Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 29 janvier 2014

Lettre à ma prof

Madame le professeur,

C’est avec le profond respect que l’élève doit à son maître que je vous écris, puisque j’ai eu l’honneur d’être votre étudiant quand vous enseigniez encore. C’est vous qui m’avez initié à la procédure pénale, et si je ne suis pas sûr que vous approuveriez ce que j’ai fait de votre enseignement, vous auriez toutes les raisons d’être fière à tout le moins de ma maîtrise de la matière.

C’est pourquoi je me sens tenu de vous rendre un peu de ce que vous m’avez donné, car il n’y a de don plus précieux que la connaissance, qui enrichit celui qui la reçoit sans appauvrir celui qui la donne. En outre, vous avez toujours fait montre d’un goût pour la franchise la plus directe, en tout cas à l’égard des autres, à commencer par vos étudiants, mais je n’ai aucune raison de douter que vous ne goûtiez point qu’on en usât de même avec vous.

J’ai bien noté votre réticence à l’égard du bloging, qui est pour vous, cumulativement, “un exutoire pour adolescents en mal de reconnaissance, un jouet pour dilettantes oisifs ou un moyen de se maintenir en lumière pour des mégalos n’acceptant pas l’idée d’être absents de la scène médiatique”. Je vous laisse choisir dans quelle catégorie je me range plus particulièrement, moi qui ai passé l’âge d’être un adolescent avant même de m’asseoir dans votre amphithéâtre pour la première fois, qui ai du mal à trouver du temps pour écrire mes billets, et qui ai choisi le pseudonymat pour fuir la scène médiatique. Je m’interdis en revanche de me poser la même question à votre égard, la crainte révérentielle que j’ai pour vous me l’interdisant.

Vous bloguez donc, j’en suis fort aise, même si, contrairement à ce que vous semblez penser, la blogosphère est loin d’être démunie en matière de pensée de l’école de la défense sociale qui est la vôtre, et qui, malgré vos efforts, n’est pas la mienne. Et c’est votre dernier billet en date qui me chiffonne. Il faut dire qu’il est intitulé “avocat pénaliste et garde à vue”, ce qui a tout pour attirer mon attention, et a été vivement salué sur Twitter par des lecteurs policiers, ce qui a tout pour me faire craindre le pire quant à son contenu.

Et en effet, j’ai tout de suite retrouvé la plume de celle qui trente années durant a dirigé un Institut d’Études Judiciaires avec les yeux de Chimène pour l’Ecole Nationale de la Magistrature et les yeux d’Emma Bovary pour le Centre Régional de Formation Professionnelle des Avocats. Voir que vous n’avez pas perdu votre mépris pour la profession qui est la mienne m’a rajeuni de 20 ans, et le fait que je l’exerce à présent me confirme ce que je ne pouvais que pressentir à la fac : vous n’avez jamais rien compris à cette profession. Comme il n’est jamais trop tard pour s’amender, même quand on est en situation de multirécidive, permettez-moi de vous exposer quelques vérités qui sont pour moi des évidences mais seront pour vous des nouveautés.

”Le rôle d’un avocat pénaliste est de défendre ses clients, de les défendre tous (au moins ceux qu’il a choisi d’assister) et de les défendre, dans l’idéal, jusqu’à les avoir soustraits à la justice”, dites-vous. Votre prémisse est les prémices de bien des sottises, et vous le confirmez sans attendre.

Il faut alors avoir bien conscience de ce que cela postule : la « bonne » procédure pénale, à l’aune d’un avocat pénaliste est celle qui est la moins efficace possible.

Mais, grande seigneure, vous ajoutez aussitôt dans un geste magnifique “Il serait totalement absurde de le leur reprocher : ils font leur métier et la plupart le font remarquablement, en considération de ce qu’il est.” On ne reproche pas au scorpion de piquer, c’est trop aimable.

Madame le professeur, comme je regrette que ce n’est qu’une fois que vous ayez quitté la chaire que je puisse corriger cette vilaine erreur de définition, qui s’apparente plus à un discours de café du commerce qu’à celui qu’on attend à l’Université, dont vous avez toujours eu la plus haute opinion, du moins tant que vous y enseigniez. Cela aurait peut être évité que vous ne polluiez l’esprit de quelques étudiants encore un peu crédules.

Le rôle d’un avocat est en effet de défendre ses clients. Je ne le contesterai pas, et risquerai des ennuis disciplinaires si je m’amusais à défendre ceux des autres. Du moins ceux que j’ai choisi d’assister, dites-vous. Mais c’est tout le contraire : ce sont mes clients qui me choisissent, je peux éventuellement les refuser, mais ce serait aussi incongru pour un médecin que d’éconduire un patient au motif qu’il est malade. Un avocat ne picore pas dans le panier du crime les affaires qu’il a envie de défendre. On frappe à notre porte, et nous l’ouvrons bien volontiers, ce qui nous distingue de l’Administration pénitentiaire.

Dans l’idéal, jusqu’à les avoir soustrait à la justice ? Madame le professeur, je vous en conjure, prenez garde à ce que vous dites. Vous êtes lue par des policiers, et ce sont des esprits impressionnables. Ils pourraient vous croire.

Notre idéal est le même que le vôtre : nous souhaitons une procédure efficace. Mais il reste à s’entendre sur ce que nous entendons par efficace. Une procédure efficace est à mes yeux, et je pense que mes confrères s’y retrouveront, une procédure qui permet, dans un délai fort bref, d’identifier avec certitude l’auteur d’une infraction, de réunir les preuves le démontrant, et de soumettre tout cela à l’appréciation d’un juge impartial afin qu’il fixe la peine la plus adéquate et le cas échéant l’indemnisation équitable de la victime. Le tout en s’interdisant d’user de moyens qu’une société démocratique réprouve, comme par exemple forcer quelqu’un ou le tromper pour le déterminer à participer malgré lui à sa propre incrimination (prohibition de la torture par exemple ; oh ne riez pas, notre pays en a usé il n’y a pas 60 ans et une autre démocratie amie en use en ce moment même).

Mon rôle, en tant qu’avocat pénaliste, et donc auxiliaire de justice, est de concourir à cette procédure efficace en m’assurant que les aspects protégeant la personne poursuivie, qui s’avère être mon client, sont respectés : que le délai fort bref est tenu, que la preuve est rapportée que mon client est l’auteur de cette infraction, et que la peine prononcée est la plus adéquate possible, le tout dans le respect de la loi. Que diable pouvez-vous trouver à redire à cela ? Comment donc pouvez-vous penser une seule seconde que j’ourdirais je ne sais quel complot afin de la procédure pénale soit tout le contraire de cela ? Mon rêve serait donc que mes clients innocents soient lourdement condamnés au terme d’une procédure interminable, car cela assurerait ma prospérité ?

Notons ici que cette efficacité suppose au premier chef des moyens, humains et financiers, importants, sans commune mesure avec le misérable viatique que l’Etat accorde au pouvoir judiciaire chaque année, et ce bien avant d’avoir eu l’excuse de ne plus avoir de fonds disponibles. Le lobby des avocats, dont vous vous défiez tant, réclame depuis des années aux côtés des autres professionnels, policiers y compris, ces moyens. J’espère que vous vous contenterez de ma parole sur la sincérité de cette revendication.

Ah, non, votre accusation est plus subtile, mais non moins absurde. Mon rôle serait de faire en sorte que la recherche de la vérité n’aboutisse pas, et que mon client, que l’on devine ontologiquement coupable (sinon pourquoi ferait-il appel à un avocat ?) soit injustement blanchi. Un parasite de la procédure, un mal nécessaire en démocratie pour donner à la répression son cachet d’humanitairement correct. Ce n’est pas la première fois qu’on me la fait, celle-là. C’est seulement la première fois que la personne qui émet ces sornettes est professeur des universités.

Mon rôle dans la procédure est d’assister, d’aider, de soutenir une personne qui est poursuivie par l’Etat, avec toute sa puissance et sa violence légitime. J’y reviendrai quand on parlera du fameux équilibre de la procédure. Concrètement, quand je rencontre mon client, qui dans le meilleur des cas a simplement reçu une convocation par courrier ou en mains propres, sinon est au dépôt après une garde à vue, voire dans un commissariat au début de celle-ci, c’est un individu isolé, inquiet si ce n’est paniqué. La puissance publique le menace dans sa personne de privation de liberté et dans ses biens par l’amende. Outre toutes les conséquences que peut avoir une condamnation, professionnellement, socialement, parce que oui, il reste des gens honnêtes qui commettent des actes illégaux et qui sont terrifiés à l’égard des conséquences, aussi justifiées fussent-elles. Parce que nous sommes une société qui par moment connait des prises de conscience, hélas fort courtes, on a décidé qu’on ne laisserait jamais une telle personne seule face à son angoisse. Qu’un juriste indépendant lui apporterait un soutien technique et humain. Briserait le voile de l’ignorance et le brouillard de l’inconnu qui est la source de toutes ses angoisses pour lui expliquer le fonctionnement de cette étrange machine qu’est le droit pénal, lui dire ce qui va lui arriver dans les heures et les jours qui viennent, et le conseiller sur la conduite à tenir. Je ne sais pas si c’est “efficace” à vos yeux, mais assurer ce genre d’assistance est ce qui nous permet de nous dire qu’en tout état de cause, nous sommes moralement supérieurs aux délinquants.

Une fois ce premier soutien d’urgence assuré, vient le soutien juridique. Un procès pénal est un procès. Il y a un ou plusieurs juges (de plus en plus souvent un seul hélas), un demandeur, le procureur de la République ; un défendeur, votre serviteur, et parfois un intervenant volontaire, la partie civile, et un intervenant forcé, l’assureur, qu’il soit social ou privé. Il y a une procédure à respecter, et ce n’est pas à vous que je vais apprendre que les manquements à celle-ci sont difficiles à faire valoir, entre les chausse-trappes des forclusions et la nécessité d’établir un grief qui permet au juge de valider une violation de la loi, pas par notre client, mais par les acteurs de la justice que sont les policiers, les parquetiers et les juges d’instruction. Eux ont le droit de s’asseoir sur la loi pour punir mon client accusé de s’être assis sur la loi. Le droit pénal est une matière étrange en vérité.

Il y a aussi une charge de la preuve, et la loi est très claire là-dessus : elle pèse sur le parquet. Je dois donc m’assurer que cette preuve est bien rapportée, si les faits sont contestés : ils ne le sont pas toujours loin de là, et parfois, c’est moi qui ai conseillé à mon client de reconnaître les faits plutôt que se borner dans une contestation stérile ; vous voyez que je n’ai rien contre l’efficacité. Comme ce n’est pas à moi de trancher sur ce point, je propose au juge une lecture critique du dossier. Les preuves présentées par le parquet, que prouvent-elles réellement, au-delà des apparences ? Car la loi est claire là dessus : en cas de défaillance de la preuve ou de simple doute, la relaxe s’impose. Même vous n’avez jamais remis en cause ce principe, notamment dans votre projet de code de procédure pénale. Et on voit pas si rarement des dossiers qui semblaient solides et prêts à condamner tomber en morceaux à l’audience sous les coups de boutoir d’un avocat, au point que le procureur ne puisse plus à la fin requérir en conscience une condamnation. Vous me permettrez de penser que dans ces cas, c’est la vérité qui s’est manifestée.

Enfin, en cas de culpabilité, une peine doit être prononcée, ou à la rigueur sa dispense. Cette décision, qui n’est pas la plus simple que le juge doit prendre (la culpabilité est binaire : oui ou non ; la peine fait appel à un large éventail de choix dans lequel le juge peut puiser) est lourde de conséquences. C’est pourquoi, pour l’aider à la choisir, la loi prévoit que le procureur en suggère une au nom de la société ; il m’incombe en tant qu’avocat d’en proposer une dans l’intérêt premier de l’individu qui va la subir, au juge de faire son choix, ou une synthèse. Notons que là aussi, ces intérêts ne sont pas forcément contradictoires : la réinsertion du condamné et son absence de récidive lui profitent autant qu’à la société, si ce n’est plus. C’est pourquoi d’ailleurs on a pu instaurer une procédure où, quand on trouve un accord sur ce point, on se passe de l’audience et on fait valider par un juge, je parle de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité CRPC).

Vous semblez succomber à ce cliché de l’avocat complice de son client, qui va saboter la procédure, impressionner les témoins, et va instantanément inventer un mensonge irréfutable qui va exonérer son client, qui le paiera grassement en remerciement. Après tout, comment diable pourrait-on, sinon faire fortune, vivre confortablement de ce métier autrement ? Ce cliché est répandu, et c’est là votre excuse. Après tout, rien n’est écrit dans le code de procédure pénale qui explique la réalité du métier d’avocat.

Alors sachez que bien souvent, nos clients coupables ont reconnu les faits. Soit qu’ils se disent “j’ai joué j’ai perdu, soit qu’ils assument la responsabilité de leurs actes. Mais ils estiment qu’il ne sert à rien de nier. Soit ils nous mentent. Ils ne viennent pas nous chuchoter dans l’oreille leurs aveux complets et détaillés afin que nous puissions, après un clin d’œil connivent, leur monter de toutes pièces le baratin qui va les tirer de là sans coup férir. Un simple coup d’œil aux statistiques publiées sur le site du ministère de la justice vous apprendrait que les relaxes concernent 5% des affaires jugées. Soit on est vraiment nuls, mais c’est impossible puisque certains d’entre nous sont vos anciens étudiants, soit la vérité est ailleurs. La vérité est que nos clients testent d’abord leur baratin sur nous, persuadés que si nous les croyons innocents, nous les défendrons mieux, ce qui est aussi diot que de croire qu’en donnant de faux symptômes à son médecin, on aura un traitement plus efficace. Mais le passage à l’acte délinquant ou criminel n’a jamais été un signe d’intelligence. J’ajoute que ces 5%, qui représentent quand même 25 000 personnes par an en correctionnelle, auxquelles s’ajoutent 200 accusés en matière criminelle. 25200 innocents sauvés par an, il n’y a pas de quoi rougir pour nous.

C’est en constatant très vite les contradictions de leurs propos, leur caractère convenu, le fait que les preuves réunies démentent tout ce qu’ils disent que nous réalisons qu’ils ont sans doute commis les faits en question. Et que c’est prouvé. Dès lors, dans leur intérêt, le mieux à faire est de le reconnaître. Cyniquement, parce que la peine sera généralement moindre parce que le juge craindra moins la récidive chez quelqu’un qui reconnait avoir commis des faits illégaux que chez quelqu’un en déni de réalité. Humainement, parce que c’est le premier pas pour une réinsertion réussie. Et croyez-le ou non, mais nous n’aimons pas les clientèles fidèles. La plupart du temps, nous défendons nos clients qu’une seule fois.

Ceci étant précisé, venons-en au fond de votre propos. L’ire qui anime votre plume est due au jugement rendu à la fin du mois de décembre faisant enfin droit aux revendications des avocats d’avoir accès au dossier au cours de la garde à vue. J’en ai déjà traité, et ai répondu par avance à un de vos arguments, celui de l’égarement de juges incompétents du fait des vacations.

Il demeure que pour vous, cette décision n’est ni faite ni à faire car la directive 2012/13/UE du 22 mai 2012, en cours de transposition, n’exigerait pas ce droit, privant la décision du juge de base légale. Vous oubliez l’argument le plus pertinent : le fait que la date de transposition de cette directive n’est pas encore échue qui exclut qu’on en demande l’application directe. Vous vous situez sur le fond du droit. Allow me to retort.

D’une part, rien ne nous dit que c’est sur le fondement de cette directive que le tribunal a annulé. Il y a amplement de quoi dans la Convention européenne des droits de l’homme, qui, elle, est en vigueur.

Ensuite, vous rappelez le passage pertinent de la directive, article 7 :

Lorsqu’une personne est arrêtée et détenue à n’importe quel stade de la procédure pénale, les Etats membres veillent à ce que les documents…qui sont essentiels pour contester…la légalité de l’arrestation ou de la détention soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou de son avocat » et, plus loin « (ce droit) est accordé en temps utile…au plus tard lorsqu’une juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation » :

Vous en déduisez 6 arguments.

1) le gardé à vue n’est ni « arrêté » ni « détenu », il est retenu.

Ah pardon. Il est privé de liberté, menotté et placé en cellule, mais sommes-nous bêtes, il n’est ni arrêté ni détenu, il est un autre truc que la directive ne vise pas. C’est l’argument “ceci n’est pas une pipe”. hélas, la lecture, toujours intéressante, de l’exposé des motifs, §21, fait raison de cet argument un peu bancal : « ”Les références dans la présente directive à des suspects ou des personnes poursuivies qui sont arrêtés ou détenus devraient s’entendre comme des références à toute situa­tion où, au cours de la procédure pénale, les suspects ou les personnes poursuivies sont privés de leur liberté au sens de l’article 5, paragraphe 1, point c), de la CEDH, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.» La CEDH a déjà jugé que l’article 5 s’applique à la garde à vue, arrêt Moulin c. France, Medvedyev c. France, et Vassis c. France pour ne citer que des récents. Ceci est donc bien une pipe.

2) il n’est pas évident que la garde à vue fasse partie de la « procédure pénale », au sens européen du terme, puisqu’aucun juge n’a encore été saisi et qu’il n’est pas évident du tout qu’aucun sera saisi plus tard. En toute hypothèse, la garde à vue intervient en France au tout début de la procédure alors qu’elle ne se produit, dans les autres pays qui la pratiquent, que presque à la fin de la procédure préparatoire. Ce n’est pas comparable.

Il est pour moi évident que la garde à vue fait partie de la procédure pénale, au sens européen du terme, puisque par exemple, le traité de Procédure Pénale, récemment paru aux éditions ellispes, lui consacre de longs développements incluant des considérations sur le droit européen. Cet ouvrage étant signé par vous, je pense que vous avez eu un léger moment de distraction en rédigeant votre billet. Même au temps où vous enseigniez, vous n’avez jamais prétendu que la phase d’enquête préliminaire, pouvant se terminer par un classement sans suite, donc sans qu’un juge soit jamais saisi, ne serait pas de la procédure pénale. Cela me contrarie d’autant plus que c’est précisément sur ce sujet que vous m’avez fait passer mon oral de procédure pénale en licence. Enfin ,vous me confirmez que c’était bien mon oral de procédure pénale ?

La garde à vue, chère madame, peut avoir lieu à tout moment, au début de la procédure, en cas de flagrance avec interpellation, mais aussi en toute fin en cas de préliminaire (notamment en matière économique et financière où la police accomplit un énorme travail en amont) voire d’instruction, où la garde à vue précède le déférement et la mise en examen, avec le cas échéant passage devant le JLD. Les mêmes règles s’appliquant, je vois mal comment on pourrait dire que si les faits sont récents, ce n’est pas de la procédure pénale, alors que si on est en fin d’enquête, on serait en plein dedans. L’argument manque de cohérence, à tout le moins.

3) les documents à communiquer sont les documents « essentiels » ce qui postule, de toute évidence que la transmission n’est pas intégrale ;

Je suis entièrement d’accord. Je ne revendique pas la communication des documents inutiles et superfétatoires dont la procédure est truffée. Mais le plus simple me paraît être qu’on me donne le dossier et que je fasse moi même le tri, l’OPJ étant fort occupé par ailleurs. Mais si vous voulez mettre ce tri à sa charge, soit, mais ça na va pas aller dans un sens de l’efficacité.

4) le caractère essentiel est celui qui est nécessaire pour apprécier la « légalité » de la détention et non de son opportunité ;

J’ai du mal à vous suivre. La garde à vue n’est légale que s’il existe des indices graves ou concordants laissant supposer que l’intéressé a commis ou tenté de commettre une infraction passible de prison ET si elle est l’UNIQUE moyen de parvenir à un des objectifs fixés à l’article 62-2 du CPP. Il faut donc que je puisse m’assurer de l’existence de ces indices graves ou concordants. Qui figurent au dossier. L’appréciation de l’opportunité échappe en effet à l’avocat, j’ai vu assez de gardes à vue totalement inutiles pour le savoir. La question de l‘habeas corpus est intéressante mais est un autre débat. Ma revendication de l’accès au dossier repose sur les questions de légalité.

5) ils sont communiqués à la personne poursuivie « ou » à son avocat ce qui ne rend pas la communication à l’avocat nécessaire du moment que l’intéressé a été informé.

Selon vous, ce “ou” est exclusif ? On peut dire à l’avocat “désolé maître, j’ai choisi de laisser votre client lire le dossier, donc je peux vous le refuser ?” Sérieusement ? De même, si l’avocat lit le dossier, il lui sera interdit d’en donner lecture à son client, la directive ne disant pas “ET” ? Ce n’est pas là l’interprétation de la loi que j’ai appris à faire à la fac. Ce ou est alternatif, il indique que ce doit s’applique aux deux personne,s tout simplement dans l’hypothèse où le gardé à vue n’a pas souhaité l’assistance d’un avocat : il doit quand même accéder à cette information, la directive l’impose.

6) la communication n’est obligatoire qu’avant la saisine d’une autorité judiciaire qui doit statuer sur les charges étape dont on est encore très loin au moment de la garde à vue française.

Très loin ? En cas de comparution immédiate, on est à 24 heures de l’audience de jugement. Ce n’est pas assez proche pour vous ? Et la discussion des charges à ce stade peut utilement éclairer le parquet qui pourra décider de ne pas saisir le juge d’un dossier dont le prévenu est innocent. Efficacité, efficacité, madame le professeur.

Votre conclusion est enfin dans la plus pure ligne de vos idées :

Toute personne poursuivie a le droit d’être défendue le mieux possible, mais la Société des innocents a le droit d’être sauvegardée. C’est l’éternel problème de la procédure pénale dans un pays démocratique : il faut trouver un équilibre délicat mais nécessaire entre l’intérêt des mis en cause et celui de la collectivité. L’accès intégral de la personne poursuivie au dossier de la procédure en garde à vue le compromettrait d’une façon excessive en faveur de possibles délinquants.

Je passerai sur l’aspect un poil caricatural de la société des innocents. C’est un peu grandiloquent, et cette façon de scinder notre société en deux, les gentils d’un côté, les méchants de l’autre dont il faut se protéger est aux antipodes de l’idéal républicain et de la simple logique. Un violeur qui se fait voler son portefeuille est une victime, et en tant que telle a le droit d’obtenir réparation et de voir son voleur condamné. Je ne suis pas sûr que vous l’admettiez pour autant dans votre société des innocents. Foin de murs artificiels : la république est Une et indivisible, et ce n’est qu’ainsi qu’elle peut survivre et prospérer.

Non, je veux conclure sur ce fameux équilibre de la procédure pénale. Cet argument, vous m’en avez rebattu les oreilles. Déjà en 1992, l’arrivée de l’avocat pour un entretien à la 1e heure de garde à vue perturbait pour vous cet équilibre. Vous vous êtes réjouie de ce que cet entretien ait été repoussé à la 21e heure 8 mois plus tard (mais n’étiez pas pour autant enthousiaste à cette idée). L’avocat a pu intervenir à la 1re heure en 2000, et nul ne prétend, pas même Synergie Officier, que cela ait perturbé la procédure en faveur de possibles délinquants. Puis depuis 2011, l’avocat peut rester, et on a entamé à nouveau l’antienne de l’équilibre de la procédure, et 2 ans après, tous les OPJ trouvent normale cette présence, et pour certains l’apprécient, ou alors ils me mentent (je ferai confiance à ceux qui profitent de ma venue pour me gratter une consultation sur un problème personnel).

Voyons la réalité en face : la procédure pénale française n’est pas équilibrée. Elle est en total déséquilibre en faveur de la répression.

Le procureur de la République, qui, qu’estimable soit sa fonction, est l’adversaire de mon client à la procédure, a le droit de s’assurer discrétionnairement de sa personne pendant un, deux, quatre ou six jours, et jusqu’à il y a peu sans ma présence. Je n’ai pas le droit de m’entretenir avec mes adversaires au civil, procédure qui est un modèle d’équilibre, et ce qu’ils soient ou non représentés. Je ne parle même pas de les séquestrer.

Ma présence n’est pas obligatoire, hormis en comparution immédiate et en CRPC. Vous ne pouvez divorcer ou changer de régime matrimonial sans l’assistance d’un avocat, mais vous pouvez vous faire condamner jusqu’à 20 ans fermes sans être assisté d’un avocat (même devant les assises, cette présence peut être écartée si l’accusé le souhaite). De fait, la procédure pénale est faite pour fonctionner entièrement sans avocat de la défense. La seule obligation que sa présence impose est de lui donner le temps de s’exprimer à la fin des débats sans pouvoir l’interrompre (la loi étant silencieuse sur l’obligation de l’écouter). Mais s’il veut prendre une part plus active, c’est à lui de prendre l’initiative. De déranger, quitte à déplaire.

En garde à vue, où j’ai dû entrer par effraction, je n’ai accès qu’au PV de notification des droits (droits que je connais et dont ma présence révèle l’application) et un certificat médical qui par définition ne peut qu’indiquer que l’état de santé est compatible avec la garde à vue. Je peux poser des questions à mon client, à la fin, sachant que je n’ai pas accès au dossier : comment donc préparer mes questions ? Certains policiers croient même que je n’ai pas le droit de parler, d’émettre un son durant l’audition, pas même dire à mon client de ne pas répondre à telle question, ce qui est son droit le plus strict : je suis son avocat, je suis là, et je n’aurais pas le droit de le conseiller sur l’exercice de ses droits au seul moment opportun pour ce faire ? Et on me parle d‘équilibre ? Tartuffe en rougirait.

Les policiers sont hostiles de fait à toute mesure qui établirait un équilibre qui n’a jamais existé dans la procédure pénale. Ils sont habitués, formatés à utiliser cette asymétrie universelle : il savent, le gardé à vue ignore ; ils sont libres, le gardé à vue est en geôle ; ils peuvent aller fumer une clope, le gardé à vue est en manque de tabac ; le gardé à vue parle, mais c’est le policier qui rédige sa réponse. Où est l’équilibre ? En quoi me donner accès à l’information risquerait-il de faire pencher la balance en faveur de mon client, sachant qu’à terme cet accès ne pourra pas lui être refusé avant le jugement ? Déjà, le simple droit de se taire ne lui a plus été notifié pendant une décennie au nom de ce soit-disant équilibre.

Laisser entendre que la procédure pénale actuelle est équilibrée et que les droits de la défense perturberaient cet équilibre est un travestissement de la réalité et une forfaiture intellectuelle. Assumez plutôt l’idéologie de la défense sociale qui implique que la personne poursuivie soit en position de faiblesse car la force doit rester à la société, et que si cela implique de détenir voire condamner quelques innocents, c’est le prix à payer, les consciences chiffonnées se consolant en indemnisant généreusement les victimes du système qui parviennent à se faire reconnaître comme telles. Au moins ainsi, le débat est clairement posé.

Vous avez toujours fustigé le politiquement correct. Ne tombez pas dans ce travers.

Je suis et demeure, madame le professeur, votre très humble et très dévoué serviteur.

lundi 5 août 2013

Éclairons nos ministres et apaisons nos élus

Manuel Valls, ministre de l’intérieur, se dit “surpris”. Christian Estrosi, “indigné”, ce qui ne permet guère de voir la différence avec son état normal. Qu’est-ce qui a mis nos politique de permanence médiatique dans un tel état ?

À Dreux, riante commune de l’Eure-Et-Loir, la police a interpellé trois personnes condamnées à des peines de prison ferme (3 mois, 3 mois et 2 mois) pour, respectivement, rébellion, violences sur un policier, outrages et conduite en état d’ivresse pour le premier, violences avec arme pour le second, et enfin inexécution d’une peine de travail d’intérêt général pour le troisième.

L’officier de police judiciaire, un commandant de police semble-t-il, appelle le parquetier de permanence au tribunal de grande instance de Chartres, compétent sur tout le département, pour lui faire part de sa prise. Et quelle ne fut pas sa déception d’entendre le substitut de permanence lui répondre de remettre en liberté ces trois messieurs, parce que, d’après le policier, la maison d’arrêt de Chartres était trop pleine.

Marri et penaud, ledit commandant a pris sa plus belle plume et s’est plaint à sa hiérarchie, un exemplaire de ladite plainte atterrissant Dieu sait comment (mais Il me l’a soufflé) sur le bureau de mes amis du syndicat Synergie Officier, qui a aussitôt respecté le secret professionnel informé le Figaro. Le néant de l’actualité de ce week-end d’août aura fait le reste, l’opposition crie au laxisme, le ministre de l’intérieur appelle le policier pour lui dire qu’il a raison, le ministre de la Justice ne voulant pas paraître en reste demande au procureur général de la cour d’appel de Versailles, supérieur hiérarchique du procureur de la République de Chartres, des explications, et revoilà la guerre police / justice relancée. Cette guerre que personne ne gagne jamais et dont la victime est toujours le citoyen.

Que s’est-il donc passé ? Les faits sont peu détaillés par la presse, qui relaie surtout les poses indignées des politiques et syndicalistes. Je me doute qu’avoir des réponses, de la part d’un corps aussi habitué à la confidentialité et aussi frileux à force d’être attaqué à la moindre occasion que la magistrature debout, un dimanche qui plus est, est une gageure ; et que la politique, à l’instar de la nature, a horreur du vide médiatique et se fait un plaisir de le combler. Néanmoins, je pense pouvoir sans grand risque de me tromper reconstituer les événements.

Que reprochait-on à ces braves gens ?

Tout d’abord, ces 3 personnes sont toutes définitivement condamnées. On entend par une condamnation définitive une condamnation qui n’est plus susceptible de recours. Cela correspond à une de ces situations :

  • ► Le jugement n’a pas fait l’objet d’un appel dans le délai légal.
  • ► Le jugement a fait l’objet d’un appel, et la cour d’appel a statué, et il n’y a pas eu de pourvoi dans le délai légal.
  • ► Idem que ci-dessus, sauf qu’il y a eu pourvoi en cassation, qui a été rejeté.
  • ► Si le jugement a été rendu par défaut (en l’absence du prévenu), celui-ci n’a pas fait opposition dans le délai légal quand on lui a notifié officiellement le jugement. S’il y a opposition, l’affaire revient devant le tribunal, et on revient au début de la liste.

Le premier, que nous appellerons A…, a été condamné pour 4 délits commis vraisemblablement simultanément : la rébellion consiste à résister violemment à une interpellation par la police (se débattre, repousser les policiers, les bousculer, etc) ; les violences consistent à avoir frappé ou tenté de frapper lesdits policiers ; l’outrage consiste à les avoir insulté par paroles, écrits, gestes ou autre moyen d’expression des idées, non rendus publics (c’est important, sinon, c’est de l’injure, un délit de presse). La conduite en état d’ivresse consiste à avoir conduit un véhicule sur une voie ouverte à la circulation en ayant un taux d’alcool dans l’air expiré supérieur à 0,4 mg/l. Ces 4 délits sont des compères classiques : un conducteur ivre est arrêté par la police, quand il apprend que son véhicule est immobilisé et son permis suspendu, il se fâche, a des mots, les policiers décident de l’interpeller, il se rebiffe, repousse les policiers et distribue des baffes, et à la fin, c’est les policiers qui gagnent. Ce cocktail de délits lui faisait encourir jusqu’à 3 ans de prison et 45 000 d’amende.

Le second que nous appellerons B…, a été condamné pour violences avec arme. Ce délit couvre tout acte violent (pas forcément un coup porté, mais c’est le cas le plus fréquent) accompli à l’aide d’un objet utilisé pour blesser ou impressionner ; soit que ce soit ce pour quoi il a été conçu (fusil, couteau), soit que ce soit un objet utilisé à cette fin (bouteille en verre, chaise), qu’on appelle arme par destination. C’est probablement le cas ici puisque le délit ne s’accompagnait pas d’un port d’arme prohibé.

Le troisième, que nous appellerons , vous avez deviné, C…, a été condamné pour non accomplissement d’un travail d’intérêt général. Ce délit un peu particulier sanctionne non pas des faits mais le non accomplissement d’une peine. C… a été condamné pour des faits dont j’ignore la nature à une peine de travail d’intérêt général (et non un sursis avec obligation d’accomplir un travail d’intérêt général, qui est une autre peine). Ce travail d’intérêt général (tig, prononcer “tige” pour faire comme les pros) est d’une durée comprise entre 20 et 210 heures, et doit être accompli dans un délai fixé par le tribunal et ne pouvant excéder 18 mois. Le prévenu doit se présenter devant le juge de l’application des peines qui fixera les modalités de l’exécution. Le fait de ne pas exécuter cette obligation est un délit passible de 2 ans de prison. La particularité de cette peine est que, du fait de la prohibition des travaux forcés par la Convention européenne des droits de l’homme, elle doit être acceptée par le prévenu, qui doit donc être présent lors de son prononcé. Il suffit qu’une heurede tig manque à l’expiration du délai, et la peine est considérée non accomplie. C… s’est donc pris 2 mois ferme pour sa mauvaise volonté et son manque de parole.

Voilà à qui on a affaire. Pas les citoyens de l’année, mais pas du grand banditisme non plus. C’est le quotidien des correctionnelles, un procureur en mange quatre comme ça avant le déjeuner, et ça a sans aucun doute joué dans la décision que le substitut de permanence va prendre.

N’allez pas directement à la case prison, donnez 2000 euros à votre avocat

Ce n’est pas tout d’être condamné pour aller en prison. Hormis les cas où le tribunal décerne par décision motivée un mandat de dépôt faisant que le prévenu est immédiatement saisi et conduit à la Maison d’arrêt (ce qui suppose une peine d’au moins un an ferme OU que le prévenu soit en récidive OU qu’il soit en comparution immédiate), un prévenu condamné à de la prison ferme ressort la plupart du temps libre du tribunal. C’est normal, c’est la loi. D’abord parce qu’il a 10 jours pour faire appel, et que cet appel, et le délai d’appel, sont suspensifs. Ensuite, parce que la loi, toujours elle, exige que les peines de prison ferme n’excédant pas 2 ans soient si possible aménagées, c’est-à-dire mises à exécution en utilisant des alternatives à l’emprisonnement : placement sous surveillance électronique, semi-liberté (le condamné dort en prison mais sort de l’établissement pour se rendre à son travail ou à une formation, et réintègre l’établissement aussitôt après), conversion en tig, etc. C’est le juge d’application des peines (JAP) qui est en charge de cet aménagement, à condition que le condamné se manifeste en répondant aux convocations, et y mette de la bonne volonté. Faute de quoi le dossier retourne au parquet qui ramène la peine à exécution. Point vocabulaire important : l’application des peines, c’est une juridiction ; l’exécution des peines, c’est un service du parquet.

Nos 3 condamnés n’ont pas vu leur peine aménagée, la raison la plus fréquente étant que le JAP n’aura jamais vu à quoi ils ressemblent, et qu’ils ne sont jamais venus. Ne présumez pas qu’il s’agit là de la preuve de leur suprême mépris pour la justice. Vous mêmes, chers lecteurs, ignoriez tout de ces subtilités, et devez vous concentrer en fronçant les sourcils pour suivre mes explications. Et vous êtes éduqués, savez utiliser un ordinateur, avez un bagage probablement d’études supérieures, et a minima, savez lire. Bref, vous êtes l’opposé du profil du délinquant de base. Imaginez la difficulté que peut avoir l’un d’entre eux, qui a généralement arrêté ses études dès le collège en situation d’échec scolaire total, pour comprendre ça, sachant qu’en outre, Dreux (où ils habitent) - Chartres où se trouve le JAP, c’est 36km.

Leur dossier est donc allé du service de l’application des peines au service de l’exécution des peines, et les prévenus ont été inscrits sur le Fichier des Personnes Recherchées, consulté à chaque contrôle d’identité, et qui permet au policier effectuant ce contrôle de savoir que le directeur de la maison d’arrêt se languit de la personne contrôlée. J’ajoute pour mes amis journalistes qui me lisent qu’il n’existe rien de tel qu’un “mandat d’écrou”. L’écrou est l’acte dressé par l’administration pénitentiaire à l’arrivée d’un nouveau locataire et est purement interne à cette administration.

Quand une personne prête à être incarcérée est identifiée comme telle par la police, elle fait l’objet d’une mesure qu’on appelle rétention judiciaire, prévue par l’article 716-5 du Code de procédure pénale (CPP), d’une durée maximale de 24 heures. Elle se résume à une audition sur l’identité complète, pour que le parquet puisse s’assurer qu’il a bien le bon condamné, et la notification de l’extrait de jugement visé par le parquet, qui vaut aller simple pour un 9m² tout confort sans confort. Elle peut à cette occasion être assistée d’un avocat, dont le rôle se résume à chanter “les portes du pénitencier”, vu que tout est déjà joué.

Tout ? C’est à voir.

La carte “n’allez pas en prison”.

Le procureur est chargé de l’exécution des peines, et depuis la réforme de 2009, ce rôle a considérablement cru (le parquet a l’avantage sur le siège d’être tenu d’obéir aux consignes sans discuter, et la CEDH l’a bien compris), et est défini à l’article 707 du CPP. Je ne résiste pas au plaisir de vous le livrer in extenso pour que vous voyez ce qu’on demande au parquet.

Article 707 : Sur décision ou sous le contrôle des autorités judiciaires, les peines prononcées par les juridictions pénales sont, sauf circonstances insurmontables, mises à exécution de façon effective et dans les meilleurs délais.

L’exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l’insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive.

À cette fin, les peines sont aménagées avant leur mise à exécution ou en cours d’exécution si la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale du condamné ou leur évolution le permettent. L’individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire.

En cas de délivrance d’un mandat de dépôt ou d’arrêt, les peines privatives de liberté peuvent être immédiatement aménagées, dans les conditions prévues par le présent code, sans attendre que la condamnation soit exécutoire conformément au présent article, sous réserve du droit d’appel suspensif du ministère public prévu par l’article 712-14.

Je vous traduis ça :

Monsieur le procureur, merci d’exécuter les peines, et rapidement, sauf si tu ne peux pas. Merci de les aménager plutôt que recourir à la détention sèche, sauf si tu ne peux pas. Merci de faire en sorte qu’ils ne recommencent pas quand ils sortent, je sais pas comment, mais tu trouveras bien. Merci de toujours faire une libération conditionnelle, sauf si tu ne peux pas. De toutes façons, je ne te donnerai pas les moyens de remplir ta mission, et quand ça tournera mal, tu peux compter sur moi pour dire que c’est ta faute. LOL. Bisous. Signé : le législateur.

Il est tout à fait courant (je ne dirai pas fréquent, je n’ai aucune statistique là dessus et suis assez certain qu’aucune n’est tenue) que quand la police tombe sur une personne recherchée pour incarcération, le procureur décide de ne pas ramener à exécution immédiatement. Ça m’est arrivé, je veux dire à un de mes clients, il y a trois semaines à peine. Mon client se trouvait dans une gare, sans bagage ni billet, et paraissait plus intéressé aux valises des autres qu’aux trains en partance. La police ferroviaire le contrôle, et surprise, il est recherché pour mise à exécutions de plusieurs peines privatives de liberté pour vol, dont le total atteint un an tout rond. Rétention judiciaire, allô maitre Eolas, ♪Les pooooortes duuuuu péniiiiitencier♫.

Sauf que non : le procureur, sans doute impressionné par l’évocation de mon nom qui ne lui disait rien, a décidé de ne pas ramener à exécution, car le retenu a pu donner une adresse actualisée et vérifiée. Le procureur a donc décidé de retenter un aménagement : mon client a été libéré, avec convocation devant le JAP à venir. Eh bien vous voulez que je vous dise ? C’est de la bonne justice, et ce procureur a très bien fait son boulot, au risque de me faire passer pour un guignol aux yeux de mon client à qui j’annonçais déjà les fers et la geôle, mais il a courageusement pris ce risque. Ça fait un détenu de moins, trois ou quatre jugements mis à exécution conformément aux vœux du législateur.

Car rappelons que nonobstant l’antienne reprise de façon pavlovienne par l’UMP et ses militants sur le laxisme de l’actuel gouvernement et particulièrement son garde des Sceaux, jamais il n’y a eu autant de détenus en France (67 977 au 1er juin 2013, contre 66 915 il y a un an, pour 57 243 places), le chiffre de la population carcérale est en augmentation constante depuis un an qu’il est aux affaires, et surtout, il n’a à ce jour fait voter aucune réforme de fond de la procédure pénale. Donc, ce sont les lois votées par l’ancienne majorité qui sont toujours appliquées, et l’article merveilleux du CPP que je vous ai cité et traduit est issu de la loi du 24 novembre 2009. Cette loi devrait dire quelque chose à M. Estrosi, puisqu’il était ministre au moment où elle a été discutée et votée.

Que s’est-il passé à Dreux ?

De deux choses l’une : ou bien il y a eu cafouillage du parquet, ou bien, ce qui me semble le plus probable vu les récits de la presse, il y a eu une initiative intempestive de la police.

En effet, trois interpellations de trois condamnés le même jour, sans lien entre eux, ce n’est pas un hasard. Cela défie les probabilités, et aucun article de presse ne parle d’interpellation par hasard. Mais si c’était le cas, c’est pas de bol : la police tombe par hasard sur trois condamnés prêts à enfermer (jour faste, il faut jouer au loto), et le parquet se retrouve avec 3 détenus supplémentaires, ce qu’il ne pouvait gérer, et a ordonné leur libération faute de pouvoir les incarcérer, vous allez voir pourquoi.

Donc soit le parquet a ordonné d’interpeller ces 3 personnes, auquel cas il devait s’assurer que la maison d’arrêt de Chartres était apte à les accueillir. Ce qui n’était pas le cas : elle est pleine comme un œuf, et les mois d’été, où la chaleur est accablante dans des cellules mal aérées et aux portes fermées, sont des mois de forte tension (le règlement pénitentiaire interdit le port du short en détention, parce que c’est comme ça), avec en plus un sous-effectif dû aux congés. Il est probable que le directeur de la maison d’arrêt (qui a 40 cellules et 112 places seulement, et probablement bien plus de détenus que ça) a demandé au parquet de limiter les arrivants au strict minimum. Dans ce cas, cela n’avait aucun sens pour le parquet d’aller envoyer chercher trois condamnés à des courtes peines où il n’y avait nulle urgence, alors que les comparutions immédiates, les juges d’instruction et les juridictions de jugement peuvent envoyer leur lot de détenus sans que le parquet n’ait de contrôle là dessus. Si tel était le cas, le parquet a donné une consigne puis une contre-consigne, et il est en tort pour avoir mobilisé la police inutilement.

Soit, ce qui me semble le plus probable, c’est un officier de police drouais qui a décidé de faire du zèle et de se “payer” ces 3 personnes, qu’il connaissait vraisemblablement. Auquel cas, interpellation faite, il aurait contacté le parquet chartrain pour le mettre devant le fait accompli, et aurait eu la mauvaise surprise de s’entendre dire que la maison d’arrêt affiche complet, et que ce sera partie remise. Il n’avait pas d’autre choix que relâcher ses invités, passant du coup pour un guignol (j’ai connu ça), et a chanté le blues auprès de sa hiérarchie et du syndicat Synergie Officier, qui n’en demandait pas tant pour entonner son refrain habituel.

Dans tous les cas, c’est une décision du type que le parquet est amené à prendre tous les jours, un arbitrage comme l’article 707 du CPP l’invite à faire, et rien qui justifie que deux ministres et un député maire en manque d’attention médiatique viennent gâcher le néant estival de nos journaux télévisés. Encore une fois, la communication politique pollue l’action de la justice, et il ne faut pas compter sur qui que ce soit pour faire de la pédagogie à la place de la récupération. Désespérant, mais pas nouveau, hélas.

Toujours est-il que ces trois personnes restent à devoir purger leur peine, et le parquet a 5 ans pour ce faire. Elles n’ont pas été graciées ou dispensées d’effectuer leur peine. Peut-être ce rappel de la justice à leur bon souvenir ouvrira-t-il la possibilité pour elles de faire aménager leur peine, à moins que le barouf médiatique qu’elle a provoqué ne rende ces trois personnes soudainement prioritaires pour visiter l’ancien couvent carmélite de la rue des Lisse. Ce sera un bon test des bonnes résolutions du Gouvernement, qui, depuis la loi n°2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique, ne peut plus légalement donner d’instructions individuelles, y compris de mettre à exécution ces trois jugements. Nous verrons bien si le procureur général de Versailles décide de devancer les désirs de la Chancellerie en donnant instruction au procureur de la République de Chartres de mettre à exécution ces jugements (alors qu’en opportunité, c’est une mauvaise décision), ou s’il va profiter de cette bribe d’indépendance que le parquet vient de se voir offrir.

Pour conclure, je suis d’accord que ce genre d’incident peut avoir un effet néfaste, en ce qu’il contribue à un sentiment d’impunité, qui est un facteur majeur de passage à l’acte. Pas tant chez les trois personnes concernées, qui ont quand même senti le vent du boulet, mais chez tous ceux qui entendront parler de cette affaire et retiendront “c’est cool, si tu es condamné à de la prison, en fait, tu n’y vas pas car il n’y a plus de place”. C’est faux, mais peu importe : le sentiment d’impunité n’a pas à être fondé pour entrainer le passage à l’acte, et les prisons sont remplies (OUI, elles sont remplies) de gens encore surpris d’y être. Mais le mal est fait. Contribuer à faire passer ce message par des déclarations à l’emporte-pièce est jouer au pompier pyromane. C’est irresponsable de la part d’élus ou de ministre qui n’ont que ce mot de responsabilité à la bouche.

Je vous ai dit que dans cette guerre médiatique, c’est toujours le citoyen qui perd.

vendredi 3 juin 2011

La Cour de cassation enterre (enfin) les gardes à vue du passé

La Cour de cassation a rendu le 31 mai quatre arrêts (un, deux, trois, quatre) qui apportent la dernière pierre à l’édifice, difficile à mettre en place, de la réforme de la garde à vue. Non pas que l’édifice soit terminé, puisque dès aujourd’hui, date d’entrée en vigueur de la réforme de la garde à vue, les avocats, et votre serviteur ne sera pas le dernier, vont faire en sorte de le démolir tant il est rempli de malfaçons. Les premières Questions Prioritaires de Constitutionnalité sont déjà transmises.

Beaucoup de choses approximatives ayant été dites sur ces arrêts (je ne parle même pas de la désormais traditionnelle, pour ne pas dire pavlovienne, saillie de mes amis de Synergie Officers (la bise, Fab’, je sais que tu me lis), une explication s’impose.

Qu’a dit la Cour de cassation ?

L’évidence.

Oui, je développe.

Un rappel chronologique vous éclairera.

Rappel chronologique éclairant

L’adoption de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’Europe a réalisé que les années précédentes, elle n’avait pas été tout à fait au point sur la question des droits de l’homme. Plus sérieusement, elle a réalisé une vérité que nous nous devons de ne pas oublier : il ne peut y avoir de pire tyran que l’État lui-même, qui a à sa disposition une puissante et docile administration qui exécutera toujours sans trop rechigner ses directives, même les plus révoltantes. Les proclamations à la “plus jamais ça” avaient été essayées au lendemain de la première guerre mondiale. C’est d’ailleurs l’invention officielle du #FAIL. L’ONU planchait sur une nouvelle déclaration sans réelle portée juridique, qui deviendra la Déclaration Universelle des droits de l’homme, adoptée en 1948.

Une autre méthode a été choisie en Europe, et il convient de signaler qu’à cette époque, la France a été en pointe sur la question. Le 5 mai 1949, le Conseil de l’Europe est créé, dont le rôle est de protéger les droits de l’homme en Europe. Le Conseil de l’Europe est distinct de l’Union Européenne : il a 47 États membres, dont la Turquie (et oui), la Russie et l’Azerbaïdjan, et siège à Strasbourg. Le Conseil de l’Europe est un cadre de négociation de traités et le premier véritable traité qui a été négocié dans ce cadre est la fameuse Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (rebaptisée en pratique Convention Européenne des Droits de l’Homme). C’est un traité qui est l’œuvre d’un juriste plus que d’un diplomate, même si son rédacteur, René Cassin, était les deux. Les juristes y retrouveront la division classique principe/exceptions. C’est un texte qui se veut concret, et qui a été conçu pour être applicable en droit interne (il peut être invoqué devant le juge interne qui peut s’y référer pour appliquer la loi française, puisqu’il a une valeur supérieure). Son originalité principale se trouve ailleurs : elle peut faire l’objet d’un recours judiciaire devant une juridiction internationale pouvant condamner les États qui manquerait aux obligations prévues par la Convention : c’est la création de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), qui siège à Strasbourg. La Convention a été signée le 4 novembre 1950, est entrée en vigueur en 1953, mais n’a été ratifiée en France que le 3 mai 1974, car si en France nous aimons fort les droits de l’homme, nous sommes moins enthousiastes à l’idée de les appliquer. Nous sommes à ma connaissance le seul pays d’Europe qui a pris les mots “droits de l’homme” pour en faire une injure : droitdelhommiste. Et encore n’est-ce qu’en 1981 que le droit de saisir la CEDH a été accordé aux citoyens, car assurément nous n’étions pas prêts à être libres et avoir des droits.

Cette Cour est une cour en dernier ressort : il faut impérativement épuiser les recours internes avant de pouvoir la saisir. Concrètement, si j’estime que les droits reconnus par la Convention à mon client ont été bafoués, je dois demander au tribunal d’en tirer les conséquences, puis en cas de rejet de mes demandes, je dois faire appel, puis me pourvoir en cassation. Si la Cour de cassation rejette mon pourvoi en disant que la Convention Européenne des Droits de l’Homme a été parfaitement respectée, je peux alors me rendre sur les bords de l’Ill et demander que la France soit condamnée à indemniser mon client du fait de cette violation, ce qui en outre m’ouvre une possibilité de révision du procès.

C’est exactement ce qui s’est passé pour la garde à vue.

De Salduz à Brusco en passant par Dayanan

En 2008, la CEDH a condamné la Turquie pour violation de l’article 6§3 de la Convention$$Tout accusé a droit notamment à: être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui; disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense; se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent; interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge; se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience.$$, car sa procédure pénale ne permettait pas l’assistance d’un avocat au cours de la garde à vue. C’est l’arrêt Salduz c. Turquie, dont je vous avais entretenu il y a deux ans, me méprenant sur la portée réelle de cet arrêt, que je croyais limité aux seules procédures dérogatoires. Pour me détromper sans doute, le 13 octobre 2009, la CEDH a remis le couvert en rendant un nouvel arrêt, Dayanan c. Turquie où là, elle est on ne peut plus claire :

Comme le souligne les normes internationales généralement reconnues, que la Cour accepte et qui encadrent sa jurisprudence, un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit (…). En effet, l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer.

La messe était dite, et d’ailleurs la Turquie avait vu le boulet arriver, puisque dès 2005, sans attendre les condamnations inévitables de la CEDH, elle avait réformé son code de procédure pénale et ouvert les portes de ses commissariats aux avocats. Ce qui n’était toujours pas le cas en France. La France devait donc accepter sans délai que nous assistions les personnes placées en garde à vue, puisqu’elles sont privées de liberté. Et que croyez-vous qu’il arriva ?

Soudain, il ne se passa rien

Oui, rien. Le Gouvernement a choisi courageusement la politique du déni. Tous les juristes de France médusés ont entendu le garde des Sceaux et son inénarrable porte parole de l’époque expliquer doctement que ces arrêts ne concernaient que la Turquie et pas la France, dont la justice était à ce point excellente qu’elle pouvait se passer d’avocat. Comme si chaque minute gagnée sur les droits de l’homme était une victoire. Difficile de le blâmer, puisqu’à de rares exceptions près, les juridictions ont emboité le pas du Gouvernement et rendu des jugements affirmant que l’entretien de 30 mn gracieusement accordé au début de la garde à vue, sans aucun accès au dossier, était plus que suffisant pour satisfaire à laConvention Européenne des Droits de l’Homme et constituait une assistance effective en garde à vue. J’en ai une belle collection que je relis régulièrement en riant, pour ne pas avoir à en pleurer, mais ce fut une période pénible que de voir tous ces juges nier l’évidence avec un tel entêtement. La majorité de mes confrères ont d’ailleurs vite renoncé à soutenir ces nullités, et je les comprends.

D’ailleurs, cette période n’est pas tout à fait terminée. La CEDH a déjà expliqué très clairement en quoi le parquet n’est pas une autorité apte selon les normes de la Convention Européenne des Droits de l’Homme à veiller à la régularité et à la nécessité des gardes à vue, faute d’indépendance à l’égard de l’exécutif, et du fait qu’il est partie au procès). Et avec le même entêtement à nier l’évidence, les mêmes juridictions, qu’on aurait pu croire échaudées par l’affaire de la garde à vue, continuent à dire que si, tout va très bien, le parquet fait ça très bien et est conforme aux exigences de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Et pour comprendre qu’on n’est pas sorti de l’auberge, il suffit de lire les propos, très représentatifs, du procureur général près la cour d’appel de Saint Denis (de la réunion, pas du 9-3), qui réaffirme que le parquet est gardien des libertés individuelles, ce que je ne conteste pas plus que le fait qu’on confie le harem à l’eunuque, mais je conteste qu’il soit le seul à jouer ce rôle au niveau de la garde à vue, et surtout qu’il continue à prétendre jouer ce rôle à l’audience, où après s’être présenté comme gardien de la liberté de mon client, il demande au tribunal de l’envoyer au prison. La suite est déjà écrite, et vous vous souviendrez de ce billet quand un beau jour, la Cour de cassation ou le Conseil constitutionnel, je ne sais qui le dira en premier, reconnaîtra enfin cette évidence, que les politiques feindront la surprise et crieront au gouvernement des juges, tandis que Synergie grillera quelques fusibles. Puis on créera enfin un habeas corpus à la française, c’est à dire pas encore conforme, et les avocats obtiendront à coups de condamnations de la France une mise en conformité totale, et on se demandera ensuite comment on faisait avant.

Je n’ai rien contre les batailles gagnées d’avance, mais ce ne sont vraiment pas les plus belles.

Revenons-en aux gardes à vue.

Alors vint le 15 avril 2011

Après cette période de déni du Gouvernement, la vérité a fini par lui éclater à la figure. Le 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel constate l’inconstitutionnalité de la garde à vue et impose au législatif de se mettre en conformité avant le 1er juillet 2011. Fort bien, disent les avocats, mais la Convention Européenne des Droits de l’Homme, elle, est toujours en vigueur et ne prévoit pas de droits de l’homme à retardement. Nous continuons donc à contester les gardes à vue sur le fondement de l’article 6. J’ai donc pu constater que du jour au lendemain, les juridictions qui me donnaient tort sur la garde à vue me donnent raison mais, invoquant l’effet différé de la décision du Conseil constitutionnel, continuaient à rejeter mes conclusions. En somme, j’avais raison, mais peu importe, c’est toujours non.

Le 19 octobre 2010, la Cour de cassation, saisie de la question de la conformité à l’article 6§3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, a rendu trois arrêts stupéfiants, reconnaissant enfin que oui, la garde à vue n’est pas du tout conforme, mais peu importe, puisque grâce au Conseil constitutionnel, on va régler ça avant l’été. Donc on continue à appliquer des textes violant la Convention Européenne des Droits de l’Hommejusqu’au 1er juillet 2011. La Cour de cassation dit en somme que les droits de l’homme peuvent attendre, le calendrier du Parlement est plus important.

Seulement voilà. Cinq jours plus tôt, la CEDH avait condamné la France pour l’absence de droit à un avocat au cours de la garde à vue. Et cet arrêt Brusco c. France ne disait nulle part que la présence de l’avocat s’imposait le 1er juillet 2011, au contraire il condamnait la France pour une garde à vue sans avocat intervenue… le 8 juin 1999.

Le conflit entre les deux décisions était manifeste, et rien ne pouvait défendre la position de la Cour de cassation. Cela n’a pas échappé au Premier président de la Cour de cassation, qui a réuni la formation la plus solennelle de la Cour, l’assemblée plénière, composée de conseillers de toutes les chambres, notamment les chambres civiles, réputées plus favorables au respect du droit que de la défense de l’ordre public, et mettant de fait les pénalistes de la chambre criminelle en minorité. C’est cette assemblée plénière qui a rendu les fameux arrêts du 15 avril 2011 se rendant enfin à l’évidence :

Attendu que les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ; que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ;…

Voilà pourquoi dès le 15 avril, nous avons pu, enfin, assister nos clients en garde à vue. Afin d’avoir un cadre juridique à ces interventions, les parquets, appliquant les consignes de la Chancellerie, ont décidé de se référer à la loi promulguée la veille sur la garde à vue, quand bien même elle n’entrait en vigueur que le 1er juin. Victoire des droits de l’homme ? Allons. On est en France. Dès l’après midi du 15 avril (car des signaux d’alarme avaient été émis du Quai de l’Horloge, où siège la Cour de cassation), des instructions ont été adressées aux services de police et de gendarmerie, visant à limiter au maximum les effets des arrêts du 15 avril et faire en sorte que les exigences de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ne soient toujours pas respectées. Je vous rappelle que ces instructions émanent de la même autorité qui se prétend apte à assurer seule le contrôle des mesures de garde à vue. Ainsi, à Paris, c’est par une note signée Jean-Claude Marin, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, que le parquet a décidé, sans aucune base légale et en contradiction flagrante avec les exigences de la CEDH exprimées dans l’arrêt Dayanan, que l’avocat devait, au cours des auditions et confrontations de garde à vue, demeurer taisant (c’est le langage juridique pour dire “fermer sa gueule”) et ne devait en aucun cas s’adresser au témoin ou au plaignant en cas de confrontation. Oui, mesdames et messieurs les juges, sachez-le, car je doute que ces instructions données à la police aient été portées à votre connaissance : le parquet cède sur la présence de l’avocat, mais à la condition de revenir à la procédure de 1897, avec des avocats cois.

Cela a donné lieu à des incidents, bien sûr, dont certains que j’ai vécus moi-même. Ainsi, on m’a une fois “notifié”, avec mention au procès verbal, la note du procureur Marin. Quand j’ai répliqué en substance que cette note, je m’en cognais comme de mon premier Code civil, car le parquet n’est pas source de droit, n’a aucune autorité sur moi, n’a aucun pouvoir pour limiter les droits de la défense, d’autant plus qu’il est mon adversaire à la procédure, j’ai été regardé comme un dangereux anarcho-autonome. Alors que je suis pire que ça : je suis un avocat.

Je suis donc intervenu dans des auditions quand je l’estimais nécessaire (essentiellement pour conseiller à mon client de ne pas répondre à une question, parfois pour reformuler une question que mon client ne comprenait pas quand je pensais voir où se situait la cause de l’incompréhension, ou apporter une précision juridique au rédacteur. La plupart du temps, ça se passe très bien, et mes interventions sont mentionnées au procès verbal, ce qui est normal et même indispensable pour la sincérité de celui-ci : je veux que le magistrat qui lira ce document sache si mon client se tait de sa propre initiative ou sur mon conseil, c’est important. Parfois, ça se passe mal. La scène peut juste être ridicule (ainsi, quand j’ai demandé à un plaignant s’il était droitier ou gaucher, l’agent de police judiciaire a suspendu l’audition et est allé demander à son capitaine s’il pouvait poser la question ; signalons qu’ainsi, il m’a laissé seul dans le bureau avec mon client et le plaignant pendant cinq bonnes minutes…), parfois très tendue (on m’a ainsi menacé sur un ton discourtois de demander la désignation d’un autre avocat si je disais un seul mot au cours de l’audition), et parfois très tendue et ridicule (ainsi cette confrontation avec dix policiers en arme autour de moi - j’entends par là que les plus proches étaient à 30cm de moi- alors que seuls deux d’entre eux étaient concernés par la confrontation, où on m’a indiqué que je n’avais même pas à adresser la parole auxdits policiers ; eh oui, mesdames et messieurs les magistrats, c’est ce que la police appelle une confrontation, où on ne peut pas parler aux témoins, au nom je le rappelle de… la recherche de la vérité).

Je dois cependant à l’honnêteté de rendre hommage au parquet, qui vient de donner de nouvelles instructions liées à l’entrée en vigueur de la loi sur la garde à vue, prévoyant la mise en place d’un planning des auditions et confrontations et prescrivant aux policiers d’attendre une heure l’arrivée de l’avocat avant de passer outre à son absence et commencer l’audition. Ces instructions ont été reçues par mes amis de Synergie Officiers et ses cousins Alliance Police Nationale chez les Gardiens de la Paix et SICP chez les commissaires avec leur enthousiasme habituel. Elles s’imposaient, car j’ai été confronté à des auditions inutiles organisées à 3h du matin dans un bureau avec un joli poster Alliance Police Nationale.

Retour vers le futur

La cause était donc entendue : la CEDH exigeait immédiatement la présence de l’avocat, pas question d’attendre le 1er juillet ni même le 1er juin, date d’entrée en vigueur de la loi sur la garde à vue, car le législateur a eu l’idée extraordinaire de prévoir une entrée en vigueur différée d’une loi mettant la France en conformité avec les droits de l’homme. Je vous le dis : chaque seconde de gagnée sur l’application des droits de l’homme est une victoire pour nos dirigeants bien aimés.

Mais se posait la question des auditions de garde à vue antérieures au 15 avril 2011. Les propos ont été recueillis sans présence de l’avocat, car c’était la procédure en vigueur. Demeuraient-elles valables ?

La réponse était évidemment non. Et pour qui a lu les arrêts du 15 avril, il ne pouvait en être autrement, puisque ces arrêts sanctionnaient des gardes à vue intervenues respectivement le 19 janvier 2010, le 22 janvier 2010, le 14 décembre 2009 et le 1er mars 2010. Il faut garder à l’esprit que la Cour de cassation est une juridiction, qu’elle ne fait pas la loi, ni ne décide de hâter son entrée en vigueur, mais juge des affaires. Par définition, elle ne pouvait statuer le 15 avril 2011 que sur des affaires antérieures au 15 avril 2011. Il n’y avait donc nulle raison de penser que sa jurisprudence ne s’appliquait qu’à compter du 15 avril 2011.

J’ai reçu beaucoup de questions sur l’annonce des arrêts du 31 mai 2011, me demandant comment cette jurisprudence pouvait être rétroactive. La réponse est simple : elle ne l’est pas. La Cour de cassation ne fait jamais qu’appliquer des textes en vigueur, les interpréter et résoudre des conflits de textes en vigueur. Ici, elle ouvre son arrêt en visant la Convention Européenne des Droits de l’Homme :

Vu l’article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

puis en livre son interprétation, qui est sans surprise au regard de ce qui a été rappelé :

Attendu qu’il se déduit de ce texte que toute personne, placée en retenue douanière ou en garde à vue, doit, dès le début de ces mesures, être informée de son droit de se taire et, sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, pouvoir bénéficier, en l’absence de renonciation non équivoque, de l’assistance d’un avocat ;

Et ainsi qu’on l’a vu, la Convention Européenne des Droits de l’Homme est en vigueur en France depuis 1974, et son contenu connu depuis le 4 novembre 1950. C’est ce texte là qu’elle a appliqué. Pas rétroactivement : elle a au contraire réalisé tardivement que ce texte n’était pas appliqué.

“Passant, va dire à Strasbourg que nous sommes mortes ici pour respecter ses lois”

Quelles sont les conséquences concrètes de ces arrêts ?

Elles sont limitées, à mon sens. Ces auditions sont des actes de procédure. Leur nullité doit être constatée selon des règles très rigoureuses, et est enfermé dans des délais très stricts, à peine de forclusion, c’est à dire de perte du droit de les contester. Ces délais sont, si un juge d’instruction est saisi, de six mois à compter de chaque interrogatoire (art. 173-1 du Code de procédure pénale) ou en cas d’avis de fin d’instruction, dans un délai d’un mois si un mis en examen est détenu et trois mois dans le cas contraire (art. 175 du CPP). L’ordonnance de règlement mettant fin à l’instruction purge les nullités qui ne peuvent plus être soulevées par la suite.

S’il n’y a pas eu d’instruction, il faut soulever ces nullités devant le tribunal avant l’examen du fond de l’affaire, à peine de forclusion là aussi (art. 385 du CPP). Si aucune nullité n’a été soulevée devant le tribunal, on ne peut le faire pour la première fois en appel.

Comme vous le voyez, le nombre d’affaires où il est encore possible de soulever cette nullité est limité. Ce qui n’empêche qu’il peut y avoir quelques cas où ce sera spectaculaire. Pour une fois, je suis d’accord avec la Chancellerie.

Mais ça ne se limite pas à cela. La loi du 14 avril, entrée en vigueur le 1er juin, pose un principe général dans l’article préliminaire du CPP qui interdit de fonder une condamnation sur des propos de la personne accusée recueillies sans qu’elle ait pu être assistée d’un avocat. Donc quand bien même ces auditions ne sont pas nulles, elle sont privées en grande partie de leur force probante. Et cet article s’applique à toutes les procédures encore en cours, quel que soit leur stade procédural…

Est-ce la fin du combat pour la garde à vue ?

Certainement pas. Ce n’est que le début. En effet, la loi du 14 avril n’est pas conforme à la CSDH, en interdisant à l’avocat l’accès à l’intégralité de la procédure (c’est le nouvel article 63-4-1 du CPP). Ce qui n’a aucune justification, si ce n’est entraver encore un peu l’exercice de la défense. Qu’on m’explique pourquoi je peux m’entretenir 30 mn avec mon client avant une confrontation sans qu’on me communique la teneur des déclarations des témoins auxquels il va être confronté, puis aussitôt après, dès le début de la confrontation, on m’en donne connaissance en les lisant à haute voix pour que mon client puisse y réagir, sans que je puisse désormais lui demander des explications, répondre à ses questions ou lui donner des conseils en toute confidentialité ? Il n’y a aucune justification, sauf une : on ne veut pas que je puisse préparer cet interrogatoire avec mon client, ce qui est précisément un des droits reconnus par l’arrêt Dayanan.

Cet attitude est honteuse et stupide, car loin de régler le problème, elle laisse perdurer une violation de la CSDH, qui inévitablement va entraîner de nouvelles nullités de procédure. Plutôt des procédures nulles que des droits de la défense respectés, tel est le credo du législateur. Affligeant. Encore plus quand on sait que bien sûr les avocats ne vont pas laisser passer ça, et que c’est voué à l’échec. Mais chaque seconde gagnée sur les droits de l’homme est une victoire, dans notre pays.

Alors mes conclusions sont prêtes, et elles s’ouvriront sur cette citation biblique :

The path of the righteous man is beset on all sides with the iniquities of the selfish and the tyranny of evil men. Blessed is he who in the name of charity and good will shepherds the weak through the valley of darkness, for he is truly his brother’s keeper and the finder of lost children. And I will strike down upon those with great vengeance and with furious anger those who attempt to poison and destroy my brothers. And you will know that my name is Maitre Eolas when I lay my vengeance upon thee.

Ezechiel selon Tarantino, 25:17.

lundi 25 avril 2011

vademecum de la garde à vue 2.0

Bonjour mes amis. Un peu plus d’une semaine après l’irruption par effraction des droits de la défense dans nos commissariats et gendarmerie, semaine que j’ai en grande partie consacrée à des permanences pour faire face à la mobilisation que cela impose. J’en ai tiré quelque expérience et quelques enseignements, et il est temps de faire un point tous ensemble.

Le début d’une intervention en garde à vue commence comme à l’époque de l’Âge des Ténèbres, cette époque légendaire où les avocats étaient tenus à l’écart des gardes à vue. Un coup de fil de la permanence, l’adresse d’un commissariat, le nom d’un gardé à vue, un numéro de téléphone, le nom de l’Officier de Police Judiciaire en charge du dossier. On confirme à la permanence qu’on y va, elle envoie un fax avec notre nom pour confirmer notre désignation. Nous appelons l’OPJ pour nous assurer que notre client est disponible (il peut avoir demandé à voir un médecin, ce qui à Paris, se fait généralement par une visite à l’Hôtel Dieu, et quand le car de ramassage passe, le gardé à vue doit partir). Tout va bien, le client est là, l’OPj nous attend ? We have a go.

C’est dès l’arrivée au commissariat que les choses changent. En effet, les commissariats ont reçu des instructions du parquet leur disant d’appliquer les dispositions de la loi du 14 avril 2011, par anticipation, et en toute illégalité, puisque cette loi n’est pas en vigueur, et n’est pas conforme à la décision de la Cour de cassation du 15 avril 2011, qui ne permet aucune restriction à l’accès au dossier par l’avocat.

Si l’OPJ doit toujours nous notifier la nature des faits, la date et l’heure présumée de leur commission, il doit également, à notre demande, nous présenter le procès verbal de notification des droits. Ce document a pour intérêt de nous indiquer l’identité complète de notre client, notamment ses coordonnées personnelles, à noter pour la suite. S’il a demandé un avis famille, demandez s’il a été fait, le gardé à vue voudra sûrement le savoir.

C’est à ce moment qu’il convient de demander, courtoisement, à avoir accès au dossier, notamment, mais pas seulement, les PV d’interpellation et d’audition du plaignant et des témoins. On vous le refusera. Dégainez aussitôt votre feuille d’observations et mentionnez ce refus. Vous avez ouvert un boulevard pour une action en nullité de la procédure.

La police a pris l’habitude, je suppose que cela fait partie des instructions reçues, de notifier le droit à l’entretien avec un avocat et le droit à l’assistance comme deux droits séparés. Il peut arriver que l’OPJ vous précise, sans rire, que le gardé à vue souhaite un entretien d’une demi heure avec un avocat n’ayant pas accès au dossier, mais souhaite en revanche être laissé seul et sans assistance pendant les auditions où ses propos vont être recueillis. Bon, c’est de bonne guerre. Au cours de l’entretien, expliquez bien comme il faut au gardé à vue qu’il peut demander à ce que vous restiez à ses côtés pendant l’entretien pour le conseiller et intervenir si l’audition se déroule mal — j’y reviendrai. Précisez bien que c’est gratuit, à un gardé à vue pour outrage à agent qui avait posé la question, les policiers ont répondu “je ne sais pas”. Ce qui est d’autant étrange que les policiers outragés ont, eux, demandé à bénéficier de l’assistance d’un avocat commis d’office, et avaient l’air parfaitement au courant de la gratuité pour eux de cette intervention. Le surmenage, sans doute.

Le gardé à vue, ainsi éclairé, vous confirmera s’il souhaite bien bénéficier du tête à tête à huis clos avec l’OPJ ou si tout compte fait votre présence lui apparaît souhaitable. S’il change d’avis (ce qui arrive dans environ 100% des cas), mentionnez-le sur votre feuille d’observations.

Le contenu de cet entretien est totalement bouleversé par rapport à celui de l’Âge des Ténèbres. Auparavant, les faits ne devaient pas être abordés. Inutile et pas le temps. C’était un cour accéléré de procédure pénale : qu’est-ce qu’une garde à vue, qu’est-ce que le délit qu’on lui reproche (une escroquerie ou un recel, ce n’est pas évident à comprendre), que peut-il se passer à la fin de cette garde à vue (remise en liberté avec ou sans convocation, défèrement pour placement sous contrôle judiciaire, comparution immédiate ou mise en examen), et s’assurer que la garde à vue se passait dans des conditions normales (cet aspect n’a pas disparu, les anomalies doivent être notées : repas, client qui grelotte de froid, etc). Désormais, les faits doivent être abordés pour préparer l’audition. Attention, en garde à vue plus que jamais, le client aura la tentation de vous mentir, de minimiser les faits. Parce qu’une seule question lui brûle les lèvres, et vous l’entendrez sans doute à chaque fois : “Vais-je finir en prison et combien je risque ?” Gardez toujours à l’esprit qu’entre ce que vous dit le client et ce qu’il déclarera lors de l’audition, il peut y avoir des changements. Visage de Sphinx.

S’agissant des auditions, l’OPJ vous indiquera l’heure à laquelle il pense procéder. Ce sera juste après l’entretien de garde à vue, le plus souvent, mais parfois une perquisition doit avoir lieu et nous n’avons pas à y assister, puisque les déclarations de nos clients n’ont pas à être reçues à cette occasion. Rappelez-leur que tout ce qu’ils ont à dire quand on leur présente un objet, c’est si c’est à eux ou pas. Voire rien du tout, droit de garder le silence. Notons que le Bâtonnier de Paris ne partage pas mon opinion là-dessus et estime que l’avocat doit pouvoir assister à la perquisition. Comme je ne saurais avoir raison contre mon Bâtonnier bien-aimé, je vous invite à demander à assister à la perquisition et à mentionner le refus qui vous sera immanquablement opposé.

Une question se pose : faut-il porter la robe lors de ces auditions. L’Ordre des avocats de Paris répond par la négative, mais sans en donner les raisons. Je disconviens respectueusement. L’article 3 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que nous portons notre costume “dans l’exercice de nos fonctions judiciaires”. Or la garde à vue fait à présent partie intégrante de la procédure. En comparution immédiate, elle constitue même la totalité du dossier sur lequel s’appuie le parquet. En outre, en audition, nous défendons, nous sommes avocats. La robe me paraît s’imposer. Je la mettrai donc en ce qui me concerne et vous encourage à faire de même.

Au cours de l’audition, nous sommes assis à côté de notre client, comme dans un cabinet de juge d’instruction, en somme. La différence est que les bureaux des policiers sont généralement communs à trois fonctionnaires, qui parfois travailleront sur leurs propres dossiers. J’ai eu ainsi à assister un gardé à vue tandis que derrière moi une plaignante déposait sa plainte, et qu’à ma gauche, deux policiers discutaient boulot. Avec en prime une radio en fond sonore (Chante-France). Ça demande une certaine capacité de concentration.

Parfois, vous serez placé de façon à pouvoir lire le PV en cours de rédaction. C’est une bonne place, puisque cela vous permet d’intervenir si vous constatez une erreur ou un oubli. Ignorez les fautes d’orthographe, c’est vexant et un PV sans faute d’accord du participe passé devrait selon moi être annulé pour vice de forme.

À cette occasion, vous découvrirez avec effroi que les PVs sont tapés avec un logiciel de traitement de texte spécial fonctionnant sous MS-DOS. Tellement dépassé qu’il n’intègre même pas la souris. Ainsi, un simple copier-coller suppose pas moins de 11 opérations au clavier, j’ai compté. Mon téléphone a un traitement de texte plus perfectionné.

Durant l’audition, vous devez être stylo à la main, avec à portée de la main votre feuille d’observations pour ce que vous voulez voir mentionné au dossier, et un carnet de notes pour tout ce que vous souhaitez noter à votre attention pour plus tard. Attention à ne pas confondre.

Vient enfin la question centrale : intervenir ou se taire ? La réponse est bien sûr : intervenir chaque fois qu’on l’estime nécessaire. Nous exerçons les droits de la défense, par Portalis ! Cela provoquera des incidents, parce que les instructions du parquet, se référant à une disposition de la loi du 14 avril 2011, affirment que l’avocat doit rester taisant.

À cela je répliquerai que la loi du 14 avril 2011 n’est pas entrée en vigueur, c’est pour le 1er juin. Et qu’à cette date, nous pourrons contester cette disposition par la voie d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (l’opposition n’ayant pas cru utile de soumettre cette loi au contrôle de constitutionnalité) et devant les juridictions en soulignant qu’elle viole manifestement l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et est contraire aux arrêts de la Cour de cassation du 15 avril qui exige que les droits reconnus par la Convention soient réel et effectifs ; or la Convention n’exige pas la présence d’un avocat comme une plante verte. Que le parquet n’a aucun droit et encore moins de légitimité à limiter l’exercice de la défense. Bref, il n’y a aucune base légale solide pour nous imposer le silence, et il est hors de question que nous l’acceptions.

Pourquoi et quand intervenir ?

À bon escient, bien sûr. Il est hors de question de répondre à la place du client. Sauf à accepter d’être condamné à sa place. Nous devons intervenir si le ton du policier est déplacé (n’hésitez pas à noter sur vos observations les sarcasmes de l’OPJ qu’il oublierait de noter au PV), ou si la question est piégeuse. Ainsi, je n’ai aucun problème de principe à ce que mon client réponde sur ce qu’il a vu ou entendu, dit, ou fait. Mais je refuse qu’il réponde à des questions du style “Pourquoi M. Machin dit-il que c’est vous qui avez commis les faits ?” Cette question est manifestement destinée à M. Machin, mon client n’est pas télépathe, ce n’est pas parce que c’est lui et non M. Machin qu’on a sous la main qu’il faut lui poser cette question. Droit de garder le silence, il n’y a pas de bonne réponse. J’ai eu un policier qui est allé jusqu’à demander à mon client pourquoi une rumeur courait dans le quartier sur sa culpabilité ! Et l’OPJ de s’étonner que je dise à mon client de ne pas répondre !

J’ai eu des incidents assez sérieux à l’occasion de mes interventions. Je vais vous en démontrer l’absurdité. Pour prévenir des situations où la tension monterait de manière exagérée (ce que j’appelle un Moment Synergie), je conviens lors de l’entretien confidentiel avec le gardé à vue d’un signal discret signifiant : “Refusez de répondre à cette question”. Si l’OPJ s’offusque de mon intervention et que cela risque de provoquer un Moment Synergie, je fais semblant de céder, et je continue avec mon signal discret. Donc j’exerce mon travail de surveillance des questions, mais le policier perd du coup la possibilité de mentionner au procès verbal “Maître Eolas intervient pour dire à son client de refuser de répondre”. Le PV perd en sincérité, alors que je suis prêt à expliquer devant le juge pourquoi je suis intervenu en ce sens. Vous voyez, refuser à l’avocat d’intervenir, c’est nuire à la vérité de la procédure. Autant que tout soit fait dans la plus grande transparence.

Les interventions doivent être limitées au strict nécessaire mais avoir lieu chaque fois que nécessaire. Il va falloir se battre pour imposer cela. Mais là encore, nous aurons gain de cause, c’est inéluctable.

De manière générale, demandez à pouvoir exercer pleinement les droits de la défense. Et mentionnez cette demande et son refus dans vos observations. certains OPJ font une application littérale de la loi de façon à entraver la défense. Ainsi, la loi pas encore en vigueur précise que le droit pour l’avocat de s’entretenir avec son client ne peut excéder trente minutes par période de 24 heures de garde à vue. J’ai eu un dossier où j’ai été appelé pour une deuxième audition une heure avant le renouvellement de la garde à vue. J’ai demandé à pouvoir consulter le dossier pour voir les éléments nouveau depuis la première audition la veille, refus mentionné dans mes observations, conclusions en nullité à venir. L’audition a lieu, je découvre en même temps que mon client les nouveautés. Puis une fois celui-ci entendu sans avoir pu préparer ce nouvel interrogatoire, on a notifié à mon client la prolongation de sa garde à vue et, après 10 minutes d’attente inutile pour que la grande aiguille soit sur le bon chiffre, j’ai enfin pu m’entretenir seul avec mon client. Ah bah c’est trop bête, l’audition a déjà eu lieu et c’était la dernière prévue. Voilà typiquement un cas d’usage de la procédure pour entraver la défense. Aucun juge d’instruction en France n’aurait seulement l’idée de refuser à un avocat la possibilité de s’entretenir le temps nécessaire avec son client. Il y a des OPJ qui font en sorte que ce soit le cas. Face à cela, il faut faire usage de la seule arme à notre disposition : le droit de garder le silence. Il faut dire à notre client de refuser de répondre à quelque question que ce soit sans avoir pu s’entretenir avec nous, quitte à attendre la prolongation (qui est de toutes façons déjà décidée depuis longtemps). Il faut que le client nous fasse confiance, il subit une pression terrible. Quand on est choisi, cette confiance existe. Quand on est commis d’office, il y a toujours le doute sur la compétence d’un avocat gratuit. Il faut bien préparer le client à un éventuel rapport de force.

Enfin, pour Paris, informez votre client que s’il le souhaite, il peut demander à ce que vous le défendiez en cas de suites judiciaires. L’Ordre accepte désormais le droit de suite (il se demande par fax au Bureau pénal), et c’est un vrai plus pour le client, puisqu’on connaît déjà le dossier. Mais c’est lui qui décide, hors de question de faire pression sur lui à cette fin.

N’oubliez pas le délai de carence : l’OPJ doit vous contacter avec deux heures d’avance qu’une audition va avoir lieu. Dès lors que vous avez été informé, il peut commencer à l’heure dite même si vous n’êtes pas là. La ponctualité est plus que jamais une obligation.

Enfin, nonobstant le ton parfois offensif que je peux avoir, n’oubliez pas que nous ne sommes pas là pour saboter la procédure. Les OPJ le font très bien tout seul. Au contraire, nous devons faire en sorte de faciliter l’organisation de l’enquête, en nous rendant disponibles à toute heure. Rappelons aussi une évidence : convaincre un client qui s’enferre dans un déni inutile car contre toutes les preuves et les faits de limiter les dégâts en assumant sa responsabilité, c’est aussi défendre. Ce qui démontre une fois de plus l’absurdité de nous refuser l’accès au dossier, car dans le doute, je conseille toujours le silence.

Nous sommes dans une phase d’adaptation. Elle est très difficile pour les policiers, qui n’ont pas été préparés à ce changement et manquent d’instructions claires et cohérentes, et doivent y faire face livrés à eux même. Nous leur sommes imposés dans leurs bureaux, c’est nouveau et perturbant. Ils méritent notre compréhension, et surtout notre respect et notre courtoisie. Il y aura assez d’incompréhensions et de malentendus naturellement pour en rajouter par un comportement déplacé. Il va nous falloir apprendre à nous connaître et à nous faire confiance. Dans un an, la routine se sera installée, et ils se demanderont comment on faisait avant. En attendant, les principes essentiels de notre profession de tact et de courtoisie sont plus indispensables que jamais.

mardi 8 février 2011

Les boules

Par Dadouche (revenante)


Appelons le Kevin[1].
Je le connais depuis que j’ai pris mes fonctions de juge des enfants il y a un peu plus de quatre ans. Il aura 18 ans en 2011.
La première fois que je l’ai condamné, c’était en qualité de présidente du tribunal pour enfants statuant en matière criminelle, pour sa participation à un viol en réunion. Il avait moins de 13 ans lors de ces faits et j’ai ordonné sa mise sous protection judiciaire jusqu’à sa majorité.
J’ai découvert un gamin, pas très futé mais pas idiot, qui a grandi entre deux parents toxico qui ont d’après ce que je sais tous deux connu la prison. Il avait été placé très jeune mais l’opposition massive de la famille et la relative amélioration de la situation des parents avait conduit le juge des enfants à mettre un terme au placement. Il était, à 14 ans, déscolarisé de fait après une exclusion de plusieurs collèges.
Je l’ai revu quelques mois plus tard, quand il a essayé avec d’autres gamins du quartier une recette de cocktail molotov sur un parking. Pas de dégât, pas de blessé. Je l’ai mis en examen quand il a été déféré, je l’ai confié à un établissement de la Protection Judiciaire de la Jeunesse dont il a très vite fugué. Le temps de le juger devant le tribunal pour enfants quelques mois plus tard, il avait commis de nouveaux délits, des vols en réunion si je me souviens bien.
Le tribunal pour enfants l’a condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis mise à l’épreuve. Qui a été partiellement puis totalement révoqué quand il a fugué du Centre Educatif Fermé où les éducateurs avaient fini par trouver une place puis quand il a commis d’autres délits.
Le tribunal pour enfants a prononcé des peines fermes, des peines avec sursis mise à l’épreuve. Il a été incarcéré plusieurs fois. On a tenté des aménagements de peine. La dernière incarcération, durant laquelle il a purgé plusieurs peines, a duré plus de dix mois.
Avant même sa majorité, il a une quinzaine de condamnations à son casier judiciaire. La prison a fini de l’endurcir et j’ai vu disparaître au fil des condamnations ce qui lui restait d’enfance. Cela fait des années qu’il est suivi (et de près) par la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Les éducateurs se sont relayés pour tenter de nouvelles approches. A son palmarès, des infractions contre les biens, des outrages, des violences au sein des différents établissements où il a été placé. Hormis la première condamnation, pour des faits criminels pour lesquels nous n’avons jamais craint de récidive, ce qu’on appelle de la délinquance de voie publique.

Kevin, je n’en ai pas encore fini avec lui. Je suis à peu près certaine que je le condamnerai encore avant sa majorité, ne serait-ce que pour ces procédures qui datent d’avant sa dernière incarcération mais qui viennent seulement d’arriver sur le bureau du substitut des mineurs. Les policiers traitent les affaires au rythme qu’ils peuvent en fonction des urgences, les fonctionnaires du greffe enregistrent ensuite les procédures transmises comme ils le peuvent vu les piles qui s’accumulent.
En ce moment, ça va à peu près pour Kevin : pas de nouvelle garde à vue depuis sa sortie de détention, un début de projet professionnel grâce à l’acharnement de son éducateur, qui suit plus de vingt autres jeunes. Ca durera ce que ça durera, je me dis que toute période d’ accalmie est bonne à prendre et lui permet de faire quelques pas en avant, même s’il doit ensuite reculer un peu.

Je n’ai pas de boule de cristal, mais je peux raisonnablement penser que Kevin commettra à nouveau des délits et sera jugé un jour, peut être très vite après sa majorité, par le tribunal correctionnel pour de nouveaux faits de vols avec violence ou d’outrage, ceux qui, il faut bien le dire, sans présenter une gravité extrême, empoisonnent la vie des gens. Vu son casier, il sera condamné à une peine plancher, peut être avec une partie avec sursis mise à l’épreuve.
Il rejoindra peut être la cohorte des “19000 personnes qui ont plus de 50 affaires” dont Bruno Beschizza, l’inénarrable ancien dirigeant de Synergie et nouveau conseiller régional UMP en Ile de France, nous rebat les oreilles à longueur de plateau télé.

Je n’ai pas de boule de cristal mais je peux raisonnablement penser que le risque que Kevin étrangle un jour une jeune femme ou commette un acte qui le fasse qualifier par le même Bruno Beschizza de “monstre prédateur” est, non pas nulle, peut être même un peu plus élevée que le reste de la population, mais tout de même assez proche du néant. De même que Bafodé, Steven ou Muhammat, que je connais bien aussi. Ou leurs grands frères que j’ai condamnés en correctionnelle.
Et si une part significative de ceux qui ont “plus de 50 affaires” se mettaient à tuer des jeunes filles, je pense que ça se verrait un peu.

Je n’ai pas de boule de cristal, mais je peux raisonnablement penser que Djamel, que je connais aussi bien que Kevin, passera un jour en Cour d’assises. Oh, rassurez-vous il est en prison. Il n’a pas seize ans. Il n’existe aucune structure qui le “supporte” plus de quelques mois. La prison non plus ne le supporte pas d’ailleurs. Il est dangereux pour lui et pour les autres, mais tous les experts m’écrivent qu’il ne relève pas d’une hospitalisation. Et bientôt il sortira de prison. Parfois ça m’empêche de dormir. Mais je n’ai aucune solution durable à ma disposition. Alors, quand je le condamne, je le condamne à des peines un peu plus lourdes que celles que je prononcerais pour d’autres. J’en ai un peu honte, mais je ne sais pas quoi faire d’autre.
Je n’ai pas de boule de cristal mais je me doute que, le jour où il commettra un acte encore plus grave, on viendra me demander pourquoi je ne l’en ai pas empêché. Je répondrai que je ne pouvais pas faire grand chose d’autre que tout ce que nous avons tenté depuis des années. On me dira sans doute que c’est quand même ma faute, parce que le Président avait dit “plus jamais ça”. Et s’il se suicide en prison, ce sera sans doute aussi de ma faute.

Je n’ai pas de boule de cristal mais je sais, depuis bientôt 10 ans que je suis magistrat, qu’un vrai suivi social et judiciaire ça n’empêche pas la récidive mais ça en diminue la probabilité. Que quand on a un logement, un travail, une famille, on a quelque chose à perdre et ça peut aider à réfléchir avant de commettre un délit. Parce que quand on est incarcéré, on ne perd pas que la liberté pour un temps. Souvent on perd bien plus. Quand on a rien a perdre, on réfléchit beaucoup moins.
Je sais aussi que quand un conseiller d’insertion et de probation “suit” 135 condamnés, il ne suit rien du tout. Il gère comme il peut, il priorise, il tente de marquer à la culotte ceux qui ont commis les faits les plus graves, ceux qui sont en aménagement de peine.

Je ne fais pas d’angélisme. Des peines d’emprisonnement j’en prononce régulièrement au tribunal pour enfants, en correctionnelle et aux assises.
La douleur des victimes je la connais. J’en ai vu assez pour toute une vie, notamment quand j’étais juge d’instruction.
J’ai assisté à des autopsies de victimes de meurtre, j’ai rencontré leurs parents, j’ai tendu des boîtes de kleenex à des victimes de viols.
Le Président de la République n’a pas de leçon à donner aux magistrats sur la douleur des victimes, celle que nous nous prenons en pleine figure. La douleur brute d’une mère à qui on annonce que le corps de sa fille a été retrouvé. Celle, mêlée d’incompréhension, d’enfants dont “Papa a tué Maman”. Celle, sourde, de parents auxquels on explique, pour qu’ils l’apprennent avec précaution dans la quiétude du cabinet d’instruction plutôt qu’en recevant notification d’un rapport d’expertise ou à l’audience, combien de véhicules ont probablement roulé sur le corps de leur fils après son accident de moto. Celle, paralysante, d’une jeune fille de 17 ans traitée de pute par ceux qui l’ont violée.

Et pour moi ce qui est indécent c’est de s’approprier la douleur de ces victimes pour faire de la désinformation. Pour promettre l’intenable : “plus jamais ça”.
Je n’ai pas de boule de cristal, mais je sais que d’autres victimes seront tuées, violées, agressées. Et que ce sera d’abord la faute du meurtrier, du violeur, de l’agresseur. Pas de ceux qui n’avaient aucun moyen de prédire un passage à l’acte ou même parfois de l’empêcher.
Ou alors c’est Elizabeth Teissier qu’il faut nommer Garde des Sceaux.

Ce qui est décent et responsable, c’est de dire la vérité.
Non, le risque zéro n’existe pas. Dans n’importe quelle société humaine, il y a des crimes.
Non, les magistrats, les policiers, les conseillers d’insertion et de probation ne considèrent pas la récidive comme une fatalité. Ils luttent chaque jour pour la prévenir, avec les moyens matériels et juridiques qu’on veut bien leur donner.
Non, les magistrats ne sont ni irresponsables ni intouchables. Ils répondent de leurs fautes. Mais seulement de leurs fautes,

Je n’ai pas de boule de cristal.
Là, j’ai juste les boules.

Notes

[1] les prénoms des mineurs sont modifiés

samedi 11 décembre 2010

Cas pratique

Après avoir lu les deux textes ci-dessous, vous vous demanderez ce que doit faire un procureur indépendant d’esprit.

Premier texte :

Article 434-25 du Code pénal :

Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende.

Second texte :

Communiqué de l’ineffable syndicat Synergie Officiers(pdf) :


Paris, le 10 décembre 2010 

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

SYNERGIE­ OFFICIERS est écœuré par la décision ahurissante du Tribunal Correctionnel de Bobigny (93) de condamner les sept policiers impliqués dans une affaire de faux témoignage à des peines allant de six mois à un an de prison ferme, toutes peines supérieures à celles requises initialement par le Parquet.

SYNERGIE­ OFFICIERS réaffirme son intransigeance quand (sic.) aux actes délictueux commis par des représentants des forces de l’ordre, mais…

SYNERGIE­ OFFICERS ne peut pas feindre d’ignorer que dans ce département, il y a indéniablement deux poids et deux mesures.

Ce tribunal est connu pour receler les pires idéologues de la culture de l’excuse quand il s’agit de remettre dehors à tour de bras les trafiquants de stupéfiants, braqueurs, auteurs de tentatives d’homicide, etc… comme en témoignent pléthore d’exemples récents. La peine prononcée à l’encontre de nos collègues est donc avant tout une décision syndicale (pour ne pas dire politique…) déguisée en acte juridictionnel. Ceux là même qui sont les premiers responsables de la situation catastrophique de la criminalité sur le 93 par des décisions angélistes ont décidé de briser toute une profession dont les membres risquent leur vie au quotidien pour nos concitoyens.

SYNERGIE­ OFFICIERS regrette que l’extraordinaire dureté d’une telle décision rende la sanction totalement inintelligible. Au ­delà des sept policiers de Bobigny qui ont fauté, ce sont bel et bien tous les policiers de France qui prendront ce verdit incroyable comme un camouflet à leur encontre et un nouvel appel à la haine venant de magistrats qui, une fois de plus, ont choisi d’affirmer que pour eux, l’ennemi à combattre par tous les moyens (y compris les plus vils…) est bel et bien le « flic » et non pas le criminel !

Le Bureau National


Rappelons que dans cette affaire, des policiers ont, au cours d’une poursuite en voiture, renversé un collègue. D’un commun accord, ils ont décidé de tous déclarer à l’unisson que le conducteur du véhicule en fuite avait volontairement renversé ce policier, l’accusant donc d’homicide volontaire aggravé puni de la réclusion criminelle à perpétuité. Le conducteur en question a de plus été roué de coup au sol par trois des policiers lors de son arrestation. À l’audience, le parquet avait requis de 3 à 6 mois de prison avec sursis. Le tribunal est allé au-delà, prononçant de 6 mois à un an ferme, et refusant la non inscription au casier judiciaire de cette condamnation pour cinq d’entre eux, qui seront donc très probablement révoqués de la police.

Les policiers et le parquet ont fait appel de ces condamnations jugées trop sévères. La cour ne pourra donc que confirmer ou diminuer la peine.

Je suis naturellement solidaire de ces policiers face à l’acharnement de la justice à leur encontre. Si on ne peut plus accuser un innocent d’un crime passible de la perpétuité pour couvrir les conneries d’un collègue, où va la République ? En plus, si j’en crois ce communiqué, ils étaient sincèrement convaincu que cet innocent accusé par eux allait être remis dehors à tour de bras. Comme quoi ils étaient de bonne foi.

samedi 30 octobre 2010

Vous avez du courrier

Je ne suis pas le seul à avoir réagi au communiqué de Synergie Officiers sur la décision de la Cour de cassation. Mon bâtonnier bien-aimé, Jean Castelain, DavidGoliaths’appuyant comme il se doit sur le vice, j’entends par là le vice-bâtonnier Jean-Yves Le Borgne, a pris sa plume pour faire connaître à ce syndicat ce que lui inspirait son brûlot. La missive en question, co-signée, étant publiée dans le Bulletin du barreau, version électronique disponible ici, je crains que les responsables de ce syndicat n’en aient pas connaissance.

Je me fais donc un devoir, peut-être doublé d’un certain plaisir, d’en reprendre ici le texte, afin d’être sûr qu’il touche son destinataire et que je ne plante pas le serveur de l’ordre en envoyant plus de visiteurs qu’il n’en a l’habitude. Au passage, tous mes lecteurs pourront avoir une démonstration du fait qu’on peut régler son compte à un adversaire sans jamais verser ni dans l’injure ni dans la diffamation. Les hyperliens ont été rajoutés par votre serviteur.

Mesdames, Messieurs : les bâtonniers.

En réponse à Synergie Officiers qui injurie le barreau

image

Le syndicat Synergie Officiers a rendu public, le 19 octobre 2010, un communiqué où il se dit « stupéfait et écœuré » des arrêts de la Cour de cassation imposant l’avocat dès le début de la garde à vue pour les cas de criminalité organisée que ne visait pas la décision du Conseil constitutionnel.

Ce syndicat de fonctionnaires de police voit dans la réforme de la garde à vue le résultat du « lobby des avocats » qui n’y chercheront qu’une « satisfaction commerciale ».

Continuant à décliner l’injure, le même communiqué regrette qu’on « impose la présence des avocats tout au long de l’enquête, sans que ces derniers aient l’obligation de se plier à la moindre contrepartie de moralité, de déontologie et de transparence de rémunération ».

De tels propos ne pouvaient demeurer sans réponse.

La violence n’est souvent que le paravent de l’inanité. Une pensée un peu faible, une argumentation indigente ont besoin de trouver appui sur autre chose que le maniement virtuose des concepts. C’est ainsi que l’injure s’offre, comme une planche de salut, à celui que la dialectique déconcerte. Le cri prend la place du mot et la vocifération celle de l’idée.

Cette panique élémentaire et agressive devrait conduire à un haussement d’épaule où dominerait la commisération, à ce sourire désabusé que suscite ce qui est dérisoire. Qu’on nous pardonne de ne pas avoir cette sérénité vertueuse.

Depuis des siècles, le barreau, partenaire de justice, s’enorgueillit de sa morale et de sa déontologie. C’est pour que les juges retrouvent des interlocuteurs fiables que Napoléon, il y a tout juste deux siècles, rétablit les Ordres d’avocats que la Révolution avait abolis.

Synergie Officiers n’en est pas à sa première incartade. Injurier le barreau lui tient lieu de raisonnement. Son discours véhicule une curieuse haine pour la modernité de la justice, une allergie pour l’équilibre procédural qui partout impose la présence d’un avocat aux côtés du suspect.

Vous rendez-vous compte, Mesdames et Messieurs de Synergie, qu’en tenant à l’endroit du barreau des propos scandaleux, c’est la Cour européenne des droits de l’Homme, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation que vous insultez ?

Vous êtes, paraît-il, farouchement hostiles aux délinquants. Rappelez-vous qu’un discours, mal maîtrisé, peut devenir un délit. A titre de pénitence, à dimension pédagogique, relisez donc les propos du président de la République, que vous hésiterez peut-être à insulter à son tour : « c’est parce qu’ils sont auxiliaires de justice et qu’ils ont une déontologie forte qu’il ne faut pas craindre la présence des avocats dès les débuts de la procédure ».

La modération fait partie de nos principes essentiels ; nous ne vous la souhaitons pas, car nous ne sommes pas adeptes des vaines espérances. Souvenez-vous seulement qu’un peu de retenue permet d’accéder à l’élégance et, pour ceux qu’un tel défi décourage, que cette discrétion protège au moins d’une grave déconsidération.

Jean-Yves Le Borgne
Vice-bâtonnier du barreau de Paris

Jean Castelain
Bâtonnier de l’Ordre

mardi 19 octobre 2010

Verbatims

…sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l’assistance d’un avocat ;



Assemblée plénière Formation plénière de la chambre criminelle de la Cour de cassation, 19 octobre 2010 (3 espèces).

La Cour de cassation a enterré aujourd’hui la garde à vue, en ajoutant dans le cercueil les régimes spéciaux de garde à vue sans avocat (terrorisme, stupéfiant, délinquance organisée), ce que le Conseil constitutionnel n’avait pas voulu faire en juillet. Ma prophétie s’est donc réalisée.

Je reviendrai plus longuement là dessus dans un billet à venir ce soir plus tard, je suis épuisé. Souffrez que je n’ouvre pas les commentaires sous cette brève en l’attendant. J’ouvre du coup les commentaires, pour vous permettre d’échanger.

Même si certains aspects étranges de cette décision me froissent un peu, c’est un beau, un grand jour pour les droits de l’Homme. En attendant, pour vous distraire, voici un commentaire éclairé de cette décision (j’ai corrigé les fautes et inséré des commentaires en italique).











Paris, le 19 octobre 2010 

GARDE A VUE : La mort de l’Investigation !


SYNERGIE­ OFFICIERS est stupéfait et écœuré par la décision prise ce jour par la Cour de
Cassation qui fait voler en éclat un pan complet de la procédure pénale française au seul bénéfice
des voyous.

Car si des innocents se retrouvaient en garde à vue, ça se saurait.

SYNERGIE­ OFFICIERS regrette que, pour des raisons idéologiques et corporatistes, on impose la
présence des avocats tout au long du processus de l’enquête, sans que ces derniers aient l’obligation
de se plier à la moindre contrepartie de moralité, de déontologie et de transparence de
rémunération comme c’est le cas par tout ailleurs en Europe. Dans les affaires de criminalité
organisée, de stupéfiant ou encore de terrorisme, l’isolement des protagonistes était une condition
sine qua non de réussite d’enquête.

Sans la moindre contrepartie de moralité ou de déontologie. Absolument. D’ailleurs, j’ai reçu aujourd’hui même un truc bizarre, le Code de déontologie 2011 envoyé par mon Ordre. J’en fais quoi ? Transparence de la rémunération ? Ils ont raison. Je suis payé 63,34 euros HT pour un entretien de garde à vue.

SYNERGIE­ OFFICIERS déplore que l’activisme du lobby des avocats s’exerce au mépris du droit
à la sécurité des plus faibles pour la satisfaction commerciale d’une profession libérale, dont le travail ne consiste pas en la manifestation de la vérité mais en l’exonération de la responsabilité de leurs clients, fussent-­ils coupables !

C’est aimable à Synergie d’envisager que nous exonérions nos clients innocents de leur responsabilité.

SYNERGIE­ OFFICIERS dénonce toutes les sirènes dégoulinantes de prétendue bonne conscience
qui ont réussi aujourd’hui à ériger un système où seuls les délinquants bénéficient de l’assistance
obligatoire d’un avocat sans jamais avoir songé au sort des victimes qui ne sont pas suffisamment
fortunées pour que l’on s’y intéresse ! Pour mémoire, si le voyou bénéficiera désormais de
l’assistance gratuite d’un avocat, la victime, même SMICARDE, devra en être de sa poche !

D’un autre côté, les victimes sont rarement mises en garde à vue, il faut le reconnaître. Mais cela dit, Synergie connaît mal le Code de procédure pénale (ça ne surprendra personne). Les gardés à vue ont à ce jour 4 droits, dont 3 notifiés : faire prévenir sa famille, voir un médecin, voir un avocat, et se taire. Les victimes se voient notifier 6 droits. En outre, un smicard a toujours droit à l’aide juridictionnelle, puisqu’il est nécessairement en dessous du plafond de 1372 euros mensuels. Enfin, les victimes mineures ou celles de certains faits graves ont droit à l’aide juridictionnelle sans condition.

SYNERGIE­ OFFICIERS demandait en vain depuis des mois que TOUS les professionnels de
l’enquête judiciaire soient associés pour réformer intelligemment la procédure pénale de notre pays, afin que soit préservé le nécessaire équilibre entre droits des victimes, nécessité de l’enquête et droits de la défense.

Reconnaissons que quand on a besoin d’intelligence, ce n’est pas à Synergie qu’on pense en premier.

SYNERGIE­ OFFICIERS prévient que les policiers français refusent désormais d’être comptables
d’une quelconque manière de l’explosion programmée de la délinquance et de l’effondrement du
taux d’élucidation. SYNERGIE­ OFFICIERS met en garde nos décideurs sur les conséquences
funestes de décisions précipitées et coupées du réel qu’ils devront assumer quand il s’agira
d’affronter les scandales judiciaires à venir (compromission d’enquête, disparition de preuves, pression sur les victimes, représailles sur les témoins…)

Précipitées, ça fait un an qu’on en parle. Et vous verrez que le cataclysme annoncé ne se produira pas.

SYNERGIE­ OFFICIERS en appelle à tous les policiers exerçant leur mission en investigation pour
qu’ ils fassent une application stricte des textes, ce qui aboutira rapidement à saturer l’appareil
judiciaire. En effet, les policiers ne doivent plus tenter de ” jouer” avec les failles de textes absurdes
pour que la Justice de notre pays fonctionne malgré tout, sans le soutien de la classe politique et
encore moins celui des magistrats qui viennent de les lâcher en rase campagne !

Que lis-je ? Les policiers jusqu’ici tentaient de jouer avec les failles des textes ? Parce que quand un avocat le fait, c’est mâââl, mais quand un policier le fait, c’est de l’investigation ?

Le Bureau National

Que j’embrasse au passage.

NB : Billet mis à jour à 23h14.

mercredi 4 août 2010

Et maintenant ?

Après avoir commenté la décision du 30 juillet et moqué comme il se doit Synergie-Officiers, place aux choses sérieuses. Quelle procédure pénale nous attend demain, et que faire dès aujourd’hui ?

Que faire aujourd’hui ?

Il faut dès à présent tirer les conséquences de cette décision, comme je le disais sous mon billet consacrée à la décision historique du Conseil constitutionnel. Ce serait une erreur que de faire comme si de rien n’était jusqu’à la loi que le parlement votera dans la précipitation et qui, je ne suis pas dupe, déterminera le minimum minimorum des droits à accorder à la défense, et tracera la ligne un peu en deçà, pour rogner tout ce qu’il pourra sans provoquer l’ire du Conseil. Vous verrez.

La première conséquence est à mon sens la nullité des PV d’audition, de confrontation et de toute déclaration sur les faits du gardé à vue. Et j’y inclus les déclarations recueillies par le procureur en cas de déferrement (article 393 du CPP), puisque ces déclarations sont reçues sans avocat (cette nullité n’entache pas le PV lui-même, qui en est intellectuellement indépendant, et saisit le tribunal). Le Conseil exclut toute nullité des mesures prises avant cette date, or une audition n’est pas une mesure que l’on prend mais un acte dont il est dressé procès verbal (art. 62 du CPP tel que provisoirement en vigueur). La décision du 30 juillet sauve les gardes à vue comme outil de l’action pénale ET protège les policiers et procureurs de poursuites pour atteinte à la liberté et séquestration arbitraire ; c’est tout et c’est déjà pas mal.

La deuxième est de taille et semble avoir échappé aux commentateurs.

L’article 63-4 du CPP est déclaré contraire à la Constitution. C’est celui qui prévoit que notre entretien ne peut excéder 30 minutes et, en creux, nous interdit un accès à la procédure faute de l’avoir expressément prévu. Mais surtout c’est celui qui nous interdit de faire état auprès de quiconque de cet entretien.

Que les choses soient claires : pour moi, cette interdiction est dès à présent nulle et non avenue car contraire à la Constitution. Je n’imagine pas un bâtonnier engager des poursuites, ni un conseil de discipline condamner pour violation d’une interdiction déclarée contraire à la Constitution parce qu’elle porte atteinte aux droits de la défense. Les deux limites qui restent sont celles plus générales du secret professionnel, du délit de divulgation d’information, et de notre conscience.

Il n’y a pas violation du secret professionnel tant que nous restons dans les limites de l’exercice des droits de la défense, qui n’ont jamais interdit à un avocat de révéler ce qu’il estime devoir l’être dans l’intérêt de son client, de même que le délit de divulgation d’information (art. 434-7-2 du Code pénal) précise bien “sans préjudice aux droits de la défense”. Donc tant que cette communication est conforme aux intérêts de la défense, chers confrères en garde à vue, usez si nécessaire de votre téléphone.

Mais avec la prudence qui nous caractérise.

Ces appels doivent être limités strictement à ce que le la défense exige. Pas de problème pour contacter l’avocat habituel du gardé à vue que la police n’aurait pas réussi à joindre (je ne vous cache pas que je ne me suis jamais gêné, art. 63-4 ou pas). N’hésitez pas non plus à contacter la famille proche dans les affaires où vous êtes certain qu’il n’y a pas de risque de complicité (ex : la mère du mari violent) pour qu’en cas de défèrement, elle soit au Palais avant l’audience avec à la main un bon gros tas de justificatifs de travail et de domicile qui vont permettre d’obtenir une remise en liberté.

Par contre, jamais le copain ou le cousin, qui risque fort d’être celui chez qui les policiers se préparent à se rendre pour une perquisition. De même, dites-en le moins possible sur les faits : ça, c’est du secret professionnel. Rassurez les familles, ça fait partie de votre travail, et les policiers seront ravis de ne plus se faire assaillir de coups de fils de la famille et de vous refiler le fardeau.

Dans le même ordre d’idée, c’est vous et vous seul qui passerez le coup de fil. Vous ne donnez pas le téléphone au gardé à vue. Les phrases codées, ça existe. Je vous conseille d’attendre d’être sorti de l’entretien pour passer le coup de fil. Et dans le doute, abstenez-vous, vous n’êtes pas là pour entraver une enquête. Évidemment, vous ne donnez pas le nom de témoins ou de la victime, pas la peine de vous retrouver soupçonné de complicité de subornation de témoins. Par contre, vous pouvez contacter un témoin de la défense que vous aura indiqué le gardé à vue : je vous rappelle qu’en cas de citation directe, les témoins peuvent être cités sans forme (art. 397-5 du CPP), la seule condition étant qu’ils soient à l’audience. Ça marche mieux quand ils sont prévenus la veille de l’audience plutôt qu’une heure avant.

Et là, je m’adresse à tous mes concitoyens, dans lesquels sommeille un gardé à vue. Les répertoires de vos mobiles sont vos pires ennemis. Apprenez par cœur les numéros essentiels : au minimum, le portable de votre chère et tendre, d’un de vos parents et celui de votre avocat. Nous n’avons pas accès à la mémoire de votre mobile, en garde à vue.

Enfin, la troisième conséquence est que la nullité des gardes à vue du fait d’absence de contrôle par une autorité judiciaire au sens de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales doit continuer à être soulevée, et jusqu’à Strasbourg au besoin (Tramway ligne E, descendre à Droits de l’Homme). Medvedyev nous donne raison pour l’ habeas corpus. Sus, sus !.

Et demain ?

C’est sur nous que va peser le gros du fardeau de cette réforme. Bienheureux secrétaires de la Conférence de la promo 2011 : vous ne savez pas encore que vous l’êtes, mais c’est vous qui serez en première ligne à Paris. Vous allez faire l’Histoire.

Je ne doute pas un instant que la profession sera prête. Elle le fut en 1993, elle le fut en 2000, elle le sera en 2011.

En fait, cela devrait ressembler à ce que nous faisons aux permanences mise en examen. Prendre vite connaissance du dossier (après tout, le temps que nous prenons rallonge d’autant la garde à vue), ce qui sera rapide pour les procédures en flagrance, qui seront très courtes à ce stade, et plus long pour des grosses préliminaires (du genre une affaire d’escroquerie à la cavalerie bancaire en préliminaire depuis un an…) et sur les commissions rogatoires. Pour les instructions, ça va être prolématique : comment le dossier de l’instruction pourrait-il attendre l’avocat au commissariat ?

Eh bien voilà une excellente occasion de mettre fin à une pratique illégale généralisée depuis un siècle chez les juges d’instruction : ce que mon confrère lyonnais François Saint-Pierre appelle la sous-traitance de l’instruction.

Le CPP interdit à tout juge d’instruction d’adresser la parole à un mis en examen sans que son avocat n’ait été préalablement convoqué au plus tard cinq jours ouvrables avant. C’est une règle posée depuis 1897. Les juges d’instruction ont fait de la résistance et ont décidé qu’avant d’être mis en examen (on disait alors inculpé), le suspect était témoin des faits qu’il a commis. D’où l’idée géniale de les faire entendre par la police en qualité de témoin. Sans avocat. C’est la naissance de la garde à vue, fille bâtarde de l’illégalité et du mépris de la défense. C’est d’ailleurs cette idée qui aboutira un siècle plus tard à la menace de la disparition des juges d’instructions, qui ont ainsi expliqué comment se passer d’eux. Superbe ironie de l’histoire : cette décision du Conseil constitutionnel rendant la garde à vue aux avocats prive désormais de tout intérêt la suppression du juge d’instruction. Le combat des avocats contre la garde à vue va sans doute sauver les créateurs de celle-ci. Une chance que nous ne soyons pas rancuniers.

La consultation du dossier sera nécessairement suivie par un entretien - confidentiel - avec le gardé à vue pour lui expliquer la situation et faire avec lui les grands choix tactiques. Moment essentiel.

Au cours des interrogatoires et confrontations, le port de la robe sera de mise : nous serons dans l’exercice de nos fonctions. Les règles pourront s’inspirer de celles de l’instruction. L’OPJ (ou l’APJ[1] dirige l’interrogatoire, l’avocat peut poser des questions à la fin, et ses interventions éventuelles sont consignées dans le procès verbal. Un texte qui nous imposerait le silence serait inacceptable. Ce silence imposé a pris fin dans les cabinets d’instruction en 1993, ce n’est pas pour qu’il renaisse dans les commissariats. Ne comptez pas sur moi pour rester coi, même si mon intervention la plus fréquente consistera probablement à dire à mon client de ne pas répondre à la question (et je n’ai aucun problème pour qu’on consigne au procès-verbal que je le lui ai dit). Il faudra prévoir la possibilité pour l’avocat de déposer des observations qui seront annexées au procès-verbal, à l’instar des conclusions en désaccord de l’article 120 du CPP.

Le droit de demander un acte à la police ne me paraît pas indispensable et pratiquement impossible à mettre en œuvre. La police n’est pas le juge d’instruction, elle est le bras séculier du parquet, partie adverse, et au surplus, aucune procédure d’appel d’un refus d’acte n’est envisageable. La CEDH dit d’ailleurs que l’avocat a le droit de rechercher des preuves, mais n’a jamais reconnu de droit à la défense de demander qu’une telle recherche soit faite pour elle. On pourra naturellement faire des suggestions à l’OPJ, voire formaliser cette suggestion par écrit sous formes d’observations, et critiquer en opportunité un refus, mais aller jusqu’à en faire un droit de la défense serait irréaliste - ou serais-je déjà trop blasé ?

C’est au niveau de l’organisation matérielle qu’il va falloir tout remettre à plat.

L’assistance effective de l’avocat ne suppose pas que nous soyons présents du début à la fin de la garde à vue : c’est notre client qui est en garde à vue, pas nous. Elle suppose deux choses : que nous soyons mis en mesure d’assister notre client chaque fois que ses déclarations seront reçues (donc avertis suffisamment à l’avance pour foncer au commissariat) (ajout : avec accès au dossier de la procédure, bien sûr) et que nous puissions avoir en principe accès à notre client à tout moment, sauf impossibilité matérielle provisoire (perquisition en cours). Ces conditions remplies, les droits de la défense seront considérés comme respectés.

Pour la police, cela supposera d’anticiper l’interrogatoire. À Paris, prévenir l’avocat une heure avant devrait suffire. En province, ce sera plus délicat (les routes aveyronaises en hiver, c’est pas tout à fait ça). Pour l’avocat, cela supposera de se tenir disponible tout au long de la garde à vue. Même de nuit. C’est notre profession, et notre honneur (phrase à se répéter trois fois quand on essaiera de garder les yeux ouverts à trois heures du matin).

L’obstacle ne paraît pas insurmontable : il suffit de lire les PV de fin de garde à vue pour voir que les moments d’activité de la procédure nécessitant l’audition du gardé à vue sont une portion infime de la mesure elle même. Il y aura une période d’adaptation ; à nous de la rendre la plus facile possible.

Surtout, cela suppose une révolution du système de permanence, et là, je ne cache pas ma joie. Le système actuel à Paris, le seul que je pratique, m’a toujours paru insatisfaisant. 12-15 avocats, de permanence de jour (appelables de 6h à 21h) et 12-15 autres de nuit (21h-6h), qui arrivent, font un cours de procédure pénale accéléré au gardé à vue, en espérant qu’ils ne commettent pas l’erreur d’aborder la défense au fond, ce qui est une perte de temps, et sortent à jamais du dossier, puisque l’Ordre refuse le droit de suite : l’avocat intervenu en garde à vue ne peut pas être désigné au titre de la commission d’office. Ce système est stupide et injuste.

Celui qui a un avocat choisi (donc payant) aura le même avocat en garde à vue et devant le tribunal. Lui peut préparer sa défense au fond dès le début. Celui qui demande un avocat commis d’office se contentera d’un inconnu de passage qui ne sortira pas des généralités (“vous avez le droit de garder le silence ; vous avez bien mangé ? On vous a tapé ?”). Le but initial était d’éviter que des avocats peu scrupuleux profitassent des gardes à vue pour faire du racolage de clientèle. L’Ordre va jusqu’à exiger que l’avocat ne donne pas son nom au gardé à vue ! Voilà bien une injonction saugrenue à laquelle je me suis toujours gardé d’obéir (Monsieur le bâtonnier, si vous voulez engager des poursuites disciplinaires à mon encontre, je me tiens à votre disposition). La moindre des choses est que le gardé à vue connaisse le nom de l’avocat qui l’assiste, et dont le nom figure d’ailleurs à la procédure. Et si le client veut le recontacter par la suite pour qu’il l’assiste, cela relève du libre choix de l’avocat. On s’est assez battu pour ce droit dans le cadre de l’assurance de protection juridique pour le jeter aux orties dans le cas du traitement en temps réel.

La seule solution acceptable est de faire un système de permanence à dossier unique. Je m’explique : le Bâtonnier m’informe que je serai de permanence le 1er avril. À charge pour moi de me libérer de toute audience ce jour là. Le 1er avril, quand un gardé à vue demandera l’assistance d’un avocat d’office, les avocats commis du jour seront apelés à tour de rôle. Ainsi, je serai contacté pour assister monsieur Machin, aux bons soins du Commandant de police Simone, commissariat du 21e arrondissement. Ce sera mon seul dossier. J’avertis le commandant Simone que je me tiens à sa disposition, et je vois avec elle à quelle plage horaire elle pense effectuer les interrogatoires. Je me présente en avance au commissariat pour prendre connaissance des PVs déjà prêts, faire un brin de causette à Monsieur Machin et lui expliquer ce qu’on lui reproche, les preuves qu’il y a contre lui, et qu’on mette au point sa position.

Et en cas de déferement, l’avocat doit rester saisi du dossier pour l’audience. Ce n’est qu’ainsi qu’on mettra fin à cette injustice que nous avons laissé créer : la différence de traitement entre l’indigent qui relève de la commission d’office, et l’aisé qui a son avocat dès le début. Une défense de qualité pour tous.

Cela suppose aussi une refonte des permanences de comparution immédiate (et mises en examen, puisque visiblement, on va garder les juges d’instruction). Finies les équipes d’avocats galériens survolant à hauteur stratosphérique deux, trois ou quatre dossiers pendant que l’huissier tape frénétiquement à la porte pour dire que le président les attend. L’avantage pour les audiences de comparution immédiate est évident : plus d’attente, les avocats seront prêts à plaider depuis la veille, ils auront déjà eu le temps de réunir leurs pièces et même, et là ça fera plaisir aux procureurs et à leurs ophtalmos, de dactylographier leurs conclusions. Il faudra sans doute prévoir une voiture-balai, un avocat de permanence prêt à substituer au pied levé l’avocat en charge qui serait confronté à une difficulté pour être présent, mais qui pourrait être utilement briefé par son confrère, selon la formule de la substitution que nous pratiquons au quotidien.

Autre avantage de ce système pour l’État, qui devra mettre la main à la poche : un avocat unique, qui doit juste se rendre disponible mais n’est pas pris à plein temps, n’a pas à être rémunéré à la même hauteur qu’un avocat à temps plein. Je suis sûr avec cet argument de capter son attention.

J’ai bien conscience que ces réflexions prospectives ne valent que pour Paris, qui est mon barreau et le seul que je connaisse en profondeur. Paris sera une terre bénie pour la mise en vigueur de cette réforme : un ressort limité à une ville, certes grande, mais une ville, où se trouve la moitié des avocats de France, et où plus d’un millier d’avocats sont volontaires pour les commissions d’office. Les barreaux des grandes villes comme Lyon, Lille, Marseille, Strasbourg, pourront aussi assez facilement s’organiser. Je sais que cela sera autrement plus difficile pour mes confrères de Versailles, dont le ressort est immense et qui en outre sont pour la plupart concentrés à l’est du département, où siègent le tribunal et la cour d’appel, ou pour les 17 avocats du barreau de Guéret, qui devront couvrir toute la Creuse (encore que les gardes à vue y sont plus rares). Le morcellement de notre profession est parfois une faiblesse.

Rappelons enfin que la présence de l’avocat est un droit, pas une obligation. Le gardé à vue peut y renoncer, et le fait qu’un avocat convoqué ne puisse venir ou ne réponde pas à sa convocation n’entachera pas de nullité la procédure, du moment que les diligences nécessaires ont été effectuées (et cela engagera sa responsabilité civile et disciplinaire). À ce propos, il faudra que la permanence de Paris cesse d’envoyer les convocations aux avocats choisis par fax. Les gardés à vue du samedi soir lui en sauront gré (pourquoi pas une permanence nationale dotée des numéros de portable des tous les avocats et gérée par le Conseil National des Barreaux -CNB- ?). Tous les avocats ne reçoivent pas leur fax sur leur iPhone (même si c’est en fait très simple).

Les points sur lequel il faudra se battre sont, d’une part, le refus de toute création d’un régime nouveau, excluant l’avocat au prétexte de sa brièveté. Dès lors que des déclarations pouvant fonder une condamnation sont reçues, l’avocat doit pouvoir être là.
D’autre part, toute prolongation de la garde à vue au prétexte de l’intervention de l’avocat. Dire à un gardé à vue qu’il est là pour 24h et 30h s’il demande un avocat, c’est faire pression sur lui pour qu’il renonce à son droit.
De troisième part, la rémunération décente de l’avocat commis d’office. D’ailleurs, ça fait longtemps qu’on n’a pas manifesté pour l’AJ.

Point optimiste : une de mes taupes au Conseil constitutionnel me confirme que les Sages ont la ferme intention d’être très vigilants sur la conformité de la réforme à venir avec leur décision. Le message a été passé au Gouvernement.

Et pourquoi pas, oui, j’y reviens, c’est ma nouvelle obsession, profiter de cette réforme pour prévoir une procédure d’ habeas corpus, une requête au JLD lui demandant d’examiner la régularité et la justification d’une mesure de garde à vue, et lui permettant d’y mettre fin immédiatement (au besoin en plaçant sous contrôle judiciaire) ?

Voici mes réflexions prospectives, un peu en vrac au fil de la plume, j’espère avoir réussi à rester à peu près clair. J’attends vos commentaires éclairés, quelles que soit vos fonctions : le regard critique des OPJ, des procureurs, et même des juges sera utile. Je connais des députés des deux bords qui seront ravis de porter des amendement pertinents et étayés au Parlement.

Notes

[1] Agent de police judiciaire, chargé d’effectuer des actes d’enquêtes par l’OPJ et sous sa direction. Certains actes clés de la procédure, comme le placement en GAV, ne peuvent être effectué que par l’OPJ en personne.

mardi 3 août 2010

Cadeau Bonus

Il n’y a pas que la décision du Conseil constitutionnel dont la lecture nous donne un sourire d’une oreille à l’autre. La victoire à des à-côtés plaisants. En voici un.

Communiqué de presse du syndicat Synergie Officier (avec mes commentaires en italique).

NB : ce n’est pas un fake, ce communiqué est absolument authentique(pdf). Y compris les majuscules et le logo fait avec WordArt.


Oh le beau logo fait avec le tuto de Word Art ; demain, je t'apprends à utiliser Inkscape

Paris, le 30 juillet 2010

GAV INCONSTITUTIONNELLE : ET APRÈS ?

SYNERGIE OFFICIERS, prend acte de la décision du Conseil Constitutionnel d’annulation du régime « généraliste » de la garde à vue tout en maintenant les régimes dérogatoires (terrorisme, stupéfiants…) et en s’abstenant de prescriptions précises quant à la refonte des textes en vigueur.

Il y en a qui ont séché le cours sur la séparation des pouvoirs…

SYNERGIE OFFICIERS s’étonne que cette décision nébuleuse intervienne alors que le Chef de l’État fixe dans le même temps des objectifs ambitieux de lutte contre la délinquance dans un contexte d’explosion de la violence.

Nébuleux, se : adj. : trop compliqué pour un syndiqué. syn. : Droits de la défense.

SYNERGIE OFFICIERS voit toutefois en cette décision une conformation hâtive et aveuglément servile à une jurisprudence de la CEDH[1] qui prête encore aujourd’hui à confusion quant au rôle de l’avocat dans la garde à vue.

CEDH qui n’est pas visée dans la décision, qui n’applique que des principes constitutionnels. Effectivement, cette décision était nébuleuse.

SYNERGIE OFFICIERS déplore que l’activisme du lobby des avocats s’exerce au mépris du droit à la sécurité des plus faibles pour la satisfaction commerciale d’une profession libérale, dont le travail ne consiste pas en la manifestation de la vérité mais en l’exonération de la responsabilité de leurs clients, fussent-ils coupables !

Tiens, il y en a qui ont déjà oublié leur condamnation pour injure pour avoir tenu des propos similaires ? Je croyais Synergie Officiers plus remontée contre la récidive.

SYNERGIE OFFICIERS exige que les professionnels de l’enquête judiciaire que sont les Officiers de Police soient associés de plein droit aux réflexions de fond qui présideront à la mise en place de la future politique pénale de notre pays, afin que soit préservé le nécessaire équilibre entre droits des victimes, nécessité de l’enquête et droits de la défense.

Sur ce point, rien à redire. Il me paraîtrait aberrant de ne point consulter les OPJ. De terrain, s’entend.

SYNERGIE OFFICIERS redoute, une fois de plus, que l’intérêt collectif soit sacrifié sur l’autel de principes éthérés au mépris des réalités criminelles contemporaines et des difficultés insupportables qui entravent le travail des policiers pour la manifestation de la vérité.

Éthéré : adj. Syn. : Constitutionnel.
Difficultés insupportables : loc. Droits de la défense. v. Nébuleux.

SYNERGIE OFFICIERS met en garde nos décideurs sur les conséquences fâcheuses de décisions précipitées et coupées du réel qu’ils devront assumer quand il s’agira d’affronter les scandales judiciaires à venir (compromission d’enquête, disparition de preuves, pression sur les victimes, représailles sur les témoins…)

Car les pièces ne disparaissent jamais des dossiers quand les avocats ne sont pas là. Demandez aux familles des disparus de l’Isère. Et jamais on n’obtient de faux aveux en garde à vue loin de l’avocat. Demandez à Patrick Dils ou aux mânes de Richard Roman.

Signé : Le Bureau National

Bureau. n.m. Syn. : Front.


NB : Synergie officier est le deuxième des deux syndicats d’officiers de police ; affilié à la CFE-CGC, il a obtenu 44,8% des voix aux élections professionnelles de 2006 et 44,5% aux élections professionnelles de janvier 2010, derrière le Syndicat National des Officiers de Police (SNOP), affilié à l’UNSA, nettement plus modéré. La participation est de l’ordre de 87% chez les officiers. Même minoritaire, il est indiscutablement représentatif. Son pendant dans le corps des gardiens de la paix est Alliance Police Nationale, lui aussi second avec 37,61% des voix (82,79% de participation).

Il me tarde de faire leur connaissance lors des gardes à vue.

Notes

[1] Cour Européenne des Droits de l’Homme.

mercredi 7 avril 2010

Ni fleurs ni couronnes

Plusieurs sources corroborent l’information, autant la rendre officielle ici.

La réforme annoncée de manière tonitruante par le président de la République, validée comme toujours a posteriori par une commission feignant une concertation pour conclure que l’idée du chef était bien la meilleure, bref, la suppression du juge d’instruction, est abandonnée.

Le revers électoral subi aux régionales a fait prendre conscience à l’actuelle majorité que son maintien en place en 2012 n’est pas acquis. Du coup, une réforme gigantesque comme celle-ci, qui nécessite un consensus bi-partisan pour prospérer, consensus qui est inexistant actuellement, et qui prend déjà l’eau sous les coups de boutoir de la Cour européenne des droits de l’homme, qui disqualifie le parquet comme autorité judiciaire, sans compter l’hostilité manifestée à mots couverts par le président du Conseil constitutionnel et même par le procureur général de la cour de cassation.

À la place, on votera un texte a minima sur la garde à vue, car la Chancellerie a parfaitement compris que le système actuel viole la Convention européenne des droits de l’homme, bien qu’elle affirme le contraire. Bon, à sa décharge, les juridictions françaises font dans l’autisme et valident à tour de bras ces procédures. La seule urgence, c’est la Question Prioritaire de Constitutionnalité pendante devant la cour de cassation sur ce point.

Rassurez-vous, ce sera vraiment a minima. je suis prêt à parier que le système qui en sortira ne sera toujours pas conforme à la Convention. On le justifiera en disant que c’est “à la française”.

À ce sujet, j’ai assisté la semaine dernière au procès intentée par mon Ordre bien-aimé au syndicat Synergie Officiers pour injures publiques à l’encontre de ma profession, traitée de “commerçants dont les compétences sont proportionnelles aux honoraires”. À cette occasion, l’Ordre avait fait venir un aréopage prestigieux d’avocats européens : l’Espagnol Alvaro Gil Robles, ancien commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Lord Peter Goldsmith, ancien attorney general de Tony Blair de 2001 à 2007, le bâtonnier de Naples, membre du Conseil Supérieur de la Magistrature italien, et le bâtonnier de Munich, tous venus expliquer comment ça se passait dans leurs pays respectifs. C’était passionnant, et pour tout dire, humiliant pour la France.

En Espagne, la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue est inscrit dans la Constitution de 1978. Seule bizarrerie : l’avocat ne peut avoir un entretien confidentiel qu’après le premier interrogatoire. En Angleterre, le principe est centenaire, et le budget de l’aide juridictionnelle est d’1,4 milliards d’euros, contre 250 millions en France. En Allemagne, la garde à vue ne peut excéder 48 heures, car toute personne arrêtée doit être présentée à un juge au plus tard le jour suivant. L’avocat peut assister son client tout le long, et il ne viendrait pas à l’esprit d’un policier de placer en garde à vue quelqu’un qui n’encourt pas une peine de prison ferme effective.

Sur le front de la Cour européenne des droits de l’homme, les décisions continuent à pleuvoir (plus de 40 à ce jour). La Pologne a rejoint le groupe des pays condamnés (CEDH, 2 mars 2010, Adamkievicz c. Pologne, n°54729/00), et j’ai relevé un arrêt Boz c. Turquie du 9 février 2010 (n°2039/04) où la Cour a décidé de parler lentement et en articulant pour des pays comme la France qui ne comprenaient toujours pas le message (je graisse) :

33. En ce qui concerne le grief tiré de l’absence d’avocat pendant la phase d’enquête préliminaire, la Cour renvoie aux principes posés par l’arrêt Salduz qui fait autorité en la matière (précité, §§ 50-55). 34. En l’espèce, nul ne conteste que le requérant a été privé de l’assistance d’un conseil lors de sa garde à vue – donc pendant ses interrogatoires – (paragraphe 5 ci-dessus) parce que la loi en vigueur à l’époque pertinente y faisait obstacle (Salduz, précité, §§ 27 et 28). 35. En soi, une telle restriction systématique sur la base des dispositions légales pertinentes, suffit à conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 de la Convention (Dayanan c. Turquie, no 7377/03, §§ 33-34, 13 octobre 2009).

C’est clair, ce me semble. Enfin, visiblement pas tant que ça, vu le nombre de juges qui valident toujours ces gardes à vue et condamnent en s’appuyant sur ces PVs. Que voulez-vous ? On fait comme ça depuis un siècle. C’est un produit du terroir, la garde à vue.

Enfin, le juge d’instruction est sauvé, pour le moment, et c’est pas plus mal vu ce qu’on proposait à la place. J’espère que cela permettra l’entrée en vigueur, enfin, de la collégialité de l’instruction, votée en 2007 et reportée sans cesse depuis. Je place beaucoup d’espoirs dans cette réforme, qui évitera les difficiles transitions lors des changements de juge, et qui surtout mettra fin à une anomalie : le juge d’instruction est la seule juridiction nommée en France. On plaide devant la 23e chambre, on fait appelle devant le Pôle 4 chambre 8 (à paris du moins), mais c’est Madame Lulu, juge d’instruction, qui instruit. Aucun condamné ou presque ne connaîtra le nom du président qui l’a condamné, mais tous se souviennent du nom du juge d’instruction. Cette personnalisation de la juridiction lui a été sans nul doute néfaste, avec l’apparition de juges-stars, et de juges épouvantails.

Bon, la garde à vue va un peu s’améliorer, on va moins y recourir, et on ne va pas se lancer dans une réforme aventureuse dont les conséquences n’avaient que très mal été évaluées. Appelons ça une hirondelle, faute de pouvoir l’appeler le printemps.

mardi 9 février 2010

14 ans, en garde à vue en pyjama

France Info, décidément à la pointe sur la question de la garde à vue (c’est le chef de son service police-justice, Matthieu Aron, qui a révélé que les statistiques officielles étaient grossièrement maquillées à la baisse en ignorant les gardes à vue pour délits routiers, au nombre de 200.000), sort une nouvelle info aujourd’hui. C’est une info anecdotique, un cas individuel, mais qui selon les responsables de la radio d’information est révélateur de la dérive actuelle.

Une jeune fille âgée de 14 ans, Anne (je ne sais si c’est son vrai prénom) aurait, à la suite d’une bagarre à la sortie de son collège à Paris dans le XXe arrondissement, dans laquelle elle aurait été impliquée (pour tenter de séparer les belligérants dit la demoiselle) été interpelée à son domicile, au saut du lit, à 10h30 (rappel : c’est une adolescente, 10h30, c’est l’aube, pour eux), et conduite “en pyjama” et menottée au commissariat, où elle est restée 8 heures en garde à vue, avant d’être remise en liberté dans l’attente d’une convocation devant le juge des enfants.

Son récit peut être entendu sur cette page (cliquez sur “Récit d’une garde à vue en pyjama à 14 ans Par Grégory Philipps”, Flash® nécessaire).

Un responsable syndical de Synergie, interviewé sur l’antenne (toujours sur cette page, cliquez sur ” La version de Anne, démentie par Mohammed Douhane, commandant de police et membre du syndicat d’officiers de police Synergie”) il y a une heure environ a démenti les propos de la jeune fille. Quand bien même il était étranger à cette procédure, il dit avoir interrogé ses collègues, qui ont nié qu’elle était en pyjama mais ont reconnu qu’elle était dans une sorte de jogging qu’elle portait lorsqu’elle dormait (ce qui pour moi correspond assez bien à la définition de pyjama, mais je ne suis pas policier), qu’elle ait été menotté à un quelconque moment, ont affirmé que la procédure avait été scrupuleusement respectée (elle a pu voir un avocat et a été vue par un médecin comme c’est obligatoire) et que d’ailleurs, la jeune fille avait avoué sa participation aux violences, et était convoquée pour être jugée.

Tout cela appelle un commentaire de ma part.

Sur le pyjama : Il est parfaitement possible que si le policier a estimé que son jogging était un vêtement suffisant, il ait décidé de la conduire ainsi au commissariat. Qu’une personne interpellée ait besoin de s’habiller est un cas fréquent, les interpellations ayant souvent lieu à 6 heures, heure légale, pour être sûr que la personne sera chez elle et endormie, mais dans ce cas elle doit rester sous la surveillance constante d’un policier. Encore faut-il, dans le cas d’une jeune fille, que du personnel féminin soit présent. Si tel n’était pas le cas, il ne serait absolument pas étonnant que le policiers en charge de l’interpellation ait estimé que son jogging était parfait pour une garde à vue. Il va de soi que le simple fait de se coiffer est exclu. Le désaccord sera donc ici de vocabulaire : la jeune fille parle de pyjama, le policier de jogging. Admettons qu’il est acquis qu’elle n’était pas en robe de nuit.

Sur les menottes : Je ne crois pas une seule seconde que cette jeune fille n’ait à aucun moment été menottée. Le menottage est systématique, même sur les mineurs, lors du transport, et ce en violation de la loi. Les officiers de police judiciaire (OPJ) appliquent la loi de l’emmerdement minimum : si un gardé à vue s’enfuit, se blesse ou blesse quelqu’un alors qu’il n’était pas menotté, c’est de la faute de l’OPJ. Donc dans le doute, on menotte tout le monde. Ça fait gueuler les avocats, mais où irait une République qui accorderait de la considération à ce que disent les avocats, comme on dit à Téhéran ? Et puis là, les policiers ont un prétexte en or : elle est mise en cause dans une affaire de violences volontaires, donc elle est susceptible d’être violente, hop, les pinces. La seule exception est pour les très jeunes enfants (genre 10 ou 6 ans), mais là c’est parce que les poignets sont trop petits.

Sur le respect de la procédure : j’accorde très volontiers le bénéfice du doute à la police. Rien dans ce récit ne me permet de subodorer que le code de procédure pénale n’a pas été respecté. Tout ceci est parfaitement conforme à la loi en France. C’est bien là le problème. Mais il n’est pas de la responsabilité de la police de le résoudre, c’est au législateur de prendre ses responsabilités. Je vais attendre assis, si ça ne vous dérange pas.

Sur ses aveux : 14 ans, réveillée par la police qui l’arrête conduite en pyjama-jogging au commissariat, entendue pendant huit heures, sans la possibilité d’être assistée par un avocat qui aurait accès au dossier. Ça c’est de la preuve solide et irréfutable, largement suffisante pour dès 14 ans lui coller un casier judiciaire. J’espère que mon confrère Jean-Yves Halimi qui est saisi de ce dossier obtiendra la nullité de cette garde à vue qui colle parfaitement à l’arrêt Dayanan.

Et pour finir, une réflexion plus générale.

Nous sommes à la veille d’une réforme du droit pénal des mineurs. L’UMP, sur son site, prépare le terrain et appelle “à la fin de l’angélisme”.

Coïncidence ? Depuis début janvier, je n’ai jamais eu autant de garde à vue de mineurs. C’est peut-être les hasards de la commission d’office, donc je demande à mes confrères qui assurent les permanences, qu’en est-il de votre côté ?

Parce que non seulement on dirait qu’elles explosent, mais c’est pour des faits parfois hallucinants. Une jeune fille de 15 ans, sans casier, en garde à vue pour avoir tenté de voler une paire de chaussures en solde (40€ chez Monoprix, donc 20 € partout ailleurs ; je rappelle que ma venue a coûté 63€ au contribuable) ; un jeune homme de 15 ans, sans casier non plus, en garde à vue pour avoir fait un croc-en-jambe à un camarade à la sortie du collège. Sur ce dernier, quand l’OPJ m’a dit ça, j’ai demandé de combien était l’incapacité totale de travail de la victime : je m’attendais à une fracture ou un trauma crânien. Non, rien, elle est ressortie de l’hôpital au bout de 10 mn, pas un jour d’ITT. J’indique mon incompréhension : violences volontaires sans ITT, c’est une contravention de 4e classe, 750€ d’amende max, bref, c’est aussi grave que porter une burqa, mais ça ne justifie par une garde à vue faute de prison encourue. Réponse du policier : mais la victime est mineure de 15 ans puisque c’est un camarade de classe qui n’a pas encore fêté son anniversaire, et les faits ont eu lieu à proximité d’un établissement d’enseignement : deux circonstances aggravantes, donc cinq ans encourus, art. 222-13, 1° et 11° du Code pénal. Avis à la population : désormais, bousculer un camarade dans la cour de récréation, c’est deux heures de colle ET cinq ans de prison.

Donc, il y aurait eu des consignes pour mettre le paquet sur les gardes à vue des mineurs au nom des objectifs chiffrés que ça ne m’étonnerait pas. Ça y ressemble.

Ce qui aura pour effet mécanique et mathématique d’augmenter les chiffres des gardes à vue de mineurs et de délinquance des mineurs.

Je parie donc une bouteille de champagne contre une boîte de petits pois que quand le gouvernement sortira sa réforme de l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante, on aura un beau communiqué nous disant : regardez, la délinquance des mineurs explose, +30% sur le premier semestre, vite, vite, il faut voter une loi donnant à la justice les moyens de taper plus fort, car c’est en cognant nos enfants et en ayant peur d’eux que nous construirons la France de demain.

Voilà ce que révèle cette affaire, au-delà de l’anecdotique. Merci à France Info d’en avoir parlé.

dimanche 13 septembre 2009

Contre-feu

Par Gascogne


J’ai déjà eu l’occasion sur ce blog de dire tout le bien que je pouvais penser de certains syndicats de policiers et des raisonnements à l’emporte-pièce dont ils nous gratifiaient de manière périodique.

Et en matière de lutte contre la récidive, les délais de l’article 132-10 du code pénal n’étant pas encore écoulés, je m’en serais voulu de manquer cette nouvelles sortie de route du secrétaire général de Synergie, Bruno BESCHIZZA.

Ainsi donc, alors que les chiffres de la délinquance sont en augmentation dans certains secteurs “d’activité”, et pendant que les remontées de bretelles médiatiques sont mises en scène, le syndicat policier a trouvé le moyen de détourner l’attention du français lambda qui aurait pu se demander comment en sept années d’activité et de lois répressives, les chiffres de la délinquance peuvent encore augmenter.

Alors quel bouc émissaire, cette fois ? Après les juges d’instruction schizophrènes, les juges des enfants laxistes, c’est au tour du juge de l’application des peines d’entrer en scène[1]. Si les chiffres sont mauvais, c’est que les aménagements de peine favorisent la récidive…

Les libérations anticipées ordonnées par les JAP ont certes déjà donné lieu à polémique, mais je dois reconnaître que l’argument selon lequel un aménagement de peine pousse à récidiver, je ne l’avais pas vu arriver, si ce n’est dans quelques commentaires récents qui trouvaient la procédure d’aménagement de peine prévue par l’article 723-15 du code de procédure pénale stupide.

Foins d’études diverses et variées, un peu de pragmatisme et quelques considérations en vrac sur l’aménagement de peines :

- Entre une sortie sèche de prison, sans emploi, sans logement, et en fin de peine sans suivi, et une sortie prise en charge, avec éventuellement un logement social, diverses obligations et un suivi judiciaire, laquelle va avoir le plus de chances d’entraîner une récidive ?

- Entre des sorties encadrées pour faciliter le maintien des liens familiaux, mis à mal par le choc carcéral, et le détenu qui ne trouve personne à sa sortie, qui verra sa réinsertion facilitée, avec la limitation des risques de récidive que cela implique ?

- Qui démontre le plus sa propension à respecter les “règles” entre celui qui pendant plusieurs mois réintègre le soir son quartier de semi-liberté et celui qui sort à la date initialement prévue ?

- Entre une victime qui doit faire exécuter une décision sur intérêts civils par ses propres moyens contre un ex détenu dont elle ne peut connaître l’adresse, et une victime qui se verra contactée par les services d’insertion et de probation dans le cadre d’une obligation d’indemniser qui, si elle n’est pas respectée, renverra l’intéressé derrière les barreaux, laquelle a le plus de chances d’être au moins partiellement indemnisée ?

- Entre un toxicomane, ou un criminel sexuel, ou un alcoolique, qui sort sans suivi, et celui qui doit justifier dans le cadre d’un aménagement de peine de rendez-vous réguliers avec un psychiatre, un psychologue, un alcoologue, lequel a le plus de probabilités de rechuter ?

- Entre le citoyen qui a quelques mois ou quelques années d’emprisonnement au dessus de la tête, qu’il risque de voir révoqués en cas de mauvais comportement, et celui qui n’a rien à craindre en plus d’une comparution devant un tribunal en cas de passage à l’acte, n’y en a-t-il pas un sur lequel la pression judiciaire est plus forte ?

- Question subsidiaire : pour quel motif nombre de détenus refusent les aménagements de peine comme la libération conditionnelle et préfèrent aller jusqu’au bout de leur emprisonnement (pas plus tard que cette semaine, j’ai demandé à un détenu qui souhaitait bénéficier d’une semi-liberté s’il ne préférait pas une libération conditionnelle : j’ai eu droit à un refus catégorique) ?

Alors bien sûr, les aménagements de peine ne sont pas la solution idéale, et il existera toujours des personnes qui récidivent, parce qu’elles vivent dans l’instant, parce qu’elles sont malades, parce que le passage à l’acte est un mode de vie, parce que la misère les pousse à voler, parce qu’elles ne peuvent intégrer aucune des règles de vie sociale qui font de nous de bons citoyens, parce que, parce que… L’aménagement de peine porte pari sur l’avenir, et il est certain que ce pari est d’autant moins risqué que le condamné présente encore, malgré plusieurs mois ou plusieurs années d’emprisonnement, quelques éléments positifs (famille qui l’attend, emploi possible, logement, soins d’ores et déjà suivis en détention…). Mais il reste malgré tout un pari.

Que l’on ne détourne pas l’attention sur ce qui reste une avancée dans toutes les sociétés civilisées, dont pas une n’a envisagé un instant de revenir en arrière au sujet des aménagements de peine, et pas seulement parce qu’elles sont “droitdelhommistes”, mais simplement parce qu’elles ont compris, d’expérience, qu’il était de leur propre intérêt d’encadrer les sorties de prison. Cela donne trop une désagréable impression d’instrumentalisation.

Notes

[1] Le syndicat Synergie n’avait visiblement pas d’auvergnat sous la main

jeudi 9 octobre 2008

De quelques idées reçues sur le prétendu laxisme des magistrats

Par Gascogne


Le syndicat de policier "Synergie Officiers" nous a déjà habitué à des déclarations fracassantes à l'égard des magistrats (un petit exemple sur les JLD dans le contentieux des étrangers, ou encore récemment sur une remise en liberté contestée par les policiers). La nouvelle sortie de ce syndicat dans la presse n'étonne pas vraiment le monde judiciaire. Par contre, elle agace prodigieusement.

Quelques éléments doivent être rappelés à nos amis policiers de ce si sympathique syndicat.

Le premier, et pas des moindres, est que la critique publique d'une décision de justice est un délit puni tout de même de 6 mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende (art. 434-25 du Code Pénal). Dés lors, avant de donner des leçons aux magistrats sur la manière de faire respecter la loi aux sauvageons des banlieues, un respect de la loi par ces mêmes syndicalistes serait-il de nature à démontrer que ce n'est pas deux poids et deux mesures : la loi dans toute sa rigueur pour les délinquants d'habitude, le laxisme le plus extrême pour les policiers qui s'expriment.

Le second concerne la notion même de sanction. Une peine d'emprisonnement ferme avec mandat de dépôt à l'audience n'est pas le seul et unique moyen de sanctionner un comportement. Il suffit de se plonger quelque peu dans le Code Pénal pour se rendre compte que le législateur a entendu privilégier diverses sanctions pénales, dont certaines dites "alternatives" à l'enfermement, pour ne laisser la peine de prison, qui plus est à "exécution immédiate" qu'en dernier ressort. Dés lors, affirmer que le sentiment d'impunité résulte du fait que les juges laxistes ne prononcent pas assez de mandats de dépôt à l'audience est d'un simplisme démagogique à toute épreuve. Beccaria doit s'en retourner dans sa tombe.

Ensuite, concernant le choix des procédures ("certaines personnes ne sont même pas déférées !"), l'action publique appartient encore aux procureurs. Je sais bien que cela énerve certains officiers et commissaires de police (l'ex syndicat majoritaire des commissaires, le SCHPNF, alias le Schtroumpf tant ce sigle est imprononçable, avait en son temps proposé que l'action publique relève au moins en partie des commissaires de police), mais cette réforme n'est pas encore à l'ordre du jour. Que les personnels de police les plus critiques passent le concours de la magistrature, et nous pourront discuter de l'opportunité d'une politique pénale.

Mais ce n'est pas tant la critique en soi qui agace le plus. Ce ne serait que saine participation démocratique si les syndicalistes de "Synergie Officiers" balayaient un peu devant leur porte. Car ils oublient tout de même de préciser que dans un certain nombre de cas, s'il n'y a pas de défèrement, c'est que la gestion policière du dossier a laissé à désirer : garde à vue nulle (rarement une semaine à la permanence téléphonique du parquet sans une levée de garde à vue pour nullité substantielle), compte rendu peu clair, actes d'enquête non effectués...Ce même syndicat (du moins me semble-t-il) avait en son temps proposé qu'un "observatoire des bavures judiciaires" soit mis en place. Le parallélisme des formes pourrait imposer que les magistrats se mettent à publier toutes les nullités de procédure faites par la police.

Faire incarcérer une personne, et aller devant une juridiction de jugement alors même que la procédure est bancale pourrait certes permettre aux enquêteurs de penser que le parquet "les soutient" (encore que je n'ai pas vu dans la loi où il était inscrit qu'il s'agissait là d'une des fonctions du parquet), mais ne serait pas digne du fonctionnement d'une justice démocratique. Les procureurs ne sont pas notés aux "crânes".

Que l'on ne se trompe pas sur mon agacement : après pas mal d'années passées dans diverses fonctions pénales, je sais parfaitement bien que la majorité des policiers fait très bien ce pour quoi elle est payée, à savoir interpeller les auteurs d'infractions pénales et procéder les concernant à une enquête en bonne et due forme.

Cela représente pour les policiers une masse de travail considérable. Pour les magistrats également. Raison pour laquelle les poursuites et les décisions qui sont prises par la suite, tant par les magistrats du parquet que par ceux du siège, méritent bien mieux que les approximations démagogiques de quelques excités pour lesquels la frustration le dispute à l'incompétence.

mardi 13 septembre 2005

Du rififi à la cour d'assises de Créteil

La cour d'assises de Créteil a tenté, en vain, de juger Jean-Claude Bonnal, dit le Chinois, cette semaine. La presse a rapporté sans toujours le comprendre l'incident déclenché par les avocats de la défense. Beaucoup de journalistes, soit qu'il soient sensibles à la frustration des parties civiles, soit qu'ils soient eux même déçus de ne pas avoir à couvrir ce procès, ont eu des commentaires peu amènes pour mes confrères du banc de la défense.

Une fois n'est pas coutume, c'est dans Libération (édition du 13 septembre 2005) que j'ai trouvé l'article qui a sans doute le mieux analysé l'incident (bravo à Marc Pivois). Sans avoir parcouru tous les organes de presse, je donne le Lol d'or, le prix du commentaire le plus creux, au chroniqueur judiciaire de France Info qui s'est contenté de résumer l'incident par "le procès n'a pas dépassé le stade de l'incident de procédure".

Ce qui s'est passé est intéressant à analyser. Il s'agit d'un bras de fer entre la présidente de la cour et la défense, et c'est, pour une fois, cette dernière qui a gagné, grâce au code de procédure pénale. Et les avocats de la défense ont bien fait leur travail, quelque sympathie qu'on puisse légitimement avoir pour les familles des victimes de ces terribles faits. Mais le bras de fer avec l'institution judiciaire continue comme le montre les derniers développements de cette affaire, où le parquet vole au secours du siège selon le principe de "à code de procédure pénal, code de procédure pénale et demi".

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