Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 20 avril 2012

Un peu de droit électoral

Dimanche va se tenir le premier tour des élections présidentielles. Ce n’est, je l’espère, pas un scoop pour vous, mais cette introduction servira à ceux qui liront les archives de ce blog dans quelques mois.

Deux points font débat, qui posent des questions de droit sur lesquelles un éclairage s’impose car bien des sornettes sont dites.

La législation sur les sondages

Une bonne fois pour toute, que dit la loi, et que ne dit-elle pas ?

C’est la loi n°77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion qui réglemente la question.

Elle s’applique à la publication et la diffusion de tout sondage d’opinion ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum, une élection présidentielle ou l’une des élections réglementées par le code électoral ainsi qu’avec l’élection des représentants au Parlement européen, et aux opérations de simulation de vote réalisées à partir de sondages d’opinion (art. 1er).

L’article 11 de cette loi pose l’interdiction qui fait tant jaser :

La veille de chaque tour de scrutin ainsi que le jour de celui-ci, sont interdits, par quelque moyen que ce soit, la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage tel que défini à l’article 1er. Cette interdiction est également applicable aux sondages ayant fait l’objet d’une publication, d’une diffusion ou d’un commentaire avant la veille de chaque tour de scrutin. Elle ne fait pas obstacle à la poursuite de la diffusion des publications parues ou des données mises en ligne avant cette date. (…)

L’interdiction ne s’applique pas aux opérations qui ont pour objet de donner une connaissance immédiate des résultats de chaque tour de scrutin et qui sont effectuées entre la fermeture du dernier bureau de vote en métropole et la proclamation des résultats.

Notons qu’ainsi rédigée, la loi interdit de faire un rappel de l’évolution des intentions de vote des candidats après vingt heures mais avant minuit le jour du scrutin, même une fois les bureaux de vote fermés et les estimations proclamées. C’est une pure maladresse de rédaction, mais la loi est la loi, je fais confiance au parquet pour être ferme.

L’article 12 de cette même loi fixe les peines encourues, par renvoi :

«” Seront punis des peines portées à l’article L. 90-1 du code électoral :
(…)
Ceux qui auront contrevenu aux dispositions des articles 7 et 11 ci-dessus ;”»

L’article L.90-1 du Code électoral prévoit une peine de 75000 euros, peu importe qu’il mentionne l’article L.52-1 du Code électoral puisque l’article 12 de la loi de 1977 ne vise que la peine qu’il prévoit. Vous direz merci au législateur de voter des textes aussi clairs, ordonnés et logiquement bâtis.

L’existence d’une peine d’amende est lourde de conséquence : cela fait des dispositions de l’article 11 un texte pénal. Il doit donc être interprété strictement (art. 111-4 du Code pénal) ; toute analogie ou toute extensions à des situations similaires ou voisines est interdit. De même, ses règles d’application dans le temps et dans l’espace sont celles, spécifiques, du droit pénal.

Voyons donc ce que sanctionne strictement cet article.

Il sanctionne deux actes : le fait (1) par quelque moyen que ce soit, (2) soit de publier ou soit de diffuser (3) un sondage d’opinion ou une simulation de vote réalisée à partir de sondages d’opinion, portant sur l’élection présidentielle (la même s’appliquera lors des deux tours des législatives, mais la profusion de candidats rend les choses moins intéressantes).

Une publication s’entend, à mon sens (je n’ai trouvé aucune jurisprudence de l’application de cet article) de la première communication au public des résultats d’un sondage, la diffusion s’entend de la reprise de cette publication ou de son signalement d’une façon accessible au public. Par exemple, le journal La Libre Syldavie publie sur son site internet les résultats. C’est une publication au sens de la loi. Tous ceux qui sur Twitter signaleront cette parution, avec un lien vers le site, diffuseront ce sondage (je reviendrai plus tard sur le fait que le site de la Libre Syldavie est hébergé à Klow, en Syldavie).

A contrario, la loi ne sanctionne pas le fait de téléphoner, d’adresser par courrier électronique privé, ou par message privé, de tels sondages, faute de caractère public. De même, la publication ou la diffusion de ce qui n’est pas un sondage d’opinion ne tombe pas sous le coup de la loi : une impression personnelle, une rumeur, une supputation, un concours de pronostics ne sont pas des sondages d’opinion.

Le fait de publier un sondage en le faisant fallacieusement passer pour une invention tombe sous le coup de la loi, car cela ne lui retire pas sa qualité de sondage. Le parquet devra prouver que c’était un sondage déguisé, mais le fait d’avoir “deviné” tous les bons chiffres devrait suffire à convaincre le juge, sauf à ce que vous ayez aussi gagné au Loto ce week-end là. Idem pour les messages codés à la “Flanby devance Joe Dalton d’un demi-point”. Il ne faut pas prendre les juges pour des imbéciles : c’est de l’exercice illégal de la profession d’avocat.

Se pose à présent le très intéressant problème de l’application de cette loi dans l’espace. J’ai lu des avis autorisés affirmer sans rire que tout site étranger qui publierait de tels résultats avant 20 heures heure française encourrait les foudres des tribunaux français. À cela je dirais, comme Démosthène apprenant après avoir lancé sa première philippique que le peuple avait opté pour l’attentisme d’Eubule : “What the fuck ?”

Les article 113 du Code pénal posent les règles d’application de la loi pénale française dans l’espace (pas au sens de “Des cochons dans l’espace”, mais dans le sens de sa territorialité).

Ces règles sont les suivantes : la loi pénale française s’applique à toute personne se trouvant sur le territoire français, quelle que soit sa nationalité. Une infraction est réputée commise en France dès lors qu’un de ses éléments constitutifs est commis en France. On assimile au territoire française les bateaux battant pavillon français et les aéronefs immatriculés en France (article 113-4).

Quand les faits sont commis à l’étranger, la loi française peut leur être applicable, à certaines conditions. Sans rentrer dans les détails, qui feront les tortures des étudiants de L2 de droit, la loi pénale française s’applique à l’étranger quand l’auteur est français, ET, condition cumulative, que les faits constituent un crime (soit fasse encourir au moins 15 ans de réclusion criminelle), ou un délit à la condition supplémentaire dans ce dernier cas de la réciprocité d’incrimination, c’est-à-dire que la loi locale réprime également ce délit (article 113-6). Cette condition n’est pas exigée quand la victime est française, mais le délit doit alors être puni d’une peine d’emprisonnement (article 113-7). Rappelons que certains délits, dont celui qui nous occupe ce jour, ne sont punis que d’une amende.

Encore faut-il, pour que le parquet puisse agir, qu’il y ait au préalable plainte de la victime ou dénonciation officielle par les autorités de l’État où les faits ont eu lieu (article 113-8).

Revenons en à présent à notre publication des sondages.

Toute publication ou diffusion depuis la France est réprimée, quelle que soit la nationalité du diffuseur. À mon sens, un journaliste étranger qui annoncerait en direct de Paris à 19h les premières estimations pour sa chaîne étrangère commet bien un acte de diffusion, même si sa chaîne ne peut être reçue en France, car la loi n’exige pas que le message puisse être reçu depuis la France (d’autant que cette chaîne peut vraisemblablement être regardée en streaming depuis la France ou captée par satellite). Le parquet ne poursuivrait jamais une telle hypothèse, on voit à quoi sert l’opportunité des poursuites, mais à mon sens, le délit est constitué (je reconnais que ce point, pure hypothèse d’école qui ne sera jamais tranché, est ouvert à la discussion).

Reste l’hypothèse de la diffusion depuis l’étranger. La loi pénale française ne peut s’appliquer que dans les pays étrangers qui répriment eux-même la diffusion des sondages d’opinion relatifs aux élections présidentielles françaises, ou référendums français, et aux élections législatives françaises. En effet, la loi pénale est d’interprétation stricte, vous vous souvenez ? Se fonder sur une législation similaire interdisant la publication des résultats des élections locales serait une application par analogie, et c’est interdit en droit pénal. Encore faudrait-il que le diffuseur soit lui-même Français (Belges, Suisses, Québecois et Syldaves, vous êtes immunes) ET que les autorités de ce pays dénonçassent officiellement les faits aux autorités françaises. Face à ce cumul d’hypothèses, je lance le même cri que Leonidas entendant la sommation de capituler faite par les hérauts de Xerxès : “Lol !”.

Les petits malins qui me suivent sur Twitter ont soulevé toute une série d’hypothèses pour dissimuler sa localisation : VPN, adresse IP trafiquée, etc. Cela ne change rien : ce qui compte c’est où vous vous trouvez physiquement au moment où vous diffusez le message (ce qui pour un tweet s’entend de l’envoi du message, puisque c’est la seule opération que vous faites et qui suffit à la diffusion du message). Utiliser un VPN ou une adresse IP syldave posera au parquet un problème de preuve, mais il pourra prouver par tout moyen que vous étiez bien en France. Internet n’est pas un lieu, ergo une adresse IP n’est pas une preuve de votre localisation.

Donc, une bonne fois pour toute : si vous vous trouvez à l’étranger, vous pouvez discuter tranquillement des résultats, et si vous parlez tellement fort que vous pouvez être lu depuis la France, vous ne tombez pas sous le coup de la loi pénale. Toute hypothèse contraire revient à dire que publier sur internet impose de respecter toutes les législations de tous les pays connectés à l’internet, cumulativement, ce qui, quand on va arriver aux lois iraniennes, syriennes, birmanes et nord-coréennes, va rapidement poser problème.

Pourquoi le vote blanc n’est-il pas pris en compte ?

Voilà vraiment le marronnier des élections présidentielles, avec la controverse des 500 signatures, qui rejaillira en 2017, et à laquelle je n’opposerai que deux mots : Jacques Cheminade. Si un tel hurluberlu a obtenu (à deux reprises) ses 500 signatures, qu’on ne vienne pas me dire que le système est trop sélectif : il ne l’est manifestement pas assez (et je ne crois pas aux larmes de crocodile des Le Pen père et fille, pour les raisons que j’ai indiquées il y a 5 ans).

Le vote blanc est pris en compte, mais il l’est pour ce qu’il est : un vote blanc. Stricto sensu, un vote blanc est une enveloppe dans lequel on a glissé un papier ne portant aucun nom. Participant régulièrement aux opérations de dépouillement, je suis confronté régulièrement à des cas d’électeurs ayant clairement montré leur intention de n’émettre aucun vote tout en étant venu voter. Les bulletins blancs sont fort rares ; la plupart du temps (une fois sur deux), c’est une enveloppe vide, ou, au second tour, les deux bulletins. Parfois, on a des cas bizarres : un ticket de parking, une page de journal, etc.

Mettez-vous un instant à la place des scrutateurs. Comment différencier ce qu’a voulu dire celui qui a glissé une enveloppe contenant un bulletin blanc et celui ayant glissé une enveloppe vide (ou un ticket de parking) ? Ils ont voulu dire la même chose : pour des raisons qui me sont propres, et qui au demeurant n’intéressent personne, je refuse de choisir entre les divers candidats.

Concrètement, les scrutateurs (il y en a 4 par table) constatent ensemble la cause de nullité, qui est inscrite sur l’enveloppe (par une lettre correspondant aux cas les plus fréquents), les 4 scrutateurs signent l’enveloppe dans laquelle est remis ce qu’il y avait éventuellement à l’intérieur et elle est aussitôt remise au président du bureau de vote qui l’annexera au procès verbal des opérations, pour qu’en cas de contestation, cette voix puisse être examinée.

Et en tant que scrutateur régulier, d’ailleurs, je voudrais dire une chose aux amateurs du vote blanc : vous faites chier. Les opérations de dépouillements sont longues et fastidieuses, et notre seule récompense est d’échapper à la soirée électorale à la télévision. Chaque bulletin blanc ou nul interrompt les opérations et fait perdre une à deux minutes, pendant lesquelles on peut facilement décompter une vingtaine de bulletins quand on a pris le rythme. 20 bulletin blancs ou nuls, c’est une demi heure de temps des scrutateurs, et je vous rappelle qu’on est bénévole, que c’est dimanche soir et qu’on bosse le lendemain, et que nous avons décidé non seulement de prendre part à l’élection mais d’aller au-delà et de donner de notre temps pour qu’elle se déroule jusqu’au bout. Tout ça pour venir nous dire que ces candidats ne sont pas assez bien pour vous, pauvres bichons, je vous assure que votre geste n’est vraiment pas regardé comme civique par les scrutateurs. Non, franchement, si vous n’êtes pas fichu de faire un choix, allez pêcher, abstenez-vous mais n’allez pas perturber les opérations électorales.

L’objet d’une élection est de choisir. C’est l’étymologie du mot. Si on ne choisit pas s’il faut passer à bâbord ou à tribord de récifs, on s’échoue dessus. Le choix doit être fait, même si aucun ne vous plaît, car ne pas choisir est le pire des choix. La République a besoin d’un président, pour promulguer les lois, négocier les traités, nommer les ministres, commander l’armée. Et non, elle n’attendra jamais que vous ayez enfin trouvé un candidat assez beau pour vous plaire.

Mais le vote blanc, disais-je est pris en compte car un vote blanc ne compte pas dans l’abstention, qui est le rapport du nombre d’électeurs ayant signé les listes électorales sur le nombre total d’électeurs inscrits. Un vote blanc et nul compte dans la participation.

Il n’est pas distingué des votes nuls pour les raisons que j’ai indiquées ci-dessus : bulletin blanc, pas de bulletin, ticket de parking, le messages est le même, et ce message est : .

Commencer à distinguer entre ceux qui ne disent rien selon leur façon de ne rien dire est de nature à se faire renvoyer devant la cour d’assises des mouches pour viol aggravé.

Le chiffre des blancs et nuls est publié avec chaque résultat officiel : il est donc bel et bien pris en compte. Il ne l’est pas en revanche dans le résultat car seuls comptent les suffrages exprimés, or un bulletin blanc n’est par définition pas exprimé. Ainsi lors des dernières élections présidentielles, sur 37 254 242 de voix au premier tour, 534 846 furent des bulletins blancs ou nuls, soit 1,44% (notons au passage que 4 candidats ont donc fait moins que les votes blancs ou nuls : Frédéric Nihous, José Bové, Arlette Laguiller et Gérard Schivardi).

Au second tour, sur 37 342 004 voix, 1 568 426 furent blanches ou nulles, soit 4,20 %. Ces 4,20% n’ont pas été comptés dans l’abstention, mais ont été retirés des scores relatifs des candidats car seuls comptent les suffrages exprimés, quitte à me répéter. Leur prise en compte dans les résultats auraient donné 50,83% à Nicolas Sarkozy et 44,97% à Ségolène Royal (au lieu de 53,06% / 46,94%). Je vous laisse chercher l’intérêt de la chose.

Sur ce bon vote noir ce dimanche, ou bonne pêche.

mercredi 6 juillet 2011

Pour en finir avec la binationalité

Quelques mots sur un sujet qui me tient à cœur, car outre le fait qu’il me concerne de très près, il s’agit d’une utilisation, pour ne pas dire d’une instrumentalisation d’un concept juridique à des fins politiques peu ragoûtantes. En somme, tout pour me déplaire.

Il s’agit du concept de binationalité. C’est depuis longtemps la Nemesis du Front national, et une récente polémique liée à la Fédération Française de Football lui a donné une apparence de légitimité, à tel point que l’UMP a cru devoir se saisir du sujet, avant de faire piteusement machine arrière, réalisant l’irréalisme d’une éventuelle intervention législative, pour les raisons que je vais vous exposer.

D’entrée, posons un point essentiel : la binationalité, ça n’existe pas. Le mot est un abus de langage de pour désigner des personnes ayant deux nationalités ou plus (les cas de cumul au-delà de trois sont rares, mais théoriquement pas impossibles).

Donc il ne nous reste que la nationalité. Mais la nationalité, qu’est-ce donc ?

C’est une notion juridique, d’apparition récente, mais qui s’inspire largement de la citoyenneté antique des cités grecques et latines (d’où l’usage répandu du terme “citoyen” sous la Révolution). Elle est apparue en France quand le monarque a cessé d’être l’unique ciment de la France. En effet, jusqu’à la Révolution, quand bien même le Français était la langue officielle, chaque province parlait son patois, avait ses lois locales (droit coutumier d’origine germanique au nord, droti écrit d’origine romaine au sud), ses unités de mesure, et même la religion n’était pas unique, la France étant un des rares pays d’Europe où vivaient des catholiques et des Protestants. Mais tous étaient sujets du roi. Quand le roi a disparu, on lui a substitué l’État, et les sujets sont devenus citoyens.

La nationalité est donc un lien juridique et politique qui rattache un individu à un État souverain. C’est donc l’État souverain qui décide qui est un de ses nationaux. C’est sans doute l’expression la plus pure de sa souveraineté, car elle ne suppose pas l’accord d’un autre État.

Au XIXe siècle est apparu un courant de pensée qui a voulu faire de la Nation quelque chose de plus, une communauté de destins, un lien quasi mystique d’une communauté humaine avec une entité évanescente. Ernest Renan a écrit de très belles lignes sur la question. Mais ce courant philosophique qu’est le nationalisme n’est que cela, un courant philosophique auquel nul n’est tenu d’adhérer. Georges Brassens a chanté que le jour du Quatorze-Juillet, il restait dans son lit douillet, car la musique qui marche au pas, cela ne le regardait pas, ajoutant non sans raison qu’il ne faisait pourtant de mal à personne, en n’écoutant pas le clairon qui sonne. Georges Brassens était pourtant aussi Français que Renan. La nationalité est donc un lien de droit entre un Etat et ses citoyens, et ce n’est rien d’autre.

La nationalité a donc des conséquences juridiques. La minimale est que le national a le droit de rentrer à tout moment sur le territoire de l’État dont il a la nationalité. Dans les démocraties, la nationalité ouvre en outre les droits politiques que sont la participation à la vie publique par le vote et l’éligibilité. Il est de tradition également que l’État accorde à ses nationaux la protection consulaire, c’est à dire qu’un citoyen ayant des problèmes dans un État étranger sera aidé dans ses démarches par la représentation française dans ce pays (cela peut aller de la délivrance d’un titre permettant de rentrer en France en cas de vol de passeport jusqu’à une assistance juridique en cas de poursuites pénales). La France respecte cette tradition et le fait plutôt bien.

Les règles d’attribution de la nationalité sont fixées librement par chaque État. On se réfère souvent à deux types de règles : le droit du sang (jus sanguinis en latin) et le droit du sol (jus soli). Le premier donne à l’enfant la nationalité de ses parents, le second donne à l’enfant la nationalité du pays où il est né. Le droit français a recours a un mélange des deux, que j’ai détaillé déjà dans cet article et donc la relecture sera utile ici. Retenons d’ores et déjà et une bonne fois pour toute que la seule naissance en France ne donne pas la nationalité française. Que je sache, elle ne l’a jamais donnée, mais j’avoue m’être peu intéressé aux textes antérieurs à 1927.

Comme vous le voyez, chaque Etat décide souverainement qui est son national et qui ne l’est pas. Il fixe des règles générales d’attribution de la nationalité et peut l’attribuer discrétionnairement au cas par cas. En outre, il est de tradition française, et cette tradition sera très probablement protégée par le Conseil constitutionnel, qu’il n’existe qu’une seule sorte de Français. Tout comme il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, on est Français ou on ne l’est pas.

Et vous avez désormais en main les données du problème. Quand un citoyen français a une autre nationalité, deux souverainetés se heurtent, et aucune ne peut l’emporter. L’autre Etat a tout autant que la France le droit de décider qui sont ses ressortissants, et le législateur français n’a aucun pouvoir pour limiter la transmission de cette autre nationalité. Qui n’est tout simplement pas son affaire. Pour la France, l’intéressé est Français, point. Il a droit à un passeport français, a le droit de vote et d’éligibilité, et est accessible à tous les emplois publics, y compris ceux supposant l’exercice d’une parcelle de la souveraineté : diplomate, ou juge par exemple (mais pas avocat).

Prenons l’exemple d’une Française, Simone, qui a épousé Hveghi, un Syldave des œuvres duquel naît un fils, Gustave-Wladimir.

Le Code civil syldave, très proche du Code civil français, prévoit en son article 18 qu’est Syldave l’enfant dont un des parents au moins est syldave. Gustave-Wladimir, dont le père est Syldave, est donc Syldave d’origine (rappelons qu’être Syldave d’origine n’est pas la même chose qu’être d’origine syldave). Le Code civil français prévoit, en son article 18 (je vous dis que les deux codes sont très proches) qu’est Français l’enfant dont un des parents au moins est Français. Donc Gustave-Wladimir est Français d’origine.

Il n’est pas franco-syldave, ni syldavo-français. Il est Français. Et il est Syldave. Aux yeux de la Syldavie, il est Syldave. Il aura donc un passeport syldave et pourra, l’âge venu, voter aux élections du pays du Pélican noir, s’ y présenter comme candidat[1], devenir ambassadeur, consul, ou juge à la Cour suprême de Klow. Aux yeux de la France, il est Français. Il aura donc un passeport français, et pourra l’âge venu, voter aux élections, s’y présenter comme candidat, devenir ambassadeur, consul, ou magistrat. Il n’aura pas la moindre limitation à ses droits du fait qu’il a aussi la nationalité syldave, tout comme le droit syldave ne limite en rien ses droits du fait de sa nationalité française.

Si un jour le député Syldave de Dbrnouk Lhiönel Lhukka, que l’on sait politiquement proche des idéaux du Front Bordurien, faisait voter par le parlement Syldave une loi interdisant de cumuler la citoyenneté syldave avec une autre nationalité, cette loi syldave se heurterait à la souveraineté française. La France a décidé que Gustave-Wladimir était français, et la Syldavie n’a pas son mot à dire là-dessus. En outre, si la loi française permet dans certains cas de renoncer à sa nationalité française, c’est seulement si l’intéressé le demande lui-même. Et Gustave-Wladimir n’en aurait absolument pas envie. Tout ce que pourrait faire la Syldavie, ce serait lui refuser la nationalité syldave. Mais le but avoué du député Lhukka n’est pas de diminuer le nombre de syldaves (la Syldavie n’a que 642 000 habitants) mais d’interdire que les Syldaves aient une autre nationalité. C’est à dire de mettre son nez dans les affaires des autres Etats.

Le problème serait le même en France, mais heureusement, l’hypothèse ne se pose pas, on n’a pas un clown comme Lhiönel Lhukka qui proposerait un truc similaire. N’est-ce pas ?.

Tout ce que pourrait faire la France, et c’est ce que visent les députés de la droite dite populaire, c’est s’attaquer aux Français par acquisition, ceux qui ne naissent pas Français mais le deviennent. En grande partie, revoici le droit du sol, les enfants de parents étrangers (tous deux étrangers, par hypothèse, sinon ils seraient français de naissance) nés en France et y ayant résidé le temps nécessaire pour pouvoir prétendre à la nationalité. Ceux là devraient, pour pouvoir acquérir la nationalité française, renoncer préalablement à leur nationalité d’origine.

Et on se casse à nouveau les dents sur la souveraineté des États étrangers. Quid si l’État en question ne prévoit pas la possibilité de renoncer à cette nationalité (il me semble que c’est notamment le cas du droit marocain) ? On aura des enfants né en France, y ayant grandi, voire y passant toute leur vie, mais qui ne seront jamais Français à cause d’une loi votée dans un autre pays. Tandis que son voisin, lui, aura la nationalité française dès l’âge de 13 ans. En somme, la nationalité française dépendra de la loi d’un État étranger. Et dire que la droite populaire se prétend soucieuse de la souveraineté de la France.

Cette idée ne peut à mon sens pas passer. Car on l’a vu, le législateur français ne peut rien dans le cas des enfants français d’origine qui ont également une autre nationalité de naissance. Donc on aurait des cas d’enfants nés à l’étranger d’un parent français ayant la nationalité française et une autre, sans qu’ils aient jamais à mettre les pieds sur le sol français, et d’autres enfants nés en France et n’ayant vécu que dans ce pays, qui, parce qu’ils sont nés de deux parents étrangers, ne pourraient jamais de leur vie avoir la nationalité française. L’égalité est un droit de l’homme a valeur constitutionnelle, pas un tag sur les murs de nos mairies.

Sans parler de la haïssable idée qui sous-tend ce piètre débat qu’il y aurait des Français moins bons que d’autres, car ils seraient contaminés par un élément d’extranéité. Où l’on voit que dès qu’on parle de nationalité, la xénophobie n’est jamais loin.

Il serait peut-être temps que les députés de la droite populaire sauf dans les sondages se souviennent que le peuple les a élu pour représenter la Nation, et pas pour décider qui en fait partie.

Un mot pour finir sur les joueurs de football, puisque la polémique est née de là.

L’entraîneur de l’équipe de France se plaignait que les centres de formations situés en France formassent des jeunes gens à devenir footballeurs professionnels pouvant prétendre à jouer en équipe nationale mais qui, du fait qu’ils avaient une deuxième nationalité, optaient finalement pour le maillot de cet autre pays.

Nous sommes en présence d’un faux débat typique. Le problème concerne non pas la France mais la Fédération française de football, association loi 1901, affiliée à une structure privée internationale, la Fédération Internationale de Football Association (FIFA). C’est le règlement édictée par cette même FIFA qui décide qu’un joueur qui a joué une fois un match officiel (un match amical ne compte pas) dans une équipe nationale ne peut plus jamais jouer dans une autre équipe nationale, peu importe qu’il ait la nationalité de cette autre pays avant d’endosser le maillot ou qu’il l’acquière par la suite. La loi française n’a pas à se soucier des problèmes internes d’une association à but non lucratif (Ah ! Ah !), quelle que soit la popularité du sport qu’elle promeut. J’ajoute qu’en l’état des choses, un joueur de football formé en France ayant deux nationalités qui se verra proposer de porter le maillot de l’équipe de France ou d’un autre pays préférera toujours l’équipe de France. Pas tant pour le prestige, mais parce que l’équipe de France fait en principe toutes les coupes du Monde et d’Europe. Les autres grandes nations du foot ont leurs propres centres de formation qui fonctionnent bien, merci pour eux, il n’y a pas d’enfant franco-brésilien formé en France qui ait opté pour le maillot jaune. Donc le choix d’aller jouer dans une autre équipe sera un choix par défaut, pour ne pas dire par dépit, car les portes de l’équipe de France leur seront fermées. Que le sélectionneur de l’équipe de France souhaite que les joueurs qu’il écarte définitivement ne puissent jamais se retrouver face à son équipe un jour est compréhensible. Tout comme il pourrait souhaiter que l’équipe adverse joue avec des boulets attachés aux pieds, je crois que l’équipe de France en aurait en effet besoin.

Mais la loi française n’a pas à faire de ses rêves une réalité, au prix de la complication de la vie de milliers d’enfants qui n’ont jamais eu l’intention de jouer au football autrement que pour s’amuser

Notes

[1] La Syldavie est devenue une monarchie parlementaire sous le règne éclairé de Muskar XII, en vue de son adhésion à l’Union Européenne.

jeudi 18 novembre 2010

Un jury d'application des peines ?

Dernière fusée présidentielle (j’emprunte cette expression à Philippe Bilger, elle est parfaite pour désigner ce genre de fulgurances jaillies de nulle part, qui font dire “hooo” à tout le monde et finissent toujours en fumée) : la création de jurys populaires aux côtés des tribunaux correctionnels mais aussi, là est la nouveauté, au niveau de l’application des peines.

Le sujet a beau être complexe, pour une fois, je vais faire assez court. Cette proposition se heurte à tellement de difficultés concrètes qu’elle a encore moins de chances de voir le jour que la suppression du juge d’instruction, que le changement de garde des Sceaux achève d’enterrer.

Entendons-nous bien. Sur le principe, je n’ai rien contre le jury populaire. Je le pratique assez pour savoir qu’il ne se confond pas avec l’opinion publique, que la quasi totalité des citoyens tirés au sort prend son rôle très au sérieux, et que prendre une décision après une audience judiciaire n’a rien à voir avec écrire un commentaire sur le figaro.fr. Les dérives ne sont pas impossibles, mais elles sont rares, et j’ai moins peur de neuf citoyens tirés au sort que d’un juge unique en matière correctionnelle, car si je tombe sur un exalté, il n’y aura personne pour le tempérer. Qu’on ne me fasse pas le procès d’intention de me méfier du peuple. Si je tiens un blog sur le justice depuis plus de 6 ans, c’est précisément pour rapprocher mes concitoyens de leurs juges.

Ceci étant réglé, matériellement, la réforme sera impossible à mettre en place, pour des raisons pratiques, car elle va à contresens de toute l’orientation de la politique pénale.

Un jury populaire a besoin de temps. Pour comprendre le dossier, pour comprendre les enjeux, pour délibérer à plusieurs, pour voter (car seul un vote secret garantit la sincérité de son opinion). Plaider devant un juge professionnel peut se faire en 5 à 15 minutes sur la plupart des dossiers. Un technicien du droit s’adresse à des techniciens du droit, le vocabulaire est technique et précis, on peut se contenter de citer un numéro d’article pour appuyer un argument de droit. Une plaidoirie d’assises ne peut faire moins de 30 minutes, la durée ordinaire étant plutôt autour de l’heure. Pas tant à cause de la complexité de l’affaire (une cavalerie bancaire est bien plus compliquée qu’un meurtre) mais parce qu’on s’adresse à des Mékéskidis. C’est exactement la même raison qui fait la longueur légendaire de certains de mes billets. Face à des magistrats, un avocat peut sprinter ; face à des jurés, il faut aller les prendre par la main et marcher à côté d’eux tout le long du chemin. C’est très enrichissant ; mais c’est mauvais pour les stats.

C’est antinomique avec la politique actuelle de traitement en temps réel, qui fait des audiences de comparution immédiate surchargées traitant parfois 25 dossiers en un après-midi. Et cette contradiction est irréconciliable. Elle suffit à condamner la réforme.

Mais il y en a d’autres.

La procédure correctionnelle se fonde sur un dossier. Il faut lire les procès verbaux reprenant les constatations des policiers, les déclaration des témoins et plaignant, et bien sûr ne pas lire les déclarations du suspect puisqu’elles sont nulles faute d’assistance d’un avocat. La procédure d’assises, elle, bien que précédée d’une instruction, est orale. Les jurés n’ont pas accès au dossier, seules certaines pièces sont lues, à la demande des parties ou au choix du président. Cela contribue encore plus à la durée des débats. Une telle réforme impose donc de bouleverser la procédure correctionnelle pour en faire une procédure orale. Ce qui implique l’obligation absolue pour le prévenu de comparaître en personne, ce qui n’est pas le cas actuellement, le prévenu peut se faire représenter par un avocat, et surtout implique la comparution en personne des policiers et témoins. En somme, une procédure anglo-saxonne.

Ce n’est pas impossible, puisque ça existe aux Etats-Unis et en Angleterre. Mais ces systèmes reposent sur le fait que seule une minorité des affaires sont effectivement jugées, la plupart étant traitées en plaider coupable, c’est-à-dire par des audiences de distribution de peines très encadrées par la loi.

Bon nombre d’audiences correctionnelles font l’objet de renvois faute de pouvoir être jugées. Déranger des jurés (NB : Partie mise à jour) qui coûtent de l’ordre de 150 euros par jour, pour que l’affaire soit renvoyée va rapidement rendre la mesure impopulaire. Mais ces renvois sont parfois inévitables, car imposés par le droit à un procès équitable (article 6 de la célèbre Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales – CSDH).

Le jury populaire a un coût important. Outre l’indemnisation des jurés, il faut mettre en place le système de tirage au sort, les envois et le suivi des convocations, traiter, au besoin pénalement, le cas des jurés ne répondant pas, et le suivi administratif des indemnités. Les tribunaux accueillant une cour d’assises auront moins de difficultés, mais le nombre de jurés à suivre va sans doute être multiplié par vingt ou trente ; quant aux tribunaux sans cour d’assises (une majorité), ils ne sont tout simplement pas équipés.

Bref, une fois de plus, notre président bien-aimé-sauf-dans-les-sondages risque de se casser le nez face à sa pire ennemie : la réalité.roue carrée

S’agissant du jury d’application des peines, s’ajoute la technicité aigüe de la matière, peu, trop peu pratiquée par les avocats hélas (il faut dire qu’elle n’est pas rentable financièrement). Il y a d’ailleurs une dizaine d’année encore, c’était une matière purement administrative, à tel point que les décisions de libération conditionnelle des criminels lourdement condamnés relevaient du Garde des Sceaux en personne. Plusieurs réformes ont profondément changé la matière en 2000, 2004 et 2009, il y a un an tout juste, avec la loi pénitentiaire. Vous voyez d’ailleurs la politique de gribouille à l’œuvre une fois de plus. La matière s’est profondément judiciarisée. Un juge d’application des peines ne se contente pas de dire si oui ou non il y a lieu à libération. La décision suit un long processus de préparation d’un projet de sortie : où le condamné habitera-t-il ? Que fera-t-il une fois dehors ? Il y a des expertises médico-psychologiques faisant appel à des notions médicales précises : une personnalité narcissique n’est pas une personne qui aime se recoiffer devant un miroir. Et elle s’accompagne d’obligations liées à sa situation. La loi offre une très vaste panel de mesures possibles. Il faudra que les jurés les connaissent pour statuer en connaissance de cause et puissent le cas échéant les modifier ou en proposer d’autres. Bref, qu’ils soient plus compétents que des avocats. Tenez, allez lire le Code de procédure pénale sur l’application des peines. Ca commence là. Juste la partie législative. Vous en avez dix fois plus dans la partie décrets.

En outre, le critère retenu des criminels condamnés est absurde. La loi répartit actuellement l’application des peines entre deux juridictions, le juge d’application des peines (JAP), statuant à juge unique, et le Tribunal d’application des peines (TAP), composé de trois JAP et siégeant au niveau de la cour d’appel (la plupart des tribunaux de grande d’instance n’ont qu’un seul JAP). La répartition se fait sur le critère de la peine restant à exécuter : le TAP est compétent pour les peines prononcées supérieures à dix ans et dont la durée restant à subir dépasse 3 ans. En dessous, le JAP est compétent, sachant que tout JAP peut décider , face à un dossier délicat, de le renvoyer au TAP pour bénéficier d’une prise de décision collégiale. Déranger des jurés pour savoir si un condamné pour meurtre dans les années 90 devant sortir dans 1 an va bénéficier ou non d’une libération conditionnelle me paraît quelque peu démesuré.

En outre, les praticiens de la matière savent que l’aménagement des peines, et notamment la libération conditionnelle, préparée et encadrée, est le meilleur moyen de lutter contre la récidive (le taux est beaucoup plus élevé pour les libérations “sèches”, en fin de  peine et sans encadrement possible, que pour les libérations conditionnelles qui sont suivies et encadrées par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, sous la surveillance des JAP), et qu’il y a pour chaque condamné une fenêtre de tir, un moment optimal où le condamné est prêt pour se réinsérer. La rater en refusant une mesure adaptée peut tout gâcher, car la détention sera dès lors vécue comme injuste et disproportionnée. Or une société injuste ne donne pas envie de s’y insérer. Faire comprendre cela à un jury et le convaincre qu’on y est, que c’est maintenant qu’il faut tenter le coup suppose de lui transmettre une expérience qu’il n’a pas. Le risque de réinsertions gâchées par un jury trop prudent est grand, avec comme conséquence une forte augmentation de la récidive, ce qui n’est pas l’effet recherché.

J’attire d’ailleurs votre attention sur la plus grande erreur commise ces dernières années par le législateur en la matière : le traitement de la récidive au niveau de l’application des peines. C’est l’infâme loi Clément du 12 décembre 2005, dite “Récidive I” principalement, qui devrait faire mourir de honte son auteur. Qu’on prenne ne compte la récidive au niveau de la peine prononcée, c’est compréhensible, tant que c’est une prise en compte intelligente et non automatique à coup de peines plancher. Le renouvellement d’un comportement ayant déjà conduit à une condamnation appelle une plus grande sévérité, j’en conviens. Mais limiter les possibilités d’aménagement des peines pour les récidivistes comme l’a fait la loi Clément, en augmentant les délais avant de bénéficier d’une telle mesure, voire en interdisant purement et simplement les libérations conditionnelles parentales (possibles sans condition de délai) pour les récidivistes est une imbécilité profonde et une erreur gravissime. Les récidivistes sont précisément ceux qui ont le plus besoin des aménagements de peine permettant un retour à la liberté progressif et encadré pour une réinsertion définitive. Et la fenêtre de tir dont je parlais est trop souvent manquée pour des conditions de délai. Où on voit que la loi anti-récidive de M. Clément favorise de fait la récidive. On l’applaudit bien fort. Il est urgent d’abroger ces limitations au niveau de l’application des peines (les peines plancher, j’arrive encore à me débrouiller avec, car elles n’ont rien d’automatique). Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont des directeurs d’établissement pénitentiaires.

Cette idée de réforme présente toutefois un avantage immédiat : le président ne pourra plus sauter à la gorge du juge quand un libéré sous conditionnelle repassera à l’acte. La démagogie interdit en effet de promettre de faire payer le peuple. Comme quoi il devrait y réfléchir à deux fois.

mardi 9 novembre 2010

La Constitution à géométrie variable

On me sait gardien vétilleux de la rigueur juridique, même si je confesse volontiers un biais favorable aux libertés en général, et notamment à la première d’entre elle, qu’on distingue d’un simple singulier : la liberté.

Mais j’avoue que des fois, le parquet de Paris me semble planer à des hauteurs d’abstraction juridique telles que moi, humble vermisseau de la pensée du droit, j’ai du mal à le suivre.

Ainsi, alors qu’il est établi, ré-établi et surétabli  que les gardes à vue actuelles violent la Constitution, la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CSDH), les droits de l’homme et les principes généralement reconnus dans les sociétés démocratiques, le parquet de Paris ne voit aucun problème à continuer de les appliquer telles quelles et à embastiller gaillardement avec des déclarations reçues en violation de tout ce qui fait un système judiciaire dont on n’a pas à rougir.

Soit. On l’a vu, le mauvais exemple, comme le mauvais temps, vient d’en haut.

Mais le parquet se veut inflexible contre quiconque viole la loi, et si pour cela il faut qu’il la viole lui même, qui suis-je pour y trouver à redire ?

Néanmoins, au risque de passer pour un mauvais coucheur, je crains de déceler une certaine incohérence avec les principes ci-dessus rappelés dans une récente décision de classement sans suite prise par le même parquet.

Les faits étaient les suivants. Un président de la République en exercice, dont je tairai le nom pour préserver la présomption d’innocence, même  si, comme vous allez le voir, il n’en a  pas besoin, puisqu’elle est pour lui irréfragable, a un insatiable appétit de sondages. Il en prend à tous les repas, espérant garder la ligne (en vain, celle-ci a néanmoins plongé vers les abysses de l’impopularité), ce qui génère un coût non négligeable.

Peu importe, me répondrez-vous en chœur. Il est bon que notre primus inter pares soit à l’écoute du Peuple, et la Pythie aujourd’hui écoute le nombril du peuple via des instituts de sondage ; et nous ne sommes que trop heureux de contribuer au financement de ce louable souci d’écoute.

Certes. Mais néanmoins, si le principe est louable, la réalisation pêche quelque peu. Ainsi, la Cour des comptes, en juillet 2009, a eu la surprise de tomber sur une convention d’une page confiant la commande de ces multiples sondages (pour un budget annuel d’1,5 millions d’euros) au cabinet Publifact, qui lui-même se chargeait de passer les commandes auprès des divers instituts de sondage. Premier problème, ce cabinet appartient à Patrick Buisson, conseiller politique du président de la République, donc premier destinataire de ces sondages. Conflit d’intérêt. Deuxième problème, vu le montant annuel de ce contrat, il aurait dû suivre la procédure instituée pour les marchés publics, c’est à dire être soumis à un appel d’offre public (au niveau européen, même) et à une mise en concurrence, afin de respecter l’égalité des candidats et économiser l’argent public. C’est-à-dire tout le contraire de confier la commande et la réalisation à la même personne. Or ne pas respecter les règles des marchés publics est un délit, le délit de favoristisme (art. 423-14 du Code pénal).

Une association Anticor, pour Anti Corruption, a déposé une dénonciation de ces faits auprès du parquet de Paris. Dénonciation, et pas plainte, car seule la victime directe peut porter plainte et éventuellement saisir elle même un juge si le parquet n’y pourvoit lui-même. Or cette association ne peut prétendre être victime directe : elle est, comme nous tous, victime indirecte car c’est de l’argent public qui est ainsi mésusé. La dénonciation est l’acte d’un tiers qui signale au parquet une infraction et l’invite à y donner les suites que la loi appelle.

Or le parquet de Paris, après s’être penché sur la question, a rendu une décision de classement sans suite, pour des motifs juridiques qui ont de quoi laisser perplexe.

En effet, le parquet considère que l’immunité pénale du chef de l’Etat, prévue par la Constitution doit aussi s’appliquer à ses collaborateurs, en l’occurrence, Patrick Buisson.

Et là, je tique. Et quand je tique, je sors un livre d’Histoire.

L’immunité du président de la République est en France une vieille tradition, qui remonte à la Révolution française. La Constitution de 1791 instaurait une monarchie parlementaire, et posait le principe de l’inviolabilité de la personne du roi (chapitre II, Section 1re, article 2). On ne pouvait se saisir de sa personne, le juger ni lui faire le moindre mal. C’est là qu’on voit que violer la Constitution est aussi une vieille tradition en France.

Cette inviolabilité de la personne du chef de l’exécutif a perduré au-delà des régimes. Jamais formalisée sous Napoléon (qui n’en avait pas besoin), elle figure à l’article 13 de la Charte Constitutionnelle du 4 juin 1814 (la Restauration), l’article 12 de la Charte de la Monarchie de Juillet. La Constitution de la IIe république (1848) se méfiait de l’exécutif et a rendu le président pleinement responsable (article 68 de la Constitution). Ce qui n’a pas empêché ce président de  renverser le régime par un Coup d’Etat et de se faire nommer empereur, et de rétablir cette immunité par l’article 5 de la Constitution de 1852, assez habilement d’ailleurs : “Le président de la République est responsable devant le Peuple français, auquel il a toujours le droit de faire appel.” Je dois avouer l’idée de laisser le responsable seul décisionnaire de la nécessité d’en appeler ou non à son juge assez brillante.

La IIIe république, on l’oublie trop souvent, était censée préparer le terrain au retour d’un roi, la première chambre des députés étant dominée par les monarchistes (400 sur 675), mais trop divisés entre deux prétendants pour se mettre d’accord. En attendant, on a nommé un président de la République, aux pouvoirs restreints (il ne s’agit pas qu’il pique le trône au roi), qui n’est responsable qu’en cas de haute trahison (article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875). Vous connaissez la suite : les deux prétendants moururent simultanément, et les monarchistes furent balayés aux élections suivantes. Et voici comment naquit définitivement la République : par accident.

La loi Constitutionnelle du 10 juillet 1940 est muette sur la question, puisqu’elle renvoie à une nouvelle Constitution que le Chef de l’Etat est chargée de rédiger. Malheureusement, trop occupé à rédiger les statuts des juifs, le Maréchal n’a jamais trouvé le temps de rédiger cette nouvelle Constitution. Mal lui en a pris, puisque du coup, il a pu être jugé en 1945 et condamné à mort (peine commuée en prison à vie). Même si je doute qu’une Constitution eût suffi à le mettre à l’abri.

La IVe république revint à un système proche de celui de la IIIe, et l’article 42 de la Constitution du 27 octobre 1946 pose à nouveau le principe de l’immunité, sauf Haute Trahison, rapport au cas ci-dessus.

En 1958, tout change et rien ne change.

Tout change car le président de la République devient le personnage central de la République. C’est lui qui exerce le pouvoir, le premier ministre devient de fait un de ses subordonnés. Mais rien ne change : si le premier ministre peut être renversé par l’assemblée (ce qui n’est arrivé qu’une fois), le président, lui, est intouchable. L’article 68 posait le principe que le Président de la République n’était responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de Haute Trahison, constatée par une juridiction spéciale, la Haute Cour de Justice. La Constitution était muette sur le sort des actes accomplis en dehors de l’exercice de ses fonctions, notamment avant son élection. La question ne s’est jamais posée sur le après, les présidents de la République ayant jusqu’à il y a peu eu l’habitude de mourir peu après la cessation de leurs fonctions, quand ce n’était pas pendant, exception faite du président Giscard d’Estaing, qui a eu la précaution de devenir immortel, et qui n’a depuis commis que des crimes contre la littérature.

La logique voulait donc que le président restât dans ce cas un justiciable ordinaire ; mais le cas concret ne s’est pas présenté tout de suite. C’est grâce à l’élection d’un président ayant plus de casseroles qu’une voiture de jeunes mariés que la question est revenue sur le devant de la scène.

Elle a d’abord été tranchée très gentiment par la Cour de cassation, bien qu’on ne lui ait rien demandé, dans un arrêt du 10 octobre 2001. Dans cette affaire de – déjà !- délit de favoritisme, un mis en cause (EDIT :) une partie civile demandait que le Président de la République fût entendu comme simple témoin sur des faits commis alors qu’il exerçait des fonctions municipales. Nenni répond la Cour :

…rapproché de l’article 3 et du titre II de la Constitution, l’article 68 doit être interprété en ce sens qu’étant élu directement par le peuple pour assurer, notamment, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat, le Président de la République ne peut, pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun ; qu’il n’est pas davantage soumis à l’obligation de comparaître en tant que témoin prévue par l’article 101 du Code de procédure pénale, dès lors que cette obligation est assortie par l’article 109 dudit Code d’une mesure de contrainte par la force publique et qu’elle est pénalement sanctionnée

Bref, le président de la République ne peut être pénalement sanctionné. Ni donc être appelé à témoigner, car cette obligation de témoigner est pénalement sanctionnée. S’il refusait, il faudrait le sanctionner, donc on ne va pas lui demander au cas où. On se frotte les yeux.

En février 2007, sentant la fin de son mandat venir, ledit président de la République a brusquement ressenti le besoin de réformer cet aspect du droit, qui pourtant ne l’avait pas fait broncher pendant 12 ans. La Constitution fut révisée et le nouveau statut du chef de l’Etat est le suivant :

Article 67 : Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 (mise en cause par la cour pénale internationale-NdA) et 68.

Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.

Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions.

Article 68 : Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour.

La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l’autre qui se prononce dans les quinze jours.

La Haute Cour est présidée par le président de l’Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d’un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d’effet immédiat.

Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.

Une loi organique fixe les conditions d’application du présent article.

Ladite loi organique a été examinée par le Sénat le 14 janvier 2010, a fait une brève apparition en séance publique avant qu’une motion de renvoi en commission ne soit adoptée, ce qui est un enterrement de première classe. Bref, 3 ans après cette réforme, faute de loi organique, l’immunité du président de la République est absolue. C’est ce qu’on appelle l’Etat de droit à la Française.

Voilà où nous en sommes.

Mais vous constaterez avec moi que depuis Louis XVI, l’immunité ne concernait que le chef de l’Etat. JAMAIS ses collaborateurs. Ne serait-ce que parce qu’ils sont nommés discrétionnairement par lui, et révoqués de la même façon, mais en aucun cas des élus du peuple. Leur existence n’est même pas prévue par la Constitution.

Ainsi, en étendant l’immunité du chef de l’Etat à ses collaborateurs, le parquet de Paris viole, par fausse application, la Constitution, et donne sa bénédiction pour que le délit de favoritisme devienne le mode normal de fonctionnement du principal organe de l’exécutif. 

Si l’avocat en moi n’a rien contre un peu d’impunité pénale, même s’il préfère que ce soit au profit de ses clients, le citoyen qui sommeille, lui, a un peu de mal à gober cette application pour le moins extensive, surtout quand il songe à l’application restrictive de cette même constitution qui est faite sur la garde à vue, oui, c’est une obsession, mais je me soigne, promis, en juillet je serai guéri.

Hélas, l’association Anticor ne peut rien faire contre cette décision de classement puisqu’elle n’a pas le pouvoir de déclencher les poursuites (elle n’est pas victime). Eventuellement, d’autres cabinets de conseil ayant pu proposer la même prestation que Publifact, et n’ayant pu concourir au marché, pourraient porter plainte, car ils seraient les victimes directes du délit qui les a évincés. Mais il n’est jamais bon de chercher des poux dans la tête au conseiller politique du Prince, qui reste un de leurs principaux clients.

Et l’immunité particulière devient impunité générale.

Laissons donc les puissants s’amuser et allons défendre les voleurs de sacs à main au butin de 50 euros. 50 euros, c’est un vol. 1,5 millions, c’est de la poésie. Ils comprendront.

lundi 20 septembre 2010

Menace démagogique : alerte maximale

Un vent de panique souffle dans les antichambres des ministères, à l’approche d’un remaniement annoncé, avec des affaires qui commencent à faire résonner le doux tintinnabulement des casseroles, des sondages plus bas que des mineurs chiliens, et une opération “sus aux Roms” qui tourne au fiasco diplomatique majeur. 

Dernier avatar du sauve-qui-peut : le ministre de l’intérieur, qui sent que sa fidélité canine au président risque de ne pas peser très lourd tant son passif commence à être aussi chargé qu’un animateur de France Télévision, vient de faire trois propositions dans le domaine judiciaire où la démagogie le dispute à l’absurde.

En somme, il a jeté ses cochonneries dans mon jardin.

Je ne vais pas laisser passer cela, même si je ne vais pas consacrer à ces sottises plus de temps que nécessaire, tant vous allez voir que ces propositions sont du vent, destinés à alimenter les plateaux télé en débats inutiles pendant qu’on oublie qu’il y a encore un ministre du travail.

Première proposition : Adjoindre des jurys populaires aux juridictions d’application des peines.

Là, comme le fait pertinemment remarquer mon confrère Maître Mô, ce n’est pas aller assez loin. il y a encore des risques que des gens sortent. il faudra veiller à ce que ces jurés ne soient autres que les victimes elles mêmes, et là, on sera bordé. c’est vraiment des amateurs, Place Beauvau. 

Les juridictions d’application des peines sont au nombre de deux : le juge d’application des peines (JAP) et les tribunaux d’Application des Peines (TAP). Pour faire simple : les JAP statuent seuls sur les dossiers les moins graves (peines inférieures à 10 ans ou moins de 3 ans restant à effectuer), les TAP, composés de trois juges, sur les dossiers les plus graves.

Je simplifie énormément, j’implore le pardon des JAP (et ex-JAP…) qui me lisent, mais un exposé du droit de l’application des peines serait faire trop d’honneur aux sottises de l’Auvergnat.

Ils statuent sur toutes les demandes liées à l’exécution d’une peine, et seulement à cette exécution. Ils ne peuvent en aucun cas statuer sur une difficulté liée à la peine elle-même : le contentieux de la peine appartient exclusivement à la juridiction qui l’a prononcée. 

Il s’agit principalement de l’aménagement des peines, si le condamné est encore libre, et des réductions de peines et libérations conditionnelles pour les condamnés incarcérés.

C’est un contentieux très technique (je mets tous les prix Nobel au défi de calculer de tête une mi-peine), profondément réformé en 2004 et en 2009 (j’y reviens…). Il s’agit d’évaluer le comportement du condamné en détention (l’administration pénitentiaire participe à la prise de décision), la solidité du projet de sortie (domicile, emploi, motivation du condamné, situation familiale), au vu des pièces produites par la défense, des rapports de l’administration pénitentiaire (dossier disciplinaire, activités, formation suivies) et parfois des expertises médicales (traitement suivi). 

Or un jury populaire ne peut s’envisager sérieusement que pour une procédure orale, comme l’est celle de la cour d’assises. Tous les éléments doivent être débattus oralement, les experts doivent être présents pour répondre aux questions, de même que le futur employeur, la famille, etc. 

En 2009, d’après les Chiffres clés de la justice (statistiques officielles du ministère), les cours d’assises ont traité 3 345 affaires, dont une petite partie traité sans jury (appel sur la seule condamnation civile, accusé en fuite…les stats ne distinguent pas). 

Sur le même laps de temps, les juridictions d’application des peines ont rendu 80 490 décisions directement liées à la liberté d’un condamné à de la prison ferme (les deux tiers étant des permissions de sortie).

Le fait que le ministre ait balancé sa fusée intellectuelle sans expliquer comment les jurys populaires vont pouvoir traiter 24 fois plus de dossiers, ni comment cela va être financé, sans même aborder le sujet de la formation des jurés à un droit technique, montre bien d’une part qu’il n’accorde pas le moindre sérieux à cette proposition, et d’autre part qu’il aurait tort de le faire puisqu’aucun journaliste n’a de toutes façons posé la question. 

Il a un temps été question de faire de même pour les tribunaux correctionnels. Là, j’y serais presque favorable. La tendance étant à augmenter sans cesse le domaine du juge unique en matière correctionnelle, ce retour de la collégialité serait somme toute une bonne chose. Juste un détail : en 2009, ce sont 584 549 décisions qui ont été rendues par les tribunaux correctionnels. Et un procès ordinaire en correctionnelle, ça prend de 20 minutes (comparution immédiate) à une demi journée. Parce qu’entre avocats et magistrats, on peut rentrer de plain-pied dans le débat technique. avec des jurés, il faudra compter le même laps de temps rien que pour faire de la pédagogie aux jurés. Et leur laisser le temps de préparer les dossiers (le dossier Clearstream, c’est 42 tomes, soit au bas mot 21 000 pages). On fait comment, m’sieur Hortefeux ?

Deuxième proposition : L’élection des juges d’application des peines.

La France connaît déjà des juges élus : les juges des tribunaux de commerce (litiges entre commerçants, redressement et liquidation des entreprises), et les conseillers prud’hommes (litiges individuels du travail). L’abstention y connaît des records impressionnants. 74% aux prud’hommales de 2008, malgré la mobilisation des syndicats pour qui cette élection est très importante ; quant aux élections des tribunaux de commerce, les juges élus n’ont généralement même pas de liste concurrente face à eux. On ne manque pas d’électeurs, on manque de candidats (il faut dire que les fonctions sont bénévoles…).

Oh oui, oh oui, confions des questions de sécurité publique à des juges élus ainsi, quelle bonne idée.

Troisième proposition : suppression de l’aménagement des peines de moins de deux ans.

Le Code de procédure pénale prévoit qu’une personne condamnée à une peine de prison ferme n’est en principe pas incarcérée immédiatement. Il y a trois exceptions : en comparution immédiate, le condamné peut être incarcéré sur ordre du tribunal quel que soit le quantum de la peine prononcée ; si la peine est au moins égale à un an, sur décision spéciale et motivée du tribunal (on dit décerner mandat de dépôt à la barre) ; et si le condamné est en état de récidive, quel que soit le quantum de la peine prononcée, sur décision spéciale du tribunal qui n’a pas à être motivée (c’est même le fait de ne pas recourir au mandat dépôt qui doit parfois être motivé…).

Si le condamné est laissé libre et que sa peine ne dépasse pas deux ans, il doit être reçu par le juge d’application des peines (en principe, on lui remet une convocation dès le prononcé de la condamnation) pour envisager un aménagement de peine qui évitera l’incarcération sèche. Cela peut être un placement sous bracelet électronique, une semi détention (il sort la journée pour aller travailler et passe ses soirées et nuits en détention), un fractionnement de la peine (pour la purger en plusieurs fois), etc. La palette est vaste. Cela évite le caractère désocialisant de la détention (surtout si le condamné a un travail), et lutte aussi contre la surpopulation carcérale (rappel : au 1er janvier 2010, il y avait 54 988 places pour 60 978 détenus). 

Le ministre de l’intérieur n’a pas de mots assez durs pour critiquer cet état de fait : “Avoir quasiment l’assurance de ne pas effectuer sa peine de prison, quand on est condamné à moins de deux ans, est un dispositif parfaitement inadmissible pour les citoyens et totalement incompréhensible pour les policiers et les gendarmes” (cité par LePoint.fr).

Juste un petit problème : cette limite de deux ans pour l’aménagement a été mise en place par ce même gouvernement, il y a moins d’un an (avant, c’était seulement les peines inférieures ou égales à un an) : Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 dite loi pénitentiaire, article 84.

Rappelons à Brice Hortefeux que quand cette loi était encore devant le parlement, le ministre de l’intérieur s’appelait Brice Hortefeux, et que c’est donc à lui qu’il faut s’en prendre si une loi parfaitement inadmissible pour les citoyens et totalement incompréhensible pour les policiers et les gendarmes a été votée.

Sur ce point, je serai d’accord avec Brice Hortefeux : c’est inadmissible, la démission s’impose.

Car pour ce qui est de se moquer du peuple, visiblement, l’impunité est de rigueur.

dimanche 7 mars 2010

In memoriam Roger Gicquel

Roger Gicquel (22 février 1933 - 6 mars 2010) était un journaliste, présentateur du 20 heures de TF1, alors chaîne publique, à la fin des années 1970.

Les plus jeunes d’entre vous ne le connaissent pas, il avait disparu des écrans depuis longtemps.

Pour rendre hommage à ce journaliste dans le sens le plus noble de ce terme, voici l’ouverture du 20 heures du 28 juillet 1976, jour de l’exécution de Christian Ranucci. En plein été, au beau milieu des JO de Montréal (où Guy Drut va remporter la médaille d’or du 110m haie), la guillotine a tué, une fois de plus, à Marseille.

Le journaliste doit rendre compte de l’information. La loi lui interdit de le faire autrement qu’en signalant l’exécution. Les sondages d’opinion montrent qu’une majorité de français se dit favorable à la peine de mort, mais nous sommes en pleine affaire Patrick Henry, cynique kidnappeur et assassin d’un jeune enfant de huit ans (le rapt a eu lieu le 30 janvier de cette année, l’arrestation de Patrick Henry le 17 février). Pourtant nous sommes à cinq ans de l’abolition.

Roger Gicquel est journaliste. Et abolitionniste. Et il ne peut pas se taire. À l’époque où toutes les télévisions étaient publiques, où le Conducteur, c’est à dire le sommaire du journal, était préalablement relu par un ministre, vous n’imaginez pas le courage qu’il a fallu pour faire cette ouverture, aussi modérée soit-elle.

retrouver ce média sur www.ina.fr

Et pour tous ceux qui ne retiennent de lui que le “La France a peur” lancé le 18 février de la même année, voici l’intégralité de cette ouverture. Cette phrase fait partie des plus gros contresens, avec le “la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde” de Rocard. Vous verrez que loin de surfer sur la vague de l’émotion, il en appelle au contraire à la raison contre la haine.

retrouver ce média sur www.ina.fr

C’est un grand nom du journalisme qui s’est éteint. Cette nouvelle ne peut que nous rendre tristes.

PS : Problème des vidéos réglées. Ce n’était pas la faute de l’INA mais de Dotclear. Merci à Beldom de m’avoir soufflé la réponse.

jeudi 26 novembre 2009

Prix Busiris pour Michèle Alliot-Marie

Il est désormais acquis que tout Garde des Sceaux a vocation a recevoir au moins un prix Busiris. Pascal Clément a eu le sien, Rachida Dati, je n’en parle même pas tant elle est devenue l’incarnation du prix (même son départ de la Place Vendôme ne la met pas à l’abri, Dominique Perben n’y ayant échappé que parce que le prix n’a été créé que postérieurement à son départ. Michèle Alliot-marie, rayonnante à l'annonce de cette consécration tant attendue. «Dans ta face, Rachida » a-t-elle déclaré, avant d'ajouter « Il m'en reste sept pour la rattrapper mais je me sens inspirée. Je vais la mettre minable. »

Ce n’était qu’une question de temps avant que la titulaire ne soit dûment primée : voilà qui est fait.

L’Académie, en sous-sections réunies, a donc l’honneur et l’avantage de décerner son premier prix Busiris à madame le Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés (notons que ce titre est à la limite du Busiris car il est une confusion volontaire : la justice s’entend non comme la vertu, qui prend parfois une majuscule, mais une administration, tandis que les libertés ne sont pas une administration mais relèvent des droits de l’homme).

Le propos primés sont les suivants, étant au préalable rappelé par l’Académie que côté connaissance du droit, madame Alliot-Marie ne joue pas dans la même division que son prédécesseur : docteur en droit (thèse sur le salarié actionnaire), docteur en sciences politiques (thèse d’État sur Les Décisions politiques et structures administratives), elle fut maître de conférence en droit public et a dirigé (brièvement certes) une UFR de sciences politiques à la Sorbonne. En plus, elle fut avocat. Bref, on a du solide. Ce qui rend l’Académie peu encline à l’indulgence.

Voici donc ces propos. Ils ont été tenus à l’occasion de la publication du rapport de la Cour des comptes sur les dépenses de l’Élysée. L’opposition a à cette occasion demandé une commission d’enquête sur la fringale de sondages de l’Élysée, dont les contrats étaient de plus passé dans des conditions douteuses (notamment sans marché public), qui aboutissait à rémunérer fort cher des services fournis par des sociétés où des conseillers de l’Élysée avaient des intérêts financiers. Ce qui est non seulement illégal mais constitue un délit de prise illégale d’intérêt.

Une telle demande a été rendue possible par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, voulue par l’actuel président. Elle devait d’abord passer par le filtre du président de l’assemblée, qui peut décider de la transmettre à la Commission des lois de l’assemblée qui décide après débat et vote s’il y a lieu ou non de réunir cette commission (le filtre du président vise à écarter les demandes infondées qui viseraient à charger artificiellement l’agenda de la commission pour l’empêcher d’examiner un texte par exemple).

Lorsque cette demande a été présentée au président Accoyer, le Garde des Sceaux a demandé à celui-ci de ne pas transmettre cette demande à la commission des lois. C’est une partie du raisonnement tenu à l’appui de cette demande qui est récompensé.

En effet, il demande au président de l’assemblée de constater l’irrecevabilité de cette demande en ce qu’elle serait contraire à la séparation des pouvoirs.

D’après le compte-rendu des débats, la réaction de l’académie à la lecture de cette affirmation fut : « KEU-W ?? ». Ce qui est exact mais mérite d’être un peu élaboré.

La séparation des pouvoirs est une expression impropre pour se référer en réalité à l’équilibre des pouvoirs, théorisé par Montesquieu dans l’Esprit des Lois (1748), étant précisé, Redde Caesari quae sunt Caesaris, que la distinction des trois pouvoirs est due à Aristote et que les vertus de leur séparation est due à John Locke (Traité du gouvernement civil,1690, que Montesquieu dévora).

Si ces trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) sont confiés à des personnes distinctes, il n’a jamais été question que les enfermer dans trois forteresses en leur interdisant de regarder ce qui se passe chez les autres, au contraire : Montesquieu expliquait que tout pouvoir tendant à s’étendre au delà de ses limites et à devenir despotique (“le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument” dira Emerich Lord Achton un siècle et demi plus tard), pour éviter la tyrannie, il faut que “par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir” (l’Esprit des Lois, livre XI). La disposition des choses, aujourd’hui, ça s’appelle la Constitution. Qui implique nécessairement que chacun puisse agir sur l’autre selon les modalités prévues par la Constitution (toute autre intervention non prévue par la Constitution étant, elle, une violation de la séparation des pouvoirs, qui suppose que ce soit des personnes distinctes et indépendantes qui exercent les attributs de chacun des pouvoirs).

Notre Constitution est loin d’avoir parfaitement intégré Montesquieu (de ce point de vue, c’est la Constitution des États-Unis qui en est l’application la plus aboutie, les Pères Fondateurs étant d’avides lecteurs de l’oncle Charles) mais de tels mécanismes existent qui excluent une séparation absolue des pouvoirs.

Ainsi l’exécutif peut dissoudre l’assemblée nationale (c’est arrivé en 1962, 1968, 1981, 1988, et 1997), maîtrise l’agenda parlementaire, peut déposer des projets de loi et a le droit d’amendement. Il nomme les magistrats et dirige l’action du ministère public. Il déclenche les poursuites disciplinaires à l’encontre des magistrats.

L’assemblée nationale peut renverser le gouvernement par le vote d’une motion de censure (c’est arrivé en 1962, d’où la dissolution) ou en lui refusant le vote de confiance (ce n’est jamais arrivé). Le parlement contrôle l’action du gouvernement par les questions écrites ou orales, ou par les commissions d’enquête. Il vote la loi que le judiciaire fait respecter au besoin par la force.

Le judiciaire peut juger les parlementaires ou les ministres, selon des modalités spécifiques pour protéger leurs fonctions (et non les titulaires de ces fonctions), Gaston Flosse vient d’en faire l’expérience. Seul le président est mis totalement hors de portée par l’article 67 de la Constitution, précisément en violation flagrante de cet équilibre des pouvoirs.

L’affirmation du Garde des Sceaux est juridiquement aberrante car précisément ce que se proposait de faire le parlement relève de ce contrôle d’un pouvoir sur l’autre : article 24 de la Constitution (“Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques.”). Le contrôle de la façon dont est dépensé le budget de l’État, qu’il vote, est l’essence de son travail. Sauf à dire que le vote du budget viole la séparation des pouvoirs puisque c’est l’éxécutif qui le dépense.

Ce d’autant plus qu’un indice aurait dû mettre la puce à l’oreille du ministre : cette couteuse pratique a été mise au jour par un rapport de la Cour des Comptes… qui fait partie du pouvoir judiciaire (même si c’est un corps à part de la magistrature). Dès lors que le judiciaire peut y mettre son nez, on ne voit pas pourquoi le législatif se le verrait interdire par la séparation des pouvoirs. 

L’affirmation est donc juridiquement aberrante.

La formation universitaire en droit public de la lauréate exclut toute errance de bonne foi.

L’affirmation est de plus contradictoire car précisément la lettre du garde des Sceaux visant à influencer la décision souveraine du président de l’assemblée nationale constitue une violation de la séparation des pouvoirs.

Le mobile d’opportunité politique consiste à voler au secours du président de la République qui pourrait être mis en difficulté s’il devait répondre de cette curieuse gestion des deniers publics.

L’Académie décerne donc le prix Busiris au Garde des Sceaux, avec les découragements du jury, et deux salves d’applaudissements de trois secondes chacune.

L’audience est levée ; rendez-vous à la buvette.

Épilogue : le président de l’assemblée a estimé recevable la demande de l’opposition, qui a été rejetée par la commission des lois. Il n’y aura pas de commission d’enquête.

samedi 30 mai 2009

En deux mots

Réussi :

Raté :


Bon, je n'arrive pas à faire des billets courts. Alors pour votre édification :

Le premier clip remonte au 2 février 2008. C'est une chanson écrite par William J. Adams alias will.i.am, membre des Black Eyed Peas, et mis en image dans les jours qui ont suivi le discours qu'elle reprend, le célèbre "Yes We Can" de Barack Obama.

Yes We Can n'est pas le slogan officiel de la campagne de Barack Obama, qui était "Change We Can Believe In". C'est le leitmotiv d'un formidable discours prononcé un soir de défaite, le 8 janvier 2008, lors des primaires du New Hampshire, remportées par Hillary Clinton. Ce n'était qu'une semi-défaite, l'avenir l'a démontré, car Barack Obama a fini deuxième, loin devant John Edwards, ce qui le propulsait, après son succès aux caucus de l'Iowa, comme le challenger face à la favorite Hillary Clinton, ce qui n'était pas évident au départ. La suite est désormais de l'Histoire.

C'est un cas assez unique de discours politique promu au rang d'œuvre d'art. Et qui a fait de cette phrase prononcée par une froide nuit d'hiver dans la Nouvelle Angleterre un slogan officieux mais plus connu que l'officiel (plutôt mauvais, il faut bien le dire).

Le second date de 2009. Il s'agit d'un lip dub, une forme de vidéos très à la mode… il y a deux ans. L'idée est née dans l'esprit de Jakob Lodwick, fondateur de Vimeo, qui s'était filmé marchant dans la rue de New York en train de chanter en playback la chanson Endless Dream du groupe Apes & Androids. Mais le premier vrai lip dub a été fait par l'équipe de Connected Ventures, une société gérant divers sites internets, sur la chanson Flagpole Sitta de Harvey Danger.

Lip Dub - Flagpole Sitta by Harvey Danger from amandalynferri on Vimeo.

La mode s'est répandue très vite et a été une façon pour les entreprises et écoles supérieures de se promouvoir, en montrant qu'il y a une ambiance sympa et qu'en même temps on reste pro.

Les quatres règles du bon lip dub sont : la spontanéité (on doit avoir l'impression que c'est un délire qui part comme ça), l'authenticité (les intervenants et les lieux semblent réels), la participation (on ne fait pas un lip dub tout seul) et l'amusement : tout le monde doit avoir l'air de se marrer (le plus facile étant qu'ils s'amusent réellement). Le clip de l'UMP viole trois de ces quatre règles, mais transgresse également la cinquième, non écrite tant elle était évidente : le lip dub doit être une chanson. Sinon, c'est comme faire un karaoké sur un discours politique, ou danser la tektonik sur Yvette Horner.

Moralité, voulant faire djeun'z et branché, l'UMP reprend un phénomène passé de mode et en plus le fait mal. Vous me direz que les clips des autres listes ne valent pas mieux. Je concède, sauf qu'il est moins humiliant d'être ringard dans le classissisme que l'être dans l'innovation. Vous ajouterez qu'elle peut s'en ficher, l'UMP, elle est déjà en tête dans les sondages, et surtout, c'est payé sur fonds publics.

Ça vous console, vous ?

Promis, bientôt, je vous parle du parlement européen. Ça nous changera de la campagne électorale.

vendredi 6 février 2009

Au moins, les choses sont claires...

Par Gascogne


Pour ceux qui avaient encore quelques doutes, non pas sur le statut des magistrats du parquet, pour lesquels Rachida Dati est clairement la "chef", mais pour ceux du siège, l'indépendance n'est pas un dû en soi, elle se mérite.

Ainsi donc, et contrairement aux textes en vigueur, nos politiciens sont clairs : les juges ne sont pas indépendants par nature, ils ne le sont que par leur comportement.

Mais qui va définir quel doit être ce comportement ? Un juge qui déplairait au pouvoir en place, parce qu'il ne condamne pas dans le sens voulu, par exemple celui de la récidive avec application automatique des peines "plancher", ou parce qu'il renvoie des amis politiques devant la juridiction de jugement, aurait donc un mauvais comportement, contraire à l'indépendance que l'on peut attendre de lui ? Au contraire, celui qui va dans le sens des victimes, même si les preuves sont faibles, serait un bon juge indépendant, parce que plaisant à l'opinion ? Je ne doute dés lors pas que mon collègue Burgaud, que je soutiens bien évidemment par corporatisme mal placé, était à l'époque des mises en examen prononcées un excellent juge indépendant.

Un juge indépendant, fut-il juge disciplinaire, irait donc dans le sens de ce que souhaite l'opinion publique, le dossier qui lui est soumis serait-il parfaitement creux ?

Et puis franchement : comment définit-on la "légitimité d'une décision" ? Est-elle légitime par rapport à la loi, ou par rapport à ce que les français attendent, notamment dans le cadre des sondages dont les journaux nous abreuvent grâce à internet ? De quel "légitimité" parle-t-on ? Politique ou purement légaliste ?

Mais que Madame la Ministre, qui fut un temps magistrat, se rassure : l'indépendance n'a rien d'un dogme que les magistrats, éventuellement par le biais de leurs syndicats, ânonneraient par monts et par vaux : il s'agit avant tout d'un texte de valeur constitutionnelle qui le dit. L'ordonnance du 22 décembre 1958, qui n'a finalement valeur constitutionnelle que par un tour de passe-passe que seule notre démocratie semble connaître, le déclare, particulièrement dans son article 4 sans toutefois le dire directement, tant le législateur de l'époque semble s'être fait peur en disant que les juges étaient inamovibles. Figurez-vous qu'un juge ne peut faire bien son office que s'il est libéré de toutes pressions extérieures. Faire bien son office dans les limites humaines que nous connaissons, et que nous tentons de corriger, par exemple par la voie de l'appel, puis de la cassation.

Eh bien non. Cela ne suffit pas. Encore faut-il rappeler aux piou-pious de Bordeaux que l'indépendance, on ne l'acquiert pas comme cela : "c'est parce que l'on est au-delà de tout reproche et de toute suspicion que l'on est indépendant".

Bien entendu, le pouvoir politique saura nous protéger de toute suspicion de pression, d'intervention, de mise en cause médiatique, pour nous permettre d'être au-delà de tout reproche.

Et bien évidemment, Madame le Ministre, vous me permettrez respectueusement, à la lecture de votre approche de ce que doit-être la magistrature de vos vœux, ou de ceux de celui qui vous a fait politiquement, d'avoir quelques divergences sur ce que doit être l'indépendance de la magistrature. Vous en fûtes quelques temps, vous n'en êtes visiblement plus, au vu du nombre record de prix Busiris qui ont pu vous être octroyés.

Un juge ne rend pas de décision en toute indépendance pour son propre confort, mais pour ne pas rendre de décision sous la pression du plus fort, qu'il pourrait dés lors craindre, ou par lequel il pourrait se trouver corrompu. Un juge n'est pas soumis à la pression d'une quelconque autorité, fut-elle membre de son propre corps, et magistrat chargé de son évaluation, il ne se soumet qu'à la loi. Un juge n'a ainsi que faire du statut social des parties qui sont face à lui, pauvre ou riche, faible ou puissant : c'est cela qui fait sa noblesse. Que vous soyez puissant ou misérable, les arrêts de la cour ne vous rendrons pas blanc ou noir. Il vous diront simplement ce qu'est le droit.

jeudi 23 octobre 2008

« Vous nous demandez si nous sommes timides, timorés… »

Par Damoclès, magistrat


Maître eolas,



Vous nous demandez si nous sommes timides, timorés...peut être simplement résignés. 8000 robes noires comme autant de personnes endeuillées, pleurant un idéal enterré, l'idéal de justice. L'homélie sera brève et sévère.

On martèle que les juges ont démissionné sans connaître vraiment leurs missions et le contexte difficile dans lequel elles sont remplies. Garants des libertés individuelles, ils tranchent les litiges et se prononcent sur les affaires pénales en statuant sur la culpabilité et la peine. Le volume des affaires a explosé, signe d'une société qui ne sait plus s'autoréguler et cherche à tout prix des coupables expiatoires. De loin nos robes noires impressionnent;, de près elles sont mitées tant notre justice est miséreuse. Nos concitoyens savent-ils seulement que notre grand pays compte 11, 2 juges et 2, 9 procureurs pour 100 000 magistrats, se classant ainsi au 35è rang européen pour les juges et au 42 è pour les procureurs sur une échelle de 43 pays ? Le nombre de magistrats est sensiblement le même que sous Napoléon. Alors oui, les magistrats sont fatigués, épuisés, maltraités, y compris parfois par leur hiérarchie. Les lois s'empilent et même les magistrats ne peuvent plus affirmer pour eux-mêmes que "nul n'est sensé ignorer la loi".

Etre magistrat, c'est tout le contraire du chercher à plaire..."Qui vous savez" a sans doute oublié que l'inconfort de cette position contribuait aussi à la légitimité de notre fonction. L'impartialité et l'indépendance commandent en effet d'être au-dessus pour décider loin du tumulte, sauf que ce tumulte vient de nous rattraper. Crise de confiance ou crise de défiance ? On lance des sondages de satisfaction en oubliant ou en faisant mine d'oublier que le procès fait forcément un ou des mécontents : celui qui n'a pas obtenu gain de cause ou celui qui se dit injustement condamné. Sans sompter que depuis quelques années, aux cris à l'injustice du condamné, s'ajoutent les diatribes des victimes qui ne se satisfont jamais de la sentence...Le fameux Toujours plus ! gangrène aussi la justice.

Jeune magistrat, je suis révolté par la caporalisation de la justice mais aussi par la difficulté des hauts magistrats à protéger l'autorité judiciaire. Mais quelle capacité de résistance peut-on espérer de Procureurs généraux nommés en Conseil des ministres ? Au-delà de la justice, c'est la démocratie qui est en péril. Que penser en effet d'un pays dans lequel le Procureur et ses substituts ne sont pas considérés par la Cour européenne des droits de l'homme comme une autorité judiciaire ?

Face à toutes ces questions, épris de doutes, la tentation de faire simplement son travail en rentrant chez soi à des heures décentes (et non à 22, 23 heures ou minuit) est d'autant plus forte que la difficulté de ce métier n'est pas reconnue et que les attaques et destabilisations incessantes le rendent encore plus difficile. Que dire des nuits de permanence (payées 46 € brut non revalorisées depuis 2001 ah le pouvoir d'achat !!!), des week ends et jours fériés payés environ 30 € brut ? Nos concitoyens savent-ils que si un enfant est en fugue, errant ou maltraité, c'est la justice qui est saisie à tout moment du jour et de la nuit avec souvent un jeune magistrat au bout du fil ? Nos concitoyents savent-ils que l'on peut être réveillés plusieurs fois par nuit, se rendre sur les lieux et aller travailler le lendemain ? Nos concitoyens savent-ils qu'ils nous arrivent de pleurer sur des dossiers difficiles et de nous sentir tellement seuls face à une décision grave et lourde de conséquence pour les personnes ? Nos concitoyens savent-ils que parce que nous sommes à leur service jour et nuit, que le travail de la police et de la gendarmerie ne peut se réaliser sans le concours de la justice ? On félicite les enquêteurs mais rarement les procureurs alors qu'ils contribuent largement à la sécurité de nos concitoyens.

Nos concitoyens savent-ils que parce que leur rendre justice est une tache noble, nous prenons encore le chemin des palais de justice alors que de plus en plus souvent nous sommes tentés de les fuir...

Demain, nous lirons des communiqués que personne ne retiendra, demain nous nous rassemblerons sur les marches des palais et notre petit nombre pourrait laisser croire que ce sont les professionnels de la justice qui sont sortis fumer une cigarette...alors que ce sont nos idéaux que nous défendons avant qu'ils ne partent en fumée...Demain, nous rendrons encore la justice avec les épaules encore un peu plus lourde du fardeau des attaques répétées.

Alors, s'il est toujours légitime de se demander qui jugera les juges, le temps est venu de savoir qui rendra justice aux juges ?

Mon cher maître, merci de nous avoir accordé ce droit à la défense que bien peu nous reconnaissent aujourd'hui...

C'est aussi cela l'Etat de droit

vendredi 4 juillet 2008

Merci

Par Gascogne


La séquestration en pays étranger pourrait être tout au plus un sujet de concours en droit international privé. Figurez vous que c'est surtout ce soir un sujet d'actualité. Et la compassion politique n'a jamais été quelque chose qui me touche, d'autant plus que la démagogie n'est jamais loin. Pourtant, ce soir, les nouvelles me rendent tellement joyeux que je me trouve pour la première fois depuis longtemps en osmose avec le monde politique international, mais également national. Alors merci à tous ceux, de la lumière ou de l'ombre, qui ont permis d'alléger mon cœur ce soir. Je suis désolé mon cher Maître de squatter la coloc' (je me sens autant irrespectueux de mon hôte que des principaux intéressés de ce qui ce passe en ce moment), mais j'avais besoin de m'exprimer sur ces quelques lignes.
Salut Ingrid, et salut à ses enfants et sa famille. Votre combat m'a touché, ce qui n'est pas bien grave, mais surtout, il n'a pas été vain.


Ajout 11h07, par Eolas : Je ne saurai vous en vouloir. Ce blog est aussi là pour ça. Elle est libre, en parfaite santé, libérée sans effusion de sang, à la suite d'une opération audacieuse menée de main de maître par les forces colombiennes, qui en prime a humilié les FARC. Ajoutez de la neige et c'est Noël.

J'ai suivi l'arrivée des ex-otages en direct sur une chaîne hispanophone, qui s'intéressait moins à Ingrid Bétancourt qu'à tous les otages ensemble, et l'un d'entre eux, pourtant fort jeune, s'est présenté au micro et a expliqué qu'il était policier et avait été enlevé… il y a dix ans. La France n'était pas encore championne du monde de football, Lionel Jospin caracolait en tête des sondages, Chirac était donné pour mort et enterré après la dissolution, quand la vie s'est arrêtée pour lui. N'oublions pas les autres otages libérés en même temps qui ont été captifs plus longtemps encore. Donnez-moi donc ce magnum de champagne, c'est votre troisième, et trinquons ensemble, à la liberté.


Ajoût 4 juillet : une photo de la fête donnée au château pour fêter ça (désolé pour l'aspect Private Joke. Mais vendredi, c'est permis). Je rouvre les commentaires, mais Troll Detector™ a été dressé pour attaquer sans sommation les théories du complot. À bon entendeur… Et avec la musique qui accompagne :

Dans les caves du Château de maître Eolas, aménagées en boîte de nuit, Maitre Eolas met le feu au dance floor en se déhanchant langoureusement avec un élégant pantalon mauve à patte d'éph' et des chaussettes jaunes assorties ; Gascogne dans le pogo comme un fou. Sur le bord de la piste, Dadouche les regarde, Fantômette à ses côtés, une flûte de champagne à la main. Dadouche dit : 'Bon, il va falloir calmer Gascogne, ça ne lui réussit jamais de pogoter après un magnum de champagne.' Elle ajoute : 'Sinon, comment va Augustissime ?'. Fantômette jette un coup d'oeil à sa droite, où est assise une mémé à moustache, le sac à main sur les genoux, qui fait ostensiblement la gueule. Fantômette répond : 'Comme d'hab.'

dimanche 29 juin 2008

Affaire de la dénonciation : la presse en parle

Mon billet sur l'assistante sociale pas très assistante ni très sociale a été abondamment repris par la presse.

À tout seigneur, tout honneur, c'est Le Monde qui s'y est intéressé le premier, sous la plume de Nathalie Guibert.

C'est cette publication qui a suscité l'intérêt des autres organes de presse, avant tout audio.

Votre serviteur a donc pu être ouï sur les médias suivants :

— France Info (pas de lien trouvé) ; je renouvelle d'ailleurs mes excuses à Nathalie Bourrus pour ma lamentable prestation au téléphone, c'est un miracle qu'elle ait eu quelques secondes d'utilisables.
RTL, et j'en profite pour apporter une rectification : je n'ai jamais dit qu'être sans papier n'était pas un délit (c'en est un : article L.621-1 du CESEDA), mais qu'aucune circonstance majeure n'obligeait cette assistante sociale à dénoncer (ce qui n'aurait pas été le cas de maltraitance sur les enfants, par exemple).
—RMC-Info devait en parler aussi, je n'ai pas trouvé de lien.

Le site du Nouvel Obs en a également parlé.

L'AFP a fait une dépêche à l'occasion d'un communiqué de l'ANAS, Association Nationale des Assistants de Service social.

Cette dépêche AFP a donné lieu à des reprises sur les sites de Libération, Le Figaro, et Europe 1.

J'ai dû à la suite de cette large publicité fermer les commentaires sous le billet en question, après en avoir supprimé une dizaine ouvertement racistes, et quelques uns qui étaient injurieux à l'égard de l'assistante sociale en question.

Je crains de devoir rapidement faire de même sous celui-ci.

En attendant, ayant eu de très intéressants échanges avec le président de l'ANAS, j'ai appris un détail intéressant : cette asisstante sociale n'est probablement pas fonctionnaire, mais semble employée par une association loi 1901 qui travaille avec le juge des enfants dans le cadre des mesures d'AEMO. Donc en aucun cas elle ne pourrait invoquer l'article 40 du Code de procédure pénale qui impose aux fonctionnaires de dénoncer au procureur les délits dont ils ont connaissance dans le cadre de leurs fonctions.

La violation du secret professionnel semble donc bien établie. Je me permets de rappeler qu'il est plus sévèrement réprimé que le séjour irrégulier : si la peine de prison encourue est identique, l'amende est sans commune mesure : 3750 euro pour le séjour irrégulier, 15000 pour la violation du secret professionnel.

Enfin, une mise au point. Deux plutôt. L'article en question n'est pas de moi. J'en suis l'éditeur, mais l'auteur est Anatole Turnaround, rendons à César ce qui est à Anatole. Oui, c'est aussi un pseudonyme et c'est l'objet de ma deuxième mise au point, sur cet anonymat.

Quand une nouvelle dérange et est difficilement défendable, la technique du rideau de fumée est très commode : attaquons celui par qui le scandale arrive et hop, parlons d'autre chose.

D'une part, je ne relaie pas ici les délations anonymes et non vérifiées. Je sais qui est réellement Anatole Turnaround, et je sais que c'est une source crédible. Enfin, s'agissant de mon anonymat, je m'en suis déjà expliqué ici il y a longtemps, mais il ne faut pas attendre des sycophantes qu'ils lisent les archives ou cherchent à comprendre, quand leur objectif est que personne ne comprenne.

Mon anonymat est un anonymat de confort. Malgré mes avertissements, je reçois chaque jour une douzaine de mails me demandant des conseils juridiques, dont une bonne moitié sans bonjour ni merci ni au revoir (quand ils ne sont pas écrits en langage SMS). Vous imaginez si mon numéro était accessible dans les pages jaunes ?

Quand un journaliste cherche à me contacter (et ils ont été nombreux dans cette affaire), je leur réponds, et je leur donne mon identité pour qu'ils s'assurent que je suis bien avocat. Mon identité n'est pas un secret honteux, je n'ai pas de cadavre dans le placard, je suis bien ce que je prétends être, un avocat au barreau de Paris, tout aussi anonyme dans ce barreau pléthorique que ses 18.000 confrères.

Et en fait, cette situation me convient très bien. Je suis ravi d'entrer dans les prétoires sans attirer autre chose qu'un coup d'œil morne, d'être écouté et traité comme n'importe lequel de mes confrères, et d'être jugé, si j'ose dire, à la qualité de mon travail sur le dossier et non par le prisme d'une sympathie provoquée par mon blog.

Mon anonymat n'est pas celui du dénonciateur anonyme. Le PV retranscrit était totalement anonymisé, aucune initiale ne correspond à la réalité, pas même celui de la ville. C'est un fait que je dénonçais, pas cette personne, dont je n'ai que faire. J'ai même refusé, alors que rien ne m'y obligeait, de donner copie de ce PV à l'ANAS, qui envisage un dépôt de plainte contre elle (action que je décourage). Qu'un professionnel comme un travailleur social se croit autorisé à trahir le secret qui est le sien est révélateur d'un climat délétère qui s'installe depuis des années, et qui commence à porter des fruits nauséabonds. Climat qui a des répercussions sur l'opinion, donc sur les sondages, donc sur les choix politiques, s'agissant en outre de taper sur une population qui n'a pas le droit de vote, donc tout bénef. Faites un jour un parallèle avec les dates des grandes lois sur l'immigration et les échéances électorales majeures, vous serez surpris. En attendant, moi et mes confrères qui faisons de la défense des étrangers, on se prend ces réformes dans la figure. Et les juges aussi, judiciaires qui siègent 24 heures d'affilée pour faire face au contentieux, et administratifs qui doivent mettre tous les autres dossiers en attente pour juger en priorité ce contentieux qui représente plus de la moitié des dossiers, et de toute la machine folle que cette politique sans queue ni tête fait tourner à plein régime — et à vos frais.

Aussi bien du côté des esprits faibles qui, à force de s'entendre dire que les étrangers en situation irrégulière sont un problème finissent par le croire sans se poser d'avantage de questions sur leur rôle économique, sur la démographie française, sur ce qu'ils apportent par rapport à ce qu'ils sont supposés retirer, quand ce n'est pas une xénophobie qu'ils développent, parce que, franchement, comment reconnaît-on un étranger sans papier (mauvais) d'un (bon) étranger avec papiers ? Avec les variantes sur les thèmes éculés de « la loi c'est la loi », sauf pour la violation du secret professionnel, cela va de soi, ou de l'argument « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde », dernier refuge de la bonne conscience et qui revient à dire que ma foi, puisqu'on ne peut accueillir toute la misère du monde, y compris celle qui ne demande pas à venir mais que nous devrions aller chercher nous-même puisqu'on a dit TOUTE la misère, hé bien nous nous devons de n'en accueillir aucune part. C'est trois milliards de pauvres ou rien. Égalité républicaine oblige.

Mais aussi dans le camp d'en face, qui développe de notre pays une vision qui l'assimile à la période de l'Occupation (étant entendu que les collabos, c'est les autres).

Si la raison défaille de chaque côté, il ne reste que le désespoir.

vendredi 20 juin 2008

Brice l'Haruspice

Il m'épatera toujours.

Brice Hortefeux, notre Ministre de tout ce qui flotte (que ce soit dans notre cœur, en haut d'une hampe ou dans la Marne), annonce triomphalement que le nombre d'étranger clandestins a diminué de 8% en un an. Pas 7%, pas 9% : 8%.

Le nombre de clandestins. Peste. J'ignorais qu'on avait fait un recensement. Y a-t-il aussi un annuaire ?

J'adore quand le gouvernement annonce sans rire des résultats que nul ne peut vérifier : ils sont toujours à sa gloire, comme le monde est bien fait.

Mais il y a plus drôle encore : c'est quand il essaie de donner sa méthode pour sonder l'insondable.

Un chiffre qu'il obtient à partir de quatre indicateurs.

Il observe d'abord que le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat (AME), de septembre 2006 à mars 2008, a reculé de 6,2 %. Ensuite, le nombre de reconduites à la frontière s'est accru en un an, du 1er juin 2007 au 31 mai 2008, de 31 %, atteignant 29 729. Par ailleurs, sur la même période, 22 403 personnes ont été refoulées à l'entrée du territoire, soit une diminution de 3 %, "signe que notre politique de dissuasion commence à porter ses fruits". Enfin, 26 400 demandeurs d'asile ont été déboutés en 2007 contre 32 000 en 2006.

Mettez tous ça dans un marmite, ajoutez de la bave de crapaud mort d'insolation et trois feuilles de mandragore, laissez mijoter, et abracadabra : vous avez 8%, un beau chiffre, meilleur résultat “depuis une génération”, ajoute le ministre, qui décidément s'est dit que si on peut jouer du pipeau, on peut aussi bien jouer du tuba.

Parce que déduire de la baisse d'attributions de l'AME qu'il y a moins d'étrangers, c'est déjà audacieux en soi. On fera remarquer que la seule déduction qui peut en être faite est… qu'il y a moins d'étrangers qui la demandent, et que le fait de donner son nom et une adresse à une administration, dans le sain climat qui règne ces temps-ci a de quoi décourager même des étrangers bien malades. La peur est une explication tout aussi valable que l'absence. Et pour parler chiffres, l'AME, c'est 192.000 bénéficiaires. 6,2%, c'est 11.900 personnes. Ces 192.000 excluent les étrangers présents depuis moins de trois mois, ceux qui ne peuvent prouver trois mois de séjour (les SDF, par exemple) et ceux qui gagnent leur vie et payent des impôts (les salariés clandestins par exemple, et ceux qui travaillent avec la carte de séjour d'un autre).

En outre, le nombre de reconduites à la frontière aurait augmenté, et le nombre d'étrangers refoulés à la frontière aurait diminué. Que l'augmentation du nombre de reconduites fasse baisser le nombre de clandestins, je l'admets volontiers. Mais le fait qu'on refoule moins d'étrangers à la frontière peut aussi vouloir dire qu'il y en a plus qui entrent. Le nombre global d'étrangers se présentant à la frontière a-t-il diminué ? On ne le sait pas. Ce n'est cependant pas impossible car, il faut lui rendre cet hommage, la Police aux Frontières déploie en effet un zèle remarquable pour dissuader les étrangers de venir en France. Même les scientifiques. Même les touristes.

Le Monde a fait un remarquable travail en analysant la méthode de calcul des certains chiffres. La conclusion est impitoyable : Brice Hortefeux a gonflé les chiffres de l'immigration de travail. Méthode bien connue pour le chômage : si on ne peut changer la réalité, on change de formule de calcul.

Bref, ce n'est plus du tuba, c'est de la fanfare.

Mais bon, après tout ce n'est qu'une question de vase communiquant : on baisse artificiellement des chiffres pour en faire augmenter d'autres, ceux des sondages. Communication, tout n'est que communication. La preuve : notre président, quand il fait son mea culpa, reconnaît des erreurs… de communication. Et que dit l'entraîneur de l'équipe de France de football après une humiliante élimination, dernière de son groupe ? Qu'il a commis une erreur… je vous laisse compléter la phrase.

lundi 11 février 2008

Y'a pas marqué "pays des droits de l'homme" sur mon frontispice...

Nicolas Sarkozy, candidat à la présidence, le 7 avril 2007 :

[Nicolas Sarkozy] a promis d'accorder la "citoyenneté française" à toute femme "martyrisée" dans le monde. "Chaque fois qu'une femme sera martyrisée dans le monde, cette femme devra être reconnue comme citoyenne française et la France sera à ses côtés", a-t-il déclaré. "Il faut mettre les droits de l'homme au service des droits de la femme dans le monde", a ajouté l'ex-ministre de l'Intérieur.

Ayaan Hirsi Ali, ancienne députée néerlandaise, qui a fui sa Somalie natale pour échapper à un mariage forcé et est menacée de mort pour avoir critiqué l'islamisme radical, le 10 février 2008 :

"J'ai besoin d'aide", "Je serais honorée d'avoir la possibilité de devenir française"

en français dans le texte pour cette dernière phrase.

Nicolas Sarkozy, président de la République, le même jour :

Le gouvernement français lui a alors apporté son "soutien", par la voix de Rama Yade, sans s'engager sur sa demande de naturalisation. "Nous sommes vos amis. La France éternelle, celle de 1789, de Hugo, de De Gaulle, vous a entendue", a assuré la secrétaire d'Etat aux droits de l'homme.

Comprendre : la France des morts vous a entendu.

Les vivants sont par contre un peu durs de la feuille :

"Nous réfléchissons à la manière de vous faire accéder à la France, à la naturalisation", a-t-elle ajouté avant de lire un message personnel du président de la République.

Ce message disait : « Je suis déjà marié, mais laissez moi le temps de légaliser la bigamie : j'envoie un SMS à Fillon. Ha, merde, je me suis encore gourré de numéro. »

Bon, plus sérieusement, une femme martyrisée devant pouvoir devenir française, ça devient quoi, quand les sondages sont en berne et les caisses de l'Etat plus que vides ?

Dans ce message, M. Sarkozy fait part de sa détermination ...

Je ménage un temps de suspens...

... à "agir avec les Européens pour que se mette en place un fonds communautaire pour assurer la protection des personnes menacées", lorsque la France prendra la présidence de l'Union européenne au second semestre 2008.

Avis à la population : les droits de l'homme font désormais partie des compétences que la France a décidé de déléguer à l'Union Européenne. Comme quoi, l'Europe, quand il faut passer à la caisse, c'est bien pratique, tout compte fait.

lundi 7 mai 2007

Parce qu'il va falloir continuer à vivre ensemble

C'est terminé. Le peuple s'est exprimé et Nicolas Sarkozy sera le prochain président de la République. Plus rien ne permet de revenir là-dessus, et il n'y a aucune raison. Cette élection, contrairement à la précédente, a été irréprochable dans son déroulement, et tant la participation massive que l'écart considérable donne au vainqueur une légitimité incontestable.

Maintenant que les braises des passions s'éteignent, il est temps de jeter un regard apaisé sur cette campagne.

Le premier bilan que j'en tire est bien sûr l'effondrement des extrêmes. Naturellement, il y a encore du chemin à faire pour que le Front national redevienne un micro-parti, mais hormis quelques soubresauts, je crois que c'en est fini de ce phénomène politique. D'une part, la chute des voix lepénistes n'est pas due à l'abstention : en nombre de voix, c'est près d'un million de suffrage qu'a perdu Jean-Marie Le Pen. Et il semblerait que seuls 3% des électeurs de Le Pen aient respecté la consigne de s'abstenir au second tour[1]. Jean-Marie Le Pen ne tient plus ses électeurs. Son apparition hier soir, où il n'a même pas pris la peine de se lever, et ses propos très acides sonnaient comme un requiem. L'extrême gauche au total ne fait guère mieux que le FN, et c'est la fin d'une supercherie : ceux qui revendiquaient au nom de l'anti-libéralisme une légitimité populaire issue du referendum de 2005 se sont tous présentés à l'élection, ce qui a permis de compter leurs voix et de voir ce qu'ils représentent vraiment. José Bové, pour qui vous savez mon affection toute particulière, a même fait au premier tour, dans sa commune, Pierrefiche (Aveyron) le score de... deux voix.

Au delà de ces satisfactions personnelles, la démocratie se porte mieux en France, et sa guérison a été extraordinairement rapide. Le manque de renouvellement du personnel politique semblait être la cause de cette langueur : songez que c'est la première fois depuis 26 ans qu'il n'y a avait pas un bulletin au nom de Jacques Chirac lors d'une élection présidentielle.

Pour le PS, le mot d'ordre va être Vae victis : malheur au vaincu. Hier soir, les caciques du PS appelaient à la rénovation et au changement. Fort bien, mais après cinq années d'opposition, n'était-ce déjà pas à eux d'opérer une rénovation pour proposer le changement ? François Hollande devrait être la première victime de cette élection. Devrait au sens de devoir, pas au sens de prédiction. Il soutenait Delors en 1995, Jospin en 2002, Royal en 2007, il serait peut être temps de passer la main. Ce d'autant qu'il a sans doute une responsabilité personnelle dans cette défaite. De manière générale, en empêchant tout aggiornaméntto au sein du PS, avec son obsession de la synthèse au nom de l'unité, il a fait du PS une structure trop étirée entre le centre (tendances DSK et Bockel) et la gauche (tendance Emmanuelli et depuis peu Fabius) et donc fragile, tel point que Ségolène Royal a ostensiblement refusé de s'appuyer dessus pour sa campagne. D'une manière particulière, par ses déclarations à l'emporte-pièce, comme la fameuse déclaration sur les augmentations d'impôt pour les plus de 4000 euros par mois de revenus en janvier 2007, qui a fait perdre 5 points à Ségolène Royal, la faisant franchir la barre des 30%, barre qu'elle ne retrouvera jamais.

L'électorat a envoyé un message clair lors de cette élection : chute des extrêmes, score élevé du centre, le tout avec une participation historique. La France veut un gouvernement modéré. Le PS refuse de tourner le dos à l'extrême gauche, qui continue à exercer un ministère moral sur lui en refusant de participer au pouvoir (Olivier Besancenot a d'emblée décliné tout poste ministériel en cas de victoire de Ségolène Royal malgré ses 4%). Ségolène Royal lui a pourtant rendu hommage en approuvant son slogan "Nos vies valent plus que leurs profits", juste avant d'aller à la pêche à l'électorat centriste. Voilà le genre de contradictions dont le PS doit faire table rase, car rien n'effarouche plus un centriste qu'un trotskyste (et réciproquement).

Enfin, tous les candidats d'extrême gauche (plus les verts, qui n'en font pas partie à mon sens) se sont ralliés immédiatement et inconditionnellement à Ségolène Royal, même Arlette Laguiller qui avait refusé d'appeler à voter contre Le Pen en 2002. Et pourtant, le PS a largement perdu. Si avec tout ça le PS ne comprend pas que l'extrême gauche est plus un boulet qu'un allié, il se condamne à une longue cure d'opposition.

La pratique de la démocratie interne au sein du PS se révèle décidément problématique. Ca fait très bien de laisser les adhérents décider mais quand on voit que les adhérents avaient voté pour le soutien au TCE en 2005 avant de tourner casaque, et ont désigné Ségolène Royal non par adhésion (sauf Hugues, bien sûr) pour son projet mais parce que les sondages lui prédisaient la victoire, la méthode parait peu productive : tout au plus permet-elle au premier secrétaire de plaider l'irresponsabilité et le respect du vote des adhérents.

Et du côté de l'UMP ? C'est, enfin, la fin de l'ère Chirac. Qui a fait, avec Mitterrand, tant de mal à la 5e république. Si je devais conserver deux souvenirs de ces mandats pour en symboliser l'inefficacité brouillonne, ce serait la dissolution de 1997, et, moins spectaculaire mais pourtant si représentatifs, la lamentable conclusion de l'affaire du CPE, avec un premier ministre qui engage la responsabilité de son gouvernement sur un texte qu'il demande ensuite au président de promulguer sans le faire appliquer le temps que le texte soit modifié. Les mécanismes institutionnels dévoyés afin d'assurer l'irresponsabilité politique des proches du chef de l'Etat. Bref : bon débarras.

L'UMP a réussi un exploit : afficher ses divisions, tant la lutte chiraquiens-sarkozistes a été visible, permettre à un autre courant que le courant majoritaire de prendre le pouvoir au sein du parti jusqu'à s'imposer à la présidentielle contre le patriarche, poussé à la retraite. La page de la droite la plus bête du monde semble tournée. Et l'UMP, héritier du RPR, parti godillot par excellence, semble plus démocratique que le PS qui a beau faire voter ses adhérents pour ses grandes orientations mais n'en garde pas moins ses éléphants (Laurent Fabius affichait dès hier ses ambitions : rappelons qu'il était ministre du premier gouvernement Mitterrand, premier ministre il y a vingt deux ans et président de l'assemblée nationale il y a dix neuf ans et à nouveau il y a dix ans, avant de succéder à DSK, autre éléphant, à Bercy).

A présent, c'est la bataille des législatives qui commence. Le PS part perdant, tant il est improbable que les Français votent une cohabitation après avoir plébiscité Sarkozy. Est-ce Ségolène Royal qui va mener la bataille, au risque de devenir le Général aux deux défaites (la seconde s'annonçant cuisante) ? Quel va être le rôle de François Bayrou, et de son Mouvement Démocrate ?

Les mois à venir s'annoncent passionnants tout en étant moins passionnés, et saignants rue de Solférino.

Un dernier mot aux électeurs déçus qui redoutaient l'élection de Nicolas Sarkozy.

Nicolas Sarkozy n'est pas le fasciste ultralibéral qu'on vous a vendu (exemple ici, en image), tout comme Ségolène Royal n'était pas la cruche incompétente dont on a dressé le portrait aux électeurs de droite. Tout comme Mitterrand en 1981 n'était pas vendu au bloc soviétique, et que Chirac n'est pas promis aux geôles de la République dans les semaines à venir. La personnalisation très forte des élections présidentielles pousse à générer des sentiments personnels violents à l'égard des candidats. Ce sera encore le cas en 2007. La victoire a parfois ce prix, mais il est élevé pour les désappointés. Il va nous falloir vivre ensemble pendant cinq ans. Les heureux comme les malheureux, les sereins comme les inquiets.

Le choix du second tour ne s'est pas opéré entre le mauvais et le pire. Les trois meilleurs candidats étaient bien ceux arrivés en tête. Je continuerai pour ma part à me moquer des bourdes du législateur, à m'indigner des pratiques douteuses de l'administration, et à vous raconter comment ça se passe sur le front judiciaire. Et je ne désespère pas d'avoir quelques coups de chapeaux à donner à nos futurs dirigeants. Dans tous les cas, vos avis m'intéresseront.

Et puis vous n'aurez qu'à m'élire en 2012, comme ça,tout le monde sera content.

Notes

[1] Source : Jean-Marc LECHE (désolé pour la faute d'orthographe sur son nom), directeur d'IPSOS, interviewé sur Canal + ce matin.

jeudi 30 novembre 2006

France, patrie des droits de l'homme...

La presse étant trop occupée à parler de ce scoop extraordinaire qu'est la déclaration de candidature du président de l'UMP, vous n'entendrez probablement pas parler de deux affaires sans intérêt, qui n'intéresseront nullement aux yeuxdes rédac'chefs les citoyens de la république, dont la curiosité est amplement rassasiée avec des considérations sur la couleur du tailleur de la candidate du parti socialiste.

Les blogues en général et le mien en particulier se passionnant pour le sans-intérêt, je vais donc vous en causer. On ne sait jamais, il pourrait y avoir ci ou là quelques farfelus comme moi qui pourraient s'y intéresser.

La France vient d'être condamnée deux fois en trois semaines par la cour européenne des droits de l'homme, à l'unanimité des sept juges composant la section saisie, la première fois pour traitement inhumain et dégradant, la deuxième fois pour atteinte à la liberté d'expression.

Vous, je ne sais pas, mais moi, ça me fait mal.

La condamnation pour torture a été prononcée le 24 octobre dernier par la deuxième section (arrêt Vincent contre France, req. n°6253/03).

Le plaignant n'est pas sympathique, c'est vrai. Il est en prison, pour enlèvement et séquestration d'un enfant de sept mois, mais pas pour violences sur cet enfant. Il est un détenu désagréable et procédurier, qui porte plainte contre un peu tout le monde ; mais parfois à raison, comme nous allons le voir. Il est paraplégique depuis un accident de la circulation en 1989 et a perdu l'usage de ses jambes. Il est en prison depuis 2002 et purge une peine de dix années d'emprisonnement.

Depuis sa détention provisoire, il a visité plusieurs hostelleries de la république : Nanterre de novembre 2002 à février 2003, Fresnes de février à juin 2003, Osny de juin 2003 à février 2005, Meaux-Chauconin de février 2005 à mars 2006, établissement adapté aux handicapés, d'où il a été transféré à Villepinte où il résiderait encore.

C'est lors de son passage à Fresnes que Monsieur Vincent a connu une situation inhumaine et dégradante pour la cour, du fait de l'inadaptation de cet établissement, construit au XIXe siècle, pour un détenu se déplaçant en fauteuil roulant. Là, je confirme. Je dois baisser la tête et rentrer les épaules pour franchir la porte menant au parloir des avocats, et je mesure 1m80. Monsieur Vincent ne pouvant franchir seul les portes (ce qui nécessitait qu'il fût porté pendant qu'une roue de son fauteuil était démontée), il est resté confiné dans sa cellule pendant quatre mois sauf à l'occasion de rares sorties, principalement pour les nécessités de l'instruction. Cette situation a été constatée dès son arrivée, et aucune raison impérieuse n'imposait de le laisser dans cette maison d'arrêt ; pourtant il y est resté quatre mois, sans sport, sans promenade, sans sans accès à la bibliothèque. Faute de chaise adaptée, il n'a pu prendre de douche pendant deux mois. Enfin, les soins que nécessitaient son état, sondages urinaires et touchers rectaux pour l’évacuation des urines et des selles, étaient faits en cellule, au vu de ses codétenus.

Le récit du plaignant sur ses autres conditions de détention fait frémir, même si la cour les écarte faute de preuve (un détenu ne peut avoir d'appareil photo dans sa cellule ni faire venir un huissier...) : à Nanterre, il ne pouvait atteindre les placards, ni utiliser le miroir ou le lavabo, placés trop haut pour un homme en fauteuil ; il aurait même été contraint durant quatre jour d'aller aux toilettes en rampant, son fauteuil étant cassé. A Osny, Dans sa cellule, la douche n’était pas adaptée à une personne paraplégique puisqu’il devait actionner le bouton poussoir avec l’arrière de sa tête pour obtenir de l’eau. Il faudra neuf mois pour que ce problème soit réglé.

Sans commentaires.

Dans la deuxième affaire (Mamère contre France, req. n°12697/03), le camouflet est double car il dépasse la seule affaire judiciaire. Il s'agit de la condamnation de Noël Mamère et Marc Tessier (président de France Télévision) pour diffamation envers le professeur Pierre Pellerin, ancien directeur du service central de protection contre les rayons ionisants (SCPRI) qui en 1986 était responsable des informations officielles sur le nuage de Tchernobyl. A l'occasion d'un passage à l'émission « Tout le monde en parle », le député maire de Bègles, après avoir rappelé qu'à l'époque, il présentait le journal de treize heures, avait parlé du professeur Pellerin en ces termes :

il y avait un sinistre personnage au SCPRI qui s’appelait Monsieur Pellerin, qui n’arrêtait pas de nous raconter que la France était tellement forte – complexe d’Astérix – que le nuage de Tchernobyl n’avait pas franchi nos frontières

Noël Mamère a été condamné pour ces propos, en raison de leur manque de mesure, qui exclurait la bonne foi de leur auteur, et de leur inexactitude factuelle : le professeur Pellerin avait bien dit que la radioactivité avait augmenté en France, ce qui suppose un survol, mais que cette augmentation n'aurait pas de conséquence sur la santé publique, propos qui, d'après la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 3 octobre 2001, « ce qui n’a toujours pas été réfuté avec certitude ». Qu'en termes choisis ces choses là sont dites, n'est ce pas ?

La cour de cassation a validé cette condamnation le 22 octobre 2002 en rejetant le pourvoi de Messieurs Mamère et Tessier.

La cour des droits de l'homme estime qu'en statuant ainsi, la justice française a violé l'article 10 de la convention qui garantit la liberté d'expression, en soulignant que le débat en question portait sur un sujet d'intérêt général, qui impose une plus grande souplesse, et que dès lors l'interdiction que fait la loi française d'apporter la preuve de la véracité des faits diffamatoires quand ils remontent à plus de dix ans n'est pas une limitation acceptable, car « lorsqu’il s’agit d’événements qui s’inscrivent dans l’Histoire ou relèvent de la science, il peut au contraire sembler qu’au fil du temps, le débat se nourrit de nouvelles données susceptibles de permettre une meilleure compréhension de la réalité des choses. ».

De même, la cour n'accepte pas que la bonne foi du requérant ait été écartée au seul motif qu'il a tenu des propos exagérément vifs, encore une fois, il s'agit d'un débat d'intérêt général, et, flèche du Parthe, « dans le cadre d’une émission qui tient moins de l’information que du spectacle et qui a construit sa notoriété sur l’exagération et la provocation ». La carte de presse de Thierry Ardisson appréciera.

L'animateur n'est pas le seul à se prendre un coup de règle sur les doigts par la cour : savourez cette appréciation obiter dictum sur l'attitude des autorités françaises en 1986, qualifiée « d'attitude particulièrement confiante, au détriment d’ailleurs du bon sens géographique ». Et paf. Le premier ministre de l'époque appréciera. Heureusement pour lui que les Français ne sont pas rancuniers, puisqu'il est à l'Elysée actuellement.

Bref, la cour trouve que condamner un homme qui a dit la vérité sur un sujet d'intérêt général, certes en des termes outranciers, mais dans une émission outrancière par sa nature, sous prétexte qu'il n'a plus le droit de prouver qu'il disait la vérité et qu'il l'a dit en termes exagérés, ça ne s'appelle pas de la liberté d'expression, mais de la police politique (cette dernière interprétation est de moi, elle est outrancière mais d'intérêt général alors j'ai le droit). Dire qu'il aura fallu aller jusqu'à Strasbourg pour que cette évidence soit dite.

Et pour finir sur une envolée lyrique qui plaira à mon ami Jules,

Ha, France, terre des droits de l'homme, qu'as-tu fait de ces fruits ? Alors qu'ils étaient un meuble pour ton blason, tu en as fait une nature morte !

mercredi 12 juillet 2006

Prolongations sur un coup de tête

Où l'auteur tire profit d'un fait d'actualité pour revenir à son violon d'Ingres : la procédure pénale.

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mardi 27 juin 2006

Es la guerra !

Petite revue de presse espagnole pour se mettre dans l'ambiance.

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vendredi 16 juin 2006

Où l'on reparle, sans doute pour la dernière fois, de l'affaire d'Outreau

Où l'auteur, amer, perd encore quelques illusions qui lui restaient.

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samedi 25 mars 2006

Faisons le point sur le CPE

Où l'auteur règle ses comptes suite à un traumatisme de jeunesse.

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