté pour l’AJ.

Point optimiste : une de mes taupes au Conseil constitutionnel me confirme que les Sages ont la ferme intention d’être très vigilants sur la conformité de la réforme à venir avec leur décision. Le message a été passé au Gouvernement.

Et pourquoi pas, oui, j’y reviens, c’est ma nouvelle obsession, profiter de cette réforme pour prévoir une procédure d’ habeas corpus, une requête au JLD lui demandant d’examiner la régularité et la justification d’une mesure de garde à vue, et lui permettant d’y mettre fin immédiatement (au besoin en plaçant sous contrôle judiciaire) ?

Voici mes réflexions prospectives, un peu en vrac au fil de la plume, j’espère avoir réussi à rester à peu près clair. J’attends vos commentaires éclairés, quelles que soit vos fonctions : le regard critique des OPJ, des procureurs, et même des juges sera utile. Je connais des députés des deux bords qui seront ravis de porter des amendement pertinents et étayés au Parlement.

Notes

[1] Agent de police judiciaire, chargé d’effectuer des actes d’enquêtes par l’OPJ et sous sa direction. Certains actes clés de la procédure, comme le placement en GAV, ne peuvent être effectué que par l’OPJ en personne.

mardi 3 août 2010

Cadeau Bonus

Il n’y a pas que la décision du Conseil constitutionnel dont la lecture nous donne un sourire d’une oreille à l’autre. La victoire à des à-côtés plaisants. En voici un.

Communiqué de presse du syndicat Synergie Officier (avec mes commentaires en italique).

NB : ce n’est pas un fake, ce communiqué est absolument authentique(pdf). Y compris les majuscules et le logo fait avec WordArt.


Oh le beau logo fait avec le tuto de Word Art ; demain, je t'apprends à utiliser Inkscape

Paris, le 30 juillet 2010

GAV INCONSTITUTIONNELLE : ET APRÈS ?

SYNERGIE OFFICIERS, prend acte de la décision du Conseil Constitutionnel d’annulation du régime « généraliste » de la garde à vue tout en maintenant les régimes dérogatoires (terrorisme, stupéfiants…) et en s’abstenant de prescriptions précises quant à la refonte des textes en vigueur.

Il y en a qui ont séché le cours sur la séparation des pouvoirs…

SYNERGIE OFFICIERS s’étonne que cette décision nébuleuse intervienne alors que le Chef de l’État fixe dans le même temps des objectifs ambitieux de lutte contre la délinquance dans un contexte d’explosion de la violence.

Nébuleux, se : adj. : trop compliqué pour un syndiqué. syn. : Droits de la défense.

SYNERGIE OFFICIERS voit toutefois en cette décision une conformation hâtive et aveuglément servile à une jurisprudence de la CEDH[1] qui prête encore aujourd’hui à confusion quant au rôle de l’avocat dans la garde à vue.

CEDH qui n’est pas visée dans la décision, qui n’applique que des principes constitutionnels. Effectivement, cette décision était nébuleuse.

SYNERGIE OFFICIERS déplore que l’activisme du lobby des avocats s’exerce au mépris du droit à la sécurité des plus faibles pour la satisfaction commerciale d’une profession libérale, dont le travail ne consiste pas en la manifestation de la vérité mais en l’exonération de la responsabilité de leurs clients, fussent-ils coupables !

Tiens, il y en a qui ont déjà oublié leur condamnation pour injure pour avoir tenu des propos similaires ? Je croyais Synergie Officiers plus remontée contre la récidive.

SYNERGIE OFFICIERS exige que les professionnels de l’enquête judiciaire que sont les Officiers de Police soient associés de plein droit aux réflexions de fond qui présideront à la mise en place de la future politique pénale de notre pays, afin que soit préservé le nécessaire équilibre entre droits des victimes, nécessité de l’enquête et droits de la défense.

Sur ce point, rien à redire. Il me paraîtrait aberrant de ne point consulter les OPJ. De terrain, s’entend.

SYNERGIE OFFICIERS redoute, une fois de plus, que l’intérêt collectif soit sacrifié sur l’autel de principes éthérés au mépris des réalités criminelles contemporaines et des difficultés insupportables qui entravent le travail des policiers pour la manifestation de la vérité.

Éthéré : adj. Syn. : Constitutionnel.
Difficultés insupportables : loc. Droits de la défense. v. Nébuleux.

SYNERGIE OFFICIERS met en garde nos décideurs sur les conséquences fâcheuses de décisions précipitées et coupées du réel qu’ils devront assumer quand il s’agira d’affronter les scandales judiciaires à venir (compromission d’enquête, disparition de preuves, pression sur les victimes, représailles sur les témoins…)

Car les pièces ne disparaissent jamais des dossiers quand les avocats ne sont pas là. Demandez aux familles des disparus de l’Isère. Et jamais on n’obtient de faux aveux en garde à vue loin de l’avocat. Demandez à Patrick Dils ou aux mânes de Richard Roman.

Signé : Le Bureau National

Bureau. n.m. Syn. : Front.


NB : Synergie officier est le deuxième des deux syndicats d’officiers de police ; affilié à la CFE-CGC, il a obtenu 44,8% des voix aux élections professionnelles de 2006 et 44,5% aux élections professionnelles de janvier 2010, derrière le Syndicat National des Officiers de Police (SNOP), affilié à l’UNSA, nettement plus modéré. La participation est de l’ordre de 87% chez les officiers. Même minoritaire, il est indiscutablement représentatif. Son pendant dans le corps des gardiens de la paix est Alliance Police Nationale, lui aussi second avec 37,61% des voix (82,79% de participation).

Il me tarde de faire leur connaissance lors des gardes à vue.

Notes

[1] Cour Européenne des Droits de l’Homme.

mercredi 7 avril 2010

Ni fleurs ni couronnes

Plusieurs sources corroborent l’information, autant la rendre officielle ici.

La réforme annoncée de manière tonitruante par le président de la République, validée comme toujours a posteriori par une commission feignant une concertation pour conclure que l’idée du chef était bien la meilleure, bref, la suppression du juge d’instruction, est abandonnée.

Le revers électoral subi aux régionales a fait prendre conscience à l’actuelle majorité que son maintien en place en 2012 n’est pas acquis. Du coup, une réforme gigantesque comme celle-ci, qui nécessite un consensus bi-partisan pour prospérer, consensus qui est inexistant actuellement, et qui prend déjà l’eau sous les coups de boutoir de la Cour européenne des droits de l’homme, qui disqualifie le parquet comme autorité judiciaire, sans compter l’hostilité manifestée à mots couverts par le président du Conseil constitutionnel et même par le procureur général de la cour de cassation.

À la place, on votera un texte a minima sur la garde à vue, car la Chancellerie a parfaitement compris que le système actuel viole la Convention européenne des droits de l’homme, bien qu’elle affirme le contraire. Bon, à sa décharge, les juridictions françaises font dans l’autisme et valident à tour de bras ces procédures. La seule urgence, c’est la Question Prioritaire de Constitutionnalité pendante devant la cour de cassation sur ce point.

Rassurez-vous, ce sera vraiment a minima. je suis prêt à parier que le système qui en sortira ne sera toujours pas conforme à la Convention. On le justifiera en disant que c’est “à la française”.

À ce sujet, j’ai assisté la semaine dernière au procès intentée par mon Ordre bien-aimé au syndicat Synergie Officiers pour injures publiques à l’encontre de ma profession, traitée de “commerçants dont les compétences sont proportionnelles aux honoraires”. À cette occasion, l’Ordre avait fait venir un aréopage prestigieux d’avocats européens : l’Espagnol Alvaro Gil Robles, ancien commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Lord Peter Goldsmith, ancien attorney general de Tony Blair de 2001 à 2007, le bâtonnier de Naples, membre du Conseil Supérieur de la Magistrature italien, et le bâtonnier de Munich, tous venus expliquer comment ça se passait dans leurs pays respectifs. C’était passionnant, et pour tout dire, humiliant pour la France.

En Espagne, la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue est inscrit dans la Constitution de 1978. Seule bizarrerie : l’avocat ne peut avoir un entretien confidentiel qu’après le premier interrogatoire. En Angleterre, le principe est centenaire, et le budget de l’aide juridictionnelle est d’1,4 milliards d’euros, contre 250 millions en France. En Allemagne, la garde à vue ne peut excéder 48 heures, car toute personne arrêtée doit être présentée à un juge au plus tard le jour suivant. L’avocat peut assister son client tout le long, et il ne viendrait pas à l’esprit d’un policier de placer en garde à vue quelqu’un qui n’encourt pas une peine de prison ferme effective.

Sur le front de la Cour européenne des droits de l’homme, les décisions continuent à pleuvoir (plus de 40 à ce jour). La Pologne a rejoint le groupe des pays condamnés (CEDH, 2 mars 2010, Adamkievicz c. Pologne, n°54729/00), et j’ai relevé un arrêt Boz c. Turquie du 9 février 2010 (n°2039/04) où la Cour a décidé de parler lentement et en articulant pour des pays comme la France qui ne comprenaient toujours pas le message (je graisse) :

33. En ce qui concerne le grief tiré de l’absence d’avocat pendant la phase d’enquête préliminaire, la Cour renvoie aux principes posés par l’arrêt Salduz qui fait autorité en la matière (précité, §§ 50-55). 34. En l’espèce, nul ne conteste que le requérant a été privé de l’assistance d’un conseil lors de sa garde à vue – donc pendant ses interrogatoires – (paragraphe 5 ci-dessus) parce que la loi en vigueur à l’époque pertinente y faisait obstacle (Salduz, précité, §§ 27 et 28). 35. En soi, une telle restriction systématique sur la base des dispositions légales pertinentes, suffit à conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 de la Convention (Dayanan c. Turquie, no 7377/03, §§ 33-34, 13 octobre 2009).

C’est clair, ce me semble. Enfin, visiblement pas tant que ça, vu le nombre de juges qui valident toujours ces gardes à vue et condamnent en s’appuyant sur ces PVs. Que voulez-vous ? On fait comme ça depuis un siècle. C’est un produit du terroir, la garde à vue.

Enfin, le juge d’instruction est sauvé, pour le moment, et c’est pas plus mal vu ce qu’on proposait à la place. J’espère que cela permettra l’entrée en vigueur, enfin, de la collégialité de l’instruction, votée en 2007 et reportée sans cesse depuis. Je place beaucoup d’espoirs dans cette réforme, qui évitera les difficiles transitions lors des changements de juge, et qui surtout mettra fin à une anomalie : le juge d’instruction est la seule juridiction nommée en France. On plaide devant la 23e chambre, on fait appelle devant le Pôle 4 chambre 8 (à paris du moins), mais c’est Madame Lulu, juge d’instruction, qui instruit. Aucun condamné ou presque ne connaîtra le nom du président qui l’a condamné, mais tous se souviennent du nom du juge d’instruction. Cette personnalisation de la juridiction lui a été sans nul doute néfaste, avec l’apparition de juges-stars, et de juges épouvantails.

Bon, la garde à vue va un peu s’améliorer, on va moins y recourir, et on ne va pas se lancer dans une réforme aventureuse dont les conséquences n’avaient que très mal été évaluées. Appelons ça une hirondelle, faute de pouvoir l’appeler le printemps.

mardi 9 février 2010

14 ans, en garde à vue en pyjama

France Info, décidément à la pointe sur la question de la garde à vue (c’est le chef de son service police-justice, Matthieu Aron, qui a révélé que les statistiques officielles étaient grossièrement maquillées à la baisse en ignorant les gardes à vue pour délits routiers, au nombre de 200.000), sort une nouvelle info aujourd’hui. C’est une info anecdotique, un cas individuel, mais qui selon les responsables de la radio d’information est révélateur de la dérive actuelle.

Une jeune fille âgée de 14 ans, Anne (je ne sais si c’est son vrai prénom) aurait, à la suite d’une bagarre à la sortie de son collège à Paris dans le XXe arrondissement, dans laquelle elle aurait été impliquée (pour tenter de séparer les belligérants dit la demoiselle) été interpelée à son domicile, au saut du lit, à 10h30 (rappel : c’est une adolescente, 10h30, c’est l’aube, pour eux), et conduite “en pyjama” et menottée au commissariat, où elle est restée 8 heures en garde à vue, avant d’être remise en liberté dans l’attente d’une convocation devant le juge des enfants.

Son récit peut être entendu sur cette page (cliquez sur “Récit d’une garde à vue en pyjama à 14 ans Par Grégory Philipps”, Flash® nécessaire).

Un responsable syndical de Synergie, interviewé sur l’antenne (toujours sur cette page, cliquez sur ” La version de Anne, démentie par Mohammed Douhane, commandant de police et membre du syndicat d’officiers de police Synergie”) il y a une heure environ a démenti les propos de la jeune fille. Quand bien même il était étranger à cette procédure, il dit avoir interrogé ses collègues, qui ont nié qu’elle était en pyjama mais ont reconnu qu’elle était dans une sorte de jogging qu’elle portait lorsqu’elle dormait (ce qui pour moi correspond assez bien à la définition de pyjama, mais je ne suis pas policier), qu’elle ait été menotté à un quelconque moment, ont affirmé que la procédure avait été scrupuleusement respectée (elle a pu voir un avocat et a été vue par un médecin comme c’est obligatoire) et que d’ailleurs, la jeune fille avait avoué sa participation aux violences, et était convoquée pour être jugée.

Tout cela appelle un commentaire de ma part.

Sur le pyjama : Il est parfaitement possible que si le policier a estimé que son jogging était un vêtement suffisant, il ait décidé de la conduire ainsi au commissariat. Qu’une personne interpellée ait besoin de s’habiller est un cas fréquent, les interpellations ayant souvent lieu à 6 heures, heure légale, pour être sûr que la personne sera chez elle et endormie, mais dans ce cas elle doit rester sous la surveillance constante d’un policier. Encore faut-il, dans le cas d’une jeune fille, que du personnel féminin soit présent. Si tel n’était pas le cas, il ne serait absolument pas étonnant que le policiers en charge de l’interpellation ait estimé que son jogging était parfait pour une garde à vue. Il va de soi que le simple fait de se coiffer est exclu. Le désaccord sera donc ici de vocabulaire : la jeune fille parle de pyjama, le policier de jogging. Admettons qu’il est acquis qu’elle n’était pas en robe de nuit.

Sur les menottes : Je ne crois pas une seule seconde que cette jeune fille n’ait à aucun moment été menottée. Le menottage est systématique, même sur les mineurs, lors du transport, et ce en violation de la loi. Les officiers de police judiciaire (OPJ) appliquent la loi de l’emmerdement minimum : si un gardé à vue s’enfuit, se blesse ou blesse quelqu’un alors qu’il n’était pas menotté, c’est de la faute de l’OPJ. Donc dans le doute, on menotte tout le monde. Ça fait gueuler les avocats, mais où irait une République qui accorderait de la considération à ce que disent les avocats, comme on dit à Téhéran ? Et puis là, les policiers ont un prétexte en or : elle est mise en cause dans une affaire de violences volontaires, donc elle est susceptible d’être violente, hop, les pinces. La seule exception est pour les très jeunes enfants (genre 10 ou 6 ans), mais là c’est parce que les poignets sont trop petits.

Sur le respect de la procédure : j’accorde très volontiers le bénéfice du doute à la police. Rien dans ce récit ne me permet de subodorer que le code de procédure pénale n’a pas été respecté. Tout ceci est parfaitement conforme à la loi en France. C’est bien là le problème. Mais il n’est pas de la responsabilité de la police de le résoudre, c’est au législateur de prendre ses responsabilités. Je vais attendre assis, si ça ne vous dérange pas.

Sur ses aveux : 14 ans, réveillée par la police qui l’arrête conduite en pyjama-jogging au commissariat, entendue pendant huit heures, sans la possibilité d’être assistée par un avocat qui aurait accès au dossier. Ça c’est de la preuve solide et irréfutable, largement suffisante pour dès 14 ans lui coller un casier judiciaire. J’espère que mon confrère Jean-Yves Halimi qui est saisi de ce dossier obtiendra la nullité de cette garde à vue qui colle parfaitement à l’arrêt Dayanan.

Et pour finir, une réflexion plus générale.

Nous sommes à la veille d’une réforme du droit pénal des mineurs. L’UMP, sur son site, prépare le terrain et appelle “à la fin de l’angélisme”.

Coïncidence ? Depuis début janvier, je n’ai jamais eu autant de garde à vue de mineurs. C’est peut-être les hasards de la commission d’office, donc je demande à mes confrères qui assurent les permanences, qu’en est-il de votre côté ?

Parce que non seulement on dirait qu’elles explosent, mais c’est pour des faits parfois hallucinants. Une jeune fille de 15 ans, sans casier, en garde à vue pour avoir tenté de voler une paire de chaussures en solde (40€ chez Monoprix, donc 20 € partout ailleurs ; je rappelle que ma venue a coûté 63€ au contribuable) ; un jeune homme de 15 ans, sans casier non plus, en garde à vue pour avoir fait un croc-en-jambe à un camarade à la sortie du collège. Sur ce dernier, quand l’OPJ m’a dit ça, j’ai demandé de combien était l’incapacité totale de travail de la victime : je m’attendais à une fracture ou un trauma crânien. Non, rien, elle est ressortie de l’hôpital au bout de 10 mn, pas un jour d’ITT. J’indique mon incompréhension : violences volontaires sans ITT, c’est une contravention de 4e classe, 750€ d’amende max, bref, c’est aussi grave que porter une burqa, mais ça ne justifie par une garde à vue faute de prison encourue. Réponse du policier : mais la victime est mineure de 15 ans puisque c’est un camarade de classe qui n’a pas encore fêté son anniversaire, et les faits ont eu lieu à proximité d’un établissement d’enseignement : deux circonstances aggravantes, donc cinq ans encourus, art. 222-13, 1° et 11° du Code pénal. Avis à la population : désormais, bousculer un camarade dans la cour de récréation, c’est deux heures de colle ET cinq ans de prison.

Donc, il y aurait eu des consignes pour mettre le paquet sur les gardes à vue des mineurs au nom des objectifs chiffrés que ça ne m’étonnerait pas. Ça y ressemble.

Ce qui aura pour effet mécanique et mathématique d’augmenter les chiffres des gardes à vue de mineurs et de délinquance des mineurs.

Je parie donc une bouteille de champagne contre une boîte de petits pois que quand le gouvernement sortira sa réforme de l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante, on aura un beau communiqué nous disant : regardez, la délinquance des mineurs explose, +30% sur le premier semestre, vite, vite, il faut voter une loi donnant à la justice les moyens de taper plus fort, car c’est en cognant nos enfants et en ayant peur d’eux que nous construirons la France de demain.

Voilà ce que révèle cette affaire, au-delà de l’anecdotique. Merci à France Info d’en avoir parlé.

jeudi 9 octobre 2008

De quelques idées reçues sur le prétendu laxisme des magistrats

Par Gascogne


Le syndicat de policier "Synergie Officiers" nous a déjà habitué à des déclarations fracassantes à l'égard des magistrats (un petit exemple sur les JLD dans le contentieux des étrangers, ou encore récemment sur une remise en liberté contestée par les policiers). La nouvelle sortie de ce syndicat dans la presse n'étonne pas vraiment le monde judiciaire. Par contre, elle agace prodigieusement.

Quelques éléments doivent être rappelés à nos amis policiers de ce si sympathique syndicat.

Le premier, et pas des moindres, est que la critique publique d'une décision de justice est un délit puni tout de même de 6 mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende (art. 434-25 du Code Pénal). Dés lors, avant de donner des leçons aux magistrats sur la manière de faire respecter la loi aux sauvageons des banlieues, un respect de la loi par ces mêmes syndicalistes serait-il de nature à démontrer que ce n'est pas deux poids et deux mesures : la loi dans toute sa rigueur pour les délinquants d'habitude, le laxisme le plus extrême pour les policiers qui s'expriment.

Le second concerne la notion même de sanction. Une peine d'emprisonnement ferme avec mandat de dépôt à l'audience n'est pas le seul et unique moyen de sanctionner un comportement. Il suffit de se plonger quelque peu dans le Code Pénal pour se rendre compte que le législateur a entendu privilégier diverses sanctions pénales, dont certaines dites "alternatives" à l'enfermement, pour ne laisser la peine de prison, qui plus est à "exécution immédiate" qu'en dernier ressort. Dés lors, affirmer que le sentiment d'impunité résulte du fait que les juges laxistes ne prononcent pas assez de mandats de dépôt à l'audience est d'un simplisme démagogique à toute épreuve. Beccaria doit s'en retourner dans sa tombe.

Ensuite, concernant le choix des procédures ("certaines personnes ne sont même pas déférées !"), l'action publique appartient encore aux procureurs. Je sais bien que cela énerve certains officiers et commissaires de police (l'ex syndicat majoritaire des commissaires, le SCHPNF, alias le Schtroumpf tant ce sigle est imprononçable, avait en son temps proposé que l'action publique relève au moins en partie des commissaires de police), mais cette réforme n'est pas encore à l'ordre du jour. Que les personnels de police les plus critiques passent le concours de la magistrature, et nous pourront discuter de l'opportunité d'une politique pénale.

Mais ce n'est pas tant la critique en soi qui agace le plus. Ce ne serait que saine participation démocratique si les syndicalistes de "Synergie Officiers" balayaient un peu devant leur porte. Car ils oublient tout de même de préciser que dans un certain nombre de cas, s'il n'y a pas de défèrement, c'est que la gestion policière du dossier a laissé à désirer : garde à vue nulle (rarement une semaine à la permanence téléphonique du parquet sans une levée de garde à vue pour nullité substantielle), compte rendu peu clair, actes d'enquête non effectués...Ce même syndicat (du moins me semble-t-il) avait en son temps proposé qu'un "observatoire des bavures judiciaires" soit mis en place. Le parallélisme des formes pourrait imposer que les magistrats se mettent à publier toutes les nullités de procédure faites par la police.

Faire incarcérer une personne, et aller devant une juridiction de jugement alors même que la procédure est bancale pourrait certes permettre aux enquêteurs de penser que le parquet "les soutient" (encore que je n'ai pas vu dans la loi où il était inscrit qu'il s'agissait là d'une des fonctions du parquet), mais ne serait pas digne du fonctionnement d'une justice démocratique. Les procureurs ne sont pas notés aux "crânes".

Que l'on ne se trompe pas sur mon agacement : après pas mal d'années passées dans diverses fonctions pénales, je sais parfaitement bien que la majorité des policiers fait très bien ce pour quoi elle est payée, à savoir interpeller les auteurs d'infractions pénales et procéder les concernant à une enquête en bonne et due forme.

Cela représente pour les policiers une masse de travail considérable. Pour les magistrats également. Raison pour laquelle les poursuites et les décisions qui sont prises par la suite, tant par les magistrats du parquet que par ceux du siège, méritent bien mieux que les approximations démagogiques de quelques excités pour lesquels la frustration le dispute à l'incompétence.

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