Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

septembre 2009

mercredi 30 septembre 2009

L’âme damnée pour la liberté de jouer.


par Sub lege libertas


Dieudonné M’bala M’bala me fait autant rire que Brice Hortefeux parlant des auvergnats. Cependant à la différence du dernier malgré qu’il en eût, le premier fait profession de saltimbanque. Il est d’ailleurs propriétaire - me semble-t-il - d’un théâtre à Paris quand l’autre est occupant précaire d’un ministère. Et, comme tout comédien ou baladin, il est en tournée, le second faisant quant à lui tourner dans nos villes et campagnes ses cars de C.R.S.. Or, c’est de car qu'il va être question, puisque notre professionnel des planches itinérantes a décidé de se produire dans un bus aménagé en théâtre ambulant. Il y joue une pièce intitulée Sandrine, qui évoque la violence conjugale. On promet au spectateur de découvrir « une savoureuse galerie de personnages », permettant d'aborder des sujets « sensibles mais plus sociaux que politiques ».

Or, Dieudonné, précédé d’une satanique réputation, n’est pas le bienvenu dans les salles de spectacle, ni même dans les villes où il veut faire profession de comédie. Un avocat observateur de la vie locale lilloise nous apprend que la maire de Lille a voulu s’opposer à la tenue du spectacle. Elle a dégainé comme flingue et pétoire, un arrêté d’interdiction de stationnement de véhicule de plus de trois tonnes cinq sur la place où l’intéressé avait déclaré vouloir de stationner son bus-théâtre et pour faire bonne mesure de barrage à l'infame, un autre arrêté interdisant cette réunion publique comme contraire à l’ordre public. Le Tribunal administratif saisi par l’histrion errant a suspendu ces arrêtés. Le spectacle s’est joué à guichet fermé.

Je ne sais pas la motivation retenue par le juge administratif et je me range volontiers à sa solution. Mais, j’en ai trouvé une toute simple qui nous permet, quoi qu’on pense de l’artiste vagabond, de revenir aux principes fondamentaux de notre République. Car le maire de Lille s’égare en faisant de la police de voirie, là où il est question du droit pour un comédien de monter ses tréteaux, peu important que les planches de scène mobile soit le plancher d’un autobus. Vous connaissez mon goût pour l’antique. Alors, rappelons que l’article premier de la loi du 13 janvier 1791 toujours en vigueur dispose :

Tout citoyen pourra élever un théâtre et y faire représenter des pièces de tous les genres, en faisant préalablement à l’établissement de son théâtre, sa déclaration à la municipalité des lieux.

Ce texte ne dit qu’une chose : le Théâtre est libre ! Comme l’est la presse qui attendra 1881 pour le voir affirmer. Déclarer préalablement l’établissement d’un théâtre - fût-il temporaire ou ambulant, ce n’est pas demander l’autorisation préalable de tenir scène. Est juste prohibé de le faire sans avoir averti. Pour le reste, le spectacle tombe sous le coup des lois sur la liberté d’expression en public. S’il les viole, c’est a posteriori que le comédien, une fois le rideau baissé, quittera les planches, pour le parquet du Tribunal. Mon seul regret est de n’avoir que Dieudonné et son âme damnée[1] pour rappeler la liberté de jouer.

mardi 29 septembre 2009

Quelques mots sur l'affaire Polanski

Les plus attentifs de mes lecteurs auront peut-être entendu parler de cette affaire dont les médias se sont discrètement fait l’écho : un cinéaste français a été interpellé en Suisse et placé en détention, à la demande des États-Unis d’Amérique, en raison d’une affaire de mœurs remontant à la fin des années 70.

Un petit point juridique sur la question s’impose pour mes lecteurs qui n’étant pas ministre de la culture désireraient avoir un point de vue éclairé sur la question.

Roman Polanski a été arrêté en vertu d’un mandat d’arrêt international délivré par la justice américaine. Un mandat d’arrêt international est une demande émanant forcément d’une autorité judiciaire (en France, un juge d’instruction ou une juridiction répressive) et relayée par voie diplomatique, s’adressant à tous les autres États, d’interpeller telle personne et de la lui remettre. Le vocabulaire juridique parle d’État requérant et d’État requis.

En principe, un mandat d’arrêt international, restant un acte interne à l’État requérant, ne lie pas les autres États requis. Mais de nombreuses conventions internationales, bilatérales (liant deux États entre eux) ou multilatérales (liant plusieurs États : il y en a une en vigueur en Europe, en Afrique de l’Ouest, au sein de la Ligue Arabe, en Amérique du Nord, etc…), dites de coopération judiciaire, sont intervenues pour rendre obligatoire l’exécution de ce mandat par l’État requis. Ces conventions ne sont pas signées avec n’importe quel État : la France n’a par exemple pas de convention d’extradition avec l’Iran ou avec la Corée du Nord. Dans notre affaire, il s’agit du Traité d’extradition entre les États-Unis d’Amérique et la Confédération Helvétique signée à Washington le 14 novembre 1990 (pdf).

Concrètement, le mandat est notifié aux autorités du pays où se trouve la personne visée, ou enregistrée dans une base de données internationale, la plus connue étant celle de l’Organisation Internationale de police Criminelle, plus connue sous le nom d’Interpol. Quand une personne se présente à la frontière, la police vérifie sur la base de son passeport si la personne est recherchée (les passeports actuels permettent une lecture optique, le contrôle ne prend que quelques secondes). En cas de réponse positive, la personne doit être interpellée, la police n’a pas le choix.

Le droit interne s’applique alors. Je ne connais pas le droit suisse en la matière, mais on peut supposer qu’il est proche du droit français en la matière. Le mandat d’arrêt vaut titre provisoire d’incarcération, généralement de quelques jours, le temps pour les autorités de notifier à la personne le mandat d’arrêt dont elle fait l’objet, qu’elle sache qui a ordonné son arrestation et pourquoi. C’est capital pour les droits de la défense et le non respect de ce délai entraîne la remise en liberté immédiate. Le détenu a naturellement droit à l’assistance d’un avocat. 

Le détenu est ensuite présenté à un juge qui va s’assurer que la notification a été faite et demander à l’intéressé s’il accepte d’être remis à l’État requérant (auquel cas son transfèrement est organisé dans les délais prévus par la loi, là aussi sous peine de remise en liberté immédiate. S’il refuse, le juge statue sur une éventuelle remise en liberté surveillée, et l’intéressé peut contester le mandat d’arrêt. 

Les arguments que l’on peut soulever sont divers. La régularité de forme, tout d’abord : le mandat d’arrêt international doit être conforme à la convention internationale liant l’État requérant à l’État requis, sinon ce n’est pas un mandat d’arrêt international. Classiquement, il doit indiquer l’autorité émettrice, la date d’émission, la nature des faits qui le fondent, et les textes de loi interne réprimant ces faits. Un État requis peut refuser une extradition pour certains motifs, qui généralement figurent dans la convention d’exclusion. Classiquement, ce sont les délits politiques (terrorisme exclu) et les faits qui ne constituent pas une infraction dans la loi de l’État requis, ainsi que le fait pour le détenu d’avoir déjà été jugé par un autre État pour ces mêmes faits : c’est la règle non bis in idem : on ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits (l’appel n’est pas un deuxième jugement mais une voie de recours). L’intéressé peut également soulever que le châtiment auquel il est exposé est illégal. L’Europe n’extrade pas quelqu’un exposé à la peine de mort, mais elle extrade si l’État requérant fournit des garanties que cette peine ne sera pas prononcée ou exécutée. Et oui, les États requérants (vous vous doutez que je parle surtout des États-Unis) tiennent parole, sous peine de se voir refuser toutes leurs futures demandes d’extradition.

Je passe sur le droit français qui est encore plus compliqué puisqu’il connait une phase judiciaire et une phase administrative, la cour de cassation et le Conseil d’État pouvant connaître du même dossier d’extradition (Cesare Battisti a fait le tour des juridictions françaises avant de faire le tour du monde).

Enfin, il existe un principe fondamental : un État n’extrade jamais ses ressortissants. C’est contraire à la protection qu’il doit à ses citoyens. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont l’abri de poursuites dans leur État d’origine.

J’ajoute que depuis 2004, le droit européen (de l’UE s’entend) a créé le mandat d’arrêt européen, qui exclut toutes les règles de l’extradition, notamment l’interdiction d’extrader un national. Il est de fait plus proche du mandat d’arrêt interne que du mandat d’arrêt international. Ce qui est conforme à la logique d’intégration européenne. Je me méfie autant des juges espagnols et allemands que Français, mais pas plus (c’est assez suffisant comme ça).

Et je crois nécessaire d’ajouter qu’aucune loi ni convention internationale ne prévoit d’immunité pour les artistes, oscarisés ou non.

Ah, une dernière précision ,décidément, on n’en a jamais fini : l’extradition ne se confond pas avec le transfèrement : ce terme concerne des personnes purgeant une peine dans un État autre que le leur, et prononcé par cet État. Le transfèrement vise à permettre au condamné d’être rapatrié dans son pays pour y purger sa peine. C’était le cas des condamnés de l’Arche de Zoé.

Revenons-en à notre cinéaste.

Il est de nationalité française (et polonaise, mais ici cela n’a aucune incidence). Il est visé par un mandat d’arrêt international émis par la justice de l’État de Californie pour une affaire remontant à 1977. Il a à l’époque eu des relations sexuelles avec une mineure âgée de treize ans après lui avoir fait boire de l’alcool et consommer des stupéfiants. Si mon confrère Dominique de Villepin me lit, qu’il ne s’étouffe pas d’indignation en invoquant la présomption d’innocence : celle-ci a expiré peu de temps après les illusions de cette jeune fille, puisque Roman Polanski a reconnu les faits en plaidant coupable. La culpabilité au sens juridique de Roman Polanski ne fait plus débat. Roman Polanski, après quelques jours en prison, a été remis en liberté dans l’attente de l’audience sur la peine. Il en a profité pour déguerpir et a soigneusement évité le territoire américain pendant trente ans.

Au départ, l’accusation contenait cinq chefs d’accusation, dont une qualification de viol. À la suite d’un accord passé avec le parquet, comme la loi californienne le permet, Roman Polanski a plaidé coupable pour un chef unique d’abus sexuel sur mineur (unlawful sexual intercourse with a minor), code pénal californien section 261.5., délit puni de 4 ans de prison maximum. 

Le mandat d’arrêt vise à le faire comparaître pour prononcer la peine, la comparution personnelle du condamné étant obligatoire pour la loi californienne. 

La victime a été indemnisée et a retiré sa plainte. Cela faisait partie probablement de l’accord passé avec le parquet (la victime n’est pas partie au procès pénal en droit américain). Cela ne fait pas obstacle à la poursuite de l’action publique.

Tant qu’il résidait en France, il était tranquille : la France n’extrade pas ses nationaux. Et il ne pouvait être poursuivi en France, bien que de nationalité française, les faits ayant déjà été jugés aux États-Unis. C’est la règle non bis in idem dont je vous parlais plus haut.

C’est la vanité qui a piégé notre cinéaste : invité en Suisse pour y recevoir une récompense pour l’ensemble de son œuvre (il ne se doutait pas qu’en effet, c’est bien l’ensemble de son œuvre qui allait recevoir ce qui lui revenait), il s’est rendu dans la sympathique confédération fédérale. Fatalitas : à l’aéroport, le contrôle de son passeport donne un ping Mise à jour : D’après la presse suisse, ce serait le cinéaste qui a donné l’alarme lui-même en demandant à la police suisse une protection, attirant ainsi l’attention des autorités sur sa venue : elles ont constaté que ce monsieur était l’objet d’un mandat d’arrêt international émis en 2005 (je vais revenir sur cette date curieuse de prime abord), il n’était pas suisse, il pouvait être arrêté. Et le voici qui goûte la paille humide des cachots helvètes, où il est en cellule individuelle, confiné 23 heures par jour. Ça vous choque ? À la bonne heure. Les prisonniers en France sont traités de la même façon en maison d’arrêt, sauf qu’en plus, ils sont dans une cellule surpeuplée. Pensez-y aux prochaines élections.

La Suisse va notifier par voie diplomatique l’arrestation de Roman Polanski. Les États-Unis ont 40 jours pour demander officiellement l’extradition à compter de l’arrestation (article 13§4 de la convention de 1990), soit jusqu’au 5 novembre 2009 à 24 heures, faute de quoi Roman Polanski sera remis en liberté. Ce dernier a indiqué qu’il refusait l’extradition et compte porter l’affaire devant le Tribunal pénal Fédéral (Bundesstrafgericht) et le Tribunal fédéral (Bundesgericht), la cour suprême suisse, le cas échéant. L’affaire est désormais dans les mains de la justice suisse et de mon excellent confrère Lorenz Erni.

Enfin, dernier point, sur l’ancienneté de cette affaire. Tous les soutiens au cinéaste invoquent à l’unisson l’argument que cette affaire est ancienne (à l’exception de Costa Gavras, qui lui soulève que cette jeune fille de 13 ans en faisait 25 ; il est vrai que 13 minutes d’un de ses films en paraissent 25, mais je doute de la pertinence juridique de l’argument). Se pose en effet la question de la prescription.

Je ne reviendrai pas sur le magistral exposé des règles en la matière (sans oublier la deuxième partie) par Sub lege libertas, règles qui sont à l’origine d’une grande partie de la consommation de paracétamol par les juristes. J’ajouterai simplement une précision : la loi californienne prévoit une prescription de 6 10 ans pour des faits de la nature de ceux reprochés à Roman Polanski (Code pénal de Californie, section 801.1). Cela dit sous toutes réserves, je n’ai pas accès à l’évolution du droit pénal californien depuis 1977.

Mais il faut garder à l’esprit que la prescription n’est pas un laps de temps intangible qui une fois qu’il est écoulé fait obstacle aux poursuites. Il peut être interrompu, et repart dans ce cas à zéro. Il faut six ans d’inaction des autorités judiciaires pour acquérir la prescription. Or les autorités judiciaires californiennes ne sont pas restées inactives depuis trente ans et ont toujours interrompu la prescription. La preuve ? En 2005, elles ont délivré un nouveau mandat d’arrêt international, acte qui interrompt la prescription : ce n’était en l’état actuel des choses qu’en 2011 que la prescription aurait éventuellement pu être acquise (sauf éléments du dossier que j’ignore, bien sûr).

Enfin et j’en terminerai là-dessus, je trouve choquant deux choses dans le tir de barrage du monde artistique. 

Je trouve honteux d’entendre des artistes qui il y a quelques semaines vouaient aux gémonies les téléchargeurs et approuvaient toute législation répressive et faisant bon cas de droits constitutionnels pour sanctionner le téléchargement illégal de leurs œuvres crier au scandale quand c’est à un des leurs qu’on entend appliquer la loi dans toute sa rigueur. Quand on sait que pas mal de téléchargeurs ont dans les treize ans, on en tire l’impression que les mineurs ne sont bons à leurs yeux qu’à cracher leur argent de poche et leur servir d’objet sexuel. Comme si leur image avait besoin de ça. Et après ça, on traitera les magistrats de corporatistes.

Et je bondis en entendant le ministre de la culture parler de « cette amérique qui fait peur ». Ah, comme on la connait mal, cette amérique.

Tocqueville avait déjà relevé il y a 170 ans, la passion pour l’égalité de ce pays. Elle n’a pas changé. Il est inconcevable là-bas de traiter différemment un justiciable parce qu’il appartiendrait à une aristocratie, fut-elle artistique. Il y a dix ans, l’Amérique a sérieusement envisagé de renverser le président en exercice parce qu’il avait menti sous serment devant un Grand Jury. Quitte à affaiblir durablement l’Exécutif.

Une justice qui n’épargne pas les puissants et les protégés des puissants ? On comprend qu’un ministre de la République française, qui a soigneusement mis son président et ses ministres à l’abri de Thémis, trouve que cette Amérique fait peur.

PS : billet mis à jour, merci à nemo pour ses lumières sur le droit du Golden State.

lundi 28 septembre 2009

Prescription, vous avez dit prescription...? (chapitre II)


par Sub lege libertas


Je vous ai conté il y a peu les aventures de Samantha avec le temps judiciaire, pour confirmer l’analyse lapidaire de Maître Kiejman, avocat de Roman Polanski quand il affirmait : “en France une affaire de ce type était prescrite au bout de 15 ans”. Je vous ai promis une suite car la généralité du propos rapporté ci-avant est trompeuse : une petite Vanessa pourrait presque faire mentir l’illustre Georges Kiejman. Ce qui suit est très rigoureusement inspiré d’un cas réel.[1] Mais qui est cette Vanessa ?

Vanessa est née le 11 mars 1976, première enfant d’une mère célibataire âgée de 16 ans et va être élevée jusqu’à ses quatre ans par ses grands parents maternels qui vont la recueillir de façon permanente, avant que sa mère âgée de 20 ans ne se mette en ménage avec un homme qui reconnaîtra Vanessa. Son grand père est né le 10 juillet 1940 et sa grand mère le 6 juin 1944.[2]

Aujourd’hui donc, le Parquet reçoit un courrier de Vanessa dénonçant son grand père pour lui avoir introduit plusieurs fois un doigt son sexe[3] dans l’anus et le sexe lors du mois d’août 1979, alors qu’il la gardait seule, sa grand mère étant hospitalisée. Elle explique déposer plainte car elle a été alarmée par l’attitude de son grand-père qui avait des gestes équivoques à l’égard de sa propre fille Cindy âgée de 7 ans lors des grandes vacances de cette année, ce qui a causé cette réminiscence de son propre passé. A nouveau, après un rire panique, Sub lege libertas s’interroge avec vous : est-ce prescrit ?

Je vous rappelle que trois éléments vont guider notre réflexion : la date des faits, la date de la majorité de la plaignante et la qualification possible de l’infraction. La plaignante est majeure depuis le 11 mars 1994. Les faits ont eu lieu en août 1979. La qualification possible des faits des faits : viols sur mineur de quinze ans par ascendant ou personne ayant autorité.

Interlude

Comme Eugène Pierre me l’a rappelé, le sexe et la loi sont un couple inconstant. Il a effectivement fallu attendre le 24 décembre 1980 pour que la loi définisse le viol comme

tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui, par violence, contrainte ou surprise.

Le Code pénal de 1810 promulgué le 27 février 1810, ne définissait pas le crime de viol. On y lisait ceci :

ARTICLE 331. : Quiconque aura commis le crime de viol, ou sera coupable de tout autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des individus de l'un ou de l'autre sexe, sera puni de la réclusion.

ARTICLE 332 : Si le crime a été commis sur la personne d'un enfant au-dessous de l'âge de quinze ans accomplis, le coupable subira la peine des travaux forcés à temps.

ARTICLE 333 : La peine sera celle des travaux forcés à perpétuité, si les coupables sont de la classe de ceux qui ont autorité sur la personne envers laquelle ils ont commis l'attentat, s'ils sont ses instituteurs ou ses serviteurs à gages, ou s'ils sont fonctionnaires publics, ou ministres d'un culte, ou si le coupable, quel qu'il soit, a été aidé dans son crime par une ou plusieurs personnes.

Observons d’ailleurs qu’en ce temps, le viol et les attentats à la pudeur sont de toute façon criminels. Aussi la loi du 28 avril 1832 a-t-elle séparé les deux notions considérant que seul le viol devait rester criminel, notamment car il pouvait résulter de cette conjonction sexuelle un enfant et désormais, on lisait dans le Code pénal :

ARTICLE 332 : Quiconque aura commis le crime de viol sera puni (des travaux forcés[4]à temps) de la réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans .

ARTICLE 333 : Si les coupables sont les ascendants de la personne sur laquelle a été commis l’attentat, s’ils sont de la classe de ceux qui ont autorité sur elle, s'ils sont ses instituteurs ou ses serviteurs à gages des personnes ci-dessus désignés, s'ils sont fonctionnaires ou ministres d'un culte, ou si le coupable, quel qu'il soit, a été aidé dans son crime par une ou plusieurs personnes, la peine sera celle (des travaux forcés[5] à perpétuité) de la réclusion criminelle à perpétuité.

Le viol n’était donc que la conjonction sexuelle forcée entre un homme et une femme, l’homme étant l’agent, la femme la victime. Il n’y avait viol que lors de l’intromission par violence du sexe viril dans le sexe d’une femme. R. Garraud parlait “du fait de connaître charnellement une femme sans la participation de sa volonté”. Emile Garçon disait “le coït illicite avec une femme que l’on sait n’y point consentir”.

Tout le reste n’était qu’attentats à la pudeur. Ainsi Vanessa se plaindrait-elle que son grand père lui eût imposé des fellations ou introduit des doigts dans le sexe ? Comme la cour de cassation l’a jugé, il ne s’agirait que de délits atteints par la prescription. Avec la loi de 1980, les intromissions anales forcées, les pénétrations digitales, les introductions dans le sexe d’objet et les fellations imposées, tombent dans le “champ du viol”. Il est même légalement reconnu qu’un homme peut être violé.

Fin de l’interlude

Avec Samantha vous avez (ré-)appris que le principe général de prescription criminelle est fixé par l’article 7 alinéa 1 du Code de procédure pénale qui à la date des faits est à lire dans la version issue de la loi n°57-1426 du 31 décembre 1957 entrée en vigueur le 8 avril 1958, publiée au JORF [6] le 8 janvier 1958. On y lit que s’il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite, la prescription est acquise dix ans après la commission des faits. Pour Vanessa, la prescription intervient fin août 1989

Vous savez également que des règles spéciales pour les faits sexuels commis sur mineur ont été apportées par la loi n°89-487 du 10 juillet 1989 publiée le 14 juillet 1989 qui a introduit un alinéa 3 dans l’article 7 du Code de procédure pénale :

Lorsque la victime est mineure et que le crime a été commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur elle, le délai de prescription est réouvert ou court à nouveau à son profit, pour la même durée à partir de sa majorité.

La jurisprudence (classique) précise que cet alinéa ne s'applique qu'à des faits non encore prescrits lors de son entrée en vigueur le 14 juillet 1989. Donc dans notre cas, les faits étant prescrits en août 1989 soit après l'entrée en vigueur de ce nouvel alinéa, il s'applique. La prescription est acquis dix ans après la majorité de Vanessa donc le 11 mars 2004.

L’ article 121 de la loi du 4 février 1995 n°95-116 (publié au JORF le 5 février 1995) a introduit une nouvelle rédaction de l'alinéa 3 de l'article. 7 du Code de procédure pénale :

Lorsque la victime est mineure et que le crime a été commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur elle, le délai de prescription ne commence à courir qu'à partir de sa majorité.

Pour Vanessa, cela ne change rien; la prescription reste acquise le 11 mars 2004. Mais la loi du 17 juin 1998 n°98-468 du 17 juin 1998 par son article 25 (publié au JORF le 18 juin 1998) a encore modifié la rédaction de l'alinéa 3 de l'article 7 du Code de procédure pénale. On y lit désormais ceci :

Le délai de prescription de l'action publique des crimes commis contre des mineurs ne commence à courir qu'à partir de la majorité de ces derniers.

Le suspens est immense mais non cela ne change rien pour Vanessa : prescription acquise le 11 mars 2004. J’en vois déjà qui m’imaginent prenant mon bic administratif pour cocher la case n°34 (extinction de l’action publique) sur un formulaire de classement sans suite à agrafer sur la lettre de Vanessa. Mais le législateur veille...

Et par l’article 72 I de la loi du 9 mars 2004 publiée au JORF 10 mars 2004 et entrée en vigueur le 10 mars 2004, nos parlementaires ont fixé la rédaction actuelle (ouf!, enfin pour l’instant) de l'alinéa 3 de l'article 7 du Code de procédure pénale. Et çà alors, il y a du changement :

Le délai de prescription de l'action publique des crimes mentionnés à l'article 706-47 et commis contre des mineurs est de vingt ans et ne commence à courir qu'à partir de la majorité de ces derniers.

Bigre, quel est donc ce 706-47 ? Et bien c’est un article qui liste les infractions sexuelles commises sur mineur pour lesquelles des tombereaux de règles procédurales particulières s’appliquent. On y découvre notamment que cela concerne les crimes réprimés par l’article 222-24 du Code pénal, c’est à dire notamment le viol sur mieur de quinze ans par ascendant ou personne ayant autorité. Euréka ! Eh non je veux dire Vanessa ! Donc pour elle la prescription est acquise le 11 mars 2014, puisqu'à un jour près les faits ne sont pas prescrit le 10 mars 2004 lors de l’entrée en vigueur de la loi du 9 mars 2004.

En conclusion, le parquetier qui reçoit la lettre de Vanessa aujourd’hui doit faire recevoir sa plainte ! Et pour achever de nous distraire, si Vanessa le souhaite elle peut différer sa demande de justice jusque au début du mois de mars 2014. Le magistrat du Parquet aura alors quelques jours pour signer un soit- transmis pour enquête qui interrompra la prescription. Mais, s’il traite son courrier avec retard ... attention au dysfonctionnement du service public de la Justice.

Folle perspective :

L’enquête est menée durant l’automne 2009 par une Brigade des mineurs et le grand-père de Vanessa, désormais âgé de 69 ans, reconnaît en garde à vue avoir introduit son doigt sexe[7] dans l’anus ou le sexe de sa petite fille, tous les matins du mois d’août 1979, soit 30 ans auparavant... Il sort de garde à vue et le dossier est transmis par courrier au procureur, car le grand-père habite hors ressort du Parquet compétent à raison du lieu des faits où est toujours domiciliée la plaignante.

En février 2010 un réquisitoire introductif criminel est pris pour saisir le juge d'instruction -s'il n'est pas supprimé. Et en septembre 2010, le grand-père, retraité âgé de 70 ans, convoqué par courrier est mis en examen et conteste ses aveux, son avocat faisant état de troubles psychiques liés à son âge qui ont pu influer sur ses déclarations en garde à vue. Il est placé sous contrôle judiciaire.

L’expertise psychiatrique révèle que le mis en examen a commencé à avoir des symptômes discrets de la maladie d’Alzheimer depuis deux ans, qui peuvent influer sur ses déclarations. L’expertise relève aussi une problématique sexuelle complexe depuis 1979 à la suite de la découverte chez sa femme d’un fibrome utérin ayant conduit à une hystérectomie en août 1979 (la fameuse hospitalisation qui laisse le grand-père seul avec la petite Vanessa). Par ailleurs, le magistrat instructeur a la chance de retrouver aux archives de l’hôpital un dossier attestant que Vanessa avait été hospitalisée en septembre 1979 pour des problèmes urinaires et selon le médecin expert, les pièces quoique parcellaires du dossier médical évoquent des lésions compatibles avec l’introduction répétée d’un doigt membre viril de petite taille en érection[8] dans le sexe d’un fillette...

La clôture de l’information criminelle intervient en novembre 2011 avec renvoi aux assises. Et l’audience devant la Cour d’assises n'a lieu qu’en janvier 2015 soit plus de 35 ans après les faits. A 75 ans passés, le grand-père de Vanessa est condamné à 6 ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt. Bien entendu, il est inscrit au FIJAIS pour 30 ans ! Il fait appel et obtient sa remise en liberté avant examen de l’appel qui intervient en mars 2016[9].

Il est acquitté ? Hélas, son avocat m’indique qu’il n’est pas présent à l’ouverture des débats : il produit un certificat médical attestant qu’à raison de la dégradation de sa maladie, il est désormais hébergé dans une unité de psychiatrie gériatrique. Affaire renvoyée !



La discussion se poursuit sous le billet initial : cliquer et commenter.



Post-scriptum : non, je ne glose pas sur le cas précis de Roman Polanski, car j'ai déjà mal au crâne avec le droit français en la matière ; alors, pour ce qui est du droit américain, voire du droit suisse de l'extradition...

Notes

[1] Les étudiants en droit et autres amateurs de diptérosodomie aérienne me sauront gré de leur offrir par ce cas pratique, la version exacte des textes applicables à la date concernée, nos amis Dalloz et Litec n'ayant plus laissé figurer sous les articles du Code les versions très antérieures du texte actuel alors que ces versions sont encore utiles... Mais comme le député Warsmann le sait les procureurs ne sont pas foutus de savoir si un texte est en vigueur ou abrogé, mais parfois applicable.

[2] certaines dates ont leur importance... enfin, même pour notre histoire.

[3] Comme mes lecteurs sont rigoureux, l'un d'entre eux m'a rappelé à l'ordre en me renvoyant à la lecture du Code pénal dans sa version antérieure à la loi n°80-1041.

[4] L’article 8 de l’ordonnance n°60-529 du 4 juin 1960 a supprimé et remplacé cette peine par la réclusion.

[5] Voir note précédente.

[6] Journal Officiel de la République Française

[7] voir note 3

[8] voir note 3, et l'on apprend par la même que la nature ne prend pas de mesure pour l'égalité des sexes, le grand père de Vanessa ne démentant pas avoir été peu gaté

[9] et non 2012 nos lecteurs auront corrigé d'eux même, comme dirait min 'tiot Didier Specq dins sin journo

Prescription, vous avez dit prescription...? (chapitre I)


par Sub lege libertas


Avant d’être au même diapason d’émotion que Frédéric Mitterrand et le Président Nicolas Sarkozy, selon ce ministre réagissant à l’arrestation de Roman Polanski, je me suis rappelé que toutes les semaines, je participais au jugement d’atteintes sexuelles sur mineurs et qu’il n’était pas si rare que les faits remontassent à plus d’une décennie, voire nous remissent en mémoire la France du Président Mitterrand, l’autre. Alors, sans émotion, remontons le cours du temps avec un petit cas pratique, toute ressemblance avec des personnages réels ou des faits ayant eu lieu n’étant pas fortuite.

Samantha est née le 28 février 1964. En mars 1977 elle a donc treize ans. Ses parents déposent alors plainte pour viol sur mineur de quinze ans, car elle leur dit avoir été ce mois-là droguée par un photographe né en 1933, qui l’a obligée dans cet état à avoir des relations sexuelles. Ses parents l’avait confiée à cet artiste de la chambre noire pour plusieurs séances, pour coucher sur papier argentique et mettre en lumière la beauté naissante de leur princesse. Une enquête de police commence. Le photographe est entendu, il reconnaît avoir couché avec la donzelle qu’il dit avoir pensée plus âgée et consentante. En septembre 1979, la procédure est clôturée et transmise au Parquet qui la classe sans suite.

Le Parquet reçoit ce jour un courrier de Samantha demandant que sa plainte soit reconsidérée. Elle est perturbée car elle croise de nouveau son agresseur devenu célèbre à ses yeux : il expose ses tirages dans le salon de coiffure chic où elle travaille. Elle “ne veut pas qu’un pédophile comme lui reste en liberté”. Sub lege libertas, votre procureur favori avec Gascogne, après un moment de rigolade nerveuse, s’interroge avec vous : est-ce prescrit ?

Trois éléments vont guider notre réflexion : la date des faits, la date de la majorité de la plaignante et la qualification possible de l’infraction. Les faits ont eu lieu en mars 1977. La qualification possible des faits est viols sur mineur de quinze ans par ascendant ou personne ayant autorité. La notion d’autorité sur la victime paraît de prime abord pouvoir être retenue puisque les parents confiait la mineure à l’artiste... La majorité de la plaignante intervient le 28 février 1982.

Le principe général de prescription criminelle est fixé par l’article 7 alinéa 1 du Code de procédure pénale qui à la date des faits est la version issue de la loi n°57-1426 du 31 décembre 1957, entrée en vigueur le 8 avril 1958, publiée au JORF [1] le 8 janvier 1958 . On y lit ceci :

En matière de crime, l'action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite.
S'il en a été effectué dans cet intervalle, elle ne se prescrit qu'après dix années révolues à compter du dernier acte. Il en est ainsi même à l'égard des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d'instruction ou de poursuite.

Donc dans notre cas, le dernier acte d’instruction ou de poursuite est le procès verbal de clôture et de transmission de la procédure au Parquet en septembre 1979. À compter de cette date, la prescription est donc acquise dix ans plus tard soit en septembre 1989. Mais, des règles spéciales de prescription pour les faits sexuels commis sur mineur ont été introduites par la loi du 10 juillet 1989.

L’article 7 du Code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi n°89-487 du 10 juillet 1989 publiée au JORF le 14 juillet 1989 contient désormais un alinéa 3 :

Lorsque la victime est mineure et que le crime a été commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur elle, le délai de prescription est réouvert ou court à nouveau à son profit, pour la même durée à partir de sa majorité.

La jurisprudence (classique) précise que cet alinéa ne s'applique qu'à des faits non encore prescrits lors de son entrée en vigueur le 14 juillet 1989. Donc dans notre cas, les faits étant prescrits en septembre 1989 soit après l'entrée en vigueur de ce nouvel alinéa, il s'applique : ainsi la prescription de dix ans se calcule à compter de la majorité de la plaignante et est donc acquise après le 28 février 1992. Bien sûr des lois depuis ont modifié encore cette règle, mais elles sont toute postérieures à la date à laquelle la prescription est acquise. Donc Sub lege libertas comme Gascogne peut s’exclamer avec Maître Kiejman, avocat d’un certain Roman Polanski qui croisa lui aussi en mars 1977 une Samantha qu’ “en France une affaire de ce type était prescrite au bout de 15 ans"[2] : 1977-1992.

Mais Sub lege libertas vient pour autant dire à Maître Kiejman que l’affirmation très générale “une affaire de ce type” est source de confusion. D’abord, car tout le raisonnement précédent ne tient que si une action judiciaire (instruction) n’a pas été ouverte après la plainte, sinon la prescription ne courrait qu’à l’issue de dix années après le dernier acte.

Et si ce dernier acte avait été un renvoi aux assises suivi d’un arrêt de condamnation par contumace (à l’époque), l’accusé étant en fuite, la situation vécue avant hier soir par Roman Polanski dans les alpages suisses serait la même en France si l’arrêt de condamnation par contumace était intervenu après le 23 septembre 1989 (prescription de la peine criminelle de vingt ans qui ne commence à courir que cinq jours après le prononcé).

Ensuite, cher maître Kiejman, votre affirmation ne se vérifie pas toujours pour des faits de cette nature datant d’avant les eighties, si nous faisons varier quelques données. Ceci est une autre histoire que je vous conterai par la suite.

(À suivre)



La suite est à lire dans ce billet-là. Les commentaire se poursuivent ci-après.

Notes

[1] Journal Officiel de la République Française

[2] Libération du 28 septembre 2009, page 33.

vendredi 25 septembre 2009

Peut-on twitter un procès ?

C’est une question qui semble agiter le Landernau de la presse ces jours-ci.

En effet, deux journalistes, Amaury Guibert pour France Télévision et Olivier Toscer pour le Nouvel Obs suivent le procès Clearstream et publient régulièrement des tweets (ici et ), ces messages de 140 caractères maximum publié sous forme de fil sur la plate forme twitter, et qui peuvent être envoyés depuis un téléphone mobile ou assimilé (iPhone, Blackberry, etc…) Plusieurs de leurs confrères se sont demandés (et certains m’ont demandé) si c’était conforme à la loi, et si on pouvait le faire depuis le prétoire (Amaury Guibert sortant lui de la salle pour taper son message).

Dadouche avait merveilleusement anticipé (qu’on ne vienne plus me parler de lenteur de la justice) en publiant son devoir de vacances en juillet dernier sur les nouvelles technologies et le cadre légal d’enregistrement des audiences. Je n’aurai pas la prétention de faire mieux qu’elle : allez-y, tout y est dit ou presque.

Presque car elle n’a pas abordé pas la question des tweets qui ne s’était pas encore posée.

Voici donc le complément.

Tout d’abord, je froncerai les sourcils, amis journalistes, envers ceux d’entre vous qui ont cru cela illégal. Aucune loi n’autorise expressément de tweetter depuis un prétoire, mais aucune loi ne l’interdit, donc c’est autorisé.

Ce que la loi interdit, c’est de fixer une image ou un son. L’écrit, et le tweet est un écrit, n’est pas concerné, il est même couvert par la liberté d’informer. La technologie et une couverture 3G sur le palais permettent de tweeter depuis un prétoire. Gaudeamus : la liberté d’informer progresse.

Certes, il est écrit, sur une feuille format A4 scotché aux portes, que les téléphones doivent être éteints. En fait, ce qu’on vise à prévenir, ce sont les sonneries intempestives et la tentation de retransmettre le son d’une audience, ce qui serait une captation prohibée par la loi.

L’essentiel est que l’assistance, journalistes compris, ne trouble pas le cours de l’audience. Veillez à mettre votre téléphone sur vibreur voire à couper la sonnerie, ne passez aucun coup de fil et ne répondez à aucun appel, et tweetez à l’envie. Somme toute, c’est comme prendre des notes publiées au fur et à mesure.

Qu’en pensent les présidents de correctionnelle qui me lisent ? (Les parquetiers peuvent aussi donner leur avis, bien sûr).

La difficulté va résider dans le fait d’arriver à rendre intelligible une audience à coup de messages brefs. Nos deux journalistes s’en sortent pas trop mal mais ils ont des progrès à faire. C’est normal, c’est un nouvel exercice, qui doit s’apprendre.

Enfin, nouveau… Pas tant que ça. Ce qui est nouveau, c’est la publication instantannée. Mais ça fait longtemps que la concision est un art pour les journalistes (très mal maîtrisé par les avocats, d’ailleurs).

Aliocha cite un exemple en la personne de leur confrère Félix Fénéon (1861-1944), qui a inventé l’art du tweet avant l’heure, en publiant dans le Matin des brèves remarquables par leur concision. Témoin ces deux exemples :

“M.X…, de Montauban, nettoyait son fusil. On l’enterre demain”. (63 caractères)

Le bateau de pêche la Marie-Jeanne, dix hommes dessus. Une lame de fond, dix hommes dessous”. (92 caractères)

Magnifique, non ?

Et pour tout vous dire, un jour que je m’ennuyais à une audience, je me suis prêté à l’exercice en juillet dernier. Voici mon modeste essai. Je dois avouer que je me suis bien amusé et que c’est une façon plaisante d’attendre son tour.

En espérant que je ne vais pas me faire radier pour ça…

Voilà ce que ça a donné.


12h56 : S’en va défendre un innocent. Trouillomètre à zéro, cœur à cent à l’heure.

14h03 : #miseredelajustice Le tribunal renvoie les affaires au mois de janvier 2010.

14h05 : “non Monsieur, vous étiez convoqué hier. Désolé. La décision ? 4 mois ferme.”

14h32 : Non, les 4 mois, ce n’est pas mon client. J’attends toujours mon tour.

15h02 : C’est la guerre autour de l’huissier. Une consœur me passe devant. P… de galanterie.

15h05 : Un prévenu de 19 ans se prend 18 mois ferme pour stups. Quand il comprend il crie : “maman ! Maman !” Sa mère est dans la salle.

15h12 : Affaire de violences avec armes (coups de couteau). La prévenue a 72 ans. Faut pas toucher à ses pigeons.

15h14 : La victime demande une expertise psy de Mamie Danièle. Ha bon ?

15h20 : Mamie Danièle dit que c’est elle la victime. Le proc : “c’est vous qui avez reçu le coup de couteau au sternum ?” Attention! Question piège.

15h24 : Mamie Danièle démontre brillamment à la barre que se taire n’est pas un si mauvais système de défense.

15h27 : “Je n’ai pas porté de coups de couteau. Je l’ai agité devant moi pour créer une zone de dissuasion”. Mamie Danièle rules !

15h29 : Plaidoirie de la partie civile : ” ce qu’a fait Mamie Danièle est parfaitement interdit”. C’est parfaitement exact.

15h34 : La partie civile a fini. Le juge : “heu alors vous demandez quoi au juste ?”

15h37 : Gros fail de la partie civile. Pas de mise en cause de la CPAM.

15h43 : Réquisitions du parquet : elle n’a pas de casier, mais comportement dangereux. 1 an sursis mise a l’épreuve.

15h44 : La défense n’est pas d’accord avec le parquet et la partie civile. Ça alors ?

15h45 : “Mamie Daniele est connue pour sa gentillesse et sa courtoisie”. Et sa zone de dissuasion.

15h48 : La défense s’échine à montrer que Mamie Daniele a toute sa tête. Pas sûr que ce soit une bonne défense.

15h50 : Ça y est le tribunal n’écoute plus.

15h51 : Un juge lit le dossier suivant, un autre se cure les ongles, le troisième discute avec lui. C’est le signe qu’il faut conclure.

15h57 : “vous relaxerez car vous n’avez pas de preuve objective hormis les blessures”. QUOI ??? 

16h00 : Affaire suivante : agression sexuelle dans le métro.

16h02 : Un type filé par la police ferroviaire qui soupçonnait un pickpocket se masturbe sur une jeune fille. #fail

16h06 : Arrêté par la police, il déclare grand seigneur : vous vous êtes trompés mais l’erreur est humaine. Pb: son sexe sortait encore du pantalon

16h10 : Au casier : une condamnation pour exhibition. “c’était un accident”. L’erreur est humaine.

16h12 : Il plaide coupable sur le fait qu’il n’avait pas de ticket. On salue l’honnêteté.

16h13 : L’expert diagnostique “des pulsions sexuelles mal contrôlées”. Il a bien gagné ses honoraires.

16h17 : Réquisitions : la victime est une touriste, elle va ramener une mauvaise image de la France. L’office du tourisme partie civile ?

16h18 : Requis 4 mois sursis mise a l’épreuve de deux ans, obligation de soin.

16h21 : La défense : “mon client voyageait sans ticket, il guettait les contrôleurs, ça l’a stressé”. Ah, l’érotisme des contrôleurs RATP.

16h22 : “L’incarceration que vous demandez serait dramatique” : c’est du sursis qui est requis !

16h22 : Je vous laisse, c’est à moi. Wish me luck !

16h32 : Fini. Épuisé. Bouche sèche. Peux pas rester au delibéré. 5 mois sursis et interdiction du territoire requis.

Les délibérés ont été rendus plus tard : Mamie Danièle a été reconnue coupable, condamnée à 4 mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve pendant deux ans, avec une obligation de soins. Pervers Pépère a été reconnu coupable et condamné à  4 mois de prison avec sursis mise a l’épreuve pendant 2 ans : obligations de travail et de soins, le tribunal a ordonné son inscription au FIJAIS. Quant à mon client… Secret professionnel.

Il n’est pas dit que je ne me prête pas à nouveau à l’exercice. Et mon compte twitter, c’est celui-là.

Allez et tweettez en paix, et surtout, n’ayez pas peur d’être libres.

jeudi 24 septembre 2009

Commentaire sur Voile Sur La République

France 2 diffuse ce soir un reportage, de la série “Infrarouge”, sur le thème de l’Islam en France, notamment à Lille.

Un passage vient d’être consacrée à l’affaire de cet Algérien inhumé contre l’avis de sa famille.

C’est peu dire que la présentation a été tendancieuse, comme à chaque fois qu’on donne la parole à la partie perdante.

Pour ceux que cette affaire aurait choqué, je l’avais expliquée en détail dans ce billet. Vous verrez qu’il y a une explication autre que la classique “la République cède face aux intégristes”. Mais c’est pas vendeur, c’est sûr. C’est du droit, c’est chiant.

Magist’ rature : Tu copies, t’es collé !


par Sub lege libertas


Un lecteur facétieux, et il n’est pas le seul, de ce blog attire notre attention sur une décision angoumoisine qui goûte peu qu’un juge d’instruction bien instruit du miracle informatique du copier/coller y trouve le moyen efficace de produire une ordonnance de renvoi devant un tribunal en reprenant, fautes d’orthographe comprises, la prose géniale, forcément puisqu’émanant, du Parquet. Comme cela ne lasse pas d’étonner les mékeskidis de découvrir que le respect de la procédure pénale n’est pas une ardente obligation, mais le froid devoir du magistrat, reprenons les éléments techniques de l’histoire pour en savourer la rigueur. Nous découvrirons ainsi la vie secrète d’Instrucastor et Proclux, les Dioscures de la procédure pénale.

Un juge d’instruction doit lorsqu’il estime son information judiciaire terminée, demander au procureur de prendre des réquisitions sur le règlement du dossier. En clair, une fois le boulot du juge fini à ses yeux, il sollicite l’avis du Parquet sur l’affaire. Ce n’est pas de la courtoisie, c’est la loi, et c’est logique puisque c’est le procureur qui a saisi le juge pour chercher les éléments à charge et à décharge concernant la commission d’une infraction et puisque c’est lui qui devra soutenir l’accusation si l’affaire doit être renvoyée devant un tribunal correctionnel ou une cour d’assises. Le procureur peut d’ailleurs à ce stade faire plusieurs choses.

D’abord ne rien faire : c’est mal, mais comme le législateur ne peut souffrir que le cours de la justice soit ralenti par un procureur paressant, le juge d’instruction peut après un délai de trois mois si personne n’est détenu provisoirement dans l’affaire, ou de un mois s’il y a un détenu, terminer son dossier en se passant de l’avis du procureur. Il n’y a sans doute que dans un parquet au pied marin que l’on prend le risque de voir le juge d’instruction mener seul sa barque au port.[1]

Ensuite retourner à l’envoyeur : c’est l’arroseur arrosé. Le juge estime avoir fini, le procureur lui demande de continuer ses investigations notamment en réalisant de nouvelles mesures d’instruction. Comme il n’y a pas de raison que le procureur soit plus entendu qu’un avocat qui peut faire aussi ce type de demande, le juge peut refuser par une ordonnance motivée et clore son dossier.

Enfin régler le dossier : c’est le grand oeuvre, le réquisitoire définitif de règlement. Deux hypothèses se présentent alors :

Primo, le procureur peut alors demander au juge de dire qu’il n’y a pas lieu à suivre : c’est le non-lieu. Bref, le procureur ne voit pas comment il peut aller devant un tribunal avec le dossier pour accuser quelqu’un car :
- soit il n’y a pas eu d’infraction commise,
- soit on n’a pas réussi à prouver suffisamment l’existence de tous les éléments de l’infraction,
- soit on n’a pas identifié l’auteur de l’infraction,
- soit on a un doute raisonnable sur l’implication d’un suspect…
Soit un peu de tout cela et pourquoi pas saupoudré de problèmes juridiques du genre prescription…

Secundo, le procureur peut demander le renvoi devant une juridiction d’une ou plusieurs personnes mises en examen, parce qu’il existe à leur encontre des charges suffisantes pour être soupçonnées d’avoir commis une ou plusieurs infractions précises qualifiées en droit et circonstanciées en fait. Le mékeskidi comprend alors : on a de fortes raisons de penser objectivement que Thomas Cusatort a - par exemple - commis un vol précédé accompagné ou suivi de violence au préjudice de Germaine Pamonsac - Chemmoy le 14 juillet 2009 à Cognac, alors il ira s’en expliquer au tribunal correctionnel… d’Angoulème, tiens nous y revoilà !

Cela rappelé, qu’est-ce qui peut bien chiffonner la robe angoumoisine ? C’est qu’après avoir sollicité l’avis du Parquet, après - non je n’oublie pas, cher maître Eolas - avoir recueilli les observations des avocats des mis en examen ou parties civiles sur l’avis du procureur, le juge doit prendre une ordonnance doctement rédigée pour clôturer son dossier et décider du remède à administrer aux suspects : non-lieu ou renvoi. /mode PaPrésidendelaRépublikMéPartiCivil / Un juge indépendant décide de renvoyer au tribunal le coupable, enfin je ne veux pas dire présumé…, ni innocent. /fin du modePPRMPC/. Et voilà alors que le juge est soumis à la tentation… non pas de donner tort au procureur, parce qu’éventuellement un avocat lui a écrit qu’il rêve à haute voix, cela s’appelle requérir. Ce n’est pas une tentation, c’est un supplice : il faut répondre point par point aux arguments du procureur.

Le supplice pourrait paraître doux si le Parquet se contentait en guise de réquisitoire définitif d’une ou deux phrases lapidaires, un peu stéréotypées, pour conclure en cochant sur un formulaire soit “requiert renvoi” soit “requiert non-lieu”. Seulement la pratique et la loi qui entre temps a ajouté que les réquisitions du Parquet doivent être motivées, ont conduit les parquetiers à faire du réquisitoire définitif, une pièce de bravoure. Ce n’est plus un avis, c’est un digeste : on y résume l’ensemble du dossier, les faits, les investigations réalisées. C’est l’accusation future qui décrit à l’imparfait le présent état de la procédure pour en prédire l’avenir.

Alors la tentation l’emporte : non seulement le juge se range aisément aux prédictions détaillées du procureur, mais comme tout cela est bien chantourné, loin de vouloir être original, il préfère la copie. Bien sûr, nous savons tous depuis l’école qu’on ne copie pas sur son voisin. Et je récuse par avance deux objections : non ce n’est pas parce qu’on pense la même chose d’un dossier, qu’on n’a pas une façon propre de penser, de présenter ses arguments, son raisonnement. Non le manque de temps n’est pas une excuse : c’est une réalité, mais c’est par manque de temps que le juge d’instruction a de plus en plus délégué l’information aux enquêteurs sur commission rogatoire ; si la décision finale sur la suite à donner à son travail de magistrat indépendant est déléguée au Parquet, autant le supprimer.[2]

D’ailleurs, le législateur avait imposé au juge de motiver son ordonnance. Et comme il pressentait peut-être sa motivation chancelante, il avait, dans un article 184 du Code procédure pénale, spécifié que l’ordonnance indique de façon précise les motifs pour lesquels il existe ou non contre la personne mis en examen des charges suffisantes. Alors, comme la loi disait qu’il fallait des motifs précisément détaillés, les juges ont contourné en cédant à la tentation de la copie. Soit le greffier retapait in extenso le texte du Parquet - en corrigeant d’ailleurs les fautes d’orthographe éventuelles. Soit il photocopiait les pages du réquisitoire et ne retapait que la page de garde et la finale pour la signature du juge. Je me souviens bien de ces opérations ciseau-colle à la photocopieuse unique au début de ma carrière…

Comme même cela prenait du temps, il y avait la formule magique : vu le réquisitoire définitif du Procureur de la République en date du …dont nous adoptons les entiers motifs, attendu qu’il en résulte contre X… charges suffisantes d’avoir à … le … (qualification juridique de l’infraction) Par ces motifs(sic) Ordonnnons… On ne copiait même plus, on disait au lecteur : va lire la copie du voisin !

Il restait aux avocats un seul espoir pour soulever l’irrégularité de l’ordonnance du juge pour défaut de motivation : que le greffier oublie de rajouter “dont nous adoptons les entiers motifs”… J’ai vu, il y a près de dix ans, deux présumés trafiquants d’héroïne qui, après plus de deux ans de détention provisoire, sont sortis libres de l’audience grâce à la lecture minutieuse par leur avocat de cette seule ligne manquante. Puis, l’ordinateur est arrivé et les disquettes de réquisitoire ont circulé, et bientôt les mails. La ficelle du copier-coller a délié des derniers scrupules du bricolage. On pouvait même uniformiser la police de caractère !

Mais le 5 mars 2007, le législateur a complété l’article 184 du Code de procédure pénale, car il avait autorisé les avocats à faire des observations sur les réquisitions du procureur. Alors il a cru bon devoir ajouter au sujet de la motivation du juge : Cette motivation est prise au regard des réquisitions du ministère public et des observations des parties qui ont été adressées au juge d’instruction en application de l’article 175, en précisant les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen. Il faut donc pour le juge répondre non seulement aux arguments du procureur mais aussi de l’avocat. Et en plus, il lui faut lister les arguments à charge et à décharge, ce que le Parquet ne fait pas culturellement sauf parfois certains traîtres génétiques dont je suis. Fin de la récré, on ne copie plus !

Et si on copie ? Et bien les juges angoumoisins ont raison de rappeler les exigences de la loi et d’en faire une stricte application : t’as copié, tu t’y recolles ! En effet, l’irrégularité de l’ordonnance pour insuffisance de motifs conduit à l’application de l’article 385 alinéa 2 du Code de procédure pénale : dans le cas où l’ordonnance qui a saisi le Tribunal n’a pas été (…) rendue conformément aux dispositions de l’article 184, le tribunal renvoie la procédure au ministère public pour lui permettre de saisir à nouveau la juridiction d’instruction afin que la procédure soit régularisée. Bref, le juge reprend sa copie, en ajoutant quelques lignes… au laïus du procureur : fors l’honneur, point de temps perdu !

Notes

[1] Pour mieux comprendre aller lire ici, çà et .

[2] Ce propos peut paraître très Léger à votre comité de lecteur, mais comme je ne peux rêver à haute voix que le nombre de magistrats soit haussé au niveau nécessaire pour qu’ils puissent réellement être à la hauteur d’exigence de leur fonction…

mardi 22 septembre 2009

Souci de cohérence

Les députés, c’est comme les enfants : on ne peut pas les laisser tranquille cinq minutes sans qu’ils fassent des bêtises.

Les députés, c’est comme les enfants : quand ils sont pris la main dans le pot de confiture, ils feignent de ne pas savoir que ce n’est pas bien.

Et cette fois, dans le rôle du pot de confiture, l’article L.7 du Code électoral.

Flashback.

La fin des années 80 et le début des années 90 ont été marqués par ce qu’on a appelé “les affaires”. La France n’a pas été la seule concernée : c’était l’époque de mani pulite en Italie. Mais alors que l’Italie se débattait contre des affaires de corruption, en France, il s’agissait de financement occulte des partis.

Le financement des partis était censé se faire exclusivement avec les cotisations des adhérents. Autant dire que pour financer des campagnes modernes (la France était tapissée d’affiches électorales en 1981 et 1988), c’était insuffisant. Alors c’était la débrouille. Le parti au pouvoir puisait dans les fonds spéciaux mis à la disposition discrétionnaire du premier ministre (supprimés par le Gouvernement Jospin) et tous demandaient des rétrocommissions, c’est à dire que les entreprises qui se voyaient attribuer un marché public devait en reverser une part au parti gérant la collectivité territoriale attribuant le marché (le RPR s’étant fait une spécialité des marchés de construction des HLM, je vous laisse calculer combien de logements sociaux auraient pu être construits avec les fonds détournés). L’affaire Urba (qui concerne le PS) va révéler que ces rérocommissions se montaient à pas moins de 30% du marché. Sans parler du PCF qui percevait des subsides de puissances étrangères (il prétendait que c’était la vente du muguet du 1er mai qui lui a permis de financer la construction de son siège, place du Colonel Fabien à Paris). 

Bref, c’était le contribuable qui payait in fine. Russe, dans le cas du PCF.

À la suite de l’affaire Luchaire en 1988 (une affaire de ventes d’armes à l’Iran pendant sa guerre avec notre allié l’Irak, la cessation des livraisons d’arme va entraîner une vague d’attentats de décembre 1985 à septembre 1986 qui feront 13 morts et 300 blessés), une première loi sur le financement des partis va être votée à la va-vite le 11 mars 1988. Elle pose le principe du financement public des partis représentés à l’Assemblée (cette loi permettra à jean-Marie Le Pen de financer sa campagne de 1988 alors qu’il n’avait pas pu être candidat en 1981) et autorise ceux-ci à recevoir des dons. 

Une deuxième loi du 15 janvier 1990 étend ce financement aux partis non représentés au parlement et plafonne les dons des personnes morales à 500.000 francs (ce qui ferait aujourd’hui un plafond de l’ordre de 100.000 euros actualisés). Surtout, cette loi portera une amnistie très controversée de tous les faits délictuels liés au financement des partis, votés malgré l’hostilité de l’opinion publique dans des conditions peu glorieuses (les députés socialistes étaient peu nombreux mais les absents avaient “oublié” leur clef de vote à leur pupitre).

Une loi du 29 janvier 1993 tentera d’interdire les dons des personnes morales (car des entreprises attributaires de marchés publics faisaient des dons spontanés aux partis des élus attribuant ces marchés, outre le fait que le financement de la vie publique ne faisant pas partie de l’objet de ces personnes morales, on tombait dans l’abus de biens sociaux) mais les députés se contenterotn de baisser les plafonds et de prévoir la publication des comptes de campagne.

Enfin, une loi Séguin du 19 janvier 1995, votée par la droite de retour aux affaires (c’est le cas de le dire) après la démission de trois ministres impliqués dans des affaires de financement (Gérard Longuet bénéficiera toutefois d’une relaxe), va interdire le financement par les personnes morales et fixer les règles encore en vigueur actuellement : plafonnement des dépenses, collecte des dons par un mandataire ou une association de financement qui règle les factures sans que le candidat ait accès à ces fonds, tenue d’une comptabilité qui doit être déposée et vérifiée par une commission, sous peine d’inéligibilité pendant un an (et donc perte du mandat en cas d’élection. Même au bout de 12 ans, certains se font encore avoir comme des bleus. Dans un élan d’ivresse vertueuse, le législateur va même voter l’article L.7 du Code électoral, nous y voilà, qui interdit pendant cinq ans l’inscription sur les listes électorales d’une personne condamnée pour certains délits (concussion, corruption, trafic d’influence, menace et intimidation sur fonctionnaire, détournement de bien public , et leur recel), tous liés au financement des partis.

Or c’est cet article L.7 qu’après 14 ans de réflexion que les députés se proposent d’abroger, par un amendement à la loi pénitentiaire, déposé en commission par le député SRC Jean-Jacques Urvoas, député dont mon ami Authueil, qu’on ne peut suspecter de sympathie pour le PS, salue la probité, que je ne mets pas en doute en ce qui me concerne. Ce député se désole sur son blog d’être au cœur d’une tempête médiatique qu’il estime injuste.

Il s’agit de l’amendement CL (pour Commission des Lois) 185. cet amendement est ainsi motivé : 

L’article L. 7 du code électoral prévoit, pour les personnes condamnées pour l’une des infractions visées aux articles 432-10 à 432-16, 433-1, 433-2, 433-3 et 433-4 du code pénal, une peine automatique de radiation des listes électorales pour une durée de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive. Cette peine dite accessoire déroge au principe posé par l’article 132-21 du code pénal, qui dispose que « l’interdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille mentionnés à l’article 131-26 ne peut, nonobstant toute disposition contraire, résulter de plein droit d’une condamnation pénale ».

Il apparaît nécessaire de mettre fin à cette incohérence entre deux textes législatifs.

Je m’en voudrais de pinailler. Ou alors, il faut que vous insistiez.

(La foule des lecteurs : Nous insistons, maître ! Pinaillez ! Pinaillez !)

Vraiment ?

Bon, si ça vous fait plaisir.

L’argument ne tient pas une seconde.

En effet, l’article 131-26 du Code pénal a été adopté en juillet 1992, dans le cadre de la réforme du code pénal. Soit deux ans et demi avant l’article L.7 du Code électoral (loi du 15 janvier 1995). Cette prétendue incohérence a été voulue et se règle aisément pour les juristes (vous allez voir qu’elle est de fait déjà réglée) puisque l’article L.7 dérogeait à l’article 131-26 qui lui était antérieur. L’article 131-26 a abrogé toute disposition antérieure prévoyant une privation des droits civils automatique. L’article L.7 en a réintroduit une. Cas pratique d’application de la loi dans le temps, programme de 1e année de droit. 

D’autant que la jurisprudence a clairement encadré la conjugaison de ces articles, grâce à Alain Juppé. Je vais y revenir tout de suite.

Car pour en finir avec ce souci de cohérence, un détail semble avoir, comment dirais-je ? échappé au législateur. Il y a un autre article dans le code électoral, l’article LO. 130 (L. signifie un article relevant d’une loi ordinaire, R. du pouvoir réglementaire, donc d’un décret en Conseil d’État, et LO d’une loi organique) prévoyant que 

Les individus dont la condamnation empêche temporairement l’inscription sur une liste électorale sont inéligibles pendant une période double de celle durant laquelle ils ne peuvent être inscrits sur la liste électorale.

Bref, toute personne frappée par l’article L.7 est non seulement privée du droit de vote (sauf à Secret Story) pendant 5 ans mais inéligible pendant 10 ans. C’est la peine de mort pour les politiques. 

Et Alain Juppé a senti passer le vent du boulet. C’était dans l’affaire des HLM des Hauts-de-Seine. En première instance, Alain Juppé, s’était vu appliquer le funeste article L.7 et par ricochet le LO 130. La République était menacée d’être privée du meilleur d’entre nous pendant dix ans. 

Heureusement, la cour d’appel de Versailles, dans un de ses rares accès de clémence, a écarté cette inéligibilité de dix ans en la réduisant à une inéligibilité de droit commun, en appliquant un article du code pénal (l’article 132-21 du code pénal) permettant au juge d’écarter toute peine d’interdiction automatique s’il l’estime opportun. Les plus cacochymes expérimentés de mes lecteurs se souviendront que j’avais traité de la question à l’époque (et hop, deux billets pour le prix d’un). Vous le voyez, le code pénal permet déjà en l’état au juge d’écarter l’inéligibilité de dix ans ou d’en relever le condamné s’il en fait la demande justifiée. Le droit actuel est donc parfaitement cohérent. Principe, exceptions. Si le législateur veut rétablir la cohérence, il peut aussi rajouter la mention “sans préjudice des dispositions de l’article L.7 du code électoral” à l’article 131-26 du Code pénal.

Par contre, l’abrogation de l’article L.7 aura pour effet automatique de relever de leur inéligibilité tous les élus frappés de cette sanction en application de cet article : application rétroactive de la loi pénale plus douce (rétroactivité in mitius disent les latinistes). D’où le reproche de loi d’amnistie déguisée : ça en aurait les mêmes effets.

En conclusion, la cohérence a bon dos. Et quand on est député, qu’on vote la loi et qu’on est en première ligne pour se voir appliquer l’article L.7, il ne faut pas s’étonner que la manœuvre ne passe pas inaperçue. Quant à trouver un député d’opposition à l’intégrité au-dessus de tout soupçon pour porter l’amendement, c’est là aussi une manœuvre classique. Sans réduire les qualités personnelles de cet élu, il est d’ailleurs assez facile d’avoir une réputation sans tâche quand on a été conseiller régional de Bretagne pendant 4 ans puis député pendant deux ans, sans jamais exercer de fonctions de direction dans un parti politique.

Et quand on se souvient que c’est cette même assemblée a voté les peines plancher, c’est-à-dire le principe d’une peine de prison minimale automatique, on voit qu’en effet, sa volonté d’abroger une peine d’inéligibilité automatique montre bien que la cohérence n’a jamais été le souci premier de l’assemblée nationale.

Mise à jour : 

Jean-Jacque Urvoas semble avoir réalisé qu’il s’est embarqué dans une mauvaise affaire et finalement souhaite le rejet de son amendement en commission mixte paritaire.

Authueil revient sur cette affaire dans un deuxième billet rédigé avant la publication du mien.

dimanche 20 septembre 2009

Douteuse initiative

Rue 89 m’apprend (Essonne : la délation par mail dans les quartiers passe mal, par Pierre Haski) que la Direction Départementale de la Sûreté Publique (La Sûreté Publique est une des divisions de la Police Nationale, la plus grande et la plus connue : les policiers de nos commissariats qui mettent le deux tons le dimanche à l’heure de la sieste pour dévaler une rue déserte, c’est eux) a mis à disposition des citoyens une adresse e-mail pour dénoncer les infractions dont ils ont connaissance, avec invitation à joindre photos et vidéos pouvant servir de preuve. Confidentialité garantie précise l’affichette reproduite ci-contre. Sous l'entête République Française, ministère de l'intérieur, de l'Outre Mer et des collectivités territoriales, Direction Départementale de la Sureté Publique de l'Essonne : Aidez la police nationale dans son action au service des citoyens. Vous pouvez transmettre vos renseignements (témoignage, photo, vidéo) à l'adresse suivante : (…) Confidentialité garantie. Poil au zizi. Non, cette dernière phrase n'y est pas, il est d'usage que je mette un peu d'humour dans mes textes alternatifs comme Easter Egg pour ceux qui auront la curosité de le lire ou pour les malvoyants qui ont droit à ce petit privilège.

L’article parle de la polémique suscitée par cette initiative. Certains y voient un retour de la délation, passée de mode depuis quelques décennies après avoir été en vogue quelques années, d’autres un constat d’échec et la conséquence de la suppression irréfléchie de la police de proximité par l’ancien ministre de l’intérieur. Bref, argumentation morale et politique.

Mais qu’en pense le juriste ? Vous allez voir que s’il n’a rien à redire au principe, les modalités choisies lui semblent en délicatesse avec la loi, ce qui est tout de même un comble.

Sur le principe, commençons par quelques définitions juridiques.

Le droit distingue la plainte de la dénonciation, la délation n’étant pas du vocabulaire juridique.

La différence est simple : la plainte émane de celui qui se prétend victime : à ce stade, il n’est que plaignant, il ne deviendra victime qu’une fois l’infraction établie par un jugement, d’où l’abus de langage des associations de victimes et des avocats se disant au service des victimes : ils sont essentiellement au service des plaignants, mais c’est vrai que c’est moins sexy. La dénonciation émane d’un tiers, qui porte à la connaissance des autorités une infraction dont il a été témoin mais qui ne le concerne pas directement.

La dénonciation a mauvaise presse. Dès l’école maternelle, nous sommes soumis à une pression sociale décourageant la dénonciation et la plainte qui lui est assimilée. On devient un rapporteur, un cafteur, bref, on se fait mettre au ban de la classe. Cette même pression existe durant toute l’enfance et l’adolescence. La dénonciation est vécue comme un acte de lâcheté, comme la preuve que l’on n’est pas assez fort pour régler ses problème soi même. Cette inhibition perdure bien sûr à l’âge adulte, et devient même une règle fondamentale chez les délinquants. Malheur à celui qui en prison a une réputation de “balance”. Alors que personne ne voit que c’est un mécanisme de défense très simple du fautif : “oui, j’ai fait une bêtise, mais lui, il m’a dénoncé, c’est pire ; en fait, je suis la victime”.

Eh bien il est temps de tordre le cou à cet état de fait. La dénonciation ne doit pas être entachée d’opprobre. Cela peut surprendre dans la bouche d’un avocat, mais seulement ceux qui pensent qu’un avocat est quelqu’un qui favorise la délinquance et ne rêve que d’impunité. Demandez-vous à qui profite le crime (façon de parler ici). Un jeune homme rackette ses petits camarades à l’école. Ses victimes n’osent pas porter plainte, leurs camarades n’osent pas le dénoncer. Qui profite objectivement de cette situation ? Cette omerta est-elle civique ?

Dans une société démocratique, nous avons renoncé à nous faire justice à nous même, nous avons abandonné le recours à la violence et confié l’exerce de toute contrainte à l’État qui seul peut y avoir légalement recours (hormis quelques hypothèses où l’urgence impose une réaction violente comme la légitime défense). L’État doit protéger toute personne se trouvant sur son territoire, et punir ceux qui violent la loi, selon les formes et modalités prévues par cette même loi.

Quoi qu’en pensent certains de nos concitoyens qui sonnent le tocsin dès qu’ils entendent le nom du président de la République, nous ne vivons pas dans un état policier, nonobstant la politique volontiers répressive adoptée par l’actuel Gouvernement, politique dont je dis régulièrement ici le mal que je pense. Donc, la police n’a pas les moyens de découvrir par elle-même toutes les infractions. J’ajoute que certaines sont par leur nature très difficile à déceler par la police. Par exemple, les violences conjugales, qui ont lieu dans un cadre familial et donc privé. Vous pouvez multiplier par dix les patrouilles sur la voie publique, les maris violents ne seront pas inquiétés. 

Il n’y a donc rien de choquant qu’un citoyen porte à la connaissance de la police les infractions dont il a connaissance (sous une petite réserve personnelle, ci-après). Tout discours renvoyant aux heures les plus sombres de notre histoire, ou faisant de ces citoyens des mouches à l’affût, caméra à la main derrière leur rideau relève de cette même pression sociale qui favorise paradoxalement les comportements associaux. 

Tout au plus peut-on faire une distinction entre les actes qui font des victimes et ceux qui n’en font pas. Dénoncer des violences, je ne vois pas de quoi froncer les sourcils. Dénoncer un sans-papier ou un port illégal de décoration, délits qui ne font pas de victimes, me laisse plus réservé. Pour ceux qui me répondront que la loi c’est la loi et que les sans-papiers sont des délinquants comme les autres, je répondrai que le délit consiste uniquement à ne pas avoir une autorisation que l’administration délivre arbitrairement, ce qui revient à dire que c’est l’administration qui décide qui est délinquant et qui ne l’est pas, et j’ajouterai que vue la quantité d’annulations de ces décisions que j’obtiens, je considérerai les sans papiers comme des délinquants le jour où les préfectures respecteront la loi en la matière. Et bien sûr j’exclus tout acte de dénonciation fait en violation du secret professionnel, ce qui est un délit. J’anticipe les commentaires qui ne manqueront pas sur ce dernier point, comme d’habitude.

Revenons-en à notre dénonciation électronique. Sur le principe, donc, rien à dire. 

Mais deux points me font tiquer.

D’abord, la mention confidentialité garantie. C’est une promesse qui ne peut être tenue. Si la dénonciation débouche sur des poursuites, c’est un droit fondamental de la défense que d’être confronté à son accusateur, c’est-à-dire de savoir qui est à l’origine de la dénonciation (cela peut d’ailleurs avoir des conséquences sur la régularité de la procédure). L’avocat de la défense aura le droit d’avoir accès à ce courrier électronique initial. Et il pourra et la plupart du temps devra le communiquer à son client pour avoir ses observations sur ce point. Ajoutons le cas où la personne dénonce des faits faux pour se venger d’un ennemi. Il commet alors le délit de dénonciation calomnieuse, puni de cinq ans de prison, et cette promesse de confidentialité ne saurait faire obstacle à l’identification du dénonciateur par la police. Et même dans l’hypothèse où le dénonciateur croit de bonne foi que son voisin qui salit sa terrasse en arrosant ses pétunias est un dangereux tueur en série, ce qui exclut la dénonciation calomnieuse, une dénonciation à la légère est une faute civile susceptible d’engager sa responsabilité et exposant le fautif à devoir payer des dommages-intérêts à l’objet de sa dénonciation. Vous le voyez : refuser de communiquer l’identité de l’auteur du mail de dénonciation serait dans bien des hypothèses illégal. 

Ensuite, cette invitation à joindre des photos et des vidéos me pose un problème s’il s’agit de faits de violence. Là, on est dans la provocation à la commission de délits.

En effet, l’article 222-33-3 du Code pénal, créé par une loi du 5 mars 2007 afin de lutter contre le happy slapping (quelqu’un sait si ce délit a été poursuivi au moins une fois ?) qualifie de complicité le fait d’enregistrer sciemment, par quelque moyen que ce soit, sur tout support que ce soit, des images relatives à la commission de ces infractions. Il punit de cinq ans de prison le fait de les diffuser, mais les envoyer comme pièce jointe à un e-mail n’est pas un acte de diffusion, un courrier électronique étant une correspondance privée. 

Vous me direz que l’alinéa 3 prévoit que le présent article n’est pas applicable lorsque l’enregistrement ou la diffusion résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public ou est réalisé afin de servir de preuve en justice.

Certes, mais la loi pénale est d’interprétation stricte, même dans ses exceptions. Il faut que l’image soit réalisée afin de servir de preuve en justice. Le fait d’envoyer l’image à la police à l’appui de la dénonciation de faits délictuels ne constitue pas à proprement parler une réalisation afin de servir de preuve en justice, ne serait-ce que parce que la personne qui les réalise ne sera pas partie à l’éventuel procès qui n’est même pas engagé au moment où les images sont prises. 

Ajoutons que si la personne filme des faits se passant dans un lieu privé, comme l’appartement du voisin, il commet le délit d’atteinte à la vie privée (art. 226-1 du code pénal : 1 an de prison et 45000 euros d’amende). La loi ne prévoit aucune exception si les images sont réalisées afin de servir de preuve en justice.

Bref, un bon moyen de faire d’une pierre deux coups : la dénonciation permet de poursuivre un délit (un bâton pour les stats) ET de poursuivre le dénonciateur (un deuxième bâton dans la case). La DDSP91 va faire péter ses chiffres cette année, et le préfet de l’Essonne est sûr de ne pas devoir aller voir Brice tout rouge lui souffler dans les bronches.

vendredi 18 septembre 2009

Dissolution de la dissolution : réaction en commission des lois

Les députés de la commission des lois ont abordé au cours de la réunion de la commission du 16 septembre dernier l’affaire de la suppression de la peine de dissolution des personnes morales coupables d’escroquerie.

Il ressort des explications du président de la commission, Jean-Luc Warsmann que c’est bien lui qui a introduit cette disposition, qui n’a pas été voulue par la Chancellerie. Au passage, on se demande naïvement de ce que la Chancellerie ait son mot à dire dans une proposition de loi qui est purement parlementaire, la Chancellerie pouvant déposer des projets de loi, et elle ne s’en prive pas. Évidemment, il faut y lire l’aveu de ce que cette proposition de loi a été pour l’essentiel rédigée par les services du Gouvernement.

Le président Warsmann réfute toute influence de l’Église de Scientologie dans cette affaire, et je veux bien le croire. Il explique avoir voulu rétablir une échelle des peines cohérente, ayant relevé huit infractions plus sévèrement punies que l’escroquerie pour lesquelles la dissolution était écartée par la loi. Sauf que la rédaction choisie écarte la dissolution pour l’escroquerie en bande organisée, qui est punie du maximum délictuel (10 ans de prison pour une personne physique). En fait, cette phrase trahit à mon sens ce qu’a été son erreur d’appréciation : après avoir rappelé que personne n’avait parlé de la Scientologie lors des débats (il faut dire que personne n’a parlé de cet article lors des débats), il ajoute

D’autre part, l’incrimination d’escroquerie porte généralement sur des affaires concernant le droit commercial ; quand il s’agit de personnes morales, ce sont plutôt des entreprises qui sont concernées, pas des associations.

Où l’on voit que la droite a toujours pour les entreprises commerciales les yeux de Chimène et pour la justice les yeux de Stevie Wonder.

Le président Warsmann a donc tremblé à l’idée qu’une entreprise condamnée pour une petite escroquerie puisse être dissoute, jetant à la rue des employés innocents. Où l’on voit que l’on peut faire la loi sans avoir une bonne idée de son application. Et que le législateur n’a décidément aucune confiance dans les juges.

La peine de dissolution est la peine de mort des personnes morales. Les juges savent parfaitement tout ce que cela implique. Liquidation du patrimoine qui est dévolu à l’État, licenciement économique du personnel, etc. C’est donc la peine la plus élevée applicable aux personnes morales. Et comme le principe de personnalisation des peines (chaque peine doit être adaptée entre autres à la personnalité et la situation personnelle du condamnée) s’applique aussi aux personnes morales, elle n’est prononcée que dans des cas extrêmes (8 fois ces 10 dernières années). Et qu’est-ce qu’un cas extrême ? C’est une personne morale qui n’a été constituée QUE dans l’objet de réaliser une ou des escroqueries, ou dont la seule activité consiste à réaliser ces escroqueries, qui n’ont aucune utilité sociale (étant entendu qu’une société commerciale a une utilité sociale). Aucun juge n’envisagera un seul moment de dissoudre une société commerciale florissante qui emploie de nombreux salariés parce que son PDG a fait des fausses fiches de paie pour permettre à sa nièce enceinte de bénéficier des indemnités journalières du congé maternité.

Voilà la conséquence tragique de cette défiance du législatif et de l’exécutif envers les juges. En voulant retirer une arme dangereuse aux juges, dont ils n’ont jamais fait un mauvais usage en 15 ans mais on sait jamais, on provoque des conséquences inattendues.

Heureusement, nos parlementaires croient à la vertu de l’exemple et assument courageusement leur responsabilité.

Vous avez deviné, je plaisante. Non seulement Jean-Luc Warsmann va dire que ce n’est pas sa faute, mais en plus il va dire que celui qui a fait une bourde, en fait, c’est le magistrat du parquet.

Vous ne me croyez pas ?

Chapitre un : ce n’est pas ma faute.

D’abord, la vertu outragée, ou, “j’ai peut-être merdé mais ce n’est pas une raison pour me parler comme ça”.

Pourriez-vous faire savoir à M. Ayrault, de ma part, qu’il a dépassé toutes les limites acceptables lors de la conférence de presse qu’il a donnée : suggérer que le président de la Commission des lois que je suis ait pu faire preuve de « complaisance » à l’égard de l’Église de scientologique est proprement écœurant.

Bon, on peut avoir ses susceptibilités, et je veux bien admettre que la violence de l’indignation causée par cette affaire a été disproportionnée à l’égard de Jean-Luc Warsmann, qui a dû en prendre plein la figure. Tout le monde, à commencer par un avocat, et même un député, peut commettre une erreur, ou faire quelque chose sans envisager toutes les conséquences, Que je sache, Jean-Luc Warsmann a une excellente réputation à l’assemblée : c’est un député honorable, actif et bosseur, respectueux de l’opposition et ouvert ; je ne pleurerais pas si l’Assemblée était composée de 577 Jean-Luc Warsmann. Mais commencer par se plaindre quand on est pris en faute n’est pas forcément ce qu’on peut attendre à ce niveau de responsabilité.

Ensuite : c’est pas vraiment moi, c’est plutôt tout le monde.

Comme je l’ai indiqué, la rédaction qui a été adoptée est celle de la proposition de loi que j’avais déposée – je l’assume totalement. Et je le répète : cette disposition n’a jamais fait l’objet de la moindre observation ou de la moindre remarque au cours du processus législatif. Étienne Blanc peut en attester, et c’est également ce que montrent les mails que j’ai de nouveau consultés depuis que cette polémique a été lancée par certaines personnes avant tout préoccupées de se faire de la publicité.

Arrêtez-moi ou je fais un malheur et ce sera votre faute, en somme.

Il est vrai que dans cette affaire, aucun garde-fou n’a fonctionné. Comme on l’a vu, personne n’a eu l’idée de démanteler l’article en question pour réaliser que le 33° pouvait avoir des conséquences sur cette affaire en cours, mais aussi mettre à l’abri tous les mouvements sectaires s’étant rendus coupables d’escroquerie. Mais l’absence de garde-fou effectif n’autorise pas à se comporter comme un fou. Et le fait que tout le monde soit fou à l’assemblée n’est pas non plus une excuse.

Bref, conclut le président Warsmann :

je voudrais remercier ceux qui ont évoqué la notion d’erreur collective et la nécessité d’être solidaire.

Tant il est vrai qu’en politique, on aime assumer les erreurs des autres.

Mais la meilleure défense, c’est l’attaque. Haro sur le baudet. En fait, c’est le procureur qui a fait n’importe quoi.

Chapitre II : Blâmez le procureur

Là, je m’insurge : c’est une atteinte au monopole de la profession d’avocat.

Le problème, vont dire les députés, ce n’est pas que la dissolution ait été supprimé comme un seul homme (un Monsieur Jourdain en l’occurrence), mais que le procureur l’ait requis ! Dame ! S’il avait requis autre chose, personne n’aurait relevé la disparition de la peine.

La première salve vient de Dominique Perben (UMP), ancien garde des sceaux :

Ne simplifions pas à l’extrême : si le Parquet n’a pas suivi l’évolution de la loi, ce n’est pas la faute de la Commission. Il aurait été tout à fait été possible de requérir une mesure d’interdiction. Notre commission n’a pas à endosser une responsabilité qui n’est pas la sienne.

Le Parlement a exercé sa responsabilité ; c’est maintenant à la chancellerie qu’il revient d’expliquer comment le Parquet a pu être conduit à requérir une sanction qui n’existait plus.

Et pourquoi pas saisir le CSM au disciplinaire, pendant qu’on y est ?

Ce n’est plus haro sur le baudet, c’est le coup de pied de l’âne. L’assemblée connaît ses classiques.

Jean-Luc Warsmann n’a plus qu’à jouer les grands seigneurs en volant au secours du parquetier, sans oublier quand même de froncer les sourcils : il a en effet horreur des erreurs des autres.

S’agissant des réquisitions du Parquet, on peut penser que le magistrat concerné s’est servi d’une version « papier » du code, qui n’était pas à jour, au lieu de consulter la version électronique. Sans cela, le Parquet aurait pu requérir une interdiction d’exercer directement ou indirectement toute activité en France à l’encontre de l’Église de scientologie. L’intérêt de cette mesure est qu’elle permet de viser les activités localisées dans d’autres pays que le nôtre, contrairement à la peine de dissolution. Si le Parquet avait requis cette mesure, aucune polémique n’aurait vu le jour ; la presse aurait sans doute trouvé, au contraire, que le Parquet y allait fort.

Comme Dominique Perben, je souhaiterais que la chancellerie nous explique ce qui s’est passé au Parquet de Paris : comment se fait-il qu’une peine n’existant plus ait été requise ?

Mais il n’y a qu’à demander, monsieur le président. Parce que les magistrats ne lisent pas mieux le JO que les députés ne lisent les propositions de loi. Les parquetiers n’ont pas le temps de prendre leur stylo et de griffonner en marge de leurs codes tous les changements géniaux que vous votez sans réfléchir. Le seul article 124, celui qui contenait la disposition funeste, modifie 53 articles du code pénal (et deux du code de procédure pénale). Et la version électronique met quelques semaines à être mise à jour. Enfin, vu que personne n’a réalisé ce qu’il votait, qui donc était censé avertir le procureur qu’une peine avait disparu à quinze jours de l’audience ? Rappelons que même l’avocat de la Scientologie n’avait pas soulevé dans sa plaidoirie que la peine requise était juridiquement impossible.

Là, je trouve Jean-Luc Warsmann gonflé, et je pèse mes mots.

Non seulement il n’assume pas sa responsabilité bien qu’il affirme le contraire puisque pour lui, c’est une responsabilité collective (et quand c’est la faute à tout le monde, c’est la faute à personne), mais en plus, il se scandalise que le parquet ne réalise pas immédiatement ce que lui même ne réalisera que quand la MIVILUDES sortira l’affaire.

C’est un peu comme l’affaire Hortefeux : la faute est lamentable mais excusable ; ce qui est pire que tout, ce sont les excuses invoquées. Un épisode qui ne grandit pas ceux qui y sont mêlés.

Et pour les fines bouches, il y a un chapitre 3.

Chapitre 3 : de toutes façons, il y a pire : il y a une peine moindre.

Plusieurs intervenants vont se rassurer en disant que de toutes façons, il reste la possibilité de prononcer la peine d’interdiction d’exercice, qui à la limite serait même mieux que la dissolution (on se demande alors pourquoi cet empressement à la rétablir).

Jean-Paul Garraud (UMP) :

Que le Parquet ait commis une erreur dans ses réquisitions, comme cela arrive parfois, cela n’empêchera nullement la juridiction de jugement de prononcer des peines d’interdiction à l’encontre de l’association en cause, ce qui aura à peu près le même effet.

“À peu près”. On appréciera la rigueur juridique du législateur en action.

Daniel Vaillant (SRC) :

Mais force est de reconnaître qu’il existe un véritable problème, lequel ne résume pas à une défaillance de vigilance sur ce texte. Le Parquet n’a pas fait les réquisitions qui convenaient. Nous devons également nous demander, sur le fond, si la dissolution est un meilleur instrument de lutte contre les sectes que l’interdiction.

Heureusement, toute raison n’a pas encore déserté le Palais-Bourbon :

Alain Vidalies (SRC) :

D’un point de vue juridique, on ne peut pas prétendre, comme l’a suggéré Jean-Paul Garraud, que l’interdiction emporte des effets identiques à ceux d’une dissolution. Si la loi faisait mention de deux peines distinctes, c’est qu’il y avait une différence de degré. J’aimerais savoir ce qu’en pensent les membres de l’UMP ici présents : sont-ils d’accord avec la garde des sceaux, qui affirmait hier la nécessité de réintroduire la dissolution dans l’arsenal pénal ? Il me semble que c’est notre devoir de le faire.

François Bayrou (non inscrit) :

Il me vient toutefois une question de Béotien : la dissolution n’emporte-t-elle pas une conséquence différente en matière patrimoniale ? Si tel est le cas, on voit quel est l’intérêt pour les entités relevant de la scientologie d’échapper à la dissolution.

Les critiques sont pertinentes. La dissolution et l’interdiction ne sont pas du tout la même chose.

C’est pourtant ce que vont tenter de démontrer Jean-Luc Warsmann et Étienne Blanc, les Laurel et Hardy de la séance :

Jean-Luc Warsmann :

Le Parquet aurait pu requérir une interdiction d’exercer directement ou indirectement toute activité en France à l’encontre de l’Église de scientologie.

Amusant d’ouïr le président fustiger ce procureur qui requiert des peines illégales avant de lui suggérer de requérir une peine illégale.

L’article 131-39, 2° du code pénal prévoit la peine d’interdiction, ainsi définie. le tribunal peut prononcer

2° L’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales ;

Une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales. La loi ne permet pas de prononcer une interdiction de toute activité. Seulement de certaines, celles qui ont permis la commission de l’infraction. Et comment définit-on une activité sectaire ? Un tribunal ne peut pas interdire à l’Église d’enseigner la dianétique, l’enseignement de la parole de L. Ron Hubbard ou la fascinante vie et œuvre de Xenu, dictateur de la Confédération galactique qui a commis un génocide sur notre planète à coups de bombes nucléaires dans les volcans de Hawaï (je n’invente rien). Ce ne sont pas des activités professionnelles ou sociales, et la liberté de conscience s’y oppose.

Étienne Blanc : 

Les faits reprochés à l’Église de scientologie sont susceptibles de recevoir plusieurs qualifications juridiques. Elle est poursuivie pour escroquerie, mais elle pourrait également l’être pour abus de biens sociaux et pour vol.

Heu… Non. D’abord, la qualification des faits a fait l’objet d’un débat au cours de l’instruction, et si d’autres qualifications étaient possibles, elles auraient pu être relevées jusquà la clôture des débats. Ensuite, l’Église de scientologie étant une association, elle ne peut commettre d’abus de biens sociaux, réservé aux dirigeants de droit et de fait de sociétés commerciales de capitaux (S.A., SARL, SAS). Et ça donne des leçons aux parquetiers. 

S’agissant de l’Église de scientologie, organisation qui dispose de ramifications partout dans le monde – au Danemark, en Suisse ou encore en Belgique –, l’arme de la dissolution ne serait qu’un sabre de bois : nous ne pouvons pas dissoudre des associations ayant leur siège dans des pays étrangers. L’outil le plus opérant, c’est l’interdiction d’exercer ses activités.

Eh oui : on ne peut pas dissoudre des assocations situées à l’étranger mais on peut leur interdire toute activité. Magie vaudou. 

Argument à côté de la plaque : l’Église de Scientologie est composée en France d’associations loi 1901 toutes domiciliées sur le territoire de la République. Il suffit de lire le JO

Mais laissons travailler les députés. Ils doivent encore adopter définitivement la loi HADOPI 2, pour nous montrer que quand ils veulent, ils peuvent faire du bon travail. 

Heu, non, oubliez ce que je viens de dire.

mardi 15 septembre 2009

Simplifions le droit : sauvons la Scientologie

Alors que Jean-Luc Warsmann, président de la Commission des Lois, vient de déposer sa troisième proposition de loi de simplification du droit (enfin quand je dis “sa” proposition de loi, je me comprends : vu le pavé de ces textes, il est évident que ce sont les services du gouvernement qui rédigent, Jean-Luc Warsmann jouant les porteurs d’eau), une anecdote peut-être pas si anecdotique que ça vient opportunément attirer l’attention sur le danger de ces lois fourre-tout, passées par proposition de loi donc sans examen par le Conseil d’État (la proposition Warsmann 3 sera bien soumise au Conseil d’État, grâce à la réforme Constitutionnelle de juillet 2008). On en arrive à faire voter n’importe quoi au législateur sans que celui-ci ait la moindre idée de ce qu’il vote.

Démonstration. Qui peut faire frémir car elle touche au droit pénal.

Tout commence le 5 août 2008 par le dépôt de la deuxième proposition de loi “simplification du droit”, sous le numéro 1085. 50 articles touchant à tout, qui finiront à 140 dans la loi promulguée (loi n°2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures).

Parmi eux, l’article 124. En voici le texte, vous allez tout de suite voir le problème, ça saute aux yeux.


I. ― Le code pénalest ainsi modifié : 
1° Les deux premiers alinéas de l’article 213-3 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, de crimes contre l’humanité encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
2° Les trois premiers alinéas de l’article 215-3 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent sous-titre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
3° Les quatre premiers alinéas de l’article 221-5-2 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
4° Les quatre premiers alinéas de l’article 221-7 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à l’article 221-6 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2°, 3°, 8° et 9° de l’article 131-39. » ; 
5° Les quatre premiers alinéas de l’article 222-6-1 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent paragraphe encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
6° Les quatre premiers alinéas de l’article 222-16-1 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent paragraphe encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
7° Les trois premiers alinéas de l’article 222-18-2 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent paragraphe encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
8° Les quatre premiers alinéas de l’article 222-21 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies par la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2°, 3°, 8° et 9° de l’article 131-39. » ; 
9° Les quatre premiers alinéas de l’article 222-33-1 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 222-22 à 222-31 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
10° Les quatre premiers alinéas de l’article 222-42 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 222-34 à 222-39 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
11° Les trois premiers alinéas de l’article 223-2 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à l’article 223-1 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2°, 3°, 8° et 9° de l’article 131-39. » ; 
12° Les trois premiers alinéas de l’article 223-7-1 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
13° Les quatre premiers alinéas de l’article 223-9 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à l’article 223-8 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
14° Les trois premiers alinéas de l’article 223-15-1 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
15° Les quatre premiers alinéas de l’article 223-15-4 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
16° Les trois premiers alinéas de l’article 225-4 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à l’article 225-2 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 5°, 8° et 9° de l’article 131-39. » ; 
17° L’article 225-4-6 est ainsi rédigé : 
« Art. 225-4-6.-Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
18° L’article 225-12 est ainsi rédigé : 
« Art. 225-12.-Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 225-5 à 225-10 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
19° Les quatre premiers alinéas de l’article 225-12-4 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
20° Les deux premiers alinéas de l’article 225-16 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 225-13 à 225-15 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
21° L’article 225-16-3 est ainsi rédigé : 
« Art. 225-16-3.-Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 225-16-1 et 225-16-2 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 4° et 9° de l’article 131-39. » ; 
22° Les trois premiers alinéas de l’article 225-18-1 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 225-17 et 225-18 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
23° Les trois premiers alinéas de l’article 226-7 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
24° Les trois premiers alinéas de l’article 226-12 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, de l’infraction définie à l’article 226-10 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
25° Les quatre premiers alinéas de l’article 226-24 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 5° et 7° à 9° de l’article 131-39. » ; 
26° Les quatre premiers alinéas de l’article 226-30 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 5° et 7° à 9° de l’article 131-39. » ; 
27° Les quatre premiers alinéas de l’article 227-4-1 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 9° de l’article 131-39. » ; 
28° L’article 227-14 est ainsi rédigé : 
« Art. 227-14.-Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 1° à 3°, 8° et 9° de l’article 131-39. » ; 
29° L’article 227-17-2 est ainsi rédigé : 
« Art. 227-17-2.-Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 227-15 à 227-17-1 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
30° Les quatre premiers alinéas de l’article 227-28-1 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 227-18 à 227-26 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 5° et 7° à 9° de l’article 131-39. » ; 

31° Les trois premiers alinéas de l’article 311-16 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
32° Les quatre premiers alinéas de l’article 312-15 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
33° Les quatre premiers alinéas de l’article 313-9 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 313-1 à 313-3 et à l’article 313-6-1 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 9° de l’article 131-39. » ; 
34° Les quatre premiers alinéas de l’article 314-12 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 314-1 et 314-2 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
35° L’article 314-13 est ainsi rédigé : 
« Art. 314-13.-Les personnes morales déclarées responsa-bles pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 314-5, 314-6 et 314-7 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 8° et 9° de l’article 131-39. » ; 
36° L’article 321-12 est ainsi modifié : 
a) Les trois premiers alinéas sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 321-1 à 321-4, 321-7 et 321-8 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
b) Au dernier alinéa, la référence : « 1° de l’article 131-37 » est remplacée par la référence : « 2° de l’article 131-39 » ; 
37° Les quatre premiers alinéas de l’article 322-17 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, la peine prévue par le 2° de l’article 131-39, pour une durée de cinq ans au plus dans les cas prévus par les articles 322-1, 322-3, 322-5, 322-12, 322-13 et 322-14 et sans limitation de durée dans les cas prévus par les articles 322-6 à 322-10. » ; 
38° Les quatre premiers alinéas de l’article 323-6 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
39° Les trois premiers alinéas de l’article 324-9 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 324-1 et 324-2 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
40° Les quatre premiers alinéas de l’article 414-7 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent titre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
41° Les quatre premiers alinéas de l’article 422-5 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent titre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
42° Les quatre premiers alinéas de l’article 431-20 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
43° Les trois premiers alinéas de l’article 433-25 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux sections 1, 6, 7, 9 et 10 du présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
44° Les quatre premiers alinéas de l’article 436-5 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, de l’infraction définie à l’article 436-2 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
45° Les quatre premiers alinéas de l’article 441-12 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
46° Les trois premiers alinéas de l’article 442-14 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
47° Les trois premiers alinéas de l’article 443-8 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
48° Les trois premiers alinéas de l’article 444-9 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
49° Les trois premiers alinéas de l’article 445-4 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 445-1 et 445-2 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 : » ; 
50° Les quatre premiers alinéas de l’article 450-4 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, de l’infraction définie à l’article 450-1 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
51° Les trois premiers alinéas de l’article 511-28 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39. » ; 
52° Les quatre premiers alinéas de l’article 717-3 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux deux premiers alinéas de l’article 717-2 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 6° et 9° de l’article 131-39. » ; 
53° Les quatre premiers alinéas de l’article 727-3 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux deux premiers alinéas de l’article 727-2 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 6° et 9° de l’article 131-39. » 
II. ― Le code de procédure pénale est ainsi modifié : 
1° La dernière phrase du deuxième alinéa de l’article 60-1 est supprimée ; 
2° Les deux dernières phrases de l’avant-dernier alinéa de l’article 60-2 sont supprimées.

Comment ça, c’est pas évident ? Vous croyez que les députés qui se sont intéressés au texte n’ont pas tout scrupuleusement vérifié ?

Vous avez raison. 

Décomposons une formidable bourde ou un extraordinaire scandale.

C’est au I, 33° que se noue notre intrigue.

La loi prétend poursuivre un noble but. En effet, le Code pénal de 1994 a instauré dans notre droit la responsabilité pénale des personnes morales. Une personne morale, c’est une création de la loi, une entité juridique qui a des droits et un patrimoine, comme une personne physique. Ce sont les sociétés, civiles ou commerciales, les associations à but non lucratif ou cultuelles, les syndicats ; mais il y a aussi des personnes morales publiques, à commencer par l’État, les départements, les Régions, les communes, les autorités administratives indépendantes (comme la HADOPI…), etc. On oppose personne morale à personne physique comme vous et moi. 

Une société, une association, une commune peuvent être pénalement condamnées. Toutes les personnes morales sauf l’État parce que c’est comme ça, on n’est jamais trop prudent (article 121-2 du Code pénal). Vous n’imaginez pas la révolution juridique que ça a été. 

Évidemment, une personne morale n’étranglera jamais une personne physique. Donc dans un premier temps, le législateur a prévu que la loi devait expressément indiquer que tel délit pouvait être imputé à une personne morale. Puis il s’est avisé que la réalité avait plus d’imagination que lui, et qu’il pouvait compter sur le juge pour éviter des résultats absurdes. Il a donc levé cette règle en mars 2004. Désormais, toute infraction peut être commise par une personne morale.

Conséquence, le code pénal contenait des dispositions caduques déclarant expressément tel article applicable aux personnes physiques. La loi Warsmann 2 se proposait de nettoyer le code pénal au Kärcher et d’ôter tous ces lambeaux de phrases superfétatoires. D’où cette interminable liste d’articles. Sauf que le 33° ne dit pas du tout ça.

33° Les quatre premiers alinéas de l’article 313-9 [du Code pénal] sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 313-1 à 313-3 et à l’article 313-6-1 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 9° de l’article 131-39. » ; 

Jouons les détectives.

Que disait l’article 313-9 ?

Ceci : 

Les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement [du délit d’escroquerie], dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 313-1 à 313-3 et à l’article 313-6-1.

Les peines encourues par les personnes morales sont :

1° L’amende, suivant les modalités prévues par l’article 131-38 ;

2° Les peines mentionnées à l’article 131-39.

L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131-39 porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise.

L’article 131-38 pose la règle que les personnes morales encourent une amende égale à cinq foix celle prévue pour les personnes physiques, et un million pour les crimes (on ne peut emprisonner une personne morale), l’article 131-39 prévoit les peines complémentaires applicables aux personnes morales en plsu de l’amende. Le 1° prévoit la dissolution de la personne morale. Retenez-le.

Que dit-il cet article désormais ? Je graisse la partie importante.

Les personnes morales déclarées responsables pénalement [du délit d’escroquerie], dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 313-1 à 313-3 et à l‘article 313-6-1 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 9° de l’article 131-39.

L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131-39 porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise.

Tiens ? 2° à 9°. Le 1° a disparu. Vous vous souvenez, celui qui prévoyait la dissolution.

La loi vient donc, sans tambour ni trompette, décider qu’une personne morale qui commet des escroqueries ne peut plus être dissoute. Curieuse mansuétude.

Cette loi du 12 mai 2009, publiée le 13 mai, est entrée en vigueur le 14 mai 2009.

Et figurez-vous que c’est cocasse : le 25 mai 2009, douze jours plus tard, s’ouvrait à Paris le procès de l’Église de Scientologie pour escroquerie, dans lequel le procureur, peu au fait du journal officiel, a requis… la dissolution de l’Église. Perdu ! C’est illégal !

Comme aurait dit L. Ron Hubbard : il est Thétan. 

C’est d’autant plus dommage que c’était la première fois que le parquet se proposait de requérir une telle dissolution. Et que s’agissant de droit pénal, il est impossible de réparer cet état de fait en modifiant à nouveau la loi : non rétroactivité de la loi pénale plus sévère, on ne pourrait l’appliquer à l’affaire qui a été jugée.

Alors, qui est à l’origine de ce texte ?

Légalement, Jean-Luc Warsmann. Il a signé la proposition de loi : juridiquement, il en est l’auteur, et la disposition se trouve dans le texte initial (article 44 de la proposition, qui deviendra le 124 au fil des débats). Les débats parlementaires montrent qu’aucune discussion n’a eu lieu sur cet article ni dans l’hémicycle, ni au Sénat (c’est l’article 58). C’est passé comme une lettre à La Poste. 

En réalité, c’est une des petites mains du Gouvernement qui a rédigé cette proposition avant qu’elle ne soit transmise à Jean-Luc Warsmann, qui a joué les idiots utiles. Il m’est impossible de l’identifier.

Au-delà de ce que cette affaire peut éventuellement révéler de la capacité d’influence de cette organisation religieuse, elle met en lumière un véritable danger pour la démocratie créé par l’inflation législative, voire la diarrhée législative selon le mot d’un professeur de droit (quelqu’un sait de qui est cette délicate expression qui a fait florès ?). Les parlementaires n’exercent plus aucun contrôle des textes qui passent devant eux et votent à l’aveugle. Il suffit d’une main bien placée pour faire passer des textes opportuns sans que quiconque ne réagisse. Voyez le texte de la loi définitive. Songez que chaque assemblée a consacré deux jours aux débats, et encore, ce n’était pas le seul point à l’ordre du jour de ces séances.

La loi est l’expression de la volonté générale. Ce n’est pas un slogan-choc, c’est la Constitution. 

Que cette affaire, qui sauve peut-être la vie de l’Église de Scientologie en France, tant mieux pour elle, sonne enfin le tocsin, car si le parlement continue à tourner en roue libre comme il le fait depuis des années, il y aura d’autres accidents législatifs comme celui-là, et les dégâts sur le lien de confiance qui doit unir le peuple à ses représentants en souffrira à la longue de manière irrémédiable.

Que cela vous fasse comprendre que si les juristes, avocats et magistrats en tête, crient qu’il faut arrêter cette machine folle, ce n’est pas par flemme de se tenir à jour. On en est arrivé au point où le législateur ne sait pas ce qu’il vote. Ça vous suffit comme alerte ?

Il ne faut toucher à la loi que d’une main tremblante disait Montesquieu (Lettres Persanes, CXXIX). C’est bien ce que fait le législateur, mais hélas, parce qu’il est atteint de la maladie de Parkinson.

lundi 14 septembre 2009

Commentaire de texte

Ce billet est un bon entraînement pour les étudiants en droit qui reprennent les cours aujourd’hui, mais vous aussi pouvez jouer chez vous en famille.

Que vous inspire la comparaison de ces deux textes ?

Texte 1 : Eric Besson bloque l’adoption des tests ADN pour les immigrants
(Reuters)

Le ministre de l’Immigration Eric Besson a annoncé qu’il refuserait de signer les décrets d’application de la loi permettant le recours à des tests ADN pour vérifier la filiation de candidats à l’immigration au titre du regroupement familial.

Texte 2 : Code pénal, article 432-1 :

Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende.

Question subsidiaire : que pensez-vous que risque ce ministre délinquant ?

Pas désintérêt : désintéressement

Audience ordinaire d’une chambre pénale d’un tribunal de la région parisienne, affectée au «service général», c’est-à-dire le tout-venant des délits. Plusieurs avocats négocient ferme leur ordre de passage avec l’huissier : c’est la veille des vacances, tout le monde a un train, un avion, une voiture chargée de mômes et de parasols garée en double file. Un avocat a même une audience de référé administratif à quinze heures. Il négocie un passage en troisième position, sous le regard chargé de commisération de ses confrères habitués des audiences pénales. Il n’a aucune chance d’être à temps à son audience au TA mais il ne le sait pas encore.

Les affaires sont appelées. D’abord, des délibérés à rendre. Puis les demandes de renvoi[1]. Refus. Refus. Refus. La chambre a décidé d’écluser du stock avant les vacances. Ah, un renvoi est accepté. À mi avril 2010. On comprend la réticence du tribunal à renvoyer.

Il est déjà 14h15 quand la première affaire commence à être jugée. L’avocat au référé administratif jure entre ses dents. Tous les avocats regardent frénétiquement leurs montres.

16h00. L’avocat au référé administratif plaide son affaire. Il a pleuré au téléphone et a obtenu que son référé administratif soit décalé de deux heures. Dieu bénisse les juges compréhensifs.

16h30. Le tribunal a à peine eu le temps de dire que le jugement sera rendu en fin d’audience que la porte de la salle claque sur les talons de l’avocat qui file vers le tribunal administratif à une vitesse qui lui vaudrait le respect d’Usain Bolt (qui n’a pas l’habitude de courir en robe, ce frimeur).

Affaire suivante. Une jeune avocate se lève.

— “Votre client est présent, maître ?” demande le président.
— “Non, monsieur le président, je suis sans nouvelle de lui.”
— “Donc pas de lettre de représentation ?” demande le président d’un ton agacé.
— “Non”.

Pas de lettre de représentation, ça veut dire que le jugement sera contradictoire à signifier. Il ne sera pas exécutoire tant que le jugement n’aura pas été signifié par huissier au prévenu. Ce qui peut vouloir dire des années, voire jamais, outre que les frais sont à la charge du ministère public. Si le prévenu était présent ou avait donné une lettre de représentation, le jugement aurait été contradictoire : le délai d’appel aurait pu courir dès le prononcé et le jugement être définitif dix jours plus tard, sans un centime de frais pour la Justice.

Avant 2004, le code de procédure pénale prévoyait (art. 411 ancien du CPP, a contrario) que si un prévenu régulièrement cité à compraître ne venait pas sans donner de raison valable ou sans donner de lettre de représentation à un avocat, son avocat ne pouvait être entendu par le tribunal. Oui, chers amis. Je vous parle bien de la procédure française.

Cette magnifique disposition a valu naturellement à la France une condamnation par la cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 23 mai 2000, Van Pelt c. France, n°31070/96) pour atteinte au procès équitable. Eh bien vous me croirez si vous le voulez, mais il nous a fallu pendant des mois aller aux audiences avec une copie de cet arrêt en main au cas où notre client n’oserait pas venir, pour exiger du tribunal qu’il nous entende. Très souvent en vain. Il faudra attendre le 2 mars 2001 pour que la cour de cassation, et en assemblée plénière s’il vous plaît, dise enfin très clairement cette évidence : 

Attendu que le droit au procès équitable et le droit de tout accusé à l’assistance d’un défenseur s’opposent à ce que la juridiction juge un prévenu non comparant et non excusé sans entendre l’avocat présent à l’audience pour assurer sa défense ;…

Et encore, je me souviens d’avoir du me bagarrer en avril 2001 avec un tribunal pour qu’il m’entende en l’absence de mon client, en lui mettant cet arrêt sous les yeux. J’entends encore le président me répondre que cet arrêt n’était pas encore publié au bulletin, et qu’une impression issue du site de la cour de cassation ne lui suffisait pas. Les droits de la défense sont un perpétuel combat.

La loi Perben II du 9 mars 2004 a inséré cette règle dans la loi (62 ans après la promulgation du Code de procédure pénale) qui est désormais à l’article 410

Aujourd’hui encore, bien des tribunaux, qui n’apprécient pas qu’un prévenu se défile, ce que l’on peut comprendre[2], ne manquent jamais une occasion de marquer leur mécontentement et de faire sentir qu’entendre l’avocat est une obligation de la loi et non un mouvement spontané.

Revenons-en à ma consœur. Le tribunal n’est pas content. Ce dossier était une comparution immédiate du dimanche, mais le juge des libertés et de la détention (JLD) avait refusé le mandat de dépôt de 24 h jusqu’à la première audience suivante, soit celle du lundi, contraignant le parquet à remettre le prévenu en liberté. Ce sont des violences aggravées en récidive, un vol et un séjour irrégulier. Le prévenu encourt six ans ans (ce sont des violences avec arme n’ayant pas entraîné d’incapacité totale de travail : trois ans encourus, fois deux pour la récidive), un an de peine plancher et le tribunal doit prononcer un mandat de dépôt, c’est obligatoire (art. 465-1 du CPP). À se demander pourquoi le JLD a remis cet homme en liberté qui, vu ce qu’il risque, a décidé de se faire rare.

— “À ce propos, monsieur le président…”
— “Oui, maître ?”
— “Il s’agit d’une citation après tentative de comparution immédiate. J’étais de permanence ce dimanche-là, et c’est moi qui l’ai assisté devant le JLD. Il m’a demandé de l’assister pour la suite de la procédure, ce que j’ai accepté, car il y a dans le dossier des éléments sur lesquels je crois nécessaire d’attirer l’attention du tribunal. J’ai déposé la semaine dernière des conclusions au fond reprenant ces arguments. Mon client n’ayant pas répondu à mes appels n’a pas demandé au bâtonnier ma commission d’office. Pourriez-vous me commettre d’office à l’audience comme le code de procédure pénale le permet ?” (Art. 417 du CPP).
— “Ah non : vous n’avez pas de lettre de représentation, je n’ai rien au dossier où il demande un avocat d’office.”
— “Cela vous a échappé : c’est sur le procès verbal de citation. Il a déclaré : «je demande que maître Caumy d’Aufyce (c’est moi) me défende». C’est juste à côté de la signature du procureur.”
Après un silence, le président qui a pris connaissance du document reprend : 
—”L’article 417 exige que le prévenu comparaisse pour que le président puisse accéder à sa demande. Votre client n’est pas là et il n’a pas fait de lettre de représentation. Il ne demande pas à être jugé en son absence dans le procès-verbal. Je refuse votre commission d’office.”
—”Fort bien, monsieur le président”, répond-elle d’un ton glacial. Elle reste debout sans bouger. Le président avait sorti ses conclusions du dossier pour les lui rendre. Il est interloqué de la voir rester à sa place.
—”Vous… vous allez soutenir vos conclusions ?”
—”Oui monsieur le président.”
—”Vous avez bien compris que vous ne serez pas payée ?”
—”J’ai bien compris. Le plaisir de plaider devant vous me paiera de ma peine” conclut-elle les yeux rivés dans ceux du président.

L’audience commence. Morne et sommaire rappel des faits, expédié en cinq minutes. Personne ne demande à l’avocate si elle a quelque chose à dire. Le procureur requiert et résume sa démonstration à : «les faits sont manifestement constitués» et demande un an de prison ferme avec mandat de dépôt. 

L’avocate se lève. Visiblement, regrette-t-elle, le tribunal n’a pas plus que le parquet pris la peine de lire les conclusions qu’elle a déposée il y a une semaine. Et elle reprend les procès-verbaux de police, et montre que rien ne prouve la réalité du vol : la prétendue victime n’a pas confirmé qu’on avait tenté de lui voler son sac et n’a jamais répondu aux appels de la police. Quant aux violences, le récit des faits décrits par la police ne correspond absolument pas aux déclarations faites par la victime trente minutes après les faits. On a deux récits divergents, trois avec celui du prévenu en garde à vue (qui ne reconnaît pas les violences). Enfin sur le séjour irrégulier, la citation ne précise pas quelle serait la nationalité du prévenu, né à Dijon il y a quarante ans, c’est écrit sur la citation. C’est d’ailleurs sur la base de ces éléments que le JLD a refusé la comparution immédiate : il le dit clairement dans son ordonnance qui est au dossier et qui semble avoir bénéficié de la même attention que ses conclusions. 

Au fil de la plaidoirie, le président consulte les procès verbaux et l’ordonnance de son collègue, et les passe à ses assesseurs. 

Elle conclut en disant non sans ironie qu’elle prie le tribunal de l’excuser si elle ne sera pas là lorsque le délibéré sera rendu, elle doit prendre un train, puisqu’elle a repoussé son départ en vacances pour pouvoir défendre son client.

Pendant la plaidoirie, je fais un rapide calcul. Elle a assisté le prévenu devant le JLD, un dimanche. Elle a demandé une copie du dossier, qu’elle a potassé. Elle a rédigé des conclusions d’une demi douzaine de pages. Elle a passé quatre heures en audience. C’est au minimum une douzaine d’heures de travail consacrées au dossier, non compris la permanence du dimanche. Le président ayant refusé de la commettre d’office, elle sera donc payée en tout et pour tout les deux UV du débat devant le JLD, soit 51 euros HT. Le président en la commettant lui aurait permis d’en toucher 203 de plus, HT. 254 euros pour tout ce travail n’aurait pas été volé : un avocat choisi aurait facturé au moins cinq fois cette somme à son client.

En la regardant sortir après avoir serré la main d’un procureur un peu penaud, je repense à un texte que les élèves avocats de Paris doivent potasser en ces jours d’épreuve de déontologie. C’est l’article 3 du décret du 17 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat.

L’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.

Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d’honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.

Il fait preuve, à l’égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence.

Superbe démonstration, confrère.


PS : Je suis repassé au greffe quelques semaines plus tard. Le tribunal a relaxé sur les trois préventions. Le parquet n’a pas fait appel.

Notes

[1] Demande par laquelle une partie demande au tribunal de ne pas juger cette affaire à cette audience et de la renvoyer à une date ultérieure. C’est une mesure d’administration, non susceptible de recours. Elle est sollicitée quand une partie n’est pas, pour des circonstances idnépendantes de sa volonté, en état de présenter correctement sa défense : l’avocat a une autre audience, ou a la grippe A, etc.

[2] L’ambiguïté de la formulation est voulue. On peut comprendre l’agacement du tribunal comme on peut comprendre la peur du prévenu.

dimanche 13 septembre 2009

Contre-feu

Par Gascogne


J’ai déjà eu l’occasion sur ce blog de dire tout le bien que je pouvais penser de certains syndicats de policiers et des raisonnements à l’emporte-pièce dont ils nous gratifiaient de manière périodique.

Et en matière de lutte contre la récidive, les délais de l’article 132-10 du code pénal n’étant pas encore écoulés, je m’en serais voulu de manquer cette nouvelles sortie de route du secrétaire général de Synergie, Bruno BESCHIZZA.

Ainsi donc, alors que les chiffres de la délinquance sont en augmentation dans certains secteurs “d’activité”, et pendant que les remontées de bretelles médiatiques sont mises en scène, le syndicat policier a trouvé le moyen de détourner l’attention du français lambda qui aurait pu se demander comment en sept années d’activité et de lois répressives, les chiffres de la délinquance peuvent encore augmenter.

Alors quel bouc émissaire, cette fois ? Après les juges d’instruction schizophrènes, les juges des enfants laxistes, c’est au tour du juge de l’application des peines d’entrer en scène[1]. Si les chiffres sont mauvais, c’est que les aménagements de peine favorisent la récidive…

Les libérations anticipées ordonnées par les JAP ont certes déjà donné lieu à polémique, mais je dois reconnaître que l’argument selon lequel un aménagement de peine pousse à récidiver, je ne l’avais pas vu arriver, si ce n’est dans quelques commentaires récents qui trouvaient la procédure d’aménagement de peine prévue par l’article 723-15 du code de procédure pénale stupide.

Foins d’études diverses et variées, un peu de pragmatisme et quelques considérations en vrac sur l’aménagement de peines :

- Entre une sortie sèche de prison, sans emploi, sans logement, et en fin de peine sans suivi, et une sortie prise en charge, avec éventuellement un logement social, diverses obligations et un suivi judiciaire, laquelle va avoir le plus de chances d’entraîner une récidive ?

- Entre des sorties encadrées pour faciliter le maintien des liens familiaux, mis à mal par le choc carcéral, et le détenu qui ne trouve personne à sa sortie, qui verra sa réinsertion facilitée, avec la limitation des risques de récidive que cela implique ?

- Qui démontre le plus sa propension à respecter les “règles” entre celui qui pendant plusieurs mois réintègre le soir son quartier de semi-liberté et celui qui sort à la date initialement prévue ?

- Entre une victime qui doit faire exécuter une décision sur intérêts civils par ses propres moyens contre un ex détenu dont elle ne peut connaître l’adresse, et une victime qui se verra contactée par les services d’insertion et de probation dans le cadre d’une obligation d’indemniser qui, si elle n’est pas respectée, renverra l’intéressé derrière les barreaux, laquelle a le plus de chances d’être au moins partiellement indemnisée ?

- Entre un toxicomane, ou un criminel sexuel, ou un alcoolique, qui sort sans suivi, et celui qui doit justifier dans le cadre d’un aménagement de peine de rendez-vous réguliers avec un psychiatre, un psychologue, un alcoologue, lequel a le plus de probabilités de rechuter ?

- Entre le citoyen qui a quelques mois ou quelques années d’emprisonnement au dessus de la tête, qu’il risque de voir révoqués en cas de mauvais comportement, et celui qui n’a rien à craindre en plus d’une comparution devant un tribunal en cas de passage à l’acte, n’y en a-t-il pas un sur lequel la pression judiciaire est plus forte ?

- Question subsidiaire : pour quel motif nombre de détenus refusent les aménagements de peine comme la libération conditionnelle et préfèrent aller jusqu’au bout de leur emprisonnement (pas plus tard que cette semaine, j’ai demandé à un détenu qui souhaitait bénéficier d’une semi-liberté s’il ne préférait pas une libération conditionnelle : j’ai eu droit à un refus catégorique) ?

Alors bien sûr, les aménagements de peine ne sont pas la solution idéale, et il existera toujours des personnes qui récidivent, parce qu’elles vivent dans l’instant, parce qu’elles sont malades, parce que le passage à l’acte est un mode de vie, parce que la misère les pousse à voler, parce qu’elles ne peuvent intégrer aucune des règles de vie sociale qui font de nous de bons citoyens, parce que, parce que… L’aménagement de peine porte pari sur l’avenir, et il est certain que ce pari est d’autant moins risqué que le condamné présente encore, malgré plusieurs mois ou plusieurs années d’emprisonnement, quelques éléments positifs (famille qui l’attend, emploi possible, logement, soins d’ores et déjà suivis en détention…). Mais il reste malgré tout un pari.

Que l’on ne détourne pas l’attention sur ce qui reste une avancée dans toutes les sociétés civilisées, dont pas une n’a envisagé un instant de revenir en arrière au sujet des aménagements de peine, et pas seulement parce qu’elles sont “droitdelhommistes”, mais simplement parce qu’elles ont compris, d’expérience, qu’il était de leur propre intérêt d’encadrer les sorties de prison. Cela donne trop une désagréable impression d’instrumentalisation.

Notes

[1] Le syndicat Synergie n’avait visiblement pas d’auvergnat sous la main

samedi 12 septembre 2009

Oh, la douce saveur de l'ironie

«Si vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’avez pas à avoir peur d’être filmé. Lorsque vous faites vos courses au supermarché, lorsque vous retirez de l’argent au guichet ou que vous utilisez les transports en commun, vous êtes déjà filmés. Qui cela dérange-t-il ?»

Brice Hortefeux, lors de son déplacement à Sartrouville, le 9 septembre 2009,

Monsieur le ministre, vous êtes vraiment sûr que la vidéo ne peut pas déranger ceux qui n’ont rien à se reprocher ?

[Via Versac Meilcour]

L’arroseur arrosé, Louis Lumière, 1895. On n’a pas fait plus drôle depuis.

vendredi 11 septembre 2009

Saine colère

Mon confrère Mô n’est pas content. Et comme je partage cette colère tous les jours, et que je n’aurais pas mieux dit, je vous invite à aller planter son serveur aller le lire.

Car moi aussi, j’en ai marre et archi-marre d’être sans cesse considéré à la fois comme un alibi et un indésirable par le code de procédure pénale. Moi aussi, je refuse de dire merci quand le législateur me permet de picorer des miettes de droit de la défense qui tombent de sa table, le plus souvent par accident, ou parce que la cour européenne des droits de l’homme souffle dessus. Moi aussi, je ne supporte plus cette impuissance de la défense organisée méticuleusement par le législateur, avec le soutien bienveillant de la cour de cassation. Moi aussi, je suis outré de lire que le rapport Léger ne sort de l’enfilage de perles et l’alignement des platitudes sans originalité que pour insulter ma profession[1].

Allez donc lire chez Mô ce que ça donne concrètement. « Maître, mon fils est en garde à vue, qu’est ce que vous pouvez faire ? — Rien. Ça fera 1000 euros hors taxe pour la consultation. »

Chaque année, plus de 500.000 personnes connaissent cela. Moins de 400.000 seront finalement jugées. Ça fait 170.000 personnes gardées à vue pour finalement rien qui en valait la peine. Si on prend une moyenne de 12 heures de privation de liberté par garde à vue inutile (ce qui est généreux, elles peuvent durer 48 heures, voire 96 heures, quand ce n’est pas 144 heures), ça fait chaque année l’équivalent de 160 ans de liberté jetés à la poubelle. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.

Et encore, mon septentrional confrère a de la chance. Il peut téléphoner à la permanence du parquet, il connait et est connu de ses 11 juges d’instruction (je doute qu’un seul des 73 juges d’instruction parisien pourrait dire mon nom en me voyant). Il bénéficie aisément de ces “off”, qu’on appelle aussi la foi du palais, et qui est le plus heureux des tempéraments à notre procédure pénale archaïque. Illégal, mais heureux.

Bientôt, je vais être à nouveau de permanence mise en examen. Je vais à nouveau servir essentiellement d’alibi en assistant une personne sur le point d’être mise en examen après avoir eu royalement trente minutes pour lire le dossier (qui fait parfois plusieurs centaines de pages, non indexées bien sûr, à moi de trouver les PV d’audition de mon client en tournant les pages une par une), expliquer ce qui va se passer à mon client et tenter de le rassurer et choisir avec lui s’il doit se taire, parler ou répondre, sachant que tout cela peut ou non, selon l’état d’esprit du juge vis à vis du dossier, le conduire devant le juge des libertés et de la détention, ou flinguer sa défense, mon client ayant la lucidité de quelqu’un qui n’a pas dormi ou si peu depuis 48 heures. Le tout sous la pression du juge venant toquer à la porte de mon minuscule bureau, en me faisant remarquer qu’il ne reste plus grand’chose du délai de 20 heures pour l’interroger. Car oui, c’est quand on n’aura plus de temps qu’on me laissera enfin faire mon travail. On me laissera au mieux le temps de jouer à la roulette russe procédurale sur mon client pour pouvoir inscrire avec satisfaction sur le procès verbal d’interrogatoire de première de comparution “Monsieur Tartempion est assisté de Me Eolas, avocat au Barreau de Paris, qui a eu accès au dossier”. De toutes façon, en sortant du palais, ce ne sera plus mon client, un autre avocat sera désigné à ma place.

Franchement, de quoi se plaint-il ? Il a eu un avocat, et on va supprimer le juge d’instruction, dont l’apparition était synonyme du début des droits de la défense (même si on fait en sorte de les saboter d’entrée, au nom de, comment dit-on déjà ? Ah, oui, l’efficacité de l’enquête, et la manifestation de la vérité).

Bon, excusez-moi, je suis grognon, je le suis toujours à l’approche d’une permanence “MEX”. Et plus encore en sortant. Mais comptez sur moi, ils seront défendus, ces gaillards, et bec et ongles.

Bravo confrère, mes amitiés à Michel et Rachida, quand vous aurez enfin le droit de les voir.

Notes

[1] Page 18 du rapport, on peut lire ces lignes : ””…afin de protéger efficacement les droits du gardé à vue, certains membres (comprendre les quatre avocats, NdEolas) estiment nécessaire que l’avocat soit présent dès la première heure et puisse assister à l’ensemble des auditions du gardé à vue. Il a été indiqué lors des débats que cette mesure permettrait de conforter la valeur des déclarations faites durant la garde à vue et désamorcerait les discussions sur les condition dans lesquelles peuvent intervenir les aveux du mis en cause. Toutefois, la majorité des membres s’oppose à cette proposition car elle considère qu’il convient de préserver l’efficacité de l’enquête et que les premières investigations s’avèrent souvent déterminantes pour la manifestation de la vérité.

jeudi 10 septembre 2009

Khartoum plein de décence en panne

par Sub lege libertas


Il fut un temps sur les terres nubiennes où les femmes furent maîtresse de leur destin comme du royaume. Héritières des candaces qui arrêtèrent Auguste et imposèrent aux romains la paix et le respect de leur indépendance, qui se battirent pour vénérer jusqu’en 543 à Philaé Isis, la déesse des mystères, les soudanaises ne sont pas femmes à abdiquer leur fierté. L’Agence France Presse nous le narre : Loubna Ahmed al-Hussein écrivait des billets pour le journal al-Sahafa (La Presse) et travaillait à la section médias de la mission des Nations unies au Soudan (Unmis) au moment où elle avait été arrêtée. Comme treize autre femmes également interpellées, son humaine indignité était de porter comme une reine le pantalon.

Pour tous ceux qui se gaussent légèrement en petit comité sur les réformes de la justice pénale française en pensant qu’à ce sujet au moins, aucun débat ne s’instaure chez les fils et filles de sans-culottes, je me dois d’indiquer que le 7[1]novembre 1800, une ordonnance [2] a interdit aux femmes le port du pantalon. C’est l'ordonnance du 16 Brumaire an IX[3] de la République, non abrogée. Elle dispose que toute femme désirant s’habiller en homme doit se présenter à la Préfecture de police pour en obtenir l’autorisation. Celle ci ne peut être donnée qu’au vu d’un certificat d’un officier de santé. Cette réglementation[4] a fait l’objet de deux circulaires en 1892 et 1909 autorisant le port féminin du pantalon, si la femme tient par la main un guidon de bicyclette ou les rênes d'un cheval ![5]

Certes la France est un un pays obscurantiste où “les droits fondamentaux de la personne humaine dans les affaires simples ou compliquées sont souvent mis à mal ; les textes applicables sont confus ou enchevêtrés” (page 5 sur 59 du Léger rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale). Seulement, au Soudan où les textes applicables ne sont ni confus ni enchevêtrés, l'article 152 du code pénal de 1991, entré en vigueur deux ans après le coup d'Etat de l'actuel président Omar el-Béchir, prévoit une peine maximale de 40 coups de fouet pour quiconque «commet un acte indécent, un acte qui viole la moralité publique ou porte des vêtements indécents».

Alors qu’elle peut invoquer l’immunité diplomatique que lui confère son poste aux Nations Unies, Loubna Ahmed al-Hussein en démissionne et décide alors de mener un combat contre l'article 152 du code pénal soudanais... en allant devant ses juges. Son attitude est méritoire à deux titres : d’une part, elle croit possible un état de droit et une justice libre en son pays, ce qui constitue dans le Soudan d’Omar el-Bechir une pétition de citoyenneté remarquable ; d’autre part, loin de se contenter d’une protestation d’égalité féministe de salon occidental(isé), notre journaliste devenue activiste soutient selon l’AFP que cet article viole la Constitution soudanaise et l'esprit de la loi islamique (charia) en vigueur dans le Nord du Soudan, majoritairement musulman. «Cette loi est mauvaise. Il n'est pas dans nos traditions et notre comportement à nous, peuple soudanais, de flageller les femmes», a soutenu une autre opposante.

Une telle défense mérite d’être applaudie. Il eût été facile de débiner la loi soudanaise au regard des conventions internationales dont le Soudan est signataire, pire de suspecter la justice soudanaise d’archaïsme. Mais c’est risqué de ne pas être entendu par ses juges nationaux que de parler d’universalité toujours trop occidentale aux yeux de qui voit l’univers s’aliter soit dans l’impérialisme des moeurs des anciens colonisateurs, soit dans le particularisme culturel pour respecter les différences plutôt que la dignité des personnes. Loubna me plaît car elle prend ses procureurs au mot et à leur maux. Ils rêvent à haute voix (cela s'appelle requérir, Eolas D.R.) de la déculotter, elle veut les mettre à nu dans leur argumentation fragile.

Pourtant Loubna Ahmed al-Hussein a été reconnue coupable lundi 7 septembre 2009 d'avoir porté un "pantalon indécent", mais le juge moins philistin que jésuite lui avait donné le choix entre une amende de 500 livres soudanaises (environ 140 euros) ou un mois de prison. Refusant de payer l'amende, elle était donc été incarcérée. Notons au passage avec le porte-parole du Haut Commissariat aux Réfugiés, Rupert Colville, que "les 13 autres femmes arrêtées avec Loubna al-Hussein n'ont pas du tout bénéficié d'une représentation juridique et n'ont pas eu le temps adéquat pour préparer leur défense, contrairement à Loubna al-Hussein qui a été défendue par des avocats de la mission soudanaise de l'ONU. Par ailleurs, dans une sorte de plaidé coupable soudanais, certaines de ces 13 femmes ont subi immédiatement une flagellation de 10 coups, pour éviter de risquer l’application d’une sentence plus lourde.

L'union des journalistes soudanais dit avoir payé l'amende infligée à Loubna Ahmed al-Hussein qui a aussitôt été libérée. "J'avais demandé à ma famille et à mes amis de ne pas la payer", a-t-elle affirmé, ne sachant pas pour le moment si elle allait interjeter appel du verdict de culpabilité prononcé par la cour de Khartoum-Nord. "Nous allons continuer le combat pour changer cette loi, la police de l'ordre public et les tribunaux de l'ordre public".

Je salue votre décence Madame, non celle de votre pantalon, qui ne vous libère pas de l’état du droit, mais celle de votre volonté de justice et de légalisme dont procédera vraiment votre liberté au Soudan. Vous êtes fille de Rousseau dont on aimerait que les soudanais récitent librement les mots :

Un peuple libre obéit aux lois, mais il n'obéit qu'aux lois et c'est par la force des lois qu'il n'obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu'on donne dans les républiques au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l'enceinte sacrée des lois : ils en sont les ministres, non les arbitres, ils doivent les garder, non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu'ait son gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l'homme, mais l'organe de la loi. En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles. (Jean Jacques Rousseau, Lettres écrites de la montagne, Lettre VIII, édité à Amsterdam, chez Marc Michel, en 1764)

Notes

[1] Et non le 17 ; je corrige grâce à la pertinence de ce commentaire qui me rappelant le cas de Rosa Bonheur, me fournit la date exacte de ce texte.

[2] Et non une loi ; le même commentateur m'a permis de voir qu'il s'agit en fait d'une ordonnance du Préfet de police de Paris. On dirait aujourd'hui grosso modo un arrêté préfectoral.

[3] Et non donc, la loi du 26 Brumaire an IX ;voir notes 1 et 2 pour les corrections apportées le 10 septembre à 16 heures 40.

[4] dont le non respect était à l'époque sanctionné par l'article 259 de l'ancien code pénal.

[5] Dans la mesure où le code pénal actuel en son article 433-14 dispose qu'est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait par toute personne, publiquement et sans droit, de porter un costume réglementé par l'autorité publique, je peux rêver à voix haute (cela s'appelle requérir, Eolas D.R.) de poursuites contre une femme en pantalon, puisque le texte réglementaire du 16 brumaire an IX n'est pas abrogé et que manifestement, il constitue une réglementation par l'autorité publique du port public d'un costume, en l'espèce celui d'homme par une femme. Je ne disconviens pas qu'il y a des textes fondammentaux sur l'égalité des sexes qui permettraient de rendre vaines mes poursuites.

mercredi 9 septembre 2009

Vous avez dit grippée ?

par Dadouche



Je n’ai pas la voix de stentor de Gascogne.

Ni le lyrisme de Sub Lege Libertas

Et je n’ai vraiment pas beaucoup d’humour en ce moment, contrairement à Eolas.

Juste l’incrédulité narquoise de celle qui apprend qu’il est indispensable, si les magistrats et greffiers venaient à tomber malades en trop grand nombre pour assurer le fonctionnement des juridictions, de prendre des mesures d’exception qui permettraient, par la simple grâce d’une série d’ordonnance, de voyager gratis en Corée du Nord.
Un genre de téléportation juridique.

Quatre magistrats absents en même temps sur un effectif de vingt ? J’ai connu. Et les prolongations de détention, les audiences collégiales etc.. on se les est tapées.
C’est tellement “normal” que ça n’est venu à l’idée de personne de nous en remercier.

Pas suffisamment de greffiers pour tenir les audiences ? C’est mon quotidien de juge des enfants.

Des dossiers renvoyés parce qu’on ne peut pas les juger ? Ca arrive tous les jours dans beaucoup de juridictions. Pas parce que les magistrats ou les greffiers sont malades. Parce qu’il est 22 heures et que vraiment, avec la meilleure volonté du monde, on n’arrivera pas à passer trois dossiers de plus.

Du retard dans le traitement des procédures ? Je connais plusieurs juridictions où le délai d’enregistrement d’une procédure au bureau d’ordre se chiffre en mois. Avant même qu’un magistrat du parquet jette un coup d’oeil dessus.

Des piles de jugements à taper qui ne sont pas exécutés ? Allez faire un tour dans un greffe correctionnel.

Des sursis avec mise à l’épreuve “mis en oeuvre plus”[1] de six mois après leur prononcé ? Bienvenue au SPIP.

La Justice française est grippée du 1er janvier au 31 décembre, et depuis longtemps. Le diagnostic est posé par tous les praticiens.

Certes, il était temps que ça affole quelqu’un.

Mais c’est plutôt la loi de finances qui a besoin d’un plan pandémie.

Notes

[1] enfin, mis en oeuvre, au rythme d’un rendez-vous tous les 4 mois hein

Scrofules judiciaires.

par Sub lege libertas


Je tousse, je crache, je me gratte. Non, je n’ai pas la grippe A, B, C, ad libitum, ni porcine, ni aviaire, ni espagnole, ni saisonnière. Je suis seulement magistrat, au Parquet il est vrai, et j’éructe de colère - je n'ai plus la faconde méridionale de Gascogne - quand je vois que la prophylaxie est un argument d’atteinte grave aux libertés, même à celles de détenus, de prévenus, de va-nu-pieds ou suspects quelconquement.

De qui se moque t-on pour me faire craindre la grippe ? Tous les jours, je défère ou je requiers face à, oui face à face, à portée de postillons ou de crachats, de pauvres hères crasseux, édentés à l’haleine fétide, qui sont tour à tour porteurs contagieux du virus HIV, de l’hépatite C, B, de la gale, de la teigne, de la tuberculose, etc. Toutes les écrouelles vont à l’écrou : point de roi qui les touche, juste un avocat pour crier grâce touchant le procureur, les juges.

Non je ne travaille pas dans un camp de réfugiés au Darfour pour une ONG. Je rends la justice à ces gens de peu, de rien, riches de leur incapacité à se soigner, fût-ce avec des sigles propitiatoires A.M.E., C.M.U., U.C.S.A., etc. Des gens tellement abîmés par leurs turpitudes que le mot santé les ferait rire, s’ils ne devaient pleurer de m’entendre rêver à haute voix, cela s’appelle requérir (Eolas D.R.) ; m’entendre leur dire que malgré leurs misères que je ne soulagerai pas, je regarde en eux l’homme, failli, déchu, mais l’homme encore, celui que l’on doit appeler à répondre de ses actes.

Ma robe, la noire, sans oripeau ni moire pourpre, celle du quotidien du prétoire, pue ma sueur, leur humanité. Non, je ne cherche pas mon Mont-Blanc dans la poche de la veste de mon costume Cerruti super 150, je leur reprends mon Bic administratif après qu’ils ont signé leur dénégations coupables - je n’ai pas la religion de l’aveux des innocents, pour apposer ma griffe. Leurs mains écorchées aux ongles en deuil valent les miennes.

Madame le Garde des Sceaux, Ministre de la justice et des libertés, chère Maître (vous avez - rappelez-vous dans votre biographie officielle - le diplôme d'avocat), pitié ! Ne pensez pas à me protéger, pour mieux les priver de leur dernier bien, le droit d’être entendu en temps et heure par un tribunal de droit commun. Les tribunaux d'exception exceptent la justice. Avec l’assurance de mon très fidèle dévouement, laissez-moi crever de justice, ce n’est pas contagieux.

Suites de la mobilisation générale : mesures concernant le législatif et l'exécutif

Bonjour à tous.

Gascogne ayant été interné d’office dans un des sanatoriums d’urgence ouverts par le gouvernement à titre préventif (son discours fiévreux ayant été interprété comme un signe avant coureur de la maladie), je prends le relai pour vous exposer de la suite des opérations.

Car principe de précaution oblige, on ne va pas laisser des droits fondamentaux décider de ce qu’on peut faire ou non pour lutter contre la maladie. La Justice doit donner l’exemple de la docilité et de la collaboration.

C’est pourquoi, maintenant que j’ai plein de temps libre, mes clients étant incarcérés d’office sans condamnation, j’ai concocté la suite du plan d’urgence pour les deux autres branches de la République.

- Pour le législatif : il serait irresponsable de laisser 577 députés, qui pour la plupart passent les deux tiers de la semaine dans leurs mairies, leur conseil régional ou général des quatre coins de l’hexagone[1] (sans parler des DOM), s’entasser dans un hémicycle ouvert aux quatre vents. Je ne vous parle même pas des sénateurs : à leur âge, un simple coryza peut libérer un siège. On se croirait au politburo de l’ex-URSS dans les années 80.

Je note avec satisfaction que l’absentésime en séance permet déjà une bienheureuse prophylaxie, mais ça ne saurait être suffisant à l’heure ou un éternuement de bambin ferme des écoles maternelles.

En conséquence, les travaux des assemblées sont suspendus sine die : le gouvernement rayera désormais les mots “projet de” avant le mot “loi” dans ses textes avant de les publier directement au Journal Officiel. Tout parlementaire approchant du siège des assemblées sera abattu à vue par principe de précaution.

- Pour l’exécutif : Je tremble encore en pensant à ces images du président de la République entouré de plébéiens d’une taille égale ou inférieure à la sienne. Cela implique que leurs méphitiques voies respitatoires sont au même niveau que les siennes. Et que dire de ce ministre de l’éducation, confronté aux pestilenciels postillons de militants UMP en embuscade dans un supermarché ? C’est la mort du Gouvernement que l’on veut.

Les déplacements sur le terrain sont donc désormais interdits. Ça libérera du temps dans les journaux télévisés, qui pourront en profiter pour faire de la vraie information (par exemple pour nous parler des catastrophiques inondations au Burkina Faso qui ont tout fait perdre à 160.000 personnes pendant que les télés française égrainent la liste des écoles qui ferment).

De même que le Conseil des ministres, de toutes façon, il n’en sort jamais rien de bon. Les ministres seront placés à l’isolement dans le centre de rétention administrative d’Hendaye, qui est tout neuf et vide. Leurs ministères seront désinfectés au napalm. On réfléchit à la nécessité d’évacuer ou non le personnel avant les opérations (c’est d’ores et déjà non pour la Chancellerie).

Quant au Président de la République, une grippe A pourrait lui être fatale, son malaise vagal a créé un terrain favorable. Il sera enfermé dans l’abri anti-atomique de l’Élysée, jusqu’à ce que plus aucun virus ne circule sur la planète. Principe de précaution. Et comme les virus peuvent aussi être informatiques, toute voie de communication électronique vers l’extérieur sera coupée. La HADOPI sera en charge de l’exécution de cette mesure, prise sans intervention du juge au nom de la séparation des pouvoirs.

Que diable : la Belgique nous démontre depuis deux ans qu’un pays peut très bien fonctionner sans gouvernement,

Pour ma part, je vais m’enfermer dans le cellier jusqu’à ce que l’alerte soit passée. Ne vous en faites pas pour moi, je ne risque pas de mourir de soif.

Adieu, et que votre agonie soit brève.

Notes

[1] J’ai toujours été une bille en géométrie.

mardi 8 septembre 2009

ORDRE DE MOBILISATION GENERALE

Par Gascogne


Drapeaux

Oyez, Oyez,

Magistrats du Siège et Magistrats du Parquet,

Les temps sont graves, notre Patrie Judiciaire est en danger

Point de Teutons à l’horizon, mais un virus que d’aucuns nous décrivent comme extrêmement dangereux ;

La grippe A H1N1 est bientôt dans nos Palais !

Afin de faire face à cette immense menace, et pour éviter les risques de contamination, le gouvernement entend ordonner les mesures suivantes :

- les audiences pénales ne se tiendront plus à trois juges, mais à juge unique : il ne s’agit finalement que de généraliser ce qui était devenu le principe de notre justice. Le justiciable pourra certes tomber sur un juge irascible ou incompétent (voire les deux, j’ai des noms), mais au moins sera-t-il préservé des miasmes.

- les audiences ne seront plus publiques. Nul ne saura ce qui se dira au procès “Clearstream”, mais c’est pour le bien de tous.

- Foin d’avocats en garde à vue dés la première heure. L’intervention ne pourra se faire que passées 24 heures. Le gardé à vue aura été entre temps hospitalisé, ce qui permettra la consultation d’un avocat dans les conditions prophylactiques nécessaires.

- les mandats de dépôt correctionnels, de quatre mois, seront prolongés à six mois, sans débat préalable, le Juge des Libertés et de la Détention n’intervenant que de son bureau, sur dossier. Quant aux mandats de dépôt criminels, ils seront maintenus jusqu’à ce que mort s’en suive.

- Les tribunaux pour enfants étant, comme tout le monde le sait, enclins au développement des maladies infectieuses, voire infantiles, les mineurs seront désormais jugés par les tribunaux correctionnels.

- Afin d’éviter toutes difficultés d’ordre juridique, les délais de prescription seront suspendus, dans le cas où la pandémie durerait plusieurs années.

Gascogne aurait-il abusé de boissons anisées, pensez-vous. Que nenni ! Il s’agit, selon le Syndicat de la Magistrature, d’un projet du Gouvernement en cas de pandémie grippale. Lequel Gouvernement serait bien entendu autorisé à prendre tous textes utiles par voie d’ordonnance, en toute bonne logique médicale (trop dangereux d’aller discuter les textes à l’Assemblée Nationale, toute assemblée devenant suspecte).

Puisque seules les activités pénales semblent intéresser le pouvoir (les gens qui divorcent ou qui se disputent la garde du chien peuvent continuer à se contaminer), je propose en outre les mesures suivantes :

- Le Procureur de la République décide seul, par défèrement qui se déroulera en visio-conférence depuis le commissariat, de la culpabilité et de la peine à infliger à tout auteur d’infraction : la multiplication des étapes procédurales et des passages devant différents magistrats fait encourir trop de risque à la population pénale (puisqu’on vous dit que c’est pour leur bien).

- Encellulement individuel généralisé, comme les règles européennes le prescrivent, afin d’éviter les contaminations (Ah…Non…On me glisse dans l’oreillette, dont tout procureur qui se respecte est doté, qu’un choix différent vient d’être fait).

- Aucune libération de détenu pendant la pandémie (c’est pour leur bien, et puis la rétention de sûreté étant déjà en place, ça ne change pas grand chose).

Le Garde des Sceaux a nié tout plan de ce type. Nous voilà rassurés. En tout état de cause, tout ceci était tellement gros que l’on ne pouvait y croire.

N’est-ce pas ?

vendredi 4 septembre 2009

Je disconviens respectueusement

Décidément, c’est un atavisme chez les procs que de me porter la contradiction. Jusque sur mon blog,

Ainsi, Sub Lege Libertas propose une contre-argumentation à mon analyse de l’affaire Anastase contre Balthazar prédisant la confirmation de la victoire du premier. Et le bougre va chercher jusque dans l’arsenal de l’ancien droit et des brocards en latin, connaissant ma vulnérabilité à tout argument proféré dans la langue de Cicéron.

Mais il ne sera pas dit que je me rendrai sans combattre, surtout quand j’ai raison.

Mon premier réflexe de juriste est d’invoquer le respect des domaines. Nemo auditur (l’usage en droit veut qu’on cite un brocard avec ses deux premiers mots sauf si l’un d’eux est un adjectif auquel cas on ajoute le mot suivant : Nemo auditur, Nemo plus juris) est effectivement un adage qui s’applique au droit des obligations (plutôt que le droit des contrats, qui est une sous-division du droit des obligations), et non au droit des successions, qui ne dédaigne pas son latin (le droit des successions adore les langues mortes).

L’argument est valide, mais il est contré par la production par le parquet d’un arrêt de la cour de cassation qui applique cet adage à une hypothèse de droit des successions. Attendez… Vraiment ?

Le parquet a une tendance naturelle, empruntée au Barreau, de voir midi à sa porte. Mais comment reprocher à un procureur né dans le Nord Pas de Calais de vouloir voir le Midi ?

Comme le dit Sub Lege Libertas en commentaire, la Cour de cassation ne commet jamais d’erreur de droit puisque c’est elle qui dit le droit. Donc, c’est Sub Lege Libertas qui a dû se tromper en le lisant. Lisons-le donc nous-même.

Que dit la cour pour casser l’arrêt ayant donné à Micheline les fonds du mineur ?

«…en statuant ainsi, alors que Mme X… se trouvait exclue de la prestation considérée pour une cause qui lui était propre, le décès de son mari étant le résultat de l’acte fautif lui ayant valu sa condamnation, la cour d’appel a violé la règle susvisée [Nemo auditur]…»

Les mots importants sont les mots prestation et cause qui lui était propre

Qu’est-ce qu’une prestation ? Appelons à la rescousse le dictionnaire du droit privé.

Le mot “prestation” désigne l’acte par lequel une personne dite “le prestataire” fournit un objet matériel ou s’acquitte d’une créance envers le ” bénéficiaire de la prestation”. Ainsi le vendeur s’acquitte d’une prestation au moment où il livre à l’acquéreur ce qui a fait l’objet de la vente, le prêteur qui verse la somme empruntée réalise la prestation qui a été prévue par l’emprunt.

Première constatation : une prestation, c’est du droit des obligations. Corollaire : un héritage n’est pas une prestation. Le mort n’a aucune dette envers le vivant, et ce n’est pas en exécution d’un contrat que les biens du défunt vont à ses héritiers.

Le mot “prestation” est largement employé dans le droit de la Sécurité sociale. Le remboursement par l’organisme de sécurité sociale, à l’assuré, des frais médicaux que ce dernier a avancés, est une prestation. Le salaire de remplacement que verse l’Assedic à une personne en recherche d’emploi, est une prestation. On parle alors de “prestations sociales”.

Nous y voilà. Une pension de retraite relève du droit de la sécurité sociale (qui couvre l’assurance maladie, l’assurance chômage, les allocations familiales et l’assurance vieillesse, dite prévoyance). Et une pension (il est plus exact de dire rente mais le mot a pris une connotation négative) est une prestation. C’est l’exécution d’une obligation par la caisse, ici la société de secours minière, contrepartie de l’obligation assumée sa vie durant par le défunt houilleur de cotiser à la société de secours. C’est une forme de contrat d’assurance, mais dont la loi fixe les clauses et rend l’adhésion obligatoire. Il demeure, c’est un contrat, qui relève du droit privé (la preuve : c’est la cour de cassation qui statue dans cette affaire).

Ergo, la cour de cassation a bien appliqué l’adage nemo auditur non pas à une affaire de droit des successions mais de droit des obligations. Le litige opposait la veuve d’un assuré à la société de secours minière, veuve qui agissait non en héritière (ce qu’elle n’était pas) mais en tant que créancière : le contrat lui donne droit à toucher la pension de son mari pendant un an après le décès ou jusqu’aux trois ans du plus jeune de ses enfants. 

En outre, la cour exclut la veuve par ses propres mains pour une cause qui lui était propre (le fait d’avoir estourbi son mari). La cour insiste sur cette cause qui est la turpitude qu’invoque la veuve contre l’adage nemo auditur. Or, Anastase a certes fauté, mais était-ce pour une cause qui lui était propre ? Non, disent de conserve un chœur d’experts ayant conclu à l’irresponsabilité, c’est-à-dire à l’abolissement du discernement. Dès lors, pas de turpitude à reprocher à Anastase, sauf à le rendre responsable de sa folie, ce qui serait à tout le moins une nouveauté. 

Pour conclure, Sub Lege Libertas rêve à voix haute (cela s’appelle requérir) une extension de cette jurisprudence à une hypothèse éloignée de celle d’origine, pour rétablir de l’équité dans cette affaire. J’aime l’équité. Si, si. Elle est très gentille. Mais l’égalité entre héritiers, c’est d’ordre public. 

Je terminerai en disant que je ne vois pas en quoi l’équité permettrait d’interdire à Anastase, poursuivi par Balthazar pour le dédommager de ces décès, et condamné à le payer, à faire valoir ses droits sur la succession pour payer son frère, ne serait-ce que par compensation. Cette condamnation, c’est un transfert d’un patrimoine à l’autre. Balthazar l’a demandé et obtenu. Mais si Anastase renonçait à cette succession, cela reviendrait à payer deux fois son frère. Il n’est pas interdit d’être aussi équitable avec les fous. 

Par ces motifs, plaise à la cour confirmer mon billet. 

Sous toutes réserves, et ce sera justice, n’oubliez pas mon article 700, bande de radins. 

Rentrée des classes : cours de latin ou pourquoi ne pas tuer son mari pour toucher sa retraite de veuve.

par Sub lege libertas


Oui, on peut tuer ses parents et toucher l’héritage. Est-ce si sûr ? Le Maître de ces lieux a démontré juridiquement la béance entre le droit successoral (les indignités) et la morale, voire -j’y ajoute - le droit naturel ou divin (tu ne tueras point). Evidemment, le procureur - qui peut toujours au nom de l’ordre public ou dans l’intérêt de la loi venir donner son avis aux civilistes - ne peut totalement rester taisant. Et que pourrait-il répondre juridiquement pour exhéréder le fils qui a causé la mort de son père dans un geste de démence reconnue pénalement ?

Et bien, il ne parlera pas chinois mais latin ! Et vous vous en doutez ça me plaît bien… Depuis 1948 (selon le Professeur Morvan qui s’est penché sur la question), la Cour de cassation qui contrôle l’usage des règles de droit a recours à des principes de droit qui viennent lui servir de fondement à son analyse quand la référence à un texte législatif n’y suffit pas. Ces principes sont très divers, mais pour nombre d’entre eux, ce sont des adages latins, de vieilles maximes de droit romain qui pour certaines ont parfois été traduites en articles de loi. Mais souvent elles demeurent non écrites, sauf à être visées par un tribunal ou une cour de justice comme référence : vu le principe…

Dans notre beau système judiciaire, cette pratique peut étonner : les jacobins hurleront contre au nom de la prohibition des “arrêts de règlement”, ces jugements par lesquels les cours souveraines de l’Ancien Régime face à la maigreur des textes légaux cuisinaient une règle de droit à leur propre sauce et décidaient qu’elle réglait pour l’avenir (d’où le nom d’arrêt de règlement) la question posée par le litige. Je ne trancherai pas le débat entre les jacobins, les positivistes, les jus-naturalistes et autres oiseaux interprètes des sources du droit pour savoir si le recours à des principes non écrits comme fondement d’une décision judiciaire est une hérésie systémique, un scandale politique (gouvernement des juges) ou l’expression de la normativité de la jurisprudence même sans ”stare decisis”, preuve de l’adaptation permanente du droit à l’évolution de la société. Mékeskidi ? Rien d’autre en français que ce que dit un juge dans son jugement peut servir de référence pour un autre jugement dans un cas similaire, même si ce n’est pas obligatoire, et qu’ainsi sans que la loi ait changé, son interprétation par les juges permet de l’adapter à la réalité de la société.

Je me contenterai de cette pratique établie pour tenter de débouter Anastase de sa demande de part d’héritage de feu son papa qu’il a follement occis. Et voilà donc qu’avec Balthazar le frérot orphelin, le procureur que je suis s’écrie : “Nemo auditur propriam turpitudinem allegans”. Comme l’article 111 de l’ordonnance royale donnée à Villers-Cotterêts le 15 août 1539, insinué au Parlement de Paris le 5 septembre de la même année, toujours en vigueur dans notre pays, m’interdit l’usage d’une autre langue dans les actes judiciaires que la langue françoise, je me reprends et derechef je m’écrie : Nul ne peut alléguer ses propres méfaits pour en tirer profit.

Ah ! Mais ne serait-ce pas de la morale qui sous couvert d’adage latin s’insinue dans le droit pour mettre en échec l’application des textes en vigueur au profit d’Anastase ? J’ose un glissement de terrain sémantique : morale peut-être, équité certainement. Et là, je reste juriste car jus est ars boni et aequi, le droit est le moyen d’être bon et équitable. Le droit anglo-saxon, que je maîtrise certes aussi bien que la langue de Shakespeare parlée par une betizu, use me semble-t-il très bien de cette notion d’équité comme fondement notamment du droit des obligations, là où notre bon vieux législateur post-révolutionnaire nous fait privilégier l’égalité. Mais comme le juge et pas seulement celui de Château-Thierry aime naturellement l’équité quand l’égalité de la loi semble injuste, il trouve refuge dans cet adage “nemo auditur” pour prohiber que l’on tire avantage d’un méfait que l’on a causé.

Bien. Mais cet adage a-t-il déjà été utilisé dans un cas comme celui de nos Abel et Caïn de l’héritage ? Et c’est là où je vais vous parler de mon pays natal, le bassin minier du Nord-Pas de Calais. En ces contrées, Micheline - on l’appellera comme cela - vivait auprès de son Robert retraité des mines, sans doute silicosé, sirotant son café bistoule du matin au soir. Or un jour ou peut-être était-ce une nuit, lassée de la vie que lui faisait mener son Robert, voilà que la Micheline le cogne tant avec tout ce qui lui tombe sous la main que Robert quitte le bas monde de son coron pour l’éternité. Micheline est condamnée pour coups mortels avec arme à cinq années de réclusion criminelle par la cour d’assises de Saint-Omer ou de Douai, peu importe.

Mais bientôt Micheline quitte les murs de sa prison et s’avise que désormais veuve de feu son mineur de fond, elle peut revendiquer la pension de reversion d’ouvrier mineur conformément au décret du 27 novembre 1946, portant organisation de la sécurité sociale dans les mines. C’est la veuve joyeuse version ch’ti! La Cour d’appel de Douai, le 19 février 1993, donne raison à Micheline qui se réjouissait déjà, après voir touché le fond, de le faire désormais au pluriel. Las, la Cour de cassation s’en mêle et sans remettre en cause la réalité du droit à pension ouvert par les textes au profit de Micheline, vise uniquement en tête de son arrêt (et en latin !) la règle “nemo auditur” pour dire à Micheline qu’elle “se trouvait exclue de la prestation considérée pour une cause qui lui était propre, le décès de son mari étant le résultat de l’acte fautif lui ayant valu sa condamnation”.

J’en entends déjà qui disent : “D’accord, mais à la différence de Micheline, Anastase n’a pas été condamné puisqu’il était irresponsable pénalement. Donc, pique nique douille c’est Sub lege libertas l’andouille ” Que nenni ! Car au visa de la règle “nemo audititur” je conclue civilement ainsi : Attendu que Anastase a causé le décès de son père, qu’il a d’ailleurs été tenu de réparer au profit de son frère Balthazar les conséquences de son geste fautif au plan civil, Attendu que Anastase ne peut se prévaloir de son comportement fautif pour revendiquer la qualité d’ayant-droit à la succession de son père, laquelle n’a été ouverte qu’à raison de ce comportement, que dès lors en application de la règle sus-visée, il doit se voir débouter de sa demande…

Attendons donc tous de voir comment la cour d’appel de Nîmes, peut-être sur conclusion de l’avocat général inspiré par la lecture de ce billet, statuera, avant de se soumettre à la tentation d’estourbir ses géniteurs par un fol appât du lucre.

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.

Calendrier

« septembre 2009 »
lun.mar.mer.jeu.ven.sam.dim.
123456
78910111213
14151617181920
21222324252627
282930

Contact